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Commission des affaires étrangères

Mercredi 8 février 2017

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n°039

Présidence de M. Michel Vauzelle, Vice-Président

– Réunion avec M. Mikhéïl Djanélidzé, ministre des Affaires étrangères de Géorgie

Réunion avec M. Mikhéïl Djanélidzé, ministre des Affaires étrangères de Géorgie

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

M. Michel Vauzelle, président. M Michel Vauzelle, président. Nous recevons aujourd’hui le ministre des affaires étrangères de la République de Géorgie, M. Mikheil Djanelidze, accompagné notamment de Mme Ecaterine Siradze-Delaunay, ambassadeur de Géorgie dans notre pays. Je salue également Pascal Meunier, notre ambassadeur en Géorgie.

Avant de donner la parole à notre hôte, je rappellerai que la Géorgie est un pays démocratique et un pays ami de la France, avec lequel notre coopération est particulièrement intense.

Parmi les pays issus de l’ancienne URSS, la Géorgie est en effet l’un de ceux – ils ne sont finalement pas si nombreux – qui ont véritablement opté pour la démocratie. Ce choix se manifeste par l’organisation d’élections que les observateurs considèrent comme honnêtes et dont les résultats ne sont pas connus d’avance. En 2012, ces élections ont permis une alternance politique pacifique. En octobre dernier, le parti du « Rêve géorgien » – un beau nom ! –, au pouvoir depuis 2012, y a été reconduit par les électeurs.

En politique étrangère, la Géorgie a fait très clairement le choix d’aller vers l’intégration européenne et vers l’Alliance atlantique. Elle a signé en 2014, comme l’Ukraine et la Moldavie, un accord d’association avec l’Union européenne.

Nos relations bilatérales sont excellentes. Le Président géorgien, M. Margvelachvili, a été reçu en visite officielle à Paris l’année dernière ; il a rencontré le Président de la République ainsi que le président de notre assemblée, Claude Bartolone. Je voudrais également souligner l’importance de nos coopérations en matière de défense.

Les choix de politique étrangère de la Géorgie sont en partie, nous le savons, imposés par ses relations difficiles avec la Russie. Depuis la guerre de 2008, celle-ci a renforcé son emprise sur les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Si ces régions n’ont pas été officiellement annexées par la Russie, à la différence de la Crimée, de fait, le résultat n’est pas très différent. Cependant, des négociations se déroulent à Genève depuis 2008 dans le but de trouver une solution pacifique, mais sans grand résultat jusqu’à présent. Dans son discours d’investiture de novembre dernier, le Premier ministre, M. Kvirikachvili, a déclaré que son gouvernement envisageait des mesures plus courageuses en faveur de la réconciliation avec les régions séparatistes. À quelles conditions une solution négociée peut-elle être trouvée ?

Plus généralement, comment concevez-vous l’évolution de vos relations avec la Russie, à l’heure où ce pays réaffirme sa puissance tandis que le nouveau président américain affiche sa volonté de se rapprocher de son homologue russe et de demander plus de contreparties à ses partenaires de l’OTAN ?

Pour ce qui est, enfin, des relations de la Géorgie avec l’Union européenne, la libéralisation des visas de court séjour, depuis longtemps promise, devrait prochainement être effective ; il y a eu à cet égard au Parlement européen, jeudi dernier, un vote important, à une très forte majorité. Comment voyez-vous l’évolution de ces relations ? L’Union européenne du Brexit reste-t-elle attrayante pour la Géorgie ?

M. Mikheil Djanelidze, ministre des affaires étrangères de Géorgie. C’est un honneur pour moi que de prendre la parole devant vous. Je vous remercie du temps que vous me consacrez, de l’amitié que vous me témoignez et de l’intérêt que vous accordez à mon pays.

L’Assemblée nationale française a contribué à la création, au renforcement et à l’expansion de l’Union européenne, à la fin de la guerre froide et à plusieurs décennies de paix et de prospérité. Bien que de nombreux aspects de cette heureuse époque soient aujourd’hui remis en cause, nous sommes persuadés que les traditions démocratiques de la France, sa solidité institutionnelle et la résilience de son peuple permettront de redresser la situation et que des jours meilleurs nous attendent.

Ce dont il s’agit aujourd’hui, en Europe, c’est de renforcer le projet européen et de le rendre toujours plus attrayant. Or la France connaît bien, mieux peut-être que toute autre nation en Europe, les avantages de l’intégration européenne. Cinq ans seulement après la guerre la plus brutale que l’humanité ait connue, des visionnaires de votre pays, Jean Monnet et Robert Schuman, prononçaient leur déclaration historique. La France représente l’esprit de l’Europe depuis plusieurs siècles ; ce n’est pas un hasard si, il y a trois cents ans, Soulkhan-Saba Orbeliani, célèbre érudit et diplomate géorgien, s’est principalement rendu à Paris et à la cour de France lorsqu’il a dû solliciter l’aide de l’Europe pour le compte du roi de Géorgie. C’est à Paris, c’est en France que les dirigeants de la première République démocratique géorgienne ont trouvé refuge après l’annexion de la Géorgie par la Russie bolchevique, en 1921. À ce propos, je tiens à exprimer toute ma gratitude à la France pour la restitution à la Géorgie du château de Leuville.

Aujourd’hui, au xxie siècle, cet esprit occidental que la France représente si fortement nous fait désirer, à nous Géorgiens, une plus étroite intégration européenne. Cet intérêt repose sur la conviction que nous partageons les valeurs de l’Occident et que nous faisons culturellement partie de celui-ci. Non seulement la Géorgie tirera profit d’une coopération plus intense avec les institutions européennes, mais l’Europe elle-même en bénéficiera à plus d’un titre. L’Europe traverse en effet une période difficile, qu’il s’agisse de ses institutions politiques, de ses perspectives économiques ou des défis sécuritaires qu’elle doit relever. Or la Géorgie, État démocratique et politiquement stable, est située à proximité de zones sensibles – le Moyen-Orient, la Russie, l’Asie centrale. Un allié fiable, démocratique et prospère dans cette région représente un atout, et ce pour chaque État membre, et non pas seulement pour l’Union européenne elle-même. Je suis reconnaissant à la France de la maturité politique dont elle a fait preuve en soutenant la Géorgie tout au long du processus qui a mené à la conclusion et à la mise en œuvre de l’accord d’association et à la libéralisation des visas – c’est essentiel à notre intégration européenne.

La Géorgie a entrepris avec succès des réformes démocratiques et visant à établir une économie de marché socialement responsable ainsi qu’à éliminer la corruption ; cela n’aurait pas été possible sans le soutien de nos amis européens. Aujourd’hui, la Géorgie est reconnue comme leader dans la région du point de vue de la démocratie, des libertés et du niveau de corruption, très faible au regard non seulement des pays de la région mais aussi des pays membres de l’Union européenne, comme en témoigne le classement récemment publié par Transparency International, qui nous place devant onze d’entre eux. Parallèlement, nous poursuivons nos réformes économiques et, malgré les défis qui restent à relever dans notre environnement régional, la Géorgie devrait connaître cette année une croissance de 5 % selon les prévisions de la Banque mondiale.

Je suis fier de dire que les relations bilatérales entre la France et la Géorgie sont aujourd’hui intenses. Elles incluent la coopération économique, la défense, l’éducation et la culture. Nous avons également d’excellentes relations dans le cadre multilatéral de l’OTAN. Dans le domaine de la sécurité, la France est à la pointe de l’initiative de défense aérienne engagée dans le cadre du « paquet substantiel OTAN-Géorgie » (substantial NATO-Georgia package, SNGP). Après avoir achevé la phase de fixation du calendrier, nous élaborons maintenant le plan d’action. La présence de la France à Batoumi témoigne de son engagement en faveur de la sécurité dans la région de la mer Noire. La participation conjointe de soldats français et géorgiens à des missions de sécurité internationale est notable ; la semaine dernière encore, un détachement de soldats géorgiens était envoyé en République centrafricaine au côté des contingents français. Nous sommes reconnaissants à la France d’avoir inclus la Géorgie dans la liste des pays d’origine sûrs.

La France a toujours fait partie des destinations touristiques les plus prisées des Géorgiens, qui sont fascinés par son architecture, ses musées, sa joie de vivre et les plages de la Côte d’Azur. Il y a aussi de nombreux touristes français qui visitent et apprécient la Géorgie ; nous aimerions qu’ils soient encore plus nombreux. Il faut donc mettre en place des vols directs entre la France et la Géorgie, laquelle est déjà directement reliée à l’Allemagne et à d’autres pays européens.

Il existe aussi des arguments géopolitiques en faveur d’une intégration croissante de la Géorgie aux institutions européennes. Aujourd’hui, l’Europe et l’Occident tout entier sont défiés par d’autres pays dont certains ne protègent pas la démocratie et les libertés fondamentales. De ce point de vue, la réussite de la Géorgie est importante. Nous nous félicitons donc de l’ouverture d’un bureau de l’Agence française de développement à Tbilissi. Nous sommes heureux de l’intérêt que la France témoigne au développement de l’agriculture, de l’énergie, du tourisme et d’autres secteurs importants en Géorgie. Il montre combien vous êtes conscients des défis communs qui lient la France à d’autres parties de l’Europe.

L’assistance que nous recevons dans le domaine de l’éducation est particulièrement importante. Nous voulons renforcer l’enseignement du français en Géorgie, où quelque 11 000 étudiants apprennent votre langue. Nous sommes reconnaissants à l’Institut français du rôle qu’il joue dans notre pays, où il accueille environ 300 étudiants par semestre. Nous participons à l’Organisation internationale de la francophonie. Cette coopération va resserrer les liens entre nos deux peuples et entre nos deux pays.

Outre la politique, l’économie et la sécurité, nos deux pays ont en commun une histoire très riche qui nous rend plus forts et qui donne plus de poids à notre partenariat. Nous partageons l’amour des vins ; le vignoble géorgien sera cet été l’invité d’honneur de la Cité du vin, à Bordeaux, et nous présenterons notre culture et nos traditions, au-delà même de la viticulture.

Je tiens à vous exprimer de nouveau notre reconnaissance pour le soutien politique que vous nous avez apporté pour préserver notre intégrité territoriale et notre souveraineté. Je vous remercie de vos propos à ce sujet, monsieur le président. Nous subissons l’occupation de 20 % de notre territoire. Mais nous nous montrerons pragmatiques vis-à-vis de la Russie. Nous ne voulons pas manquer l’occasion historique qui nous est offerte de nous rapprocher de l’Europe. À cet égard, le soutien de la France est décisif. Nous espérons que notre partenariat et ce soutien vont perdurer. Car seule une Géorgie européenne, démocratique et stable peut garantir l’unité du peuple, nourrir le désir de réintégration dans le pays et mettre fin à l’occupation de ces territoires. Nous avons besoin du soutien de la communauté internationale et de nos partenaires internationaux pour trouver une solution pacifique au conflit. C’est notre seul désir et le sens de notre politique. Pour mettre en œuvre cette politique, nous avons besoin de puissants appuis internationaux tels que celui de la France.

Merci à nouveau de votre accueil et du temps précieux que vous acceptez de consacrer à la Géorgie.

M. Michel Vauzelle, président. Merci beaucoup, monsieur le ministre, de ces propos amicaux et agréables.

Je donne en premier lieu la parole à M. Pierre Lellouche, président du groupe d’amitié France-Géorgie.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, madame l’ambassadeur, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale. Voilà bien longtemps que le Gouvernement français et l’Assemblée nationale suivent les événements qui se déroulent en Géorgie. Certains d’entre nous ont pu se rendre dans les territoires qui sont aujourd’hui occupés, en Abkhazie et en Ossétie du Sud. J’ai pu moi-même mesurer à plusieurs reprises la gravité de la situation eu égard à votre souveraineté nationale et à votre indépendance.

Quelle analyse votre gouvernement fait-il de l’installation de l’administration Trump et des changements de la politique stratégique américaine à l’égard du Caucase et particulièrement de la Géorgie ? Le poids des États-Unis dans cette région du monde, les garanties de sécurité qu’ils apportent sont très importants, notamment pour l’avenir de votre pays. Du moins était-ce le cas sous M. Saakachvili.

Y a-t-il à votre avis une perspective de sortie de crise concernant les conflits gelés d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, ou le statu quo va-t-il durer ? Quel est le lien entre cette situation et celle de l’Est de l’Ukraine ? Avez-vous des suggestions sur la manière dont on pourrait en sortir ? Elles pourraient être utiles à la diplomatie française.

M. Philippe Baumel. Monsieur le ministre, le désir de votre pays d’intégrer l’OTAN pose une question majeure de relations internationales. Votre gouvernement a demandé début juillet aux membres de l’organisation de lui apporter un soutien massif pour faire enfin progresser ce dossier. Avez-vous le sentiment d’avoir reçu tous les soutiens nécessaires ? Comment le problème pourrait-il être désormais résolu, compte tenu de l’évolution politique que connaissent les États-Unis avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump ?

En ce qui concerne l’Ossétie du Sud, un référendum a été annoncé, dont certains disent qu’il pourrait se tenir courant 2017. Quelle est la position de votre gouvernement au sujet de cet éventuel référendum ? Quelle est à vos yeux sa validité ? Quelles pourraient être les conséquences respectives de ses deux issues possibles ?

Enfin, nous savons tous que plusieurs bases militaires russes sont implantées sur votre territoire. Certains les considèrent comme illégales. Quelle est la position de votre gouvernement sur ce point ? Souhaitez-vous qu’un repli, voire un retrait, soit progressivement envisagé ? Si oui, à quelle échéance ?

M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre, j’ai le plaisir, comme député des Français de l’étranger, de me rendre au moins deux ou trois fois par an dans votre pays, qui accueille – très bien, et je vous en remercie – une importante communauté française. Ceux qui connaissent la Géorgie salueront les immenses succès que vous avez cités, en particulier la lutte contre la corruption par-delà les alternances politiques. J’invite tous mes collègues à aller visiter à Tbilissi la « maison de l’administration publique » : ils verront comment on peut créer une entreprise en moins de vingt-quatre heures ! Nous pourrions en tirer quelques leçons, à gauche comme à droite, à l’approche des échéances électorales que l’on sait.

Le lycée français du Caucase, à Tbilissi, nous a été offert clés en main par M. Ivanichvili, un mécène privé qui fut Premier ministre de Géorgie : nous n’avons plus eu qu’à en assurer le fonctionnement. C’est suffisamment rare pour être signalé, et cela prouve combien la Géorgie est attachée à notre pays.

À ce tableau, j’apporterai deux bémols.

Le premier concerne notre rôle dans la crise issue des événements de 2008. À l’époque, la France avait agi de façon déterminante grâce à Nicolas Sarkozy, mais la dernière responsabilité importante assumée par un responsable français au sein de la mission de l’OSCE vient de disparaître avec la suppression du poste de conseillère politique qu’occupait Mme Isabelle Covic – pour 3 150 euros par mois, tout compris.

Je me permets également d’appeler l’attention de la commission sur le fait que l’Allemagne et le Royaume-Uni font des efforts pour valoriser leur représentation diplomatique, alors que la France attend toujours un nouveau projet d’ambassade.

J’aimerais enfin vous poser deux questions.

La première rejoint l’une de celles de mon prédécesseur : qu’escomptez-vous de l’adhésion à l’OTAN ? Pensez-vous vraiment que les GIs seraient venus mourir pour Tskhinvali en 2008 ? Votre insistance sur ce dossier ne compromet-il pas vos relations avec la Russie, alors même que l’on ne voit pas bien ce que l’adhésion pourrait vous apporter ?

Deuxièmement, avez-vous un calendrier de discussion avec les Russes sur le retour des deux provinces occupées ?

M. René Rouquet. Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd’hui, monsieur le ministre. Plusieurs d’entre nous font partie de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), et nous entretenons d’excellentes relations avec nos collègues géorgiens. En 2012, je me suis rendu en Géorgie dans le cadre de la préparation d’un rapport à l’APCE sur les droits de l’homme, l’État de droit et la situation des personnes déplacées internes. L’APCE a formulé un certain nombre de recommandations à ce sujet. Comment la situation des personnes déplacées internes a-t-elle évolué en Géorgie ? Les problèmes sont-ils en passe d’être réglés ? La question la plus importante, déjà posée par mes collègues, est celle des territoires occupés et de l’évolution des « conflits gelés », selon les termes employés à l’APCE.

M. Jean-Marc Germain. Je vous souhaite à mon tour la bienvenue, monsieur le ministre, et vous remercie de vous exprimer devant notre commission. Pouvez-vous nous détailler les relations que vous entretenez avec la Turquie ? Comment évaluez-vous les évolutions récentes de la Turquie du point de vue géopolitique ?

M. Jacques Myard. Je vous ai entendu avec beaucoup d’intérêt, monsieur le ministre, évoquer les valeurs démocratiques que vous avez su développer dans votre pays, ainsi que vos succès, largement confirmés par mon ami Thierry Mariani, en matière de lutte contre la corruption – laquelle est une gangrène assez généralisée.

Lors du sommet de l’OTAN à Bucarest, les Alliés ont décidé de soutenir la candidature de la Géorgie au plan d’action pour l’adhésion – membership action plan (MAP) –, lui ouvrant ainsi la possibilité de rejoindre l’OTAN. Pensez-vous vraiment que ce soit une position réaliste s’agissant d’un pays tel que le vôtre, situé au sud de la Russie ? Bien évidemment, le peuple géorgien a la liberté de choisir, mais il y a aussi la géostratégie. Dans l’état actuel des choses, cela n’apparaîtrait-il pas comme une sorte de provocation, notamment aux yeux de Moscou ? L’OTAN s’est rapprochée très fortement des pays de l’Est de l’Europe et de l’ex-URSS alors que, au moment de la réunification allemande, un accord avait été passé indiquant que tel n’était pas l’objectif de l’Alliance. Il me semble que, sur ce point précis, le réalisme doit l’emporter sur une forme d’aventure.

M. Pierre Lellouche. Il faut arrêter, Jacques ! Allons le dire aux Polonais et aux Baltes, tant que nous y sommes ! Il faut qu’ils sortent tout de suite de l’OTAN et de l’Union européenne, et comme ça, nous serons tranquilles !

M. Michel Terrot. Quelle est, monsieur le ministre, la position de votre gouvernement à propos du conflit territorial qui oppose deux de vos voisins, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ? Quelles sont, selon vous, les possibilités de sortie de ce conflit ?

M. Mikheil Djanelidze. Merci beaucoup pour vos questions, qui montrent une fois de plus tout l’intérêt que vous portez à la Géorgie et à la région, ainsi que la connaissance que vous avez des développements qui les concernent.

Je commence par la question des territoires occupés, qui a été abordée par plusieurs d’entre vous.

Nous essayons d’avoir un dialogue constructif avec la Fédération de Russie, dans le cadre de différents formats, notamment les négociations que nous menons à Genève. En 2012, nous avons ouvert un nouveau canal de discussion, entre le représentant spécial du Premier ministre géorgien et le vice-ministre des affaires étrangères compétent de la Fédération de Russie. Le dialogue par ce canal nous a permis de désamorcer les tensions, de maintenir une certaine stabilité dans les territoires géorgiens occupés, de favoriser les contacts entre les populations, ainsi que les échanges culturels et commerciaux.

Mais, malheureusement, la situation dans les territoires occupés demeure très préoccupante, voire alarmante. Hier, les autorités de fait d’Ossétie du Sud ont annoncé la possible tenue d’un référendum. Ce référendum s’inscrit dans la continuité de la politique mise en œuvre par la Fédération de Russie depuis qu’elle occupe ces territoires, surtout depuis qu’elle a signé avec leurs autorités de fait, en 2014, de prétendus « traités d’intégration ». Avec ces traités, les Russes sont en train d’absorber ces territoires, de conduire un processus d’assimilation. Leurs structures politiques, économiques, sociales, de défense et de sécurité sont directement subordonnées à Moscou. Les Russes disposent de bases militaires et ont créé, avec les autorités de fait, des structures militaires communes, qui sont opérationnelles depuis cette année.

En ce qui nous concerne, notre politique s’appuie uniquement sur le travail diplomatique, sur des négociations pacifiques. Or, face à cette puissance militaire, il est très difficile de discuter par les canaux diplomatiques. Encore une fois, pour que notre démarche soit couronnée de succès, nous avons besoin du soutien de nos partenaires, notamment de l’Union européenne, de la France, de l’Allemagne et des autres États membres. Toute politique de révision des frontières, que ce soit en Ukraine ou en Géorgie, pourrait mener à des conflits beaucoup plus importants, à une escalade dans d’autres parties de l’Europe. C’est pourquoi nous devons, ensemble, défendre très fermement les principes, les normes et les règles de droit international, qui ont apporté la paix, la prospérité et la possibilité d’un développement stable de nos nations en Europe.

La Géorgie est un pays indépendant et souverain. Son intérêt est de faire partie du monde démocratique, des sociétés libres, de l’Europe libre. Ce choix n’est pas purement politique ou orienté par tel ou tel : c’est le choix du peuple géorgien. J’ai mentionné, dans mon propos liminaire, les siècles d’histoire de la Géorgie et notre volonté de faire partie de cet ordre européen, de participer à la sécurité européenne.

Ce que nous pouvons faire pour favoriser une résolution pacifique du conflit, c’est renforcer la Géorgie, son État et ses institutions démocratiques, autrement dit faire de la Géorgie un véritable État européen. Dans le même temps, nous devons poursuivre le processus de renforcement de la confiance avec les populations qui vivent dans les territoires occupés. Nous le faisons quotidiennement : nous mettons en œuvre des programmes spéciaux comprenant un volet social, qui offrent notamment des perspectives en matière d’éducation et de commerce. Lors de son discours devant le Parlement, le Premier ministre a déclaré qu’il était ouvert à de nouveaux projets en ce sens avec nos partenaires internationaux.

Quel peut être le rôle de la diplomatie française ? Apporter un soutien constant aux principes internationaux, dans le cadre du dialogue bilatéral et des discussions internationales. La France le fait déjà, et nous apprécierions de travailler encore plus en partenariat avec elle.

Pour notre part, nous veillons, pour toute question ou problème concernant les relations avec notre pays, à assurer chacun d’entre vous que la Géorgie s’engage pour les valeurs auxquelles nous croyons tous, et que nous avons les mêmes intérêts : la paix et la stabilité dans la région. Nous avons déjà donné des preuves en ce sens, mais nous ne nous arrêtons pas en chemin : bien que nous fassions face à de grands défis, nous allons continuer à faire porter nos efforts sur les politiques qui font de la Géorgie un partenaire fiable pour vous.

J’en viens à la décision que vous avez évoquée concernant l’OTAN. Il ne s’agit pas seulement, pour la Géorgie, de faire partie de l’alliance militaire, mais aussi de participer à la sécurité transatlantique, de faire partie du monde démocratique, de cette alliance démocratique. Nous savons qu’il y a actuellement des interrogations sur le rôle et l’action de l’OTAN, ainsi que sur la participation des États membres à son développement, mais nous entendons aussi des déclarations en faveur d’un renforcement de l’OTAN et des contributions à l’organisation.

La Géorgie contribue à l’OTAN et à la sécurité transatlantique : nous investissons de manière constante plus de 2 % de notre PIB dans notre défense et nous participons à des missions internationales de l’OTAN. Ramenée au nombre d’habitants, notre contribution à sa mission en Afghanistan est d’ailleurs l’une des plus élevées, y compris du point de vue financier, ce qui n’est pas facile pour un pays tel que le nôtre qui fait face à tant de défis. Mais nous sommes persuadés que nous ne devons pas être un simple bénéficiaire du soutien de l’Alliance atlantique : nous devons apporter notre propre contribution, afin de montrer notre valeur à nos partenaires et amis.

Nous faisons tout pour mettre en œuvre les mesures prévues par les instruments concrets que l’OTAN met à la disposition de la Géorgie : à travers le programme national annuel – annual national programme (ANP) –, nous conduisons des réformes institutionnelles et démocratiques ; le paquet substantiel OTAN-Géorgie nous aide à bâtir notre appareil de défense, de sécurité et de résilience ; nous menons un dialogue très actif dans le cadre de la Commission OTAN-Géorgie. Grâce à ces instruments concrets, l’adhésion, à terme, de la Géorgie à l’OTAN est un objectif réalisable.

Nous sommes conscients qu’il faut pour cela non seulement une coopération pratique, mais aussi un consensus politique. Nous mettons tout en œuvre pour créer ce consensus, et faire de la Géorgie un pays digne d’être accepté par l’OTAN. La question n’est pas vraiment celle du réalisme, de la géopolitique ou des intérêts de la Russie, qui ne souhaite pas avoir l’OTAN à ses frontières. Nous savons que les frontières que la Russie partage avec l’OTAN ont été les plus sûres : elles ont apporté la paix, la prospérité et le développement aux régions concernées.

Nous savons qu’il y a eu des résistances analogues dans de nombreux autres cas, mais nous sommes persuadés que la participation de la Géorgie à la sécurité transatlantique est aussi dans l’intérêt de la région, y compris de la Fédération de Russie, car la stabilité dans le Caucase est très importante pour elle. La Géorgie a un rôle important à jouer pour assurer la stabilité dans la région, à travers son processus de démocratisation et son engagement pour les valeurs. L’Europe, la communauté transatlantique et la Russie peuvent y trouver un intérêt commun.

Si nous voulons adhérer à l’OTAN, c’est non pas pour récupérer nos territoires par la force – nous ne nous attendons nullement à ce que l’OTAN combatte pour la réunification de la Géorgie –, mais pour avoir un avenir stable, bâtir une démocratie et un État solides, ce qui est nécessaire au développement futur de notre pays et à la réintégration des territoires occupés. L’adhésion à l’OTAN est, nous le savons, une question très sensible, qui nécessite une discussion approfondie entre différents membres de l’Alliance. Nous sommes déterminés à travailler d’arrache-pied afin que la Géorgie soit prête pour le jour où la décision sera prise.

La question des personnes déplacées internes est l’une des plus sensibles en Géorgie. Elles sont plus de 350 000. Comment le référendum en Ossétie du Sud pourrait-il être considéré comme légal alors que 70 % de la population au moins a quitté ce territoire à cause de l’épuration ethnique ? Il n’existe aucune norme qui permette d’établir la validité d’un tel référendum. Il s’inscrit dans la politique d’annexion menée par la Russie. Il s’agit d’une nouvelle provocation, destinée à entraver le processus de rétablissement de la confiance et de résolution pacifique du conflit que nous avons engagé. C’est pourquoi nous demandons à nos partenaires et aux organisations internationales d’élever la voix pour condamner cette situation et appeler la Russie à respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de ses voisins, leur droit souverain à se développer et à assurer leur stabilité interne. Nous sommes persuadés, je le répète, que ces conflits sont une source d’instabilité et peuvent avoir de graves retombées non seulement pour notre région, mais aussi pour l’Europe dans son ensemble et pour la sécurité européenne.

S’agissant du conflit du Haut-Karabagh, nous avons assisté à une montée des tensions en avril dernier. Le conflit se militarise et peut s’intensifier à tout moment. Nous attachons beaucoup d’intérêt à sa résolution pacifique. Nous entretenons de bonnes relations avec les deux parties, l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Avec l’Azerbaïdjan, nous avons des projets stratégiques dans le domaine de l’énergie, des transports et du commerce, qui ont aussi leur importance pour l’Union européenne. Nous allons notamment accroître la capacité du gazoduc qui traverse l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Il reliera les gisements gaziers de la mer Caspienne au gazoduc transanatolien, qui sera lui-même prolongé par le gazoduc transadriatique aboutissant en Italie. Cela permettra de livrer des volumes supplémentaires de gaz à l’Europe. Ces projets ne peuvent pas être menés à bien sans stabilité.

La Géorgie est aussi un pays important pour l’Arménie : le gaz russe lui est livré par un gazoduc qui traverse notre pays ; nous lui offrons un accès à la mer, et sommes donc une voie de transit et de communication avec l’Europe.

Nous avons besoin d’un plan de paix pour résoudre le conflit du Haut-Karabagh. La France prend activement part aux négociations. Selon moi, la communauté internationale, notamment l’Union européenne, devrait s’engager davantage pour soutenir ces efforts. Encore une fois, il ne s’agit pas seulement d’un conflit local : c’est la sécurité de la région qui est en jeu.

Le projet de gazoduc que j’ai mentionné à propos de l’Azerbaïdjan traverse la Turquie. Celle-ci est un acteur important dans la région, un partenaire stratégique pour nous comme pour l’Alliance atlantique. Nous avons tout intérêt à sa stabilité. Nous menons un dialogue politique de haut niveau avec elle, dans différents formats. Le Premier ministre géorgien a été le premier dirigeant étranger à se rendre à Ankara après la tentative de coup d’État. La Turquie a soutenu avec force la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Géorgie. Elle est un partenaire clé pour notre stabilité, notre développement économique et notre intégration dans les structures euro-atlantiques, ainsi que pour la sécurité de la mer Noire.

En résumé, notre région est très importante du point de vue géopolitique. Elle est actuellement volatile. La Géorgie joue un rôle essentiel dans ce contexte. Son intérêt est de soutenir la paix et la stabilité dans la région. Aujourd’hui, elle est un partenaire fiable pour l’Union européenne, qui partage les mêmes intérêts. Nous avons besoin de davantage de coopération et d’engagement pour trouver des solutions pacifiques aux conflits dans la région, notamment pour mettre fin à l’occupation des territoires géorgiens. Ces solutions ne peuvent être fondées que sur les principes et les normes internationaux. C’est la seule formule qui puisse garantir une Europe en paix. À défaut, nous pourrions être confrontés à une escalade sans précédent et à des conflits qui affecteraient non seulement notre région, mais aussi de nombreuses parties du monde.

M. Thierry Mariani. Ma question s’adresse davantage à l’homme politique et au membre du Gouvernement géorgien qu’au ministre des affaires étrangères. Du point de vue de la Géorgie, quelle est aujourd’hui la situation de l’ancien président Mikheil Saakachvili ? Il a été pendant un temps gouverneur de la région d’Odessa, à la demande du président Porochenko. À cette fin, il a été naturalisé ukrainien. Du point de vue juridique, peut-il revenir dans le jeu politique géorgien à l’avenir ?

M. Mikheil Djanelidze. Une procédure judiciaire est engagée contre lui. Elle est instruite conformément à notre législation. Autant que je sache, M. Saakachvili est désormais dans l’opposition au Gouvernement ukrainien. Dans le même temps, il dirige une fraction issue de la division de son ancien parti, le Mouvement national uni, et essaie d’intervenir dans les processus politiques en Géorgie.

M. Michel Vauzelle, président. Je vous remercie infiniment, monsieur le ministre, de vous être exprimé devant notre commission. Vous savez tout l’intérêt et toute l’attention que la France porte à la Géorgie, non seulement en raison d’une amitié ancienne, mais aussi du fait du rôle stratégique que joue votre pays en faveur de la paix dans cette région du monde, qui nous concerne directement. Nous espérons vous revoir aussi souvent que possible.

La séance est levée à dix heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 8 février 2017 à 9 h 45

Présents. - M. Kader Arif, M. Jean-Paul Bacquet, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, Mme Seybah Dagoma, M. Michel Destot, Mme Cécile Duflot, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Paul Dupré, M. Éric Elkouby, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Marc Germain, Mme Linda Gourjade, M. Jean-Claude Guibal, Mme Chantal Guittet, M. Jean Launay, M. Pierre Lellouche, M. Patrick Lemasle, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - M. François Asensi, M. Christian Bataille, M. Alain Bocquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, M. Philippe Gomes, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Meyer Habib, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lequiller, M. Alain Marsaud, M. Jean-Claude Mignon, M. Boinali Said

Assistait également à la réunion. - M. Yves Foulon