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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 7 mai 2014

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 49

Présidence de M. Philippe Nauche, vice-président

— Audition, ouverte à la presse, de Sir Peter Ricketts, Ambassadeur du Royaume-Uni en France, sur la dissuasion nucléaire

La séance est ouverte à neuf heures.

M. Philippe Nauche, président. Je suis heureux d’accueillir Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni en France, pour une audition, ouverte à la presse, sur la dissuasion nucléaire.

Je vous remercie vivement d’avoir bien voulu répondre positivement à notre invitation sur un sujet aussi important que délicat. Je vous prie par ailleurs de bien vouloir excuser l’absence de la présidente Patricia Adam, retenue par d’autres obligations.

Au cours de nos précédentes auditions, nous avons abordé à plusieurs reprises les différences entre nos deux pays en matière de dissuasion, notamment le choix du Royaume-Uni de ne conserver qu’une seule composante. Cela n’empêche pas qu’une coopération importante et prometteuse se soit mise en place en matière de simulation, à la suite des accords de Lancaster House. En outre, des réflexions sur le sujet sont en cours au Royaume-Uni dans le cadre de la revue de défense et de sécurité pour 2015.

Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni en France. Je voudrais d’abord dire que j’étais hier dans l’Hémicycle pour l’adoption de la résolution sur les Alliés et que j’ai beaucoup apprécié les propos des présidents de groupe sur le sujet. Je transmettrai bien sûr cette résolution à la Chambre des communes.

Comme la France, nos gouvernements successifs ont estimé essentiel pour la sécurité de notre pays de disposer d’une dissuasion nucléaire minimale. Il s’agit d’un point politiquement consensuel depuis très longtemps, qui a été confirmé dans notre Livre blanc de 2010.

Depuis 1998, nous n’avons plus qu’une composante nucléaire, reposant, comme chez vous, sur quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de classe Vanguard. Nous disposons du système Trident de missiles balistiques, avec 16 tubes sur chaque sous-marin et des têtes nucléaires de fabrication britannique.

Nous avons ainsi maintenu une présence permanente en mer depuis les années 1960.

Par ailleurs, nous acceptons à très long terme l’objectif d’un monde sans armes nucléaires, ce qui doit passer par une adhésion globale au traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), une maîtrise de la prolifération et des négociations sur un désarmement multinational. Mais pour le moment, nous jugeons l’arme nucléaire essentielle.

Nous avons apporté des « garanties négatives de sécurité » sur l’utilisation de notre arme nucléaire, qui prévoient que nous n’utiliserons pas et ne menacerons pas d’utiliser cette arme contre un État non nucléaire partie au TNP. Nous insistons à cet égard sur le besoin de conformité stricte aux termes du traité.

Notre Livre blanc a confirmé que nos sous-marins, qui arriveront en fin de vie à la fin des années 2020, seront remplacés. Mais le second parti de la coalition gouvernementale actuelle, le parti libéral-démocrate, se réserve de faire valoir d’autres options que la dissuasion fondée sur le Trident. Nous estimons le coût du remplacement de nos SNLE entre 20 à 25 milliards de livres sterling au prix actuel.

À cet égard, le Livre blanc a mis en place des mesures de réduction de coût pour s’assurer que cette enveloppe ne sera pas dépassée. Ainsi, nous ne remplacerons pas nos têtes nucléaires avant les années 2030, nous réduirons les tubes de lancement de missiles pour les prochaines générations de sous-marins de 16 à huit et allongerons la vie des sous-marins actuels de quelques années, le premier d’entre eux devant être remplacé en 2028.

La décision définitive sur le programme de remplacement sera prise par notre gouvernement en 2016, après les prochaines élections générales prévues en 2015. Elle portera sur le nombre futur de sous-marins, sachant que nous sommes déterminés à maintenir une présence permanente en mer.

D’ici 2016, nous aurons dépensé environ trois milliards de livres sterling en travaux préparatoires et de faisabilité pour la prochaine génération de sous-marins. Les programmes sont déjà en cours.

Nous recherchons toujours une dissuasion à la fois minimale et efficace. Le Livre blanc a prévu une réduction du nombre de têtes nucléaires sur les sous-marins actuels de 48 à 40 dans les années à venir, en attendant les nouvelles générations. Le nombre maximal de ces têtes nucléaires en réserve, qui était de 225, passera à 180, et celui correspondant aux têtes disponibles pour les opérations, qui était de moins de 160, sera fixé à 120 – ce qui constitue pour nous un minimum pour assurer notre crédibilité.

S’agissant de la coopération avec la France, nous avons des dissuasions maritimes comparables, et nous avons déclaré, lors du sommet franco-britannique de 1995, que nous ne pouvons imaginer une situation où les intérêts vitaux d’un de nos deux pays pourraient être menacés sans que ceux de l’autre soient engagés. Cette déclaration a été confirmée lors des accords de Lancaster House en 2010.

Nous avons par ailleurs des discussions régulières sur la dissuasion nucléaire et travaillons ensemble sur une installation commune à Valduc, en Bourgogne, permettant de réaliser des tests virtuels sur les têtes nucléaires. Cela nous permet de réduire nos coûts respectifs, de manière à sauvegarder nos technologies et nos compétences. Il s’agit aussi d’un fort symbole de confiance entre les deux pays sur leur capacité à joindre leurs intérêts essentiels dans le cadre d’un traité valable pour cinquante ans. Cet engagement très important a d’ailleurs été renouvelé par votre gouvernement lors du récent sommet franco-britannique.

M. Jean-Jacques Candelier. En 2009, deux sous-marins se sont télescopés en plein océan, sans qu’on sache précisément pourquoi. Pouvez-vous nous fournir des précisions à cet égard ?

Par ailleurs, quelles pourraient être les conséquences d’une éventuelle indépendance de l’Écosse sur les relations franco-britanniques ?

Sir Peter Ricketts. Je ne sais pas grand-chose au sujet de l’accident que vous évoquez. Mais cela montre peut-être l’efficacité de nos sous-marins en termes de silence… Toujours est-il que nos deux marines travaillent ensemble pour assurer la coopération dans le déploiement de ceux-ci.

En septembre 2014, un référendum est en effet prévu sur l’indépendance de l’Écosse, où se trouve notre base stratégique. Nous, le gouvernement, travaillons sereinement dans l’optique que cette consultation confirmera le maintien de l’Écosse dans le Royaume-Uni. Si ce n’était pas le cas, il faudrait engager des négociations longues et sans doute difficiles avec le nouveau gouvernement d’Édimbourg pour façonner un État écossais. La présence de la discussion nucléaire en constitue un des aspects parmi bien d’autres. Cela prendrait du temps et impliquerait de longues négociations pour arriver à des résultats. Pour le moment, nous n’avons pas de plan B, et nous considérons que la dissuasion nucléaire restera basée dans cette région.

M. Jacques Lamblin. Nous avons un allié commun, les États-Unis, mais, pour la force de dissuasion, les choix opérés par nos deux États vis-à-vis de ce pays sont très différents. Nous avons délibérément décidé de développer une filière totalement autonome, pour laquelle nous comptons entièrement sur nos propres forces et compétences, alors que vous avez choisi de travailler avec les Américains, sachant que la nuance entre le fait de travailler avec un pays et d’y être aliéné est parfois très légère. Or, cette subordination éventuelle de la Grande-Bretagne à l’égard des États-Unis s’agissant des moyens est de nature à soulever quelques doutes sur la relation franco-britannique. Quel est votre avis à cet égard ?

Sir Peter Ricketts. D’abord, je n’accepte pas le terme de subordination. Nous avons seulement eu une coopération très étroite avec les États-Unis sur la dimension nucléaire depuis les années 1960. Nous avons ainsi acheté le système de missiles américain Polaris, et maintenant le système Trident. Mais, comme je l’ai précisé, nous avons des têtes nucléaires conçues et fabriquées au Royaume-Uni et les opérations de nos sous-marins se font de façon totalement indépendante par rapport aux États-Unis : elles résultent d’instructions du Premier ministre britannique transmises par des systèmes britanniques. L’ordre éventuel d’utiliser cette arme est une décision souveraine du Premier Ministre britannique. Nous avons toute confiance dans notre indépendance à utiliser, commander et contrôler nos sous-marins. Certes, nous puisons dans la même réserve de missiles Trident, mais nous y ajoutons nos propres têtes nucléaires et nous avons une indépendance totale quant à leur utilisation. Et cette coopération nous permet de réduire les coûts.

Nous avons également une coopération étroite avec les États-Unis sur le système de propulsion nucléaire des sous-marins. Mais cela n’empêche pas une large coopération avec la France sur l’emploi, le déploiement, la politique de dissuasion, la politique déclaratoire et les systèmes de test de sûreté de nos têtes nucléaires, bien que nous ayons un système de lancement de missiles différent du vôtre.

M. Philippe Folliot. Une dissuasion, pour être crédible, doit être indépendante, suffisante et fiable.

Vos propos, monsieur l’Ambassadeur, sont dignes d’un grand spécialiste des questions de défense. Pensez-vous que le fait d’avoir moins de quatre sous-marins permettra à la Grande-Bretagne de conserver une permanence de la dissuasion ?

Par ailleurs, certains disent que pour que la dissuasion soit crédible, il importe d’avoir deux vecteurs. Qu’en pensez-vous et comment s’est produit le démantèlement des forces aériennes stratégiques britanniques ?

Sir Peter Ricketts. Je rappelle que notre gouvernement s’est engagé à maintenir la permanence de la présence en mer que nous avons depuis les années 1960. Si le gouvernement change en 2015, il reviendra à la nouvelle équipe de revoir cette question, mais si le gouvernement de M. Cameron est reconduit dans ses fonctions, je suis convaincu que cette ligne demeurera.

Il faut voir ce que seront les caractéristiques techniques de la nouvelle génération de sous-marins qui arrivera fin 2020 pour déterminer si on peut assumer le risque infime de rompre la permanence en mer avec un nombre réduit d’appareils. Mais la permanence en mer est aussi importante pour la Royal Navy que pour la Marine française.

Sur la seconde composante, je rappelle que nous avons démantelé notre force aérienne stratégique en 1998 sous le nouveau gouvernement travailliste de M. Blair : l’objectif était principalement de réduire le nombre d’armes nucléaires pour une dissuasion minimale. On a en effet considéré que garder la permanence de la force océanique était suffisant pour disposer d’une dissuasion minimale. Cela a d’ailleurs été accepté par les gouvernements suivants.

M. Alain Marty. Ce débat sur la permanence en mer a eu également lieu en France.

En réduisant le nombre de sous-marins, on expose largement l’endroit où ils se trouvent et, en cas de conflit, il est facile de les supprimer en anéantissant les bases. La permanence à la mer évite à cet égard d’exposer les populations.

Pour la nouvelle génération de sous-marins, envisagez-vous, s’agissant de l’aspect balistique, une autre solution que la coopération avec les États-Unis ? Je rappelle que quand un de vos sous-marins entre en période de régénération de son moteur nucléaire, le processus est compliqué : on désarme les têtes, le sous-marin va aux États-Unis pour déposer les missiles, il revient en Grande-Bretagne pour suivre son cycle de régénération, puis retourne aux États-Unis récupérer les têtes et enfin de nouveau en Grande-Bretagne pour armer ses missiles. Je veux bien croire que ce dispositif permet de faire des économies, mais il n’en semble pas moins très contraignant.

Sir Peter Ricketts. Je ne suis pas certain que votre présentation soit exacte. De toute façon, nous avons décidé de conserver le système Trident, que nous utilisons depuis de nombreuses années. Nous avons la capacité de traiter, d’extraire et de remettre en place les missiles à Faslane. Nous ne sommes donc pas dépendants des États-Unis pour toutes les opérations relatives aux sous-marins.

Il me paraît essentiel que la nouvelle génération de sous-marins présente des caractéristiques différentes si on devait se limiter à trois bâtiments. Cette question est en cours d’étude.

Mme Émilienne Poumirol. Quels arguments avaient été avancés en 1998 pour abandonner la composante aéroportée ? Ils pourraient en effet nous permettre d’envisager éventuellement de faire la même chose.

Par ailleurs, la France et la Grande-Bretagne pourraient-elles faire pression sur l’Union européenne pour que les dépenses de dissuasion nucléaire, qu’elles sont seules à assumer, puissent ne pas être prises en compte dans le calcul du seuil de 3 % de déficit budgétaire par rapport au produit intérieur brut (PIB) ?

Sir Peter Ricketts. J’imagine qu’à l’époque où nous avons abandonné la composante aéroportée, celle-ci était en fin de vie. Il s’agissait de bombes largables d’un avion, avec toutes les difficultés pour celui-ci à pénétrer en profondeur dans les défenses d’un pays. Il nous revenait donc soit de remplacer ce système, soit de le supprimer. Nous avons choisi la seconde option. Nous ne sommes donc pas rentrés dans une phase de développement de missiles de croisière nucléaires comme ce fut le cas en France. Nous avons à cet égard publié une étude sur les alternatives à une dissuasion fondée sur les sous-marins, dont une synthèse est disponible sur Internet.

D’autre part, nous ne faisons par partie de la zone euro : nous ne sommes donc pas soumis au critère de 3 % que vous évoquez, même si nous essayons de toute façon de réduire notre déficit budgétaire. Il n’y a pas eu, à ma connaissance, de proposition tendant à ne pas tenir compte des dépenses de dissuasion dans nos déficits, dans la mesure où ces dépenses n’en demeurent pas moins des dépenses publiques.

M. Yves Foulon. En 2014, la coopération franco-britannique a été renforcée grâce à des recherches conjointes dans les installations du Laser Mégajoule pour essayer de trouver des modalités sur la certification d’ogives. Quelles sont les perspectives ou éléments nouveaux que vous pouvez nous apporter à cet égard ? Le Royaume-Uni en attend-il quelque chose en particulier ?

Sir Peter Ricketts. Je n’ai pas d’éléments me permettant de vous répondre précisément. Si j’en obtiens, je vous les communiquerai.

M. Olivier Audibert Troin. Il existe une convergence entre les doctrines britannique et française sur la dissuasion nucléaire. Nous avons d’ailleurs le même nombre de SNLE ; vous envisagez de les remplacer en 2028, et nous en 2030.

Si cette dissuasion est l’expression de la souveraineté nationale, est-il pour autant utopique d’envisager des SNLE franco-britanniques afin de réduire les coûts ?

Sir Peter Ricketts. La recherche d’économies budgétaires est évidemment essentielle. L’installation conjointe de Valduc que j’évoquais répond en partie à cela.

En ce qui concerne la construction de sous-marins communs d’ici 2030, je ne vois pas comment cela serait possible. Cela poserait à peu près les mêmes problèmes que ceux rencontrés pour notre projet commun de porte-avions. Nous nous sommes déjà engagés, je le répète, à fabriquer à nouveau un sous-marin fondé sur le système Trident avec les États-Unis. Nous nous sommes également mis d’accord sur un système de propulsion nucléaire américano-britannique et avons annoncé que le sous-marin serait construit au Royaume-Uni.

Cela ne laisse pas beaucoup de marges de manœuvre pour une construction commune avec vous. Reste que, dans certains domaines comme les sonars, nous devons travailler ensemble. Il en est de même pour les tests virtuels de têtes nucléaires et, surtout, pour l’utilisation et la doctrine, de même que pour s’assurer que nos deux flottes coopèrent bien et de façon cohérente.

M. François de Rugy. Existe-t-il d’autres champs de coopération possibles entre nos deux pays ? Qu’en est-il notamment s’agissant des systèmes de simulation ?

Par ailleurs, votre gouvernement a-t-il évalué les économies engendrées par la suppression de la composante aéroportée en 1998 ?

Sir Peter Ricketts. Bien entendu, des économies relatives au développement de nouveaux programmes et aux bases aériennes ont été réalisées. Cependant cette évaluation n’a, à ma connaissance, pas été réalisée, mais je vous transmettrai des éléments plus précis sur ce point.

Quant à la coopération sur la simulation, elle se concrétise sous la forme d’un contrat et d’un bâtiment, qui est en cours de construction. Il s’agit d’une installation partagée, avec un équipement technique de très haute performance, tendant à simuler l’action des têtes nucléaires. Nos deux pays pourront l’utiliser en toute indépendance et toute sécurité. C’est un projet très concret et précis, qui permet le partage des coûts.

M. Philippe Nauche, président. Je vous remercie, monsieur l’Ambassadeur.

La séance est levée à neuf heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. François André, M. Olivier Audibert Troin, M. Sylvain Berrios, M. Gilles Bourdouleix, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, Mme Catherine Coutelle, M. Guy Delcourt, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Edith Gueugneau, M. Francis Hillmeyer, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Alain Marty, M. Jacques Moignard, M. Philippe Nauche, Mme Émilienne Poumirol, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Patricia Adam, M. Claude Bartolone, M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, M. Alain Chrétien, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, Mme Cécile Duflot, Mme Annick Girardin, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Armand Jung, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde

Assistait également à la réunion. - M. Paul Molac