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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 8 juillet 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 62

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Communication, ouverte à la presse, sur l’utilisation des pouvoirs de contrôle prévus par l’article 7 de la loi de programmation militaire (M. Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour avis des crédits relatifs à l’équipement des forces et à la dissuasion pour 2015). 2

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Comme vous le savez, deux contrôles sur pièces et sur place ont été organisés récemment en vertu de l’article 7 de la loi de programmation militaire (LPM), le premier auprès du secrétariat d’État au Budget, le second auprès de la direction générale de l’armement (DGA). Il s’agit de la première utilisation des pouvoirs nouveaux dont nous avons souhaité nous doter pour mieux contrôler l’application de la loi de programmation militaire. J’ai d’ailleurs pu entendre des réactions positives des militaires au courant de notre démarche.

Avant de laisser la parole à Jean-Jacques Bridey, notre rapporteur pour avis sur le programme 146 « Équipement des forces » et sur la dissuasion, qui a participé à l’ensemble de ces contrôles et a assuré l’exploitation des informations recueillies, qu’il me soit permis de relever que nous avons travaillé en bonne intelligence et en commun avec la commission des Finances, qui dispose de ses propres prérogatives étendues de contrôle au titre de la LOLF, ainsi qu’avec la commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat. La présence de François Cornut-Gentille parmi nous aujourd’hui en témoigne d’ailleurs. Lors du contrôle opéré à Bercy étaient ainsi présents le président Jean-Louis Carrère, les sénateurs Jacques Gautier et Daniel Reiner, François Cornut-Gentille, Jean-Jacques Bridey et moi-même. Cela a permis d’associer, il faut le souligner, des représentants de la majorité et de l’opposition. Nous renouvellerons naturellement l’exercice tant sur les aspects budgétaires que s’agissant d’autres éléments dimensionnant de la LPM.

Nous avons ciblé surtout la question des recettes exceptionnelles qui, comme dans le cas de la précédente LPM, représentent une part substantielle des ressources prévues. Elles se réaliseront également, mais font l’objet d’incertitudes quant au calendrier de leur encaissement. Il est d’ores et déjà certain qu’elles ne seront pas au rendez-vous en 2015, d’où la recherche de solutions de compensation qui seront examinées lors d’un très prochain conseil de défense, afin de respecter les engagements pris dans la LPM.

Autre point à relever : l’excellent accueil que nous avons reçu tant à au ministère des Finances le 17 juin, le secrétaire d’État au Budget étant présent, qu’à la DGA le 3 juillet. Nous avons obtenu tous les documents que nous avons demandés et ceux-ci ont pu être analysés en profondeur par nos rapporteurs. Le contrôle effectué auprès de la DGA nous a permis en particulier de faire le point sur l’évolution du report de charges, sur le rythme des engagements au premier semestre ainsi que sur l’état d’avancement de deux programmes phares en 2014, à savoir SCORPION pour l’armée de terre et les ravitailleurs MRTT. Au premier semestre 2014, les engagements réalisés par la DGA ont été ralentis, cette dernière attendant de connaître le montant de ses ressources réelles avant de lancer de nouveaux programmes, ce qui a pu être regretté par les industriels concernés. Il s’agit là de l’une des conséquences du report de charges, problème ancien et bien connu.

M. Jean-Jacques Bridey. Je vais vous présenter une synthèse des documents qui nous ont été remis par le ministère des Finances et la DGA lors de ces deux contrôles.

Nous avions demandé au ministère des Finances des éléments sur les recettes exceptionnelles et les différents scénarios à l’étude pour sécuriser la trajectoire des ressources prévue par la LPM, notamment la société de projet. À la DGA, nos interrogations portaient sur ces mêmes sujets, mais aussi sur le report de charges et la situation des programmes d’armement les plus emblématiques.

Il nous a été remis, dans les deux cas, des dossiers très complets, assez volumineux, comprenant à la fois des notes de synthèse, notes aux ministres, procès-verbaux de réunions et échanges de courriers, courriers électroniques, entre les différents services des ministères concernés. Il s’agit en quelque sorte de matière première « brute », à laquelle nous avons rarement accès et qui nous a été remise de bonne grâce.

Je vais m’efforcer d’en faire la synthèse et de vous présenter le tableau le plus juste possible de la situation financière actuelle du ministère de la Défense, en particulier de celle des recettes exceptionnelles (REX).

Vous savez tous que la LPM a prévu, pour la mission « Défense », la perception de 6,1 milliards d’euros de recettes exceptionnelles sur la durée de la programmation, réparties entre recettes immobilières, redevances de fréquences 4G, programme d’investissement d’avenir - financé par la cession de participations financières de l’État - et recettes issues de la cession de fréquences hertziennes, la bande des 700 MHz.

C’est sur ce dernier point, qui représente 3,7 milliards d’euros, soit 86 % des REX programmées sur la période 2015-2017, que pèse aujourd’hui la plus grande incertitude. La majorité de ces recettes hertziennes devait en effet être perçue dans les deux prochaines années : 1,5 milliard d’euros en 2015 et 1 milliard d’euros en 2016 – puis 820 millions en 2017, 230 millions en 2018 et 90 millions en 2019.

De quelles fréquences hertziennes parle-t-on exactement ?

La bande de fréquences 700 MHz est aujourd’hui entièrement utilisée par les services de la télévision numérique terrestre (TNT). Elle a été identifiée comme un levier de développement important dans les télécommunications pour les années à venir, afin de répondre à l’explosion des besoins en bande passante utilisés pour la télévision par Internet et la vidéo sur mobile.

Les évolutions technologiques permettent en effet d’envisager de faire basculer la diffusion de l’offre télévisuelle sur une autre bande de fréquences et de libérer la bande des 700 MHz au profit de la téléphonie mobile. Dans le cas d’un transfert intégral de cette bande au secteur des télécoms, l’État pourrait escompter percevoir, selon les estimations faites l’année dernière, de 3,5 à 4 milliards d’euros de recettes.

L’affectation de ces recettes au ministère de la Défense dans le cadre de la loi de programmation militaire a été décidée par le président de la République lors d’un conseil de défense de mai 2013. Le montant inscrit dans la LPM correspond aux estimations faites : 3,7 milliards d’euros.

Tout indique à penser que ces recettes ne seront pas au rendez-vous en 2015. Plusieurs raisons peuvent être avancées.

Si le processus d’attribution de cette fréquence à la téléphonie peut être lancé rapidement, il faut attendre les résultats de la conférence mondiale des radiocommunications qui doit se tenir en novembre 2015. Chaque pays devra ensuite prendre en considération les positions de ses voisins car un usage harmonisé des fréquences entre pays riverains est plus efficace pour gérer les brouillages aux frontières.

Ensuite, l’abandon par la TNT de la bande de fréquence de 700 MHz ne pourra être que progressif, le basculement sur la nouvelle norme de diffusion – appelée MPEG-4 – devant tenir compte du taux d’équipement des foyers en téléviseurs adaptés à cette nouvelle norme. Le basculement devrait donc être étalé sur 14 mois au minimum.

Enfin, s’agissant d’un dossier technique complexe, susceptible de bouleverser en profondeur les secteurs de l’audiovisuel et des télécommunications, le Gouvernement a dû procéder, au cours des derniers mois, à de nombreuses consultations auprès des différents acteurs de ces secteurs – agence nationale des fréquences, ARCEP, CSA, etc…

Selon les éléments dont je dispose, et à condition que le processus soit lancé immédiatement, la mise aux enchères de la bande de fréquences pourrait désormais avoir lieu dans le courant de l’année 2016 pour un basculement effectif à partir de 2018.

Les recettes ne devraient donc être encaissées qu’à partir de la fin de l’année 2016, plus vraisemblablement en 2017. L’évaluation des recettes pourrait également être revue à la baisse par rapport aux 3,7 milliards d’euros escomptés, compte tenu de la recomposition en cours du secteur des télécommunications, qui fait la course au low cost.

Une chose est certaine : sans ces recettes et sans mesure supplémentaire, le besoin de financement de la mission « Défense » pour 2015 est estimé de 1,5 milliard d’euros.

À ce jour, le ministère des Finances n’a pas proposé de solutions de financement et travaille sur plusieurs scénarios alternatifs développés par le ministère de la Défense : création d’une société de projet ou utilisation massive du PIA.

Comme il ne serait pas acceptable de baisser à due concurrence les dépenses militaires sur cette période, le ministère de la Défense a tout d’abord proposé de créer une société de projet – SPV, pour Special Purpose Vehicle – ou de leasing pour compléter ses ressources et sécuriser la trajectoire de dépenses prévue par la LPM. Le schéma est le suivant :

- l’État français cède ses participations dans les industries de défense à hauteur de 1,5 milliard d’euros ;

– les sommes ainsi dégagées permettent la dotation en capital d’une société publique ad hoc ;

– cette société rachète au ministère de la Défense pour 1,5 milliard d’euros de matériels dont il vient de prendre possession – FREEM, Rafale, A400M, etc. ;

– la société met à la disposition du ministère ces matériels contre le versement d’un loyer ;

– avec la trésorerie disponible, 1,5 milliard d’euros moins les loyers, le ministère de la Défense achète des matériels supplémentaires ;

– à la perception des recettes hertziennes, le ministère rachète les équipements loués à la société de leasing et liquide la société.

En résumé, il s’agit d’un montage purement financier, assez complexe, qui permet de maintenir le niveau de dépenses prévu par la LPM dans l’attente de la perception des recettes hertziennes. Ce montage effraie Bercy : les règles comptables d’Eurostat conduiraient à comptabiliser comme dépense la totalité du coût des matériels loués et non le simple montant du loyer. Cela signifie que, dès 2015, le solde public de la France serait dégradé de 1,5 milliard d’euros, soit près de 0,1 point de PIB, ce qui fragiliserait la trajectoire de rétablissement des finances publiques décidée par le Gouvernement.

L’autre hypothèse serait d’utiliser plus massivement le programme d’investissements d’avenir (PIA).

La mission « Défense », à travers son programme 402, a déjà bénéficié du PIA 2 à hauteur de 1,5 milliard d’euros en 2014. Ces crédits ont été versés au CNES et au CEA.

Les 250 millions de ressources supplémentaires votées dans le PLFR 2014 proviennent également du PIA 2 et vont également bénéficier au CEA et au CNES.

Le recours à un PIA 3 pourrait être envisagé pour l’avenir mais il se heurte à une difficulté importante : les opérateurs concernés, CEA et CNES, n’auraient pas les moyens de consommer cette ressource supplémentaire, les dépenses éligibles au PIA étant déjà saturées. Si la deuxième tranche des 250 millions d’euros était décidée avant la fin de l’année 2014, il serait en effet déjà difficile d’identifier les programmes à financer.

C’est pourquoi, une troisième solution, politiquement plus délicate, serait de changer le statut de la DGA pour en faire un opérateur éligible aux crédits du PIA. C’est un changement important, qui est actuellement à l’étude, et sur lequel il est difficile de se prononcer pour le moment.

Le ministre a confié à un groupe de travail, composé de membres de l’inspection générale des finances, du contrôle général des armées, de la DGA et de l’agence des participations de l’État, le soin d’étudier ces trois hypothèses. Il semblerait que les deux premières, création d’une SPV et recours au PIA, soient écartées. Quant à la troisième, le changement de statut de la DGA, le groupe de travail ne s’est pas encore prononcé. Il doit rendre ses conclusions la semaine prochaine.

J’en viens maintenant au report de charges.

À la fin de l’année 2013, le report de charges du programme 146 était de 2,4 milliards d’euros, à la suite notamment de l’annulation de 630 millions d’euros de crédits en fin d’année. Il s’élevait à 1,7 milliard d’euros en 2011 et 2,1 milliards en 2012. Pour mémoire, le report de charges de l’ensemble de la mission Défense s’établissait à 3,4 milliards fin 2013, contre déjà 3,2 milliards fin 2012 et 2,7 milliards fin 2011. C’est une dérive inquiétante, qui signifie que les paiements s’arrêtent de plus en plus tôt dans l’année : fin novembre l’année dernière, peut-être début octobre cette année.

Pour ce qui concerne le programme 146, le report fin 2013 comprenait près d’un milliard d’euros de besoins de paiement pour les industriels, essentiellement les grandes entreprises. Une grande partie, correspondant à des factures de novembre, a été payée dès le 3 janvier. Il faut à cet égard souligner l’efficacité du système CHORUS, qui permet de limiter au maximum les intérêts moratoires. Ceux-ci s’élevaient à 13 millions d’euros en 2013.

En tenant compte des 350 millions d’euros annulés par le PLFR 2014 – en partie compensés par les 250 millions supplémentaires issus du PIA – et dans l’hypothèse où la réserve 2014 ne serait pas levée pour financer notamment le surcoût OPEX, le report de charges du programme 146 pourrait s’établir à 2,9 milliards d’euros à la fin de l’année 2014.

Vous l’avez compris, les marges de manœuvre du ministère sont aujourd’hui très faibles.

Une large renégociation des principaux contrats a déjà eu lieu en 2013, sur un périmètre de 35 milliards d’euros. Cela a permis de ramener le besoin de financement annuel moyen de 19,4 à 13,9 milliards sur la durée de la LPM. Mais cela s’est fait au prix du renchérissement du coût unitaire des principaux équipements. Il est difficile d’aller au-delà.

Est-ce qu’il est question de remettre en cause les programmes MRTT et SCORPION attendus depuis si longtemps par les armées ? À ce stade, non. Le ministre nous l’a rappelé, la décision de lancement de ces deux programmes doit être annoncée très prochainement, impérativement avant la fin de l’année. Les besoins de financement de ces deux programmes ne sont pas les plus significatifs au cours des prochaines années.

Pour ce qui concerne les MRTT, tout d’abord, la cible est désormais de 12 MRTT dont deux livrables sur la durée de la LPM : un en 2018 et un en 2019. Sur cette période 2014-2019, les crédits nécessaires sont de 1,2 milliard d’euros. Une première commande doit être passée en 2014, pour un avion, huit autres devant l’être en 2015. Il faut conserver ce rythme-là.

Le programme SCORPION est tout aussi important. Il est attendu avec impatience par l’armée de terre. La DGA attend une nouvelle offre des industriels dans les tous prochains jours. Les premiers véhicules blindés multi-rôles (VBMR) doivent être commandés en 2017 et les premières livraisons sont attendues en 2018. Ce programme est fondamental pour nos forces terrestres. La réalité opérationnelle nous le rappelle tous les jours.

Voilà, mes chers collègues, le résultat de nos investigations auprès du ministère des Finances et de la DGA. Les prochains mois vont être décisifs pour la bonne exécution de la LPM. D’importantes décisions doivent être prises très prochainement et il nous appartiendra d’être particulièrement vigilants lors de l’examen de la prochaine loi de finances et du projet triennal pour les finances publiques. Nous vous proposons, la présidente et moi, de publier un communiqué de presse commun avec nos collègues du Sénat – qui sont réunis en ce moment même sur ce même sujet – pour signifier au Gouvernement notre préoccupation et l’appeler à trouver des solutions qui permettront de respecter la trajectoire financière de la LPM et les objectifs capacitaires et industriels, essentiels pour notre pays, qui lui sont attachés.

M. François Cornut-Gentille. Je tiens à souligner, madame la présidente, l’importance et le caractère inédit de la démarche que vous avez entreprise. Il s’agit d’une démarche véritablement parlementaire, dans la mesure où elle dépasse les clivages partisans et associe les sénateurs, ce que la gravité de la situation du budget de la Défense exige.

Je retiens, pour marque de l’importance de cette démarche, que le secrétaire d’État au Budget était présent, alors même que se tenait au même moment une séance de questions au Gouvernement. Peut-être serions-nous d’ailleurs rentrés davantage dans les détails s’il n’avait pas été présent.

Sans vouloir noircir le tableau, je tiens à souligner que c’est systématiquement, et de façon récurrente, que Bercy cherche à rogner le budget de la Défense. Il en va ainsi de l’annulation de 630 millions d’euros opérée fin 2013, compensée par deux abondements de 250 millions d’euros dont le second n’est pas certain. C’est une implacable mécanique. Par ailleurs, concernant les fréquences, le produit de leur cession ne sera pas perçu avant 2017.

S’agissant des solutions envisageables pour pallier ce retard, je crois que l’idée d’une société de leasing est morte : je n’y ai d’ailleurs jamais beaucoup cru, et je pense que l’on a perdu trop de temps à étudier cette hypothèse. La meilleure solution me semble résider dans un changement de statut de la DGA : c’est un sujet qui nous permet, je crois, de nous retrouver par-delà les clivages partisans.

La commission des Finances entend demain le délégué général pour l’armement et le chef d’état-major des armées : ce sera l’occasion de faire le point sur le report de charges hérité de l’exercice 2013, et ses conséquences aujourd’hui.

Je crois qu’il faut aujourd’hui que nous sachions faire évoluer les moyens que nous employons pour défendre les budgets militaires, afin de sensibiliser un cercle plus large de responsables aux enjeux qui s’attachent à la préservation du budget de la Défense : l’opposition entre les ministères des Finances et de la Défense ne date certes pas d’hier, mais la situation est particulièrement grave.

Mme la présidente Patricia Adam. Je tiens à souligner l’apport positif et substantiel de nos industries de défense à la balance commerciale française. Avec l’appui du ministre, comme des parlementaires, nos relations diplomatiques ont permis de tisser de relations de confiance entre la France et d’autres partenaires, relations dont bénéficient aujourd’hui nos industries. On présente trop souvent la Défense comme une dépense : il faut aussi souligner que la Défense, c’est aussi des recettes pour notre pays.

J’ajouterai que la Défense est aujourd’hui le seul ministère qui a une programmation sur six ans de son activité et de son fonctionnement, avec une manœuvre des ressources humaines particulièrement ambitieuse. Pour difficiles que soient les efforts demandés, la réforme commence à porter ses fruits : les dépenses de fonctionnement commencent à diminuer. Certaines situations sont compliquées, notamment celle des officiers de carrière, malgré les outils qu’a mis en place la loi de programmation militaire.

M. Daniel Boisserie. Il est surprenant que le contrôle parlementaire ait tant tardé à être mis en œuvre dans le secteur de la Défense. On voit, dans les collectivités territoriales, tout l’intérêt qu’a un contrôle étroit de l’action publique : il permet des économies, et on peut certainement en attendre aussi dans le domaine de la Défense.

Vous avez évoqué le surcoût OPEX : avez-vous des chiffres plus précis sur le coût de nos deux opérations au Mali et en Centrafrique ? Est-ce que celui-ci est conforme aux prévisions qui avaient été faites ?

M. Jean-Jacques Candelier. Je tiens à vous faire part de mes vives inquiétudes concernant l’entreprise Nexter. C’est aujourd’hui une entreprise publique, qui est en voie d’être privatisée et, dans le même mouvement, fusionnée avec une entreprise allemande. La nouvelle société, me dit-on, installerait son siège aux Pays-Bas pour des raisons fiscales ! Le sort de 2 700 salariés est en jeu. Un rapprochement avec Renault Trucks Défense aurait constitué à mon avis une bonne alternative.

Mme la présidente Patricia Adam. Le contrôle sur pièces et sur place était déjà dans les prérogatives de la commission des Finances, s’agissant du budget de la Défense au même titre que des autres budgets. Les pouvoirs de notre commission ont été élargis par la LPM, sans que nous empiétions sur les compétences de nos collègues des Finances : nous nous en tenons à la mise en œuvre de la LPM. La commission des Finances faisait certes un excellent travail, mais le nôtre peut y apporter une expertise et un point de vue particuliers. Nous n’allons pas nous rendre à Bercy et à la DGA toutes les semaines ou tous les mois, mais chaque groupe politique pourra prendre l’initiative de proposer de tels contrôles au bureau de la commission.

Je ne me permettrai pas de répondre sur le sort de Nexter. Je dois m’y rendre très prochainement à l’invitation du syndicat qui vous a renseigné, à savoir la CGT.

M. Jean-Jacques Bridey. La LPM a prévu d’inscrire chaque année 450 millions d’euros pour les OPEX dans le budget de la Défense, le surcoût étant assuré par un financement interministériel. À ce jour, toutes OPEX confondues, la consommation budgétaire est d’environ 800 millions d’euros. Le second semestre devant, sauf extraordinaire, comporter moins d’engagements, la trajectoire budgétaire annuelle devrait être d’un milliard d’euros, les 550 millions restant à financer devant l’être à partir d’une enveloppe abondée par chaque ministère. Le ministère de la Défense y contribuera certainement à partir des 500 millions d’euros de crédits gelés en début d’année. Il n’est pas possible d’isoler aujourd’hui le coût des opérations au Mali ou en Centrafrique.

M. Daniel Boisserie. Ne peut-on pas mieux prévoir la dépense annuelle en matière d’OPEX ?

M. Jean-Jacques Bridey. Je vous rappelle que le montant des OPEX dans la LPM a été ramené de 630 à 450 millions d’euros pour tenir compte de la fin de notre engagement en Afghanistan. Mais dans l’intervalle nous sommes intervenus en Centrafrique et avons prolongé notre intervention au Mali. Il n’est pas facile de prévoir les interventions de ce type qui sont, je vous le rappelle, décidées par le président de la République.

M. Daniel Boisserie. Pourquoi, dans ce cas, ne pas réduire l’enveloppe OPEX du ministère de la Défense afin de mieux répartir le financement des surcoûts entre tous les ministères ?

Mme la présidente Patricia Adam. Bercy y est tout à fait opposé.

M. Jean-Jacques Bridey. Les dépenses extraordinaires décidées en fin d’année par le Gouvernement ne concernent pas le seul budget des OPEX : tous les ministères sont mis à contribution pour financer ces dépenses.

En ce qui concerne Nexter, l’État ne vend pas les 100 % de Nexter mais les transforme en 50 % du nouvel ensemble Nexter-KMW. Il n’y aura aucune libération de capital et aucune vente d’actif mais un échange à budget constant. L’État sera donc actionnaire de 50 % d’une entreprise qui pèsera plus de deux fois le poids initial de Nexter. Il s’agit d’un choix industriel qui n’est pas le sujet de cette audition.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous aurons des auditions sur ce point comme cette commission a coutume de le faire.

M. Christophe Guilloteau. Je regrette de n’avoir été en mesure de vous accompagner. Les dispositions de la LPM permettent aujourd’hui de poser certaines questions et je me félicite de l’élargissement de ce droit de regard qu’a le Parlement. À titre personnel, je souscris à l’idée d’un communiqué commun. Je voudrais revenir sur les recettes exceptionnelles qui pourraient ne pas l’être du tout. Il s’agit d’une bosse que nous traînons depuis des années. Elles comportent les fréquences mais aussi des cessions immobilières. Des chiffres vous ont-ils été communiqués à ce sujet : des ventes ont-elles été réalisées et quelle sera la part des ventes immobilières sur les six milliards de recettes exceptionnelles ?

Mme la présidente Patricia Adam. Jean-Jacques Bridey vous donnera la réponse, nous disposons d’un tableau très précis sur ce point.

M. Olivier Audibert Troin. Je me joins au satisfecit et salue à la fois la possibilité donnée par l’article 7 de la LPM de faire des contrôles sur pièce et sur place ainsi que le consensus qui règne au sein de cette commission lorsqu’il s’agit de défendre le budget de notre outil de défense.

Sans vouloir hurler avec les loups, je regrette néanmoins que nous n’ayons pas été entendus lors des débats de la LPM à propos des recettes exceptionnelles fragilisées par la crise économique. Nous savions bien que les cessions immobilières seraient source de difficultés et nous devrions nous souvenir de ne plus jamais bâtir un équilibre budgétaire sur des recettes exceptionnelles, ce que nous avons déjà fait par le passé. Nous sommes pour certains, plus pour très longtemps, aussi des élus locaux et nous ne pouvons en vertu de notre devoir de sincérité recourir à ce procédé dans les collectivités territoriales. Il serait bon que l’État donne l’exemple en la matière.

Parmi les pistes évoquées figure le montage financier avec une société de leasing, qui n’a pas semblé rencontrer un écho très positif parmi nous, ainsi que les investissements d’avenir qui ont déjà été utilisés pour réduire les déficits des hôpitaux publics. Il s’agit de bricolage. La cession d’actifs dans les entreprises publiques n’a pas été mentionnée ; il ne s’agirait pas d’une panacée mais d’un moyen permettant de boucher quelques trous de façon certaine.

M. Jean-Jacques Bridey. Les recettes exceptionnelles le sont car elles ne sont pas budgétées. Les collectivités territoriales qui vendent un bien foncier budgètent la recette sans savoir si elle viendra effectivement. Le budget peut donc devoir être rééquilibré en fin d’année. Sur les 6,13 milliards d’euros de recettes exceptionnelles attendues d’ici 2019, les fréquences représentent 3,7 milliards d’euros et les investissements d’avenir 1,5 milliard, qui ont permis de respecter la LPM en 2014. Les cessions immobilières s’établissent à 660 millions d’euros : 206 millions d’euros sont quasiment assurés pour 2014 avec la vente, pour 150 millions, de Bellechasse et de la caserne de Reuilly et de 78 millions d’euros hors Paris qui sont en cours. 23 millions des 215 millions prévus en 2015 sont déjà certains, et 200 millions sont prévus en 2016. Les redevances des fréquences 4G quant à elles représentent 210 millions d’euros sur la durée de la programmation.

Les cessions d’actifs sont naturellement étudiées mais lorsque l’État cède des actifs il ne peut pas les affecter directement au budget de la Défense. C’est pourquoi la solution de la société de leasing, à qui on aurait affecté 1,5 milliard d’euros issu de la cession d’actif d’industries de défense, avait été étudiée avant d’être certainement écartée. Cela aurait pu représenter une solution transitoire en attendant les recettes issues de la cession des fréquences.

La solution miracle n’existe pas. Il convient aujourd’hui de trouver 1,5 milliard d’euros pour 2015 et un milliard pour 2016. Mais je vous rappelle que la LPM prévoit que si ces recettes font défaut, ces sommes devront être trouvées budgétairement. Le ministère des Finances ne fait actuellement pas de proposition aussi essayons-nous avec le ministère de la Défense de trouver des pistes susceptibles de convenir à Bercy et à l’équilibre des finances du pays en 2015 et 2016.

Mme la présidente Patricia Adam. Il est important de souligner, et c’est nouveau, que les cabinets ministériels travaillent ensemble à des propositions. Nous suivrons cela de près et nous procéderons aux auditions nécessaires, notamment du ministre, qui nous inciteront peut-être à renouveler l’intervention dont nous vous rendons compte aujourd’hui.

M. François Cornut-Gentille. L’enjeu est majeur et le calendrier est très important. L’un des acquis de la mission est d’avoir mis la pression sur ces recettes exceptionnelles, afin d’étudier vraiment quelles sont les possibilités de manière à ne pas s’apercevoir, trop tard, que la société de leasing dont tout le monde parle depuis deux ans sans trop connaître le dossier ne fonctionne pas. La piste la plus sérieuse et la plus vraisemblable est probablement que la DGA devienne un opérateur pouvant recevoir des investissements d’avenir. Il est important de fiabiliser les solutions le plus en amont possible, avec l’accord de Bercy, de manière à garantir le budget pour 2015.

Mme la présidente Patricia Adam. En tout état de cause, il est clair que nous aurons à exercer de manière régulière nos prérogatives de contrôle, avec la commission des Finances, afin de demeurer pleinement informés. Le ministère des Finances est naturellement dans son rôle, et nous dans le nôtre.

M. Michel Voisin. Je souscris pleinement au projet de communiqué de presse. Dans une vie antérieure, j’ai exercé les fonctions d’expert auprès des tribunaux. La description du mécanisme de la société de projet me conduit à relever qu’un tel montage effectué par un dirigeant d’entreprise l’amènerait directement devant un tribunal. En effet, dans une entreprise il existe deux signaux d’alerte. Le premier est constitué par le lease back, pour un bien immobilier, le second par le leasing portant sur le matériel déjà acquis par l’entreprise. À l’évidence, le ministère des Finances ne pourra jamais accepter un tel schéma. Quant à la transformation de la DGA en opérateur, est-ce à dire qu’elle serait privatisée et échapperait au contrôle du ministère de la Défense ? Compte tenu de l’ampleur de ses moyens, cela ne manque pas de poser des questions. Nous sommes en train de jouer aux apprentis sorciers et de démontrer que l’entreprise France est en faillite.

M. Philippe Vitel. Ces contrôles étaient nécessaires, même si nous n’étions pas jusqu’ici tenus dans l’ignorance. Je tiens à cet égard à rendre hommage au président Guy Teissier, qui mit en place la première mission d’évaluation et de contrôle, celle sur l’exécution des crédits de la Défense, et dont Geneviève-Gosselin Fleury et moi-même continuons le travail, d’ailleurs complémentaire de celui que vous nous avez présenté. Lors de notre précédent rapport, nous avions d’ailleurs détaillé les coûts des OPEX, dont la prévision est par nature imprévisible. À l’occasion des dernières auditions que nous avons réalisées, nous avons noté que la lecture du surcoût des OPEX ne doit pas être une fin en soi, car son financement interministériel n’est pas pour solde de tout compte. En effet, il reste à la charge des armées des coûts considérables de remise en état des matériels de retour des théâtres d’opération. Ainsi, 1 400 véhicules doivent être réparés et seule la moitié du budget nécessaire est disponible. Le report des cessions de fréquence a aussi pour effet de faire perdre une partie des redevances liées à l’utilisation du domaine public, même si les montants en cause ne sont pas considérables. S’agissant du report de charges, il y a franchement de quoi être inquiet : on nous a longtemps indiqué que dépasser les 3,5 milliards d’euros serait insupportable et signifierait une cessation de paiement. Quelle est la réalité de l’impact des reports de charges sur la capacité à commander des matériels et à payer nos industriels ? Il est démontré une fois de plus que les recettes exceptionnelles sont virtuelles. Avec un montant de 6,1 milliards d’euros, elles visaient surtout à s’assurer d’un effet d’annonce permettant de ne pas afficher initialement dans la LPM une baisse des moyens, mais à la fin de l’exercice elles manqueront.

Mme Marie Récalde. Il convient de saluer les efforts réalisés par le ministère de la Défense pour rechercher des solutions alternatives, mêmes si elles peuvent être complexes. J’avais eu l’honneur de rapporter sur la proposition de résolution sur la relance de l’Europe de la défense de nos collègues Yves Fromion et Joaquim Pueyo, et nous avions alors fait des propositions sur une prise en compte différente des dépenses de défense dans les trajectoires de dépense qui mériteraient d’être reprises. S’agissant du PIA, je souhaiterais obtenir des précisions sur l’utilisation de ces crédits au profit du CNES et du CEA et sur la saturation des budgets de ces opérateurs. Le fonctionnement du laser mégajoule entre-t-il dans le champ des crédits issus du PIA ?

M. Jean-Jacques Bridey. La DGA est actuellement un service du ministère de la Défense. Le changement de statut envisagé ne passe pas par une privatisation, mais consisterait à créer un établissement public, doté de la personnalité morale. Par ailleurs, il pourrait porter sur une partie seulement du périmètre d’activité de la DGA. Cette réflexion correspond à la piste la plus avancée à l’heure actuelle, mais nous verrons bien quelles seront les décisions prises lors du prochain conseil de défense.

S’agissant du report de charges, il représente aujourd’hui 3,4 milliards d’euros pour l’ensemble de la mission « Défense », dont 2,4 milliards d’euros au titre du programme 146. Ce dernier se décompose de la manière suivante : 46 % de dettes envers de grandes entreprises d’armement, 12 % envers des PME, le reste se répartissant entre services et opérateurs de l’État. Son niveau demeure encore supportable, mais si la situation persiste elle posera des problèmes pour payer les factures à compter du mois d’octobre.

M. Philippe Vitel. Le problème est que les grandes entreprises reportent elles-mêmes ces délais de paiement sur leurs sous-traitants, fragilisant ainsi la situation de nombreuses PME.

M. Jean-Jacques Bridey. Il faut prêter attention à cette question, et le ministre a d’ailleurs lancé l’an dernier un plan spécifique en faveur des PME. Il est vrai qu’un report total de charges de 2,4 milliards d’euros pour le programme 146, susceptible d’atteindre 2,9 milliards en 2014, nous amène à la limite de l’exercice. Le niveau normal du report de charges se situerait à environ un milliard d’euros.

Le PIA obéit à des critères bien définis qu’il convient naturellement de respecter. Actuellement, dans le périmètre de la Défense, seul le CNES et le CEA sont éligibles. Ils ont reçu 1,55 milliard d’euros en 2014, auxquels il faut ajouter 250 millions d’euros à la suite du collectif de juin. Compte tenu de leurs programmes en cours, ces deux opérateurs ne sont pas en mesure d’absorber davantage de crédits.

M. Michel Voisin. Si le statut de la DGA est modifié, il est possible que cela ait un impact en introduisant un système de facturation des prestations. En tout état de cause, cela demeurera un habillage.

M. Jean-Jacques Bridey. Il s’agit simplement de trouver une solution pour pallier le décalage de deux ans dans l’encaissement des 2,5 milliards de recettes exceptionnelles au titre des cessions de fréquences. Il faut veiller à ce que le report de charges ne progresse pas davantage. Nous attendons les décisions de l’exécutif, mais il est indispensable que la LPM soit confortée dans son équilibre général, dont chacun sait qu’il est fragile.

M. Christophe Guilloteau. Si le budget est différent de ce qui a été prévu, nous serons de fait dans un autre cadre que celui qui a été voté.

M. Jean-Jacques Bridey. N’oublions pas qu’il est prévu une première actualisation en 2015. Il faut donc être vigilant.

M. Olivier Audibert Troin. Il me semblait que le chef de l’État, chef des armées, avait parlé de sanctuarisation de la LPM…

Mme la présidente Patricia Adam. Et c’est bien sur cette déclaration que nous nous appuyons.

M. Olivier Audibert Troin. … et il faut donc veiller à ce que la parole des responsables politiques ne soit pas remise en question.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Olivier Audibert Troin, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, Mme Marianne Dubois, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Christophe Guilloteau, M. Damien Meslot, M. Jacques Moignard, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Sylvain Berrios, M. Philippe Briand, M. Yves Foulon, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. François de Rugy

Assistait également à la réunion. - M. François Cornut-Gentille