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Commission de la défense nationale et des forces armées

Jeudi 22 janvier 2015

Séance de 11 heures 

Compte rendu n° 33

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, sur les opérations intérieures

La séance est ouverte à onze heures.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense. Je suis heureux de vous retrouver aujourd’hui pour évoquer le contrat de protection intérieure qui – à côté de la dissuasion et de l’intervention extérieure – fait partie des trois missions fondamentales assignées à nos armées par le Livre blanc de 2013. La mobilisation du ministère de la Défense à la suite des attentats des 7 et 9 janvier derniers offre l’occasion de faire le point sur cette mission, permanente – 365 jours par an et vingt-quatre heures sur vingt-quatre –,mais peu connue.

La finalité première de nos forces armées est la protection de nos concitoyens et du territoire. Elles y consacrent des moyens importants. Cet objectif se décline en effet dans différents cadres d’action, donnant lieu à des missions permanentes – postures de sûreté aérienne et maritime, plan gouvernemental Vigipirate, mission Harpie, etc. –, récurrentes – lutte contre les feux de forêts, en appui de la sécurité civile, ou protection de sites sensibles en métropole et outre-mer – et occasionnelles – gestion des conséquences d’événements météorologiques particuliers. En temps normal, l’engagement des armées sur le territoire au titre de cette mission de protection représente un effectif moyen de 2 446 militaires par jour.

Dans le domaine de l’action terrestre, contrairement aux milieux aérien et maritime, les armées interviennent en complément des autres administrations. L’armée de terre et, pour partie, l’armée de l’air participent au plan Vigipirate à hauteur de 750 militaires par jour, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et tout au long de l’année. Les opérations Harpie en Guyane représentent 362 militaires par jour en moyenne, et Titan, mission de protection du centre spatial guyanais, soixante militaires par jour.

L’armée de l’air assure de son côté la posture permanente de sûreté aérienne, qui représente quatre permanences opérationnelles d’avions de défense aérienne et quatre d’hélicoptères, impliquant en moyenne 217 militaires par jour.

Enfin, la marine nationale, engagée dans la posture permanente de sauvegarde maritime, met en œuvre les mesures du plan Vigimer – déclinaison maritime de Vigipirate – et veille plus globalement à la sûreté de nos approches maritimes en métropole et outre-mer, ce dispositif, articulé à une chaîne sémaphorique, mobilisant tous les jours 600 marins, trois bâtiments et un avion de surveillance.

Nos armées sont par ailleurs quotidiennement engagées dans la protection des installations de la défense – conventionnelles, nucléaires et portuaires – qui présentent le plus souvent un caractère stratégique. Depuis les attentats, 300 militaires supplémentaires ont été affectés à cette mission.

Les événements dramatiques des 7 et 9 janvier derniers ont donné lieu à une mobilisation exceptionnelle de nos forces armées. Dans les heures qui ont suivi l’attentat contre les journalistes de Charlie Hebdo, le plan Vigipirate en Île-de-France a été porté à son niveau de vigilance maximal, dit « alerte attentat » ; j’ai alors ordonné le déploiement de 1 200 militaires supplémentaires, dont 1 000 pour la seule région parisienne. Ces renforts terrestres ont été complétés par trois hélicoptères lourds qui ont appuyé les gendarmes du GIGN dans leurs opérations contre les terroristes, des moyens spécialisés de détection et de destruction d’explosifs, mis à la disposition des forces de sécurité civiles déployées dans les aéroports parisiens, et un dispositif de surveillance aérienne constitué d’avions de combat et d’hélicoptères, mobilisé pour sécuriser la marche républicaine du 11 janvier. Ce dispositif a remarquablement bien fonctionné, assurant tant la sécurité des personnalités – un véritable G50 organisé dans un délai extrêmement court –, que celle de l’ensemble des manifestants.

Dans un deuxième temps, le dimanche 11 janvier après-midi, le Président de la République a pris la décision, compte tenu du niveau de la menace qui pesait sur notre pays, d’engager un renforcement sans précédent de la sécurité de nos concitoyens à travers la protection des lieux les plus sensibles. J’ai immédiatement mobilisé 8 500 militaires supplémentaires. Nous avons effectué cette mission en trois jours – délai particulièrement court lorsque l’on sait que le contrat opérationnel inscrit dans le Livre blanc et la loi de programmation militaire (LPM) ne fixe pas précisément ce délai de mise en œuvre des 10 000 militaires. Dès le mercredi soir, l’ensemble du personnel était en place, en Île-de-France – où l’effort a été le plus significatif – comme dans les zones de défense, après une concertation avec les préfets. Aujourd’hui, ce sont donc 10 412 hommes et femmes qui sont engagés aux côtés des forces de sécurité publique, l’effort principal se concentrant sur l’Île-de-France, avec 5 800 militaires déployés. Pour m’avoir accompagné avec le président Raffarin au camp de Satory, le jeudi 12 janvier au matin, vous avez pu constater, madame la présidente, que tout était en place. La mise en œuvre du dispositif mérite notre admiration ; je rends hommage à la réactivité du commandement et à la qualité des soutiens qui ont assuré la logistique avec une grande efficacité.

Cet engagement – qui représente une véritable opération militaire – porte désormais un nom, dont je voulais vous réserver la primeur : Sentinelle. Je l’ai appelé ainsi, en accord avec le chef d’état-major des armées, parce que la sentinelle est le gardien d’un territoire, et que celle-ci se tient à la lisière entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. Ce nom rappelle ainsi la singularité et la force que revêt l’engagement de nos armées sur le territoire national.

Je tiens à souligner ici la qualité du travail interministériel autour du ministre de l’Intérieur, qui permet à tous les acteurs concernés de participer tous les jours à la gestion de la crise et de procéder aux coordinations nécessaires. Je salue en particulier la relation étroite et positive qui lie les préfets aux généraux ayant en charge les zones de défense, tant en région parisienne que sur l’ensemble du territoire national.

Le Livre blanc et la LPM prévoient et permettent la capacité de mener simultanément une opération intérieure et plusieurs interventions extérieures, capacité aujourd’hui indispensable pour traiter correctement une menace qui se développe tant en dehors qu’au-dedans du territoire national. Si le contexte actuel démontre la pertinence du niveau d’ambition que le Livre blanc avait développé en 2013, nos armées connaissent indéniablement un engagement particulièrement élevé et exigeant. Nos déploiements actuels, dans les circonstances particulièrement graves que nous connaissons, se situent à un niveau légèrement supérieur aux contrats opérationnels définis en 2013. En effet, le Livre blanc et la LPM prévoient la possibilité d’intervenir sur deux ou trois théâtres extérieurs, avec une capacité de projection permanente de 7 000 hommes ; nous en sommes aujourd’hui à quatre théâtres – si l’on compte le Liban – et à 9 400 hommes mobilisés, Barkhane étant de surcroît une opération particulièrement complexe. Pour les déploiements intérieurs, le contrat opérationnel prévoit la mobilisation de 10 000 hommes, et nous en sommes à 10 412. En conséquence, la préparation opérationnelle des forces et les activités non prioritaires sont suspendues. Cette situation laisse peu de marge de manœuvre.

Pour tenir compte de cette nouvelle donne et garantir dans la durée l’engagement de nos armées partout où il sera nécessaire, le Président de la République m’a demandé, à l’occasion de ses vœux aux forces armées, de lui faire des propositions visant à étaler la réduction des effectifs du ministère de la Défense sur la période couverte par la LPM. J’ai formulé mes suggestions hier en Conseil de défense et de sécurité nationale. Comme je l’ai dit dans l’hémicycle, la première vise à avancer l’actualisation de la LPM – prévue en son article 6 – avant l’été 2015. Cette actualisation est d’ores et déjà engagée et je souhaite que l’Assemblée nationale – et particulièrement votre commission – y soit pleinement associée. Il faudra apprécier la situation, les nouvelles menaces et nos nouvelles capacités ; le débat s’ouvre aujourd’hui.

En deuxième lieu, j’ai proposé au Président de la République non seulement d’étaler, mais également de réduire la déflation des effectifs – décision qu’il n’avait pas initialement envisagée. Il a donc été décidé d’alléger la diminution de 7 500 personnes sur la période 2015-2019. En 2015, cela concernera 1 500 postes. Les enseignements tirés de deux années d’interventions extérieures intenses comme la situation actuelle nous montrent les limites de la logique de déflation.

Le ministère continuera de réduire son périmètre, mais la nouvelle trajectoire de nos effectifs nous permettra de faire face aux exigences nouvelles de mobilisation sur le territoire national, ainsi qu’aux tensions accrues sur les théâtres extérieurs. Les nouveaux contrats opérationnels seront inscrits dans la LPM actualisée qui sera présentée au printemps prochain au chef de l’État, puis au Parlement ; ils renforceront nos fonctions de protection du territoire national – qui doivent être raffermies –, de renseignement et de réponse aux cyber-attaques, tout en préservant nos capacités d’intervention extérieure.

Quelques mots sur l’évolution du renseignement. Le Gouvernement a décidé de moderniser les dispositions de la loi du 10 juillet 1991 sur les écoutes administratives – les fameuses « interceptions de sécurité » –, qui ne sont plus adaptées à l’évolution des technologies, mais également de préciser le cadre légal pour d’autres possibilités techniques de recueil du renseignement pour les services chargés des missions de prévention du terrorisme et des autres atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. Ces dispositions feront l’objet de la loi relative au renseignement que le Premier ministre a annoncée hier et qui sera rapidement proposée au Parlement.

L’amélioration des moyens légaux offerts aux services pour faire leur travail sera compensée par un accroissement des prérogatives de l’autorité administrative indépendante aujourd’hui chargée du contrôle des interceptions et de l’accès aux données de connexion, qui pourra demain couvrir l’ensemble des techniques de recueil du renseignement. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) mérite d’être modernisée dans sa composition et dans ses attributions. Elle aura aussi besoin de voir ses moyens d’expertise technique renforcés afin que le contrôle soit efficace et garantisse un parfait respect de l’État de droit.

Le continuum entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure est aujourd’hui plus que jamais au fondement des engagements de nos armées. La conjonction des menaces extérieure et intérieure nous plaçant dans une situation que l’on n’a pas connue depuis longtemps, le Président de la République et le Gouvernement ont pris l’initiative d’une stratégie de réponse correspondante. Nos services de renseignement en constituent le cœur ; vis-à-vis de la menace extérieure – qu’ils surveillent de manière prioritaire et qu’ils abordent sous des angles complémentaires, forts de leurs moyens techniques et humains –, ils représentent même notre première ligne de défense. Le Premier ministre a annoncé hier que les services de renseignement dépendant du ministère de la Défense seront augmentés de 250 personnes et dotés d’un complément budgétaire de 50 millions d’euros pour parfaire leur dispositif. En effet, quelle que soit leur qualité, il importe dans cette période de renforcer encore leur performance.

Au plus près comme au plus loin, les services placés sous ma responsabilité développent des actions d’entrave, détectent et ciblent les groupes armés terroristes dans nos zones d’opérations et d’intérêt, notamment au Sahel et en Irak. Ils contribuent à la protection de nos emprises à l’étranger, de nos forces déployées et de nos ressortissants. Compte tenu de la fugacité de la menace, le combat de nos services repose sur la détection de signaux faibles. Cet enjeu partagé les a conduits à coopérer toujours davantage, allant jusqu’à fusionner certains de leurs moyens. Ainsi le suivi des djihadistes français est réalisé à partir d’une cellule commune entre la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dans le respect de leurs missions spécifiques. Dans le même esprit, une cellule interservices de fusion du renseignement, destinée à appuyer nos opérations militaires au Levant, a été mise en place auprès de l’état-major des armées. Six services – qui dépendent de différents ministères – y participent dans une étroite coopération, notamment pour faire le lien entre les combattants étrangers et nos propres opérations. L’opposition parfois évoquée entre différents services n’est pas d’actualité et le ministère de la Défense, dans toutes ses composantes, est pleinement mobilisé pour traquer et neutraliser ce qui représente aujourd’hui la première menace pesant sur notre sécurité.

Je voudrais enfin insister sur la nécessité absolue de ne pas opposer l’opération intérieure que nous venons d’engager et celles que nous menons à l’extérieur de nos frontières. Certains sont tentés de le faire, avec deux arguments que je réfute également. Le premier voudrait que nos armées n’aient plus les moyens de mener ces deux fronts ; pourtant la capacité de simultanéité fonctionne, même si elle n’est pas acquise une fois pour toutes et qu’il faut la défendre. L’autre argument, plus fallacieux, voudrait que la menace intérieure trouve son origine dans nos engagements extérieurs. Il faut y répondre fermement : non seulement nous ne devons céder à aucun chantage, mais nous devons toujours garder à l’esprit que c’est à l’étranger que se trouvent aujourd’hui les racines de ce mal. Combattre Daesh en Irak ou AQMI au Sahel, c’est plus que jamais protéger les Français et garantir la sécurité de la France. Les lâches attentats des 7 et 9 janvier ne nous détourneront donc pas de l’action que nous avons entreprise au Sahel et au Levant, bien au contraire : au moment où nous renforçons notre dispositif de sécurité intérieure, nous poursuivons nos engagements extérieurs. En effet, nous faisons face à une même menace, celle d’un djihadisme dévoyé, qui sème la terreur parmi des populations amies, déstabilise des régions entières et veut, dans un même mouvement, venir nous frapper jusque devant nos portes. En réponse, la France ne faiblira pas dans ses engagements et dans sa volonté de sécurité.

Mme la présidente Patricia Adam. Je réunirai le bureau dans les plus brefs délais, pour préparer l’organisation du travail sur l’actualisation de la LPM, en lien avec votre cabinet.

M. le ministre. Je souhaite que cela se fasse très rapidement.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous serons aussi réactifs que vous l’êtes.

Les éléments que vous avez fournis sur le renseignement nous rassurent. La délégation parlementaire au renseignement se réunit ce soir pour auditionner le Premier ministre. Vous l’accompagnerez, je crois.

M. le ministre. Oui, ainsi que Bernard Cazeneuve. Le Premier ministre y donnera des informations complémentaires par rapport à ce que j’ai exposé ici.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous suivrons cela de près.

L’examen de la LPM pourrait intervenir au mois de juin ou juillet.

M. le ministre. En tout état de cause, avant le 14 juillet.

Mme la présidente Patricia Adam. La loi relative au renseignement est peut-être plus urgente…

M. le ministre. Elle risque de demander plus de temps de débat au Parlement que l’actualisation de la LPM.

M. Christophe Guilloteau. Je souscris à beaucoup de vos propos. Puissent certains de nos collègues comprendre que le renseignement n’est pas tabou et qu’il faut lui donner plus de moyens ! Les derniers événements les feront peut-être réfléchir.

Un article de presse explique ce matin que ces mesures auraient un coût, alors qu’il manque 2,6 milliards d’euros au budget de la Défense, même si la cession d’emprises immobilières promet de générer des recettes. Quel serait l’impact de ce dispositif ? Les sociétés de projet verront-elles le jour ? Figureront-elles dans la loi Macron ?

Un collègue – élu local à Paris et parlementaire – m’a confié avoir été associé à la mise en place du dispositif de sécurité. Dans le Rhône, nous en avons été totalement écartés par le préfet et le gouverneur militaire, et je le regrette. Il nous est plus simple de nous adresser à vous qu’aux représentants que vous avez missionnés sur place. Or le premier djihadiste de France vivait dans mon village, à 500 mètres de chez moi ; nous connaissons parfois les réseaux locaux de ces jeunes et devons être informés et associés aux actions.

M. Éduardo Rihan Cypel. Monsieur le ministre, je vous remercie, vous et tous vos hommes, pour le travail accompli au moment et depuis les attentats.

Vous avez rappelé le continuum sécurité-défense, point essentiel de notre doctrine militaire, affirmé à nouveau dans le Livre blanc. La situation actuelle nous en montre la pertinence. Pouvez-vous d’ores et déjà parler de l’application pratique de ce concept théorique ? Alors que notre action pâtit parfois de fausses appréciations, les Français doivent comprendre que ce que nous faisons à l’extérieur et à l’intérieur participe des mêmes enjeux.

En 2013, le général Gomart, patron de la Direction du renseignement militaire (DRM), avait évoqué dans un colloque une cellule inter-agence (CIA) ; vous avez mentionné la cellule DGSE-DGSI. Pouvez-vous nous parler de ces structures qui permettraient de coordonner davantage le renseignement sur notre territoire, sous l’autorité du coordinateur national du renseignement ?

Il y a quelques jours, j’ai évoqué l’idée de sortir les dépenses liées à la défense, hors pensions, du calcul des 3 % du déficit budgétaire ; cette idée pourrait-elle être débattue et entendue à Bruxelles ?

Différents sites – y compris celui de la Délégation à l’information et à la communication de la défense (DICoD) – ont subi des cyber-attaques. Quelle en est l’importance ? Déstabilisent-elles les sites concernés ?

M. le ministre. Monsieur Guilloteau, je trouve regrettable que les élus ne soient pas informés, ni mobilisés. Si les maires d’arrondissement ont participé au déploiement du dispositif, les députés – aux moins les membres de la commission de la Défense – auraient également dû être associés aux opérations. Nous prendrons des dispositions en ce sens. Cependant, la discussion entre le préfet de zone et le général commandant la zone comporte des points sensibles comme vous le comprendrez bien.

S’agissant des ressources exceptionnelles, au moment de ses vœux sur le porte-avions Charles de Gaulle, le Président de la République a réaffirmé sa détermination à sanctuariser le budget de la défense. Une autre décision a été prise hier à ma demande en Conseil de défense : celle de créer deux sociétés de projet dont la mise en œuvre permettra de mobiliser 2,2 milliards d’euros de recettes exceptionnelles au titre de cessions de participation de l’État, qui devraient être utilisables avant l’été 2015. Je déposerai un amendement au projet de loi dit Macron qui permettra de céder les biens des armées qui ne sont pas devenus inutiles – opération normalement non prévue par le code général de la propriété de la personne publique –, de s’assurer du côté non saisissable des équipements cédés aux sociétés de projet, préservant la continuité du service public de la défense, et d’autoriser les sociétés de projet à procéder à des opérations financières, normalement réservées aux seuls établissements financiers. Cet amendement structurant a été validé par le chef de l’État hier. Les recettes que nous réussirons ainsi à mobiliser permettront de respecter le budget de la Défense prévu pour 2015.

Les sociétés de projet seront dédiées à trois frégates multi-missions (FREMM) et à huit avions A400M ; l’ensemble du service associé – maintien en condition opérationnelle (MCO), formation et assurance – restera effectué par les armées dans le cadre des contrats passés. Au départ totalement publiques, ces deux sociétés pourront évoluer pour s’ouvrir largement aux industriels, très favorables à ce dispositif. Je les ai déjà réunis à deux reprises et les réunirai à nouveau la semaine prochaine pour évoquer la mise en œuvre et les perspectives d’ouverture des projets. Il sera toujours possible d’interrompre tout ou partie des locations si d’autres crédits – tels que les produits de cessions de fréquences – peuvent être mobilisés. Le coût de ce schéma est quasiment neutre pour l’État, ainsi que sur le plan patrimonial puisque l’Agence des participations de l’État (APE) récupérera ses apports au capital au fur et à mesure du déploiement du dispositif. Ces mesures décidées hier en Conseil de défense vous seront évidemment soumises pour délibération.

S’agissant du continuum sécurité-défense, monsieur Rihan Cypel, il faut souligner que nous menons actuellement une véritable opération militaire – d’où son nom. Nos concitoyens doivent comprendre que c’est le même combat, contre le même adversaire, que l’on mène à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières. C’est une même mission qui se décline en quatre, voire cinq opérations différentes. Nous tiendrons fermement cette ligne dans tous les propos publics.

En matière de renseignement, la DGSE et la DGSI travaillent aujourd’hui bien ensemble sur des objectifs communs ; la loi relative au renseignement devrait pallier quelques imperfections techniques et juridiques afin notamment d’assurer le suivi des individus passant du secteur d’intervention de l’une à celui de l’autre. Je ne peux pas aller plus loin sur ces sujets que j’évoquerai ce soir devant la délégation parlementaire au renseignement.

Du côté de Bruxelles, on sent un léger frémissement quant à la question des dépenses liées à la défense. La contribution des États au plan d’investissement Juncker ne sera pas comptabilisée dans le déficit ; si le retraitement des investissements militaires n’est pas encore à l’ordre du jour, cette question sera vraisemblablement abordée dans les réunions à venir des chefs d’État et de Gouvernement, puis des ministres de la Défense.

Enfin, dans la foulée des événements du 7 janvier, les administrations et les sites dépendant de l’État ont subi 700 cyber-attaques. Nous y avons riposté et la vigilance a été renforcée. Cette situation n’est pas nouvelle : la LPM prévoit un dispositif de cyberdéfense très significatif, les 400 recrutements supplémentaires qui doivent conforter le pôle de Bruz ayant déjà démarré. Ce risque – qu’on avait bien raison de mettre en avant tant il devient un enjeu de souveraineté – sera sûrement évoqué dans le cadre de l’actualisation de la LPM.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Les médias se sont fait l’écho du fait que quelques anciens militaires français auraient rejoint les djihadistes ; ce matin, en commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, on a évoqué un militaire incarcéré. Quelles mesures avez-vous prises pour renforcer la détection de ce type de dérives ?

M. Jean-François Lamour. Le déploiement des forces sur notre territoire a été à la fois rapide et efficace. En tant que maire du quinzième arrondissement de Paris, Philippe Goujon a été d’emblée sollicité pour accompagner cette opération sous l’autorité de la maire de Paris. S’en est suivi un très bon échange qui a été remonté vers le gouverneur militaire. Le quinzième arrondissement accueille d’ailleurs, dans la maison communale et dans un gymnase, un détachement du 501e régiment de chars de combat – bel exemple de notre capacité à mutualiser les moyens.

Certes, la réduction des effectifs militaires en 2015 sera allégée de 1 500 personnes ; on supprimera toutefois non plus 7 500, mais 6 000 postes. Alors que nous sommes à la limite de nos capacités – notamment en matière d’opérations extérieures (OPEX) –, ne craignez-vous pas que cela mette en difficulté les deux contrats opérationnels : à l’extérieur et à l’intérieur de nos frontières ?

D’après vous, le capital injecté dans les deux sociétés de projet qui leur permettra de racheter le matériel à l’armée française ne sera pas comptabilisé dans notre déficit budgétaire de 2015 ; mais en êtes-vous certain ? La presse indique fréquemment que Bercy tient à cet égard une position différente. Les deux outils concernés – les A400M et les FREMM – n’ont pas d’application civile, les FREMM pouvant même être utilisées pour « entrer en premier » sur un théâtre d’opérations. Quelles assurances proposerez-vous aux sociétés de projet, et à quel prix ? Les sociétés devraient être opérationnelles à la mi-2015 ; pensez-vous réellement consommer 2,2 milliards d’euros dans les six mois qui resteront ?

Je souscris à l’idée d’avancer la clause de revoyure de la LPM aux semaines à venir. Le budget de la Défense – dont les seules marges de manœuvre sont constituées de ressources exceptionnelles – étant manifestement insuffisant, ne pensez-vous pas qu’il serait sage, à cette occasion, de le revoir entièrement ? Nos militaires le méritent !

M. Joaquim Pueyo. J’apprécie pleinement les mesures qui ont permis la mobilisation contre la menace terroriste. Les 10 000 militaires déployés pour assurer la sécurité des sites sensibles sont sans doute concentrés sur les zones urbaines, les territoires ruraux étant gérés par la police et la gendarmerie.

Quelle est la part des réservistes parmi les mobilisés ?

Je tiens à exprimer mon désaccord avec l’article que Le Point a publié le 19 janvier. Intitulé « Plan Vigipirate : branle-bas de combat chez les militaires », il critique injustement la logistique de l’opération.

S’agissant du coût des opérations militaires, la conférence interparlementaire sur la PSDC qui s’est récemment tenue à Rome a prouvé que les choses commençaient à bouger, tant du côté des Italiens que des Allemands. La question sera à l’ordre du jour de la prochaine conférence interparlementaire de Riga ; si les élus de toutes les nations pouvaient se mobiliser, Bruxelles se déciderait peut-être enfin à améliorer le dispositif Athéna.

M. le ministre. Madame Gosselin-Fleury, sur les 12 000 combattants étrangers au Levant, quelque 1 284 sont Français. Parmi les catégories socioprofessionnelles, on rencontre, en effet, quelques anciens militaires, dont certains sont revenus à la vie civile depuis longtemps. Ils sont connus et suivis par les services de la DGSE et de la DGSI, mais aussi par la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) qui surveille également les personnes à risque ; ses moyens seront renforcés pour conforter sa mission de vigilance. Attention toutefois à ne pas exagérer un phénomène qui reste marginal en imaginant – comme certains essaient de le faire croire depuis que le sujet a été évoqué par la presse – que des militaires, à peine sortis de leur régiment, partent combattre en Syrie aux côtés de la mouvance djihadiste.

Monsieur Lamour, nous disposerons de 7 500 militaires de plus par rapport aux contrats opérationnels antérieurs ; ce renfort – qui figurera dans les nouveaux contrats établis dans le cadre de l’actualisation de la LPM – allégera la tension sur certains théâtres d’opérations et nous permettra de faire face à nos engagements.

S’agissant des sociétés de projet, nous serons en effet en mesure de dépenser les 2,2 milliards d’euros en équipements d’ici la fin de l’année ; c’est essentiel pour le respect de la LPM et favorise de surcroît l’emploi et l’activité industrielle. Tel que nous le prévoyons, le schéma – financé par des cessions de participations publiques – ne pèse pas sur la dette publique, mais conserve un impact sur le déficit public car les produits de cession de matériel militaire ne sont pas qualifiés de « recettes maastrichtiennes ». Nous n’avions pas le temps d’engager une procédure d’ouverture plus large du capital dans les délais impartis.

Les FREMM et les A400M représentent en effet des outils militaires d’intervention ; c’est ce qui nous permet de mobiliser les 2,2 milliards d’euros et de garantir l’emploi et l’usage de ces outils. En effet, les sociétés de projet seront dans un premier temps pleinement publiques ; nous aviserons lorsque nous bénéficierons des recettes de la bande de fréquence 700 mégahertz. Sur l’ensemble de la LPM, il nous manque encore 5,7 milliards de recettes exceptionnelles et je doute que mon collègue Michel Sapin se montre compréhensif sur cette question. Je maintiens en revanche que le budget effectif s’élèvera bien – comme en 2012, 2013 et 2014 – à 31,4 milliards d’euros en 2015; je n’accepte aucune amputation de cette somme, qui correspond à l’engagement solennel du Président de la République et que je souhaite maintenir sur la durée. Combiné à l’atténuation de la réduction des effectifs militaires, notre budget permettra de respecter la LPM qui, même si elle est adaptée, ne remettra pas en cause les grands principes évoqués dans le Livre blanc, et en particulier la triple mission de nos armées.

Monsieur Pueyo, 300 réservistes ont été identifiés pour Sentinelle sur l’ensemble du territoire, en particulier au sein des structures de commandement et de soutien. C’est clairement insuffisant. Le plan de revalorisation de la réserve que je prépare actuellement nous permettra de nous montrer nettement plus efficaces dans ce type de situations.

La logistique qui a accompagné la mobilisation a été exceptionnelle, au point de me surprendre. C’est un véritable exploit de rapidité et d’efficacité qui a été réalisé : lorsque, le dimanche 11 janvier après-midi, le Président de la République a décidé de déclencher le plan d’opération en raison des menaces pesant sur notre pays, il a fallu, en trois jours, transporter, accueillir, loger, nourrir et équiper l’ensemble des militaires déployés.

Enfin, je partage votre point de vue : l’idée d’exclure les dépenses militaires du calcul des déficits publics commence à être entendue au niveau européen, et il faut continuer à avancer dans cette direction.

M. François Lamy. Il est encore trop tôt pour s’interroger sur le financement des décisions du Président de la République.

Quelle est la durée potentielle de l’opération Sentinelle ? Si jamais le type d’attentat que nous venons de connaître en venait à se reproduire malgré les mesures qui ont été prises, la demande serait forte pour la maintenir, voire pour la renforcer ; pendant combien de temps sommes-nous en mesure de le faire ?

S’agissant des militaires partis mener le djihad en Syrie ou en Irak, il règne aujourd’hui en France un mauvais climat ; une partie de notre population – les musulmans de ce pays – ne se sent pas à l’aise. Si ce climat se détériorait encore à la faveur de nouveaux attentats, la question de la cinquième colonne ne manquerait pas d’être posée : ne sommes-nous pas confrontés à un ennemi intérieur, y compris dans nos armées ? Envisagez-vous de réfléchir aux façons de contrer ces craintes, aussi bien auprès de la population que des médias ? Une partie de nos concitoyens étant engagés dans le djihadisme, à l’extérieur ou à l’intérieur de nos frontières, à quel point les militaires sont-ils informés sur la nature du phénomène et les moyens de le combattre ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous avez évoqué les imperfections techniques et juridiques qu’il conviendrait de pallier à l’occasion de la nouvelle loi sur le renseignement et de l’actualisation de la LPM. En effet, si l’on peut se féliciter du travail réalisé, il importe de se doter des meilleurs outils possibles. Vous avez ainsi salué le développement de la cyberdéfense ; le pôle de Bruz – que j’ai visité en tant que rapporteur pour avis – est certes très performant, mais je relate dans mes rapports, sans trop d’effet, la coupure entre la recherche militaire et universitaire. Les excellents spécialistes des organismes tels que l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) restent trop peu sollicités, alors que le contexte actuel exige de mettre tous les moyens en commun. J’espère que l’on profitera des échéances législatives à venir pour traiter cette question en créant, à côté du gros pôle militaire dans l’Ouest de la France, un pôle de recherche civil sur ces sujets.

Étant donné la continuité entre la sécurité intérieure et extérieure, le problème est européen et non national ; Bruxelles doit donc prendre ses responsabilités. Il serait évidemment souhaitable d’exclure la défense et la recherche du calcul du déficit public, mais face à une menace internationale, les grands pays – notamment l’Allemagne – ne doivent pas laisser la Grande-Bretagne et la France porter seules l’effort financier dans le domaine militaire.

M. le ministre. Monsieur Lamy, le mandat que le Président de la République nous a assigné pour le contrat opérationnel, c’est la disponibilité de 10 000 hommes sur un mois, mobilisables dans un délai très court. Quant à la durée de l’opération Sentinelle, elle dépendra de l’état de la menace et de l’adaptation de la protection des sites sensibles – qu’il n’est pas toujours nécessaire de garder jour et nuit – suivant la demande des préfets de zone. Pour l’instant, je n’ai pas de date d’arrêt programmée.

M. François Lamy. Les lieux de culte représenteront le principal problème.

M. le ministre. Certes, mais l’on n’est sans doute pas obligé de garder les écoles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La cellule de crise se réunit tous les jours pour procéder, au fur et à mesure, à cette adaptation. Le chef d’état-major de l’armée de terre prépare de son côté les hypothèses de dispositifs à maintenir sur la durée et à renforcer éventuellement en cas de nouvelles attaques. On se situerait alors au-delà du contrat opérationnel, ce qui impliquerait peut-être d’interdire toutes les permissions, d’adapter la durée fixée pour les rotations en OPEX, etc. Mais nous en avons les capacités.

S’agissant des inquiétudes liées au climat ambiant, c’est le rôle de la DPSD d’informer et de sensibiliser les états-majors à cette situation. Avant même les attentats, je me suis rendu au siège de cette direction pour constater qu’il s’agit d’un service de qualité qui remplit efficacement son rôle d’information et de prévention.

Monsieur Le Déaut, nous sommes tout à fait disposés à décloisonner la recherche cyber. Dans le cadre de la LPM, nous avons engagé 400 recrutements – presque une centaine par an – et un milliard d’euros afin d’augmenter encore notre niveau de performance dans ce domaine. Parmi les 185 recrutements à la DGSE et les soixante-cinq à la DPSD, figureront des spécialistes « cyber » affectés au renseignement. J’ai récemment réuni les entreprises du secteur défense et hors défense – EDF, la Poste, etc. – pour évoquer ces sujets en dépassant les clivages entre le civil et le militaire. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) se trouve au cœur du dispositif interministériel et doit aussi agir en ce sens. Nous sommes donc pleinement partisans de la mobilisation des compétences civiles. La réserve citoyenne compte d’ailleurs beaucoup de spécialistes dans ce domaine, que l’on sollicite spécialement pour cela. En matière de recherche – y compris sur la cybersécurité –, la Direction générale de l’armement (DGA) a mis en place des dispositifs de soutien aux initiatives ayant des conséquences techniques positives à la fois dans le domaine militaire et civil. Le pôle de Bruz, ainsi que le Forum international de cybersécurité de Lille ont créé une dynamique qui permet d’associer des laboratoires civils – notamment universitaires – à notre démarche.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le ministre, je vous remercie.

La séance est levée à douze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Jean-David Ciot, Mme Catherine Coutelle, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Christophe Guilloteau, M. François Lamy, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Jean-Pierre Maggi, Mme Nathalie Nieson, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Olivier Audibert Troin, M. Claude Bartolone, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Éric Jalton, M. Frédéric Lefebvre, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. Philippe Nauche, M. François de Rugy

Assistait également à la réunion. - M. Jean-François Lamour