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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 18 mars 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 45

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition du général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Madame la présidente Patricia Adam. L’armée de terre est aujourd’hui particulièrement sollicitée. Les opérations extérieures (OPEX) et l’opération Sentinelle sont en effet très exigeantes. Comment arriver à concilier la réalisation de l’opération Sentinelle dans la durée avec la poursuite des OPEX ? Il s’agit là pour nous d’un sujet d’importance dans la perspective de la future actualisation de la loi de programmation militaire. Je vous laisse la parole pour nous exposer vos principales réflexions sur le nouveau modèle de l’armée de terre, actuellement en cours d’élaboration.

Général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre. Mesdames et Messieurs les députés, je souhaite tout d’abord vous remercier de me donner l’occasion de m’exprimer une fois de plus devant vous ce matin. Je voudrais vous dire que, dans les épreuves et les circonstances graves que traverse notre pays, l’armée de terre fait bloc avec la Nation. Elle fait aussi front et se veut force de proposition pour le pays. Les soldats que je rencontre à Paris et en Province mesurent parfaitement leur responsabilité vis-à-vis de leurs concitoyens. Ils m’ont tous dit leur fierté de remplir la mission Sentinelle, fierté qui reste intacte après deux mois et demi de mission et que chacun de nous partage. Nos soldats sont au contact quotidien des Français, les yeux dans les yeux, et ceci renforce encore le lien qui unit déjà la Nation à son armée professionnelle. Je crois que je ne serai pas démenti par madame la présidente, avec qui j’ai visité nos soldats en action dans la capitale, ni par ceux d’entre vous qui ont pu avoir ce contact avec eux.

Notre pays traverse une période extrêmement difficile qui place la sauvegarde du territoire, le continuum sécurité-défense, la protection de nos concitoyens et la cohésion nationale au centre des enjeux de Défense. C’est pourquoi le Président de la République a décidé de maintenir à son niveau actuel et autant de temps que nécessaire, l’engagement des armées, et notamment de l’armée de terre, sur le territoire national, accentuant de fait l’effort de Défense.

Je vous confirme, et les services de renseignement le feraient comme moi, que l’état du monde impose de maintenir la « garde haute » dans plusieurs directions pour continuer à faire face à la grande diversité des menaces. Dans ce cadre, mon souci est bien évidemment de préserver l’équilibre entre les missions et les moyens et par conséquent de renforcer les effectifs de l’armée de terre. Ceci constitue à mes yeux le défi majeur de l’actualisation de la loi de programmation militaire voulue par le ministre de la Défense.

Ce dernier l’a indiqué, le cadre fixé par le Livre blanc est toujours adapté et l’analyse des menaces y est encore juste, même si le danger terroriste s’étend dans le monde et si la menace asymétrique s’applique de façon particulièrement aiguë sur le territoire national. Face à la globalité des risques, conserver le spectre complet des capacités stratégiques me paraît essentiel. C’est d’ailleurs en considérant les évolutions qui se dessinent sous nos yeux, et pour renforcer encore l’efficacité de notre outil, que le modèle futur de l’armée de terre appelé « Au contact ! » - c’est-à-dire au contact des Français sur le territoire national et de l’adversaire où qu’il se trouve - est construit. Ce nouveau modèle lui sera présenté de façon définitive début  avril.

Avec l’inscription de l’opération Sentinelle dans la durée, à hauteur de 10 000 hommes, dont 7 000 sont déployés, l’armée de terre connaît un niveau et un taux d’emploi totalement hors-norme, dans et hors de nos frontières.

De façon bien malheureuse, les événements de janvier dernier montrent que les réflexions qui étaient les miennes au moment de ma prise de fonction étaient parfaitement fondées. Les hypothèses sur lesquelles j’ai bâti ce projet sont hélas vérifiées aujourd’hui par les faits. Par voie de conséquence, le futur modèle inscrit d’emblée l’armée de terre dans la bonne direction, avec un nouvel équilibre entre opérations extérieures et opérations intérieures. Il la place sur des rails qui lui permettent de s’adapter à la nouvelle situation, d’arrêter la déflation des effectifs et d’entamer objectivement sa remontée en puissance.

Je viens d’évoquer dans cette introduction les deux grands sujets de mon intervention. La première partie sera ainsi consacrée au bilan et aux enseignements du déploiement de l’armée de terre dans le cadre du contrat Sentinelle. La deuxième partie me permettra de vous livrer mon analyse sur la place de la fonction « Protection » à l’avenir et sur les conséquences du prolongement de l’opération Sentinelle, avec le déplacement du « curseur opérationnel » de la fonction « Intervention » vers la fonction « Protection ».

Les attaques du 7 et du 9 janvier dernier ont brutalement ouvert un nouveau théâtre d’opération jusqu’alors « dormant » pour l’armée de terre depuis la chute du mur de Berlin : le territoire national. Nous découvrons de façon dramatique que la France a désormais un ennemi sur son propre sol. Le déclenchement inopiné, le 11 janvier, du contrat de protection 10 000 hommes, en renfort des forces de sécurité intérieure, a été marqué par une montée en puissance et un déploiement initial sur lesquels je tire quatre constats.

Le premier porte sur la réactivité de la chaîne de commandement des forces terrestres et de nos soldats. Comme vous le savez, en trois jours, entre le 8 et le 11 janvier, l’armée de terre a doublé ses effectifs engagés initialement au sein de l’opération Vigipirate, les multipliant par dix les trois jours suivants pour atteindre 10 500 soldats le 14 janvier. Au bilan, ce sont 170 unités, soit cinq fois plus que ce qui est attendu en 48 heures dans le contrat du Livre Blanc, qui ont été déployées dans une cinquantaine de villes en protection de 720 sites, dont plus de la moitié en Île-de-France. Cette réactivité traduit la maîtrise de la projection de forces que nous avons acquise ces vingt dernières années, comme l’illustre par exemple l’opération Serval au Mali. Je tiens à saluer aussi l’esprit d’initiative de nos hommes, qui étant attentifs à l’actualité, sont rentrés de façon spontanée dans leurs unités.

Le deuxième constat porte sur la robustesse et la continuité de la chaîne de commandement territorial, interarmées, qui n’avait pas été utilisée depuis longtemps et dont certains s’interrogeaient sur la pertinence : état-major des armées, officiers généraux des zones de défense, état-major interarmées de zones de défense, délégués militaires départementaux, ces derniers étant des acteurs déterminants en lien avec les préfets. Ils jouent un rôle majeur dans la bonne installation des détachements dans leur zone, contribuant ainsi la réussite de la mission. Cette robustesse et la continuité de la chaîne de commandement territorial soulignent combien la connaissance du terrain procurée par le maillage territorial a du sens et demeure indispensable pour répondre aux réalités locales. C’est la raison pour laquelle j’accorde dans le modèle « Au contact » une telle importance à l’empreinte territoriale de l’armée de terre.

Le troisième constat concerne la qualité des soutiens interarmées. Ils ont montré leur aptitude à se déployer à la même vitesse que les forces, en particulier la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense (DIRISI) et le service du commissariat des armées (SCA). Les enseignements tirés de l’exercice annuel baptisé « Alma », de réaction en cas de crue de la Seine, et l’expérience dont l’état-major de zone de défense Île-de-France dispose dans l’accueil, le transit et l’hébergement de détachements militaires en région parisienne, ont constitué des atouts importants. Je retiens d’ailleurs deux autres facteurs de succès. Le premier, la militarité des soutiens interarmées qui constitue bien un gage de réactivité et de disponibilité. Le second, la conservation d’emprises militaires, comme à Satory et à Saint-Germain en Laye, qui s’avère indispensable pour accueillir, équiper et héberger les détachements militaires de plus de 5 000 hommes appelés à être engagés sur le Grand Paris.

Le quatrième et dernier constat porte sur l’excellent comportement de nos soldats qui agissent depuis deux mois avec un grand professionnalisme et auquel je tiens à rendre hommage.

Je ne serais pas complet si je n’associais pas à ces félicitations notre réserve opérationnelle ! Nos réservistes, qui représentent environ 500 hommes, ont répondu présent et ont constitué une plus-value sur laquelle nous pourrons revenir au moment des questions.

Le bilan positif que je tire du déploiement de Sentinelle repose aussi pour beaucoup sur l’état d’esprit et la cohésion de l’armée de terre et sur la qualité de ses chefs et de ses soldats. Je voudrais illustrer ce constat grâce au cas concret de l’attaque qui a visé à Nice, le 3 février, trois soldats du 54e régiment d’artillerie d’Hyères. Ce cas d’espèce résume la complexité de la mission et les qualités dont nos soldats font la démonstration chaque jour. Sans entrer dans le détail des faits, je veux mettre en exergue quatre aptitudes fondamentales. La première concerne l’autonomie et l’esprit de décision du chef de trinôme, un jeune sergent de 34 ans, qui adopte la réaction adaptée à la situation et donne les bons ordres. La seconde porte sur le courage physique et le sens de l’engagement qui ont été nécessaires pour maîtriser l’assaillant, au corps à corps, en dépit des multiples blessures subies par chacun lors de cette « interpellation ». La troisième est la maîtrise de la force et le discernement dont le trinôme a fait preuve en choisissant délibérément de ne pas riposter par le feu et de s’exposer au danger pour protéger la population autour. La quatrième aptitude concerne l’éthique du soldat et le code comportemental mis en avant dans la formation de nos jeunes, qui a conduit le trinôme à protéger l’agresseur des passants, devenus menaçants.

Je voudrais conclure sur cette action en attirant votre attention sur un point supplémentaire. Nous comptons dans nos rangs des militaires de toutes origines sociales et culturelles et de toutes confessions religieuses. Ils ont en commun d’avoir fait le choix de s’engager pour défendre notre pays. Les échanges que j’ai avec eux lors de mes visites me montrent qu’il n’est pas forcément simple pour un jeune soldat ou un jeune Français de confession musulmane de garder un lieu de culte différent de sa propre religion. À cet égard, je constate que leur neutralité exemplaire et leur disponibilité sans faille incarnent remarquablement les valeurs de notre République. Je crois que les Français ont mille fois raison de plébisciter comme ils le font leurs soldats et de faire confiance à leur armée. C’est évidemment pour chacun d’entre nous une marque de considération et de reconnaissance dont vous savez l’importance.

Une autre caractéristique de l’armée de terre mérite d’être soulignée : sa polyvalence. Nous avons fait le choix, depuis vingt ans et le modèle conforte ce choix, de ne pas prédestiner les forces par type de mission. Ceci offre l’avantage de la souplesse d’emploi et de l’économie des moyens, que l’on sait comptés. Au passage, la décision de remonter en puissance illustre les limites atteintes dans ce domaine. Concrètement, cela signifie qu’un soldat des forces terrestres sait et remplit avec la même efficacité toutes les opérations fixées par le contrat opérationnel : il intervient, il protège, il prévient et il s’engage avec la même efficacité à Gao qu’à Paris.

Les inquiétudes qui auraient pu être émises sur la capacité de nos soldats à basculer des théâtres extérieurs vers une mission intérieure trouvent leur réponse dans la maîtrise des savoir-faire et dans l’expérience opérationnelle. Nos soldats professionnels savent conjuguer polyvalence et spécialisation. J’ai la conviction que la réaction du trinôme de Nice reflète le niveau de l’ensemble des forces terrestres. Pour preuve, 370 incidents contre la force Sentinelle (agression de soldats, désignation au laser) ont été recensés le premier mois sans qu’aucun ne donne lieu à une réaction disproportionnée de la part de nos hommes. Un tel professionnalisme n’est évidemment pas le fait du hasard. C’est bien le résultat d’une formation exigeante de nos officiers, sous-officiers, et nos militaires du rang et d’un entraînement adapté et différencié de nos unités. Il s’agit là du capital le plus précieux de l’armée de terre, pour qui l’homme est au cœur de l’action, donc au centre de mes préoccupations. Comme je vous l’avais indiqué lors de ma première audition, nous devons être vigilants à ne pas éroder à l’excès ce capital. Le prolongement de l’opération Sentinelle constitue à ce titre un défi immense. L’armée de terre entre dans une nouvelle ère qui accélère encore son rythme de respiration, impliquant de trouver un nouvel équilibre entre opération extérieure, opération intérieure et les indispensables périodes de préparation aux opérations, de remise en condition de formation et d’entraînement.

Comme vous le savez, le volet « Protection » du contrat opérationnel constitue depuis toujours une priorité pour l’armée de terre qui reste par essence l’armée du territoire et des Français. Il n’est pas ici question de luttes intestines ; je ne conteste pas à l’armée de l’air la sécurité de l’espace aérien ni à la marine nationale l’action de l’État en mer et ces dernières ne disputent pas le rôle de l’armée de terre en matière de protection du territoire national. Il n’en demeure pas moins que l’on avait un peu oublié, depuis la « mise en sommeil » de la défense opérationnelle du territoire (DOT), que l’armée de terre pouvait avoir un rôle sur le territoire national.

Quand j’ai construit le nouveau modèle de l’armée de terre, j’avais imaginé le doter d’un pilier consacré à la protection. Je savais que beaucoup de contradicteurs, y compris internes, diraient que les soldats de l’armée de terre sont faits pour intervenir à l’extérieur et non pour monter la garde. Je n’imaginais pas à l’époque être rattrapé par l’actualité de façon aussi brutale !

Lorsqu’on recense les forces de l’armée de terre qui contribuent en temps normal à la protection du territoire, on est en fait surpris des moyens importants qui sont concernés sur un mode permanent ou occasionnel. Ceci mérite d’être évoqué car la palette de moyens « terre » est finalement assez peu connue, l’envergure des capacités d’action terrestre sur le territoire national étant pour autant bien réelle. Ainsi, 8 500 sapeurs-pompiers de Paris rendent à la population parisienne, avec le dévouement que vous savez, un éminent service public. Je voudrais à cette occasion rendre hommage à l’exceptionnel sens du devoir du caporal-chef Aurélie Salel qui est morte au feu dans le cadre d’une intervention ce week-end et adresser mon soutien au 1re classe Florian Dumont. De même, 1 400 sapeurs-sauveteurs de l’armée de terre arment les trois régiments d’instruction et d’intervention de la sécurité civile. Par ailleurs, 1 100 « terriens » sont, pour l’essentiel au 2e régiment de dragons de Saumur, les experts dans le domaine de la défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique, dont un certain nombre a été déployé pour lutter contre le virus Ebola. Il faut également y ajouter les démineurs et les maîtres-chiens. Comme vous le voyez, la liste des capacités duales est longue et contribue à la densité du pilier consacré à la protection du territoire national. Ce « flux intelligent » de forces classiques qui irriguent le territoire national a toujours été important mais il n’a jamais atteint un niveau aussi élevé sur un temps aussi long.

L’engagement le 14 janvier de 10 500 soldats des forces terrestres sur le territoire national porte cette contribution au niveau maximal prévu par le Livre blanc, un degré jamais atteint jusqu’alors.

Dans le même temps, à l’extérieur de l’hexagone, le niveau d’engagement reste élevé. Il représente pour les seules forces terrestres de l’ordre de 10 000 soldats prépositionnés outre-mer et déployés sur quatre théâtres d’opérations extérieures. Ce faisant, l’armée de terre conduit simultanément deux volets essentiels de sa mission : la protection et l’intervention. Si l’on considère la simultanéité de ces déploiements, les effectifs engagés et ceux en alerte ainsi que le nombre et la typologie des opérations, le contrat opérationnel fixé dans le Livre Blanc à l’armée de terre était déjà en janvier sous forte tension, voire à la limite du dépassement. Nous sommes en mesure de remplir ces deux volets, mais au prix de notre capital opérationnel, sans laisser le moindre espace de respiration pour la remise en condition, avec le risque de fragiliser la fidélisation des effectifs sachant que l’absence hors garnison pourrait être d’un jour sur trois voire un jour sur deux. La décision de prolonger l’opération Sentinelle dans la durée fait sortir l’armée de terre du cadre des contrats pour lesquels elle a été dimensionnée. En particulier le contrat « Protection » qui prévoyait un engagement ponctuel, sans relève, pour une durée maximale de trois mois. C’est un nouveau contrat opérationnel pour l’armée de terre, assorti d’une nouvelle trajectoire des effectifs, demandée au président de la République par le chef d’état-major des Armées.

Je voudrais partager avec vous les réflexions que m’inspire ce changement majeur, à l’échelle de l’armée de terre mais aussi de la défense.

La résonance entre les menaces extérieures et intérieures reste très forte. Par voie de conséquence, la complémentarité entre la défense de l’avant et la défense au-dedans reste vitale. Le chef militaire que je suis considérerait comme une erreur stratégique de circonscrire notre défense et de rétrécir nos ambitions aux stricts contours de nos frontières. J’ai d’ailleurs la certitude que la capacité dont dispose encore aujourd’hui la France d’engager physiquement ses soldats en opération au contact de l’ennemi où qu’il se trouve constitue un signal politique fort du niveau de détermination de notre pays, dont il ne faut pas sous-estimer la portée politique. Je n’envisage pas un avenir très radieux pour une société qui n’aurait plus la volonté ou la force de combattre ceux qui cherchent à détruire les valeurs qui la font vivre, le combat fût-il à livrer à 4 000 kilomètres de distance. Ce constat appelle un impératif : maintenir les moyens et les effectifs dont nous avons besoin pour conduire à la fois des opérations extérieures dont l’intensité va croissante et les opérations du territoire national, dont nous ne connaissons pas aujourd’hui les évolutions.

Au durcissement des opérations répond une exigence que je porte en qualité de chef d’état-major : la protection de nos hommes. Comme vous le savez, elle repose en partie sur leurs équipements. 2015 portera, en complément de SCORPION, deux opérations majeures qui constituent des priorités pour l’armée de terre : la mobilité des forces spéciales et le successeur du système de drone tactique intérimaire (SDTI).

Concernant l’emploi et les modes d’action, le corpus législatif et réglementaire existant pose un cadre clair pour l’accomplissement de la mission. En revanche, il est important de réfléchir à la façon dont l’armée de terre pourrait faire évoluer son action aux côtés des forces de sécurités intérieures, en tirant le meilleur parti de ses aptitudes et de son expérience opérationnelle. Parmi les pistes de réflexion figure le recours à des modes d’action plus mobiles : en effet, la garde statique de points sensibles, si elle rassure, risque de perdre avec le temps de son utilité et de son efficacité. Nous considérons généralement que la protection passe par des dispositifs de surveillance changeants et imaginatifs, qui créent l’incertitude chez l’adversaire. Une plus grande mobilité permettrait de mieux rentabiliser les atouts spécifiques des forces terrestres. On pourrait ainsi réfléchir à l’emploi sur réquisition de capacités de types équipes cynophiles, modules NRBC ou drones, ou à l’utilisation des savoir-faire relatifs à la surveillance d’une zone. C’est l’objectif que je me suis fixé pour l’armée de terre dans les prochains mois, en imaginant avec quels moyens et pour quelles missions elle pourrait agir mieux sur le territoire national si on le lui demandait. Il y a là un vaste champ éthique, juridique, conceptuel et doctrinal qui sera exploré prochainement.

De façon plus pratique, l’armée de terre doit réinventer son cycle opérationnel. Il s’agit d’organiser un nouveau mode de fonctionnement qui permette d’éviter l’asphyxie car le taux de rotation de nos effectifs est aujourd’hui trop élevé. Entre janvier et juin, 14 000 soldats auront effectué deux rotations Sentinelle de plus d’un mois et demi. À cette cadence, nos unités alterneront bientôt les opérations extérieures et les opérations intérieures avec trop peu de temps entre les deux pour pouvoir se régénérer, c’est-à-dire s’instruire, s’entraîner et se remettre en condition.

S’agissant des effectifs, le ministre de la Défense a déclaré que la trajectoire inscrite dans la loi de programmation militaire serait revue. Il s’agit de prendre en compte le dépassement des seuils des contrats opérationnels, en particulier ceux liés au prolongement de l’opération Sentinelle. À ce stade, l’armée de terre estime qu’il lui faut une force opérationnelle terrestre (FOT) à 77 000 pour tenir ses contrats dans la durée, en incluant l’opération Sentinelle, sans obérer ni la préparation opérationnelle et ni les remises en condition au retour d’engagement. Il s’agit d’hypothèses de travail que nous approfondissons avec l’état-major des armées. La déclinaison de ces hypothèses en termes d’organisation, de recrutement et d’équipements est en cours. Cette nouvelle trajectoire d’effectifs ne remet au passage pas en cause l’optimisation et la modernisation que l’armée de terre conduit dans le cadre du projet des armées CAP 2020. Comme le modèle futur de l’armée de terre le prévoit, elle s’y intègre.

Les réserves apportent une contribution opérationnelle de premier plan dont l’intérêt est parfaitement reconnu par l’armée de terre. Il faut néanmoins reconnaître qu’à ce stade des outils pertinents pour stimuler la montée en puissance de la réserve font encore défaut. L’armée de terre explore deux directions pour optimiser le dispositif. Elle se fixe d’abord pour objectif de passer de 15 000 réservistes à 22 000 en rénovant leur gestion dans le sens d’un assouplissement pour faciliter leur emploi. L’idée consiste à pouvoir engager en permanence 1 000 réservistes sur le territoire national, dans la durée. Il s’agit ensuite de revaloriser une deuxième réserve à partir des militaires qui ont quitté le service actif, pour des renforts ponctuels. Ce réservoir rappelable permettrait d’activer des renforts ponctuels en cas de crise majeure à partir d’anciens militaires. Cette réserve est à réinventer sur la base d’un concept existant – la réserve opérationnelle de deuxième niveau – mais qui ne dispose ni du cadre législatif, ni de l’organisation, ni des équipements qui permettent d’en imaginer l’emploi dans la durée et avec court préavis.

Enfin, je terminerai en abordant le renforcement de la cohésion nationale qui constitue un objectif au plus haut sommet de l’État. L’armée de terre y apportera sa contribution à travers un nouveau dispositif appelé « service militaire volontaire » (SMV). Il se propose de reproduire, suivant des modalités très similaires, le service militaire adapté qui est mis en œuvre sous la tutelle du ministère des Outre-mer par du personnel de l’armée de terre. Cet outil de formation professionnelle et d’éducation aux valeurs donne pleinement satisfaction. Moyennant son adaptation à la métropole, qui constitue l’objet de l’expérimentation qui commencera à l’automne 2015, le SMV se veut un outil d’insertion sociale et professionnelle, favorisant l’emploi des jeunes par une éducation citoyenne, une formation à un métier et une première expérience dans le cadre d’un emploi militaire.

En janvier dernier, notre pays a été frappé de stupeur mais il a montré aux yeux de tous l’image de l’unité dans l’adversité et de la fermeté face au danger, Sentinelle apportant une preuve de la résilience de notre Nation. L’actualisation de la loi de programmation militaire constitue un signal supplémentaire de la volonté de la France de ne pas céder aux menaces et de protéger ses citoyens. Nous considérons qu’il s’agit d’un rendez-vous majeur dans lequel le modèle de l’armée de terre s’intégrera parfaitement.

Pour vous en convaincre, je vous invite à réserver la date du 28 mai pour rejoindre l’armée de terre sur le plateau de Saclay à l’école Polytechnique. Nous serons très honorés de vous accueillir pour vous présenter ainsi qu’à tous nos invités le futur visage l’armée de terre.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, général, pour cet exposé. La commission de la Défense suivra de près l’évolution de vos travaux et nous répondrons à l’invitation que vous venez de nous lancer – pour peu que le débat sur l’actualisation de la loi de programmation militaire ne tombe pas le même jour !

Je voudrais également que vous adressiez, au nom de l’ensemble des membres de notre commission, notre soutien et nos remerciements aux hommes qui sont aujourd’hui engagés sur les différents théâtres. Nous savons, vous l’avez rappelé, que le rythme qui leur est imposé est très exigeant et a des conséquences sur leur vie de famille et leur entraînement.

Nous avons auditionné hier, le coordonnateur national du renseignement, M. Alain Zabulon, qui nous a précisé que l’opération Sentinelle était appelée à s’inscrire dans la durée, compte tenu des menaces que nous connaissons. J’aimerais donc que vous reveniez sur la question des réserves – nous avons auditionné la semaine dernière les délégués aux réserves de la gendarmerie nationale et du ministère de la Défense. L’armée de terre a été très réactive au déclenchement de l’opération en déployant en trois jours 10 000 hommes sur le terrain, ce qui a surpris nos partenaires britanniques. Peu d’armées, voire aucune, sont capables en Europe de le faire. Les dispositifs législatifs permettant de mobiliser très vite nos réserves sur le territoire national vous semblent-ils aujourd’hui suffisants ? Par ailleurs, et la question est liée, n’a-t-on un problème d’emprises disponibles sur le territoire national, compte tenu des déserts militaires que nous connaissons ?

Général Jean-Pierre Bosser. Avant de vous répondre, Madame la présidente, je voudrais préciser un point relatif aux conséquences du maintien de Sentinelle dans la durée. Il y aura un effet de retard avant que l’arrivée de nouveaux effectifs ne produise les effets de rééquilibrage attendus. Pour compenser cet effet, nous avons annulé plusieurs exercices internationaux, un certain nombre d’entraînements collectifs et réduit les permissions. Nos hommes sont soit en opérations extérieures soit en opération intérieure. Je ne dis pas cela pour plaindre l’armée de terre ou souligner l’impact négatif que peut avoir Sentinelle sur la durée mais pour préciser que l’armée de terre a déjà pris toutes les mesures possibles pour faire face à tous ses engagements et que l’augmentation des effectifs conditionne sa capacité à continuer à le faire au niveau attendu.

Pour répondre sur la réserve, la question de la relation entre l’employeur et le réserviste, qui se posait déjà au cours des travaux sur le Livre blanc de 2008 constitue le sujet de fond. Nous n’avons pas, dans notre pays, cette culture de la réserve qu’ont par exemple les pays anglo-saxons.

Nous devons parvenir à gérer deux impératifs de temps contraires entre les armées et les entreprises. Comment avoir des réservistes sur court préavis ? Nous en avons besoin tout de suite, or aujourd’hui, les dispositifs juridiques ne permettent pas de disposer de la réserve avant un préavis de pratiquement un mois. Est-ce que l’on ne peut pas juridiquement profiter de l’actualisation de la loi de programmation militaire pour revoir ce préavis ? Aujourd’hui, la loi nous autorise à employer des réservistes pour une durée maximale de cinq jours, au-delà, l’accord de l’employeur est nécessaire. Est-ce vraiment raisonnable ? Très franchement je ne le pense pas. J’ai croisé au cours de l’opération Sentinelle des garçons ou des filles qui souhaiteraient rester plus longtemps, au moins quinze jours. Je pense que tant dans le délai de préavis que dans la durée d’emploi, juridiquement, nous avons un dispositif que l’on peut aménager pour le rendre un peu plus souple.

Vous avez souligné, Madame la présidente, la question de l’implantation régionale de la réserve. La carte militaire connaît aujourd’hui de nombreux espaces lacunaires. Si vous aviez posé la question au préfet Zabulon, il aurait pu vous dire que nous tentons de contrôler ces espaces vides qui offrent des zones d’entraînement potentiel à des individus malfaisants. Or finalement qui connaît mieux le terrain que nos réservistes ? Nous nous interrogeons donc sur l’intérêt de créer des unités territoriales de réserve, susceptibles d’être déployées en cas de crise majeure dans ces zones lacunaires. Cela nous conduit également à étudier de près l’opportunité de conserver les emprises militaires nécessaires.

Mme la présidente Patricia Adam. Cela confirme en tout cas ma vision des choses et je pense que les parlementaires, pour l’actualisation de la loi de programmation militaire, devront se pencher sur cette question et éventuellement réfléchir à des amendements.

M. Yves Fromion. Je voudrais d’abord m’associer aux propos de la présidente qui ont été adressés à l’ensemble des hommes et des femmes qui sont sous votre autorité. Je vous remercie de l’effort que vous avez fait pour essayer de clarifier un certain nombre de points qui ne le sont pas encore, du moins de mon point de vue. On a vraiment l’impression Mon général qu’il existe une distorsion grandissante entre les moyens qui figurent au Livre Blanc et dans la LPM, et ce que sont les besoins auxquels doivent faire face nos forces armées sur le terrain, aussi bien au Sahel que sur le territoire national. On a véritablement l’impression d’avoir affaire à un décrochage. Vous nous avez expliqué que vous alliez vers un nouveau modèle pour l’armée de terre. La question est de savoir si vous faites cela dans le périmètre qui est celui d’aujourd’hui, si vous comptez sur des effectifs supplémentaires – on a cru le comprendre – sauf que ces effectifs supplémentaires ne sont pas financés. La LPM est un cadre que nous connaissons tous, dont nous savons qu’elle est aujourd’hui totalement inapplicable, avec des ressources exceptionnelles qui sont désormais fixées à huit milliards d’euros après l’adoption du dernier budget triennal. Nous sommes aujourd’hui dans une situation extrêmement complexe pour ne pas dire périlleuse. J’aimerais savoir comment, au vu de ces éléments, vous envisagez et vous pouvez imaginer un nouveau modèle d’armée alors même que le modèle antérieur n’a pas abouti du fait des réductions des effectifs. Ne sommes-nous pas dans une sorte de mouvement en avant pour faire en sorte de ne pas avoir à faire un bilan. Nous pouvons avoir le même sentiment s’agissant des équipements. Tout le monde sait que l’écart entre les capacités nominales de nos forces armées figurant dans le Livre Blanc et la réalité ne cesse de grandir. Votre nouveau modèle d’armée prend-il en compte cette réalité ? Je ressens à titre personnel un profond malaise devant ce phénomène.

Madame la présidente Patricia Adam. Je ne sais pas s’il s’agit véritablement d’une question de la part de mon collègue Yves Fromion mais le débat est désormais lancé sur l’actualisation de cette loi de programmation militaire. Le Président de la République a pris la décision de revoir les effectifs. Vous y travaillez, en coordination avec l’état-major des armées et des décisions sont en cours. Nous avons déjà prévu d’auditionner le ministre dès le dépôt du projet d’actualisation de la LPM, avec des débats s’étalant probablement sur l’ensemble du mois de mai.

Général Jean-Pierre Bosser. Lors de mon audition sur le projet de loi de finances, nous étions dans un scénario de compression des effectifs. La manœuvre que j’avais imaginée était de partir d’un projet, d’en déduire un modèle « de raison » puis d’en décliner une maquette qui serait celle des ressources. C’est un sujet que j’ai abordé avec le Président de la République lorsqu’il m’a reçu le 17 novembre et m’a demandé quel pourrait être mon modèle pour l’armée de terre. Je lui ai répondu que le modèle délimitait un horizon-seuil que j’estimais avant l’opération Sentinelle, à 100 000 hommes, en lui précisant qu’il s’agissait d’un seuil critique.

Deux éléments ont été pris en compte dans la réflexion. La nécessité d’un modèle plus adapté à la menace tout d’abord. L’armée de terre dont nous disposons actuellement a vingt ans et l’on voit bien aujourd’hui que dans les opérations des capacités opérationnelles comme les forces spéciales, l’aéromobilité, le renseignement et le cyber sont aujourd’hui prégnantes. Il a donc fallu imaginer une organisation qui corresponde bien à notre stratégie et non pas avoir une stratégie qui s’adapte à une organisation décalée. Ce modèle de la raison était la première ambition permettant de décrire aux décideurs politiques le modèle « terre » dont la France a besoin pour répondre à la réalité des opérations extérieures ainsi qu’à celle des opérations intérieures.

Sur la question des ressources, le Président de la République a rappelé à plusieurs reprises que les engagements en termes de budget seraient tenus. Le seuil critique à 100 000 hommes correspond au contrat opérationnel du Livre blanc, or avec l’opération Sentinelle dans la durée, nous sommes plus proches d’un besoin en effectifs de 110 000 hommes. En effet, si l’on a l’ambition de maintenir 12 000 hommes à l’extérieur de l’hexagone, tout en ayant 7 000 hommes déployés dans la durée sur le territoire national, le seuil critique évolue. De fait, l’armée de terre comprend qu’elle doit faire avec les ressources financières que la Nation peut dégager. Ma réflexion intègre la soutenabilité financière en articulant le projet autour des deux horizons que constituent le modèle du besoin et la maquette des ressources.

S’agissant des équipements, l’armée de terre n’a jamais été aussi bien équipée qu’elle ne l’est aujourd’hui pour intervenir en opération extérieure. Le programme SCORPION est certes étalé dans le temps, mais nous demeurons une des armées les mieux équipées au monde et nous faisons envie à nos camarades étrangers. Évidemment, nous n’avons probablement pas assez de matériels et pas livrés suffisamment rapidement, mais nous avons toutefois la chance de bénéficier de leur renouvellement avec des équipements d’excellente qualité, tels que FELIN, le Tigre, le VBCI ou les CAIMAN. Nous avons également du matériel ancien dont personne n’imaginait qu’il puisse rendre de tels services. Je voudrais donc rendre hommage à nos industriels de défense. La vision programmatique intégrée entre les militaires et ces industriels débouche à cet égard sur des résultats extraordinaires. À titre d’exemple, le véhicule de l’avant blindé (VAB), pourtant critiqué, nous a évité de perdre beaucoup de soldats en Afghanistan compte tenu de sa capacité de protection remarquable qui va au-delà de la simple fonction de transport de troupes.

Le nouveau modèle proposé pour l’armée de terre ne résoudra pas tous les problèmes mais il permettra de veiller à l’adéquation entre besoins et ressources, qui constitue finalement le cœur du sujet.

M. Joaquim Pueyo. Merci de votre intervention sur le modèle d’armée. Votre vision sur le futur de l’armée de terre me paraît relativement juste.

Vous avez parlé de raison. Or, au lendemain des événements de janvier, entre certains parlementaires et l’opinion publique, je crois que l’on a tout entendu : il faut renforcer le service civique, rendre obligatoire le service national, etc. Comme si ces mesures allaient résoudre tous les problèmes ; une proposition de loi visant à instaurer un service national obligatoire d’une durée de six mois doit d’ailleurs être discutée prochainement au Parlement.

J’aurais donc voulu avoir votre opinion de chef d’état-major de l’armée de terre sur ce sujet, s’agissant de la capacité de l’armée de terre à mettre en place rapidement ce dispositif. Je ne suis pas convaincu de l’utilité de celui-ci, mais c’est une question de raison sur laquelle vous allez nous éclairer.

M. Jean-Jacques Candelier. Les événements récents nous conduisent à nous interroger sur le niveau des effectifs qui seraient adaptés pour l’armée de terre. À titre d’exemple, des chasseurs alpins patrouillent actuellement partout, sauf en montagne. Nos forces sont extrêmement sollicitées : ce n’est pas une critique, juste un constat et que vous êtes libre de ne pas partager.

Je m’interroge aussi sur la sécurité du Grand Paris, en raison des suppressions de régiments intervenues en Île-de-France. Je citerai le 5e régiment de génie et les 5e et 24régiments d’infanterie. N’a-t-on pas été trop loin en dégarnissant cette zone ?

Une question, enfin, sur les matériels : quand le FAMAS et le VAB seront-ils remplacés ? Je crois que le FAMAS, qui remonte aux années 1970, sera remplacé à partir de 2015 ou 2016 par un fusil d’assaut allemand : le confirmez-vous et ce fusil d’assaut sera-t-il produit en France sous licence ou acheté en Allemagne ? Quant au VAB, selon certains, il peut se révéler dangereux pour les personnels.

M. Philippe Vitel. Merci tout d’abord, Mon général, de nous avoir adressé ce remarquable document sur l’armée de terre et sur l’Europe de la défense. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage aux deux soldats néerlandais qui sont morts hier au Mali dans un accident d’hélicoptère : cela montre que nous sommes un peu aidés par d’autres pays même si nous sommes souvent encore bien seuls.

J’ai lu l’article remarquable du colonel Depré sur l’interopérabilité et sur l’intégration. Et j’avoue être inquiet en écoutant vos propos. En effet, les menaces auxquelles nous devons faire face aujourd’hui montrent qu’il faut continuer à travailler sur ces aspects et donc que tout le monde doit s’y impliquer.

Or vous nous expliquez que nos forces ne vont plus pouvoir participer à certains entraînements internationaux ou à des exercices partagés en raison de leur niveau actuel de mobilisation. Je crains donc que l’intégration, qui est pourtant indispensable, ne soit reportée dans le temps. Cela pourrait nous placer dans une sorte de cercle vicieux qui réduira notre capacité d’intervention. J’aimerais votre avis sur ce sujet ; s’il paraît nécessaire de tirer la sonnette d’alarme, je puis vous assurer que nous n’y manquerons pas.

Général Jean-Pierre Bosser. Je répondrai d’abord à la question de la création d’un service national obligatoire de six mois, qui est très sensible. Il n’est pas envisageable de recréer un service militaire obligatoire, en raison du nombre de jeunes gens que cela nécessiterait d’accueillir, de loger et de nourrir.

Ce qui est important, c’est de savoir ce que l’on recherche pour ces jeunes. Les mots que j’ai entendus de personnes qui travaillent depuis longtemps sur cette question, sont « reconnaissance de l’autorité de l’État et de la Nation », « apprentissage des rites républicains », « vivre ensemble ». Chaque ministère pourrait d’ailleurs les décliner à sa manière. L’armée de terre peut apporter des réponses : on le voit avec le service militaire adapté, dans le cadre duquel sont dispensées une formation citoyenne, une formation militaire ou de vie de groupe, une formation professionnelle.

Ce qui a été dit sur les chasseurs alpins illustre la nécessaire adhésion du soldat à la mission. En effet, ces militaires pensaient profiter des conditions hivernales pour passer leurs examens d’aptitude en montagne. Or cela ne sera pas possible : mobilisés sur Sentinelle à leur retour d’opération extérieure, ils ne regagneront les montagnes qu’en avril ou à l’été. Mais la mission doit primer : c’est le langage que l’armée tient constamment. Cela étant, il serait problématique que cette situation perdure tant pour des raisons d’entraînement que de cursus de carrière.

Les FAMAS et les VAB vont être effectivement remplacés. S’agissant du FAMAS, la mise en concurrence est lancée pour environ 90 000 fusils dont 70 000 pour l’armée de terre, les premières livraisons étant attendues pour 2017. Le VBCI, en partie, et surtout le Griffon, qui est au cœur de SCORPION, vont succéder au VAB. Les risques représentés par celui-ci doivent au demeurant être très relativisés : le VAB originel a été sensiblement amélioré par la version baptisée Ultima qui donne satisfaction en opération mais qui, étant arrivée en limite d’évolutivité, ne peut franchir la prochaine décennie.

Enfin, s’agissant du report de la participation de la France aux exercices internationaux la réponse est simple : la protection du territoire national doit primer. Je pense que nos concitoyens ne comprendraient pas que nos soldats aillent s’entraîner à l’étranger si la sécurité sur le territoire n’était pas pleinement garantie.

M. Philippe Vitel. Mais l’idéal serait de pouvoir faire les deux, afin de préserver l’interopérabilité.

Général Jean-Pierre Bosser. À enveloppe constante, ce n’est pas possible. Il faut donc faire des choix : nos concitoyens ont le droit d’être protégés et nous avons le devoir de leur assurer cette protection. Mais je suis conscient qu’il faut aussi préserver la confiance qu’ont en nous nos alliés. J’ai d’ailleurs expliqué à mon collègue britannique les difficultés que nous rencontrons et qu’il comprend assez bien car il en connaît des similaires.

Nous allons donc essayer de préserver ce qui doit l’être sur ces exercices d’apprentissage en commun dont les bénéfices portent sur l’amélioration de l’interopérabilité, qualité fondamentale pour opérer au sein d’une coalition et pour pouvoir répondre avec nos alliés aux « menaces de la force » face à un adversaire conventionnel. L’interopérabilité repose d’abord sur la capacité à commander. C’est pourquoi nous préservons prioritairement les exercices qui concernent les structures de commandement.

Mais finalement, les réalités commanderont : si demain, nous devons mobiliser encore davantage d’hommes sur Sentinelle, il faudra de nouveau faire des choix. Je pense que nos alliés auront l’intelligence de comprendre nos priorités.

Mme la présidente Patricia Adam. Je reviens de Londres où se sont tenus des débats sur le bilan des accords de Lancaster House. Des élections vont bientôt se tenir au Royaume-Uni, où les budgets de défense sont particulièrement menacés. Les armées britanniques sont dans une situation plus difficile que les armées françaises.

M. Olivier Audibert-Troin. Je vous remercie pour votre exposé Mon général. J’aurais trois questions précises à vous poser.

Suite aux événements en Ukraine, l’OTAN a annoncé, il y a quelques semaines, vouloir passer ses effectifs de 15 000 à 30 000 hommes. Dans quelle mesure l’armée de terre française sera-t-elle impliquée en termes d’effectifs ?

Sur le coût des OPEX et plus précisément sur son dépassement : avez-vous chiffré ce dépassement au titre de 2015 ? Par ailleurs quel est le coût annuel des opérations intérieures et notamment de Sentinelle ?

S’agissant de la soutenabilité de l’activité, vous avez évoqué une surconsommation du capital opérationnel – nous partageons tous ici cette crainte –, vous avez parlé des risques encourus par nos hommes – des risques que l’on pourrait presque qualifier de psychosociaux –, vous avez souligné l’absence des militaires de leur foyer un jour sur trois voir un jour sur deux, vous avez parlé d’exercices annulés, de préparation aux missions qui, si elles ne sont pas annulées, sont extrêmement réduites, etc. Comme vous le savez peut-être, nous avions travaillé avec notre ancienne collègue Émilienne Poumirol sur le suivi des blessés, et particulièrement sur les syndromes post-traumatiques. Tous ces facteurs, auxquels j’ajoute la fatigue physique ou encore un turnover en OPEX beaucoup trop rapide, constituent des facteurs aggravants de syndrome post-traumatique. Or, lorsqu’un soldat en est atteint, dans 75 % des cas il ne revient pas dans l’institution militaire alors qu’il s’agit de soldats formés et aguerris. Le contexte actuel risque d’aggraver ce risque. Comment le prenez-vous en compte ?

Je souhaiterais faire un commentaire particulier sur le nouveau modèle que vous avez présenté. Vous avez déclaré que, « aujourd’hui c’est l’actualité qui commande ». Nous le comprenons, mais vous comprendrez à votre tour que cela nous inquiète dès lors que le Livre blanc et la LPM sont faits pour anticiper le moyen voire le long terme. Or nous sommes actuellement dans une gestion de l’urgence, ce qui constitue une réelle préoccupation pour nous et pour notre modèle d’armée. À cet égard, vous n’avez pas répondu quant au calendrier et quant aux modalités de mise en œuvre de ce nouveau modèle.

M. Serge Grouard. Mon général, je dois reconnaître que j’ai été embarrassé par certains de vos propos. Je me permets de vous citer et je vous demande quelques explications sur ce point : « Il n’est pas facile de demander à un jeune musulman de garder une synagogue. » Qu’est-ce que cela signifie exactement ? C’est une question importante. Nous devons nous baser sur des faits, des réalités, et non sur des hypothèses ou, pire, des fantasmes.

Par ailleurs, je prolonge les remarques de notre collègue Yves Fromion : nous sommes sortis du cadre du Livre blanc, par conséquent la LPM est obsolète. Nous l’affirmons depuis longtemps : ce format et ce cadrage stratégiques ne sont pas pertinents. Une question sur les effectifs. La projection des effectifs de l’armée de terre fait état de 100 000 hommes environ. Nous disposons d’une documentation abondante de la part du ministère de la Défense, mais les chiffres les plus simples sont parfois les plus difficiles à trouver. Quel est aujourd’hui l’effectif précis de l’armée de terre ?

Enfin, quel est le coût complet moyen d’un poste de militaire du rang ? Quel est, dès lors, le coût du passage envisagé de votre effectif à 110 000 hommes ? Quel serait le budget de fonctionnement nécessaire hors réserve, qui est par ailleurs un grand sujet ?

M. Gwendal Rouillard. Mon général, pouvez-vous nous faire un point de situation sur la force expéditionnaire conjointe du point de vue de l’armée de terre ? Où en êtes-vous à cet égard ? Ce dispositif fonctionne-t-il ? Si vous me permettez l’expression, où faut-il « mettre le paquet » dans les mois à venir ?

Une question sur votre nouveau modèle d’armée, dont je salue à la fois la démarche et le contenu : dans quelle mesure avez-vous travaillé à l’articulation entre forces conventionnelles et forces spéciales ? Je sais que vos équipes y ont beaucoup réfléchi ces derniers mois, sachant que cette meilleure articulation vaut pour les théâtres extérieurs comme pour le théâtre national.

Général Jean-Pierre Bosser. Je vais déjà répondre à la question la plus sensible, dont je ne souhaite pas qu’elle devienne polémique. Je n’ai pas dit que la présence de soldat de confession musulmane posait un problème. Je constate que de jeunes soldats nous ont posé un certain nombre de questions relatives à l’exercice de leur religion, parfois d’ordre pratique, en lien avec la réalisation de leur mission.

Je veux souligner que ce point ne constitue en aucun cas une difficulté opérationnelle. À cet égard je ne voudrais pas que mes propos soient déformés. Pour la première fois, nous avons utilisé de façon opérationnelle nos aumôniers musulmans. Ils sont allés fournir des réponses à ces jeunes qui posaient des questions à leur commandement de contact. À cette occasion, je me suis rendu compte que la culture religieuse de nos jeunes soldats, y compris ceux de confession musulmane était dans l’ensemble réduite. Ils sont donc confrontés à des questions qu’ils ne s’étaient probablement jamais posées, ou du moins que d’autres leur posent.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avons vu ces jeunes sur le terrain. Je peux témoigner que, en votre compagnie mon général, nous sommes allés à la rencontre de soldats déployés dans le cadre de Sentinelle dans le nord de Paris, dans un lieu de prière israélite. Les jeunes soldats qui se reposaient pendant que leurs camarades gardaient le site étaient dans la bibliothèque. Là, au milieu d’ouvrages relatifs à la culture et la religion juives, l’un d’entre eux lisait un livre sur la religion musulmane. C’était assez étonnant dans un tel lieu de culte, mais ce jeune soldat était présent et recevait, comme ses camarades, un accueil chaleureux de la part des responsables de ce lieu de prière. Je comprends les questions de ces jeunes, et l’important est d’y répondre, notamment par le biais des aumôniers aux armées musulmans.

Général Jean-Pierre Bosser. Sur les effectifs et, plus précisément, sur Sentinelle, nous avons deux options : soit on déploie des soldats aptes, au sens combattant du terme, à utiliser leur arme afin d’arrêter un futur Amedy Coulibaly ; soit on déploie plus généralement des militaires. Mais, dans ce cas, on n’aura plus des sentinelles mais des plantons, c’est-à-dire des personnes qui, au quotidien, n’auraient pas la même capacité à utiliser leur arme face à des individus déterminés. Il s’agit d’un choix. Celui que je défends est d’avoir un bon dispositif de protection et de défense. Mon chiffre opérationnel de référence est celui de la force opérationnelle terrestre : 66 000 hommes. Pour tenir Sentinelle dans la durée, il me faut 11 000 hommes de plus pour une force opérationnelle à 77 000 hommes. C’est ce qui est retenu dans les travaux prospectifs au niveau du cabinet du ministre de la Défense.

M. Serge Grouard. Je vous remercie pour cette précision mais je pose à nouveau ma question : aujourd’hui, combien y a-t-il de militaires et de civils dans les rangs de l’armée de terre par rapport à l’objectif des 100 000 hommes à l’horizon 2020.

Général Jean-Pierre Bosser. Pour répondre à cette question, nous devons rentrer dans des arguties de périmètre. L’armée de terre recrute, forme et gère la carrière de 113 000 militaires. J’ajoute que 8 500 personnels civils travaillent à son service. Les 100 000 hommes et femmes que j’ai évoqués sont ceux qui, relevant de l’armée de terre, produisent de la « capacité opérationnelle terrestre », en y incluant les ressources humaines et la maintenance. Vous savez que dans le cadre de la réforme précédente, 45 000 hommes ont quitté les rangs de l’armée de terre soit par suppression de leurs postes soit par transfert dans le domaine du soutien. Ils portent certes une tenue de terrien, mais ne sont pas comptabilisés dans l’armée de terre stricto sensu Aujourd’hui vous devez envisager l’armée de terre sous différents angles : ceux qui portent un uniforme de terrien et qui servent en dehors de l’armée de terre, et ceux qui portant cet uniforme, y servent et sont au centre de son action opérationnelle. Si je vous donne le nombre de personnels terre, soutien compris, il ne correspondra pas à la réalité et au besoin d’efficacité « opérationnelle » tel que je l’ai construit autour du modèle. C’est pourquoi je m’en tiens au chiffre correspondant au modèle construit en septembre avec un seuil critique à 100 000 hommes, porté à environ 110 000 hommes si nous devons tenir Sentinelle dans la durée. Si je dois vous fournir tous les chiffres, je dois vous indiquer l’ensemble des périmètres correspondants sinon cela n’a pas beaucoup de sens.

M. Serge Grouard. Et à périmètre constant ? 100 000 hommes c’est un objectif, ce n’est pas la réalité d’aujourd’hui. Or c’est ce que je souhaite savoir. Peut-être me faut-il additionner 66 000 et 45 000…

Général Jean-Pierre Bosser. 100 000 ne constituent pas un objectif à l’horizon 2020 mais bien une réalité comptable à l’heure où je vous parle.

M. Serge Grouard. Nous sommes donc en deçà des 100 000 hommes.

M. Yves Fromion. On n’y comprend plus rien ! Pourriez-vous nous fournir des éléments Mon général ?

Général Jean-Pierre Bosser. Vous avez raison monsieur Grouard, nous sommes pour être très précis juste en dessous des 100 000, à savoir 96 500 dont 88 000 militaires dans l’armée de terre telle que je la conçois dans le modèle, c’est-à-dire celle qui se compose de la force opérationnelle terrestre, à 66 000, de la direction des ressources humaines et du service de la maintenance. Si vous avez besoin d’autres chiffres, je vous les transmettrai et vous choisirez ensuite celui qui vous permet de démontrer ce que vous cherchez à démontrer…(sourires)

M. Yves Fromion. Nous ne sommes pas pervers Mon général ! (sourires)

M. Serge Grouard. Nous souhaitons juste des éléments précis.

Mme la présidente Patricia Adam. Nos collègues sont simplement politiques, pas pervers… (sourires)

Général Jean-Pierre Bosser. Le coût de Sentinelle est d’un million d’euros par jour.

J’en viens à l’articulation entre forces conventionnelles et forces spéciales. Dans le cadre du nouveau modèle, j’identifie un pilier dédié aux forces spéciales. Il s’agit d’un vrai choix, qui décrit mieux une armée de terre avec, d’une part, une capacité affichée en organisation de forces spéciales et, d’autre part, une capacité affichée en forces « classiques ». Par le passé, les deux étaient mélangées. J’ai l’intention de renforcer ce pilier forces spéciales avec un groupement d’appui aux forces spéciales. Ce groupement ira puiser dans les forces conventionnelles les savoir-faire dont les forces spéciales pourraient avoir besoin : démineurs, chiens, observateurs dans la profondeur, etc.

Comme je vous, je prône une complémentarité plus importante entre ces deux forces. J’estime que bon nombre d’actions peuvent être menées par les forces conventionnelles – des actions simples comme des embuscades ou des patrouilles sur zone pour imposer à l’ennemi de modifier ses itinéraires –, en laissant aux forces spéciales l’action finale lorsqu’elle requiert des savoir-faire très spécifiques de jour comme de nuit, par hélicoptère, etc. Les deux espaces se nourrissent l’un l’autre : les forces conventionnelles sont le vivier des forces spéciales. C’est vrai pour toutes les spécialités, comme les pilotes d’hélicoptère par exemple.

Je souhaiterais dire un mot sur les risques psychosociaux et la gestion du stress post-traumatique. Le sas qui a été fermé à Chypre et qui est temporairement ouvert au Sénégal sera maintenu, sur un lieu qui reste à définir. Nous maintenons le sas, dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est indispensable au retour d’opération. Nous venons aussi de conclure une convention avec l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). En effet, nous nous sommes aperçus que nous suivons très bien nos soldats tant qu’ils restent au sein de l’institution, nous en perdons la trace lorsqu’il la quitte. Nous organisons donc un relais territorial avec l’ONACVG, à qui nous souhaiterions transmettre les dossiers en particulier de nos blessés pour qu’ils soient en contact avec une personne leur permettant de garder un lien avec la Défense. Vous savez également l’action que mène le ministre pour la médaille des blessés, ce qui est extrêmement important en termes de reconnaissance.

Par ailleurs, nous menons des actions très efficaces grâce à la guérison par le sport. Certains de nos blessés rentrent des États-Unis où ils ont participé à une compétition organisée par les marines et où ils ont remporté de nombreuses médailles. Ils ont également participé aux Invictus Games en Grande-Bretagne. Je souhaiterais prolonger cette guérison par le sport par une guérison par l’emploi. À ce titre, je noue des relations avec Renault Trucks Defense et Michelin, entreprises dont je salue l’engagement à nos côtés et qui se proposent de recruter des soldats blessés en opérations et victimes de blessures invisibles.

M. Audibert-Troin m’a interrogé sur la participation de l’armée de terre aux mesures dites « de réassurance » à l’est de l’Europe, mises en œuvre notamment en Pologne, sur fond d’affrontements en Ukraine. Rien n’est arrêté aujourd’hui pour les opérations prévues en Pologne avant ou après l’été prochain : les discussions sont en cours.

M. Olivier Audibert-Troin. Disposez-vous d’une première évaluation des surcoûts liés aux OPEX au titre de l’exercice 2015 ? Leur montant pourrait jouer sur les équilibres de la loi de programmation militaire qui doit être actualisée dans les prochaines semaines.

Général Jean-Pierre Bosser. Je n’ai pas d’informations précises et actualisées sur ce point, qui relève de la compétence de l’état-major des armées.

M. Yves Fromion. Vous avez évoqué les initiatives prises en vue d’améliorer les conditions de délivrance de la médaille des blessés. Nous nous félicitons tous de ces initiatives, mais je tiens à préciser qu’elles ont été prises non par le ministre de la Défense, mais par les parlementaires. Or, comme c’est trop souvent le cas, le ministère tarde à donner à ces initiatives législatives les suites réglementaires attendues.

Mme la présidente Patricia Adam. Je tiens à signaler à la commission que j’ai récemment attiré l’attention du ministre de la Défense sur ce point.

Général Jean-Pierre Bosser. Le décret d’application de la loi est en cours d’élaboration.

M. le général Didier Brousse, sous-chef « opérations » de l’état-major de l’armée de terre. Concernant la mise en place de la force expéditionnaire franco-britannique prévue par les traités de Lancaster House, il convient de souligner que les exercices conjoints que nous menons régulièrement nous ont d’ores et déjà permis de faire des progrès, notamment en matière d’interopérabilité. Nous menons régulièrement des exercices, à tous les niveaux : brigade, division, etc. Les circonstances nous imposent, pour l’heure, de revoir le format de notre participation aux exercices prévus dans les mois à venir, sans qu’il soit pour autant toujours nécessaire de les annuler. Ainsi, par exemple, l’exercice Griffin Strike prévu en juin n’est pas annulé, mais alors qu’il devait être mené « avec troupes », nous proposons de le transformer en exercice d’état-major, visant à améliorer l’interopérabilité de nos forces au niveau du commandement.

M. Daniel Boisserie. J’ai trouvé très rassurante votre réponse à la question de notre collègue Serge Grouard. Ne faisons pas de cette question un objet de crispation idéologique.

Vous avez souligné que notre armée de terre est la mieux équipée d’Europe : sortir de temps en temps des postures d’auto-flagellation fait parfois du bien !

On parle de difficultés de fonctionnement des bases de défense. Quelles informations pouvez-vous nous donner à ce sujet ?

M. Jean-Michel Villaumé. Quelles seront les orientations de votre nouveau modèle d’armée concernant le dispositif de formation des personnels de l’armée de terre ?

M. Philippe Meunier. Il est surprenant de vous entendre faire état de difficultés que poserait l’appartenance confessionnelle d’un soldat dans l’accomplissement d’une mission qui lui est impartie... Vous nous avez expliqué que vous avez dû mobiliser les aumôniers militaires musulmans pour éclairer ces personnels sur leurs devoirs. Voilà qui très inquiétant. Quelles conséquences en tirez-vous en matière de recrutement ? Il faut à tout le moins s’assurer que les jeunes qui s’engagent comprennent bien que c’est la mission qui prime.

Général Jean-Pierre Bosser. Sans préjuger de ce que prévoira, dans le détail, le nouveau modèle d’armée que je vais présenter prochainement au ministre de la Défense, je peux vous dire que je propose de rapprocher les écoles d’application et les forces – c’est-à-dire, en quelque sorte, de rapprocher le formateur de l’employeur. Il faut distinguer trois aspects de notre système de formation : la formation professionnelle, la formation opérationnelle, et le continuum de formation. Aujourd’hui, ces trois aspects du système de formation sont pilotés directement par les services chargés des ressources humaines. Mon objectif consiste à rapprocher la formation professionnelle et la formation opérationnelle des forces, les services chargés des ressources humaines restant compétents pour établir une sorte de guide du continuum de formation. Mais en tout état de cause, il s’agit de créer des liens organiques entre les écoles et les unités, et non de transférer des écoles d’un site à un autre.

S’agissant des bases de défense, mon sentiment général est que leur fonctionnement est en bonne voie d’amélioration. Il reste certes des difficultés, par exemple en matière d’infrastructures, mais le modèle général des bases de défense fonctionne. Je plaide en faveur d’une attribution aussi souvent que possible du commandement des bases de défense aux commandants des brigades ou de grandes unités. Ce système de « double casquette » fonctionne bien car il améliore la cohérence du système et fluide le dialogue soutenant-soutenu

Vous revenez, monsieur Meunier, sur le fait qu’une partie des soldats chargés de la protection de lieux de culte israélites dans le cadre de l’opération Sentinelle est de confession musulmane. Je tiens à souligner qu’avant tout, il faut respecter la démarche d’engagement volontaire de ces jeunes et que nous ne pratiquons aucune discrimination dans la sélection de nos engagés, tous faisant l’objet du même contrôle élémentaire. Lors d’opérations extérieures dans des pays majoritairement musulmans, comme l’Afghanistan ou le Mali, tous nos soldats ont été très courageux et tous ont défendu la France avec le même sens du devoir.

Si, à l’occasion de la mission Sentinelle, certains de ces soldats nous ont posé des questions, j’estime qu’il nous revient de leur apporter une réponse, ne serait-ce que pour qu’ils n’aillent pas la chercher ailleurs… Il est tout à fait normal et vertueux dans une organisation comme la nôtre qu’ils se tournent en premier lieu vers le commandement. Mais une fois encore, je veux dissiper tout malentendu. Nos jeunes servent bien nos armées.

M. Philippe Meunier. Je ne visais bien sûr aucune religion en particulier ; ma question portait sur les conditions de recrutement. Les institutions de la République fonctionnent suivant des principes fondamentaux qui s’imposent à toutes les religions. Il faut dès lors faire respecter ces principes, et traiter à leur lumière les problèmes qui se posent.

Général Jean-Pierre Bosser. Dans mes anciennes responsabilités de directeur de la protection et de la sécurité de la Défense, j’ai toujours veillé à l’égalité de traitement des dossiers des personnes souhaitant s’engager dans nos armées. Lorsqu’un individu présente un risque en matière de sécurité, il est écarté et signalé aux services de sécurité intérieure, quelle que soit son origine.

M. Philippe Meunier. Le problème que je soulève n’est pas celui du terrorisme : il s’agit de s’assurer que les jeunes recrues ne fassent pas passer le service des armées après quelques contingences personnelles.

Mme la présidente Patricia Adam. Cher collègue, je crois utile de souligner que les soldats dont vous parlez sont très jeunes : 18 à 22 ans. Ce ne sont pas des personnes plus mûres, plus avancées dans l’évolution de leurs réflexions personnelles. Il n’y a rien d’étonnant à ce que des jeunes soient marqués par les questions qui traversent la société aujourd’hui.

Je crois qu’avant tout, il faut saluer leur engagement. Ensuite, nous le vérifions à chacun de nos déplacements : en OPEX, y compris dans des pays musulmans, tous ces jeunes remplissent leur mission sans se poser de question. Enfin, si c’est au sein des armées qu’ils trouvent des réponses aux légitimes questions que des jeunes de leur âge peuvent se poser, tant mieux ! Dans le cadre des armées, que ce soit auprès du commandement ou des aumôniers militaires, on leur rappellera toujours le respect qu’ils doivent aux valeurs de la République, y compris la laïcité. Notre commission a déjà reçu l’ensemble des aumôniers militaires, et a pu apprécier la richesse que leurs regards croisés apportent dans la réflexion sur des sujets très divers. De même, lorsque nous nous sommes déplacés auprès des soldats de l’opération Sentinelle, nous avons pu constater que les jeunes soldats se sont exprimés, que des réponses leur ont été apportées, et que nos soldats effectuent leur mission avec tout le sens du service que l’on attend d’eux.

M. Yves Fromion. Combien l’armée de terre compte-t-elle de régiments, ou de formations assimilées ?

Général Jean-Pierre Bosser. Soixante-dix-neuf.

La séance est levée à dix-heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Daniel Boisserie, M. Malek Boutih, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. Bernard Deflesselles, M. Guy Delcourt, M. Yves Fromion, M. Serge Grouard, M. Patrick Labaune, M. Jacques Lamblin, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Nathalie Nieson, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André, M. Patrice Verchère, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Sylvain Berrios, M. Philippe Briand, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, M. Lucien Degauchy, M. Yves Foulon, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. François Lamy, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Maurice Leroy, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Alain Rousset

Assistait également à la réunion. M. Philippe Meunier