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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 15 avril 2015

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 55

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition du général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air.

La séance est ouverte à neuf heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous sommes très heureux de vous accueillir, général. Nous avons entendu récemment les chefs d’état-major des deux autres armées. Aussi votre audition était-elle attendue.

Nous avons appris qu’un sergent de l’armée de l’air avait été agressé vendredi dernier à Orly. Nous espérons qu’il se rétablira rapidement. Avez-vous de ses nouvelles ?

Général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air. Ce sergent servait dans le cadre de l’opération Vigipirate. Il a été agressé alors qu’il se trouvait dans les toilettes, éloigné de son groupe, par un individu muni d’un couteau. Celui-ci l’a jeté à terre et a commencé à le frapper. Le sergent a eu un bon réflexe : il s’est retourné et a armé son arme sans tirer, ce qui a fait fuir son agresseur, lequel n’a pas été retrouvé. Il a fait preuve de beaucoup de sang-froid. Il va bien.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous voilà rassurés sur son état de santé, mais nous sommes inquiets que de tels actes se produisent.

Général Denis Mercier. Cet épisode rassure aussi sur le sang-froid de nos soldats.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous félicite, général, pour votre nomination au poste de commandant suprême allié chargé de la transformation – Supreme Allied Commander Transformation (SACT) – au sein de l’OTAN. Connaissant vos qualités de chef et l’acuité de votre réflexion, notamment sur l’organisation de nos armées, je suis sûre que vous ferez en sorte que la France soit particulièrement appréciée au sein de l’Alliance, en continuant le travail engagé par vos prédécesseurs.

Général Denis Mercier. Merci, madame la présidente. Je suis heureux de pouvoir partager une nouvelle fois avec votre commission la satisfaction qui est la mienne d’être à la tête d’aviateurs qui démontrent leur professionnalisme partout où ils sont engagés, sur le territoire national comme en opérations extérieures (OPEX), et qui continuent d’assurer pleinement toutes les missions qui leur sont confiées, dans ces temps où l’armée de l’air se modernise.

Depuis ma dernière audition devant vous il y a six mois, l’engagement opérationnel de l’armée de l’air s’est encore renforcé. Il est aujourd’hui supérieur à ce qui est prévu dans ses contrats opérationnels, dans de nombreux domaines et dans la durée. L’armée de l’air assure sans discontinuer ses missions permanentes sur le territoire national – on a tendance à les oublier. Depuis le début de l’année, dans le cadre des missions de sauvegarde, elle a mené douze opérations héliportées, qui ont permis de sauver dix vies.

L’alerte de sûreté aérienne concerne aujourd’hui en permanence sur notre territoire, je le rappelle, huit avions de chasse, cinq hélicoptères, quatre centres de détection et de contrôle, neuf bases aériennes, un AWACS – Airborne Warning and Control System ou système de détection et de commandement aéroporté –, un avion ravitailleur, sans oublier les systèmes de défense sol-air et les systèmes de détection et de contrôle tactiques. Au cours des trois premiers mois de l’année, nous avons procédé à 231 décollages sur alerte pour la protection du territoire national, 55 d’hélicoptères et 176 d’avions de chasse, dont deux – je le souligne – pour l’interception de bombardiers russes entrés en Manche.

La capacité de mobilisation instantanée de l’armée de l’air sur le territoire national est au cœur de ses missions permanentes. La mission de dissuasion, en particulier, nécessite une forte permanence de notre personnel. Chaque jour, près de 4 000 aviateurs – 3 800 relevant du budget opérationnel de programme « Air » et 200 hors des structures de l’armée de l’air – sont impliqués dans les missions intérieures, qui sont, entre autres : la posture permanente de sûreté (PPS) ; la neutralisation et la destruction des engins explosifs (NEDEX) ; la recherche et le sauvetage – Search and Rescue (SAR) – ; la protection nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) ; le plan Vigipirate. Au titre de celui-ci, des aviateurs patrouillent régulièrement à Orly, ainsi que nous venons de le mentionner, mais aussi à Bordeaux et à Toulouse. Quatre mille aviateurs : tel est, depuis longtemps, le niveau de notre engagement en métropole.

S’y ajoutent 500 aviateurs relevant des forces de souveraineté qui sont engagés en permanence dans des dispositifs tels que Harpie – contre l’orpaillage clandestin – et Titan – pour la protection du centre spatial – en Guyane, ainsi que les aviateurs en alerte pour assurer les missions de transport d’urgence, notamment les évacuations sanitaires de nos militaires blessés. Nous assurons ainsi une ou deux missions d’évacuation par semaine, chacun de nos militaires ayant la garantie, où qu’il se trouve dans le monde et quelle que soit son armée, d’être rapatrié en toute sécurité dans un hôpital parisien en moins de vingt-quatre heures.

Protéger la France, c’est aussi agir en amont loin de nos frontières. La problématique terroriste se traite à la source, et c’est tout le sens de l’engagement de l’armée de l’air dans les OPEX, notamment Barkhane dans la bande saharo-sahélienne et Chammal en Irak. Même si ce n’est pas le seul indicateur de notre activité opérationnelle, le nombre de munitions tirées par les appareils de l’armée de l’air dans la bande saharo-sahélienne et en Irak est révélateur de l’intensité des missions. S’y ajoutent les missions effectuées par nos camarades de la marine en Irak. Depuis notre dernière rencontre, nous avons procédé en un temps record à un déploiement sur la base H5 en Jordanie. Ce positionnement des Mirage 2000D au plus près du théâtre irakien nous offre encore plus de réactivité.

Dans ces missions, l’armée de l’air met en œuvre la totalité de ses capacités : frappes aériennes, forces spéciales, ravitaillement en vol, transport tactique et stratégique, renseignement, hélicoptères, commandement et conduite des opérations. C’est une source de satisfaction. La manière dont s’effectuent le commandement et la conduite des opérations montre bien que l’armée de l’air inscrit son action dans un continuum entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. Pour la partie aérienne, toutes les opérations effectuées sous commandement français sont planifiées et commandés depuis le Centre national des opérations aériennes (CNOA) de Lyon. Celui-ci assure non seulement la PPS, mais aussi, sous différents commandements interarmées, la planification, le commandement et le contrôle opérationnel de tous les moyens aériens engagés notamment en Afrique, ce qui nous permet de mutualiser véritablement les moyens humains et matériels, tout en étant beaucoup plus réactifs.

Cet engagement est un défi permanent : rarement l’armée de l’air s’est déployée sur autant de sites et a coordonné son action sur des espaces aussi vastes. La bande saharo-sahélienne est, je le rappelle, plus étendue que l’Europe : les Rafale qui décollent chaque jour de N’Djamena pour se rendre au nord du Mali puis revenir à leur point de départ parcourent la même distance que s’ils effectuaient un aller-retour entre Istanbul et la Belgique. Compte tenu de la multiplicité des théâtres sur lesquels nos aviateurs interviennent, nous dépassons aujourd’hui le cadre des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013. Pour le neuvième mois consécutif, nous serons au-delà des volumes prévus dans la situation opérationnelle de référence du Livre blanc.

Ces opérations plus nombreuses sur des sites multiples impliquent la mobilisation d’autant de spécialistes du commandement et de la conduite des opérations, des systèmes d’information et de communication, de la protection, de l’appui au déploiement, sans oublier l’indispensable personnel de soutien. Nous sommes fiers de cet engagement opérationnel, mais force est de constater qu’il est associé à une surconsommation du potentiel technique et humain.

Du point de vue technique, nous faisons face à deux problèmes : une suractivité et une surintensité. La suractivité représente l’activité réalisée au-delà de celle qui a été programmée et budgétée. Ainsi, l’activité de la flotte de chasse en OPEX passerait, selon nos prévisions, de 6 500 heures de vol en 2014 à près de 12 000 heures en 2015, soit un doublement. Une grande partie de cette activité est régénérable, mais à condition d’être prise en charge financièrement. Nous demandons que, sur ces 12 000 heures, 4 000 soient couvertes par le décret d’avance relatif aux OPEX. Le reste est déjà couvert par les heures de vols qui avaient été budgétées pour l’activité normale de nos pilotes.

Sur certaines flottes anciennes – je pense notamment aux C160 et aux ravitailleurs C135 –, nous ne pouvons pas générer une activité suffisante pour honorer tous nos contrats opérationnels. Nous transférons donc pratiquement toute l’activité sur les OPEX, ce qui pose un problème de « vases communicants » : c’est l’entraînement quotidien, notamment celui de nos jeunes équipages en métropole, qui en fait les frais.

Quant à la surintensité, elle correspond à une usure prématurée des matériels, à une surconsommation de munition, etc. Par exemple, les hélicoptères et les moteurs des C130 utilisés dans la bande saharo-sahélienne vieillissent prématurément à cause du sable.

Du point de vue humain, le tempo opérationnel soutenu a un impact fort sur notre personnel. Ainsi, 30 % du personnel sur Mirage 2000D est projeté en opérations en permanence. Pour une grande partie de nos spécialités, la norme est devenue deux à trois détachements par an, soit plus de six mois sur douze en OPEX, ce qui n’est pas sans poser des problèmes.

Les exigences de nos engagements actuels sollicitent également de nombreuses unités sans doute moins visibles, mais dont le savoir-faire est indispensable à la conduite de nos opérations. Je pense notamment au Groupement aérien d’appui aux opérations (GAAO), qui a refait en un mois toutes les installations de la base jordanienne, construisant notamment six abris pour nos avions, un hangar de maintenance et un dépôt de munitions aux normes européennes. Une partie de ces hommes hautement qualifiés et très compétents étaient arrivés directement de Bamako, sans repasser par chez eux. De même, les spécialistes du Groupement tactique des systèmes d’information et de communication (GTSIC), qui ont été capables d’établir en un temps record des liaisons de données entre nos avions, nos drones et les centres de Lyon et de N’Djamena, passent pour certains entre 200 et 250 jours par an hors de leurs foyers. Je pense aussi au 25e régiment du génie de l’air, qui a refait récemment la piste de Madama, au nord du Niger.

Quand ils reviennent d’OPEX, beaucoup de ces aviateurs, notamment ceux des unités combattantes, ne rentrent pas chez eux : ils rejoignent les bases aériennes pour assurer la défense du territoire national, au titre de la PPS ou de la dissuasion nucléaire. Je rappelle à ce titre la polyvalence extraordinaire de nos équipages de Rafale : ainsi, ceux qui assurent la posture de dissuasion participent aussi à la permanence opérationnelle dans le cadre de la PPS, et sont déployés en Afrique et en Irak pour des missions de bombardement ou de reconnaissance. Sans cette polyvalence, nous ne serions pas capables de tenir cet engagement dans la durée.

Telle est la réalité que nous vivons depuis longtemps et que nos camarades de l’armée de terre découvrent aujourd’hui. Nous partageons avec eux les organisations que nous avons mises en place pour y faire face.

Le spectre des missions des aviateurs est toujours plus étendu, y compris en métropole. Par exemple, à la suite de l’accident de l’Airbus A320 dans les Alpes, nous avons mis en place une bulle de protection avec nos avions de combat et nos hélicoptères, et déployé un AWACS qui a assuré pendant plusieurs jours la coordination de tout ce qui volait dans l’espace aérien au-dessus de la zone de l’accident.

Cet engagement supérieur à ce qui est prévu dans les contrats opérationnels, conjugué au défi de la durée, a des conséquences opérationnelles importantes. Certains savoir-faire opérationnels sont fragilisés.

Ma priorité, aujourd’hui, c’est la régénération, notamment la préparation des jeunes équipages. Car c’est avant tout leur activité qui est affectée, notamment lorsqu’ils servent sur des flottes anciennes qui ont des problèmes de disponibilité : les jeunes pilotes de transport ne volent plus que 150 heures par an au lieu de 400, ceux des ravitailleurs C135 seulement 120.

Nous rencontrons moins de problèmes pour nos jeunes équipages de chasse, notamment parce que la disponibilité des Rafale – je tiens à le souligner – n’a jamais été aussi bonne : elle atteint régulièrement le niveau que nous souhaitions, tout en diminuant le coût à l’heure de vol. J’ai effectué un vol sur Rafale la semaine dernière, et il y avait trente Rafale disponibles sur le parking, autorisant un entraînement de grande ampleur qualitative et quantitative pour nos équipages. Cette situation est le fruit non pas du hasard, mais de gros efforts que nous avons consentis. Nous ne pouvons pas faire la même chose avec nos flottes anciennes.

Par ailleurs, je me félicite des grands contrats conclus à l’export. Ils étaient nécessaires : la LPM, je le rappelle, était construite sur cette hypothèse. Ces contrats sont bénéfiques car ils permettront de sécuriser les modèles d’armées définis par le Libre blanc. C’est en même temps une vraie reconnaissance de la qualité du matériel que nous utilisons en opérations – je la confirme devant vous – et de la performance de notre industrie de défense.

Cependant, ce soutien aux exportations vient s’ajouter à nos contrats opérationnels : il nous donne des charges supplémentaires, en particulier en matière de formation. Nous fournirons cet effort, mais nous devons nous assurer qu’il sera compensé afin de garantir la modernisation de nos forces telle qu’elle est prévue par la LPM, ainsi que la remontée de l’activité opérationnelle et la montée en puissance de notre deuxième escadron de Rafale à vocation nucléaire, qui doit être opérationnel en 2018, ainsi que le Président de la République l’a réaffirmé à Istres.

Dans ce contexte, nous mettons en place des solutions palliatives. Nous nous efforçons notamment de répartir la charge sur la totalité de l’armée de l’air pour tenir dans la durée. Par exemple, nous étudions l’utilisation de Mirage 2000C et 2000N en OPEX afin d’alléger la charge des escadrons de Mirage 2000D. Nous ferons ainsi voler des patrouilles composées de Mirage 2000D – qui disposent d’un pod permettant de guider les bombes – et de Mirage 2000C ou 2000N – qui ne peuvent pas emporter de pod, mais peuvent larguer des bombes.

Je dis tout cela sans me plaindre : ce n’est nullement mon propos. Les aviateurs assument l’ensemble de ces missions avec un sens remarquable de l’engagement. Mais, dans ce contexte opérationnel très dense, il importe plus que jamais – tel est l’objet du message que je vous adresse – de poursuivre le plan stratégique que nous avons engagé depuis trois ans dans l’armée de l’air : il permettra d’inscrire toutes ces actions dans la durée, en faisant autrement.

Baptisé « Unis pour faire face » et lancé en 2013, ce plan stratégique a connu plusieurs phases. Il est décliné aujourd’hui en une quarantaine de projets concrets, suivis chacun par un directeur de projet. Avec cette troisième année de mise en œuvre, nous entrons dans sa phase de consolidation, qui doit nous amener jusqu’en 2020 et, surtout, nous permettre de préparer l’avenir au-delà de cette date. Nous avons organisé cette démarche volontariste autour de quatre axes d’efforts : la simplification des structures, la modernisation des capacités et de la préparation opérationnelle, le développement de nouveaux partenariats et la valorisation de nos aviateurs – ce dernier axe n’étant pas le moindre.

La mise en œuvre du premier axe, la simplification des structures, a largement débuté. Les deux commandements organiques de l’armée de l’air – le commandement des forces aériennes (CFA) et le commandement du soutien des forces aériennes (CSFA) – ont fusionné en 2014 en un seul, qui sera chargé de la préparation de toutes les forces. Dès l’été prochain, le « CFA 2015 » s’installera sur la base de Bordeaux-Mérignac, qui abrite déjà le pôle conduite de la SIMMAD – structure intégrée de maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels aéronautiques du ministère de la Défense. Cette colocalisation permettra d’optimiser le MCO des matériels en tenant compte de l’activité des forces. Tel est mon leitmotiv : nous devons faire « coller » la disponibilité de nos appareils à notre activité, le critère de la seule disponibilité n’étant pas pertinent. La remontée de l’activité opérationnelle constitue, je le rappelle, une de mes principales priorités.

Sur trois bases aériennes majeures, Nancy, Istres et Avord, nous avons lancé, dès l’été 2014, un nouveau modèle d’organisation intitulé « base aérienne XXI » – pour XXIsiècle. Il s’agit de donner aux commandants de bases les moyens d’exécuter les missions intérieures et extérieures à partir de leur base avec une grande réactivité et en prenant en compte l’interarmisation du soutien.

Jusque dans les années 1990, les bases aériennes étaient organisées de telle façon que les commandants puissent faire la guerre depuis leur base, en totale autonomie. Puis, avec la fin de la Guerre froide, nous avons commencé à exécuter des missions à l’étranger – en Irak, en Bosnie-Herzégovine – à partir de terrains extérieurs. Ainsi, nous n’opérions plus à partir de nos propres bases, hormis pour les missions de PPS et dissuasion. Nous avons pris cet élément en compte dans la structure des bases en supprimant les escadres. Cependant, avec l’amélioration des capacités, et compte tenu du niveau de réactivité désormais exigé de nous, notamment pour les dernières opérations, nous effectuons de nouveau un nombre croissant de missions depuis nos bases aériennes situées en métropole. Nous réorganisons donc ces bases en recréant des escadres et en réinstallant de petits dépôts de munitions, de telle sorte que les commandants puissent exercer leurs responsabilités en subsidiarité depuis leur base, pour les missions extérieures comme pour les missions intérieures.

Rappelons que les premières missions en Libye et au Mali ont été conduites depuis nos bases aériennes en métropole, et que celles des Rafale au-dessus de l’Irak le sont en grande partie depuis notre base d’Abou Dabi. De même, les AWACS qui réalisent des missions au large de l’Ukraine décollent de la base d’Avord et y reviennent. Quant aux A400M, nous ne les prépositionnerons pas : ils effectueront toutes leurs missions depuis la base d’Orléans. La base aérienne est aujourd’hui un système de combat à part entière, y compris pour les opérations extérieures.

Les premiers retours des trois bases aériennes qui sont passées dans le nouveau système sont très positifs. Les escadrons de la base de Nancy nous indiquent que cette réorganisation les a beaucoup déchargés et qu’elle leur a donné de la sérénité dans leur déploiement. Sur la base d’Istres, la disponibilité de nos tankers (disponibles hors niveau de soutien industriel) a augmenté grâce à la recréation de l’escadre. Ces résultats nous encouragent à continuer. En 2015, nous aurons étendu le modèle « base aérienne XXI » à la quasi-totalité des bases de l’armée de l’air.

Deuxième axe : la modernisation de nos capacités. L’escadron « Touraine », premier escadron de transport équipé d’A400M Atlas, continue à recevoir des appareils. Il dispose aujourd’hui de six avions, le septième devant arriver d’ici deux ou trois semaines. Cette modernisation permet, en parallèle, de simplifier le réseau des bases de transport. En 2016, nous ne disposerons plus que de deux grands pôles de transport : le pôle A400M et opérations spéciales à Orléans et le pôle cargo léger et moyen à Évreux, où nous allons transférer les CASA actuellement basés à Creil. Ce regroupement de spécialistes de la maintenance aéronautique au sein d’un escadron de soutien unique sur la base d’Évreux optimisera des compétences qui se raréfient.

L’A400M, je le répète, est un avion bien né. Aujourd’hui, il représente déjà un atout pour nos missions logistiques. Ma principale priorité concernant cette flotte est désormais l’arrivée des capacités tactiques, en particulier d’autoprotection, qui était prévue pour 2015, mais qui a pris du retard. Je suis aussi très attentivement la modernisation des C130. Celle-ci est double. Elle est, d’une part, d’ordre réglementaire : il faut donner à ces avions anciens la possibilité de s’inscrire dans la circulation aérienne générale, compte tenu des nouvelles normes. Elle est, d’autre part, opérationnelle : ces appareils doivent continuer à répondre aux besoins des forces spéciales dans les meilleures conditions.

Nous continuons à réceptionner des Rafale. Cette année, nous n’en recevrons qu’un seul au lieu de sept, car six seront prélevés au profit de l’Égypte. Nous l’avons accepté, bien sûr, car il était nécessaire d’aider l’export. Cependant, pour l’avoir vu avec l’industriel, nous savons que celui-ci a la capacité de nous « rembourser » ces six appareils avant la fin de la LPM : trois en 2017, trois en 2018. Puisque c’est possible, il faut le faire, d’autant que ces avions ont été presque intégralement financés.

D’autre part, nous manquons encore de visibilité en ce qui concerne le contrat passé avec l’Inde. Ceci ne devrait pas entrer en conflit avec nos propres commandes, mais je reste vigilant sur ce sujet car deux années blanches étaient prévues en ce qui concerne les livraisons de Rafale à notre armée : 2016 et 2017. Elles étaient destinées à l’export. Les objectifs en la matière sont aujourd’hui atteints, grâce aux deux contrats conclus.

Mme la présidente Patricia Adam. Qu’entendez-vous précisément par le terme « rembourser » ?

Général Denis Mercier. Les six Rafale prélevés au profit de l’Égypte font partie des appareils qui devaient nous être livrés au titre de la LPM qui s’achèvera en 2019. Nous savons que Dassault est en mesure, compte tenu de ses capacités industrielles et de ses cadences, de produire six Rafale pour nous en 2017 et 2018, en plus de ceux qui sont prévus à l’export et des autres appareils qui doivent nous être livrés. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation, me l’a confirmé, et nous devons l’établir clairement avec la DGA. On nous doit ces avions, car ils sont inscrits dans la LPM, on est capable de les fabriquer, il n’y a donc aucune raison qu’ils ne nous reviennent pas. Car nous en avons besoin : nous avons un escadron nucléaire à constituer et des contrats opérationnels à honorer.

M. Alain Marty. « Rembourser », cela signifie donc « livrer ».

Général Denis Mercier. En effet, il s’agit de rembourser l’armée de l’air non pas en crédits, mais en avions. Le terme « restituer » serait sans doute plus juste.

Dans ces conditions, la rénovation des Mirage 2000D, qui est prévue dans la LPM, est cruciale pour continuer à garantir le respect des contrats opérationnels, alors que les spécialistes Rafale seront très sollicités par ailleurs. Je le répète : ma cible, pour tenir dans la durée, est bien de 55 Mirage 2000D modernisés.

Concernant les drones Reaper, nous compléterons le premier système avec l’arrivée du troisième appareil, en principe le mois prochain, et nous attendons avant la fin de l’année la commande du deuxième système de trois avions, qui devrait nous être livré en 2016. En outre, le processus d’acquisition des avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) est enclenché. Les drones et les ALSR sont des moyens persistants d’observation qui vont consolider notre capacité de recueil du renseignement, ce qui est indispensable, notamment dans la bande saharo-sahélienne.

Concernant les MRTT – Multi Role Tanker Transport –, après la commande tant souhaitée du premier avion l’an dernier, nous attendons la commande de huit appareils en 2015 et l’avancée dans la LPM de la commande des trois derniers. Enfin, nous recevrons deux AWACS modernisés cette année.

Dans le domaine de la formation et de l’entraînement, nous mettons en œuvre le projet de formation modernisée et d’entraînement différencié des équipages de combat (FOMEDEC), dit également « Cognac 2016 ». Il s’agit non seulement de remplacer nos appareils d’entraînement, mais aussi de mettre en place un entraînement différencié, qui nous permettra de former cinquante pilotes supplémentaires, lesquels nous aideront à tenir nos contrats opérationnels dans la durée. L’entraînement sera de meilleure qualité tout en étant moins coûteux. Ainsi, nous économiserons 110 millions d’euros sur le MCO que nous pourrons réinjecter dans l’activité opérationnelle. Nous attendons le passage au stade de réalisation en 2015, ce qui est essentiel pour relever notre niveau d’activité.

Le plan « CAP 16 » de la SIMMAD vise précisément à remonter le niveau d’activité à budget constant. Rappelons que l’activité est inférieure de 20 % au niveau requis. Le ministre de la Défense nous a accordé une augmentation des crédits d’entretien programmé des matériels (EPM) de 4 % en volume sur la durée de la LPM. En contrepartie, nous nous sommes engagés à faire les efforts nécessaires pour remonter notre activité au niveau souhaité. Cela passe par plusieurs actions, notamment le projet FOMEDEC que je viens d’évoquer et la renégociation des contrats de maintenance par la SIMMAD, au plus près de l’activité, en partenariat avec les industriels. Aujourd’hui, les feux sont au vert : la SIMMAD a déjà identifié près de 450 millions d’euros de gain potentiel sur ces contrats – certains d’entre eux ont déjà fait l’objet d’une nouvelle signature – et nous allons réinjecter cet argent dans notre activité. Notre objectif est d’atteindre un milliard d’euros en fin de LPM en intégrant les résultats du projet « supply chain ». Aujourd’hui, nous sommes confiants dans notre aptitude à remonter notre activité au niveau souhaité dans le cadre de l’enveloppe budgétaire. Moyennant l’effort financier qui a été consenti, nous sommes capables de penser le MCO différemment et de nous organiser en conséquence. Je suis satisfait du travail accompli en la matière, mais nous devons poursuivre nos efforts.

Moderniser, c’est aussi repenser la préparation de l’avenir. À partir du Centre d’expériences aériennes militaires, nous allons créer cette année à Mont-de-Marsan le Centre d’expertise aérienne militaire ou Air Warfare Center (AWC). Il s’agit d’une réforme majeure : elle consiste à rassembler sous un même commandement, qui sera responsable de la satisfaction des forces, tous les acteurs de l’innovation, qu’ils agissent dans le domaine des équipements, de la doctrine ou de la formation. Ce regroupement des expertises en un seul endroit vise à mieux préparer nos forces, à adapter nos capacités aux opérations et à préparer l’avenir. Dans les faits, l’AWC jouera – c’est important de mon point de vue – le rôle d’une véritable courroie de transmission entre les unités de combat, les états-majors et le commandement. L’AWC a vocation à entraîner toute l’armée de l’air dans une dynamique d’innovation nourrie par le retour d’expérience de nos opérations.

La dynamique de partenariat, troisième axe de notre transformation, est lancée. Un Centre d’excellence drone (CED) a été créé à Salon-de-Provence en 2014. Chargé de développer les concepts d’emploi et de définir des programmes de formation, il permet d’agréger les compétences de nombreux acteurs du monde civil et militaire. L’AWC que je viens d’évoquer sera aussi ouvert à l’industrie – nous avons déjà de bons exemples en la matière – et à l’enseignement supérieur. Ces multiples partenariats sont tous placés sous le signe de l’innovation, à l’instar du projet de « smart base » – qui s’inspire du concept de « smart city » ou « ville intelligente » – que nous développons actuellement à Évreux.

Toutes nos capacités offrent également des possibilités de partenariat sur différents aspects tels que la préparation de l’avenir, le soutien, la formation, etc. Je signale notamment les coopérations européennes sur lesquelles nous travaillons : l’élargissement du Commandement du transport aérien européen – European Air Transport Command (EATC) – à l’Espagne puis à l’Italie ; le développement des normes militaires européennes – European Military Airworthiness Requirements (EMAR) ; la création, cet été en Italie, d’un centre européen de formation à la récupération des équipages de combat éjectés ; les questions relatives au Ciel unique européen, etc. Je mentionne également l’intégration de notre défense aérienne au sein du système de défense aérienne et antimissile intégrée de l’OTAN – NATO Integrated Air and Missile Defence System (NATINAMDS) –, évolution majeure qui interviendra dès que le Premier ministre aura signé le dernier document pertinent. Le quatrième axe, la valorisation des aviateurs, est au cœur de nos préoccupations. C’est elle qui guide la politique des ressources humaines (RH) de l’armée de l’air, qui est bien sûr dérivée de celle du ministère de la Défense.

Notre politique RH concerne tous les aviateurs : militaires employés dans l’armée de l’air ou en dehors d’elle, civils employés par l’armée de l’air, volontaires et réservistes. Notre principale capacité, je ne cesse de le rappeler, ce sont nos hommes et nos femmes. Cette politique garantit la cohérence globale entre le format de l’armée de l’air et ses contrats opérationnels. Elle intègre les spécificités qui forgent l’identité de l’aviateur, à commencer par l’organisation en bases aériennes. Elle prend en compte l’intégration des soutiens aux opérations aériennes, ce qui justifie l’emploi de 25 % d’aviateurs hors de l’armée de l’air. Ainsi, nous avons placé beaucoup d’aviateurs au sein de la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI) et de la direction du renseignement militaire (DRM), car notre armée est très dépendante des systèmes d’information et de communication et a des besoins spécifiques en matière de renseignement.

Notre politique RH s’appuie aussi sur la haute technicité du personnel pour l’utilisation de systèmes complexes et interconnectés. Elle adopte une architecture fonctionnelle dictée par les opérations. L’armée de l’air, je le rappelle, est composée d’un corps dual de cadres et d’experts, d’une ossature de sous-officiers spécialistes – nous sommes essentiellement une armée de sous-officiers – et d’une population de militaires du rang, qui constitue un vrai corps d’exécution. Je n’oublie pas, bien sûr, les civils qui sont intégrés aux structures, ni les réservistes, qui agissent en soutien des contrats opérationnels.

Centrée sur l’aviateur et répondant aux impératifs des opérations, notre politique RH se décline en quatre grands principes, tout en étant guidée par un leitmotiv : une gestion personnalisée des compétences et des carrières des aviateurs, ce qui est très différent de ce que nous faisions auparavant.

Premier principe : l’individualisation des compétences. Celle-ci répond d’abord aux exigences de technicité et de normes d’emploi qui sont requises notamment dans le domaine du nucléaire, du commandement et de la conduite, du MCO ou de la navigabilité. Nous avons besoin, dans ces matières, de spécialistes de haut niveau.

Le suivi personnalisé des compétences valorise les spécificités et l’employabilité des aviateurs. Ainsi, nous sommes en train de mettre sur pied, avec le ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, un projet intitulé « diplomation », dont l’ambition est d’offrir à chaque aviateur, quel que soit son métier, la possibilité d’obtenir un diplôme supérieur à celui qu’il détenait lorsqu’il est entré dans l’armée de l’air. Il s’agit de valoriser les compétences qu’il a acquises au cours de sa formation dans l’armée, y compris pendant sa période d’apprentissage en unité, et de lui permettre d’acquérir les compétences qui lui manquent. C’est un projet important, qui répond à une demande forte de notre personnel.

Deuxième principe : une progression professionnelle beaucoup plus dynamique et ouverte sur l’extérieur. Car nous devons attirer et générer des talents. Tel est le sens, par exemple, du projet qui unifiera, dès cet été, toutes les formations d’officiers à l’École de l’air de Salon-de-Provence. Nous disposions encore de deux écoles : celle du recrutement externe et celle du recrutement interne, pour les officiers de carrière. Nous allons fusionner ces deux écoles en une seule et, à l’avenir, nous n’identifierons plus les officiers selon qu’ils ont été recrutés de manière directe ou semi-directe au sein des sous-officiers. Nous proposerons aux anciens sous-officiers d’accéder aux meilleurs cours, par exemple aux cours d’ingénieur, s’ils en ont les compétences. Nous menons donc bien une politique de dynamisation et de valorisation de l’excellence de chacun.

Le troisième principe consiste à définir un format RH évolutif dans lequel chaque aviateur doit pouvoir inscrire son projet professionnel. Nous mettons en place le modèle dit « en Y », en offrant des possibilités complémentaires de poursuite de carrière au sein de l’armée de l’air et hors de celle-ci. Ce modèle s’appuiera sur une ouverture et des partenariats étendus avec la société civile, ainsi que sur une reconnaissance accrue des compétences, acquis et diplômes détenus par les aviateurs.

Quatrième principe : l’entretien et la préservation du capital humain. Si nous voulons aller vers la personnalisation des parcours de compétence, il est très important de comprendre que la gestion des carrières de nos aviateurs est non pas un problème de direction des ressources humaines, mais une affaire de commandement : chacun doit s’impliquer dans la valorisation des aviateurs qu’il commande. Nous sommes en train de former le commandement à gérer les carrières de nos aviateurs.

D’autre part, face aux fortes sollicitations opérationnelles, nous devons veiller à l’amélioration des conditions de travail et de vie de nos aviateurs, ainsi qu’à la dynamisation de la concertation, notamment dans le cadre de l’arrivée des associations professionnelles nationales de militaires (APNM) qui vont être instituées. Nous devons donner de la visibilité à nos aviateurs sur notre politique RH. À cette fin, nous allons leur distribuer dès cet été un document décrivant cette politique, adapté à chacun, afin qu’ils puissent inscrire leur action dans ce cadre et, surtout, qu’ils soient les acteurs de leur propre vie professionnelle – tel est notre leitmotiv.

Cependant, pour conserver cet élan, il convient d’être transparent sur les difficultés que nous connaissons aujourd’hui, notamment dans la mise en œuvre de cette politique RH en 2015 et pour la fin de la LPM.

J’évoquerai pour commencer les objectifs de « non-déflation ». L’armée de l’air n’a pas vocation à engager en quantité des soldats destinés à servir comme sentinelles : tel n’est pas son métier. En revanche, elle doit renforcer ses capacités dans un certain nombre de spécialités critiques. Ainsi, nous devons recruter du personnel supplémentaire pour la protection de nos bases aériennes, car nous sommes allés trop loin dans la déflation dans ce domaine. Nous devons aussi compléter les effectifs dédiés au commandement et à la conduite des opérations, capacité extrêmement exigeante en termes de présence, tant pour la PPS que pour les opérations en cours. Il en va de même pour les unités chargées du maintien de nos systèmes d’information et de communication. Ces systèmes dépendant de plus en plus de réseaux, nous devons aussi faire un effort dans le domaine cyber. Nous avons d’ailleurs développé un plan cyber pour l’armée de l’air. En outre, nous avons un besoin spécifique en formateurs, car les succès à l’export vont nous demander un effort important en la matière : il faut que nous soyons capables de dégager des effectifs pour la formation des armées de l’air étrangères. Enfin, la décision de ne pas fermer une base aérienne au début de la LPM et le glissement du projet « Cognac 2016 » conduiront à maintenir en poste le personnel correspondant. Telles sont les « non-déflations » d’effectifs que nous avons demandées.

La remontée en puissance du recrutement constitue le second enjeu pour 2015. Rappelons que l’armée de l’air emploie aujourd’hui 48 000 personnes contre 66 000 il y a six ans. Après d’importantes suppressions de postes en 2014, nous commençons à atténuer les diminutions d’effectifs. Dans les trois armées, la déflation s’est faite non pas en augmentant le flux de sorties, mais en diminuant le flux d’entrées. Dès lors, pour stabiliser les effectifs, il va falloir augmenter de nouveau le flux d’entrées. Dans l’armée de l’air, nous allons devoir le doubler, ce qui représente un véritable défi. Le recrutement est aujourd’hui une de nos priorités, car nous devons continuer à engager un personnel de qualité. D’où la campagne de recrutement que nous avons lancée et que nous allons poursuivre.

Enfin, ainsi que je l’avais souligné lors de ma précédente audition par votre commission, le nombre d’officiers demeure pour nous un point de vigilance : nous avons aujourd’hui une vision plus précise en la matière, et les dépyramidages qui nous ont été demandés doivent être ajustés aux réalités des armées. Compte tenu de ses spécificités, l’armée de l’air a besoin d’un taux d’encadrement un peu différent de celui des autres armées. Sur les 5 500 officiers de l’armée de l’air, 1 500 ont ce statut non pas parce qu’ils exercent des fonctions d’encadrement, mais parce qu’ils sont personnel navigant. En outre, le commandement et la conduite des opérations et le MCO sont deux autres domaines structurants qui font appel à de nombreux officiers.

La crédibilité de notre politique RH dépendra de la manière dont nous répondrons à ces enjeux. Ma préoccupation est la suivante : dès que les chiffres auront été arrêtés et annoncés en ce qui concerne la « non-déflation » des effectifs, nous devrons stabiliser notre modèle RH à l’horizon 2019, afin de donner de la visibilité à notre personnel.

En conclusion, il y a six mois, je vous avais décrit 2015 comme une année charnière. Cette réalité se confirme. Nous sommes au milieu du gué, mais nous sommes résolument déterminés à relever ensemble le double défi de notre modernisation, qui se poursuit, et de la réforme des structures, qui ne doit pas faiblir.

L’actualisation de la LPM doit justement nous permettre de consolider un certain nombre de projets que nous avons engagés depuis plus de deux ans. Nous entrons dans la troisième année de notre plan stratégique « Unis pour faire face ». Celui-ci a démontré sa cohérence : ses résultats commencent à être visibles, et je constate une adhésion manifeste de nos aviateurs, en même temps que de fortes attentes. Nous devons donc assurer la continuité de ce plan selon les quatre axes que j’ai mentionnés.

Je le répète : dès que les décisions relatives aux effectifs auront été prises, il nous faudra entériner le modèle RH à l’horizon 2019, et ne surtout plus y toucher, afin de construire la politique que nous avons définie. C’est essentiel pour maintenir l’adhésion de notre personnel.

Mesdames, messieurs les députés, vous le savez, vous pouvez compter sur l’entière détermination et sur l’engagement sans faille de nos aviateurs, qui sont en opérations jour et nuit dans tous les cieux du monde et sur le territoire national. Cette ténacité est inscrite dans leur ADN depuis quatre-vingts ans. Avec eux, avec vous, nous pourrons continuer à construire une armée de l’air opérationnelle, qui continue à se moderniser, qui noue de plus en plus de partenariats et s’ouvre sur l’extérieur et qui, surtout, est portée par son personnel et ses aviateurs. Tel est notre credo.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, général. Vous avez bien posé les termes du débat qui nous attend sur l’actualisation de la LPM, en mettant l’accent sur ses enjeux pour l’armée de l’air.

M. Yves Fromion. Merci pour votre présentation, Mon général, qui a le mérite de la clarté et de la sincérité.

Vous avez évoqué la suractivité et la surintensité, qui sont d’ailleurs aujourd’hui la marque de l’armée dans son ensemble, en tout cas de toutes les forces concernées par la projection. Compte tenu de l’usure des matériels et des équipements, ainsi que du suremploi des hommes, notre armée n’est-elle pas, en dépit de ce que vous avez dit sur sa modernisation et sa régénération, en train de « manger son capital », à l’image de certaines entreprises ? Cette situation peut-elle durer ? À quel terme le capital sera-t-il consommé ? Comment voyez-vous les évolutions en la matière ?

Les deux contrats de vente de Rafale sont un immense succès non seulement pour notre industrie, mais aussi, reconnaissons-le, pour l’armée de l’air : la manière dont vos équipages – les pilotes, les mécaniciens et tous les autres – se servent de ces appareils et les mettent en valeur est un argument qui a sans doute pesé très lourd dans les décisions prises. Il est donc normal que nous rendions hommage aux aviateurs pour cette réussite.

Quel sera l’impact de la mise en œuvre de ces deux contrats pour l’armée de l’air ? Connaît-on les conditions des prélèvements ? D’après vos propos, les choses semblent assez claires en ce qui concerne l’Égypte, moins pour ce qui est de l’Inde. Avons-nous pris des engagements au détriment de l’équipement de vos forces, auquel cas vous seriez pénalisés une nouvelle fois ?

Qu’en est-il des pods de désignation laser ? J’ai cru comprendre que leur utilisation en opérations dans le cadre d’une coalition posait problème. Est-il possible de les moderniser ou bien faudra-t-il attendre la nouvelle génération de pods pour pouvoir les utiliser dans le cadre d’une coalition, notamment en Irak ?

M. Jacques Lamblin. Vous avez sans doute noté, Mon général, la réaction immédiate de votre auditoire lorsque vous avez évoqué les éventuelles conséquences de l’exportation des Rafale sur l’équipement de l’armée de l’air. Ce sujet préoccupe tous les parlementaires. Bien sûr, chacun de nous se réjouit de ces deux bonnes nouvelles qui sont tombées en quelques semaines. Yves Fromion l’a souligné à juste titre : l’attractivité de ces avions a sans doute été améliorée par le fait que les pilotes français en ont fait bon usage. Quoi qu’il en soit, il ne me paraît pas imaginable que les six appareils dont vous avez parlé ne vous soient pas réaffectés à un moment donné. Notre pays a sans doute fait des concessions ou pris des engagements pour obtenir ces contrats d’exportation. Il serait paradoxal qu’il mobilise ainsi des moyens financiers pour équiper des armées étrangères au détriment de la sienne ! Ces six appareils doivent revenir à l’armée de l’air. Nous devons tous faire valoir cette position, quel que soit le poste que nous occupions.

Vous avez évoqué la nécessité d’amplifier le recrutement, notamment d’augmenter les flux d’entrées. Quel est actuellement le taux de sélection lorsque vous recrutez des militaires du rang ?

Général Denis Mercier. Monsieur Fromion, dès lors que nous dépassons les objectifs fixés dans nos contrats opérationnels, on pourrait estimer en effet que nous sommes en train de « manger notre capital ». Cependant, une fois ce constat établi, toute la question est de réfléchir à notre organisation, puis de prendre des mesures, financières pour certaines, qui visent justement à diminuer considérablement ce risque.

S’agissant de l’organisation, lorsque nous étions plus riches, nous avions tendance à travailler « en tuyaux d’orgues », Aujourd’hui, certaines unités sont encore en suractivité, alors que d’autres ne le sont pas. Il faut tout faire pour mieux répartir l’activité opérationnelle sur la totalité des unités de l’armée de l’air. Nous sommes en train de le faire : tel est l’objet de notre plan stratégique. Parfois, cela m’amène à encourager mon personnel à penser différemment, mais les aviateurs finissent par s’y retrouver.

De mon point de vue, le risque principal concerne nos jeunes, surtout ceux qui volent sur les flottes les plus anciennes, dont la rénovation est indispensable. Vous vous souvenez sans doute de mon leitmotiv en 2014 : « MRTT, activité ». Il faut remonter l’activité pour permettre à nos jeunes de voler. Et nous avons besoin des MRTT pour remplacer les tankers actuels. En ce qui concerne le transport tactique, les A400M arrivent, mais pas au rythme que nous souhaiterions.

Sur ces questions, la LPM nous aide. Notre engagement ne peut pas être supérieur à ce qui est prévu dans les contrats opérationnels sans que cela nous pose des défis, et nous devrons donc faire des efforts. Cependant, si l’on continue la modernisation telle qu’elle est prévue dans la LPM, avec les quelques ajustements que nous avons proposés pour son actualisation, lesquels sont actuellement en discussion, nous saurons faire face à la situation.

En définitive, c’est une bonne nouvelle : cela signifie que nous avions fait des prévisions correctes dans le cadre de la LPM. L’enjeu est désormais de maintenir la LPM et de respecter son calendrier, car tout décalage entamera directement le potentiel que vous avez évoqué. Aujourd’hui, les feux ne sont pas au rouge, mais cela demeure un point de vigilance. Compte tenu de notre suractivité, nécessitée par les réalités de l’environnement stratégique, nous ne disposons plus d’aucune marge.

Je vous remercie, messieurs, d’avoir reconnu le rôle positif joué par l’armée de l’air dans la vente des Rafale. Au-delà de nos succès opérationnels, nous menons de très nombreuses actions pour valoriser notre matériel. Il y a quelques mois, je me suis rendu en Inde et j’ai fait voler mon homologue indien sur Rafale. Nous avons aussi organisé des exercices conjoints avec l’armée indienne. Nous avons de bonnes relations avec un certain nombre de pays, notamment avec l’Égypte. J’ai participé récemment à plusieurs salons, et il n’est pas exclu que d’autres États commandent prochainement des Rafale. Nous faisons donc des efforts importants en la matière. C’est nécessaire, dans l’intérêt de la France et de son industrie.

S’agissant de l’impact de ces contrats, nous devrons tous faire des efforts. Ainsi que je l’ai rappelé, la LPM était construite sur cette hypothèse. Néanmoins, nous pouvons améliorer notre action en matière de soutien aux exportations : il faut que nous formions une véritable « équipe France ». Actuellement, c’est essentiellement la direction du développement international de la DGA qui est impliquée dans les démarches de prospection, aux côtés de l’industriel. Si, dès la réalité d’un prospect affirmée, nous travaillons ensemble dès le début, nous pourrons mieux nous adapter, identifier les efforts possibles et déterminer ce qu’il faut faire, le cas échéant, pour que les avions prélevés nous soient restitués. Un tel travail en commun donnerait aussi plus de visibilité aux clients à l’export.

L’important, c’est qu’il nous soit livré autant d’avions de chasse que prévu par la LPM. Nous avons accepté un décalage des livraisons, que nous serons capables de gérer. Encore une fois, il est nécessaire que la LPM soit respectée. À défaut, cela créerait des problèmes, compte tenu de notre suractivité. Nous continuerons bien évidemment à faire des efforts, mais dans cette limite : le respect de la LPM.

M. Yves Fromion. Cela signifie donc qu’il n’est pas question que vous subissiez un nouveau décalage et qu’un nouvel effort vous soit demandé au titre du contrat passé avec l’Inde ?

Général Denis Mercier. Exactement. À la différence des Égyptiens, les Indiens ont demandé, semble-t-il, un standard propre pour leurs Rafale. Ceux-ci seront donc un peu différents des nôtres. Ils ont commandé quelques développements supplémentaires, qui nous serviront d’ailleurs aussi. En outre, la livraison de leurs appareils est prévue pour 2018. Ces Rafale destinés à l’Inde devraient donc être construits sans les prélever sur ceux qui doivent nous être livrés. Il n’y a donc a priori aucune raison de le faire. Là aussi, une coordination étroite est nécessaire, notamment avec la DGA.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avons bien entendu.

Général Denis Mercier. Nous avons pris quelques mesures palliatives : nous allons maintenir des Mirage 2000C un peu plus longtemps que prévu pour que nos pilotes puissent continuer à s’entraîner. Ils voleront donc ultérieurement sur des Rafale. Ces mesures ont un certain coût, que nous avons chiffré. Elles sont actuellement en discussion, et je pense que nous serons entendus par le ministère de la Défense. Cela montre que nous savons nous adapter, pour être les acteurs des succès à l’export. Mais dans une certaine limite, qui est, je le répète, le respect de la LPM.

Bien évidemment, nous ne refuserons jamais d’étudier les questions que peuvent soulever les contrats d’exportation. Nous avons tous intérêt à agir au sein de la même équipe. Nous devons être capables de nous adapter, mais il faut aussi que nos efforts soient reconnus et que nous nous y retrouvions in fine.

Monsieur Lamblin, le taux de sélection est globalement bon dans l’armée de l’air. Il est excellent pour les officiers. Pour les militaires du rang et les sous-officiers, il varie entre un sur trois et un sur quatre, ce qui est satisfaisant. Il n’en va pas nécessairement de même dans certaines spécialités, qui doivent être suivies de manière beaucoup plus fine. Je suis ainsi très attentif au taux de sélection des sous-officiers spécialistes des systèmes d’information et de communication et, plus encore, à leur taux de fidélisation. Quant au doublement du flux d’entrées, c’est un véritable défi. D’où la campagne de recrutement et les efforts particuliers que nous faisons en la matière. Les premiers retours que j’ai de cette campagne sont encourageants.

Nous manquons de pods parce que nous n’en avons pas commandé assez dans le cadre des précédentes LPM. Pour ce qui est des pods de désignation laser Damoclès, si l’on met de côté ceux qui sont utilisés en opérations par l’armée de l’air et par la marine, il en reste moins d’un par escadron en France. C’est un problème pour l’entraînement non seulement des jeunes équipages, mais aussi des équipages qui partent en opérations. Quant aux pods de reconnaissance, c’est simple, il n’y en a aucun dans les escadrons en France : ils sont tous utilisés en opérations. Les équipages ne peuvent donc s’entraîner à nouveau sur des avions équipés de tels pods qu’en opérations. Nous demandons que ce point soit pris en compte dans l’actualisation de la LPM. Le ministre de la Défense, qui a visité la base de Nancy, est conscient du problème. Avec les Rafale de standard F3R, nous disposerons de pods de nouvelle génération. Nous allons commander des pods supplémentaires afin d’éviter les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui.

M. Gilbert Le Bris. En ma qualité de président de la délégation française à l’assemblée parlementaire de l’OTAN, je vous félicite à mon tour, Mon général, pour votre nomination au poste de SACT. L’image des chefs que nous envoyons à Norfolk est excellente et, après les généraux Abrial et Paloméros, vous ne déparerez pas ! Le rapport d’information que Philippe Vitel et moi préparons sur l’évolution du rôle de l’OTAN pourra vous servir de livre de chevet lorsque vous arriverez sur place !

Comment l’exploitation des drones de moyenne altitude et de longue endurance (MALE) Reaper par l’armée de l’air se passe-t-elle ? On vous en livrera trois en 2016, mais quid de l’avenir ? De quels systèmes souhaiteriez-vous disposer ?

Concernant le drame qui s’est produit à Albacete au mois de janvier dernier, pourriez-vous informer notre commission de l’état de santé des blessés, de l’avancée de l’enquête et de l’impact financier ?

M. Charles de La Verpillière. Mon général, je m’associe aux félicitations et aux remerciements que vous ont adressés mes collègues.

Nous savons qu’il existe un mécanisme interministériel de compensation des surcoûts liés aux OPEX. Les surcoûts supportés par l’armée de l’air en 2014 ont-ils été intégralement compensés ?

Bien que vous ne soyez pas vraiment en première ligne sur ce sujet, j’appelle votre attention sur les incertitudes qui pèsent sur l’avenir des ateliers industriels de l’aéronautique (AIA), notamment sur celui du détachement air 278 à Ambérieu-en-Bugey, dans l’Ain. D’après les syndicats, que j’ai rencontrés, un très mauvais climat règne au sein de cet atelier, notamment en raison de la mise en œuvre d’un deuxième plan de suppression d’emplois civils en 2015, du non-remplacement d’un certain nombre de militaires mutés et d’un recours accru à la sous-traitance. On me dit aussi que le responsable des AIA aurait une préférence personnelle pour un autre atelier. Pouvez-vous nous rassurer ou, à tout le moins, nous donner des indications sur l’avenir de l’AIA d’Ambérieu-en-Bugey ?

Général Denis Mercier. Monsieur Le Bris, je serai heureux de vous recevoir à Norfolk avec M. Vitel pour votre travail sur l’évolution du rôle de l’OTAN.

Les drones MALE Reaper sont une capacité absolument essentielle. Aujourd’hui, nous ne pourrions pas nous en passer, ni en Irak ni en Afrique. En Irak, nous n’utilisons pas les nôtres, mais presque aucun tir n’est effectué sans une identification validée par un drone et sans une évaluation par le même moyen des dommages collatéraux, qu’il s’agit de minimiser. En Afrique, les drones nous permettent de mener de très nombreuses missions et ont contribué aux succès que nous avons obtenus récemment lors d’opérations spéciales. Le problème avec les drones, c’est que plus on en a, plus on en a besoin ! Ils garantissent une permanence de la surveillance, indispensable à nos opérations. Grâce aux drones, nous arrivons assez bien à suivre les groupes terroristes au nord du Mali et nous avons pu attaquer de nombreux petits dépôts de munitions et de carburant qu’ils avaient reconstitués.

Nous ne disposons pas encore d’un nombre suffisant de drones. Nous attendons la livraison du deuxième système, qui devrait intervenir en 2016. Initialement, il devait s’agir d’un système Block 5, mais cette version ne sera finalement prête qu’en 2017. Il s’agira donc d’un système Block 1, identique à celui que nous possédons actuellement. Ce n’est pas très grave : nous avons tellement besoin de drones qu’il vaut mieux disposer d’un second système Block 1 que nous ferons mettre à niveau ultérieurement – retrofit – plutôt que d’attendre le Block 5.

Nous avons qualifié la désignation laser sur nos avions directement sur un théâtre d’opérations avec la DGA – nous avons une bonne coopération avec elle en la matière. Récemment, nous avons effectué pour la première fois des tirs depuis des Mirage 2000 et des Rafale en utilisant l’éclairage laser fourni par le Reaper. Cela fonctionne très bien : la qualité de la désignation est remarquable. Cela nous ouvre de nouveaux domaines d’emploi.

La LPM prévoit la livraison de douze drones, en quatre fois. Nous avons absolument besoin de ces Reaper et nous saurons les utiliser. La question qui se pose désormais est celle de l’après 2025. À l’avenir, compte tenu de ce que ces systèmes nous apportent, il faut que nous en possédions en toute souveraineté, j’en suis persuadé. Il est donc très important que nous développions un drone MALE européen, avec les Allemands, conformément à ce qui est prévu, voire avec les Italiens. Cette démarche est soutenue par le ministre de la Défense. Sachons que, si nous fournissons les efforts nécessaires maintenant, le projet n’aboutira pas avant 2025.

S’agissant du drame d’Albacete, nos aviateurs ont unanimement été très sensibles à l’hommage national qui a été rendu aux victimes, ainsi que le soutien que leur ont exprimé les commissions parlementaires et le Président de la République. Ils y ont vu une vraie reconnaissance de leur engagement.

Neuf aviateurs français sont décédés dans l’accident, et cinq sont toujours blessés. Je tiens à signaler une belle avancée : la Maison des blessés que le ministre vient d’inaugurer à l’hôpital d’instruction des armées de Percy change la vie des familles.

Nous allons rassembler à nouveau les familles au mois de mai ou de juin.

J’ai confié au général Charaix la mission de reconstituer le scénario de l’accident et de rencontrer l’ensemble des personnes concernées. Certains aviateurs français et étrangers ont eu des comportements héroïques : un Américain a sauvé la vie de trois de mes hommes ; des mécaniciens et pilotes français sont allés aider aussi leurs camarades et préserver nos Rafale au mépris de leur vie, alors que tout était en flammes. Nous les avons identifiés. Mon objectif est désormais de les récompenser, pour leur montrer toute notre reconnaissance. C’est important.

S’agissant de l’impact financier, il existe un accord – standard agreement – au sein de l’OTAN : dans le cadre des exercices communs, chaque pays assume les risques qu’il prend et assure sa propre couverture. C’est une bonne règle. Dans le cas du drame d’Albacete, elle joue à notre détriment : quatre de nos avions ont été détruits – deux Mirage 2000 et deux Alpha Jet – et il n’y aura pas de remboursement. Mais elle jouera peut-être, demain, à notre avantage.

Monsieur de La Verpillière, la question des surcoûts liés aux OPEX est encore en discussion entre les états-majors et le ministère des Finances. Les décisions n’ont pas encore été prises : elles le sont généralement en fin d’année. Pour l’armée de l’air, nous estimons ces surcoûts à 250 millions d’euros sur l’année. Cette somme n’est pas énorme, mais il est très important que nos heures de vol supplémentaires et notre surintensité soient couvertes.

Je connais bien le cas de l’AIA d’Ambérieu-en-Bugey. Conscient des préoccupations locales, j’y ai envoyé récemment l’inspection de l’armée de l’air. Il s’agit d’un ancien atelier de l’armée de l’air que nous avons placé volontairement sous l’autorité du service industriel de l’aéronautique (SIAé). Or, de mon point de vue, il convient de clarifier la politique du SIAé à l’égard de l’AIA d’Ambérieu-en-Bugey.

L’organisation du SIAé a été réformée récemment. Il est désormais doté non plus d’un simple conseil de gestion, mais d’un conseil de surveillance, qui examine non seulement les questions relatives à la gestion, mais aussi celles qui se rapportent à la préparation de l’avenir. C’est une bonne chose. Ce conseil de surveillance est coprésidé par le délégué général pour l’armement et par le chef d’état-major des armées, qui m’a délégué cette fonction. J’ai inscrit la question de l’AIA d’Ambérieu-en-Bugey à l’ordre du jour de sa prochaine réunion, qui aura lieu avant l’été. À cette occasion, nous demanderons à l’ingénieur général Patrick Dufour, directeur central du SIAé, sa vision de l’avenir de l’AIA d’Ambérieu-en-Bugey, afin d’éviter les ouï-dire, les non-dits ou les incompréhensions. Il nous appartiendra, le cas échéant, de rétablir l’équilibre. Ce n’est pas le directeur central du SIAé qui imposera sa vision de l’avenir, mais le conseil de surveillance qui décidera en fonction de ses propositions. C’est ainsi que les choses se passeront.

M. Charles de La Verpillière. J’apprécie vos propos, Mon général : ce n’est pas de la langue de bois !

Mme la présidente Patricia Adam. Ils ont en effet le mérite d’être très clairs, et de nous rassurer.

M. Alain Marty. Vous avez évoqué certaines difficultés dans la formation de vos équipages, notamment des jeunes qui volent sur des flottes anciennes. Comment faites-vous concrètement pour que la formation ne soit pas à deux niveaux – excellente pour ceux qui participent aux OPEX, incomplète pour d’autres ? Il s’agit, selon moi, d’une question importante pour l’avenir.

Appartenons-nous, même du bout des doigts, à la coalition menée par l’Arabie Saoudite au Yémen ? Il serait un peu surprenant d’apprendre ainsi que nous sommes engagés dans un conflit supplémentaire, alors que ce sujet n’a jamais été abordé devant la représentation nationale ! Mais je m’interroge devant notre commission : quel intérêt avons-nous à intervenir dans ce nouveau foyer et dans une guerre entre sunnites et chiites ? On est en train de déstabiliser complètement ce pays, dont une partie importante est contrôlée par Al-Qaïda dans la péninsule arabique.

J’aurai le plaisir de vous revoir prochainement avec Marie Récalde dans le cadre de notre mission d’information sur les conséquences du rythme des OPEX sur le maintien en condition opérationnelle des matériels.

M. Daniel Boisserie. Vous avez évoqué un doublement du nombre d’heures de vol en OPEX. N’y a-t-il pas là un excès d’ambition ? Quel en est l’objectif ? À quel endroit s’agit-il d’intervenir ?

Lorsque l’on a appris que l’accident de l’A320 était dû à un problème psychiatrique du copilote, ne vous êtes-vous pas demandé si la surveillance médicale de vos très nombreux aviateurs était suffisante ? Un tel accident pourrait aussi arriver dans l’armée de l’air, avec des conséquences peut-être encore plus dramatiques.

Général Denis Mercier. Monsieur Marty, l’objectif est justement d’éviter que la formation soit à deux niveaux. Sur les flottes anciennes, nous ne parvenons pas à générer suffisamment d’heures de vol. Nous les utilisons pratiquement toutes en opérations. Or nous faisons beaucoup moins fréquemment appel aux jeunes équipages en opérations. Nous avons trouvé quelques solutions palliatives pour les entraîner, mais nous ne pourrons pas les appliquer dans la durée. Cela milite pour l’arrivée de l’A400M et du MRTT, qui remplaceront ces flottes anciennes.

Pour ce qui est de la flotte de chasse, la situation est un peu différente : le niveau d’activité est correct, et nous parvenons à former des jeunes pilotes. De plus, la mise en place du projet « Cognac 2016 » nous aidera, en allégeant certaines charges. Nous avons néanmoins une préoccupation : en opérations, les équipages volent beaucoup, mais ils ne couvrent pas tout le spectre des entraînements. En effet, les missions qu’ils accomplissent sont toutes de même nature : bombardement de cibles prédéterminées – air interdiction – ou appui aux forces terrestres. Dès lors, les équipages sont un peu sous-entraînés pour d’autres missions, telles que l’entrée en premier ou le combat aérien. C’est, somme toute, normal pour une armée de l’air très engagée ; à nous de savoir nous adapter. Nous sommes en train de réorienter notre entraînement en France, afin de ne pas perdre ces savoir-faire. Mais la meilleure adaptation, c’est de générer des heures de vol, notamment pour que les jeunes équipages puissent s’entraîner. C’est pourquoi la remontée de l’activité demeure ma priorité.

Nous ne faisons pas partie de la coalition qui intervient au Yémen. Le Yémen est un foyer de terrorisme. Il faut bien que quelqu’un traite le problème. Ce sont des pays du Golfe qui s’en chargent, organisés en une large coalition autour de l’Arabie Saoudite.

Monsieur Boisserie, l’activité de la flotte de chasse en OPEX devrait passer de 6 500 heures de vol en 2014 à 12 000 en 2015, car nous intervenons désormais sur un deuxième théâtre, l’Irak. Nous pouvons faire face à cette situation, à condition de générer de l’activité. Nous avons demandé que notre suractivité de 4 000 heures soit compensée financièrement par le décret d’avance relatif aux OPEX, afin que nos jeunes équipages puissent continuer à s’entraîner. Cette compensation est nécessaire. Si nous ne l’obtenons pas, nous entamerons notre potentiel.

Notre participation aux OPEX n’est pas une mauvaise chose. Elle montre que nous ne nous sommes pas trop trompés dans la définition des contrats opérationnels, si ce n’est peut-être sur un point : la déflation est sans doute allée un peu trop loin, le format de l’aviation de combat ayant été réduit de moitié en deux LPM. En tout cas, il ne faut pas aller au-delà.

La question que vous posez sur la surveillance médicale est tout à fait pertinente. Nous avons pris ce problème à bras-le-corps depuis longtemps. Nous assurons un suivi médical permanent non seulement de nos équipages, mais aussi des soldats qui sont les plus engagés dans les opérations, notamment les opérations spéciales. En outre, l’armée de l’air a mis en place une organisation spécifique qui s’ajoute au commandement et aux autres structures. Il s’agit d’une unité de spécialistes, psychiatres et psychologues, basée à l’hôpital de Percy, que j’envoie à discrétion partout où je pense qu’elle peut être utile. Les autres armées y recourent aussi. Cette unité fait un travail remarquable. Elle sait donner l’alerte lorsque c’est nécessaire, ainsi qu’elle l’a fait récemment. Elle est aujourd’hui bien perçue par l’ensemble de l’armée de l’air. Après l’accident à Albacete, des militaires ont eux-mêmes demandé une aide. J’ai alors détaché trois psychologues de cette unité, qui sont allés rencontrer les personnes concernées et continuent à les suivre. Cela leur a fait beaucoup de bien.

M. Joaquim Pueyo. En ma qualité de président du groupe d’amitié France-Émirats arabes unis, j’ai rencontré hier l’ambassadeur émirien à Paris. Il m’a remis un document relatif à la lutte contre le terrorisme menée par les Émirats et a évoqué la coopération militaire entre nos deux pays, ce qui est très positif. Pourriez-vous nous faire un point sur cette coopération militaire ? Est-elle réelle ? Augure-t-elle de nouvelles exportations de Rafale, sachant que l’armée émirienne est avant tout équipée d’avions américains ? S’est-elle renforcée depuis que nous intervenons dans le cadre de la coalition internationale au Moyen-Orient ? Les Émiriens accordent-ils désormais davantage d’attention à la base militaire dont nous disposons depuis sept ans à Abou Dabi – que j’ai visitée il y a deux ans ?

M. Alain Moyne-Bressand. Quatre mois avant de quitter vos fonctions, pouvez-vous faire un bilan des années que vous avez passées à la tête de l’armée de l’air ? Pouvez-vous nous faire part de vos satisfactions – vous l’avez fait concernant le personnel –, mais aussi, le cas échéant, de vos déceptions ? Y a-t-il des choses que vous auriez voulu faire mieux, à plus forte raison dans cette période difficile du point de vue économique ?

Comment voyez-vous l’aviation de demain avec l’arrivée des drones, en particulier des drones de combat ?

Général Denis Mercier. Monsieur Pueyo, les Émirats arabes unis sont un pays très intéressant, dirigé par des personnes de haut niveau. J’ai une relation très étroite avec le commandant des forces aériennes émiriennes, le général Ibrahim Nasser Al Alawi. Nous avons une volonté commune de développer notre coopération. Celle-ci n’a jamais été aussi bonne qu’aujourd’hui. Par exemple, les Rafale qui décollent d’Abou Dabi se ravitaillent désormais très régulièrement à partir d’un tanker émirien.

Notre rapprochement est très marqué, car nous ne sommes rendu compte de points de convergence très forts, en particulier en ce qui concerne notre vision de l’avenir. Les responsables émiriens disent qu’ils souhaitent développer des forces dont ils puissent disposer en toute souveraineté, mais qui soient interopérables. Or c’est exactement ce que fait la France. La qualité de réflexion de l’armée de l’air émirienne en matière de préparation de l’avenir concurrence celle de la plupart des armées de l’air européennes. Avec les Émiriens, on peut s’inscrire dans l’avenir et penser les systèmes de combat futurs. Ils ont compris beaucoup de choses et ont les moyens de mettre en œuvre leurs projets.

M. Joaquim Pueyo. Je suis très heureux de vous l’entendre dire, mon général. Cela confirme l’impression que j’ai eue hier lorsque j’ai rencontré l’ambassadeur émirien. Il est arrivé en France il y a trois mois et tient un discours très proche du vôtre. Il se trouve qu’il était officier supérieur dans l’armée de l’air. C’est une bonne chose que nous tissions des liens forts avec les Émiriens. Ils ont une vision stratégique intéressante sur la situation au Moyen-Orient.

Général Denis Mercier. Pour moi, cela vient notamment de Cheikh Mohammed, émir de Dubaï, vice-président de la fédération et ministre de la Défense. Lorsque vous l’écoutez, ce que j’ai eu l’occasion de faire au cours des deux années où j’ai été conseiller du ministre de la Défense, vous apprenez beaucoup, et vous vous rendez compte que les Émiriens ont une vision très intéressante. Et cela se retrouve à tous les niveaux. Mais vous savez que c’est aussi vrai d’autres pays du Golfe. De plus, ils sont très ouverts. Je crois beaucoup à notre coopération avec eux dans l’avenir. Lorsqu’ils évoquent la coopération, ils pensent non pas aux Rafale, mais, comme nous, aux systèmes de combat futur.

Cela rejoint d’ailleurs la question que vous avez posée sur les drones, monsieur Moyne-Bressand. Aujourd’hui, nous en sommes encore à développer des plates-formes, qui permettent d’interconnecter des systèmes de combat. Dans l’avenir, il s’agira d’interconnecter des plates-formes, de combiner au mieux des capacités avancées de commandement et de conduite des opérations, des avions de chasse tels que le Rafale, des drones de combat, des drones MALE, etc. Tel est l’environnement auxquels nous réfléchissons. S’agissant des drones, la question pour le futur n’est pas de savoir si tel ou tel avion sera remplacé par un drone, mais d’imaginer un système qui interconnectera dans les meilleures conditions possibles des Rafale et des drones de combat, par exemple.

Nos camarades américains mettent en avant le concept de furtivité et ont développé des avions furtifs. Cependant, lorsque l’on engage des avions sur un théâtre, le critère principal est non pas la furtivité, mais la survivabilité, c’est-à-dire la capacité du système à survivre compte tenu du niveau et de la nature des menaces existant sur ce théâtre. Dans certains cas, la survivabilité, c’est la furtivité. Mais il existe aujourd’hui des radars qui commencent à détecter les avions furtifs, ce qui rend ceux-ci vulnérables à différentes menaces. Le Rafale est certes moins furtif qu’un F-35, mais il est capable de faire du suivi de terrain à basse altitude en pilotage automatique, y compris de nuit et dans les nuages, ce qui est plus efficace que la furtivité vis-à-vis de certaines défenses sophistiquées.

Donc, dans notre vision, il ne faut pas tout miser sur un seul système. Nous devons développer la furtivité des drones de combat, mais aussi nous appuyer sur d’autres capacités telles que le suivi de terrain en pilotage automatique sur les Rafale. C’est la combinaison organisée de tous ces éléments au sein d’un système qui nous rendra performants dans l’avenir. Tel est l’enjeu.

J’en viens à mon bilan à la tête de l’armée de l’air au bout de trois ans. Je suis admiratif du niveau d’engagement de nos soldats. Je rencontre des personnes remarquables tant sur nos bases aériennes que sur les théâtres d’opérations. Je vous encourage, mesdames, messieurs les députés, à continuer à leur rendre visite.

Au début de l’opération Serval, nous avions besoin d’utiliser immédiatement des drones, et j’ai demandé à l’unité compétente combien de temps il fallait pour mettre en œuvre nos Harfang – à l’époque, nous ne disposions pas encore des Reaper. Mes hommes m’ont répondu que trois semaines étaient nécessaires. Ils sont finalement revenus vers moi pour m’annoncer que cinq jours devaient suffire. Et cela a fonctionné ! Je pourrais vous citer des dizaines d’exemples analogues. Ma seule préoccupation, c’est de les freiner : ils ne savent pas s’arrêter ! À Albacete, je le rappelle, des mécaniciens ont affronté le danger pour sauvegarder les Rafale, sans penser à sauver leur vie.

Notre bilan, le voilà : nous obtenons de vrais succès opérationnels, et nous le devons à un personnel remarquable. Dès lors, ma priorité est de mettre en œuvre notre plan stratégique. L’armée de l’air s’est beaucoup réformée au cours des dix dernières années, d’abord avec le plan « Air 2010 », qui était un bon projet, mais qui présentait un défaut : c’était une réforme pour les aviateurs voulue par les aviateurs. Ce plan a été affecté par la révision générale des politiques publiques (RGPP) et par les décisions concernant le format résultant des Livres blanc successifs, ce qui a produit un paysage très mouvant. Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai jugé nécessaire d’élaborer un nouveau plan stratégique pour redonner de la cohérence aux différents objectifs. Nous avons redéfini des valeurs et des principes, puis préparé une quarantaine de projets. Le comité stratégique de l’armée de l’air s’est rendu lui-même sur les bases aériennes pour expliquer notre plan au personnel. Aujourd’hui, nous faisons des points réguliers sur son état d’avancement, notamment au sein du conseil de la fonction militaire de l’armée de l’air. Nos soldats commencent à y adhérer, ce qui fait notre force.

Maintenant que nous avons donné des objectifs à notre personnel, nous devons nous y tenir. Il ne faudrait pas que l’on touche à nouveau au format à la faveur d’un nouveau Livre blanc ou d’un autre exercice de cette nature. Je le répète : il faut stabiliser le modèle RH, car nous avons besoin de continuité. Nous avons défini une nouvelle politique RH, reposant sur des principes complètement différents. Et cela ne va pas sans difficultés pour notre personnel, notamment pour les officiers. En trois ans, nous avons divisé par deux le flux de promotion des colonels au généralat. Nous avons également diminué le nombre de colonels – de 40 % – et celui des lieutenants-colonels. Cela signifie que nous avons considérablement restreint les perspectives d’évolution qui existaient auparavant pour les officiers à la fin de la première partie de leur carrière. Or nous devons continuer à recruter et à former un personnel de bon niveau.

Avec notre plan, nous proposons des solutions, mais celles-ci impliquent de penser différemment. Parmi nos quarante projets, il y a la mise en place des parcours professionnels « en Y », qui concerne les sous-officiers et, surtout, les officiers. Il s’agit, pendant la première partie de leur carrière – le tronc commun du « Y » –, de leur donner les clés qui permettront ensuite à certains d’entre eux non pas de se reconvertir, mais de continuer à progresser à l’extérieur du monde de la défense. À cette fin, nous avons réorganisé l’École de l’air, en introduisant des modules de préparation à l’entreprise et de formation en entreprise. Nous organisons aussi des bilans de compétences à la sortie de l’École de l’air. Enfin, j’envoie mes officiers faire des périodes de « réserve inversée » en entreprise dans le cadre de leur formation continue. L’objectif est de nous permettre, à un moment donné, de faire un choix entre ceux qui poursuivront leur carrière dans l’armée et ceux qui le feront en dehors d’elle. Ce sera d’ailleurs bon pour la Nation, car nous formons des professionnels remarquables.

Ces réformes sont surtout difficiles pour les officiers qui sont actuellement commandants ou lieutenants-colonels, car ils sont touchés par les réformes sans y avoir été préparés. Tel est en effet la réalité, et nous n’avons pas d’autre possibilité que de traiter tous les cas individuellement.

Mon seul souhait, je le répète, c’est que l’on arrête de toucher au format. Ainsi que je l’ai rappelé, nous avons réduit de moitié le format de l’aviation de combat en deux LPM, et nous en mesurons aujourd’hui les conséquences. Nous sommes en train de construire quelque chose, avec des idées nouvelles, mais nous ne pouvons le faire que sur une base solide. Certes, les transformations ne s’arrêteront jamais, ainsi que je le dis au personnel. Mais, maintenant que nous lui avons mis un plan sous les yeux, celui-ci exprime une attente forte. À nous de savoir y répondre.

Mme la présidente Patricia Adam. Comment les choses se passent-elles pour le personnel civil au regard de ces évolutions ?

Général Denis Mercier. Au début, nous nous sommes concentrés sur le personnel militaire – j’en assume la responsabilité. Aujourd’hui, nous avons intégré le personnel civil dans notre plan RH. Dans le cadre de la stabilisation de notre modèle RH et de la restructuration de nos bases aériennes, nous réfléchissons à la place exacte du personnel civil et identifions les postes sur lesquels une continuité nous paraît nécessaire. Nous sommes confrontés à un vieillissement parfois préoccupant du personnel civil. Or, dans certaines fonctions, il ne faut pas remplacer les civils par des militaires. Nous informons les syndicats du travail que nous menons. Nous essayons aussi de donner davantage de visibilité aux civils qui travaillent au sein du SIAé, via son conseil de surveillance, ainsi que je l’ai évoqué en répondant à M. de La Verpillière.

M. Jean-François Lamour. Je vous félicite à mon tour, Mon général, pour votre nomination à Norfolk. Nous sommes très heureux pour vous, ainsi que pour notre position au sein de l’OTAN.

Je souhaite revenir sur la gestion des ressources humaines, qui est l’une de vos préoccupations permanentes. Quelle sera l’incidence des contrats conclus avec l’Égypte et avec l’Inde sur la formation de nos propres pilotes de Rafale ? S’agissant des appareils, vous ne craignez guère leur captation, à condition que l’on vous les rende avant la fin de la LPM, ce qui est tout à fait normal. En ce qui concerne la formation, je suppose que les escadrons de transformation vont être sollicités pour former des pilotes égyptiens et, peut-être, indiens – nous connaissons moins bien la nature du contrat passé avec l’Inde. Ne craignez-vous pas un impact sur la double formation que vous assurez actuellement – formation de ceux qui sont capables d’entrer en premier et formation « allégée » suivie par les autres ? Comment allez-vous gérer l’ensemble de ce dispositif afin de ne pas affaiblir la composante aérienne de notre dissuasion, qui utilise le Rafale comme vecteur ?

Nous n’avons pas parlé des sociétés de projet, en particulier de celle qui pourrait concerner les A400M. Lors de son audition par la commission des Finances, le délégué général pour l’armement a indiqué que les états-majors étaient peu concernés par la création de ces sociétés. Avez-vous plus d’informations à leur sujet ? À votre connaissance, le MCO sera-t-il intégré dans les services qui leur seront confiés ? Comment allez-vous gérer vos relations avec elles si elles voient le jour ?

M. Philippe Meunier. Nous avons bien entendu, Mon général, votre souhait que la LPM soit mise en œuvre dans sa globalité. Cependant, la livraison de certains équipements à l’armée de l’air est déjà décalée dans le temps. Ainsi, d’après ce que vous nous avez indiqué, les Rafale non livrés cette année le seraient en 2017 ou en 2018, c’est-à-dire en fin d’exécution de la LPM. C’est donc la prochaine majorité qui aura à gérer cette question. Cela étant, le budget de la Défense n’aura pas à débloquer la somme prévue pour le paiement des Rafale. À quoi cette somme sera-t-elle destinée concrètement ? Ne pourrait-elle pas servir à compenser votre « perte en capital » ? Vous a-t-on donné des assurances à cet égard ? Enfin, quelles sont les conséquences de la non-livraison des Rafale sur les capacités de nos forces aériennes stratégiques ?

M. Philippe Vitel. Lors de votre audition à propos de la loi de finances pour 2015, vous avez évoqué le vieillissement et l’obsolescence de nos radars, qui coûtaient cher en crédits de MCO et qui étaient à l’origine de failles dans notre système de détection. La situation a-t-elle été revue et corrigée depuis lors ?

Général Denis Mercier. Monsieur Lamour, les contrats passés avec l’Égypte et l’Inde auront en effet un impact, que l’escadron de transformation Rafale devra absorber. Cependant, la bonne disponibilité actuelle des Rafale nous permettra de le minimiser, tant pour les mécaniciens que pour les pilotes. Si celle disponibilité était mauvaise comme c’était le cas il y a quelques années, nous rencontrerions de graves problèmes. Ainsi que je l’ai indiqué, la situation favorable que nous connaissons aujourd’hui résulte d’une réorganisation : avec le concours de l’industriel et de la SIMMAD, nous avons augmenté considérablement la disponibilité des Rafale tout en faisait baisser les coûts. Nous avons mis en place des plateaux techniques efficaces et amélioré la gestion des flux logistiques grâce à des guichets industriels. Ce travail nous a pris un an et demi, mais a porté ses fruits.

Pour minimiser l’impact, nous sommes en train d’accélérer la formation des jeunes pilotes. En outre, je l’ai dit, nous avons pris des mesures palliatives : nous allons maintenir des Mirage 2000C un plus longtemps que prévu. Les chefs et sous-chefs de patrouille formés sur ces avions n’auront besoin que de quelques mois pour « basculer » sur les Rafale. La prolongation des Mirage 2000C coûtera quelques millions d’euros, mais elle en vaut la peine : elle nous permet de nous y retrouver en même temps qu’elle participe du soutien aux exportations.

Les premiers aviateurs égyptiens que nous formons suivent actuellement des cours théoriques à Mont-de-Marsan. Les questions qu’ils posent et les résultats qu’ils ont obtenus aux premiers tests sont très encourageants. Nous allons pouvoir les former assez rapidement. Ensuite, ils seront accompagnés par deux pilotes et quelques mécaniciens que nous enverrons en Égypte dans le cadre de la coopération.

J’ai une autre préoccupation : éviter la fuite de notre personnel et de son expertise. Les pays auxquels nous vendons nos équipements souhaiteront sans doute embaucher des professionnels compétents en leur proposant des contrats attractifs. J’ai demandé aux sociétés françaises, notamment à Dassault et à Défense Conseil International (DCI), de n’accepter aucune candidature de militaire de l’armée de l’air sans passer par notre direction des ressources humaines (DRH). D’autre part, j’ai invité mes aviateurs à s’adresser aux aussi à la DRH au cas où ils seraient tentés par un contrat de ce type, en leur précisant qu’ils ne seraient pas recrutés s’ils accomplissaient seuls les démarches. Dans certaines spécialités, nous régulerons les départs, notamment si nous avons beaucoup investi dans la formation des intéressés. Dans d’autres cas, nous pourrons faire un effort ou donner une visibilité. Je veux réguler le flux autant que possible.

J’en viens aux sociétés de projet. Quelles que soient les dispositions adoptées, il est crucial que les engagements pris dans le cadre de la LPM soient respectés, à plus forte raison aujourd’hui du fait de notre engagement opérationnel et des mesures accompagnant les exportations. Si cela doit passer par les sociétés de projet, allons-y ! Néanmoins, nous avons trois lignes rouges : il faut que nous ayons la pleine utilisation des moyens que nous louerons à ces sociétés ; les surcoûts inévitables liés à cette solution ne doivent pas obérer la mise en œuvre de la LPM ; le MCO ne doit surtout pas être intégré dans les services gérés par ces sociétés. Si tel était le cas, nous serions dépendants d’une entité extérieure pour notre activité, ce qui ne serait pas acceptable pour nos forces armées. Si nous avons fait les efforts que je vous ai décrits concernant le MCO des Rafale, c’est précisément pour prendre notre avenir en mains. Pour le reste, je n’ai guère de visibilité sur ce dossier. Je continue à rêver qu’une loi de finances rectificative nous accorde les crédits budgétaires manquants, ce qui serait sans doute plus simple.

Concernant le décalage des livraisons d’équipements, Monsieur Meunier, nous faisons des efforts, car accompagner les exportations fait aussi partie de nos missions. Les Rafale prélevés au profit de l’Égypte devaient nous être livrés en 2015. Ils sont, pour l’essentiel, déjà payés : il ne reste qu’une somme minime à verser au moment de la livraison. Et je ne souhaite surtout aucun remboursement d’aucune sorte sur le budget de la défense !

M. Yves Fromion. Vous avez raison, Mon général : mieux vaut tenir que courir !

Général Denis Mercier. Nous avons accepté le décalage de la livraison. J’attends donc que les avions nous soient remis dès que l’industriel sera en mesure de les fabriquer. Or nous savons qu’il est capable d’en construire trois en 2017 et trois en 2018.

M. Jean-François Lamour. Vous seront-ils livrés au même prix ?

Général Denis Mercier. Oui, c’est la règle.

M. Philippe Meunier. Et Dassault vous versera des intérêts ? (Sourires.)

Général Denis Mercier. L’industriel n’a rien à gagner à prélever tous les avions qu’il vend à l’étranger sur nos commandes : les exportations doivent contribuer à augmenter la production. C’est d’ailleurs dans notre intérêt à tous.

J’en viens à l’impact sur les forces aériennes stratégiques. Nous avons commencé à monter en 2015 l’escadron de Rafale à vocation nucléaire qui doit être opérationnel en 2018 pour remplacer celui de Mirage 2000N. Sur les six Rafale biplaces prélevés au profit de l’Égypte, trois étaient destinés à cet escadron. Pour qu’il n’y ait pas d’impact sur la montée en puissance de l’escadron, il faut donc que trois Rafale nous soient livrés en 2017 – encore une fois, nous savons que c’est possible.

La montée en puissance de cet escadron, est particulièrement délicate à gérer, car les qualifications nucléaires des équipages et des mécaniciens se périment assez rapidement. Nous avons ajusté notre plan de formation – qui doit tenir compte du tuilage entre l’escadron de Mirage 2000N et le nouvel escadron de Rafale, ce qui est indispensable pour maintenir notre posture de dissuasion – et avons décalé les qualifications de certains de nos aviateurs. Conformément à l’ordre édicté par le Président de la République, le deuxième escadron de Rafale à vocation nucléaire sera opérationnel en 2018.

Monsieur Vitel, lors de ma dernière audition, j’avais en effet exprimé une crainte concernant l’obsolescence des radars. Depuis lors, nous avons été entendus : la commande notamment de deux radars GM406 pour Lyon et Nice et d’un radar GM403 pour la côte sud a été entérinée dans le budget 2015. Cela va nous permettre de moderniser nos capacités en la matière, ce qui est une bonne chose.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, général, pour votre franchise et pour vos réponses très complètes. Certaines d’entre elles nous ont rassurés, d’autres nous incitent à être particulièrement vigilants lors de l’examen du projet de loi d’actualisation de la LPM.

La séance est levée à onze heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Frédéric Barbier, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, Mme Marianne Dubois, Mme Geneviève Fioraso, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Edith Gueugneau, M. Francis Hillmeyer, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Frédéric Lefebvre, M. Christophe Léonard, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marty, M. Philippe Meunier, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Nathalie Nieson, M. Jean-Claude Perez, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Olivier Audibert Troin, Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Jean-David Ciot, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Christophe Guilloteau, M. Éric Jalton, M. François Lamy, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Alain Marleix, M. Damien Meslot

Assistaient également à la réunion. - M. Dino Cinieri, M. Jean-François Lamour