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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 10 juin 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 70

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de Mme l’ingénieure générale de l’armement Caroline Gervais, sur l’état d’avancement du projet Source Solde

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, je suis heureuse d’accueillir aujourd’hui Mme l’ingénieure générale de l’armement Caroline Gervais, qui va faire part à notre commission de l’état d’avancement du projet Source Solde, appelé à succéder au logiciel Louvois, et auquel elle travaille depuis décembre 2013. Notre commission s’est déjà intéressée à la question de Louvois, dont nos collègues Geneviève Gosselin-Fleury et Damien Meslot, ici présents, avaient dressé un état des lieux en 2013.

Depuis, des décisions ont été prises, notamment celle d’attribuer à la société Sopra le marché de réalisation du nouveau logiciel de solde des militaires, et celle d’expérimenter ce logiciel avec les soldes de la marine nationale – ce dont l’amiral Bernard Rogel nous a parlé il y a deux semaines, lors de son audition.

Mme l’ingénieure générale de l’armement Caroline Gervais. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis très honorée d’avoir à vous présenter ce dossier. Celui-ci est très technique, mais je vais m’efforcer d’être aussi claire que possible.

Je vous exposerai d’abord l’apport de la méthodologie des programmes d’armement avant de passer à la gouvernance du projet, à ses coûts et son calendrier, et conclurai en évoquant les chantiers permettant d’assurer la gestion des risques.

La rémunération des personnels militaires est une opération complexe. Cette complexité provient non seulement du nombre important de personnels à rémunérer – environ 250 000 –, mais également des centaines de situations différentes créées par la très grande diversité de métiers et de missions existant au sein du ministère de la Défense. Ainsi, un militaire ne percevra pas la même solde s’il est en caserne, en stage d’entraînement ou en mission à l’étranger, le globe étant par ailleurs découpé en différentes zones ayant chacune leur propre barème indemnitaire.

Prenons un exemple concret : un bateau part de Toulon pour une mission dans l’océan Indien. Jusqu’à Djibouti, les marins perçoivent une certaine prime dont le taux dépend de la zone géographique. Après Djibouti, lorsque le bateau entre dans une zone OPEX, les marins perçoivent une autre prime, qualifiée d’« indemnité de sujétions pour service à l’étranger ». Si la mission évolue et que le navire quitte l’océan Indien pour poursuivre sa mission en direction de Nouméa, on en revient à la prime précédente, dont le taux aura changé en même temps que la zone géographique.

Bien d’autres composantes sont à prendre en compte, notamment la position statutaire, la situation maritale, le nombre d’enfants et les qualifications : au total, plus de 220 éléments de rémunération entrent en considération pour le calcul de la solde de chaque militaire. Enfin, toutes ces informations proviennent de quatre sources différentes – une pour chacune des trois armées et une pour le service de santé des armées, chaque système d’information RH étant indépendant et présentant des différences significatives. Cela entraîne une complexité que nous devons gérer au quotidien.

Afin de construire le futur système de rémunération des militaires, le ministre a donc fait appel à la direction générale de l’armement (DGA) pour conduire le projet Source Solde à la manière d’un programme d’armement : il s’agissait de faire appel à des techniques parfaitement maîtrisées par le ministère en matière de conduite de grands projets. L’instruction générale 1516, qui régit les programmes d’armement, fait une distinction très nette entre les responsabilités des différents acteurs : le maître d’ouvrage – la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) –, le maître d’ouvrage délégué – la DGA – et le maître d’œuvre – en l’espèce, la société Sopra Steria.

Le maître d’ouvrage est responsable de la définition du besoin, de la coordination des états-majors, de la préparation du déploiement – à savoir l’accompagnement du changement et la formation des futurs utilisateurs – et de la conduite des expérimentations – c’est-à-dire les phases de solde à blanc et de solde en double, dernières étapes avant le passage définitif à Source Solde.

Le maître d’ouvrage délégué est responsable de l’élaboration de la réponse au besoin, de la garantie du respect des coûts, des délais et de la performance du système, de la contractualisation, du suivi d’exécution et de l’acceptation des prestations, ainsi que de l’accompagnement de l’expérimentation.

Quant au maître d’œuvre, il a une obligation de résultat sur la réalisation du système dans le respect des coûts, délais et exigences figurant au marché. Il est engagé sur la réalisation de la totalité du système, contrairement au dispositif retenu pour Louvois.

Le projet débute par une définition de l’état à atteindre – décrit dans le programme fonctionnel tenant lieu de fiche de caractéristiques militaires et ayant été fourni aux candidats – et des jalons sont fixés. Aucun jalon n’est franchi tant que les critères correspondants ne sont pas remplis – en d’autres termes, l’avancement dans le temps ne justifie pas à lui seul qu’un jalon soit franchi. L’engagement de l’industriel est assuré par de lourdes pénalités, et il doit justifier que ses choix de conception permettent de respecter les exigences de l’administration.

L’équipe intégrée compte actuellement douze personnes pour la DGA – des spécialistes en conduite de projets – et vingt-cinq personnes pour la DRH-MD – des spécialistes du métier de la solde. Elle est dirigée par un tandem composé de la directrice de programme – moi-même – et d’un officier de programme de la DRH-MD. Ce copilotage permet d’assurer la bonne prise en compte des besoins des différentes parties. Côté industriel, environ cinquante personnes de la société Sopra œuvrent à l’élaboration du système.

Dans les phases d’élaboration – correspondant à la passation du contrat – et de réalisation, le programme est placé sous la responsabilité de la DGA. Conformément aux principes de la conduite des programmes d’armement, un transfert de responsabilité aura lieu vers la DRH-MD en fin de réalisation, quand le système sera complètement stabilisé, c’est-à-dire vers 2020.

Le projet est régi à la fois par les instances de gouvernance des programmes d’armement et par les instances qui, au ministère de la Défense, régissent les systèmes d’information d’administration et de gestion (SIAG). Comme tous les projets, il dispose d’une gouvernance intrinsèque : d’une part, un comité de pilotage et un comité de gestion de configuration présidés par moi-même ; d’autre part, un comité directeur présidé par le DRH-MD. De plus, l’avancement du programme est présenté mensuellement au directeur de cabinet du ministre.

Le programme est également présenté aux revues de la délégation aux SIAG lors de chaque changement de phase, et fait l’objet d’un suivi par la direction interministérielle des systèmes d’information et de communication (DISIC), qui s’assure régulièrement que le projet est correctement gréé, que les risques sont suffisamment maîtrisés et que l’avancement est nominal. Pour la DISIC, il s’agit également de s’assurer que Source Solde s’intègre bien dans la feuille de route interministérielle du programme de modernisation RH-Solde.

Pour ce qui est des coûts, le montant maximum du marché notifié à Sopra Steria pour une durée de dix ans est de 128 millions d’euros. Ce prix comprend la réalisation de Source Solde, à savoir l’achat des licences d’exploitation des progiciels, le travail de développement et de paramétrage, ainsi que tous les tests et la conduite du changement, dont la formation des utilisateurs à ce nouvel outil. Il comprend aussi la mise en service et la maintenance corrective et évolutive du système jusqu’en 2025. Comme son nom l’indique, la maintenance corrective est celle visant à remédier d’urgence aux problèmes qui se présentent. La maintenance évolutive comprend, elle, les modifications qui résulteront des changements de la réglementation. Ces changements sont parfois importants : c’est le cas de la déclaration sociale nominative (DSN), obligatoire pour les entreprises au 1er janvier prochain et envisagée pour les administrations dans les années à venir.

J’en viens au calendrier. Le ministre a annoncé sa décision de remplacer Louvois le 3 décembre 2013 à Varces. La délégation de gestion – justifiée par le fait que la conduite d’un SIAG n’entre pas dans les missions de la DGA – a été faite dès le 30 janvier 2014. Le lancement de la procédure de passation de contrat par la publication de l’avis d’appel public à candidature, auquel ont répondu cinq sociétés, a eu lieu le 1er février, et la définition du besoin, traduite dans le programme fonctionnel, le 1er avril. L’envoi du dossier de consultation des entreprises aux trois candidats admis au dialogue, à savoir Sopra, Atos et le groupement formé par Accenture, CGI et SAP a été effectué le 18 avril.

Un premier tour d’auditions des candidats a été effectué en juin et juillet 2014, puis un deuxième tour en octobre et novembre 2014. L’évaluation des prototypes remis par les candidats a été faite en novembre 2014 et janvier 2015. La procédure s’est achevée par la remise des offres finales des candidats le 11 février 2015. Enfin, le dépouillement des offres, puis le classement des candidats ont conduit à la notification du contrat à Sopra Steria le 22 avril 2015. Je souligne que le calendrier de la procédure a été tenu : il n’y a aucun retard par rapport au calendrier fixé par le ministre en décembre 2013.

Le calendrier des travaux à venir est le suivant. En 2015 aura lieu le développement de la solution technique. C’est la phase durant laquelle Sopra va assurer l’encodage des règles de calcul des éléments de rémunération, la réalisation des interfaces avec les dix-huit systèmes d’information, dont les quatre systèmes d’information « ressources humaines », la construction de l’architecture technique du système – réalisation des bases de données, intégration du système sur les serveurs du ministère de la Défense – et effectuer, à la fin de l’année, les tests industriels de la version pilote. En parallèle, nous effectuons une mesure de la qualité des données utilisées pour la solde – provenant principalement des systèmes d’information RH – avec l’assistance d’un prestataire informatique.

L’année 2016 sera presque intégralement consacrée aux tests, consistant d’abord en la qualification du système, c’est-à-dire la vérification de sa conformité aux exigences de l’administration, avant que nous ne passions aux phases de solde à blanc et de solde en double de la marine. En 2017, nous procéderons à la mise en service opérationnel de Source Solde pour la marine ; en 2018, à la mise en service opérationnel pour l’armée de terre ; en 2019, à la mise en service opérationnel pour le service de santé des armées et l’armée de l’air.

Le rapport publié par votre commission le 11 septembre 2013 faisait état d’un certain nombre de risques. La gestion des risques de Source Solde est assurée par deux chantiers internes au programme, et cinq chantiers externes.

Les chantiers internes sont entièrement pilotés par le programme Source Solde. Il s’agit tout d’abord de la réalisation des fiches de spécification du droit indemnitaire, en avance sur la phase de réalisation. Ces fiches, dont la rédaction a constitué un énorme travail de dérisquage, fournissent une description du droit compréhensible par une société de services en ingénierie informatique (SSII), non ambiguë, réglementaire et harmonisée ; ce chantier est pratiquement terminé.

Le deuxième chantier consiste en la gestion de configuration. Je rappelle que Source Solde est interfacé avec dix-huit systèmes d’information et référentiels. Il s’agit donc d’assurer la maîtrise de la coordination des évolutions de chacun des éléments de cet ensemble – résultant notamment de l’évolution de la réglementation, ou encore des bases de données RH – et d’assurer l’existence et l’utilisation de procédures et moyens de tests associés. Ce chantier sera permanent : il durera aussi longtemps que Source Solde fonctionnera.

Les chantiers externes sont pilotés par la DRH-MD et le service du commissariat des armées (SCA), selon leurs responsabilités. Il s’agit de la réalisation des nouvelles interfaces des systèmes liés à Source Solde – essentiellement les systèmes d’information de gestion des ressources humaines (SIRH) – ; de la mesure de la qualité des données impactant la solde et de la mise en qualité, effectuée par les gestionnaires RH ; de la gestion des données de référence du domaine RH – un chantier permanent qui fonctionne très bien – ; de la définition des processus et de l’organisation de la chaîne RH-Solde, confiée essentiellement au SCA ; enfin, de la formation au métier de la solde – la formation incluse dans le programme ne concernant que la formation à Source Solde.

En conclusion, Source Solde est un programme particulièrement complexe en raison de la complexité de la solde en elle-même, mais aussi du nombre de parties prenantes et du nombre de systèmes d’information en interfaces. Le savoir-faire de la DGA et ses méthodes éprouvées permettent un avancement du programme Source Solde nominal à ce jour, ainsi qu’une bonne maîtrise des risques.

Mme la présidente Patricia Adam. Le sujet est très technique, mais votre exposé nous a permis de constater qu’un véritable programme a été mis en place pour Source Solde, sur la base d’une méthodologie éprouvée. Par ailleurs, le fait que plus de 200 éléments de rémunération – susceptibles d’évoluer à tout moment – soient à prendre en compte pour calculer la solde de chaque militaire doit nous faire prendre conscience qu’un travail de simplification pourrait être accompli dans ce domaine.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Le choix de la société Sopra a suscité un certain étonnement parmi les spécialistes de la solde, ainsi qu’au sein de la presse spécialisée. Cette société est en effet celle qui avait été retenue pour mettre en place le système mutualisé de paye des fonctionnaires, sous l’égide de l’opérateur national de paye (ONP) ; or, il semble qu’à l’heure actuelle cette solution soit bloquée et pose quelques problèmes.

Par ailleurs, les trois armées ainsi que le service de santé des armées sont tous équipés d’un SIRH sous logiciel SAP de la société Accenture. N’aurait-il pas été plus simple de conserver le même type de logiciel, ce qui aurait sans doute évité d’avoir à recréer des interfaces entre le SIRH et le progiciel de solde ?

M. Damien Meslot. Je suis entièrement d’accord avec ce que vient de dire Mme Gosselin-Fleury sur l’étonnement qu’a provoqué le choix de la société Sopra.

Cela dit, je salue le fait qu’une véritable gouvernance ait été mise en place, ce qui n’était pas le cas avec Louvois. Des objectifs ont été fixés, et les garde-fous mis en place devraient permettre d’éviter les errements du passé. Plusieurs échelons ont été définis, auxquels il sera régulièrement fait le point avant d’aller plus loin. Encore faudra-t-il tenir compte des observations qui pourraient être faites car, lors de la mise en place de Louvois, on avait continué à foncer dans le mur en dépit de plusieurs rapports avertissant de la présence de dysfonctionnements – notamment celui du général Gérard Lapprend, directeur général des systèmes d’information et de communication du ministère de la Défense, dans le cadre de l’audit qui lui avait été demandé. J’ose espérer que cette fois-ci, si l’on constate que les objectifs intermédiaires ne sont pas atteints, on saura s’arrêter à temps pour analyser et corriger les problèmes.

Par ailleurs, en attendant la mise en œuvre de Source Solde, c’est le logiciel Louvois qui va continuer à être utilisé. Pouvez-vous nous indiquer comment il fonctionne actuellement : les problèmes sont-ils moins fréquents depuis quelque temps, comme on l’entend dire, et sont-ils toujours corrigés manuellement ? Enfin, pouvez-vous nous donner une idée de ce que nous aura coûté Louvois au total, entre son élaboration initiale, les nombreuses corrections qu’il aura fallu lui apporter, et les 128 millions d’euros nécessaires à la mise en œuvre du système appelé à le remplacer ?

Mme Caroline Gervais. Le choix de Sopra s’est effectué à l’issue d’un dialogue compétitif qui a duré une année, d’avril 2014 à avril 2015. Les candidats ont bénéficié de la plus grande transparence, puisque le règlement annexé au dossier de consultation des entreprises indiquait toutes les règles de notation : chacun savait ce qui était requis pour être bien noté. Au terme de la consultation, les trois candidats ont émis des offres recevables. L’équipe de programme a procédé à une évaluation et à un classement selon les critères figurant au règlement de consultation. Ces critères étaient, dans l’ordre décroissant d’importance, le critère technique, le prix et le délai.

L’offre de Sopra était celle apportant les meilleures garanties de parvenir au résultat recherché dans les meilleures conditions. Par ailleurs, effectuer une consultation en imposant un système sous SAP n’était pas recevable, ni sur le plan technique, ni sur celui du respect de l’accès à la commande publique, c’est pourquoi nous n’avons pas imposé de logiciel. En revanche, nous avons bien spécifié l’architecture des systèmes d’information RH.

Le choix de l’interface a donné lieu à de très nombreuses discussions. Nous avons choisi de spécifier le fait que les systèmes d’information RH devaient évoluer le moins possible. Il se trouve que l’architecture retenue par Sopra ne nécessite qu’une évolution minime de l’interface actuelle, qui fonctionne bien : nous y avons vu un avantage.

Certes, HR Software, filiale de Sopra et éditeur du logiciel HR Access, a participé au projet de l’ONP. Cependant, le rapport de Jacques Marzin, directeur de la DISIC, ne met pas en cause HR Access, dénonçant surtout un projet d’une complexité extrême et une gouvernance un peu compliquée entre les différents ministères concernés. Je comprends aussi qu’abandonner des systèmes qui fonctionnent pour un nouveau système dont on ne connaît pas l’efficacité n’a guère de quoi motiver, surtout compte tenu des risques et de l’importance de l’enjeu. Pour moi, il n’y avait donc pas de raison de penser que HR Access ne viendrait pas à bout du projet. Je rappelle que cette société fournit des solutions logicielles pour la paye des salariés de la plupart des entreprises du CAC40 : c’est un poids lourd en la matière.

Pour ce qui est de la question de M. Meslot sur les échelons – ou les cliquets – permettant de s’assurer que le projet avance bien, je souligne que celui-ci se caractérise par une gouvernance solide, en particulier par les services du ministère. Les armées ont été très pénalisées par Louvois et en sont restées traumatisées, ce qui les a rendues très vigilantes. Les documents de gouvernance du projet, rassemblés dans le plan de management étatique, détaillent très précisément les interventions des uns et des autres, et je peux vous garantir que les armées sont présentes au sein de l’équipe de programme – l’équipe de la DRH-MD étant exclusivement gréée par des personnels des armées, qui rapportent l’état d’avancement du projet à la hiérarchie de leur armée d’origine.

Par ailleurs, si la qualification est du strict ressort de la DGA, il est évident que l’avis des personnels ayant pris part à cette qualification sera pris en compte. Enfin, à l’issue des expérimentations sous forme de solde à blanc et de solde en double, la décision de poursuivre ou non sera prise collégialement avec le chef d’état-major de l’armée concernée – en l’occurrence l’amiral Rogel pour la première de ces expérimentations, pratiquée sur les dossiers des personnels de la marine : la demande écrite qu’il a formulée sur ce point a été expressément acceptée. Comme vous le voyez, toutes les décisions prises auront été mûrement réfléchies, sur la base d’un examen de long terme. S’il y a des dysfonctionnements, ils seront donc forcément détectés.

Les audits réalisés par la direction générale des systèmes d’information et de communication (DGSIC) ont montré que le logiciel Louvois ne pourrait jamais faire l’objet de réparations aboutissant à ce qu’il fonctionne de façon fiable. En revanche, je tiens à souligner que le savoir-faire des personnels de la chaîne RH-Solde s’est considérablement amélioré : ils parviennent désormais à détecter la très grande majorité des anomalies du logiciel et à y remédier durant le cycle de solde. Ce qui s’apparente à du colmatage de brèches se fait toutefois au détriment du travail de contrôle des gestionnaires de solde, et au prix de renforts s’élevant à plusieurs centaines de personnels.

Enfin, je ne dispose malheureusement pas des éléments qui me permettraient de répondre à la question portant sur le coût entraîné par la défaillance de Louvois.

M. Sylvain Berrios. Comme on l’a vu, la mise en œuvre de tous les systèmes visant à organiser les soldes et, plus largement, les rémunérations des agents de l’État, s’est traduite par des problèmes quasi insolubles. Louvois n’y a pas survécu, et sans doute l’ONP n’y survivra-t-il pas non plus. Or, en dépit de la complexité que représente la mise au point d’un logiciel de gestion des soldes, vous vous dirigez à nouveau vers un système global ayant vocation à traiter l’ensemble des soldes des armées. Ne pensez-vous pas qu’avant de vous lancer dans un tel projet, il aurait au moins fallu mener une réflexion sur les difficultés ayant conduit Louvois à l’échec ?

M. Gilbert Le Bris. L’exemple de l’océan Indien que vous avez donné tout à l’heure m’a rajeuni en me rappelant les années où j’ai été commissaire de la marine dans l’océan Indien. À l’époque, en dépit des changements de zone et du dispositif complexe de majorations (MAJ) et d’indemnités de perte au change (PCH), tout se passait bien en raison de la déconcentration du système : c’est la base qui fournissait les éléments nécessaires au traitement de la solde. Depuis, on a eu tendance à tout centraliser en appliquant l’adage big is beautiful, ce qui n’a pas été sans poser certains problèmes, notamment au niveau du service du commissariat des armées : la concentration dans ce domaine me paraissait déjà constituer une aberration, tant elle faisait coexister de formules différentes.

Il nous appartient désormais de ne pas refaire les mêmes erreurs. Vous avez indiqué tout à l’heure que sur les trente-sept membres de l’équipe intégrée, douze provenaient de la DGA. Or, les personnels de la DGA ne sont pas des administrateurs, mais des ingénieurs, et il faut bien reconnaître qu’il est souvent utile que des administrateurs soient également présents afin de s’assurer que les ingénieurs ne fassent pas n’importe quoi. Les vingt-cinq autres membres de l’équipe viennent de la DRH-MD et sont sans doute très compétents. Je regrette que l’on ne trouve dans cette équipe aucun personnel du service du commissariat des armées (SCA), ce qui serait plus que nécessaire. Vous dites que, parmi les missions du SCA, figurera celle de dispenser une formation au métier de la solde – ce qui fait partie de ses attributions d’origine. Pouvez-vous nous préciser comment on a impliqué concrètement dans ce rattrapage les personnels des services du commissariat des armées ?

Mme Caroline Gervais. La complexité du régime indemnitaire de la solde, avec ses 174 primes, n’est plus à démontrer. Cela dit, cette complexité ne date pas d’hier : elle existait avant Louvois, ce qui n’empêchait pas le système de fonctionner.

M. Sylvain Berrios. À l’époque, le système n’était pas centralisé comme il l’est aujourd’hui.

Mme Caroline Gervais. Pour ce qui est de l’exécution, il ne l’est pas tant que ça. Nous avons des centres experts pour chacune des armées et des bureaux de saisie auprès des gestionnaires RH, et cela ne représente pas une centralisation beaucoup plus forte qu’autrefois. C’est la volonté d’automatiser les processus qui a entraîné le plus de changements : pour cela, on a remplacé les gestionnaires spécialistes de la paye par des automatismes. C’est ce qui s’est passé pour Louvois : il n’est pas possible de modifier les données de ce système via un simple écran utilisateur, seuls des accès techniques permettent de le faire, ce qui rend l’opération très difficile pour les gestionnaires de solde. Ils ont ainsi perdu une grande partie de leur capacité à rectifier les dysfonctionnements du système : quand ils repèrent une anomalie, ils doivent contacter un gestionnaire RH pour lui demander de corriger le dossier concerné.

Avant Louvois, chaque gestionnaire de solde entrait les données dans le programme, mais pouvait également accéder au système pour procéder à des corrections en cas de besoin. Je le répète, ce n’est pas tant la concentration du système qui a posé problème que l’impossibilité faite aux gestionnaires de solde d’accéder au système, alors que cela fait partie de leur métier. Avec Source Solde, nous mettons fin à cette situation en permettant à nouveau à 1 500 utilisateurs d’accéder au système et d’y apporter des corrections si nécessaire.

Pour ce qui est de la complexité des primes, j’appelle votre attention sur le fait qu’elle n’est pas spécifique aux armées : les primes versées par la SNCF ou Air France à leurs agents sont tout aussi complexes, et les deux entreprises font appel à HR Access pour la gestion des payes, qui se fait sans difficultés particulières. Cela montre bien qu’il est tout à fait possible de verser une rémunération comprenant de nombreuses primes, du moment que l’on dispose pour cela d’un outil professionnel efficace.

M. Sylvain Berrios. Force est de constater que l’ONP et Louvois se sont tous deux soldés par un échec et que, si la complexité des primes n’y est pour rien, il y a tout de même de quoi s’interroger.

Mme Caroline Gervais. Il existe effectivement un risque, que le projet Source Solde cerne et prend en compte. C’est bien la complexité du droit indemnitaire qui a conduit à accomplir, durant plusieurs mois, un énorme travail d’anticipation du risque en préalable à la conception proprement dite du système. Ce travail n’avait pas été fait pour Louvois, je ne sais pas s’il a été réalisé pour l’ONP.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. La complexité du système de primes n’est pas la seule raison de l’échec de Louvois. Les deux grandes causes de cet échec sont, d’une part, le fait que le calculateur n’ait jamais fonctionné correctement – et n’ait jamais pu être réparé –, d’autre part, le fait que les personnels compétents pour traiter les informations afférentes à Louvois soient partis et aient été remplacés par d’autres, ne possédant pas les compétences nécessaires pour entrer les données dans le SIRH, ce qui a été à l’origine de nombreuses erreurs.

M. Damien Meslot. C’est tout à fait exact.

Mme Caroline Gervais. Pour ce qui est des équipes travaillant sur le projet, je précise que les douze ingénieurs de la DGA n’interviennent que pour apporter leur expertise technique en matière de systèmes d’information et de méthodologie de conduite de projet : ils ne disposent d’aucune responsabilité sur le plan fonctionnel.

Par ailleurs, les vingt-cinq personnes affectées à la DRH-MD sont toutes issues du personnel des armées et du service du commissariat des armées. Ainsi, l’adjoint de l’officier de programme vient du SCA, tout comme l’officier qui, dans l’équipe de l’officier de programme, finalise les spécifications de rémunération. Comme vous le voyez, le commissariat des armées est impliqué très directement dans la conduite du projet, tandis que la DGA n’apporte, je le répète, aucune plus-value sur le plan fonctionnel. Une telle organisation nous conduit à nous appuyer fortement sur les sachants, qui se trouvent en nombre réduit. La filière des gestionnaires de solde a été sinistrée par l’arrivée de Louvois, et ceux qui sont encore présents sont mobilisés à 100 % pour corriger les erreurs qui surviennent régulièrement. Dans ces conditions, il est très difficile de dégager des sachants pour construire Source Solde, et il faut saluer l’effort accompli à ce titre par le commissariat des armées et les armées.

M. Joaquim Pueyo. Dans la mesure où des millions d’euros ont été engloutis dans Louvois, on ne peut que trouver dommage de devoir prendre aujourd’hui la décision de l’abandonner : nous confirmez-vous qu’il était impossible de réparer ce système – que l’on nous dit pourtant fonctionner de manière plus satisfaisante ces derniers temps –, en dépit des compétences des ingénieurs auxquels on peut faire appel ?

Par ailleurs, en tant que directrice du programme Source Solde, pouvez-vous nous préciser combien de personnels sont consacrés à ce travail, et quelles sont les liaisons avec la direction des ressources humaines ? Si je comprends bien, le rôle de l’officier de programme doit être d’analyser les besoins, tandis que vous vous assurez que l’industriel y réponde ?

Mme Caroline Gervais. C’est bien cela.

M. Philippe Vitel. Il y a deux ans, la société Sopra a racheté Steria, le concepteur de Louvois. Par ailleurs, sa filière logicielle a une responsabilité dans l’échec de l’Opérateur national de paye. Le cumul de ces deux éléments n’est-il pas de nature à susciter une certaine inquiétude : en d’autres termes, faut-il y voir une valeur ajoutée, ou plutôt un boulet ?

Par ailleurs, dans la mesure où un cahier des charges avait été défini, les propositions des trois sociétés ayant répondu à l’appel d’offres devaient être assez proches les unes des autres ; j’aimerais donc savoir sur quels critères ont été éliminés les deux concurrents de Sopra, à savoir Atos et Accenture. Enfin, les deux sociétés qui n’ont pas été retenues ont-elles formé des recours sur le choix qui a été fait, et les délais pour l’exercice des recours ont-ils expiré ?

M. Francis Hillmeyer. Alors que vous vous apprêtez à rassembler les données personnelles de plusieurs milliers de personnes, je veux rappeler les risques inhérents à toute opération de ce type. Ainsi a-t-on vu, en avril dernier, les données de quatre millions de fonctionnaires américains piratées. S’il est toujours difficile de prévenir les attaques informatiques, estimez-vous avoir pris toutes les précautions possibles dans ce domaine ?

Mme Caroline Gervais. Pour ce qui est de la question relative aux réparations qui auraient éventuellement pu être apportées à Louvois, je précise que ce logiciel est basé sur un calculateur – le même que celui utilisé par l’armée de l’air – maintenu en interne par le ministère de la Défense. Alors que les règles de calcul sont « câblées en dur » dans le logiciel, il se trouve que celui-ci n’est pas suffisamment documenté et maîtrisé pour que l’on soit sûr qu’une modification apportée en un point n’en engendre pas d’autres ailleurs. Par ailleurs, le logiciel a été écrit dans un langage considéré comme ancien – le même que celui de l’application paye de la direction générale des finances publiques (DGFIP), que l’on s’emploie justement à réécrire en ce moment parce qu’on ne trouve plus personne maîtrisant le langage initialement utilisé.

Pour toutes ces raisons, il paraît évident que Louvois n’aurait pu faire l’objet de réparations d’ampleur permettant de l’utiliser dans des conditions normales. Cela dit, il est exact qu’il donne actuellement aux administrés l’impression qu’il fonctionne mieux, ce qui résulte essentiellement de la considérable amélioration du savoir-faire des personnels de la chaîne RH Solde, qui détectent et corrigent les erreurs en cours de solde : ainsi les administrés perçoivent-ils ce qui leur revient, ainsi qu’un bulletin correspondant à ce qu’ils ont perçu.

De notre côté, l’impression est nettement moins favorable : d’une part, Louvois continue à générer des erreurs, certes détectées, et d’autre part, l’effort produit pour corriger les soldes et donner satisfaction aux administrés est énorme. En effet, l’utilisation de Louvois nécessite actuellement des renforts en personnel par centaines dans les centres experts de la solde, ce qui ne saurait se prolonger indéfiniment.

Le fait que l’organisation de Source Solde soit établie sur le modèle de celle d’un programme d’armement a pour conséquence que la DGA est responsable de la contractualisation, donc de l’intégralité des relations avec l’industriel. Elle a pour rôle de répondre aux besoins exprimés par l’officier de programme. Quand celui-ci et son équipe ont des conseils, des suggestions ou des récriminations à exposer à l’industriel, tout ce qu’ils ont à dire passe forcément par la DGA, qui en évalue l’impact en termes financiers, calendaires et contractuels. L’un des avantages de ces procédures des programmes d’armement est qu’elles sont bien rodées.

Pour ce qui est du rapprochement opéré entre Sopra et Steria – il ne s’agit pas d’un rachat –, je précise que la consultation a été adressée à la société Sopra. À cette époque, Steria était effectivement sous-traitant, mais d’un autre candidat, à savoir Atos. Les deux équipes, celle de Sopra et celle de Steria, étaient bien distinctes et ont répondu en exposant des projets basés sur des technologies différentes. Nous avons, par la suite, continué à avoir pour interlocuteur l’équipe de Sopra qui avait répondu à l’appel d’offres : Sopra n’a pas fait intervenir d’équipe d’avant-vente et c’est toujours la même équipe – celle venue présenter le projet – qui se trouve actuellement aux commandes de la réalisation de Source Solde.

Certes, l’éditeur d’HR Access est intervenu dans le programme de l’ONP. Cela dit, tous les civils travaillant pour le ministère de la Défense sont gérés et payés par le biais de ce logiciel, ce dont personne n’a apparemment à se plaindre.

Je ne suis pas sûre de pouvoir vous dire exactement sur quels critères Atos et Accenture ont été éliminés, mais en tout état de cause, le choix s’est fait sur la base d’une notation globale où les deux critères prépondérants étaient l’aspect technique et le prix.

Pour ce qui est des recours, si la période de recours précontractuel est échue, celle du recours post-contractuel ne le sera que le 29 juin prochain. Je précise qu’aucun recours n’a été formé à ce jour.

Enfin, je peux vous assurer que la sécurité des systèmes d’information constitue à mes yeux une préoccupation essentielle : compte tenu de mon parcours professionnel, c’est « câblé en dur » chez moi ! Nous veillons donc, en matière de sécurité des systèmes d’information, au respect de prescriptions très strictes. Nous avons procédé à une analyse de la menace, à laquelle l’industriel a présenté ses réponses, et nous sommes régulièrement soumis à des revues liées aux procédures de prise en compte de la sécurité. Les procédures particulières auxquelles le programme sera soumis auront d’ailleurs une conséquence : les administrés ne disposeront probablement pas d’une vue aussi étendue que certains l’auraient espéré sur leurs données, l’accès à ces données étant extrêmement limité – a fortiori pour les personnels jugés sensibles.

Mme la présidente Patricia Adam. Au nom de notre commission, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

La séance est levée à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Laurent Cathala, M. Alain Chrétien, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, Mme Geneviève Fioraso, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Francis Hillmeyer, M. Laurent Kalinowski, M. Patrick Labaune, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Nathalie Nieson, M. Jean-Claude Perez, M. Joaquim Pueyo, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Claude Bartolone, M. Daniel Boisserie, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, M. Christophe Guilloteau, M. Éric Jalton, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, M. Philippe Meunier, Mme Marie Récalde, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André