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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 23 juin 2015

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 72

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition du général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié Transformation

— Communication de Mme la présidente, ouverte à la presse, à la suite d’un déplacement conjoint auprès de la brigade franco-allemande de délégations des commissions chargées de la Défense du Bundestag, de l’Assemblée nationale et du Sénat

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir le général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié Transformation de l’OTAN depuis trois ans.

Vous occupez, général, un poste essentiel dans les discussions qui ont lieu au sein de l’OTAN, notamment sur la place de l’Europe. Je précise que vous quitterez vos fonctions fin septembre, où vous serez remplacé par le général Mercier. Je crois savoir que vous avez rencontré il y a peu nos deux rapporteurs d’information sur l’évolution du rôle de l’Alliance, MM. Le Bris et Vitel.

Général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié Transformation.

Je vous remercie, madame la présidente, pour l’honneur qui m’est donné d’être reçu par la commission alors que j’achève bientôt ma troisième année à la tête du commandement allié en charge de la transformation de l’OTAN.

Il y a 3 ans, alors que je prenais cette fonction confiée à la France en 2009, l’OTAN se préparait à désengager ses forces d’Afghanistan. Certains s’interrogeaient sur la raison d’être de l’Alliance, oubliant un peu vite le rôle essentiel de cette organisation politico-militaire unique pour le maintien de la paix et la stabilité en Europe depuis soixante-six ans.

L’Alliance mérite d’être mieux connue. Elle a porté la renaissance de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale et largement contribué à sa prospérité depuis près de soixante-six ans. Elle a fait ses preuves pendant la guerre froide comme à l’occasion des crises dites « chaudes » qui ont suivi en Bosnie, dans les Balkans, en Afghanistan ou en Libye, où elle a tenu la place que ses vingt-huit membres ont voulu lui donner. Il s’agit d’une alliance des nations, pour les nations, bâtie sur des valeurs et des objectifs communs. Si, évidemment, le consensus n’est pas toujours facile à construire, elle a développé une aptitude à le faire naître – sur des bases non minimalistes, mais assez élevées, à la hauteur de ce qu’exige la situation actuelle.

La transformation de l’Alliance a permis à l’OTAN de s’adapter à toutes les circonstances et toutes les crises, là même où certains pensaient qu’elle perdrait de sa pertinence. Que ce soit à la fin de la Guerre froide, au début des années 2000 ou il y a encore deux ans, beaucoup se demandaient si son utilité était encore avérée. En ce qui me concerne, les événements survenus depuis lors n’ont fait que renforcer ma conviction : ce serait de la folie de se séparer d’une alliance de cette qualité, unissant les deux côtés de l’Atlantique, avec une forte présence européenne. Mais la condition sine qua non pour qu’elle conserve sa crédibilité est qu’elle continue à se transformer, à s’adapter. D’où la création, à côté du commandement des Opérations, assuré par le général Philip Breedlove à Mons, en Belgique, du commandement de la Transformation, actuellement réparti entre l’Europe et Norfolk, en Virginie – où j’espère avoir le plaisir de vous recevoir.

Quand j’ai pris ce commandement, conscient par mes fonctions précédentes des problématiques capacitaires, budgétaires et militaires de chacun des chefs d’état-major des vingt-huit États membres de l’OTAN, j’ai fixé cinq grands axes d’effort : le renforcement de la réflexion prospective et de l’anticipation stratégique, dont l’histoire a montré l’importance ; le recentrage sur la préparation opérationnelle des forces de l’Alliance – quelque peu négligée par ses membres, du fait de la pression budgétaire –, y compris pour des conflits de haute intensité, dont on avait perdu les « fondamentaux », l’Alliance ayant été engagée pendant près de vingt ans dans des opérations certes importantes, mais de moindre intensité ; la rationalisation et l’optimisation des capacités présentes et futures, avec des perspectives de réinvestissement budgétaire – qui demeurent cependant un peu lointaines et ont du mal à se concrétiser – ; un rapprochement et un engagement plus actif avec nos pays partenaires, en particulier l’Union européenne, qui partage vingt-deux de ses membres avec l’OTAN ; enfin, le renforcement du lien transatlantique, véritable ADN de l’Alliance, sans qu’il soit trop pesant, du fait du déséquilibre des budgets de la défense entre les deux côtés de l’Atlantique.

Le sommet de Newport au pays de Galles (4 et 5 septembre 2014) a confirmé ces priorités, qui visent à adapter l’Alliance, à maintenir, pour les décennies à venir, sa crédibilité et son efficacité dans sa mission essentielle : préserver la paix, la sécurité et la stabilité de vingt-huit nations et près de 900 millions d’habitants.

Je souhaite vous exposer ma vision de l’évolution de l’OTAN et de sa dynamique de transformation en l’établissant sur un constat : si les opérations de l’OTAN ont fortement diminué – notamment en Afghanistan, où nous assurons avec une dizaine de milliers d’hommes le soutien, l’assistance et l’entraînement des forces du pays –, l’interopérabilité des équipements, des doctrines et des procédures fournies par l’Alliance n’a jamais été aussi cruciale dans les coalitions, notamment celles auxquelles les Alliés, en particulier la France, participent activement, que ce soit en Irak ou au Sahel.

Je souhaite mener une analyse en deux temps : premièrement en rappelant la perception par les Alliés du contexte sécuritaire qui se durcit et entraîne le nécessaire et inévitable rééquilibrage des missions de l’Alliance en faveur de sa mission fondamentale de défense collective ; deuxièmement, en vous exposant, en réponse à ce nouvel environnement sécuritaire, les efforts de transformation de l’OTAN et l’intérêt pour les nations de soutenir ce processus d’adaptation permanent car, je le répète, l’OTAN est une alliance de nations.

L’OTAN, comme d’autres organisations, doit faire face aujourd’hui à une combinaison de risques et de menaces qui sont, de mon point de vue, sans précédent. La simultanéité des crises, leur complexité et leur interconnexion appellent une stratégie d’ensemble, fondée sur la solidarité et qui doit prendre en compte les différentes sensibilités nationales de ses membres, du nord au sud et de l’est à l’ouest.

À l’Est, la crise ukrainienne a fait renaître le spectre des conflits interétatiques, en particulier chez nos Alliés orientaux. L’action russe en Crimée remet aussi en cause certains des principes de base établis à Helsinki s’agissant du respect des frontières et de l’intégrité territoriale des différentes nations. Cette crise souligne donc le besoin d’une défense collective moderne, crédible, nucléaire et conventionnelle, puisque tels sont les deux piliers de la défense collective au sein de l’Alliance, à même de prévenir et de dissuader toute agression contre un Allié, y compris dans le cadre de stratégies dites « hybrides ».

Comme cela a été démontré en Ukraine à une échelle sans précédent, une stratégie hybride s’appuie sur une combinaison de méthodes conventionnelles et non conventionnelles, d’activités visibles ou clandestines, impliquant des opérations militaires ou paramilitaires, des actions dans l’espace cybernétique et une stratégie de communication, faut-il le souligner, particulièrement élaborée, particulièrement agressive et particulièrement efficace.

Ces stratégies s’appuient sur tous les éléments constitutifs de la puissance d’un État : le politique, le militaire, l’économie, la diplomatie, l’information, sans oublier l’énergie. Il est clair que la réponse à ce type de stratégie ne peut être que globale, impliquant en premier lieu une analyse des risques au niveau national, et une approche étroitement coordonnée de l’Union Européenne et de l’OTAN, la dimension militaire ne constituant qu’une des composantes de l’équation hybride. Par ailleurs, il ne peut pas y avoir une Alliance pour l’Est et une Alliance pour le Sud, car notre Alliance est unique et solidaire.

La situation à l’Est appelle une vigilance particulière vis-à-vis de l’évolution préoccupante de la posture nucléaire russe et du recours de plus en plus fréquent, de la part de ses responsables politiques et militaires, à une rhétorique belliqueuse, évoquant explicitement le déploiement de vecteurs nucléaires tactiques aux frontières de l’Alliance.

Au Sud, il ne faut pas l’oublier, nous assistons à la déstabilisation de régions entières – un phénomène qui ne semble pouvoir être enrayé du fait de la faiblesse et de l’instabilité des appareils étatiques des pays concernés. Ces zones de non-droit qui émergent à la périphérie de l’Europe favorisent l’établissement de bases d’appui pour des groupes extrémistes et terroristes, capables de menacer l’Alliance, y compris sur son propre territoire.

Cette instabilité semble devoir perdurer sur le long terme et les Alliés sont d’ores et déjà confrontés à certaines conséquences immédiates des crises induites par ces groupes, comme l’afflux massif de réfugiés ou le besoin de renforcer très vite certains des îlots de stabilité de cet immense arc de crise, comme c’est le cas en Jordanie, au Levant ou dans la bande sahélo-saharienne – ainsi que l’a démontré l’action exemplaire de notre pays.

De manière plus transverse, nous sommes aujourd’hui témoins d’un contournement progressif des fondements de la puissance occidentale, d’une certaine remise en cause de la suprématie de nos forces, que l’on pouvait considérer comme acquise au fil des trente dernières années.

Les espaces dans lesquels nous nous déployons et opérons sont de plus en plus contestés. Plusieurs grands États disséminent de façon extensive des armes dites de déni d’accès, combinant des systèmes intégrés de défense antiaérienne ainsi que d’autres capacités balistiques, antinavires et anti-sous-marines. Ces armes peuvent désormais menacer nos principales lignes de communication, d’approvisionnement énergétique et de logistique. Elles peuvent également avoir un effet dissuasif sur la volonté de certains Alliés de projeter leurs forces.

Cette contestation de la puissance militaire s’étend aussi dans les domaines électromagnétiques et cybernétiques, domaines dont nos forces sont aujourd’hui extrêmement dépendantes, comme nos sociétés. De manière générale, il devient de plus en plus difficile de garantir durablement notre supériorité technologique alors que de nombreuses puissances extérieures à l’Alliance réinvestissent massivement dans leur défense.

C’est d’ailleurs l’une des préoccupations majeures du Département de la Défense américain. Ce doit être, à mon sens, un axe d’effort privilégié pour les pays européens, s’appuyant de plus en plus sur une approche duale, civilo-militaire, et sur des systèmes complexes dont l’Europe possède la technologie et la maîtrise.

Face à une telle situation sécuritaire, les Alliés ont réaffirmé lors du sommet du pays de Galles leur volonté de répondre ensemble, de manière solidaire, afin d’assurer simultanément les trois missions fondamentales décrites dans notre concept stratégique : la défense collective, mais aussi la gestion des crises là où les Alliés décident de le faire, et la sécurité coopérative. Celle-ci, qui consiste à nouer des partenariats avec les pays qui le souhaitent, est une réussite de l’OTAN durant ces dix dernières années : de nombreux pays souhaitent se tourner vers l’OTAN pour avoir plus de contacts et garantir leur interopérabilité ainsi que leur aptitude à travailler au sein de coalitions avec les pays alliés.

Notre planification capacitaire, qui prend en compte celle des 28 Alliés, vise à garantir une dissuasion crédible, tant nucléaire que conventionnelle, face à des acteurs étatiques. Nous nous efforçons parallèlement de développer des forces modulaires, polyvalentes et très disponibles, capables de s’adapter à la demande, y compris face à des crises de haute intensité, et à même d’assurer en permanence la protection des territoires et des populations ainsi que l’accès aux principaux espaces communs – maritime, aérien, cyber, spatial. Enfin, nous cherchons à disposer de forces bien entraînées, plus réactives, plus interopérables, y compris avec nos partenaires.

Ce niveau d’ambition élevé doit évidemment être mis en perspective avec les contraintes budgétaires auxquelles sont confrontés les pays de l’Alliance. En la matière, l’OTAN est en fait confrontée à un double déséquilibre : d’une part, entre les deux rives de l’Atlantique et, d’autre part, au sein de l’Union européenne.

C’est ce constat qui a conduit nos chefs d’États aux engagements pris au Pays de Galles d’investir au moins 2 % de leur PIB dans leur défense, incluant pas moins de 20 % pour la recherche et le développement. Nous sommes encore, il faut l’avouer, loin de cet objectif, même si quelques pays, dont le nôtre, consentent des efforts significatifs.

Mais nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre des jours meilleurs. À ce titre, je vous remercie des efforts que vous faites en faveur de l’investissement de défense, qui est stratégique. Il nous faut tirer le meilleur parti des ressources disponibles tout en préparant l’avenir. C’est le sens des initiatives que nous conduisons. Sans entrer dans le détail, je les classerais en trois catégories : la préparation opérationnelle des forces, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui travaillent, et qui meurent parfois, au quotidien, pour défendre nos valeurs un peu partout dans le monde ; le développement de projets capacitaires multinationaux – au sein desquels la dimension européenne est très importante –, faute de quoi de nombreux pays perdront des capacités clés ; l’innovation enfin, qui seule peut nous permettre de maintenir une longueur d’avance et de développer les savoir-faire et les technologies nous assurant une certaine supériorité opérationnelle.

Lancée il y a deux ans, l’initiative pour les forces connectées (CFI) a ainsi déjà permis d’améliorer sensiblement l’entraînement et les exercices des forces de l’OTAN, mais également de celles de nos partenaires. Grâce à CFI, les Alliés ont une plus grande visibilité sur les exercices conduits par l’Alliance – c’est la responsabilité de mon commandement – et peuvent interagir avec ce programme en y adjoignant leurs propres activités nationales. Cette connexion des exercices permet d’optimiser les investissements, de partager des scénarios communs, de rapprocher les hommes, leur travail au quotidien, ainsi qu’une planification conjointe – ce qui favorise l’interopérabilité, les économies d’échelle et une meilleure connaissance mutuelle.

Cette initiative est un franc succès, qui s’est traduit par le triplement en deux ans du nombre d’exercices gérés par l’OTAN. C’est ce qui garantira à l’avenir que nos hommes et nos femmes seront à même de répondre aux missions difficiles dans lesquelles nous les engageons.

C’est aussi un cadre souple offert aux nations, qui a facilité la mise en œuvre des mesures d’assurance au profit de nos Alliés orientaux, permettant la coordination de plus de 100 exercices cette année. Nous avons ainsi pu développer une politique de présence dynamique des forces de l’OTAN à l’est, qui est toujours en place et à laquelle la France a participé, que ce soit au travers de missions de police du ciel, de surveillance maritime en mer Baltique ou de déploiement d’un groupement tactique interarmes Leclerc en Pologne. Précisons que ces exercices sont conduits en pleine transparence, conformément aux traités et accords en vigueur.

Promouvoir cette optimisation constante des investissements consentis pour les hommes, les capacités et l’innovation est pour moi un impératif.

L’initiative d’interconnexion des forces Connected Forces Initiative (CFI) favorise également la mutualisation des efforts alliés pour ré-entraîner leurs forces au combat de manœuvre, de haute intensité en ambiance interarmes, interarmées et interalliées, un impératif après une décennie quasiment focalisée sur la seule contre-insurrection.

Cette nouvelle ambition a conduit les Alliés à augmenter significativement le nombre d’exercices majeurs de un à six en moins de deux ans. De plus, sur un cycle de trois ans, les forces de réaction rapide de l’OTAN seront désormais entraînées dans un exercice de grande ampleur à des niveaux qui n’ont plus été connus depuis 1998.

Le premier exercice de cette nature, le plus grand que l’OTAN ait planifié depuis quinze ans, nommé TRIDENT JUNCTURE 15, est organisé par mon commandement et se déroulera en octobre et novembre en Italie, en Espagne et au Portugal. Il réunira plus de 30 000 hommes et des capacités venant de tous les pays de l’Alliance, pour bien montrer qu’elle fait face à l’ensemble du spectre de ses missions. L’exercice sera par ailleurs lié à l’exercice franco-britannique GRIFFIN RISE ainsi qu’avec l’exercice de certification du groupement tactique de l’Union européenne fourni par les pays du groupe de Višegrad, ce qui prouve que l’on peut faire travailler ensemble l’OTAN et l’Union européenne. J’ai d’ailleurs soumis plus de soixante-dix propositions en ce sens au secrétaire général de l’OTAN. Enfin, dans le cadre du plan pour la réactivité décidé au pays de Galles, la force à très haute réactivité de l’OTAN sera testée chaque année dans des conditions très réalistes comme nous venons de le faire la semaine dernière en Pologne.

Très clairement, l’initiative d’interconnexion des forces est un vecteur essentiel de développement des forces de l’OTAN. Elle renforce l’interopérabilité de nos unités et de nos équipements, et permet de mieux partager, de mieux intégrer les leçons apprises par les différentes Nations dans leurs différents engagements opérationnels.

Elle doit aussi permettre de maintenir un haut niveau de préparation et de planification entre les forces alliées et partenaires afin qu’elles s’engagent rapidement dans des coalitions, qu’elles soient sous commandement de l’OTAN ou sous celui d’autres organisations régionales, comme c’est le cas en Irak.

Nos partenaires contribuent en effet de manière toujours plus active à notre sécurité commune ; il suffit pour s’en convaincre de considérer leur participation aux opérations en Afghanistan.

C’est pourquoi, nous entreprenons une véritable consolidation des partenariats de l’Alliance afin de soutenir les efforts de défense de nos partenaires mais également de rechercher toujours plus d’efficacité et de coordination dans nos opérations communes.

À cet égard, il est aussi important de mesurer l’attraction et l’importance de l’Alliance dans de nombreux pays au nord de la Méditerranée, dans le Golfe arabique, en Europe orientale, au Japon ou en Australie : elle a su en effet montrer son efficacité et définir des standards, des doctrines et des normes d’interopérabilité. Cela permet de construire des coalitions de circonstance ou de travailler ensemble quand et où cela est nécessaire.

Dans ce domaine, l’OTAN va continuer d’agir selon deux axes. Tout d’abord, en offrant une possibilité de renforcer le secteur de défense des partenaires qui le demandent, en complément d’actions déjà entreprises par d’autres nations ou organisations internationales dans un cadre bilatéral. Surtout, l’OTAN s’oriente de plus en plus vers la recherche d’une amélioration de l’interopérabilité à la carte avec les partenaires, en fonction de leurs niveaux actuels et de leurs aspirations pour le futur.

Au plan capacitaire, l’Alliance reste aujourd’hui le lieu privilégié pour mettre en évidence les lacunes de ses membres, en particulier les Européens, puis pour coordonner les différentes initiatives de rationalisation et de mutualisation de leurs capacités, afin de disposer d’un outil de défense cohérent et durable.

Ainsi, l’été dernier, sur nos propositions, les Alliés se sont accordés sur les principaux domaines déficitaires et se sont engagés à les couvrir. Nous en avons identifié seize, qui ont été attestées par les chefs d’État au pays de Galles. Nous étudions les road maps, les différentes voies pour les résoudre. Dans ce cadre, nous avons lancé des projets d’optimisation multinationaux, qu’on appelle la « Smart Defence » – ou « pooling and sharing » au sein de l’Union européenne. J’y crois beaucoup, mais cela prendra du temps car il faudra les intégrer dans les plans nationaux.

Sur le court terme, les nations ont tout intérêt à concrétiser les projets de collaboration multinationaux, comme par exemple les 153 projets lancés dans le cadre de l’initiative Smart Defence. Elles doivent également continuer à rechercher une complémentarité avec les projets développés dans le cadre de l’Union européenne.

Elles doivent enfin lancer ceux nécessaires pour combler les déficits capacitaires déjà évoqués. C’est ce que fait très justement la France, notamment pour son projet Joint ISR.

Il nous faut aussi rechercher un meilleur rapport coût / efficacité et tirer le meilleur parti des nouvelles technologies. C’est un objectif commun des deux côtés de l’Atlantique. De leur côté, les États-Unis ont débuté une telle réflexion au niveau national, appelée Defense Innovation Initiative.

Nous avons l’occasion d’initier une telle stratégie d’innovation au sein de l’Alliance, en particulier en Europe. Il s’agit dès aujourd’hui de maintenir l’interopérabilité au sein de l’Alliance, sans assister à un décrochage interne d’une partie de ses membres.

Il existe, de mon point de vue, une réelle opportunité de promouvoir la contribution de la base industrielle et technologique de défense européenne, de capitaliser sur l’ensemble des petites et moyennes entreprises au niveau européen au travers de nos grands groupes et systémiers européens.

À l’heure où l’OTAN va renouveler ses capacités majeures, dont la surveillance et le contrôle aérien – après la fin ou le retrait des AWACS d’ici à 2035 –, il serait intéressant de promouvoir des joint-ventures entre les Américains et les Européens, sur le modèle de Thales-Raytheon, qui fournit le système très performant de commandement et de contrôle aérien de l’Alliance (ACCS).

Cette stratégie devrait s’inscrire dans une dynamique plus globale de renforcement du lien transatlantique.

Je peux vous assurer de la vigueur de ce lien dans ce deuxième mandat de commandeur suprême confié à un Européen français. Ce poste est en outre une véritable marque de confiance de nos Alliés et un signe fort de ce lien transatlantique.

Au travers de mes échanges avec les autorités américaines, je peux souligner devant vous leur intérêt pour les efforts significatifs de certains Alliés pour la sécurité transatlantique et les leçons tirées de leurs engagements. La France occupe une place de tout premier plan pour son rôle au Sahel, au Moyen Orient et en Europe.

Il me semble clair que Washington continuera d’appeler de ses vœux une plus grande responsabilisation des Européens, dans un contexte où la stratégie globale des États-Unis impose de trouver de nouveaux équilibres, notamment en matière de déploiement de forces.

C’est pourquoi il y a à mon sens un moment européen que les Alliés européens devraient saisir.

Le contexte politique est aujourd’hui particulièrement favorable. Le Secrétaire général Jens Stoltenberg, la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères Federica Mogherini, les chefs d’Etats et de gouvernement au sommet du pays de Galles soutiennent fermement la recherche d’une meilleure synergie entre les deux organisations.

C’est dans cette perspective que mon état-major a fourni des propositions très concrètes afin de pousser plus en avant des coopérations qui existent déjà de facto dans le cadre agréé en 2003. Ainsi, les axes de progrès sont importants, en particulier dans les domaines du cyber, de la lutte contre le terrorisme, de la sécurité énergétique, de la sûreté maritime, ou encore pour contrer les menaces hybrides.

Comme vous l’aurez compris, l’OTAN a été capable de s’adapter au nouveau contexte sécuritaire et restera un acteur clé dans la sécurité de la zone transatlantique. Elle opérera cependant une nouvelle mue, où l’organisation coopérera de manière plus active avec l’Union européenne et sera un creuset d’interopérabilité et de préparation opérationnelle pour nos futures coalitions.

En conclusion, je souhaiterais vous assurer que la France influe activement sur ce processus dynamique de transformation au sein de l’Alliance grâce aux hommes et aux femmes, motivés et compétents, placés à différents échelons de la chaîne de commandement de l’OTAN aux cotes de leurs camarades des pays Alliés. Ils constituent notre meilleur atout face aux incertitudes d’un monde bien agité.

Je vous remercie pour votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.

M. Jean-Jacques Candelier. J’ai des inquiétudes sur les événements qui se déroulent en Russie et en Ukraine. L’OTAN s’élargit, en intégrant, contrairement aux accords passés avec M. Gorbatchev, nombre de pays anciennement socialistes. Ce faisant, elle est en train d’encercler la Russie, en installant des bases militaires un peu partout. Du coup, les deux protagonistes se regardent en chiens de faïence et se toisent à l’occasion d’exercices militaires. J’ai lu dans un article de presse récent que l’OTAN prévoirait en outre de renforcer sa capacité d’intervention. Pensez-vous qu’un exercice militaire dirigé contre la Russie soit une bonne façon de faire baisser les tensions ? Avons-nous des preuves de l’aide de ce pays aux séparatistes pro-russes ? De quel droit l’OTAN peut-elle exiger de la Russie, pays souverain, le retrait de ses forces déployées le long de la frontière de l’Ukraine ? Pensez-vous enfin que l’augmentation des dépenses militaires mondiales décidée à Newport soit la solution au problème actuel ?

M. Joaquim Pueyo. Quelle est la vision de l’OTAN – et votre avis personnel – sur la place que pourrait occuper l’Europe de la défense, c’est-à-dire la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne ? Se pose notamment la question des « battle groups » et de la force de réaction rapide de l’OTAN.

Pour être allé à plusieurs reprises dans les conférences interparlementaires à Riga, Vilnius et Rome, j’ai constaté que les députés des pays baltes craignent les menaces de la Russie ; depuis quelques semaines, ils souhaitent une présence permanente sur place de l’OTAN – un bataillon entre 3 000 et 5 000 hommes. Quel est votre avis sur ce point ?

Enfin, pour avoir aussi rencontré des parlementaires ukrainiens dans le cadre de la commission des Affaires européennes, il semblerait que l’Ukraine souhaite être protégée par l’OTAN. Celle-ci y est-elle fermée ? Quelles sont les conditions pour ouvrir la porte à certains pays qui le souhaitent ?

Général Jean-Paul Paloméros. Il est excessif de dire que l’OTAN encercle la Russie : on en est loin ! En tout cas, ce n’est pas l’esprit de l’organisation, dont je rappelle qu’elle a été créée avec douze pays qui, après deux guerres mondiales, ont pris acte du fait que cela ne pouvait continuer ainsi et décidé de créer ensemble une clause de défense mutuelle fondée sur le principe « Un pour tous, tous pour un ». Je rappelle aussi que personne n’a forcé aucun Allié à intégrer l’Alliance, les vingt-huit pays membres ne l’ont rejointe que de leur propre volonté. Quant aux pays baltes, ils ont directement gagné leur liberté par le sang ; on peut donc concevoir leurs inquiétudes et comprendre leurs craintes, compte tenu des périodes noires et oppressantes qu’ils ont vécues durant leur histoire.

L’OTAN a assuré la prospérité et le développement de l’Europe pendant près de soixante-six ans. Souhaitons maintenant que cette dernière vole davantage de ses propres ailes dans le domaine de la sécurité et de la défense. C’est aussi l’avis des Américains.

Nous devons tout faire pour réduire les tensions. C’est le but des actions de réassurances de l’OTAN dans les pays de l’Est. Nos activités sont, je le répète, totalement transparentes et nous nous efforçons d’éviter, contrairement aux Russes, les manœuvres agressives en désignant l’adversaire. Reste que l’OTAN est déterminée à assurer la défense collective de ses membres et entend préserver la paix. D’où la volonté de maintenir ses capacités de dissuasion, à la fois conventionnelles et nucléaires, sachant que son objectif premier est de maintenir la paix, la sécurité et la stabilité.

Les preuves de l’aide de la Russie aux séparatistes pro-russes ont été clairement établies. La violation de la souveraineté ukrainienne contrevient également à un important traité international de dénucléarisation en Ukraine. La Russie a pris une lourde responsabilité en la matière.

Si nous ne souhaitons pas une augmentation des dépenses militaires, ce n’en est pas moins une réalité : les pays extérieurs à l’Alliance s’arment, en particulier la Russie ; on ne peut y être insensible. L’objectif n’est pas de se livrer à une course en avant, mais de pouvoir répondre à ces défis et remplir nos missions. Et quand on le fait avec de nombreux pays partenaires, comme en Afghanistan, on répartit la charge et on est plus fort.

Quant à la politique d’ouverture, il appartient aux responsables politiques d’en décider. Des ouvertures ont ainsi été proposées à des pays des Balkans, le Monténégro ou la Macédoine. Mais il est clair que l’intégration de pays dont les frontières ne seraient pas stabilisées créerait de véritables problèmes au sein de l’Alliance, faute de bases robustes.

Au Pays de Galles, l’Alliance a décidé de renforcer ses capacités de réactivité, car elle s’est rendu compte qu’on ne pouvait se permettre d’attendre des mois avant de constituer une force de réaction. D’où la création d’une force de réaction plus rapide, mobilisable en quelques jours. Nous venons d’ailleurs de tester ce dispositif en Pologne avec neuf pays. Aujourd’hui, sept grands Alliés se sont déclarés volontaires pour fournir la brigade qui en sera le cœur. C’est un bon signe qui démontre leur détermination.

Dans les pays baltes, dont je comprends parfaitement l’inquiétude, nous avons créé une présence dynamique, qu’ils apprécient, tout comme la Pologne, car cela permet aussi aux hommes de s’entraîner dans des conditions réalistes, de mieux s’adapter à l’environnement, de connaître les conditions dans lesquelles ils auraient éventuellement à mener des opérations et de s’intégrer avec les forces nationales. Mais, pour l’instant, l’Alliance n’a pas décidé de présence permanente, pour différentes raisons.

Demain, les ministres de la Défense vont se réunir pour faire un état des lieux. Moins d’un an après la réunion du Pays de Galles, je crois que le bilan est plutôt bon : nous avons été capables de créer cette dynamique, qu’il faut maintenant entretenir.

Quant à l’Ukraine, elle était et est toujours un partenaire de l’Alliance, y compris quand elle était gérée par un pouvoir politique proche de Moscou. Un partenariat doit être gagnant-gagnant, la porte ouverte à un dialogue. C’est ce qu’on peut espérer avec la Russie : renouer des liens de confiance, comme nous en avions encore il y a deux ans, au travers de réunions régulières avec ce pays, aborder tous les sujets, même les plus difficiles. Mais les conditions ne sont pas remplies pour cela aujourd’hui.

M. Charles de La Verpillière. La Turquie a été longtemps un bon élève au sein de l’OTAN, en particulier parce que les militaires y avaient une place prépondérante – ce qui n’est heureusement plus le cas. Avez-vous le sentiment qu’elle continue à jouer le jeu au sein de l’Alliance ? Sa place est-elle la même qu’autrefois ?

M. Alain Moyne-Bressand. Les États-Unis sont leaders au sein de l’Alliance. Mais ont-ils toujours la même volonté de soutenir l’OTAN et y mettent-ils les mêmes moyens que par le passé ?

Par ailleurs, le monde est mouvant – la Chine se développe de façon très rapide et les conflits se multiplient, notamment en Afrique – : quelles sont les réflexions au sein de l’OTAN en matière stratégique et d’organisation ?

Général Jean-Paul Paloméros. La Turquie est un grand allié, un des premiers pays à avoir rejoint l’Alliance. On sait la place géographique qu’elle occupe. Elle investit dans ses capacités de défense, démontre sa volonté de participer aux opérations, comme en Afghanistan, et de développer son interopérabilité avec l’Alliance. L’évolution politique intérieure de ce pays n’a pas changé son engagement. C’est un allié loyal, mais exigeant.

C’est toute la beauté de l’Alliance de réunir de l’Est à l’Ouest du Nord au Sud autant de pays de sensibilité différente. Si elle est sensible aux évolutions politiques, cela doit rester dans le cadre de ce qui fait son ciment : ses valeurs, cette solidarité. Actuellement, la Turquie joue pleinement son rôle. En réponse à une demande turque, l’Alliance offre une protection permanente avec des missiles Patriot, fournis par les pays membres depuis plusieurs années. Cela prouve bien que l’OTAN est engagée au profit de la Turquie et réciproquement.

Évidemment l’annexion de la Crimée par les Russes pour le contrôle de la mer Noire rend la place de la Turquie plus stratégique que jamais.

Quant à la volonté des Américains de soutenir l’OTAN, elle est indiscutable. Lorsqu’il s’est agi d’élaborer dans l’urgence, dans le cadre de la crise en Ukraine, des mesures de réassurance pour montrer que l’Alliance était là, prête à mener sa mission, ils ont été présents dès la première heure, avec des forces pré-positionnées et des rotations de troupes en Europe, comme cela était prévu dans la nouvelle stratégie de présence des États-Unis sur notre continent. Ils ont d’ailleurs toujours soutenu ce concept de présence dynamique : ils l’ont montré aussi par leur effort financier. Le président Obama avait annoncé un milliard de dollars pour soutenir les réinvestissements en Europe, les repositionnements et aider les pays à développer l’entraînement commun – toutes mesures tendant à conforter notre dissuasion conventionnelle. Je crois qu’ils sont en train de remplir parfaitement leur contrat.

M. Jean-François Lamour. Quel regard portez-vous sur les opérations que la France et l’Europe mènent notamment dans la bande sahélo-saharienne – où notre pays est toujours le premier à intervenir, avec une interopérabilité limitée avec les forces de l’ONU ? Alors que Jean-Yves Le Drian a cité à Gao, il y a quelques jours, la présence de Suédois et de représentants des Pays-Bas, à mon avis à des niveaux très faibles, vous proposez la construction d’une Europe de la défense – dont nous sommes à mon sens très loin. Quelles seraient les actions prioritaires pour que cette Europe devienne une réalité ? On voit bien que pour les opérations Barkhane, Serval et Sangaris, la France a été la seule, ou quasiment, à montrer une capacité à régler un certain nombre de problèmes, en particulier dans la lutte contre le terrorisme.

M. Philippe Nauche. Qu’est ce qui, dans les modes de décision de l’OTAN, rend crédible sa capacité de dissuasion – nucléaire ou conventionnelle – ou l’affaiblit ?

Comment se déterminent à vos yeux la cohérence et la pertinence du développement coordonné de l’innovation, sachant que notre pays, comme d’autres, est très attaché à son indépendance stratégique, de décision et de capacité technologique ?

Général Jean-Paul Paloméros. La bande sahélo-saharienne correspond pour l’Alliance à une forme de défense de l’avant. Je peux témoigner que l’engagement français y est particulièrement apprécié et soutenu – du moins moralement, même si d’aucun aimerait que ce soit davantage le cas physiquement de la part de nos alliés européens.

La vision que l’on a de la globalité des conflits montre bien que la France contribue à la sécurité de l’Alliance par ses interventions extérieures visant à réduire les foyers de crises, sachant que celles-ci sont interconnectées et qu’il est difficile d’enrayer leur diffusion. Si notre pays ne peut en effet agir seul, une certaine solidarité transatlantique et européenne se développe.

Quant à l’interopérabilité que vous évoquez, elle n’est pas seulement technique, mais concerne aussi, par exemple, les hommes ou la doctrine, afin de pouvoir agir vite, bien et au bon endroit. Tous les pays n’ont pas la même maturité dans ce domaine, y compris au sein de l’Alliance. D’où notre travail de développement de cette interopérabilité pour que tous arrivent au même niveau.

S’agissant de l’innovation, le rôle de mon commandement est de tirer le meilleur parti des meilleures pratiques et d’essayer de les faire partager par le maximum de pays qui le souhaitent, dans le domaine des standards, des doctrines, des concepts, de l’entraînement ou de l’expérimentation. Nous voulons gérer au mieux la trilogie délais-coût-performance. La transformation ne peut se concevoir avec un seul pilier, mais en menant de front la réflexion stratégique, le développement capacitaire, l’entraînement, la formation, les partenariats. On essaie de conduire un effort équilibré, qui s’appuie sur une capacité d’innovation – nos adversaires et le monde nous l’imposent. L’innovation est désormais dans les mains de la société civile, des entreprises privées : on le sait aux États-Unis encore mieux qu’ailleurs. Je prétends qu’elle existe aussi en France et en Europe, où le niveau d’éducation et de formation est très élevé : il faut lui donner une chance de s’exprimer, d’autant que l’Alliance a besoin d’être rééquilibrée. Je crois que les peuples appellent cette Europe de leurs vœux malgré tout. D’ailleurs, une Europe sans un pilier de défense et de sécurité solide ne sera jamais une Union crédible sur le plan stratégique.

Il n’y a pas de solution miracle, mais un ensemble de petits pas. La volonté d’avancer est évidente. Vis-à-vis des crises hybrides en particulier, l’Europe a tous les outils de la puissance, diplomatiques, économiques, de même que dans le domaine de la cyber sécurité. On essaie de développer des centres d’excellence, comme celui sur la cyberdéfense en Estonie. On s’appuie ainsi sur les compétences des différents pays pour les mettre en synergie, partout où elles se trouvent, au sein des États, des appareils militaires, dans l’industrie ou les universités. Tel est à mon avis l’avenir de la transformation, alors que s’exerce la pression des budgets et de l’environnement – qu’il est plus facile à soutenir à vingt-huit que seul.

Concernant la dissuasion, la dimension nucléaire de l’Alliance est garantie par une composante aéroportée. S’agissant des processus de décision, ils sont définis par des plans très rigoureux et précis et sont susceptibles d’autoriser un transfert d’autorité au commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) quand le Conseil de l’Atlantique Nord le décide.

L’Alliance a appris depuis sa création à mettre en synergie les dimensions politique et militaire. Elle a appris à décider en mettant en regard ces deux dimensions pour créer le consensus. Elle s’est réformée et a comprimé ses structures pour être plus efficace. Elle est en transformation permanente. Son organisation est unique, avec des commandements stratégiques, le Conseil de l’Atlantique Nord et des représentants travaillant au quotidien dans des comités à la recherche d’un véritable consensus, le plus important possible. Si son processus décisionnel est remarquable, il repose aussi sur les processus décisionnels nationaux ; la question est de savoir comment les adapter au moment où l’on redécouvre le besoin d’une défense collective crédible et moderne. La réinvention des forces de réaction rapide fait d’ailleurs bien apparaître ce problème : à quoi sert une force de réaction rapide si le processus décisionnel ne l’est pas ?

Mme Nathalie Chabanne. Quel est votre avis sur la politique de standardisation de l’OTAN ? Celle-ci ne concerne pas uniquement les équipements militaires, mais touche également d’autres domaines particulièrement sensibles, tels que les systèmes d’information et de communication. On a souvent le sentiment en Europe que cette politique, définie par les États-Unis, profite d’abord aux Américains et à leur industrie de défense. Auditionné par le Sénat en février 2013, vous avez estimé qu’il appartenait aux Européens de s’impliquer davantage dans la politique de standardisation ; qu’en est-il en juin 2015 ? Les Européens se sont-ils saisis de cet enjeu ?

M. Francis Hillmeyer. Vous avez déjà répondu à ma question relative à la politique de la dissuasion.

Dans le cadre du conflit en Ukraine, l’information transmise par la télévision russe semble totalement déviée de la réalité. Ainsi, lorsque j’étais en Ukraine il y a quinze jours, on nous a montré des images de la télévision russe présentant des chars américains dans le Donbass – c’était en réalité un montage à partir de véhicules filmés au Texas ! On raconte également là-bas que le combat mené par les Européens contre les Ukrainiens aurait provoqué plus de 60 000 morts. Que pensez-vous de cette propagande ? Avez-vous des informations à nous donner ?

Général Jean-Paul Paloméros. L’enjeu de la standardisation a fait l’objet d’une véritable prise de conscience en Europe. En effet, l’Union européenne – à laquelle je rappelle appartiennent vingt-deux des vingt-huit pays Alliés – possède une puissance normative considérable. Si elle décide de s’en servir, elle peut peser sensiblement sur le cours des choses, et elle le fait déjà. Cela étant, la règle du consensus ne saurait aller contre les réalités du monde dans lequel on vit. Bon nombre de standards dans le domaine des systèmes d’information nous viennent des États-Unis, mais aujourd’hui l’ère de la création d’Internet par le Department of Defense (DOD) est dépassée, d’autres sociétés prenant le relais de la définition des normes. Cette globalisation et cette normalisation par les faits dépassent les Américains eux-mêmes. La force de l’OTAN est de permettre de réfléchir ensemble à la manière de domestiquer, d’appréhender et de définir les conditions qui soient acceptables pour les vingt-huit pays. L’hétérogénéité de l’Alliance – dont certains membres ont des legacy systems hérités de l’ancien pacte de Varsovie – rend cette tâche difficile. Mais les systèmes d’information constituent clairement la priorité pour l’OTAN ; il s’agit du cœur vital et du sang de l’Alliance, qui lui permet d’assurer ses missions permanentes : la mission de dissuasion, celle de surveillance et de défense aérienne et maritime, et de plus en plus celle de réactivité. Mon commandement est donc totalement engagé dans ce débat sur la normalisation des standards. Celle-ci étant difficile à définir sur le papier, nous menons une politique de plus en plus ambitieuse d’expérimentation. Récemment, plus de trente pays se sont réunis au centre d’entraînement de Bydgoszcz, en Pologne – qui dépend de mon commandement – pour tester l’interopérabilité des systèmes des différentes nations avec le système de références de l’OTAN. C’est du reste une bonne chose que nous en ayons un : s’il n’existait pas, les États-Unis continueraient à avancer seuls, sans se préoccuper de leurs alliés, suivant leur politique qui découle de leurs besoins et de leur stratégie globale. L’Alliance incite les États-Unis à tenir compte de leurs alliés en matière d’interopérabilité ; à l’OTAN de tirer le meilleur parti des innovations américaines.

S’agissant de l’Ukraine, nous sommes – je l’espère ! – en train de prendre conscience du fait que l’information représente une arme en soi et la bataille pour l’information, une réalité. On l’avait oublié parce que dans les démocraties, la bataille se situe du côté de la liberté de l’information et de la liberté individuelle ; mais aujourd’hui, nous avons clairement une longueur de retard. Certes, le processus démocratique nous impose de nous battre pour nos valeurs avec nos valeurs, mais cela n’implique pas d’être naïfs ! C’est pourquoi nous essayons de promouvoir, au sein de l’Alliance et de l’Union européenne, l’idée d’une politique beaucoup plus proactive, offensive, à développer ensemble. Ce changement – qui exige de revoir en profondeur notre culture et nos traditions – prendra du temps, mais nous devons travailler davantage avec les médias, en toute transparence. Tout le monde sait que ce que disent les Russes n’est pas exact ; mais encore faut-il pouvoir le prouver ! Pour cela, nous devons partager les renseignements, puis les employer utilement pour démontrer à tous que l’OTAN et les pays alliés continuent à assurer leur mission en toute transparence, dans le respect des lois, des règles et des traités. Ce combat est difficile car nous jouons le même jeu, mais avec des règles différentes.

Mme Geneviève Fioraso. N’est-il pas compliqué, pour vingt-huit pays différents, de gagner la bataille de l’information face à un pays très intégré comme les États-Unis, fort de la puissance des Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) ? En Asie, ni la Chine ni l’Inde ne souffrent du même morcellement que nous. Doit-on conclure des accords avec les GAFA, qui détiennent aujourd’hui la plupart des données, ou bien avons-nous encore une chance de développer nos propres normes efficaces en matière de systèmes d’information ? Ne disposant pas d’opérateurs comparables, nous rencontrons des difficultés en essayant de créer un équivalent européen du GPS, mais également dans le domaine de la défense et des satellites où la norme International Traffic in Arms Regulations (ITAR) demeure incontournable. Même quand les chefs d’État se parlent d’homme à homme – comme lors de la rencontre bilatérale aux États-Unis en janvier 2014 –, la situation reste bloquée. Je ne dis pas que nous avons perdu cette guerre ; mais comment la gagner autrement qu’avec des alliances ? Comment développer un système plus fluide ? Nous avons une science d’excellence, une technologie performante, une industrie et des industriels qui ne sont pas mauvais, mais nous peinons à en tirer parti. Avant, la Direction des recherches, études et techniques (DRET) assurait la diffusion des savoirs et le lien avec l’industrie ; comment rétablir cette efficacité à vingt-huit, sans prendre de décisions politiquement correctes comme celle qui consiste à implanter des experts en Estonie ?

Mme la présidente Patricia Adam. La Brigade franco-allemande (BFA), que plusieurs de mes collègues et moi-même avons récemment rencontrée, existe depuis 1989. Pourtant, elle n’agit jamais en tant que brigade, notamment parce qu’elle manque d’interopérabilité, les systèmes d’information et les standards étant différents en Allemagne et en France. Sommes-nous capables, à deux pays – et non des moindres ! – de créer des standards qui nous soient propres ou faut-il nous ranger au principe du pragmatisme et utiliser les standards américains – car c’est ce que sont en réalité les standards otaniens ? Pour aller régulièrement à des réunions de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, Francis Hillmeyer et moi-même avons bien conscience que nous ne sommes pas chez nous : lorsqu’on les accueille dans les différentes instances de l’OTAN aux États-Unis, les parlementaires des pays européens membres de l’Alliance sont traités comme n’importe quel touriste qui entre dans le bâtiment ! L’Europe est-elle considérée comme un véritable partenaire ou bien les pays européens n’ont-ils pas su s’imposer ? Leur prise de conscience est relativement récente, tout comme celle des Américains qui souhaitent aujourd’hui voir l’Europe prendre plus de place en matière de défense et de sécurité. Dans le domaine de l’industrie – notamment celui des technologies de demain –, nous restons pourtant en concurrence.

Général Jean-Paul Paloméros. Vaste question ! Mais des échanges comme celui-ci nous sont très utiles. Au sein du commandement pour la transformation, nous ne prétendons détenir aucune vérité ; nous n’essayons pas de prévoir l’avenir, mais de le rendre possible. Pour cela, nous tentons de nous poser les bonnes questions pour déterminer comment avancer à vingt-huit – ou à moins car il est bon également d’avoir des groupes pionniers –, et cet échange m’aide à mieux les formuler.

Nous n’avons pas implanté des experts en Estonie ; c’est l’Estonie qui a décidé de développer cette expertise, suivant ses propres intérêts et préoccupations d’ordre national. En effet, le président estonien étant un expert renommé dans ce domaine, la société estonienne est une des plus avancées en matière de numérisation. On essaie de tirer le meilleur parti de cette force existante plutôt que de rebâtir ailleurs ce qui existe déjà.

S’agissant des systèmes d’information, je ne saurais évaluer notre capacité de réinventer toutes les couches qui se sont développées à une vitesse étonnante ; mais nous pouvons réfléchir à la prochaine étape. Dans certains domaines, comme l’aéronautique et l’espace, l’Europe sait inventer et s’adapter, malgré les difficultés ; dans certains autres, j’aimerais qu’elle s’investisse davantage. Ainsi, dans un domaine émergent comme celui des drones, nous avons manqué la première phase, mais nous pouvons encore nous rattraper. Les Européens disposent de compétences et d’une étonnante inventivité ; ils ne vont pas réinventer Internet, mais quelque part existe déjà l’Internet du futur. Quant aux Américains, ils se rendent compte que cette dépendance est difficile à assumer.

La deuxième question est plus stratégique : dans un monde global et interconnecté, avec qui préfère-t-on être interdépendant ? L’expérience récente de l’Ukraine montre que l’interdépendance poussée avec des pays qui n’ont pas la même vision, les mêmes valeurs, ni les mêmes ambitions que nous, pose des problèmes. Faut-il promouvoir l’interdépendance entre les deux côtés de l’Atlantique et l’organiser pour en faire un moteur de développement des capacités d’expertise et des emplois de demain, ou bien vaut-il mieux en rester au statu quo ? La question du TTIP n’est pas de mon ressort, mais je pressens qu’au-delà de l’OTAN, la question, essentielle, qui se pose désormais est celle d’un véritable partenariat stratégique transatlantique. Un partenariat se fait à deux et exige un équilibre entre les parties ; j’ai le sentiment que l’Europe représente une grande puissance, peut-être en train de se matérialiser. Il n’est jamais trop tard, mais le temps passe.

Mme la présidente Patricia Adam. Je ne sais pas s’il y a une réponse à cette question !

Général Jean-Paul Paloméros. Je ne porterai pas de jugement sur la BFA, mais tous nos exercices, entraînements et activités visent à identifier nos carences et nos marges de progrès. Tout ne marche pas toujours parfaitement, et il faut savoir accepter l’échec. Le premier exercice de la force de réaction rapide, réunissant neuf pays, s’est déroulé la semaine dernière en Pologne et a montré que la communication restait le principal problème qui se posait aux soldats. Nous essayons de capitaliser à partir de nos acquis : ainsi, lorsque les forces de l’OTAN ont été déployées en Afghanistan, nos prédécesseurs ont fédéré l’ensemble des réseaux du pays dans l’Afghanistan Mission Network et défini les conditions dans lesquelles les forces présentes sur le terrain pouvaient échanger les informations. Nous utilisons aujourd’hui cette expérience pour développer le Federated Mission Networking, le réseau de l’OTAN de demain.

Autre exemple : le système de commandement et de contrôle des opérations aériennes de l’OTAN – Air Command and Control System (ACCS) –, très avancé, est aujourd’hui déployé à Lyon-Mont-Verdun et dans de nombreux pays de l’Alliance. Conçu par une joint-venture entre Thales et Raytheon, ce système est en train de délivrer le meilleur de ce que la technologie peut apporter à l’amélioration de la conduite des opérations aériennes. Beaucoup se sont interrogés sur la possibilité de le faire et on s’est battu pour que ce système soit efficace et simple d’accès. En effet, la clé du problème de l’interopérabilité consiste à mettre les systèmes au service de l’homme et non l’inverse. Ce système, conçu avec une architecture ouverte, constitue un bel exemple de ce que peut faire une alliance transatlantique quand elle répond à un besoin clairement identifié. Nous développons l’ACCS dans l’ensemble des vingt-huit pays membres. Cette initiative interroge les Américains car leurs forces elles-mêmes, du fait même de leur taille et de leur autonomie, ne sont pas toujours interopérables ; ils le constatent dans certains exercices et s’évertuent à y remédier. L’OTAN a le mérite de ramener les Américains vers leurs alliés, rappelant qu’on ne peut pas avancer sans créer les conditions d’interopérabilité de nos forces.

Mme la présidente Patricia Adam. Général, je vous remercie.

L’audition s’achève à dix-huit heures trente.

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Communication de Mme Patricia Adam sur la visite conjointe des commissions compétentes en matière de défense du Bundestag et de l’Assemblée nationale au siège de l’état-major de la brigade franco-allemande (BFA) à Müllheim.

Mme la présidente Patricia Adam. Chers collègues, j’ai souhaité faire aujourd’hui une brève communication sur la visite que certains d’entre nous – dont Francis Hillmeyer et Alain Marty – ont effectuée le 11 mai dernier au siège de l’état-major de la BFA, à Müllheim, en Allemagne.

M. Alain Marty. Très bien !

Mme la présidente Patricia Adam. Cinq députés m’accompagnaient : Mme Catherine Coutelle et MM. Yves Fromion, Francis Hillmeyer, Alain Marty et Frédéric Barbier. Deux sénateurs, MM. Jacques Gautier et Daniel Reiner, se sont également joints à ce déplacement. La délégation allemande était composée de quatre parlementaires membres de la commission de la Défense du Bundestag. Des représentants de l’ambassade d’Allemagne en France et de l’ambassade de France en Allemagne, ainsi que le consul de France à Stuttgart étaient également présents. Je souhaite que cette communication figure parmi les comptes rendus de la commission car nos observations doivent être rendues publiques.

Ce déplacement a été l’occasion de découvrir les réalités de cette brigade créée en 1989. Nous avons été accueillis par le général de brigade qui commande la BFA, ainsi que par des officiers de son état-major, et la matinée a été consacrée à la présentation d’une plateforme d’interopérabilité des systèmes d’information et de communication, à la description des missions et des équipements de la brigade et à la découverte des hommes et des femmes qui y servent, ainsi que de leurs conditions de vie au sein du bataillon de commandement et de soutien, seule unité mixte de la brigade. Nous avons apprécié les contacts spontanés et enrichissants que nous avons noués à cette occasion avec l’ensemble des militaires rencontrés.

Cette visite nous a permis de découvrir de façon complète une unité binationale unique en Europe, véritable outil politique et opérationnel disposant de ses propres appuis et soutiens, une des réalisations les plus emblématiques de la coopération bilatérale en matière de défense et de sécurité. La BFA est aujourd’hui répartie sur les deux pays. Depuis qu’un bataillon d’infanterie allemand a rejoint Illkirch en Alsace en 2009, à peu près 500 militaires de chaque nationalité stationnent respectivement en Allemagne et en France. En tout, la BFA est forte d’environ 5 000 hommes et femmes, répartis en sept formations de taille variable, et demeure, depuis 1996, régulièrement engagée en opérations extérieures, dans des missions de sécurité civile et pour des prises d’alertes dans des cadres binationaux, nationaux ou communs, le dernier théâtre en date étant le Mali. À moyen terme, la brigade franco-allemande pourrait faire partie du dispositif d’alerte à haute réactivité de l’OTAN.

Toutefois, ce déplacement a très concrètement mis en lumière certaines limites et difficultés rencontrées par la BFA. Nous avons été particulièrement surpris devant le faible niveau d’interopérabilité humaine, technique et procédurale d’une brigade binationale qui vient pourtant de fêter ses vingt-cinq ans d’existence. Si chacun peut certes s’exprimer dans sa langue – afin que l’autre fasse l’effort de le comprendre –, la langue véhiculaire de la BFA semble malheureusement être l’anglais. En outre, les personnels relèvent respectivement de leur service de santé national, ce qui limite les engagements communs. S’agissant de l’interopérabilité technique, nous avons malheureusement constaté que chaque pays met en œuvre des systèmes d’information aux standards différents, qui ne peuvent pour l’instant échanger qu’avec les plus grandes difficultés. Par ailleurs, il est frappant de constater la différence entre les matériels allemands modernes mis à disposition de la BFA et ceux plus anciens, voire vétustes, de l’armée française, celle-ci préférant logiquement affecter ses équipements les plus opérationnels aux opérations extérieures. De la même façon, les militaires des deux pays s’entraînent selon des cycles opérationnels propres à chaque pays. Enfin, les règles juridiques étant distinctes, il demeure impossible d’emmener des unités mixtes au combat et la BFA semble donc pour l’instant condamnée à juxtaposer ses unités. Les parlementaires tant français qu’allemands estiment indispensable de procéder rapidement à un état des lieux de la BFA afin de donner une nouvelle impulsion politique au développement d’une brigade réellement binationale, interopérable, qui puisse être utilisée par nos deux pays.

La visite de la BFA a ensuite été l’occasion d’un échange entre les délégations. La discussion s’est déroulée en deux temps, d’abord en présence du général commandant la brigade et de son état-major, puis entre parlementaires. Elle nous a offert l’opportunité d’un échange franc de deux heures environ sur les convergences en matière de vision stratégique, l’analyse des menaces communes et les perspectives de la coopération franco-allemande, y compris industrielle, dans le domaine de la défense – sujet sensible, comme nous avons pu le constater à l’occasion des discussions sur le rapprochement Nexter-KMW.

Après avoir procédé à un état des lieux de la brigade, qui a montré qu’en règle générale, la partie française était plutôt engagée au sud de la Méditerranée et dans ses DOM-COM, alors que la partie allemande se concentrait en centre Europe, Balkans et Afghanistan, nous avons constaté que la mise en place de l’opération Sentinelle avait entraîné l’annulation de la participation des unités françaises de la BFA aux exercices de l’OTAN organisés dans les pays baltes dans le cadre des mesures de réassurance. Compte tenu des recrutements votés à l’Assemblée nationale, qui seront prochainement examinés au Sénat, la France devrait réinvestir ces activités. Enfin, les délégations ont échangé leurs vues sur les voies d’approfondissement de la coopération de défense entre les deux pays et sont convenues de se rencontrer désormais deux fois par an. Il me semble en effet essentiel de développer la diplomatie parlementaire entre la France et l’Allemagne, symbole fort de la coopération entre ces deux grands pays européens.

M. Francis Hillmeyer. Tout à fait !

Mme la présidente Patricia Adam. Voilà ce dont je voulais rendre compte devant la commission.

M. Alain Marty. Je ne peux qu’abonder dans votre sens, madame la présidente ! Je ne connaissais pas bien la BFA, mais j’apprends à la connaître puisque le régiment en garnison dans ma ville vient de l’intégrer. On peut être surpris qu’après vingt-cinq années d’existence, on en soit encore à la juxtaposition des unités et non à une force interopérable. Tant au niveau de la communication que de l’utilisation des matériels, chacun garde ses procédures. Dans ces conditions, comment un régiment d’infanterie et un bataillon allemand se comporteraient-ils ensemble en opération ?

Par conséquent, je ne peux que reprendre la question de la définition politique de la BFA – priorité que l’on retrouve dans le Livre blanc. Je comprends l’attachement politique à ce symbole ; mais 5 000 hommes juste pour le symbole, c’est un peu fort… II faut aller au-delà pour se demander quel usage nous souhaitons faire de cette brigade et jusqu’où nous pouvons aller.

L’audition du général Paloméros a montré qu’une unité binationale ne pourra intervenir que dans le cadre de l’OTAN ; la langue véhiculaire sera donc forcément l’anglais. Alors qu’il s’agit de la langue la plus pratique, on reste aujourd’hui réticent à l’utiliser ; comme il s’agit d’une brigade franco-allemande, on fait des efforts pour parler français et allemand, pour au final mal se comprendre. Le danger est de se retrouver avec une vitrine vide ; or on ne peut pas se permettre de voir deux régiments risquer de perdre des capacités en matière d’intervention. Le régiment de ma ville s’est rendu deux fois en Afghanistan, son comportement remarquable sur le terrain lui valant la fourragère de la valeur militaire ; son implication dans la force Sangaris a également montré son savoir-faire. Se limiter à la parade serait dévalorisant pour nos militaires et ne correspondrait pas à l’attente des dix unités françaises qui composent la BFA. Je vous remercie donc, madame la présidente, pour cette initiative. Il nous faut en assurer le suivi et obtenir une réponse à nos interrogations politiques sur l’usage qu’il convient de faire de cette brigade.

M. Francis Hillmeyer. Je suis également d’accord. Mon expérience de la brigade, stationnée à trente kilomètres de chez moi, est un peu plus ancienne et mes échanges entre les militaires m’ont permis de constater une évolution négative : jadis, les Allemands s’adressaient aux soldats français en français, et vice versa ; désormais, seul l’anglais permet de se débrouiller, ce qui représente une dégradation de l’esprit originel de la BFA.

Comme Alain Marty, je me demande pourquoi continuer si la brigade ne sert à rien. Lorsqu’on l’a créée, on évoquait les prémices d’une armée européenne ; aujourd’hui, on est malheureusement toujours au même point. Les militaires de la BFA ont déjà été engagés conjointement dans des conflits, notamment dans les Balkans, mais les Français prenaient surtout en charge le volet offensif, et les Allemands, la « popote »… Dans les conflits actuels, l’armée française assure les missions véritablement militaires, nos homologues allemands, moins combatifs, se cantonnant à celles d’enseignement aux autochtones. Cette situation s’explique par la différence des doctrines d’engagement des forces de nos deux pays.

Je salue l’initiative qui nous a amenés à nous rendre sur place pour rencontrer nos homologues allemands. Il faudra la poursuivre car elle permettra peut-être d’améliorer la situation de la BFA. En effet, la vraie solution n’est pas militaire, mais bel et bien politique : les militaires s’entendent bien et travaillent ensemble ; à nous de donner à cette initiative nouvelle une chance d’aboutir à quelque chose de constructif.

Mme la présidente Patricia Adam. Précisons que même si la brigade n’intervient pas en tant que telle, les hommes et les régiments qui en font partie partent quand même en opérations extérieures…

M. Alain Marty. Tout à fait.

Mme la présidente Patricia Adam.… mais pour le compte de la France ou de l’Allemagne, jamais ensemble. Ces 5 000 hommes ne restent donc pas dans leurs casernes sans rien faire, mais font leur métier comme tous les autres militaires de nos deux pays.

Comme vous l’avez tous les deux souligné, la question est éminemment politique et ne renvoie ni aux compétences ni à la volonté des militaires ou de l’état-major de la BFA. À la suite de cette visite, nous pourrions continuer le travail en créant une mission commune de parlementaires français et allemands pour creuser davantage ces questions et formuler des propositions. Disposant désormais d’une vision commune de cette brigade, nous devons aller plus loin car cette question, au-delà du cas de la BFA, touche à l’avenir de l’Europe de la défense. Au nom des parlements et des commissions de la Défense de nos pays respectifs, nous pourrions utilement contribuer à une avancée dans ce domaine. Peut-être serait-il plus simple, compte tenu des doctrines de la France et de l’Allemagne en matière d’emploi des forces, de limiter dans un premier temps les interventions communes de la BFA à des actions de maintien de la paix ou de sécurité : ce serait parfaitement réalisable, pour peu qu’on en ait la volonté. Nous avons entendu que la BFA n’était pas utilisée en tant que brigade, c’est parce que les ordres venaient de deux pays et que c’était très compliqué. Du coup, on préférait faire autrement… C’est tout de même un peu dommage. J’espère donc que le compte rendu de notre voyage suscitera une réaction.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, Mme Geneviève Fioraso, M. Yves Foulon, M. Francis Hillmeyer, M. Marc Laffineur, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marty, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Joaquim Pueyo

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Sylvain Berrios, M. Philippe Briand, Mme Catherine Coutelle, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Frédéric Lefebvre, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Damien Meslot, Mme Marie Récalde, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André

Assistait également à la réunion. - M. Jean-François Lamour