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Commission de la défense nationale et des forces armées

Jeudi 8 octobre 2015

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition du général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, sur le projet de loi de finances pour 2016

La séance est ouverte à quinze heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous sommes heureux de recevoir le général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, pour une audition sur le projet de loi de finances pour 2016.

Général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale. Permettez-moi de commencer par vous éclairer sur la fin de gestion 2015. La situation budgétaire que nous connaissons aujourd’hui est moins tendue qu’il y a deux ans : une partie de la mise en réserve, environ 40 %, soit 38 millions d’euros – vient d’être levée, ce qui est essentiel, car notre marge de manœuvre est étroite. Il reste toutefois 51 millions d’euros à débloquer d’ici à la fin de l’année pour payer, notamment, les loyers du mois de décembre dus aux collectivités locales. Le ministre et moi-même sommes pleinement engagés dans cet objectif.

Pour 2016, malgré un cadre général où la nécessité de redresser les finances publiques demeure, le gouvernement a décidé d’accorder des moyens supplémentaires à la gendarmerie. Ce budget me permettra ainsi de mettre en œuvre trois priorités : conserver ma capacité de manœuvre, prendre la mesure des évolutions de la délinquance et de la menace terroriste, enfin adapter nos modes d’action par l’innovation.

Conserver notre capacité de manœuvre. Je voudrais d’abord souligner l’efficacité de notre action depuis le début de l’année. Ainsi, à Dammartin en Goële, c’est bien l’engagement coordonné à l’échelon central des unités territoriales, renforcées par des escadrons de gendarmerie mobile, des réservistes et les forces aériennes qui a permis de déceler les frères Kouachi, les contraignant à se retrancher avant que le GIGN ne procède à leur neutralisation.

En ce qui concerne le drame de l’Airbus A320 de la compagnie Germanwings nous avons conduit une opération extrêmement lourde dans une région d’accès difficile, quasi inaccessible. Nous avons, dans cette opération, coordonné des moyens spécifiques au profit des unités territoriales. L’organisation même de la gendarmerie, fondée sur la complémentarité entre les unités spécialisées et les brigades, a trouvé à s’exprimer pleinement à cette occasion. Sans hélicoptères, la manœuvre n’aurait pas été envisageable. Sans les unités de haute montagne pour encorder les techniciens qui ont fait les relevés d’empreintes, le travail de la police judiciaire aurait été impossible. Et sans techniciens capables de procéder à des prélèvements d’ADN sur le site, l’identification des victimes n’aurait pas pu se faire. Notre système intégré nous a permis de déployer une efficacité saluée par tous. La Chancelière allemande a d’ailleurs été fortement impressionnée par ce modèle permettant de s’engager efficacement dans une zone aussi déshéritée.

En dehors de ces opérations qui relèvent d’un caractère extraordinaire, nous sommes pleinement engagés au quotidien sur 95 % du territoire et au profit de 50 % de la population. Je voudrais rappeler plusieurs réussites marquantes en 2015. Je prendrai par exemple notre priorité, que constitue la lutte contre les atteintes aux biens, en premier lieu les cambriolages. Nous sommes en effet parvenus, au premier semestre 2015, à endiguer ce fléau. Les renforts d’escadrons de gendarmerie mobile et de réservistes dans les départements les plus touchés ont obtenu des succès probants. Nous avons pu garantir un dispositif estival conséquent grâce à l’engagement d’escadrons dans les zones d’activité saisonnière, ce qui a donné des résultats remarquables. Enfin, il y a quelques jours, nous avons pu redéployer des unités de gendarmerie mobile afin de relancer le plan anti-cambriolages dans les départements les plus concernés. C’est donc en manœuvrant que nous obtenons des résultats positifs contre la délinquance.

S’agissant de la lutte contre le terrorisme, il n’est pas aujourd’hui de zones préservées sur le territoire national et des ramifications de réseau peuvent s’implanter quel que soit l’endroit, urbain ou rural. Il nous faut donc travailler, sur l’ensemble du territoire national, à une perception fine des signaux faibles de la radicalisation.

C’est dans ce contexte que, quelques mois après l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier, le ministre de l’Intérieur a décidé de créer un état-major opérationnel capable de rassembler les informations venant de tous les services de police et de gendarmerie pour s’assurer que les individus signalés étaient bien suivis. La gendarmerie est pleinement associée à cet état-major et des officiers sont présents dans cette structure.

Ma deuxième priorité vise à prendre la mesure des évolutions de la délinquance et de la menace terroriste. Le budget 2016 correspond bien à cet objectif. Ma première préoccupation en la matière concerne les créations de postes. La seconde concerne le budget hors titre 2, qui nous permet de fonctionner et d’équiper nos forces.

L’année 2016 sera conséquente en termes de création de postes. D’abord dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme, engagé après les attentats de janvier. La gendarmerie sera renforcée de 210 postes sur la période 2015-2017 dont cinquante-cinq postes au titre de 2016.

Ensuite au titre de l’engagement présidentiel de créer 200 postes opérationnels en 2016, nous bénéficierons de 129 créations nettes auxquelles s’ajoutera le redéploiement de 71 postes de l’administration centrale.

Enfin, récemment, il a été décidé de doter la gendarmerie de 370 créations de postes sur les 900 accordées au ministère de l’Intérieur dans le cadre du plan « Migrants ». Ce sont des postes de sous-officiers de gendarmerie, qui iront renforcer les effectifs des escadrons de gendarmerie mobile, très sollicités.

Au total, 2016 verra donc la création de quelque 500 postes. Cette dynamique nous permettra de mieux faire face aux demandes en matière de sécurité.

S’agissant des moyens, la dotation prévue hors titre 2 atteindra 1,2 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une légère augmentation de 17 millions d’euros par rapport à 2015. Ce budget permettra de maintenir le fonctionnement courant des unités opérationnelles au niveau de 2015, soit 208 millions d’euros, et d’acquérir près de 2 000 véhicules, pour un coût de 40 millions d’euros, soit un chiffre identique à celui de 2015 et supérieur à ceux des années 2012 – 900 véhicules – et 2013 – 1 350 véhicules. Nous rattrapons un peu notre retard, même si c’est encore insuffisant, le besoin étant de 3 000 véhicules par an.

Nous poursuivrons notre plan de modernisation en matière d’informatique et d’outils d’aide au commandement, avec l’achat de 16 000 ordinateurs, pour un montant de 8,4 millions d’euros.

Nous améliorerons également l’équipement des forces, avec l’achat de gilets pare-balles, d’armements plus adaptés à nos nouvelles missions et de munitions, en complément des dotations déjà existantes. Tirant les enseignements des attentats de janvier, nous avons pris des dispositions pour durcir nos capacités d’intervention et renforcer notre protection.

La dotation hors titre 2 permettra également, en 2016 comme en 2015, le financement du plan d’urgence immobilier à hauteur de 70 millions d’euros. Ce plan est indispensable au regard de l’état du parc domanial. Compte tenu de l’ampleur des travaux à mener, cet effort devra être poursuivi dans la durée pour permettre la remise à niveau des casernes domaniales.

En ce qui concerne le plan de lutte contre le terrorisme, 23 millions d’euros ont été ouverts en 2015 et cinq millions d’euros de crédits seront ouverts en 2016 pour poursuivre l’achat de matériels destinés à la lutte antiterroriste. Ma troisième priorité vise enfin à renforcer notre capacité opérationnelle par l’innovation dans les techniques et les modes d’action. Je souhaite évoquer dans ce cadre le lancement d’un projet stratégique, baptisé NeoGend, qui vise à doter chaque gendarme d’une tablette numérique pour lui permettre, où qu’il soit, d’être en quelque sorte à lui seul « la brigade qui se déplace ». Le gendarme disposera ainsi, où qu’il se trouve, de toutes les applications « métier » indispensables à l’accomplissement de ses missions. L’outil numérique va donc développer une nouvelle proximité. L’innovation est présente également dans des secteurs extrêmement importants, comme la lutte contre la cybercriminalité ou le renseignement criminel. Comment traiter les informations de masse, ce que l’on appelle le big data ? Et comment, à partir de ces informations, bâtir une forme de renseignement prédictif pour bien orienter les services ? C’est un dossier sur lequel nous sommes très engagés. Enfin, nous poursuivrons nos efforts en criminalistique, notamment dans le domaine de l’ADN. Nous avons d’ailleurs installé, cette année, un remarquable pôle de police judiciaire à Pontoise, où nous avons regroupé ces trois capacités : criminalistique, renseignement criminel et lutte contre les cybermenaces. C’est une remarquable réalisation, essentielle pour notre performance en matière judiciaire, je vous invite à la visiter.

À l’innovation s’ajoute la modernisation du dispositif territorial. Vous le savez, la question sensible du maintien de petites unités dispersées et de faible activité continue de se poser.

M. Daniel Boisserie. Cette année, mon général, nous vous avons vu à la manœuvre. Je pense aux attentats de Charlie Hebdo et au crash de la Germanwings, sans oublier la lutte contre les cambriolages. Paradoxalement, c’est cette année qu’il y a eu, dans ma circonscription, une inflation considérable des cambriolages. Cela étant, les statistiques sont globalement excellentes et marquent une baisse de la délinquance dans ce domaine.

Les crédits consacrés à la gendarmerie seront, en 2016, plus que préservés : ils seront revalorisés et atteindront 8,23 milliards d’euros en crédits de paiement. Compte tenu des tensions qui pèsent sur les finances publiques, la gendarmerie s’en sort bien. C’est la sécurité des Français qui en dépend : nous pouvons donc tous nous en réjouir.

Ma première question porte sur la mise en réserve initiale. Comme l’an dernier, elle atteindra 8 % dès le début de la gestion. Cela étant, vous avez dit que 40 millions d’euros avaient été levés au titre de l’exercice 2015. Avez-vous des informations sur cette levée de la réserve initiale pour 2016, la pratique de la réserve bloquant depuis plusieurs années les commandes de la gendarmerie ?

Dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme notamment et au titre du schéma d’emplois pour 2016, nous attendons 184 postes de gendarmes supplémentaires. Les chiffres que vous avez donnés étant supérieurs à ceux que nous espérions, nous ne pouvons, là aussi, que nous en réjouir. Sur ce nombre, combien correspondent à des créations nettes et combien à des réaffectations en unités ? Je pense notamment aux militaires relevant du service du renseignement territorial.

Ces postes devaient être ouverts au sein des unités les plus mobilisées par la lutte antiterroriste. Pouvez-vous nous donner des précisions sur la répartition géographique de ces postes ? Vous avez dit qu’il fallait lutter contre le terrorisme sur tout le territoire, y compris dans les campagnes les plus reculées. Pourrions-nous en savoir un peu plus ?

J’en viens à une question sur un sujet qui m’est cher : la politique immobilière et le casernement. Nous avons hérité d’une situation difficile…

M. Yves Fromion. C’est récurrent !

M. Daniel Boisserie. Nous avons essayé d’y remédier, mais c’est loin d’être parfait. Dans beaucoup de casernements, on trouve encore des logements insalubres. Un gros effort a été fait, mais il y a des communes qui ne savent pas comment elles vont faire pour financer leurs nouvelles gendarmeries. Pouvez-vous nous donner des informations sur le déroulement du plan de réhabilitation triennal 2015-2017 ?

S’agissant de l’opération Sentinelle, on nous a dit qu’une masse budgétaire serait dégagée selon les unités. La gendarmerie étant concernée par l’opération Sentinelle, la réhabilitation de locaux et le budget qui y est consacré pourraient-ils bénéficier d’un financement interministériel qui ne serait pas affecté uniquement à la gendarmerie ?

En ce qui concerne les tablettes numériques, je crois savoir qu’une expérimentation est en cours au sein du groupement de gendarmerie du Nord. Toutefois, n’y a-t-il pas de problème au niveau du territoire, dans la mesure où il n’est pas entièrement couvert par les opérateurs de téléphonie ?

Parmi les décisions du comité interministériel de la sécurité routière du 2 octobre dernier, la mesure 5 m’inquiète, en tant que citoyen. Il s’agit de l’expérimentation des drones radars. En outre, 10 000 radars leurres vont être installés. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

La réorganisation des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) est une question qui m’intéresse au plus haut point en zone rurale. Je pense qu’il est possible d’améliorer leur efficacité.

Enfin, à travers les visites que j’ai pu faire dans différentes unités, j’ai constaté que le moral des gendarmes était en hausse, ce qui est extrêmement important. Ils sont très fiers de leur grand chef et pensent qu’ils n’en ont jamais eu de meilleur.

M. David Comet. Il y a une « spécificité gendarmique », eu égard aux défis que nous devons relever aujourd’hui. La gendarmerie est une force vieille de 800 ans, qui présentait, selon mon professeur François Dieu, une dualité organique de force militaire et de force publique : force militaire en ce qu’elle assurait à la fois les missions d’une police militaire et la défense du territoire national ; force publique au travers de sa force de contrainte, de son activité policière et de sa participation au maintien de l’ordre.

Certes, c’est le ministère de l’Intérieur qui est maintenant votre autorité de tutelle. Il n’en demeure pas moins que la spécificité gendarmique repose toujours sur un système de valeurs particulier. J’aimerais avoir votre point de vue sur la nécessité d’éviter, à terme, un processus de fusion des forces gendarmiques et policières.

Depuis 800 ans, cette institution a réalisé un maillage territorial complet avec son réseau de brigades territoriales. Force armée chargée d’une mission de police, rattachée aujourd’hui au ministère de l’Intérieur, la gendarmerie s’est développée principalement dans les campagnes. S’adaptant au mouvement de périurbanisation, elle est également présente dans les zones les plus reculées, où elle est le symbole de la présence de l’administration de l’État.

Son utilité est grande en matière de renseignement. Elle participe à la défense du territoire et à la lutte contre le terrorisme au travers de la surveillance générale qu’elle exerce, dans une logique de proximité et de réseau. Pouvez-vous faire le point sur ce rôle de surveillance générale de la gendarmerie au profit de nos concitoyens ?

Peut-on dire que les crises, concernant ses institutions, qui ont secoué la gendarmerie en 1989, puis en 2001, sont aujourd’hui définitivement terminées ? Quid du moral des troupes ?

M. Yves Fromion. Mon général, vous avez parlé du rôle de la gendarmerie dans « la perception fine des signaux faibles ». Cette formule admirable me conduit à vous poser une question sur l’évolution du maillage de la gendarmerie sur le territoire, c’est-à-dire la présence des brigades ou des communautés de brigades.

Je suis député d’une circonscription à la fois urbaine et rurale. Quel que soit le Gouvernement, j’ai vu se fermer un certain nombre de gendarmeries. Il est évident que le maillage, qui est la force de la gendarmerie, a perdu aujourd’hui de sa densité, donc de son efficacité.

Quelle politique entendez-vous mener dans les années à venir ? Allez-vous continuer à fermer des brigades ? Les communautés de brigades, qui devaient être la version définitive du dispositif sur le territoire, vont-elles à leur tour être remises en cause ?

L’un de vos prédécesseurs, Pierre Mutz – qui fut par ailleurs mon camarade de promotion à Saint-Cyr – est venu dans ma commune mettre en place une communauté de brigades. Comme on est loin, aujourd’hui, de cette époque ! Dans mon département, il est envisagé des regroupements qui devraient prendre la taille d’une demi-compagnie ! Pendant ce temps, c’est le vide qui se crée tout autour. À l’origine, les communautés de brigades devaient permettre d’accroître la mobilité des gendarmes en évitant qu’ils ne restent derrière un guichet : aujourd’hui, ils manquent de véhicules et de carburant, et, chaque fin d’année, on les voit venir réclamer un peu d’essence aux services techniques de la ville. Il y a donc une contradiction entre le regroupement d’unités et les moyens dont vous disposez.

Que comptez-vous faire dans les années qui viennent pour maintenir le maillage sur le territoire et faire en sorte que la « perception fine des signaux faibles » soit une réalité et pas seulement une formule magique ?

La gendarmerie a la chance d’avoir un dispositif de réserve souvent cité en exemple. On le voit sur le terrain, vos réservistes participent à des missions, qui ne sont pas forcément les missions de sécurité extrêmes. Quels changements le dispositif de réserve va-t-il connaître dans le cadre de l’évolution générale de la gendarmerie et de la sécurité ?

À Saint-Martin-d’Auxigny, chef-lieu de canton de ma circonscription, les élus attendent depuis des mois que la gendarmerie apporte la subvention promise de 400 000 euros pour lancer la construction des bâtiments de la brigade. J’ajoute que les élus de ce territoire seraient ravis que vous veniez poser la première pierre.

Général Denis Favier. J’ai déjà été invité par M. Pillet, sénateur du Cher, pour poser la première pierre d’une brigade dans sa commune.

M. Yves Fromion. C’est à côté de chez moi ! Ainsi, vous pourriez faire d’une pierre deux coups, si je puis dire ! (Sourires.)

Général Denis Favier. Je vous remercie pour vos questions qui montrent tout l’intérêt que vous portez à la gendarmerie et auxquelles je vais répondre successivement.

Vous me demandez si, en plaçant la gendarmerie sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et non plus du ministère de la Défense, on a touché à sa militarité. Très clairement non. Je pense même qu’elle est plus importante aujourd’hui qu’elle ne l’était lorsque j’y suis entré il y a une trentaine d’années, à ma sortie de Saint-Cyr. La gendarmerie a vraiment affirmé au sein du ministère de l’Intérieur, peut-être par une forme de réflexe identitaire, son statut militaire.

Y a-t-il un risque de fusion entre la police et la gendarmerie ? Non. Tous les jours, je suis en contact avec le ministre de l’Intérieur et tous les jours il se loue des services de la gendarmerie. Dans une affaire comme le crash de la Germanwings, il faut un corps militaire capable de s’engager jour et nuit dans une zone hostile afin d’aller rechercher les victimes. Dans le cadre des attaques terroristes du début de l’année, une force militaire est très bien adaptée pour conduire un contrôle de zone sur une vaste étendue de jour comme de nuit. Cela correspond bien à nos capacités, et à notre vocation. La pérennité de la gendarmerie sous statut militaire est une garantie pour les gouvernements de disposer d’une force capable d’être engagée dans des conditions très dégradées. Il ne me semble pas possible que cela soit contesté.

Vous m’avez demandé si les crises de 1989 et de 2001 étaient derrière nous. En 1989, je commandais une compagnie de gendarmerie et, en 2001, j’étais commandant de groupement : je peux attester que les problématiques sont désormais bien mieux prises en compte grâce au dialogue interne qui s’est instauré. Des relations de confiance se sont installées entre les personnels représentant leurs pairs et la hiérarchie. Quant aux associations professionnelles nationales de militaires (APNM), qui font leur apparition, elles auront une place à tenir dans le dialogue. Certes, il faut toujours être prudent dans nos jugements, mais je suis plutôt optimiste et je ne perçois pas de situation préoccupante à l’échelle de l’institution.

Monsieur Fromion, la gendarmerie a pour mission d’être présente dans tous les territoires, car aucun n’est aujourd’hui préservé. Mon intention est bien de capter les signaux faibles sur tout le territoire. Mais dois-je le faire avec le dispositif qui existait au xixe siècle et au début du xxe ? Je ne suis pas efficace avec des brigades dispersées de quatre ou cinq gendarmes car elles n’ont plus la capacité de faire face aux enjeux actuels. En concertation avec les élus, en lien avec le préfet et les autorités locales, j’essaie donc de procéder, chaque fois que cela a un sens opérationnel, à la fermeture de petites unités et d’en regrouper les effectifs et les moyens au sein de brigades plus importantes. Certes, cela augmente les distances à parcourir et nécessite des véhicules, mais je dégage davantage de puissance avec des gendarmes qui sont plus mobiles.

Une fois posé ce principe, je ne peux pas être statique. J’innove donc. En la matière, je crois beaucoup au numérique. La 4G arrivera même dans les territoires les plus reculés. Le gendarme sera beaucoup plus performant grâce à sa tablette numérique. Il sera capable d’enregistrer les plaintes partout, d’interroger des fichiers, de dresser un procès-verbal d’accident de la circulation et d’y intégrer des photographies. Cet outil, NeoGend, nous permettra de mettre en place une nouvelle proximité qui ne sera pas nécessairement territoriale, mais numérique. Ces tablettes numériques sont expérimentées actuellement dans le département du Nord. Nous en avons acheté 1 200 avec toutes les applications « métier ». Les retours que nous avons sont extrêmement positifs et dépassent même ce que j’avais imaginé lorsque le projet a été lancé. Nous tirerons les enseignements de cette expérimentation qui sera ensuite déployée dans les quatre départements de la Bourgogne, dont la Nièvre qui n’est pas parfaitement couverte par la 3G et la 4G. Lorsque nous en aurons dressé le bilan, nous étendrons le dispositif à l’ensemble du territoire.

Je dois offrir également des alternatives à la fermeture des brigades. Par exemple, nous nous abonnons à des maisons de services au public et travaillons parfois avec La Poste en occupant, dans certains villages, par exemple le jour du marché, un local où nous accueillons le public.

Dans certaines brigades, très peu de personnes se présentent à l’unité, il n’y a guère d’appels la nuit. Les gendarmes sont bien présents, mais ils ne produisent pas de sécurité. Aujourd’hui, on ne peut plus raisonner de la sorte.

Cette politique avance pas à pas. Cette année, nous procédons au redéploiement de quatre-vingts brigades. Cela se fait de manière consensuelle. Il n’y a pas eu, dans les territoires, de blocage. Les élus ont naturellement été associés. En définitive, le service de sécurité que nous proposons est de meilleure qualité, en tout cas il est jugé comme tel localement.

M. Yves Fromion. Mon général, en tant que responsable de la gendarmerie, vous assumez vos responsabilités au mieux de la perception que vous avez de votre mission. J’appelle votre attention sur des remarques que j’ai très souvent entendues de la part des gendarmes, qui nous disent rencontrer davantage de difficultés aujourd’hui pour capter le renseignement auprès de la population, parce qu’ils sont moins présents, plus éloignés. Je comprends vos arguments, mais la tablette numérique ne remplacera pas les contacts réguliers. Dans la ville dont j’ai été maire pendant vingt-cinq ans, il n’y a plus de gendarmes les jours de marché. Le danger de la politique que vous menez, c’est de couper le gendarme du contact de terrain, et donc du renseignement.

Général Denis Favier. Monsieur le député, comme je viens moi-même des territoires, je mesure la portée de ce que vous dites. Il nous faut développer d’autres possibilités de recueil du renseignement. Je pense à la concertation avec les maires qui sont bien informés de ce qui se passe dans leur commune.

Je pense également à la « Participation citoyenne » qui s’implante bien. Elle consiste à encourager l’alerte en temps réel et la remontée d’informations venant de la population dès lors qu’un fait anormal se produit.

Il ne faut pas non plus ignorer que la gendarmerie a vu l’organisation générale de la fonction renseignement évoluer autour d’elle et que les personnels, sur le terrain, ont pu avoir le sentiment qu’ils étaient moins sollicités qu’autrefois. C’est donc avec beaucoup d’énergie que nous avons remis l’accent sur le recueil du renseignement. Je suis par exemple très attentif à l’acculturation rurale des gendarmes issus du milieu urbain, notamment pour aller au contact d’un monde agricole qu’ils méconnaissent parfois.

Je considère que les effectifs de la gendarmerie sont suffisants pour faire le travail sur le territoire national. Encore faut-il que ces 100 000 gendarmes soient bien positionnés, ce qui n’est pas toujours le cas. En quoi est-il utile de maintenir l’enseigne de la gendarmerie devant une caserne quand le service se prend chaque jour à quelques kilomètres de là pour des raisons d’efficacité et de service à la population ? On donne l’impression d’être présent, alors que ce n’est pas vrai.

Quant à la réserve, elle est essentielle à la manœuvre que nous conduisons. Chaque jour, ce sont près de 2 000 réservistes qui travaillent avec nous alors qu’ils ont une activité professionnelle par ailleurs. Ce sont des citoyens qui participent à l’exercice de leur propre sécurité. Je constate que les armées se tournent vers nous car ce dispositif a une excellente image. Cette réserve opérationnelle, forte de 25 000 personnels, est donc un élément précieux. Elle a besoin d’un budget lui permettant de bien fonctionner, ce qui est le cas. Je salue également le rôle de la réserve citoyenne, qui comprend 1 300 personnes. Elle est un relais de la société civile dans de nombreux segments de la vie économique, comme la transition professionnelle, la recherche. Grâce aux deux leviers que sont la réserve opérationnelle et la réserve citoyenne, il existe ainsi un lien très fort entre la gendarmerie et la Nation.

Chaque année ont lieu les assises de la réserve citoyenne de la gendarmerie. Nous recevrons demain, à Pontoise, dans le pôle « Police judiciaire », des cadres d’entreprise, des personnels du monde enseignant, etc. Des partenariats se développent et montrent qu’il y a une véritable communion d’idées en matière de sécurité.

M. Yves Fromion. Quel est le coût d’un gendarme réserviste pour une journée ?

Général Denis Favier. Tout dépend de son grade. En moyenne le coût est de 80 euros par jour.

Pour 2016, un peu plus de 40 millions d’euros ont été inscrits au budget pour la réserve, ce qui est considérable. La réserve est vraiment utile.

Vous l’avez compris, ce qui me pose problème, c’est la faiblesse de ma masse manœuvrable dans le cadre de la dotation prévue hors titre 2, qui s’élève à 1,2 milliard environ. J’ai des loyers à payer pour 500 millions environ, ainsi que d’autres dépenses obligatoires. Une fois toutes ces dépenses couvertes, il me reste environ 300 millions d’euros de marge manœuvrable pour équiper mes forces. Et c’est sur cette somme-là que la mise en réserve doit être appliquée. Quand le taux est de 8 %, on aboutit à 100 millions d’euros. C’est pour cela que, chaque année, je lutte pour obtenir ces 100 millions, sans lesquels je ne peux équiper la gendarmerie. Si le taux de réserve est de 9 %, ce qui n’est pas impossible, cela nous met dans une position très difficile. Dès le début de l’année, il me faut rechercher avec l’appui du ministre la levée de la mise en réserve.

J’en viens aux effectifs. La gendarmerie bénéficie, au titre du plan de lutte antiterroriste, de 210 postes budgétaires entre 2015 et 2017 répartis de la façon suivante : 100 effectifs en 2015, 55 en 2016, 55 en 2017. Par ailleurs, le président de la République a pris l’engagement de créer 200 postes par an pour la gendarmerie tout au long du quinquennat. Pour 2016, cela se traduira par la création de 129 postes et le redéploiement de 71 postes en état-major de l’administration centrale. Quand on additionne 129 et 55, on aboutit à 184 créations nettes auxquelles il faut désormais ajouter les 370 postes du plan de lutte contre l’immigration irrégulière qui vont venir abonder les escadrons de gendarmerie mobile. Au total, cela nous fait quasiment 500 postes budgétaires. L’année est donc positive.

L’immobilier domanial qui n’était pas budgété depuis plusieurs années à la hauteur du besoin a conduit à la mise en œuvre d’un plan d’urgence de 70 millions d’euros par an. Dans ce cadre, nous avons, cette année, engagé la rénovation de cinq casernes – au Havre, à Bouliac, à Gap, à Metz et à Niort. D’autres opérations moins importantes sont également initiées. Au total, cela permettra de réhabiliter 3 400 logements environ au titre de l’exercice 2015.

M. Daniel Boisserie. Sur ce point, je voudrais évoquer un problème récurrent. Aujourd’hui, les promoteurs privés s’intéressent de moins en moins à la construction de gendarmeries en raison d’un problème de loyer d’équilibre. Ce sont souvent les offices départementaux d’HLM qui se chargent de l’opération. Mais ce n’est pas toujours le cas. Les collectivités ne peuvent plus construire de gendarmerie, parce qu’elles n’en ont pas les moyens. Comment peut-on améliorer la situation ?

Général Denis Favier. C’est assez difficile. Une solution consiste à travailler directement avec la collectivité. M. Fromion a évoqué la subvention attendue dans sa circonscription. Elle relève du décret de 1993. La masse budgétaire que l’on m’octroie dans ce cadre-là ne me permet pas de financer plus d’opérations.

L’opération Sentinelle ne nous concerne pas au plan budgétaire. Les crédits que vous évoquez ne vont pas abonder la gendarmerie. Ces montants concernent par exemple les infrastructures pour l’accueil des forces des armées. Opérationnellement, il n’y pas non plus d’impact direct de l’opération Sentinelle dans ma zone de compétence, seuls 89 militaires des armées, sur les 7 000 qui sont déployés y travaillent.

Au-delà de l’opération Sentinelle, l’engagement des armées sur le territoire national est une question majeure car nous sommes face à des menaces terroristes importantes sur le territoire national. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) doit rendre ses conclusions dans le courant du mois de décembre. Une vraie réflexion dans laquelle nous prenons notre part a lieu sur ce sujet.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous tenons à ce qu’un débat ait lieu ici.

Général Denis Favier. Faire l’économie de l’engagement de l’armée de terre sur le territoire national serait une erreur considérable, ne serait-ce qu’en termes d’apport de capacité de recueil de renseignements. Se posera immanquablement la question de savoir comment coordonner les opérations. Le rôle du préfet est bien sûr primordial.

Monsieur Boisserie, vous évoquez la question de l’utilisation des drones en matière de sécurité routière. Il s’agit en effet de faire face à un véritable fléau face auquel il faut mobiliser toutes les volontés et tous les moyens technologiques. Je dois rendre une première évaluation sur ce thème dans les prochains jours.

À travers le rôle des PSIG, vous évoquez la question des territoires et des limites administratives. Il me semble que l’on peut aller plus loin. Il faut dépasser le cadre du département. Votre circonscription est elle-même située aux confins de trois départements : il existe des options pour renforcer sous plafond le dispositif opérationnel. Mais il s’agit de régions différentes, avec des parquets différents, des cours d’appel différentes. S’ajoutent à cela des blocages administratifs et des questions d’habilitation d’officiers de police judiciaire. L’année dernière, j’ai travaillé sur un cas similaire entre la Lozère et le Cantal, une brigade de Lozère pouvant intervenir plus rapidement dans le sud du Cantal. Nous y sommes finalement parvenus.

M. Daniel Boisserie. Il suffirait que le ministère de la Justice et le ministère de l’Intérieur s’entendent. Je pense que l’on peut débloquer les choses assez facilement.

Je comprends mal l’attitude des préfets qui ne tiennent pas à ce qu’il puisse y avoir des PSIG interdépartementaux. Certains mettent en demeure des élus de construire une gendarmerie. Or ce n’est pas leur rôle. Vous serez certainement obligé de ramener certains à la réalité.

Général Denis Favier. Cela demandera du temps, mais les choses sont en marche. Ces sujets font débat dans le cadre de la réorganisation régionale. En tout cas, s’agissant des interventions, les limites administratives ne pourront pas perdurer. Demain, grâce à sa tablette NeoGend, on engagera le gendarme qui est le plus proche du lieu de l’opération. Il y a encore trop de barrières, notamment en zone de montagne. Cela n’a pas de sens. Mais la situation va évoluer dans les années à venir. On avance à pas comptés, mais on progresse.

M. Yves Fromion. C’est mieux que de fermer des brigades !

Mme la présidente Patricia Adam. Général, je vous remercie.

La séance est levée à seize heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. David Comet, M. Yves Fromion

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Delcourt, Mme Marianne Dubois, Mme Geneviève Fioraso, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. Jean-Claude Perez, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Michel Voisin