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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 3 novembre 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 15

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, sur les opérations en cours

— Informations relatives à la commission

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’être une nouvelle fois présent devant notre commission, pour évoquer les opérations extérieures (OPEX). Vous venez d’ailleurs de conclure, à Balard, un colloque fort intéressant de deux jours intitulé « droit et OPEX ».

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense. Je souhaite faire le point sur nos différentes opérations extérieures. Je ferai aussi quelques remarques sur l’Europe de la défense, compte tenu d’un certain nombre de progrès significatifs avec nos amis allemands. Je dirai enfin deux mots de nos exportations d’armement, ainsi que de notre coopération avec le Royaume-Uni. À l’issue de cette réunion, je me rendrai d’ailleurs à Londres pour célébrer le cinquième anniversaire du traité de Lancaster House. À cette occasion, je décorerai plusieurs soldats britanniques et j’aurai un échange avec mon homologue, Michael Fallon.

Je commence par la situation dans la bande sahélo-saharienne. S’agissant du Mali, lors de la visite d’État du président Ibrahim Boubacar Keïta en France, il y a quelques jours, nous avons constaté avec lui qu’il y avait une stabilisation politique, un retour de la croissance – elle devrait se situer autour de 4 % cette année – et une amélioration considérable de la situation sécuritaire depuis le début de l’année 2013, en particulier depuis la signature de l’accord d’Alger.

Cela étant, nous devons rester très vigilants dans la lutte contre les groupes armés terroristes (GAT). Même s’ils sont beaucoup moins nombreux et actifs, ils n’ont pas renoncé à faire dérailler le processus politique ni à agresser les forces internationales, celles de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) comme celles de l’opération Barkhane. Ainsi, le groupe Al-Mourabitoune continue à mener des actions au Sud, de même que le mouvement Ansar Eddine, dirigé par Iyad Ag Ghali, et les restes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), au Nord, dans l’Adrar des Ifoghas. Un nouveau groupe, le Front de libération du Macina, issu d’autres groupes à dominante arabe, est apparu au sud de Tombouctou, à la frontière avec le Burkina Faso. Il a provoqué à quelques reprises nos forces et, surtout, les forces maliennes. Il ne s’agit pas d’un mouvement majeur, mais il convient d’y faire très attention.

Dans ce contexte, les militaires de Barkhane continuent d’assurer une présence très forte et de mener régulièrement des opérations. En ce moment, il s’agit d’une opération très intense d’une durée de un mois, baptisée « Vignemale », qui vise à repérer des caches, à neutraliser des acteurs et à poursuivre la stabilisation et la sécurisation du pays. Les effectifs de Barkhane varient entre 3 500 et 3 800 hommes en fonction des opérations. Actuellement, ils s’établissent à 3 800 hommes, compte tenu de la phase opérationnelle forte que je viens de mentionner. Notre organisation reste la même : un état-major central situé à N’Djamena et quatre pôles, avec des positions avancées à Faya Largeau, Tessalit et Madama. Cohérente et fonctionnelle, elle donne de bons résultats.

D’autre part, depuis l’accord d’Alger – signé en fait à Bamako le 20 juin dernier –, le Mali est engagé dans un processus vertueux de rétablissement de la paix intérieure entre les autorités de Bamako et les différents groupes qui perturbaient la situation et se battaient souvent entre eux, à savoir, d’un côté, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) – qui regroupe le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et la branche pro-Azawad du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) – et, de l’autre, la Plateforme – qui comprend les mouvements favorables à Bamako, notamment le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA), dirigé par El Hadj Ag Gamou, et la branche arabe du MAA. Malgré quelques accrochages, nous sommes globalement dans une phase de stabilisation. Des missions et des patrouilles communes sont même envisagées au Nord entre les forces armées maliennes, le GATIA et la CMA, ce qui serait sans précédent.

Je rappelle que l’accord d’Alger comprend trois volets : un volet militaire, avec la démobilisation, le désarmement et la réinsertion (DDR) des groupes armés, ainsi qu’une réforme du secteur de la sécurité (RSS), mise en œuvre de manière concomitante ; un volet institutionnel, avec un processus de décentralisation donnant plus d’autonomie aux territoires du Nord ; un volet économique qui vise à favoriser les investissements dans ces territoires. Sur ce dernier point, la conférence internationale pour la relance et le développement du Mali, qui s’est tenue le 22 octobre à Paris au siège de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a produit des résultats plutôt positifs.

Par ailleurs, j’ai pris quelques décisions concernant notre présence au Mali. Premièrement, ayant considéré que le commandement de la MINUSMA était sous-dimensionné, nous contribuons au renforcement de son état-major, aux côtés des Belges, des Canadiens et des Autrichiens, en réponse à l’appel du secrétaire général adjoint des Nations unies, Hervé Ladsous.

Deuxièmement, nous constatons que les Européens sont de plus en plus présents au sein des effectifs de combat et de logistique de la MINUSMA : aux Néerlandais et aux Suédois vont se joindre des Allemands et des Danois. Cette montée en puissance est peut-être un peu tardive, mais c’est une bonne chose.

Troisièmement, nous souhaitons qu’une orientation complémentaire soit donnée à la mission de formation de l’Union européenne au Mali, EUTM Mali, lorsque son mandat arrivera à échéance au printemps prochain : il s’agira de l’articuler avec le processus de DDR des groupes armés signataires (GAS) de l’accord d’Alger. Je soulèverai cette question lors de la réunion des ministres de la Défense de l’Union européenne le 18 novembre prochain à Bruxelles. Je pense obtenir le soutien de mes collègues. Je solliciterai celui de mon homologue britannique dès ce soir, le Royaume-Uni étant présent au sein de la mission EUTM Mali. Rappelons que celle-ci a déjà formé environ 4 000 militaires de l’armée malienne et qu’elle assure un suivi dans les unités. Ce processus est, selon moi, positif.

En ce qui concerne la République centrafricaine, je suis pessimiste pour le court terme, mais plutôt optimiste pour le moyen terme. À court terme, la situation reste tendue et préoccupante. Les derniers chiffres font état de quinze morts et d’une centaine de blessés à Bangui depuis le 28 octobre. Cette recrudescence des violences, à laquelle nous assistons depuis environ un mois, tient notamment à l’approche des échéances électorales. Un certain nombre d’acteurs refusent le processus électoral et veulent en découdre : d’une part, les éléments les plus radicaux de l’ex-Séléka, emmenés en particulier par Noureddine Adam ; d’autre part, les plus extrêmes des anti-balaka, activés en partie par l’ancien président François Bozizé. Ces groupes s’affrontent pour le moindre prétexte : tout récemment, le vol d’une moto s’est soldé par la mort de trois personnes. Les forces de Sangaris sont obligées d’intervenir, notamment en faisant voler les hélicoptères Tigre, afin d’éviter que la situation ne s’enflamme. Compte tenu de l’aggravation des tensions, j’ai proposé au président de la République de maintenir l’effectif de Sangaris à environ 1 000 hommes jusqu’à la fin du processus électoral, alors que nous envisagions de le faire descendre à 600 à la fin de l’année.

De plus, l’environnement des pays voisins est moins stimulant qu’auparavant, car les leaders de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), qui jouissaient d’une certaine autorité sur la zone, sont actuellement repliés sur leur propre territoire : le président tchadien Idriss Déby est confronté à la menace de Boko Haram ; le président gabonais Omar Bongo et son collègue congolais Denis Sassou-Nguesso sont en période préélectorale.

Il existe néanmoins des perspectives à moyen terme. Premièrement, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) est désormais au complet : elle compte 10 000 hommes bien répartis sur l’ensemble du territoire, à la différence de la MINUSMA, qui était restée concentrée sur Bamako à ses débuts. À mesure que la MINUSCA s’est déployée, nous avons retiré les forces de Sangaris, qui ne sont plus présentes, aujourd’hui, qu’à Sibut et à Bangui.

Deuxièmement, la MINUSCA a revu son organisation et fonctionne, selon moi, plus efficacement. La coordination avec l’opération Sangaris se passe bien.

Troisièmement, nous allons demander à l’Union européenne d’envoyer en République centrafricaine une mission de formation du type d’EUTM Mali mais de moindre dimension, pour succéder à la mission de conseil militaire EUMAM RCA. Il convient en effet de reconstituer les forces armées centrafricaines (FACA), aujourd’hui faibles et disparates, afin que le nouveau président dispose d’un un outil militaire suffisamment cohérent, structuré et indépendant des groupes de pression qui s’affrontent actuellement.

En tout cas, les conditions sont réunies pour que les élections se tiennent. Si le dernier calendrier connu est respecté, le premier tour aura lieu avant Noël. La proportion d’électeurs recensés, encore très faible il y a six mois, atteint aujourd’hui 91 %. Une quarantaine de candidats se sont déclarés. Le processus politique est donc en cours, et c’est assez encourageant.

Pour ce qui est de la situation autour du lac Tchad, après avoir subi un certain nombre d’échecs, le mouvement Boko Haram, que l’on considérait auparavant comme une armée bien organisée, s’est rabattu sur des actions de type terroriste – certaines perpétrées tout récemment. En revanche, aucun élément ne nous permet de confirmer à ce stade l’information selon laquelle le chef de Boko Haram Abubakar Shekau aurait été neutralisé. Quant au ralliement de Boko Haram à Daech, il semble être uniquement de façade, car rien ne prouve l’existence de liens militaires entre les deux mouvements, même si Daech est aujourd’hui présent en Libye.

La France n’intervient pas directement dans la lutte contre Boko Haram : elle s’en tient à un appui logistique, médical ou en termes de renseignement aux armées alliées concernées, en particulier à celles du Niger et du Tchad. Le fait nouveau, c’est que les pays de la zone, notamment le Niger, le Tchad, le Cameroun et le Nigeria, ont constitué une force multinationale mixte (FMM), dont l’état-major est basé à N’Djamena, à proximité de celui de Barkhane. Dans le prolongement du sommet organisé à l’Élysée en mai 2014, nous avons mis en place, à N’Djamena, une cellule de coordination et de liaison (CCL) qui comprend des représentants des pays concernés, ainsi que du Royaume-Uni et des États-Unis.

Le nouveau président nigérian, Muhammadi Buhari, que j’ai rencontré lors de sa visite à Paris à la mi-septembre, se montre beaucoup plus allant que son prédécesseur pour sécuriser le Nord du pays et semble déterminé à rendre la FMM pleinement opératoire. Le poste de commandement tactique de la FMM, situé à Maiduguri, est dirigé par un général nigérian. Quoi qu’il en soit, nous devrons continuer à apporter notre appui à la structuration de la FMM. Les Britanniques ont annoncé qu’ils enverraient une soixantaine de formateurs pour aider l’armée nigériane à se préparer au combat – ce que mon homologue devrait me confirmer ce soir –, et les Américains ont décidé d’installer 300 militaires et quatre drones au nord du Cameroun dans les jours qui viennent. Les renseignements fournis par ces drones seront très utiles à la FMM pour lutter contre Boko Haram.

La montée en puissance de la FMM est lente, mais en bonne voie. Elle participe de l’appropriation par les Africains de leurs problématiques de sécurité, avec le soutien d’un certain nombre de pays volontaires.

J’en viens à la situation au Moyen-Orient. En Irak, depuis que nous avions arrêté la progression de Daech vers Bagdad et Erbil l’année dernière, la ligne de front s’était stabilisée. Or, pour la première fois, les forces irakiennes enregistrent quelques succès contre Daech, qui recule : Baïji a été reprise après plusieurs mois d’affrontement ; les combats se poursuivent à Ramadi, que l’on considérait jusqu’à présent comme entièrement sous l’emprise de Daech. D’autre part, des otages ont été libérés. Un mouvement positif semble donc à l’œuvre, qui demande à être confirmé. Les forces de la coalition continuent à bombarder pour appuyer les forces irakiennes ou kurdes.

Le gouvernement de Bagdad est apparemment traversé par des tensions, les différents groupes chiites s’opposant sur la stratégie à mener. Certains d’entre eux veulent jouer le jeu de la reconstitution de l’Irak. Le Premier ministre, Haïder Al-Abadi, renforce ses positions malgré les difficultés qu’il rencontre avec son prédécesseur, Nouri Al-Maliki. Je rappelle que le président irakien est kurde.

En Syrie, les frappes russes sont dirigées à 25 % contre Daech, notamment à Palmyre. Pour le reste, elles visent les groupes d’insurgés dans les zones où ils sont en conflit avec les forces syriennes loyales au régime de Bachar el-Assad. Il s’agit aussi bien de l’Armée syrienne libre (ASL) – la 1re brigade côtière, unité modérée encadrée par d’anciens officiers syriens, est l’une des principales cibles de ces frappes – que d’autres groupes, dont certains, tel Jabhat Al-Nosra, sont plutôt liés à Al-Qaïda. Notons que la frontière entre ces groupes est parfois poreuse.

Selon mon analyse personnelle, les Russes – qui disposent d’une trentaine de chasseurs et d’une trentaine d’hélicoptères basés à Lattaquié, ainsi que de quelques navires en Méditerranée orientale – ont sans doute pensé que leur appui aérien permettrait aux forces syriennes loyalistes de reprendre du terrain sur les groupes d’insurgés. Or, après un mois de frappes russes pourtant intenses, ce scénario ne s’est pas concrétisé : à Alep notamment, l’ASL résiste bien et les forces de Bachar el-Assad ne parviennent pas, à ce jour, à progresser. C’est peut-être ce qui explique l’accélération du processus diplomatique. D’autre part, ni l’armée syrienne loyaliste ni Daech ne semblent en mesure de déstabiliser les forces kurdes de l’YPG – Unités de protection du peuple –, qui tiennent un territoire allant de Kobané au Sinjar. D’une manière générale, la situation n’est donc pas nécessairement celle que l’on pouvait imaginer.

D’autre part, les bombardements russes provoquent des mouvements migratoires, en particulier vers la Jordanie. L’arrivée massive de réfugiés dans le nord du pays suscite une vive inquiétude de la part des autorités jordaniennes, notamment du roi, ainsi que j’ai pu le constater lors de ma récente visite à Amman. Pour une grande part, les réfugiés sont non pas installés dans des camps, mais intégrés au sein de la population. Il s’agit d’un geste d’ouverture très fort de la part des Jordaniens, mais cela peut aussi être source de complications, voire de risques majeurs.

En Libye, la situation demeure préoccupante. Le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, Bernardino León, qui achèvera sa mission dans quelques jours, a proposé la constitution d’un gouvernement d’unité nationale avec un premier ministre et trois vice-premiers ministres, mais ce compromis est rejeté par certains éléments tant des autorités de Tobrouk que de celles de Tripoli. Son successeur, Martin Kobler, devra reprendre le dossier. Je suis très pessimiste : tant que nous n’aboutirons pas à une solution politique, les métastases de Daech continueront à se développer, avec un soutien depuis l’Irak et la Syrie. Avec 3 000 combattants, le mouvement contrôle déjà 250 kilomètres de côtes autour de Syrte et progresse très sensiblement vers le Sud. Certains groupes s’y rallient parce qu’il leur apporte, disent-ils, une forme de sécurité. Les antagonismes et les coalitions entre les différents groupes libyens varient, de manière parfois surprenante, selon un fonctionnement clanique. Il faut tout faire pour que les deux parties principales prennent conscience du danger et dépassent leur rivalité.

Face à cette aggravation de la situation, la Tunisie est en première ligne. Je m’y suis rendu il y a quelques jours et me suis entretenu avec le Premier ministre et le ministre de la Défense. La France va apporter une aide de 20 millions d’euros à la Tunisie pour équiper et former ses forces spéciales, et contribuer ainsi à la sécurisation de ses frontières. D’autre part, nous allons travailler étroitement avec les Britanniques, qui sont très sensibilisés à la situation en Libye, pour les raisons que vous connaissez.

Le 22 juin dernier, l’Union européenne a pris la décision de mener une lutte armée contre les trafiquants de migrants en Méditerranée centrale, et lancé, à cette fin, l’opération EUNAVFOR MED Sophia. Les trafics de migrants opérés à partir de la Libye sont bien évidemment concernés au premier chef. Nous sommes très présents dans le dispositif, en partenariat notamment avec les Italiens, les Espagnols, les Allemands et les Britanniques. L’état-major de l’opération, situé à Rome, est commandé par un amiral italien, le numéro 2 est un amiral français. L’opération mobilise plusieurs navires européens, dont une frégate porte-hélicoptères française, le Courbet. Nous participons aussi aux vols de surveillance maritime.

L’opération Sophia comporte trois phases. La première, qui a consisté à collecter et échanger des renseignements, est terminée. L’opération est aujourd’hui entrée dans sa deuxième phase : nous sommes en mesure d’intercepter, dans les eaux internationales, des navires transportant des migrants, voire de faire usage de la force dans certains cas face aux passeurs. Nous avons déjà sauvé un certain nombre de vies dans ce cadre. À ce stade, nous ne pouvons pas passer à la phase 3, qui consisterait à intervenir dans les eaux territoriales libyennes, car il faut soit une décision du Conseil de sécurité des Nations unies en ce sens, soit une demande émanant d’un gouvernement libyen reconnu internationalement.

Nous avons enregistré quelques avancées lors du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 – même si nous aurions aimé en obtenir davantage –, dont la décision fondamentale de conduire une action préparatoire à la recherche intéressant la défense. Le budget de l’UE contribuera à des projets militaires en matière de recherche ; le financement, encore modeste puisqu’il ne dépasse pas 50 millions d’euros, soutiendra très en amont des plans qui pourront déboucher sur une production européenne. La réunion des ministres de la Défense du 17 novembre prochain sera l’occasion de renforcer cette initiative. Les premiers programmes concerneront probablement des hélicoptères dronisants, c’est-à-dire à voilure tournante, et des composants électroniques. Ce premier acte, très significatif, se déploiera dans le cadre de l’Agence européenne de défense.

Le Conseil européen de juin dernier a également abouti au lancement de l’initiative « former et équiper » – ou « train and equip » –, dont l’objectif vise, au-delà de l’accompagnement de l’EUTM, à fournir de l’équipement non létal aux forces armées formées dans le cadre des missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Il s’agira donc de procurer à ces forces des matériels de communication, de logistique et des vêtements.

Il a par ailleurs été décidé de mandater la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité pour élaborer la stratégie globale de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), qui n’a pas été modifiée depuis 2003. En outre, nous avons avancé, lors de ce Conseil européen, sur la stratégie maritime, les menaces hybrides et la cybersécurité. Un mouvement a donc été amorcé, même s’il ne va pas aussi loin que nous le souhaitions en termes financiers.

Le rapprochement bilatéral franco-allemand a, quant à lui, beaucoup progressé au cours de ces derniers mois. Ainsi, l’Allemagne a décidé d’investir dans le programme du système multinational d’imagerie spatiale pour la surveillance, la reconnaissance et l’observation (MUSIS) comprenant les satellites de la composante spatiale optique (CSO), en contribuant à 80 % du financement du troisième satellite, les deux premiers ayant été élaborés par la France. Cette coopération comprend un accord sur l’échange d’images radars dans la constellation SAR-Lupe allemande, compétence pour laquelle il n’existe pas de programme français. En outre, nous avons trouvé un accord le 31 juillet dernier pour le projet KANT de rapprochement des industries de défense terrestre, qui reposera sur la fusion, entérinée avant la fin de l’année, du groupe français Nexter et de l’industriel allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW). Enfin, nous travaillons avec l’Allemagne à la constitution d’un drone européen, dossier dans lequel je me suis fortement engagé car il est essentiel de faire émerger une génération européenne pour succéder au drone MALE Reaper. L’Allemagne mène en collaboration avec la France, l’Italie et l’Espagne les études de définition et de faisabilité de cet Eurodrone. L’Allemagne est prête à assumer une part majeure du financement. Les études seront contractualisées via l’OCCAr dans le courant du premier semestre 2016. Elles devraient démarrer avec une équipe multinationale sous pilotage allemand, à Bonn.

Nous fêterons ce soir à Londres le cinquième anniversaire des accords de Lancaster House. Les relations avec le Royaume-Uni s’avèrent très pragmatiques et elles progressent puisque nous pourrons déployer dès 2016 la Force expéditionnaire interalliée et interarmées – ou combined joint expeditionary force (CJEF). En outre, nous collaborons dans la logique du projet One MBDA pour les missiles de croisière futurs et le missile anti-navire léger (ANL). Enfin, nous coopérons dans le nucléaire, en mettant en commun les installations permettant de tester la fiabilité de nos armes dans le cadre du programme « EPURE ». Ce dernier, créé par le traité de Lancaster House, est très important et se déroule normalement. Nous avons également lancé avec les Britanniques l’opération devant aboutir au drone de combat du futur (SCAF).

Il y a quelques jours, nous avons signé un contrat portant sur des hélicoptères avec le Koweït qui devrait nous permettre d’atteindre le montant de 16 milliards d’euros d’exportations dans le domaine de la défense en 2016.

M. Joaquim Pueyo. Les Russes effectuent des frappes en Syrie depuis plusieurs semaines ; la France participe aux côtés des États-Unis à une coalition internationale, et le ministère de la Défense américain a indiqué avoir renoncé à quelques frappes pour éviter une trop grande proximité avec les avions russes. À la mi-octobre, on avait évoqué l’élaboration d’un protocole aérien qui paraissait indispensable. Monsieur le ministre, ne serait-il pas judicieux que l’ensemble des puissances intervenant en Syrie se coordonnent par le biais d’un protocole ? L’opinion publique ne comprend pas ce manque de coopération, alors que tout le monde reconnaît en Daech l’ennemi numéro un.

M. Yves Fromion. Monsieur le ministre, comment a évolué la situation des chrétiens en Syrie et en Irak ?

Envisagez-vous une réduction des effectifs de l’opération Barkhane, puisque, même si rien n’est jamais acquis, vous estimez que les positions sont stabilisées ?

Le versement des premiers acomptes des contrats d’exportation déclenche le processus industriel ; or il semblerait que ces paiements n’aient pas été effectués pour certaines commandes : pouvons-nous espérer qu’ils le soient rapidement ?

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le ministre, l’article 35 de la Constitution, disposant que, lorsque la durée d’une intervention atteint quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement, n’a pas été respecté pour l’opération Barkhane. Je vous ai écrit à ce sujet le 22 janvier 2015, et vous m’avez adressé le 11 mai une réponse qui me paraît contestable. Selon vous, cette opération en poursuit d’autres – Serval au Mali et Épervier au Tchad –, déjà autorisées par le Parlement. Certes, mais les opérations armées conduites au Niger, en Mauritanie et au Burkina Faso n’ont jamais été soumises à l’approbation de l’Assemblée nationale et du Sénat. À vos yeux, Barkhane entre dans le champ des exceptions à l’application de l’article 35 de la Constitution. Celles-ci – qui concernent les opérations humanitaires et des forces spéciales, les actions ne poursuivant pas de but opérationnel et les prépositionnements dans le cadre d’un accord de défense – ne me semblent pas concerner Barkhane ; d’ailleurs, vous avez vous-même reconnu que l’envoi de forces s’appuie uniquement sur des accords de coopération opérationnelle ou technique. Dans le cadre de Barkhane, des militaires mènent des actions opérationnelles en situation de crise dans des territoires étrangers, ce qui nécessite une autorisation du Parlement au titre de l’article 35. Pouvez-vous me démontrer le contraire, monsieur le ministre ?

M. Damien Meslot. Monsieur le ministre, dans le cadre de l’opération Sentinelle, beaucoup de militaires sont mobilisés dans notre pays ; cela rassure la population, mais nous ne pouvons pas prévenir toutes les tentatives d’attentat. Ne devrions-nous pas réduire la voilure de ce dispositif ?

Avec le maire de la commune, nous étions venus vous voir pour évoquer le cas de la réduction des effectifs du 1er régiment d’artillerie stationné à Bourogne et nous attendons une réponse de votre part dans ce dossier.

M. Alain Marty. Monsieur le ministre, vous aviez admis, lors d’une précédente réunion, que la France était intervenue en Syrie pour armer des insurgés se battant contre M. Bachar el-Assad. Quels sont les groupes que nous avons soutenus ? Jabhat al-Nosra ? Ahrar al-Sham ? L’Armée syrienne libre, qui semble aujourd’hui en déclin ?

M. Philippe Folliot. Monsieur le ministre, vous vous rendrez dans quelques jours au deuxième Forum sur la paix et la sécurité à Dakar. Quel message y ferez-vous passer ? Quel rôle les parlementaires français et africains pourraient-ils y jouer ? Comment pourrait-on contribuer à l’élaboration d’une réflexion stratégique africaine ?

Il y a deux ans, deux journalistes français, Mme Ghislaine Dupont et M. Claude Verlon, étaient assassinés au Niger, et certains éléments relatifs à ce meurtre ont été classés secret-défense. Un déclassement est-il envisageable ?

Un militaire du 35e régiment d’artillerie parachutiste (RAP) de Tarbes a été assassiné et un autre blessé à Cayenne, en Guyane, suite à une altercation nocturne. Disposez-vous d’éléments relatifs à ce meurtre ?

M. Michel Voisin. Nos forces sont envoyées dans des théâtres toujours plus nombreux et importants ; j’ai lu récemment que l’essoufflement voire l’asphyxie nous guettaient compte tenu des conditions dans lesquelles nos militaires sont employés. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

M. Alain Moyne-Bressand. Un accident ou un attentat a touché un avion russe il y a trois jours en Égypte ; ce pays, ami de la France, est-il exposé à un risque terroriste que représenteraient des groupes djihadistes bien organisés dans une partie de son territoire ? Avez-vous des informations en la matière ? Comment pouvons-nous aider nos amis égyptiens ?

M. le ministre. Monsieur Pueyo, nos interventions en Syrie sont ciblées : elles touchent Daech, ses infrastructures et ses centres d’entraînement, et elles reposent sur des renseignements que nous avons acquis nous-mêmes et recoupé avec nos Alliés. En revanche, si nous avons maintenu notre autonomie d’action, la maîtrise du ciel est américaine. Nous agissons donc en articulation avec les États-Unis qui, de leur côté, ont développé des accords de « déconfliction » avec les Russes. Nous n’entretenons pas nous-mêmes de rapports directs avec la Russie sur l’utilisation du ciel syrien.

Monsieur Fromion, ne vous inquiétez pas pour les versements des acomptes, y compris pour ceux dus par le pays auquel vous pensez. Les interrogations ont été levées.

Je ne suis pas favorable à la diminution du nombre de militaires engagés dans l’opération Barkhane pour l’instant. Il s’avère nécessaire, pour ce dispositif complet et articulé, de compter sur les effectifs actuels quand, comme actuellement, nous menons des opérations d’envergure. Le chef d’état-major des armées pense également que le moment de réduire la voilure humaine de Barkhane n’est pas encore venu, car nous devons toujours faire face à des actions « asymétriques de harcèlement, recourant par exemple à des engins explosifs improvisés – ou improvised explosive devices (IED) – et à des attentats. En outre, la situation en Libye reste dangereuse et instable.

Les chrétiens au Levant sont largement dans la zone kurde autour d’Erbil dans le Nord de l’Irak, et la situation apparaît stabilisée dans cette région après une phase marquée par des départs massifs. En revanche, il convient d’agir dans le Sinjar et de reprendre des lieux où la population chrétienne s’avère très menacée. Davantage d’opérations sont menées actuellement, et il y a lieu de maintenir cet effort. De nombreux chrétiens se trouvent parmi les réfugiés, et j’en ai d’ailleurs vu beaucoup en Jordanie. Dans le Nord de la Syrie, une partie de la population chrétienne soutient Bachar el-Assad. Les interrogations relatives à la stabilité du Liban subsistent, mais Daech n’est pas parvenu à rompre les digues existantes à proximité de la frontière syro-libanaise. L’axe reliant Damas à Homs se révèle essentiel pour assurer la sécurité du Liban, ce pays connaissant une situation politique toujours incertaine.

Monsieur Candelier, je maintiens ma position : Barkhane ne constitue pas une opération nouvelle entrant dans le champ de l’article 35 de la Constitution, car elle s’inscrit dans la suite d’Épervier et de Serval, qui ont été autorisées par le Parlement. Les missions de contre-terrorisme sont identiques, et le Niger, la Mauritanie et le Burkina Faso ont signé des accords de défense avec la France. En revanche, la prolongation de l’intervention engagée en Syrie nécessitera dans quelque temps l’approbation du Parlement.

Monsieur Meslot, la loi de programmation militaire (LPM) précise que l’on doit pouvoir en permanence mobiliser, dans le cadre de Sentinelle, de 7 000 à 10 000 hommes. Le président de la République a souhaité que 7 000 militaires soient déployés depuis les attentats de janvier dernier, et nous voulons conserver un dispositif de cette ampleur car il assure, en plus d’une fonction dissuasive, la sécurité des lieux de culte et des transports. Le risque d’attentat reste significatif et nous recevons des informations sensibles presque toutes les semaines. Nous devons donc rester vigilants, et tout signe de désengagement pourrait être perçu comme une opportunité par les groupes terroristes.

Comme je m’y suis engagé, je vous ferai parvenir cette semaine un courrier sur la situation à Bourogne et me rendrai peut-être dans cette commune.

Monsieur Marty, nous n’avons jamais soutenu Jabhat al-Nosra et Ahrar al-Sham, et n’aidons que l’ASL. Nous suivons très précisément la situation avec nos alliés qui livrent des armes dans cette zone. Je pensais que l’ASL était beaucoup plus faible que ce qu’elle n’est en réalité ; elle apporte en ce moment la preuve qu’elle est capable de résister, même si la situation peut bien entendu évoluer.

Monsieur Folliot, le Forum sur la paix et la sécurité se réunira à Dakar pour la deuxième fois la semaine prochaine ; l’objectif principal réside dans l’émergence chez les leaders africains d’une culture de la sécurité et de défense. Les Africains doivent en effet être capables d’assurer eux-mêmes leur sécurité. Il convient d’entreprendre ce travail de longue durée, afin d’aboutir à l’émergence d’une communauté stratégique africaine qui dépasse le simple stade des mots et entre en action. La lutte contre Boko Haram représente un exemple positif, même si la tâche s’avère dure et qu’elle n’aboutira que lentement. Plusieurs chefs d’État et ministres de la Défense se rendront à ce Forum, qui prendra donc de l’ampleur par rapport à la première réunion que nous avons initiée l’année dernière. Reste maintenant à obtenir des succès de fond, qui découleront d’une réelle prise de conscience. Des opérations comme EUTM au Mali et en République centrafricaine (RCA) ont permis de reconstruire les armées nationales de ces pays qui ont remplacé les forces claniques. Étendre ce modèle assurerait la sécurité en Afrique dans la durée.

J’ai bien reçu les lettres, largement diffusées, demandant la déclassification d’éléments concernant l’assassinat de Mme Ghislaine Dupont et de M. Claude Verlon ; une procédure est en cours afin de déclassifier l’ensemble de ce dossier, mais elle se révèle lente. Seuls les juges peuvent réclamer cette opération : M. Marc Trévidic nous a sollicités en ce sens en mai dernier, mais nous avons effectivement un peu tardé à lui répondre. Néanmoins, tout sera déclassifié d’ici à la fin de l’année, une fois rendu l’avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN).

L’incident à Cayenne que vous avez évoqué date d’octobre 2014, et je ne dispose pas d’éléments particuliers sur cette affaire.

Monsieur Moyne-Bressand, les Égyptiens ont du mal à faire face aux groupes terroristes opérant dans le Sinaï et ralliés à Daech. Il s’agit d’une zone de non-droit peuplée de tribus bédouines, et l’armée égyptienne ne possède pas les outils militaires permettant de lutter contre le groupe Ansar Baït al-Maqdis, indépendant et labellisé récemment sous l’étendard de Daech. J’ai évoqué ce sujet avec mon homologue égyptien, qui dispose d’une armée dont l’équipement, la stratégie et la formation restent de type soviétique ; en effet, le tank ne constitue pas le meilleur outil de lutte contre ces organisations ! La France et l’Égypte ont décidé d’engager une collaboration dans le domaine des forces spéciales, afin de lutter contre Ansar Baït al-Maqdis qui représente un vrai danger aux yeux du président Abdel Fattah al-Sissi – des militaires égyptiens ont d’ailleurs été récemment tués.

Nous n’avons aucune information à ce stade sur le récent crash de l’avion russe. Le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) intervient sur place à la demande des autorités égyptiennes.

Monsieur Voisin, l’année 2015 s’avère difficile pour l’armée de terre : les nouveaux recrutements ne sont pas encore opérationnels, et de fortes rotations ont lieu pour l’opération Sentinelle et celles conduites à l’extérieur. La situation devrait s’améliorer en 2016, puisque les nouvelles recrues seront formées ; en outre, les aménagements logistiques et des logements en région parisienne seront achevés, et de nouveaux personnels seront engagés. Tout cela permettra de fluidifier la mobilisation des effectifs qui, aujourd’hui, se trouvent en effet particulièrement exposés.

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Informations relatives à la commission

La commission a procédé à la désignation des rapporteurs des missions d’information suivantes :

Mission d’information sur la présence et l’emploi des forces armées sur le territoire national :

– MM. Olivier Audibert Troin et Christophe Léonard.

Mission d’information sur le rôle de la marine nationale en Méditerranée :

– MM. Jean-David Ciot et Alain Marleix.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. David Comet, Mme Catherine Coutelle, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Laurent Kalinowski, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Jean-Claude Perez, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Olivier Audibert Troin, Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, Mme Carole Delga, Mme Geneviève Fioraso, M. Yves Foulon, M. Claude de Ganay, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Philippe Vitel

Assistait également à la réunion. - M. Jean-François Lamour