Accueil > Travaux en commission > Commission de la défense nationale et des forces armées > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 17 novembre 2015

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 16

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition du général Arnaud Sainte-Claire Deville, commandant les forces terrestres

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous sommes heureux de recevoir le général Arnaud Sainte-Claire Deville qui succède au général Bertrand Clément-Bollé à la tête du commandement des forces terrestres, basé à Lille.

Nous avions prévu de vous auditionner, général, avant les tragiques événements de vendredi dernier afin de faire le point, avec vous, sur l’opération Sentinelle et sur son impact sur l’armée de terre. À la suite des décisions prises par le président de la République, nous auditionnerons demain, avec la commission des Affaires étrangères, le ministre de la Défense.

Vous écouter nous permettra d’être informés sur la montée en puissance de l’opération Sentinelle, sur le déploiement de l’armée de terre sur le territoire national et de nourrir le débat sur l’opportunité de l’intervention de l’armée de terre sur le sol national. Le chef de l’État a annoncé l’éventuelle création d’une garde nationale. Une mission d’information confiée à MM. Christophe Léonard et Olivier Audibert Troin a prévu de nombreuses auditions sur le sujet de l’emploi des forces sur le territoire national ainsi que des déplacements.

Général Arnaud Sainte-Claire Deville, commandant des forces terrestres. Il me semble que c’est une première pour un commandant des forces terrestres d’être entendu par la commission de la Défense de l’Assemblée. Je mesure par conséquent l’honneur qui m’est fait de m’exprimer devant la représentation nationale et vous remercie pour cette invitation.

Sans préjuger de nouvelles orientations consécutives à la tragédie de vendredi dernier, mon propos se concentrera sur l’impact de l’opération Sentinelle sur les forces terrestres, notamment depuis la décision du président de la République d’engager dans la durée 7 000 hommes sur le territoire national.

Après vous avoir présenté mes responsabilités, je m’attacherai plus précisément à définir ce que recouvre la préparation opérationnelle des forces terrestres. Puis, évoquant les conséquences de l’opération Sentinelle sur l’entraînement, je vous présenterai les mesures d’adaptation de notre système de préparation opérationnelle prises dans l’urgence pour répondre à cette situation. À l’aune de la remontée en puissance des forces terrestres, décidée en avril dernier, j’aborderai ensuite les actions à conduire pour retrouver à moyen terme un niveau acceptable en matière de préparation opérationnelle. Enfin, avant de conclure, je partagerai avec vous quelques réflexions sur un emploi rénové des forces terrestres sur le territoire national.

Le commandant des forces terrestres doit permettre au chef d’état-major de l’armée de terre d’engager, à tout moment et dans la durée, des unités organisées, équipées et prêtes pour réaliser avec succès les missions confiées par le chef d’état-major des armées. Je suis par conséquent chargé d’entraîner et de préparer aux différents types d’engagements opérationnels les 66 000 hommes et femmes qui me sont aujourd’hui subordonnés. Mon champ d’action est particulièrement vaste parce qu’il se situe sur plusieurs niveaux et s’étend de la formation individuelle du combattant jusqu’aux structures de commandement, en passant par la préparation des unités au combat.

Pour vous permettre de bien percevoir toutes les implications du déploiement massif des forces terrestres sur le territoire national, je vais vous décrire préalablement notre système de préparation opérationnelle.

L’acquisition et le maintien des savoir-faire liés aux différentes spécialités, spécifiques à chaque fonction opérationnelle, en constituent le socle. Allant de la formation individuelle à l’entraînement du niveau section, elle est appelée « Préparation opérationnelle métier ». Elle se conduit en garnison et de façon décentralisée parce qu’elle est du ressort des régiments.

Sur ces fondations se construit l’entraînement au combat interarmes qui consiste à combiner, à partir du niveau de la compagnie et au-delà, les effets des différentes fonctions opérationnelles. Cet entraînement vise à obtenir la maîtrise de la manœuvre interarmes, combinaison du feu et du mouvement, indispensable au succès des opérations aéroterrestres. Ce niveau d’entraînement, conduit dans les pôles d’excellence que beaucoup d’entre vous connaissent, que sont nos centres spécialisés de Mailly et de Sissonne, est appelé « Préparation opérationnelle interarmes ».

Le dernier niveau est la « Mise en condition avant projection ». Cette préparation spécifique permet d’adapter l’entraînement aux opérations planifiées pour que les postes de commandement, les groupements et les sous-groupements tactiques interarmes soient tout particulièrement préparés aux conditions spécifiques des théâtres d’opérations sur lesquels ils seront déployés. La préparation opérationnelle interarmes et la mise en condition avant projection, à la différence de la préparation opérationnelle métier, sont conduites de façon centralisée parce qu’elles nécessitent la mobilisation de moyens importants et une coordination avec les services et les autres armées.

Pour illustrer l’importance que revêt l’entraînement centralisé, je prendrai l’image d’un orchestre. Aujourd’hui, les pupitres, les différentes fonctions opérationnelles, maintiennent leurs compétences et jouent de façon harmonieuse chacun dans leur registre. Cependant, le niveau acquis par chaque pupitre ne suffit pas à obtenir un bon orchestre. Il faut répéter, non pas seulement avec les chefs de pupitres mais avec l’ensemble des musiciens. Le combat interarmes et le commandement interarmes imposent aussi cette pratique des répétitions nombreuses, avec la totalité des moyens, avant d’être mis en œuvre dans un théâtre particulier qui est celui des opérations extérieures. Cette exigence découle de la nature même des opérations aéroterrestres qui se déroulent toujours dans un milieu complexe, marqué par son hétérogénéité et souvent parmi les populations.

J’arrêterai là ma comparaison – la guerre n’est pas un spectacle. Cet entraînement garantit l’efficacité de nos unités et constitue la première assurance vie et la meilleure protection des combattants. Un entraînement moindre affaiblit les automatismes et met en danger les soldats. Le niveau d’entraînement est donc la résultante du produit de l’investissement consenti dans chacun de ces trois facteurs clés que sont la préparation opérationnelle métier, la préparation opérationnelle interarmes et la mise en condition avant projection.

Venons-en au sujet pour lequel vous m’avez demandé d’intervenir : l’opération Sentinelle et ses implications pour les forces terrestres, en particulier sur le plan de l’entraînement et de la préparation opérationnelle. Permettez-moi tout d’abord d’insister sur le fait que la protection constitue depuis toujours la priorité d’une armée de terre – par essence l’armée du territoire.

Les tragiques événements de vendredi dernier viennent renforcer ma conviction que nos forces terrestres doivent plus que jamais contribuer à la protection de nos concitoyens sur notre sol. Cet engagement n’est pas nouveau, il répond aux attentes des Français comme en témoignent de nombreuses enquêtes d’opinion : l’armée de terre est déjà engagée sur le territoire national depuis 1995 dans le cadre du plan Vigipirate et elle réalise des opérations spécifiquement militaires depuis 2008 au sein de l’opération Harpie en Guyane. Le déploiement de l’armée de terre sur le sol national dans le cadre de l’opération Sentinelle au mois de janvier dernier correspond à l’application d’un contrat opérationnel clairement stipulé dans le Livre blanc : « L’engagement des armées en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile en cas de crise majeure pourra impliquer jusqu’à 10 000 hommes des forces terrestres. » Ce rôle de l’armée de terre s’inscrit alors pleinement dans l’offre globale de sécurité que la représentation nationale a validée à travers les Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et 2013.

Nous sommes confrontés, aujourd’hui en France, à une guerre irrégulière dont le principe est qu’elle n’a pas de front. La menace terroriste est omnidirectionnelle, plastique et très évolutive. Cependant, nous pouvons faire la distinction, dans le cadre de nos engagements, entre une défense de l’avant – au plus loin – en opération extérieure, et une défense de l’arrière – au plus près – sur le sol national. Sentinelle, est une opération de défense et de protection de l’arrière, de nos arrières, « au dedans » où se concentrent un très grand nombre de nos intérêts vitaux, au premier rang desquels la vie de nos concitoyens. Il y a aujourd’hui, et c’est peut-être une rupture, une continuité des menaces.

Vous le savez, les forces terrestres ont réussi à déployer, en janvier, 10 000 hommes en trois jours et, depuis lors, nous avons engagé plus de 58 000 soldats – dont 36 000 à Paris – sans incident majeur dans cette opération. Nous sommes actuellement en train de réitérer la même mobilisation qui relève d’une véritable performance opérationnelle et humaine. Ces montées en puissance n’ont été possibles que par la culture de projection et par la combinaison de plusieurs facteurs propres à une armée de terre ayant acquis une véritable maturité professionnelle.

Ainsi, l’expérience opérationnelle acquise par la confrontation à des situations de combat sur de nombreux théâtres d’engagement a conféré à nos soldats une grande maîtrise d’eux-mêmes. Qu’ils soient dans la bande sahélo-saharienne, en Centrafrique ou à Paris, ils agissent avec la même conscience professionnelle, la même rigueur et restituent ce qu’ils ont répété à l’entraînement et qu’ils ont mis en pratique en opérations.

Ensuite, ils font preuve de discernement et n’utilisent leurs armes qu’à bon escient. J’en veux pour preuve les différentes agressions auxquels ils ont fait face. À chaque fois, dans le RER de la Défense ou à Nice, la riposte a été proportionnée et l’agresseur maîtrisé avec efficacité et une grande mesure, preuve, s’il en fallait, de leur professionnalisme. J’étais à Bangui la semaine dernière où j’ai pu aussi constater cette très grande maîtrise du feu avec des soldats violemment pris à partie au milieu des populations et qui ne ripostent pas tant qu’ils n’ont pas identifié leur agresseur avec certitude.

Enfin, vos soldats manifestent une endurance remarquable. Je suis là pour porter la parole du terrain, aussi vais-je illustrer ce propos par quelques chiffres montrant concrètement ce que signifie l’opération Sentinelle pour un soldat : des journées avec des amplitudes horaires de travail de cinq heures à vingt-trois heures ; entre quinze et vingt kilomètres de patrouille à pied par jour ; pour certains, ce sera en 2015 plus de 200 jours d’absence avec entre quatre et six rotations effectuées depuis le 7 janvier sur l’opération Sentinelle, ce qui, à l’évidence, semble être un seuil de rupture qu’il ne faut pas franchir.

Cette situation nouvelle a nécessité de revoir les équilibres entre préparation opérationnelle et engagement ainsi qu’entre projection extérieure et projection intérieure. Depuis le déclenchement de l’opération Sentinelle, les forces terrestres se trouvent dans une phase de sur-sollicitation opérationnelle qui ne correspond pas aux contrats opérationnels initialement définis. Il a fallu par conséquent trouver des solutions pour parer l’urgence en adaptant nos dispositifs, tout en préservant pour nos soldats le nécessaire équilibre du temps passé en garnison avec celui passé hors de la garnison.

Tout d’abord, pour faire face à ce déploiement massif dans la durée, nous avons dû nous résoudre à des renoncements dans notre dispositif outre-mer, faute d’effectifs suffisant pour faire face à toutes les missions. Sur un an et de façon cumulée, ce sont 18 compagnies, soit 3 000 hommes, qui n’ont pas été déployées dans les territoires ultramarins.

L’entraînement a bien sûr été touché par cette mission d’importance. La préparation opérationnelle métier, réalisée normalement en garnison, a été maintenue à un bon niveau car la capacité d’adaptation des chefs de corps et l’ingéniosité des cadres ont compensé une programmation profondément bouleversée. Pour pallier l’absence importante hors garnison et le temps qui y est consacré à l’entraînement, les unités utilisent aussi les phases de moindre intensité au cours des déploiements Sentinelle pour continuer l’instruction et la formation de leurs soldats.

La préparation opérationnelle interarmes conduite dans les centres d’entraînement spécialisés a particulièrement pâti de cette nouvelle donne. De janvier à octobre de cette année, la quasi-totalité des rotations consacrées à la préparation opérationnelle interarmes dans nos centres a été annulée. Depuis le 7 janvier, la capacité à la manœuvre interarmes des unités des forces terrestres décroît donc inexorablement. Cela signifie qu’aujourd’hui nous ne serions pas en mesure de renouveler une opération comme Serval dans les mêmes conditions de déclenchement et qu’il serait très difficile d’engager dans l’urgence les forces terrestres sur un nouveau théâtre d’opérations extérieures. S’engager sur court préavis dans une opération non planifiée nécessite en effet de disposer d’un bon niveau d’entraînement interarmes que seule permet une préparation opérationnelle interarmes de qualité.

La mise en condition avant projection a été préservée mais uniquement au profit des unités destinées à être engagées sur les théâtres d’opérations les plus exigeants. Très clairement, notre priorité en termes de préparation opérationnelle demeure les opérations dures. Aussi l’accent est-il mis sur les unités engagées dans les opérations Barkhane et Sangaris. Les autres projections font l’objet d’une mise en condition avant projection réduite à l’essentiel.

Pour résumer mon propos, le niveau d’entraînement de mes forces est affecté. L’érosion de notre capital opérationnel doit tout de même être pondérée par la solide expérience acquise par nos régiments en opérations extérieures depuis ces vingt dernières années.

Renouvelant environ 20 % à 30 % de nos effectifs annuellement, nous pouvons raisonnablement estimer que, d’ici à trois ou cinq ans, sans le renfort des 11 000 recrues accordées aux forces terrestres en avril dernier, nous aurions eu, à partir de 2018, une armée de terre uniquement apte à mener à bien l’opération Sentinelle et incapable d’assumer l’opération Serval. Cette remontée en puissance est par conséquent indispensable pour nous permettre, compte tenu du niveau d’engagement intérieur et extérieur des forces terrestres, de préserver une excellence opérationnelle durement acquise et la condition des hommes et des femmes mobilisés.

Je me réjouis donc de cette décision parce qu’elle va permettre aux forces terrestres de retrouver un équilibre dans le nouveau modèle d’armée de terre – « Au contact » – et dans un nouveau cycle d’activités incluant une rénovation de la préparation opérationnelle. Actuellement, nous faisons d’abord face au défi du recrutement auquel tous les chefs de corps ont été associés par le biais d’un contrat d’objectif personnalisé mais, vous le savez, la gestion des ressources humaines est un domaine où le temps s’impose à nous. On ne manœuvre pas le paquebot des ressources humaines comme un voilier dont on peut exiger virements de bord et empannage rapides. Il en est de même pour la remontée en puissance des forces terrestres car il faut du temps pour former un soldat apte à l’engagement opérationnel. Quoi qu’il en soit, nous ne reviendrons pas aux mêmes possibilités d’entraînement qu’auparavant. C’est la raison pour laquelle nous mettrons en place, à compter d’octobre 2016, une préparation opérationnelle rénovée tenant compte de la maturité professionnelle et de l’expérience de nos unités en décentralisant davantage de processus vers les futurs commandants des deux divisions et en donnant plus d’initiative aux chefs de corps dans la construction de la programmation de leur préparation opérationnelle.

Ainsi, les entraînements en garnison et dans nos centres spécialisés nous permettront de préparer les régiments à leurs missions, la répartition entre les opérations extérieures et les opérations intérieures étant désormais inversée. Avant le 7 janvier, un soldat passait 15 % de son temps en opérations extérieures et 5 % en missions intérieures. Depuis, il passe toujours 15 % de son temps en projection hors métropole mais 40 à 50 % en opération intérieure. Lorsque nous aurons recruté, instruit, formé et entraîné nos 11 000 recrues, le soldat passera toujours 15 % de son temps en OPEX mais 20 % à 25 % en mission de protection de ses concitoyens sur le sol national. Le temps dégagé grâce à ces effectifs supplémentaires sera alors réinvesti au profit de la préparation opérationnelle interarmes et permettra par ailleurs de préserver au soldat une vie sociale minimale par un meilleur équilibre entre le temps passé en et hors garnison. L’augmentation des effectifs qui nous a été accordée en avril, nous permettra à moyen terme de retrouver à l’horizon de l’été 2017 un niveau d’entraînement acceptable pour une armée professionnelle de premier rang.

La question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir s’il faut engager l’armée de terre sur le sol national mais de savoir comment l’employer.

Les forces terrestres doivent intervenir en complément des unités de police et de gendarmerie dans un cadre interministériel. Agissant aux côtés de ces forces de sécurité intérieure, il importe que nos unités soient utilisées de manière efficiente en optimisant la mise en œuvre de leurs savoir-faire spécifiques, qui restent bien évidemment adaptées à des conditions d’engagement particulières. Notre engagement en Guyane est un bon exemple de l’emploi de capacités spécifiques des forces terrestres sur le territoire national.

Les forces terrestres ont pour vocation première non pas d’agir « à la place de » mais bien en complémentarité des forces de sécurité intérieure. Or cette complémentarité s’enrichirait par la mise en œuvre de modes d’action militaire pour une meilleure efficacité globale. Le but est bien de prendre en compte ce que nous pouvons apporter de plus ou de différent par rapport à ce que font déjà les forces de sécurité intérieure. L’application de certains modes d’action éprouvés en opérations extérieures serait ainsi de nature à valoriser l’engagement des forces terrestres dans l’opération Sentinelle, au profit, in fine, d’une meilleure protection de nos concitoyens.

En avril dernier, je me suis rendu en Irlande du Nord à l’invitation de mon homologue britannique et j’ai noté que, face à une menace toujours prégnante, la coopération étroite entre police et forces armées était une des clefs de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme nord-irlandais. J’y ai constaté une unicité de direction, une coordination et une entente remarquables entre armées, police et services en exploitant par ailleurs la plus-value de la chaîne hiérarchique militaire. Le déploiement de la Royal Army complète l’éventail capacitaire sur le terrain et participe pleinement à l’acquisition du renseignement. Cet emploi conforme aux savoir-faire militaires est par ailleurs accompagné, au titre de la protection des forces, du bannissement total des gardes statiques sur la voie publique.

L’armée de terre est aujourd’hui pleinement associée aux travaux gouvernementaux en cours et notamment au rapport du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) au Premier ministre sur l’emploi des forces armées sur le territoire national. La formalisation de la posture de protection terrestre évoquée le 5 novembre dernier par le président de la République lors de l’inauguration du site de Balard devrait permettre d’apporter des réponses concrètes.

Pour répondre aux missions qui leur sont confiées, les forces terrestres se sont inscrites dans une perspective de long terme.

L’armée de terre, qui pouvait apparaître comme étant conçue d’abord comme un outil de projection pour n’intervenir que sur les théâtres d’opérations extérieures, est bien indissociable de la protection du territoire dans une offre globale de sécurité, en complément des forces de police et de gendarmerie. Elle a recouvré sa mission originelle, première et régalienne, celle de protéger le territoire national et les citoyens français. Nous l’avons d’ores et déjà intégré à notre organisation nouvelle aussi bien pour l’entraînement et la préparation opérationnelle que pour la répartition des missions entre opérations extérieures et opérations intérieures.

La réflexion en cours sur la posture de protection terrestre (PPT), avec les modes d’action qui en découleraient pour les forces terrestres, prend encore plus d’acuité et de pertinence après la tragédie du 13 novembre.

Chaque jour, des soldats veillent sur leurs concitoyens, les mêmes soldats qui, demain, partiront combattre au Mali, au Tchad, en République Centrafricaine. Leur préparation opérationnelle n’est pas négociable, à moins de les mettre en danger de mort. Les forces terrestres travaillent avec une discrétion et une abnégation qui les honorent. Elles méritent votre reconnaissance et votre attention ; elles méritent aussi de disposer des moyens matériels et humains de remplir leurs missions dans des conditions acceptables.

Mme la présidente Patricia Adam. Sachez, général, que l’ensemble de la commission vous soutient et sait quel est votre travail et celui de vos hommes sur le territoire national comme en opération extérieure.

M. Christophe Léonard. Le président de la République a décidé que les effectifs militaires resteraient stables jusqu’en 2019. Trois axes d’efforts sont prévus : forces opérationnelles, cyberdéfense et renseignement. Combien faudrait-il affecter de militaires aux forces opérationnelles terrestres pour répondre à vos besoins ?

Ensuite, j’ai cru comprendre qu’au regard des axes de formation, recruter 11 000 soldats supplémentaires vous permettrait de « dégager des marges » en 2017. En cas de maintien des effectifs, le chiffre de 11 000 militaires à former jusqu’en 2017 est-il un maximum ?

Par ailleurs, en ce qui concerne l’efficacité du dispositif Sentinelle, on peut se demander s’il faut choisir entre une défense statique ou une défense mobile. Une protection mobile permettrait-elle d’engager moins de soldats sur le terrain – et êtes-vous en mesure de nous donner des chiffres en la matière ?

Enfin, vous êtes revenu, à l’occasion de l’évocation de votre déplacement en Irlande du Nord, sur la nécessaire complémentarité entre les forces intérieures et les militaires de l’opération Sentinelle. Je présume qu’une telle complémentarité suppose des outils, une doctrine d’entraînement – les avons-nous ?

M. Olivier Audibert Troin. Je salue votre franchise, mon général. Vos propos, forts, doivent nous faire réfléchir, notamment lorsque vous affirmez que nous n’aurions plus pu lancer une opération de type Serval sans la décision de recruter 11 000 hommes, mais aussi quand vous soulignez que la baisse de l’entraînement de nos forces est des plus préoccupantes – les membres de la commission, quelle que soit leur appartenance politique, ont du reste souvent donné l’alerte en la matière.

Vous partez d’un postulat : la question n’est pas de savoir s’il faut ou non engager l’armée sur le territoire national, mais de savoir comment. Lorsque vous évoquez la complémentarité avec les forces de sécurité intérieure, nous aimerions savoir dans quel cadre et sous quel commandement vous l’envisagez. En outre, les soldats participant à l’opération Sentinelle ne devraient-ils pas suivre un entraînement spécifique ? Vous avez apprécié le sang-froid de nos hommes participant à la force d’interposition, à Bangui, en Centrafrique où règne la guerre civile. Or, la mission des militaires sur le territoire national étant totalement différente, pensez-vous que ces hommes, malgré leur professionnalisme et leur sang-froid, sont suffisamment entraînés ? Les fêtes de Noël approchant, en effet, la situation à Paris va être un peu différente de celle de Bangui.

Ensuite, que manque-t-il à nos armées d’un point de vue juridique ? Elles n’ont par exemple pas le droit de contrôler l’identité des individus.

En ce qui concerne le recrutement des 11 000 hommes, quand sera-t-il terminé ? Éprouvez-vous des difficultés à recruter des soldats ? Les candidats vous posent-ils la question de savoir s’ils seront exclusivement affectés à l’opération Sentinelle ou s’ils seront recrutés pour tout type d’opération ?

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. L’opération Sentinelle représente un volume de 7 000 hommes dont 6 000 appartiennent aux forces terrestres. Comment est-on parvenu au chiffre de 11 000 hommes supplémentaires pour la force opérationnelle terrestre – laquelle compte 66 000 hommes ? Compte tenu de notre dispositif outre-mer, des opérations extérieures et du principe ternaire selon lequel un soldat se prépare, s’engage et se remet en condition, reste un volume disponible pour l’armée de terre de 10 000 hommes – chiffre qui correspond au contrat « Hypothèse d’engagement en urgence dans le domaine de la protection, territoire national ». Seulement, nous sommes capables de mobiliser ces 10 000 hommes pour une durée limitée.

En février, le président de la République a décidé d’installer l’opération Sentinelle dans la durée avec un volume de 7 000 hommes, ce qui a porté la contribution des forces terrestres à l’ensemble des opérations intérieures à 7 000 hommes. Si l’on applique le principe ternaire évoqué, le dispositif nécessite 21 000 hommes. Si l’on ôte à ce chiffre les 10 000 hommes que je viens de mentionner, il reste les 11 000 hommes qu’il a été décidé d’allouer à la force terrestre en avril.

Si, demain, dans le domaine de la protection du territoire national, l’hypothèse d’engagement d’urgence est portée à 10 000 hommes dans la durée – déjà nous avons déployé 1 000 hommes dimanche soir et nous sommes en train de préparer la projection des 2 000 hommes supplémentaires restants –, je considère, en tant que commandant des forces terrestres, que pour accomplir notre mission sur le territoire national tout en maintenant un bon niveau de préparation opérationnelle interarmes, si l’on applique le ratio de trois aux 3 000 hommes nécessaires, c’est de 9 000 hommes supplémentaires que j’ai besoin.

Mme la présidente Patricia Adam. Cela correspond à la déflation encore prévue par le projet d’actualisation de loi de programmation militaire.

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. En ce qui concerne le recrutement des 11 000 hommes supplémentaires prévus par l’actualisation de la LPM, nous y parvenons à hauteur de 85 % grâce à un effort de sur-recrutement réalisé pendant le second semestre 2015 et que nous poursuivrons pendant toute l’année 2016. Parallèlement, nous tâchons de sur-fidéliser nos militaires du rang, l’objectif étant de les garder un peu plus longtemps. À l’heure actuelle, nous remplissons les objectifs fixés avec un taux de sélection tout à fait satisfaisant de deux candidats pour un poste – alors que nous étions descendus au taux de 1,4 candidat pour un poste au moment de la professionnalisation. Je tiens donc à souligner devant cette commission la grande qualité des jeunes Français qui nous rejoignent actuellement.

Ensuite, pour ce qui est de la formation, il est évident que ce sur-recrutement doit s’accompagner d’un effort de formation très important. L’armée de terre dispose de centres de formation initiale des militaires du rang ; ce dispositif tourne à plein et même davantage puisque, depuis début novembre, ces centres étaient utilisés à 120 % de leur capacité. L’année prochaine, j’ai décidé d’utiliser mes centres d’entraînement spécialisés consacrés à la préparation opérationnelle interarmes pour absorber le sur-recrutement.

Pour la formation initiale militaire nous disposons de structures fixes et nous faisons appel à l’encadrement de contact dont nous avons également besoin pour les unités engagées dans l’opération Sentinelle. La difficulté est que si nous voulions aller plus loin, nous nous heurterions à une insuffisance d’infrastructures non négligeable – il faut pouvoir héberger tous ces jeunes dans nos centres – et à une insuffisance d’encadrement. Nous sommes par conséquent au maximum de ce que nous pouvons faire pour recruter et former 11 000 hommes sur un an et demi. S’il fallait continuer à recruter, il faudrait prolonger notre effort de recrutement et de formation initiale à 2017-2018.

J’ai par ailleurs été interrogé sur les modes d’action de nos soldats. Ils sont extrêmement statiques, surtout à Paris, et notre objectif est qu’ils deviennent, à l’inverse, beaucoup plus dynamiques. Je prendrai cinq verbes pour caractériser ce que pourrait être cette fameuse posture de protection terrestre : protéger – en particulier des installations –, escorter, surveiller, contrôler des zones – avec un mélange de points fixes et de patrouilles mobiles –, enfin renseigner en fournissant des informations d’ambiance et sur le terrain au contact des différents acteurs de l’environnement.

De quels outils disposons-nous pour nous entraîner à ce type de mission ? Le général Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, dans le cadre du projet « Au contact », a décidé de créer un commandement du territoire national, qui devrait collaborer étroitement avec le centre de doctrine d’emploi des forces de l’armée de terre et le centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentation, ainsi qu’avec d’autres ministères, afin de travailler sur la préparation spécifique à ce type de mission.

Je répondrai également à la question de savoir ce que font nos hommes pour se préparer à l’opération Sentinelle. Nous n’avons rien changé à la préparation des hommes destinés à servir dans le cadre des opérations Barkhane et Sangaris. Pour ce qui est de l’opération Sentinelle, tout soldat doit avoir effectué, dans le mois qui précède son déploiement, une séance de tir avec son arme de dotation, une formation de six heures sur les techniques d’intervention opérationnelle rapprochée – les techniques de corps à corps, pour parler simplement –, sur l’utilisation d’armements à létalité réduite – je pense à la matraque télescopique, au diffuseur lacrymogène –, sur les règles d’emploi de la force, enfin sur les conditions d’exécution de sa mission.

Nos soldats sont déployés pendant six semaines, ce qui est beaucoup. Nous nous sommes par conséquent interrogés sur le fait de savoir s’il fallait réduire cette durée. Outre le fait qu’il nous aurait été difficile, dans ces conditions, de déployer des soldats, quatre semaines ne permettent quasiment pas d’assurer la préparation opérationnelle minimale ni de dispenser le module spécifique évoqué aux soldats s’engageant dans l’opération Sentinelle.

Pour ce qui concerne le cadre juridique, la volonté de l’armée de terre n’est pas de changer quoi que ce soit à la relation autorité préfectorale - autorité militaire. Néanmoins, il faut adapter ce cadre en fonction du contexte, disposer d’un catalogue de mesures à même de nous permettre de mieux utiliser nos éléments. Transformer les soldats de l’armée de terre en officiers de police judiciaire n’est aucunement notre intention, car nous ne voulons pas devenir une force de sécurité intérieure.

Je reviens un instant sur le recrutement. À partir de l’été 2017, avec les 11 000 recrues prévues, la préparation opérationnelle interarmes aura retrouvé un niveau acceptable qui nous permettra de nous engager, avec un préavis très court, dans des opérations non planifiées – étant entendu que nous en restions à un effectif de 7 000 hommes déployés sur le territoire national dans la durée.

Pour ce qui est de savoir si des soldats s’engagent uniquement pour servir dans le cadre de l’opération Sentinelle, nous ne voulons pas d’une armée de terre à deux vitesses. Le soldat que vous pouvez croiser dans le métro est le même que celui que vous verrez dans six mois au Mali ou à Sangaris. Nos soldats s’engagent pour être soldats dans l’armée de terre, à savoir ici, en France, et là-bas, pour la défense de l’avant.

M. Christophe Léonard. Je me permets d’y insister, mon général, quels sont les outils d’entraînement qui nous manquent pour une meilleure coordination entre militaires et forces intérieures ?

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. Il s’agit de faire en sorte que l’on puisse s’entraîner conjointement et, en matière de planification, d’améliorer la coopération avec les forces de sécurité intérieure. Une idée est à l’étude qui consiste en une préparation opérationnelle spécifique destinée à des zones pouvant intéresser l’intérieur, à des déserts militaires. Vous comprendrez que je n’aille pas plus loin, ces réflexions étant en cours.

M. Joaquim Pueyo. Vous avez indiqué très clairement quelles seraient les conséquences de la décision, annoncée hier soir par le président de la République, d’annuler les déflations d’effectifs initialement prévues jusqu’en 2019. Le chef de l’État a par ailleurs annoncé un renforcement de la réserve. Lors de l’examen de l’actualisation de la loi de programmation militaire, en juillet dernier, nous avions souhaité presque doubler la réserve pour passer de 27 700 réservistes à 40 000, le budget correspondant passant de 71 millions à 75 millions d’euros. Devant la représentation nationale, hier, le président a même évoqué l’idée d’une garde nationale. Avec Marianne Dubois, nous travaillons depuis de nombreux mois sur le sujet ; nous nous sommes rendus au Canada pour observer la manière dont on y a renforcé la réserve – plus importante qu’en France alors que ce pays compte 30 millions d’habitants.

La réserve sur laquelle nous nous appuyons est-elle suffisamment utilisée pour renforcer les effectifs déjà engagés ? Existe-t-il une marge de manœuvre ? La formation des réservistes est-elle suffisante, notamment face à la violence extrême que nous avons constatée vendredi soir dernier ? Si l’on renforce la réserve, comment imaginer qu’elle soit répartie sur tout le territoire français, y compris dans les départements désormais dépourvus de régiments ?

M. Jean-Jacques Candelier. Je vois que vous êtes affecté à Lille, mon général, or je suis député du Nord. Réinvestir le territoire national est la priorité de l’armée de terre. J’ai cru comprendre que l’opération Sentinelle nous conduit à une remise en cause des permissions, de l’entraînement de nos soldats et à délaisser certaines parties du territoire. Avec l’annonce du président de la République, hier à Versailles, de garantir la stabilité des effectifs jusqu’en 2019, soit 14 000 ou 15 000 postes, pensez-vous retrouver très vite une situation normale et recréer des unités sur le territoire ?

M. Christophe Guilloteau. Je vous remercie pour vos propos empreints de réalisme et de franchise. Ayant été rapporteur de la mission d’information sur Serval, je mesure tout ce que cela implique quand vous dites qu’il serait aujourd’hui impossible d’organiser cette opération dans les mêmes conditions. J’imagine que la mission de protection du territoire français pose des difficultés en termes d’entraînement, qui ne manqueraient pas de s’accroître si une autre opération similaire à Serval devait être organisée. Comment vous y prendriez-vous si cette éventualité se réalisait ?

Par ailleurs, il existait jusqu’à présent une ambiguïté juridique sur les possibilités d’intervention des soldats sur le territoire français dans le cadre de l’opération Sentinelle. Cette ambiguïté a-t-elle été levée avec l’adoption du nouveau statut souhaité par le président de la République ?

M. Damien Meslot. Vous avez évoqué une certaine évolution relative à l’opération Sentinelle, mais force est de constater que les terroristes ont eux aussi fait évoluer leur mode opératoire, en prenant pour cible des gens attablés aux terrasses de cafés, ou se trouvant rassemblés dans des lieux publics qu’il est difficile de protéger – il serait impossible d’assurer la protection de tous les cafés et restaurants de France. Dès lors, pensez-vous que le dispositif actuel, qui sert essentiellement à rassurer la population, a vocation à évoluer afin d’augmenter la capacité opérationnelle de nos forces ?

Pour ce qui est de l’armement à létalité réduite dont sont équipés les soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle, les bombes lacrymogènes et les matraques que vous avez évoquées sont-elles adaptées pour neutraliser des terroristes armés de fusils d’assaut ?

Enfin, vous avez indiqué que le taux de sélection de l’armée de terre était actuellement de deux candidats pour une place proposée, contre 1,4 au moment de la professionnalisation. Les conditions actuelles de recrutement vous permettent-elles de vérifier systématiquement que les personnes engagées ne font pas l’objet d’une fiche S ou d’un signalement ?

M. Charles de La Verpillière. Vous avez, avec franchise mais prudence, décrit l’effet qu’a eu le recours à l’armée de terre dans les opérations de sécurité intérieure : cela a été au détriment de l’entraînement et de la préparation opérationnelle, notamment interarmes, et a modifié les conditions de vie des personnels militaires, qui passent actuellement 15 % de leur temps d’activité en OPEX et 40 % à 50 % dans les opérations intérieures – autant de temps où ils sont éloignés de leur garnison et de leur famille. Vous avez également indiqué que, dans le meilleur des cas, compte tenu des nouvelles décisions annoncées par le président de la République, vous ne retrouveriez pas une capacité satisfaisante – à défaut d’être optimale – avant août 2017.

J’ai quelques doutes au sujet de l’utilisation de l’armée de terre dans les opérations de sécurité intérieure. Si le fait que vos hommes soient visibles rassure la population et peut avoir des effets dissuasifs, de nombreux experts en sécurité considèrent que cette présence ne saurait cependant avoir pour effet d’empêcher une attaque terroriste – paradoxalement en raison même de cette visibilité : il suffit aux terroristes d’aller frapper là où l’armée ne se trouve pas.

L’une des solutions à ce problème ne résiderait-elle pas dans le recours aux réservistes ? Certes, ils assureraient eux aussi une présence en uniforme, mais au moins n’obéreraient-ils pas les effectifs de l’armée d’active. Serait-il envisageable de vous voir confier toutes les opérations de sécurité intérieure à des réservistes ? Si une telle solution n’est pas dans la tradition de l’armée française, peut-être le caractère exceptionnel de la situation à laquelle nous sommes actuellement confrontés justifierait-il un changement complet de notre mode de pensée.

M. Philippe Nauche. Les nouveaux contrats proposés par l’armée de terre aux personnels arrivant au terme de leur engagement initial – des contrats différents, plus courts et plus adaptables – vont-ils, selon vous, permettre d’augmenter le taux de fidélisation ?

Par ailleurs, pensez-vous que le fait de passer à un mode d’utilisation mobile des forces, plutôt que statique, est susceptible de diminuer le nombre de personnels nécessaires pour assurer la sécurité sur un périmètre identique ?

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. La réserve est une question à laquelle nous travaillons, et sur laquelle nous disposons d’un retour d’expérience depuis la mise en œuvre de l’opération Sentinelle. À l’heure actuelle, l’armée de terre comprend environ 15 500 réservistes opérationnels, un chiffre que nous nous sommes donné pour objectif, dans le cadre des décisions prises en avril, de faire passer à 24 000. Cela s’accompagne d’un effort budgétaire supplémentaire conséquent, puisqu’il atteint six millions d’euros pour l’armée de terre.

Fin octobre, nous avions engagé 2 900 réservistes pour l’opération Sentinelle, avec des pics en été, où nous en avons mobilisé jusqu’à 650. Si nous ne faisons pas plus, c’est parce que nous sommes toujours freinés par des difficultés d’ordre légal : actuellement, un employeur a le droit de refuser de laisser partir son employé réserviste. Je vous dirai même que certains réservistes ont parfois dû dissimuler leur engagement à leur employeur, en l’effectuant par exemple sur leur temps de vacances. Pour augmenter le nombre de réservistes opérationnels, il faudrait donc avant tout modifier le cadre juridique.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avons essayé de le faire dans le cadre du projet de loi d’actualisation de la programmation militaire, mais nous sommes heurtés à des difficultés.

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. Au moins avez-vous réussi à desserrer un peu les tenailles du préavis et de la durée de l’engagement des réservistes, ce qui est un progrès.

Mme la présidente Patricia Adam. Certes, mais j’aurais aimé que les élus des collectivités locales montrent un peu plus d’allant en la matière !

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. En 2014 – avant, donc, la mise en place de l’opération Sentinelle –, 16 % du temps des réservistes étaient consacrés à la participation aux opérations intérieures, ce qui est n’est pas négligeable, surtout si l’on comparece chiffre à celui passé par les personnels d’active, durant la même période spour des missions identiques, à savoir 5 %.

Nous nous intéressons actuellement aux « déserts militaires », c’est-à-dire aux départements où il n’y a pas d’unité. Nous travaillons à la possibilité de destiner les 11 unités de réserve nouvellement créées – rattachées à un régiment d’active, évidemment – à ces départements. Je précise que les réservistes bénéficient d’une formation initiale, nécessaire avant leur engagement sur le territoire national.

Vous comprendrez qu’il me soit difficile de réagir, moins de vingt-quatre heures après les annonces faites par le président de la République, sur les effets que va avoir l’annulation des mesures de déflation d’effectifs. Il est en effet impossible de prévoir quels arbitrages vont être rendus dans ce domaine. Tout ce que je peux vous dire, c’est que la décision prise en avril de recruter 11 000 hommes supplémentaires pour les forces terrestres doit nous permettre, à isopérimètre de charge, de retrouver à partir de l’été 2017 une préparation opérationnelle interarmes de qualité.

Le choix qui a été fait pour l’emploi de ces 11 000 hommes ne consiste pas à créer de nouveaux régiments, mais à densifier les unités existantes, avec par exemple la création de compagnies d’infanterie ou d’escadrons de cavalerie. Cela va aussi permettre la remontée en puissance du 5e régiment de Dragons de Mailly, ainsi que de la 13e demi-brigade de Légion étrangère (DBLE) basée sur le camp du Larzac.

La question de l’armement à létalité réduite est très intéressante, et me conduit à insister sur l’importance de l’utilisation progressive par les soldats des divers moyens dont ils disposent, afin de permettre une réaction graduée. J’utiliserai une image concentrique. Le premier cercle est la posture du soldat : une attitude militaire constitue déjà une forme de dissuasion. Après ce premier stade, on passe dans un deuxième cercle aux techniques de combat au corps-à-corps et à l’emploi des armes à létalité réduite, et enfin, seulement, en dernier recours, à l’usage de l’arme..

Les forces terrestres engagées sur le territoire national ont une triple mission : elles doivent rassurer, protéger et dissuader. Aujourd’hui, nous rassurons, mais nous protégeons et dissuadons beaucoup moins que nous ne pourrions le faire si nous recourions à des modes d’action plus militaires. Comme je vous l’ai dit, . nous pouvons nous inspirer de ce que les Britanniques ont mis en place en Irlande du Nord pour diminuer la pression sur les effectifs, mais aussi et surtout disposer d’un dispositif beaucoup plus réactif. Ces modes d’action sont ceux que nous mettons en œuvre dans le cadre de nos opérations extérieures, où un capitaine d’infanterie ou de cavalerie commandant 150 soldats se voit confier la mission de contrôler une zone de dix kilomètres sur dix.Il va pour cela organiser un dispositif en maintenant toujours un élément réservé et en effectuant des patrouilles à pied et motorisées, en jouant au maximum sur l’imprévisibilité. Il faut s’efforcer de faire en sorte que la surprise change de camp et ce n’est pas en optant pour un dispositif statique que l’on y parvient, car l’ennemi nous observe. Nous ne demandons pas un changement en profondeur du cadre juridique mais préconisons une meilleure utilisation de nos modes d’action, afin d’aboutir à une complémentarité optimale avec les autres forces de sécurité intérieure.

Pour ce qui est des contrôles effectués lors de l’engagement de nos recrues, ils sont assurés par la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD).

J’en viens à la question de la fidélisation. Lors de la professionnalisation desarmées, le modèle des ressources humaines de l’armée de terre a été conçu pour fidéliser les militaires du rang durant une période de huit ans. Le premier contrat proposé aux soldats de l’armée de terre est de trois à cinq ans – le plus souvent de cinq ans – et nous avons pour objectif de voir 40 % des engagés signer un deuxième contrat pour parvenir à une durée d’engagement de huit ans. Or, cet objectif n’est pas atteint actuellement. La « génération zapping » est constituée de jeunes qui, la plupart du temps très satisfaits de leur expérience à l’issue de leur premier contrat, éprouvent cependant l’envie de faire autre chose. C’est pour nos chefs de corps un combat quotidien que d’atteindre le renouvellement de 40 % d’une classe d’âge.

Actuellement, le cadre juridique de l’intervention de nos soldats à travers l’opération Sentinelle est celui de la légitime défense.

J’en reviens à la réserve, pour insister sur le fait qu’il est très important d’éviter d’aboutir à une armée de terre à deux vitesses, où le soldat d’active serait affecté aux opérations extérieures, tandis que le réserviste assurerait les missions de sécurité intérieure. En la matière, nous sommes attachés au maintien d’un brassage. Le président de la République a fait part hier de sa volonté de créer une garde nationale – et je sais que vous travaillez d’ores et déjà sur ce sujet –, mais toute la question est de savoir ce que recouvre exactement ce terme. S’agit-il d’une garde nationale à l’américaine, indissociable à mes yeux de l’organisation fédérale des États-Unis d’Amérique, ou encore d’une garde nationale telle que nous l’avons expérimentée en France à la fin du XIXe siècle et qui a débouché sur l’échec que l’on sait ?

Ce qui est certain, c’est que nous devons continuer à engager davantage de réservistes. La réserve opérationnelle comporte d’une part la RO1, c’est-à-dire des volontaires ayant souscrit un engagement à servir dans la réserve opérationnelle, d’autre part la RO2, constituée de personnes ayant récemment quitté le service actif, soumis à l’obligation de disponibilité et pouvant à ce titre être rappelés durant un délai de cinq ans sur décret du Premier ministre. Or, il faut bien avouer que nous n’avons encore jamais testé le fonctionnement de ce dispositif. C’est ce que nous allons faire en mars prochain, en convoquant des réservistes des deux premières années de la RO2 – au-delà, des problèmes d’aptitude médicale risquent de se poser – au sein de deux brigades de l’armée de terre. Notre objectif est de faire en sorte que les 500 personnes que nous avons identifiées au sein de chacune des deux brigades répondent à la convocation qui va leur être adressée.

M. Michel Voisin. Le président de la République vient d’annoncer le recrutement de 5 000 policiers et gendarmes. Pour ce qui est des gendarmes, de nombreux personnels prennent leur retraite entre cinquante-deux et cinquante-huit ans, et je pense que ces personnels parfaitement formés n’attendent qu’une chose : d’être rappelés. Puisque nous sommes en période de guerre, comme l’a dit hier le président de la République, pourquoi ne pas faire appel aux gendarmes réservistes, plutôt que de créer des postes supplémentaires ?

M. Yves Fromion. Dans le bleu budgétaire consacré à la défense qui nous a été distribué dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 figurent un certain nombre d’indicateurs d’efficacité. Celui relatif à l’armée de terre fait apparaître une chute de sa capacité opérationnelle à 50 %. J’ai interrogé le ministre et le chef d’état-major des armées à ce sujet, mais n’ai pu obtenir que des réponses assez floues. Comment en sommes-nous arrivés là, comment peut-on admettre cet état de fait, et n’avoir pour objectif que de remonter progressivement à 60 ou 70 % dans les deux ou trois ans à venir ?

Par ailleurs, estimez-vous disposer des moyens budgétaires nécessaires à la mise en œuvre du modèle « Au Contact » ? Sauf erreur, rien ne semble constituer dans le budget une dotation spécifique à la réalisation de cet objectif – que nous approuvons –, et nous avons donc le sentiment qu’en dehors de la dotation de 2,8 milliards d’euros pour les effectifs, rien n’est prévu pour ce qui doit permettre de les accueillir – notamment les casernements et les matériels.

La France est signataire d’accords aux termes desquels elle doit mettre en œuvre des groupements tactiques au bénéfice de l’Union européenne et de l’OTAN. Aujourd’hui, la mise en œuvre du plan Sentinelle vous laisse-t-il encore la possibilité de disposer de groupements tactiques prêts à intervenir en cas de besoin, conformément à nos engagements ?

Enfin, alors que le général Bosser nous a dit récemment envisager de recréer le 5régiment de Cuirassiers aux Émirats arabes unis, vous avez pour votre part affirmé qu’il ne serait pas créé de nouveaux régiments – ce qui ne laisse pas de m’inquiéter, car j’ai commencé ma carrière comme sous-lieutenant au 5e régiment de Cuirassiers, et j’attache donc une grande importance à la recréation de cette formation. (Sourires.)

M. Michel Voisin. J’ai passé la nuit de vendredi à samedi à Damas, où j’ai suivi les événements en direct à la télévision. Je vais peut-être vous faire bondir, mais j’ai été très étonné de ne voir, sur les images transmises, que des policiers et des gendarmes, mais pas le moindre militaire : ce n’est que le lendemain que des reportages en ont montré en patrouille. Comment cela s’explique-t-il ?

M. Daniel Boisserie. Comme tout le monde, je voyage parfois en avion et, lorsque je suis à Orly, je vois souvent un groupe de trois militaires se déplaçant à l’intérieur du terminal dans le cadre de Sentinelle. Je ne peux alors m’empêcher de penser qu’il serait très facile à un agresseur de se jeter sur eux et, du fait de leur position groupée, de les neutraliser rapidement à l’aide d’une arme de poing ou même d’une arme blanche – d’autant qu’il s’agit souvent de jeunes recrues, pas forcément très aguerries. Pouvez-vous nous dire s’il existe, à l’intérieur de l’aéroport, un poste protégé qui permettrait de riposter à une attaque terroriste ?

Par ailleurs, certains de vos soldats sont musulmans. Savez-vous comment ils ont réagi aux derniers événements, et sentez-vous chez eux une détermination intacte à accomplir leur mission ? Nous avons déjà eu l’occasion de poser cette question, à laquelle nous avons obtenu des réponses qui nous ont laissés dubitatifs.

Enfin, à l’heure où on parle beaucoup de solidarité européenne, est-il envisagé de mobiliser la brigade franco-allemande ? Si le terrorisme devait s’installer durablement dans notre pays en y déployant des moyens plus importants qu’actuellement, pourrait-on compter sur l’arrivée de renforts européens ?

M. Francis Hillmeyer. Comme Charles de La Verpillière, je m’interroge au sujet du choix consistant à placer des soldats de manière très visible devant certains lieux sensibles. Sans doute est-il rassurant pour la population de voir des gens en armes, mais cela ne peut rien empêcher, et à mon sens ne constitue pas une dissuasion face à des personnes animées par une folie meurtrière. Ne pourrait-on envisager de surveiller les lieux d’une manière plus discrète et plus efficace ?

M. Jacques Lamblin. On a effectivement l’impression, lorsqu’on se déplace en ville, que certains bâtiments sensibles se trouvant dans des endroits déserts sont étroitement surveillés, tandis que d’autres lieux très fréquentés, tels que les gares, semblent faire l’objet d’une surveillance moins forte. Vous avez évoqué l’évolution de la doctrine consistant à passer de gardes statiques à une organisation proche de ce qui se fait au Royaume-Uni. S’ils ne se déplacent pas, les militaires peuvent en effet constituer des cibles faciles, mais avez-vous recensé d’autres risques potentiels auxquels ils seraient exposés ?

M. Christophe Léonard. Lorsque vous avez répondu à ma question, je n’ai pas bien compris ce qui vous empêchait de mettre en œuvre, dans le cadre du plan Sentinelle, les techniques basées sur l’imprévisibilité auxquelles vous avez recours en OPEX. Pourriez-vous revenir sur ce point ?

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. Ce qui nous en empêche, c’est le régime juridique auquel nous sommes soumis. Les forces armées interviennent actuellement dans le cadre de réquisitions préfectorales extrêmement précises : il s’agit, par exemple, de placer tous les jours cinq soldats de telle heure à telle heure devant une école ou une administration. Plutôt que de nous confier une mission visant à obtenir un effet – le contrôle d’une zone donnée –, on exige de nous la mise en œuvre de moyens. Avec un tel système, nous sommes pieds et poings liés, ce qui nuit évidemment à notre efficacité, et il serait bon de parvenir à desserrer ces contraintes.

M. Christophe Léonard. Nous devrions donc procéder à l’audition des autorités dont émanent les réquisitions, à savoir les préfets.

Mme la présidente Patricia Adam. Effectivement.

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. Pour ce qui est des réservistes, je rappelle que la réserve opérationnelle 2 a un statut militaire et peut être rappelée jusqu’à cinq ans après la fin des services sur décret du Premier ministre, uniquement en cas de crise majeure. Si l’on s’en tient aux personnels dont les services ont pris fin il y a moins de deux ans, on peut déjà disposer de 8 000 hommes rien que pour les forces terrestres.

Le problème, c’est que tout reste à écrire. En effet, la RO2 n’est pas gérée, pas administrée – aujourd’hui, les réservistes partent avec une partie de leur paquetage, mais nous n’avons pas de quoi les équiper ni les armer – et l’exercice expérimental auquel nous allons procéder en mars 2016 ne vise à mobiliser que 1 000 personnes. Un gros travail reste donc à accomplir pour que la RO2 puisse être effectivement utilisée. Cela en vaut la peine, car si nous étendons la durée de trois à cinq ans suivant la fin des services la période durant laquelle les personnels peuvent être mobilisés, on en arrive à un effectif de 20 000 hommes pour l’ensemble des forces terrestres.

M. Michel Voisin. Notre commission a beaucoup travaillé sur ce point et, quand vous nous dites que tout reste à écrire en la matière, je considère qu’il y a là une lacune imputable à l’administration qui mérite d’être soulignée.

Mme la présidente Patricia Adam. Je rappelle que notre commission travaille actuellement sur la question de la réserve, et que nos deux rapporteurs doivent nous faire part prochainement des propositions constituant le fruit de leurs réflexions – leur rapport nous sera remis pour le 9 décembre.

M. Yves Fromion. Alors que je représente notre assemblée au sein du Conseil supérieur de la réserve militaire, je dois avouer que je n’ai jamais entendu évoquer la question dont vous faites état, qui est pour le moins préoccupante.

Mme la présidente Patricia Adam. En attendant le rapport que vont nous remettre prochainement nos collègues Marianne Dubois et Joachim Pueyo, notre commission doit se saisir pleinement de ce sujet important et plus que jamais d’actualité. Je pense que le bureau de la commission de la Défense pourrait prendre l’initiative d’organiser un colloque afin d’avancer très vite en la matière.

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. Derrière la chute à 50 % de la capacité opérationnelle de l’armée de terre apparaît la problématique du renouvellement de nos effectifs. On estime que chaque année, au sein d’une compagnie d’infanterie, 20 % à 30 % des soldats mettent fin à leurs services et doivent être remplacés. Dès lors que l’on n’est plus en mesure de mettre en œuvre une préparation opérationnelle interarmes, qui est une étape indispensable entre la préparation opérationnelle métier et la projection – ce qui est notre cas, Sentinelle nous obligeant à faire l’impasse sur cette phase – on se retrouve rapidement confronté à une grave difficulté pour maintenir notre capacité opérationnelle. Certes, nous allons bénéficier d’un recrutement de 11 000 hommes pour 2017, mais celui-ci est en cours, ce qui explique que la capacité opérationnelle de l’armée de terre se trouve affaiblie pour les années 2015 et 2016.

Pour ce qui est des moyens budgétaires, l’état-major de l’armée de terre est en train d’identifier les équipements dont nous avons besoin, étant précisé que des arbitrages devront être effectués. En termes d’infrastructure, la priorité est actuellement donnée à la constitution d’une force opérationnelle terrestre (FOT) comprenant 77 000 hommes. Une ou deux unités ont été signalées comme faisant face à de vraies difficultés, mais les moyens restent concentrés sur la force opérationnelle terrestre. La mise en œuvre du modèle « Au Contact » est plus compliquée et, pour ce qui concerne l’infrastructure, devra se faire par étapes. En effet, il existe en dehors de la FOT à 77 000 une autre priorité, clairement énoncée par le chef d’état-major des armées, relative à la protection défense (Prodef), qui nécessite également de mobiliser des moyens considérables en termes d’infrastructures.

Si nous devions armer le GTIA de l’Union européenne pour lequel nous sommes d’alerte, la mise en œuvre de l’alerte Guépard se ferait en commençant par notre élément national d’urgence, consistant en la projection d’un groupement tactique de parachutistes.

Je tiens à vous rassurer, monsieur Fromion : quand j’ai indiqué qu’il ne serait pas créé de nouveaux régiments, j’ai omis de préciser que je parlais uniquement du territoire métropolitain, et je vous confirme que l’étendard du 5e régiment de Cuirassiers flottera prochainement de nouveau à Abu Dhabi.

M. Yves Fromion. C’est une excellente nouvelle.

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. Pour ce qui est de la visibilité des forces terrestres au cours des événements de vendredi, pour ma part, sur une grande chaîne d’information continue, j’ai vu à plusieurs reprises des soldats en casque qui patrouillaient sur les lieux.

M. Michel Voisin. Je reformule ma question de manière plus directe : les soldats ont-ils reçu des ordres pour rester en arrière ?

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. Pas du tout. Une force de réaction immédiate a été déployée sur les lieux sur l’ordre du gouverneur militaire de Paris, afin de relever les forces de sécurité intérieure qui assuraient la garde de certains bâtiments nationaux – notamment l’Assemblée nationale et le Sénat –, et aucun ordre n’a été donné pour que les personnels restent dissimulés.

M. Yves Fromion. Quand des militaires sont ainsi déployés sur un site, qui les commande ? Dépendent-ils de la police, ou agissent-ils de façon autonome ?

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. Les ordres proviennent de la chaîne de commandement habituelle. Le gouverneur militaire de Paris (GMP) transmet ses ordres aux trois chefs de corps dont les états-majors ont été mis en place à Paris. Ces derniers les transcrivent à leurs subordonnés pour que les chefs de section les appliquent sur le terrain. Je voudrais souligner le fait que 15 % des blessés en urgence absolue et plus globalement 20 % des urgences ont été pris en charge au sein des hôpitaux militaires.

Mme la présidente Patricia Adam. Effectivement, c’est insuffisamment connu. Nous auditionnerons prochainement le directeur central du service de santé des armées sur ce point.

Général Arnaud Sainte-Claire Deville. Pour ce qui est de l’attitude de nos soldats dans l’opération Sentinelle, le plus petit élément indivisible est le trinôme, composé comme son nom l’indique de trois soldats formés à la mise en œuvre successive des trois niveaux que constituent la posture, l’utilisation de l’armement à létalité réduite et les techniques de corps-à-corps, et l’utilisation de l’arme à feu. Tous nos soldats, quel que soit leur niveau, possèdent les savoir-faire nécessaires à la mise en œuvre de ces techniques. Je précise que l’un des trois soldats est toujours placé en appui des deux autres, c’est-à-dire qu’il est spécialement chargé de couvrir ses camarades. Nul ne peut dire si en procédant de la sorte, nous sommes forcément à l’abri d’une mauvaise surprise, mais je peux vous assurer que la formation dont bénéficient nos hommes est de nature à leur permettre de réagir correctement en toutes circonstances. Cela a d’ailleurs été le cas en février dernier, lorsque trois militaires du 54e régiment d’artillerie de Hyères ont été attaqués à Nice par un individu armé d’un couteau : ils ont alors parfaitement réussi à maîtriser leur agresseur en appliquant le principe de la progressivité de la réponse.

Pour ce qui est des soldats de confession musulmane, j’ai en tête un seul exemple où cela ait pu poser problème : il s’agissait d’un jeune soldat qui ne voulait pas dormir dans la synagogue que son groupe protégeait. Le commandement a fait appel à l’aumônerie musulmane des armées qui a permis la résolution de l’incompréhension et la poursuite de la mission.. Il est un peu tôt pour vous répondre au sujet des conséquences des événements de vendredi, mais je n’ai pas d’inquiétude particulière au sujet du comportement de mes soldats de confession musulmane.

Le ministre de la Défense était ce matin à Bruxelles afin d’évoquer la demande d’aide et d’assistance formulée par la France au titre de l’article 42-7 du Traité de l’Union européenne. Je connais bien la brigade franco-allemande, pour y avoir commandé un régiment et y avoir servi comme chef d’état-major à l’époque où elle était engagée en Afghanistan. La brigade est d’ailleurs actuellement commandée par un général que je connais très bien, car il était avec moi à Kaboul – il m’a d’ailleurs adressé dans la nuit de vendredi à samedi un message pour me dire à quel point il nous soutenait et était disposé à agir aux côtés de la France, pour peu qu’il en reçoive l’ordre. Quant à la partie française de la brigade, elle est complètement mobilisée sur Sentinelle, comme toutes les unités terrestres.

Si vous n’aviez qu’une chose à retenir de mon intervention, que ce soit celle-ci : nous devons sortir de la logique selon laquelle Sentinelle se résumerait à la mise en place de gardes statiques, et faire en sorte d’utiliser davantage nos modes d’action spécifiques. C’est à cette condition que nous pourrons mieux dissuader et mieux protéger.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous vous remercions pour votre intervention qui nous a éclairés et va nous permettre d’avancer sur un certain nombre de sujets.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

*

* *

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Olivier Audibert Troin, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. David Comet, Mme Marianne Dubois, Mme Geneviève Fioraso, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Laurent Kalinowski, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Joaquim Pueyo, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Guy Delcourt, M. Philippe Folliot, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André