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Commission d’enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Mercredi 4 mai 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Dehaumont, directeur général de l’alimentation, de Mme Emmanuelle Soubeyran, cheffe du service de l’alimentation, de Mme Sylvie Vareille, adjointe de la sous-directrice de la sécurité sanitaire des aliments et de M. Jérôme Languille, chef du bureau de la protection animale à la Direction générale de l’alimentation (DGAL).

La séance est ouverte à seize heures trente.

M. le président Olivier Falorni. Nous poursuivons nos travaux sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, en accueillant M. Patrick Dehaumont, Directeur général de l’alimentation, Mme Emmanuelle Soubeyran, cheffe du service de l’alimentation, Mme Sylvie Vareille, adjointe de la sous-directrice de la sécurité sanitaire des aliments et M. Jérôme Languille, chef du bureau de la protection animale à la Direction générale de l’alimentation (DGAL).

À la suite du scandale déclenché par les vidéos clandestines diffusées par l’association L214, que nous avons auditionnée, ainsi que l’association OABA et les responsables des trois abattoirs concernés – Alès, Le Vigan et Mauléon-Licharre –, nous souhaitons aujourd’hui faire le point avec vous, mesdames, messieurs.

Avant de vous donner la parole, je rappelle que nos auditions sont ouvertes à la presse et qu’elles sont diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale. En outre, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Patrick Dehaumont, Mme Emmanuelle Soubeyran, Mme Sylvie Vareille
et M. Jérôme Languille prêtent successivement serment.)

M. Patrick Dehaumont, Directeur général de l’alimentation. Au titre du programme 206, « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation », la Direction générale de l’alimentation est chargée d’une mission de sécurité sanitaire assez large, qui englobe la santé végétale, la santé animale et la protection animale, ainsi que la sécurité sanitaire des aliments. Conformément à cette mission régalienne de sécurité, présentée régulièrement comme une priorité gouvernementale, il nous revient d’établir la règle en matière sanitaire et de protection animale et de nous assurer, par notre action sur le terrain, qu’elle est bien appliquée.

Notre action en matière de sécurité sanitaire et de protection animale est encadrée par un corpus réglementaire harmonisé à l’échelle européenne. Notre travail d’inspection revêt un caractère très technique, ce qui suppose de disposer d’agents formés à certaines techniques et d’être présents sur le terrain au quotidien, dans le cadre d’une chaîne de commande qui part de l’autorité ministérielle et descend, via les préfets de région et de département, jusqu’aux services vétérinaires d’inspection amenés à intervenir dans les abattoirs. Pour mener ces inspections, notre préoccupation constante est de nous inscrire dans une approche intégrée de l’ensemble de la chaîne – alimentation et animaux vivants.

Dans tous les domaines de sécurité sanitaire et de protection animale, le premier responsable des actes, qu’ils soient réalisés dans un établissement, dans un élevage ou pendant le transport, est de manière constante le professionnel – en l’occurrence, dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, le responsable de l’établissement d’abattage.

Concernant les abattoirs, donc, les inspections reposent sur deux grands principes généraux. Premièrement les professionnels ont la charge d’autocontrôle, en mettant en place un certain nombre de procédures. Deuxièmement, les services officiels réalisent des contrôles de différentes natures, proportionnés aux risques et aux moyens disponibles.

Les conditions des inspections en abattoirs peuvent être classées en deux grandes catégories. Il y a d’abord ce qui relève de l’inspection systématique, réalisée ante mortem, puis tout au long de la préparation de la carcasse et des viandes, au travers d’une série de gestes codifiés qui aboutissent soit à l’apposition d’une estampille sur la carcasse signifiant qu’elle est apte à la consommation humaine, soit au retrait de tout ou partie de la carcasse ou des abats en cas de risque pour la santé humaine. Ce à quoi vient s’ajouter une inspection continue, autrement dit des opérations de contrôle régulières au niveau de l’établissement et qui portent sur un certain nombre d’éléments, notamment, en matière de protection animale, le poste d’abattage, l’hygiène de l’établissement, les protocoles de nettoyage et de désinfection, les protocoles d’autocontrôle, la compétence des agents des abattoirs.

Il existe en France 263 abattoirs d’animaux de boucherie – 96 publics et 167 privés –, qui procèdent chaque année à l’abattage d’environ 32 millions d’animaux.

Au titre du programme 206, la DGAL dispose de 200 équivalents temps plein travaillé (ETPT) au niveau central et de 4 700 ETPT au niveau national pour l’ensemble des inspections sur le terrain. Sur ces effectifs, 30 % sont dédiés aux inspections en abattoirs, dans le cadre d’une règle d’allocation de moyens qui évalue la proportion du risque. En matière d’abattage des animaux de boucherie, l’inspection étant systématique, nous prenons en compte plusieurs paramètres pour allouer ces moyens, dont le nombre de chaînes en exercice, la cadence sur ces chaînes, l’amplitude horaire, etc. Ainsi, l’allocation de moyens humains dans les abattoirs prend en compte l’inspection systématique réalisée dans la phase ante mortem et la phase post mortem sur les carcasses, et l’inspection régulière réalisée en fonction des paramètres que j’ai cités plus haut – protection animale au poste d’abattage, traçabilité, nettoyage et désinfection, etc.

Nos effectifs dédiés aux inspections en abattoir sont donc importants : ces 30 % représentent 1 200 ETPT, soit à peu près 2 000 agents. Ces agents sont des vétérinaires officiels ou des « auxiliaires officiels » – c’est le terme européen –, autrement dit des techniciens. Nous faisons bénéficier nos agents d’une formation initiale et d’une formation continue, et nous procédons à des vérifications de compétences. Cette année, et au vu des événements récents, nous prévoyons de renforcer la formation ainsi que le maintien de la compétence de nos agents, notamment en matière de protection animale.

Je suis extrêmement attentif à ce que cette mission régalienne s’exerce avec la compétence et l’impartialité nécessaires, et que, en cas d’anomalies constatées dans le cadre de nos inspections, des suites proportionnées soient systématiquement données, qu’elles soient administratives ou judiciaires ; l’année 2015 a du reste été pour nous l’occasion de réviser un certain nombre de procédures en la matière.

Dans le domaine de la protection animale comme dans le domaine sanitaire, le premier responsable, je le répète, est le professionnel amené à manipuler des animaux vivants puis à mettre des produits sur le marché. Il est de ce fait soumis à plusieurs obligations, notamment pour les opérations d’abattage. En la matière, les dispositifs relèvent d’une réglementation communautaire qui prévoit que ces professionnels doivent disposer des compétences nécessaires et assurer les autocontrôles des opérations d’abattage.

La protection animale en abattoir ne doit pas être le seul sujet à retenir notre intérêt. Nous travaillons en effet, depuis 2014, à la demande du ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, à une stratégie globale française pour le bien-être des animaux en France. Le plan d’actions prioritaires présentées à l’occasion du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV) de mars, permettra à la France de se doter d’une stratégie globale ambitieuse en matière de bien-être animal, en déclinant plusieurs axes : recherche et développement, formation, accompagnement des acteurs, lutte contre les mauvais traitements et la cruauté, information des citoyens. Parmi les leviers prioritaires de ce plan d’actions, figure la mise en place dès cette année d’un centre national de référence sur le bien-être animal, ainsi que des efforts en matière de recherche sur la protection animale, en particulier sur le sexage des embryons dans l’œuf pour éviter le broyage des poussins – sujet qui avait lui aussi, à juste titre, défrayé la chronique.

M. le président Olivier Falorni. Cette commission d’enquête a été créée à la suite de la diffusion par l’association L214 de vidéos tournées dans trois abattoirs. Avez-vous été surpris par ces vidéos ?

Quelles sont vos relations avec les associations de défense des droits des animaux et de protection animale – je pense en particulier à l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), engagée sur le sujet depuis 1961 ?

Dans une note de service datée du 31 mai 2012, vous avez rappelé que « seul l’exploitant d’un abattoir peut autoriser l’accès à son établissement de personnes qui n’y sont pas spécialement habilitées par la loi. » Certes, c’est un rappel ; mais l’OABA, qui avait engagé un travail important, a senti dans cette note une volonté de fermeture. Pour notre part, nous avons décidé collectivement de procéder à des visites inopinées d’abattoirs : je n’imagine pas qu’un directeur puisse nous en refuser l’entrée… Sachez en tout cas que je veillerai donc à ce que les membres de cette commission d’enquête puissent accéder aux abattoirs que nous aurons choisis pour voir ce qui s’y passe.

Vos agents sont-ils en mesure d’agir de façon inopinée dans des abattoirs, à la suite d’une dénonciation ?

Enfin, que pensez-vous de la vidéosurveillance dans les abattoirs, d’une part, et des abattoirs mobiles, qui existent dans certains pays, d’autre part ?

Mme Françoise Dubois. À côté du bien-être animal, il y a le bien-être humain. Certes, la formation technique est indispensable. Mais existe-t-il un suivi psychologique des professionnels de l’abattage compte tenu de leurs conditions de travail – égorger une bête n’est pas forcément agréable, a fortiori si on le fait toute la journée ?

Mme Geneviève Gaillard. Dans une fiche emploi-métier de Pôle emploi intitulée « abattage et découpe de viandes », je lis que le métier consiste à « réaliser les opérations d’abattage d’animaux et de découpe de viandes », et qu’il est « accessible sans diplôme ni expérience professionnelle ». Or pour m’être rendue plusieurs fois dans des abattoirs, je peux vous dire que ce travail est loin d’être simple, y compris sur le plan psychologique. Vous avez parlé de formation initiale et de formation permanente. Dans ses annonces, Pôle emploi ne devrait-il pas prévoir une formation ?

La dimension psychologique est réelle, comme l’a montré Stéphane Geffroy dans son livre « À l’abattoir » où il décrit crûment les difficultés qu’il a rencontrées en tant qu’ouvrier à l’abattoir de Liffré, en Bretagne. Ce sujet devrait donc être abordé.

Disposez-vous d’informations qui laisseraient entendre qu’une ou d’autres vidéos seront bientôt diffusées ? Des rumeurs parviennent à nos oreilles, même si ce n’est pas dit clairement.

Enfin, quand on parle d’abattage, il faut parler de tous les abattages. Des directives européennes, transposées dans le droit français, rappellent l’interdiction de l’abattage des animaux conscients. Or nous avons en France un abattage rituel, qui fait l’objet d’une dérogation dans le code rural. La formation des sacrificateurs est indispensable. Certains pays ont renoncé à l’abattage sans étourdissement, sans que cela ne pose problème. Combien d’animaux sont tués selon l’abattage rituel chaque année en France ? Combien cela représente-t-il de tonnes de viande, et dans ce volume, quelle est la part destinée à être exportée et celle destinée à la consommation nationale ? Enfin, quelles sont vos relations avec les responsables des cultes à ce sujet ?

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Vous avez évoqué la formation des professionnels au poste d’abattage, qui pourrait être renforcée dans le cadre du plan d’actions de la stratégie globale pour le bien-être animal. Or depuis le début de nos auditions, nous avons l’impression que, si les contrôles liés à la santé du consommateur sont systématiques, la phase entre les éléments ante mortem et la carcasse fait l’objet d’un regard insuffisamment intense… Est-il selon vous nécessaire de renforcer l’agrément spécifique pour tenir le poste d’abattage ? Que pensez-vous de l’obligation d’une rotation sur ce poste ?

Les représentants des abattoirs concernés par les vidéos nous ont indiqué que les sacrificateurs sont des personnels extérieurs à l’établissement. Cela vous paraît-il normal au regard des compétences requises pour ce métier, a fortiori dans un abattoir public ? Dans un des abattoirs concernés, un sacrificateur remplaçant aurait causé quelques soucis. Et dès lors qu’ils n’ont pas de lien avec l’établissement, comment les sacrificateurs sont-ils rémunérés ?

Dans la formation du prix de la viande, quelle est la part de l’abattage ? Ce point est important pour savoir si l’on peut améliorer les choses sans trop porter atteinte au pouvoir d’achat des consommateurs.

Que pensez-vous d’une démarche de certification ? Qui devrait en supporter le coût ? Comment doit-il être réparti dans la chaîne de valeur ?

Comment jugez-vous le rôle des référents bien-être animal dans les abattoirs ? Sont-ils des lanceurs d’alerte, peuvent-ils l’être, doivent-ils le devenir ? Pour ma part, j’en doute : il est difficile d’avoir en même temps un regard interne et un regard externe quand on appartient à une structure.

Enfin, sur les conditions d’abattage, avec ou sans étourdissement, que pensez-vous d’un droit de regard des éleveurs et/ou des distributeurs ? Autrement dit, les éleveurs sont-ils légitimes à demander que leurs animaux soient bien traités, quand bien même ils en ont cédé la propriété, et les distributeurs à obtenir des garanties sur la viande qu’ils vont commercialiser ?

M. Patrick Dehaumont. Oui, j’ai été surpris par les vidéos tournées dans les trois abattoirs : elles montrent des pratiques inacceptables que je condamne sans aucune ambiguïté.

M. le président Olivier Falorni. Est-ce à dire que vous n’aviez jamais vu de telles pratiques dans votre carrière ?

M. Patrick Dehaumont. Non. Et pourtant, j’ai été en situation d’inspection en abattoirs. Mais lorsque l’inspecteur se rend au poste d’abattage, certaines des pratiques observées sur les vidéos n’ont évidemment pas lieu en sa présence…

M. le président Olivier Falorni. D’où ma question sur la vidéosurveillance.

M. Patrick Dehaumont. Pour ce qui est de nos relations avec les associations, elles me paraissent bonnes. Du reste, un certain nombre d’associations de protection animale, dont l’OABA, sont parties prenantes du CNOPSAV, au cours duquel sont abordées les questions de bien-être animal. Le travail avec les associations est donc constructif. La note de service du 31 mai 2012 visait à répondre à des questionnements de professionnels de l’abattage face à des membres de l’OABA qui se prévalaient du droit d’entrer dans les établissements sous couvert des services officiels. J’ai donc indiqué dans cette note que les agents de la DGAL ont un droit d’accès dans les abattoirs – y compris de manière inopinée, et nous ne nous en privons pas –, mais que je n’ai pas la capacité juridique de permettre à d’autres acteurs d’entrer dans les abattoirs, qui sont des lieux privés. Cette mise au point ne remet nullement en cause l’action de l’OABA, qui réalise un travail extrêmement efficace dans les abattoirs depuis des décennies. D’ailleurs, lors du dernier CNOPSAV, nous avons rappelé, et le ministre l’a également souligné, que nous sommes très favorables à des conventionnements entre les professionnels de l’abattage et des associations comme l’OABA pour assurer plus de transparence, renforcer la vigilance et sensibiliser les différents acteurs. Ainsi, je ne voudrais surtout pas qu’il soit dit que les relations avec l’OABA sont mauvaises, car ce n’est absolument pas le cas.

J’en viens à la question sur nos accès inopinés. Non seulement les agents en inspection au sein de l’abattoir ont le droit de s’y déplacer librement, mais les personnels de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) ont également accès à l’établissement. Je dispose également d’une brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) ; sa directrice sera auditionnée par votre commission d’enquête, me semble-t-il. Ainsi, nous sommes habitués sur différents sujets à réaliser des contrôles inopinés, y compris avec l’aide de la force publique puisque la BNEVP intervient assez souvent dans un cadre judiciaire. Il est essentiel que notre capacité à opérer des contrôles inopinés soit maintenue.

La vidéosurveillance renvoie à plusieurs aspects. En termes techniques, elle présente un intérêt évident, car elle garantirait une surveillance, mais aussi une plus grande vigilance – on peut imaginer un effet « pédagogique » vis-à-vis des personnels qui se sauraient regardés. Sur le plan juridique, la vidéosurveillance dans les abattoirs nécessiterait une modification législative, car cette pratique est actuellement autorisée pour des raisons de sécurité uniquement – elle est interdite pour surveiller un poste de travail. Enfin, en termes d’exploitation, la question se pose de savoir comment les images seront exploitées par le responsable de l’abattoir et les services officiels. Faudrait-il procéder par sondages ? En résumé, la piste de la vidéosurveillance mérite d’être examinée, mais à l’aune des conditions à la fois juridiques et techniques d’exploitation des données : même avec un encadrement juridique adéquat, si l’on ne se donne pas les moyens de visionner tout ou partie des images, cela se saura très vite et le risque de dérapages reviendra.

Qu’ils soient mobiles ou pas, tous les abattoirs doivent être soumis aux mêmes règles. Autrement dit, les installations d’immobilisation et les outils utilisés pour la perte de conscience ne doivent pas générer de stress et de souffrances chez les animaux.

M. le président Olivier Falorni. Dans certains pays d’Europe du Nord, les abattoirs mobiles sont une référence en termes de bien-être animal. Que pensez-vous d’un développement des abattoirs mobiles en France, même si cela ne permettrait pas de couvrir l’ensemble des besoins en termes d’abattage ?

M. Patrick Dehaumont. Le gros avantage de l’abattoir mobile tient au fait qu’il permet une meilleure occupation du territoire. En effet, le transport sur une longue distance des animaux, éventuellement blessés, vers l’abattoir est une difficulté. D’ailleurs, avant la diffusion des vidéos, un procès-verbal a été dressé à l’encontre d’un des abattoirs visés, car un animal dont les membres étaient brisés, au lieu d’être abattu sur place, avait été transporté sur une longue distance vers l’établissement. Ainsi, l’abattoir mobile peut répondre à certains cas de figure, mais pas en termes de capacité. Ce type de structure peut également présenter un intérêt dans la lutte contre certaines maladies animales : à cause de l’influenza aviaire dans le Sud-Ouest, il a fallu dans certains cas abattre les animaux dans les abattoirs, mais dans d’autres cas, nous avons dû abattre sur place par l’intermédiaire d’une société spécialisée qui intervient dans le cadre de nos plans d’urgence. Il aurait pu être intéressant de disposer d’un abattoir mobile. Cela n’a pas eu de conséquence en termes de protection animale, mais tous les produits ont été détruits, puisqu’il s’agissait non d’un abattage en abattoir, mais d’une euthanasie des animaux.

M. le rapporteur. L’abattoir mobile est intéressant en termes de transport, facteur de stress et de souffrances chez les animaux, a fortiori en cas de petits élevages très éloignés des abattoirs. Ce type de structure serait également intéressant en termes de contrôle par l’éleveur, qui pourrait être présent lors de l’opération, au lieu de faire 200 kilomètres pour voir ce qui se passe.

M. Patrick Dehaumont. Il faudrait alors prendre en considération la capacité de l’État à inspecter au coup par coup ce genre d’établissement. Il faudrait également se préoccuper des règles sanitaires et environnementales, car l’abattage produit notamment du sang – un certain nombre d’aspects techniques ne sont pas simples à gérer. D’ailleurs, le plan d’actions de la stratégie globale en matière de bien-être animal comporte une action visant à regarder les pratiques des autres pays européens. On sait en effet que certains pays d’Europe du Nord, comme l’Allemagne, utilisent ce genre d’outils dans certains cas de figure.

La question du bien-être humain est importante. Le métier d’abatteur est extrêmement difficile ; or rien n’est organisé en termes de suivi psychologique. Ces opérations d’abattage ne sont pas une sinécure, cela est compréhensible, mais il arrive un moment où les personnels se « distancient » – ils ne réalisent plus totalement ce qu’ils sont en train de faire. C’est une réaction tout à fait humaine.

Mme Françoise Dubois. Dans l’immédiat, il ne faut donc pas accabler ces professionnels.

M. Patrick Dehaumont. Absolument. Il est important que chacun assume sa responsabilité à son niveau : il faut que l’agent soit formé, que le responsable de l’abattoir encadre ses agents, que les services de l’État jouent leur rôle. Il faut remettre tout cela bien au clair.

Quand je parlais de formation, madame Gaillard, il s’agissait de celle de nos agents à la DGAL, et non de celle des personnels des abattoirs. Il y a une hiérarchie dans les formations de nos agents : formation initiale, formation continue, formations spécifiques d’aptitude à l’emploi et formations régulières. Je précise que nous avons mis en chantier une formation de formateur, notamment dans le domaine de la protection animale. Les agents ne viennent pas forcément auprès des formateurs ; il nous arrive d’envoyer les formateurs sur place, en regroupant les personnels de deux ou trois sites, pour assurer à la fois la remise à niveau théorique et la remise à niveau pratique, dans l’abattoir où nos agents sont amenés à intervenir.

S’agissant des personnels d’abattoirs, il n’existe en effet pas a priori de diplôme ou de compétence particulière. Par contre, conformément au règlement de 2009, il revient au responsable de l’abattoir de s’assurer que son personnel est formé techniquement – car ce geste n’est pas inné –, mais aussi qu’il est formé à la problématique de la souffrance animale. Tous les personnels impliqués dans l’abattage doivent faire l’objet d’une formation spécifique, avec des modules différents selon que l’on est abatteur ou responsable protection animale (RPA), et selon l’activité de l’établissement – type d’abattoir, espèces concernées. Cette qualification est valable cinq ans, ce qui permet une montée en puissance progressive de la compétence de ces personnels. Cela étant dit, madame la députée, la formation concerne tout le monde, autant les services de l’État que les services de l’abattoir.

Pour ce qui est de la dimension psychologique, il faut effectivement réfléchir à la façon de mieux la prendre en compte. Une solution serait de faire tourner les personnes sur des postes différents. Cela vaut pour les personnels d’abattoir, mais aussi pour les personnels d’inspection, qui doivent garder une certaine distance par rapport aux acteurs de l’abattoir, en étant capables d’arrêter une chaîne, de dresser un procès-verbal, de prendre des mesures administratives. Ainsi, au-delà de l’attention portée à la formation et au risque de perte d’impartialité, nous réfléchissons à la mobilité obligatoire des agents, dont la mise en œuvre s’avère complexe et difficile sur le plan humain. En outre, nous essayons de développer les postes mixtes où les agents exercent aussi bien des tâches en abattoirs que des tâches d’inspection sur le terrain – contrôles d’élevages, de restaurants –, afin de maintenir à la fois la compétence, la distanciation et l’impartialité dans le cadre du contrôle officiel.

Selon les chiffres pour 2014, 15 % des bovins et 27 % des ovins sont concernés par l’abattage rituel. L’abattage rituel s’exerce dans le cadre d’un décret de 2011 qui prévoit un agrément du préfet, une formation et une habilitation du sacrificateur, la conformité du matériel d’immobilisation des animaux, et la réalité des commandes – un établissement ne doit pas, par souci de simplification, abattre tous les animaux en rituel et ne vendre que 10 % de sa production en rituel.

M. le président Olivier Falorni. Bien évidemment, ce genre de situation n’existe pas.

M. Patrick Dehaumont. Je ne peux vous dire si cela existe ou pas : c’est aux services d’inspection sur le terrain de le vérifier.

M. le président Olivier Falorni. Avez-vous été amené à constater ce genre de situation ?

M. Patrick Dehaumont. En 2012, nous avons constaté une dérive dans certains abattoirs qui avaient augmenté leur tonnage en abattage rituel pour s’assurer de disposer d’une quantité suffisante de marchandises. Un rappel à l’ordre a été fait et les choses ont été remises dans les clous. Mais d’une façon générale, je n’ai pas connaissance d’une dérive en la matière.

Mme Geneviève Gaillard. À cette époque, une interview par une grande journaliste sur France Inter avait révélé que, pour des raisons économiques, il était plus facile d’abattre en casher ou en halal que d’abattre sur une chaîne normale. Quid de l’organisation des chaînes ? Y a-t-il des abus, car on sait qu’il faut aller de plus en plus vite, avec quelquefois de l’abattage casher ou halal, d’autres fois de l’abattage normal. Et quid du financement ? Car on sait très bien qu’il y a une taxe casher ou une taxe halal.

M. Patrick Dehaumont. Les cadences peuvent-elles inciter à faire plus de rituel ? Je n’ai pas la réponse. Il y a peut-être une tentation. Cela étant dit, les services d’inspection se font remettre par les responsables d’abattoir les plannings d’abattage d’une semaine sur l’autre, ce qui permet de vérifier l’absence de dérives. Les chiffres que je viens de vous citer pour l’année 2014 me semblent assez stables par rapport aux années précédentes.

Mme Geneviève Gaillard. Des animaux qui ne sont pas destinés à la consommation française sont abattus sans étourdissement en France, ce qui peut aussi nous interroger. J’aimerais avoir les chiffres sur l’exportation.

M. Patrick Dehaumont. Sur l’export, nous pourrons vous fournir des chiffres ultérieurement.

La dérive potentielle que vous évoquez en matière de rituel, outre le fait que nous manquons de données objectives pour la mesurer, n’avait concerné en 2012 que quelques abattoirs dans lesquels l’abattage sans étourdissement avait été retenu comme une solution de facilité. Sur le plan économique en revanche, elle n’était pas intéressante, car la chaîne va moins vite dans ce cas-là.

M. le président Olivier Falorni. Nous nous interrogeons en effet sur les cadences.

M. Patrick Dehaumont. Un gros abattoir de bovins qui tourne à 65-70 à l’heure, ce qui est très élevé pour un établissement de ce type, n’a pas intérêt à augmenter son abattage rituel.

M. le président Olivier Falorni. Quel est le différentiel de vitesse entre rituel et conventionnel ?

M. Jérôme Languille, chef du bureau de la protection animale. La cadence sur une chaîne de bovins est forcément moins élevée en rituel qu’en conventionnel, vu le temps de saignée et d’attente avant l’habillage. Sans avoir de chiffres précis à vous donner, je ne pense donc pas qu’on ait pu démontrer que l’abattage de bovins en rituel peut entraîner des gains en termes de cadences.

Mme Geneviève Gaillard. Cela n’a pas été démontré, mais c’est ce que j’ai entendu dans l’interview.

M. Patrick Dehaumont. J’en viens aux relations avec les responsables des cultes. L’abattage rituel s’inscrit dans le cadre du droit d’exercice du culte, auquel font référence la Cour de Justice européenne et la Constitution. Par conséquent, d’une part, il est possible de déroger à l’abattage avec assommage dès lors que la réglementation européenne l’admet. D’autre part, nos relations avec les cultes s’exercent en lien avec le ministère de l’intérieur, l’objectif étant que les cultes puissent s’exercer conformément à la Constitution et que l’abattage rituel soit pratiqué dans le respect du décret de 2011 qui définit les règles applicables en la matière.

L’inspection systématique intervient, comme je l’ai expliqué, avant et après le poste d’abattage. Pour l’heure, à cet endroit précis, seul un contrôle par sondages est réalisé, ce qui renvoie à la responsabilité du professionnel. Il est essentiel que ce contrôle par sondages soit réalisé régulièrement et fasse l’objet de suites administratives ou judiciaires en cas d’anomalies. Bien évidemment, il faut veiller à renforcer la formation des personnels d’abattoir, mais également à rappeler au directeur ses obligations. Faut-il renforcer l’agrément spécifique sur ce poste ? Je pense qu’un effort de formation et de responsabilisation de chacun des acteurs est indispensable. Faut-il mettre un contrôleur derrière chaque acteur ? Je n’en suis pas sûr. Comme je l’ai dit, notre allocation de moyens est fonction des moyens disponibles, d’une part, et des missions obligatoires, d’autre part – nous sommes dans un cadre contraint.

Sur la formation du prix de la viande, je suis incapable de vous répondre. Mais nous pourrons vous fournir des éléments ultérieurement.

Les responsables de la protection animale, qui dépendent des abattoirs, peuvent-ils être des lanceurs d’alerte ? Ces personnels sont-ils suffisamment indépendants ? Il s’agit là d’un sujet difficile, mais nous devons travailler dans ce sens. Les personnels de base et les RPA doivent pouvoir lancer l’alerte, le directeur de l’abattoir doit exercer le contrôle sur ses personnels, et les inspecteurs doivent évidemment essayer de contrôler autant que faire se peut. Il faut garantir la protection des personnels qui peuvent, qui doivent alerter sur ces sujets. À l’issue du CNOPSAV de mars, le ministre avait annoncé un travail sur le renforcement des sanctions : ce travail est en cours avec le service des affaires juridiques, l’idée étant que toute la chaîne de décision au sein de l’abattoir – du directeur aux abatteurs – puisse être concernée par une mise en responsabilité. Pour l’instant, non seulement il faut prouver l’acte délictuel, mais la poursuite sur l’ensemble de la chaîne hiérarchique n’est pas possible. La protection assortie d’une sanction potentielle serait de nature, me semble-t-il, à permettre au RPA d’alerter en cas d’éléments anormaux.

Enfin, sur le droit de regard des éleveurs et des distributeurs, je ne sais pas comment cela pourrait être organisé, mais il est évidemment nécessaire d’apporter une garantie aux acteurs de l’amont et de l’aval : un éleveur n’a pas envie de voir maltraiter les animaux qu’il a élevés pendant des années, et un distributeur se doit d’offrir à son client des produits obtenus dans de bonnes conditions. La certification peut-elle répondre à cette double exigence ? Je ne le crois pas. Il y a une réglementation, qui doit être appliquée avec rigueur : les responsables d’abattoirs doivent être mobilisés sur le sujet, et nos services eux-mêmes doivent être mobilisés pour donner des suites, y compris pénales, aux affaires, ce qui suppose pour la justice de prononcer des sanctions exemplaires lorsque des infractions sont constatées. Cette piste me paraît préférable ; la certification, délivrée par un organisme extérieur qui de toute façon sera financé par l’abatteur, ne me paraît pas un outil vraiment opérationnel capable d’assurer un meilleur niveau de protection animale.

Mme Laurence Abeille. Je souhaite également que les chiffres qui vous ont été demandés nous soient communiqués, en particulier sur l’exportation.

Vous parlez de 263 abattoirs, mais il en existe 800 au total en France si on inclut l’abattage des volailles. Existe-t-il des différences entre les types d’abattoirs en matière de contrôles et, si oui, lesquelles ? Vos moyens de contrôle sont-ils suffisants pour assurer partout des conditions d’abattage dignes, respectueuses du bien-être animal ?

Des témoignages ont montré qu’il existe des points de vue différents sur la question de l’étourdissement – les animaux ont des réflexes ou différents comportements, alors même qu’ils ne sont plus conscients. Sur ce point, qu’en est-il de la compétence des personnels de contrôle ? Quant à celle des abatteurs, une formation est assurée par l’abattoir, mais il n’existe pas de formation spécifique à ce métier. Pensez-vous qu’une formation spécifique soit nécessaire ? Vos inspecteurs sont-ils formés sur l’abattage rituel ?

Quels contrôles assurez-vous concernant le transport des animaux ? Ces contrôles sont-ils suffisants ? Avez-vous eu connaissance de cas d’animaux arrivés morts à l’abattoir et qui auraient été traités comme les autres ?

Vous dites avoir été surpris par les vidéos. J’imagine que les personnels qui inspectent les abattoirs vous font remonter des informations. Avez-vous été alertés par des agents de vos services sur des faits de maltraitance ou sur des cas d’animaux arrivés morts à l’abattoir ?

L’un des directeurs d’abattoir auditionnés a expliqué que l’inspection portait essentiellement sur les documents administratifs. Que vérifient exactement vos agents ? On a le sentiment que l’inspection en termes de bien-être animal reste pour l’essentiel subordonnée aux aspects sanitaires. La question du bien-être animal est-elle réellement prise en compte, ou êtes-vous plutôt dans l’intention ?

Enfin, sur la vidéosurveillance, on pourrait considérer qu’il ne s’agirait pas de surveiller seulement les salariés, mais qu’elle permettrait aussi de regarder ce qui se passe pour les animaux. La surveillance permettrait de s’assurer qu’ils sont traités dans les meilleures conditions possibles, ce qui nécessiterait des critères réévalués et partagés entre les responsables des abattoirs et les agents de contrôle.

M. Jacques Lamblin. Monsieur le directeur général, votre propos liminaire nous fait comprendre implicitement que la priorité accordée à l’aspect sanitaire – sur lequel la France est irréprochable – laisse peu de moyens à l’autre volet de l’inspection, la protection animale. Vous avez fait état de 1 200 EPTP pour 263 abattoirs ; cela ne fait que 4 ou 5 inspecteurs par abattoir. Ce n’est pas beaucoup, surtout si l’on y ajoute les abattoirs de volaille… Au vu des moyens trop faibles et de certains services imparfaitement rendus – en l’occurrence la protection animale –, une des solutions qui vient à l’esprit serait de renforcer l’efficacité des contrôles par des moyens supplémentaires, dont le vidéo-contrôle – on peut utiliser ce terme si le mot « vidéosurveillance » fait peur. Un tel contrôle ne porterait pas seulement sur le travail effectué par les personnels des abattoirs – ce ne serait donc pas du flicage ; il pourrait également porter sur l’efficacité du matériel, autrement dit sur les éventuels dysfonctionnements des outils de contention et d’étourdissement des animaux. Une telle procédure ne me paraîtrait pas illégitime. Pourquoi n’avoir jamais envisagé le vidéo-contrôle pour améliorer, à moyens humains constants, la qualité du contrôle, dont l’insuffisance, pour ce qui touche à la protection animale, est avérée depuis déjà un certain temps ?

Nos auditions précédentes, en particulier celles des responsables des abattoirs concernés par les vidéos, ont montré que les pratiques incriminées par l’association L214 relèvent soit de fautes commises par le personnel – autrement dit, de troubles du comportement –, soit de dysfonctionnements ou de mauvais usages du matériel d’étourdissement : des animaux ont été mal étourdis et les abatteurs n’ont pas pris les mesures correctives nécessaires. Le vidéo-contrôle présente-t-il un intérêt pour éviter ces dérives comportementales ?

Enfin, certains témoins auditionnés nous ont rapporté des scènes quelquefois insoutenables lors d’abattages sans étourdissement, en particulier après des égorgements de bovins. Or un jour ou l’autre, ces scènes insoutenables se reproduiront, et probablement sous l’œil d’une caméra. Pour régler en France ce problème du respect des animaux dans les abattoirs, l’étourdissement obligatoire est-il une solution souhaitable, incontournable – ou pas ?

M. William Dumas. Deux des abattoirs visés par les vidéos sont dans ma circonscription : celui du Vigan ne pratique pas l’abattage rituel, et avec un volume de 300 tonnes de viandes par an, ses cadences sont loin d’être infernales ; celui d’Alès traite 5 000 tonnes par an, dont à peu près 50 % en abattage rituel. Quant à l’abattoir de Mauléon-Licharre, dans les Pyrénées-Atlantiques, il traite 5 000 tonnes chaque année, mais sans abattage rituel. Dans ce contexte, la fermeture de l’abattoir d’Alès obligerait les éleveurs à faire abattre à Valence. Je défends le bien-être animal : à un moment ou à un autre, il faudra, comme l’a souligné le maire d’Alès, prendre une décision pour savoir s’il doit y avoir, ou pas, étourdissement en abattage rituel.

Les sacrificateurs sont habilités par les mosquées : ils ne dépendent pas de l’abattoir et n’ont aucune formation. C’est un réel problème : pour l’abattoir d’Alès, on nous a expliqué qu’un remplaçant avait été envoyé par la mosquée. Dans mon département, si l’on remonte à quinze ans en arrière, les préfets se faisaient un souci monstre lors des fêtes au cours lesquelles on abattait n’importe où et n’importe comment – dans des garages, avec le sang qui coulait dans les fossés… Le système de l’abattoir mobile dans certaines zones pourrait être une solution.

Enfin, nous importons plus d’ovins de Nouvelle-Zélande ou d’Australie que nous en exportons ; or dans le prix de détail au client, la part de l’abattage peut aller du simple ou double – de 0,30-0,50 à 1 euro le kilo selon la cadence. Pour lutter contre les importations, il est important que la commission d’enquête ait une idée du prix de l’abattage, mais personne jusqu’ici n’a été capable de nous le chiffrer ! C’est pourtant un élément déterminant.

M. Thierry Lazaro. Monsieur le directeur général, lors du premier colloque organisé par l’Ordre national des vétérinaires sur le bien-être animal, auquel a assisté Mme Geneviève Gaillard, vous avez annoncé que le ministère de l’agriculture préparait une stratégie rénovée sur le bien-être animal. Les débats qui ont ponctué ce colloque ont été passionnés, partant d’un sujet technique pour aboutir à un sujet plus culturel. Il y a des amateurs de viandes, c’est une évidence absolue, mais il y a aussi des partisans d’une alimentation sans viande, et c’est leur droit le plus strict, au travers du véganisme ou du végétarisme. Cette réflexion militante a le mérite d’exister et doit faire partie du débat qui nous occupe aujourd’hui. L’intégrez-vous dans votre mission ?

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le directeur général, faut-il imposer un responsable protection animale dans tous les abattoirs, quelle que soit leur taille ?

Dans l’hypothèse où des contraintes supplémentaires, comme la vidéosurveillance, seraient imposées aux abattoirs à l’issue des travaux de cette commission d’enquête, le coût de l’abattage, et donc la compétitivité des abattoirs, s’en trouveraient impactés. Pourrait-on imaginer de compenser ces contraintes supplémentaires en supprimant certaines mesures normatives actuellement en vigueur ?

M. le rapporteur. Les responsables des abattoirs auditionnés précédemment nous ont indiqué que les sacrificateurs n’étaient pas des personnels des abattoirs. Est-ce exact ? Si oui, comment sont-ils rémunérés ?

Quel est le coût de la certification cultuelle ? Que sait-on de ce circuit financier des produits casher et halal ?

Lors de leur audition, les représentants de l’OABA nous ont précisé que les couloirs d’amenée des animaux vivants n’étaient pas toujours d’un haut niveau technique, autrement dit que la conception des abattoirs n’était pas forcément très adaptée au comportement animal. Les choses peuvent-elles être améliorées en la matière, afin d’éviter un stress inutile aux animaux avant l’abattage ?

M. le président Olivier Falorni. Ce problème concerne même des structures récentes, voire très récentes.

M. Patrick Dehaumont. J’ai parlé tout à l’heure des 263 abattoirs d’animaux de boucherie, sans intégrer les abattoirs de volailles. Madame Abeille, en matière d’inspection dans les abattoirs en général, les obligations sont encadrées au niveau européen. Les moyens d’inspection en abattoirs d’animaux de boucherie alloués s’attachent à respecter toute la réglementation européenne et rien que la réglementation européenne. Car il faut tout de même être économe des moyens tout en répondant aux obligations sanitaires et de protection animale.

S’agissant des abattoirs d’animaux de boucherie, les standards européens sont respectés, que ce soit pour le contrôle sanitaire ou la protection animale – le contrôle ante mortem et le contrôle au poste d’abattage.

Concernant les abattoirs de volailles, des rapports de l’Office alimentaire et vétérinaire européen (OAV) ont pointé la réalisation d’inspections hors des standards européens et le manque de personnels d’inspection. Par conséquent, nous procédons depuis deux ans à une augmentation des effectifs d’inspection : le ministre Stéphane Le Foll a obtenu une augmentation de 60 ETPT en 2015 et 2016 – ce sera également le cas en 2017 –, qui seront dédiés entre autres à l’inspection en abattoirs de volailles. La première salve a eu lieu l’année dernière : nonobstant le phénomène l’inertie liée à la formation et au recrutement de ces agents, les effectifs dédiés aux 700 abattoirs de volailles en France montent en puissance. Parallèlement, nous avons engagé à partir de 2012 un programme pilote visant à faire évoluer les règles d’inspection au niveau communautaire pour la protection animale et le contrôle sanitaire dans les abattoirs de volailles, ce qui devrait permettre d’intensifier le contrôle amont – protection animale – avec potentiellement moins d’inspecteurs. En effet, dans les abattoirs de volailles, le contrôle s’exerce visuellement sur une chaîne qui défile très rapidement, d’où la nécessité de faire évoluer la technique d’inspection. À l’inverse, dans les abattoirs d’animaux de boucherie, les gestes sont très codifiés : l’inspection ante mortem systématique vise à vérifier l’état des animaux – conditions de voyage, blessures, signes de maladie contagieuse –, cependant que l’inspection systématique des carcasses sur la chaîne d’abattage, réalisée au moyen de gestes codifiés – incisions de ganglions, palpations d’organes, etc. –, a pour but de s’assurer de l’absence de pathologies susceptibles de mettre en danger la sécurité du consommateur.

Ces précisions sur l’inspection des carcasses me permettent de rebondir sur la question du vidéo-contrôle, qui exige du temps-agent. Or en abattoirs d’animaux de boucherie, les agents en inspection ne peuvent pas, en même temps, être présents sur la chaîne et regarder un moniteur.

M. Jacques Lamblin. Dans mon esprit, il ne s’agit pas d’installer des agents devant un mur d’écrans, mais de procéder par sondages. Des sondages quotidiens de quelques minutes permettaient de savoir, sans moyens humains supplémentaires, si les dysfonctionnements pendant l’étourdissement sont réguliers ou si des comportements inappropriés de salariés se répètent. Ces problèmes existent depuis un certain temps : je me demande pourquoi on n’a pas poussé plus tôt cette idée, certes encore contestée aujourd’hui, mais qui pourrait être mise en œuvre à moyens pratiquement constants.

M. Patrick Dehaumont. Sans doute cette idée n’a-t-elle pas été poussée parce qu’on ne l’a pas eue… Ce sujet doit être approfondi, mais j’insiste sur le fait que le développement du contrôle officiel nécessiterait des moyens supplémentaires : même des contrôles par sondages ne seront pas sans effet sur l’expression des besoins en matière de personnels.

À la question sur l’étourdissement obligatoire qui pourrait être une solution pour éviter les scènes décrites, je rappelle que la Constitution « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de religion » et que la Cour de Justice européenne elle-même permet le libre exercice des religions ; or certaines religions exigent un abattage conforme à certains rites. Par conséquent, nous appliquons la Constitution, les règles européennes, et donc le dispositif législatif et réglementaire. Je ne peux rien dire de plus sur ce point.

Autre sujet ; aucun animal mort n’est jamais mis sur la chaîne, pour une bonne et simple raison : un cadavre ne peut pas être saigné… Cela ne ressemble pas du tout à de la viande. Je suis donc formel : ce cas de figure ne se produit jamais. Je n’imagine pas un responsable d’abattoir prendre un tel risque sanitaire, sans compter que les services d’inspection ne pourraient pas passer à côté.

Pour ce qui est des circuits financiers concernant les certificateurs, je serai bien en peine de vous répondre. Ces personnels ne sont pas des salariés de l’abattoir, mais, pour nous, ce sont des opérateurs techniques qui interviennent dans des abattoirs où nous effectuons des tâches d’inspection. Mais je n’ai pas d’éléments sur les modalités de rémunération des certificateurs.

M. Jérôme Languille. Je n’ai pas d’éléments précis sur les contrats qui lient les responsables d’établissement aux sacrificateurs permanents ou occasionnels dans les abattoirs. Par contre, au titre de la protection animale et du règlement CE 1099/2009, le responsable de l’établissement, dont relève le plan de maîtrise du bien-être animal, doit s’assurer de la compétence du salarié ou du prestataire qui intervient dans son établissement. Il y a donc une erreur manifeste au regard du respect de cette obligation quand un intérimaire sacrifie des animaux sans en avoir la compétence, notamment en cisaillant plutôt qu’en saignant nettement l’animal. Mais finalement, peu importe le contrat ou le statut de l’intervenant : la responsabilité incombe au responsable de l’établissement qui doit s’assurer que la personne chargée de mettre à mort les animaux sur la chaîne dispose de la compétence nécessaire. Telle est la préoccupation de nos services au titre de la protection animale.

Le recours au vidéo-contrôle est parfois présenté comme une solution de nature à pallier une défaillance de nos services. Deux points me paraissent devoir être rappelés à cet égard.

Premièrement, dans son rapport d’avril dernier, l’OAV a jugé globalement satisfaisant le niveau de protection des animaux dans les abattoirs en France – je ne parle pas du niveau de bien-être animal. Certes, il est normal d’être choqué par les mauvais traitements infligés aux animaux, comme on le voit dans les vidéos en question. Mais de là à faire un amalgame entre le niveau de protection des animaux en France et les pratiques observées dans ces vidéos, il y a un pas qu’on ne saurait franchir.

Deuxièmement, juger de telles images suppose que l’on ait les compétences pour ce faire. C’est notamment le cas sur un point précis, jugé déterminant pour qui se préoccupe du bien-être des animaux : la perte de conscience et l’appréciation de la perte de conscience des animaux étourdis avant d’entamer les opérations d’habillage. Tous les scientifiques vous diront que les animaux inconscients – l’inconscience étant une absence d’activité du cerveau prouvée scientifiquement par la technique de l’électroencéphalogramme – ont des mouvements réflexes, c’est-à-dire ne faisant pas intervenir le cortex. Or un mouvement réflexe observé sur une vidéo, notamment lors du mouvement du couteau au moment de la saignée, peut être troublant pour un citoyen lambda qui croira que l’animal est encore conscient, alors qu’il est bel et bien inconscient. Par conséquent, ce genre d’image ne devrait pas être diffusé au grand public qui n’a pas forcément les connaissances scientifiques pour les interpréter. Bien évidemment, cela n’enlève rien à la nécessité de détecter, et de condamner, les mauvais traitements et les actes de cruauté évidents : ils relèvent, je le redis, de la responsabilité du responsable d’établissement qui doit faire respecter la procédure de maîtrise du bien-être animal par son personnel.

M. Patrick Dehaumont. Selon moi, l’essentiel des contrôles ne porte pas sur les documents administratifs, car nous menons un travail technique important. Comme je l’ai expliqué, l’inspection sanitaire est très codifiée, tout comme l’inspection ante mortem car il faut aller voir les animaux et identifier ceux qui sont blessés ou malades. Mais il y a aussi, bien évidemment, un contrôle administratif : il faut en particulier vérifier les documents d’identification des animaux. Mais ce n’est pas l’essentiel du travail.

Les tâches de protection animale et les tâches d’inspection sanitaire des agents du programme 206 relèvent d’obligations communautaires : il est difficile d’envisager de les alléger, à moins de prendre un risque inutile, sanitaire, mais aussi économique : il y va de la confiance de nos partenaires étrangers vis-à-vis du système français qui certifie officiellement des exportations d’animaux vivants et de denrées. En fait, l’allégement des mesures me paraît impossible puisque notre action s’inscrit dans un cadre extrêmement contraint. D’ailleurs, l’OAV inspecte les États membres et les pays tiers : nous faisons l’objet d’une dizaine d’audits par an sur des sujets très variés, dont une inspection en 2015 sur la protection animale et, au mois de juin, nous mènerons avec cet organe d’inspection une évaluation générale de toutes les missions en cours. Nous sommes donc inspecteurs, mais aussi inspectés…

Mme Sylviane Alaux. Je suis de votre avis sur l’interprétation des vidéos : on se souvient tous d’avoir vu dans notre enfance un canard continuer de courir après s’être fait couper la tête…

Des auditions ont dénoncé deux choses, et les abattoirs visés ne les ont pas contestées. D’abord, le temps d’étourdissement peut être dépassé si le salarié est occupé à autre chose ou est interpellé, et l’animal reprendre conscience. Ensuite, l’étourdissement lui-même, selon la méthode utilisée, n’est pas forcément adapté à la taille ou à la race de l’animal – bovin ou ovin. Ce salarié qui cognait un agneau, comme on l’a vu sur une des vidéos, sentait bien que la bête était encore bien vive…

M. le rapporteur. L’étourdissement réversible peut être considéré comme un défaut, mais a été présenté comme une possibilité pour améliorer les conditions d’abattage rituel. Qu’en est-il exactement ? Existe-t-il un étourdissement réversible, susceptible d’être accepté par les cultes qui demandent des dispositions spécifiques ?

M. Jacques Lamblin. Monsieur Languille, je connaissais le rapport de l’OAV qui reconnaît la qualité des pratiques dans les abattoirs français. Cela étant dit, ces scandales à répétition jettent le discrédit sur l’ensemble de la filière, ce qui est dramatique, si bien que notre objectif est de trouver des solutions dans le cadre des moyens financiers actuels. C’est dans ce sens que j’ai posé des questions sur le vidéo-contrôle, et non pour pointer du doigt qui que ce soit ou faire un quelconque amalgame. Selon vous, le vidéo-contrôle peut-il vous aider à améliorer le contrôle, à moyens financiers à peu près constants, même si j’ai bien compris, monsieur le directeur général, nécessiterait tout de même quelques moyens humains supplémentaires ?

Enfin, M. le rapporteur a posé une question très intéressante sur l’étourdissement réversible, acceptable par certains rites.

M. Thierry Lazaro. M. Languille a répondu sur l’interprétation des vidéos. En tant que militant, sans doute peut-on avoir tendance, à un moment ou à un autre, à surexploiter une affaire – je ne sais pas si c’est le cas, c’est une question que je pose. D’autre part, lors du colloque en novembre de l’Ordre national des vétérinaires, deux écoles se sont affrontées – les adeptes du véganisme/végétarisme contre les amateurs de viande. Intégrez-vous cet aspect militant qui a le mérite d’exister et, si oui, dans quelles conditions ?

M. Patrick Dehaumont. Il existe en effet une technique dite « d’étourdissement réversible », mais la question est celle de son acceptation par les cultes. Je ne peux pas en dire beaucoup plus…

M. le rapporteur. Donc l’étourdissement réversible existe.

M. Patrick Dehaumont. A priori, cela existe.

Mme Laurence Abeille. Il nous faudrait des réponses précises, monsieur le président.

M. le président Olivier Falorni. Monsieur le directeur général, il faudrait que vous nous indiquiez si l’étourdissement réversible existe.

M. Patrick Dehaumont. L’électronarcose peut être réversible sur les volailles. Il n’en est pas de même avec l’assommage chez les bovins, au moyen d’une tige perforante, qui est une technique différente. En fait, la question de la réversibilité se pose surtout pour les volailles pour lesquelles les exportations sont importantes vers des pays qui demandent des animaux abattus rituellement. Ainsi, se pose la question de l’acceptabilité par les cultes de ces techniques lorsqu’elles existent.

Enfin, pour répondre à la dernière question de M. Lazaro, nous intégrons les aspects militants contribuant à l’amélioration de la protection animale, mais pas ceux qui promeuvent la disparition de l’élevage ou de la consommation de viande. C’est clair…

Nous allons vous remettre aujourd’hui des fiches techniques, notamment sur les conditions d’inspection, et nous vous enverrons rapidement des éléments complémentaires répondant à vos différentes questions, notamment des chiffres sur les abattages. Nous restons bien sûr à votre disposition pour vous apporter d’autres éléments complémentaires.

M. le président Olivier Falorni. Il me reste à vous remercier, monsieur le directeur général, mesdames, monsieur, de ces réponses précises. Nous aurons l’occasion d’évoquer avec le ministre de l’agriculture un certain nombre de points qui ont été abordés dans cette réunion.

La séance est levée à dix-huit heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du mercredi 4 mai 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Yves Caullet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, Mme Geneviève Gaillard, M. Jacques Lamblin, M. Thierry Lazaro, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Arnaud Viala

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Yves Daniel, M. Hervé Pellois, M. François Rochebloine, M. Fabrice Verdier