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Commission d’enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Mercredi 4 mai 2016

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des représentants des syndicats d’abattoirs, avec la participation de M. Éric Barnay, président, et de M. André Eloi, directeur de la Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de services (FNEAP), de M. Mathieu Pecqueur, directeur général adjoint de Culture viande et de M. Henri Thébault, membre du conseil d’administration de la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV)…

La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.

M. le président Olivier Falorni. Mes chers collègues, nous accueillons maintenant, pour une table ronde, des représentants des syndicats d’abattoirs : M. Éric Barnay, président de la Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de service (FNEAP), et M. André Eloi, son directeur, M. Mathieu Pecqueur, directeur général adjoint de Culture viande, et M. Henri Thébault, membre du conseil d’administration de la Fédération nationale de l’industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV).

Je vous rappelle, messieurs, que nos auditions sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Éric Barnay, André Eloi, Mathieu Pecqueur et Henri Thébault
prêtent successivement serment.)

M. Éric Barnay, président de la Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de service (FNEAP). Mesdames, messieurs les députés, je suis président de la Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de service qui existe depuis quarante-deux ans, et par ailleurs directeur d’un abattoir dans le sud de la France.

Notre fédération regroupe 112 abattoirs répartis sur le territoire national dont l’activité est essentiellement le service d’abattage d’animaux de boucherie. Ces établissements multi-espèces – vaches, veaux, agneaux, porcs, parfois du gibier – peuvent être des entreprises privées, ou des structures fonctionnant en régie municipale ou en délégation de service public. Nos utilisateurs sont principalement des bouchers abatteurs, mais aussi des éleveurs que l’on appelle des chevillards, des grossistes en viande, et des industriels. Les opérateurs qui travaillent sur la chaîne sont multitâches, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas spécialisés dans une activité. Nos abattoirs sont des outils de proximité, qui participent à l’aménagement du territoire. Nous estimons que nous ne sommes pas en concurrence avec les industriels, mais plutôt complémentaires. La taille de nos outils est très diverse : de 200 tonnes jusqu’à 25 000 tonnes par an.

La FNEAP est la seule fédération à avoir son propre organisme de formation pour tout ce qui touche à la transformation des viandes, notamment l’abattage mais aussi la découpe. La formation est une obligation réglementaire. Depuis 2013, la protection animale est une de nos activités. Cet organisme de formation, qui s’appelle l’Adofia, est habilité par le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (MAAF) pour délivrer les certificats de compétence protection animale (CCPA). Il est ouvert à toutes les entreprises, même celles qui ne sont pas affiliées à notre fédération.

Enfin, notre fédération représente de 10 à 12 % de l’activité nationale d’abattage et de 2 500 à 3 000 emplois.

M. André Eloi, directeur de la Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de service. Notre particularité est d’être des d’abattoirs multi-espèces. De ce fait, nos opérateurs sur la chaîne sont totalement polyvalents, en termes d’espèces et de catégories travaillées comme en termes de postes occupés, contrairement à certains abattoirs industriels où un homme égale un poste.

Bon an mal an, les 112 abattoirs affiliés à notre fédération traitent chaque année 360 000 tonnes d’animaux de boucherie. Nous avons également la particularité de fédérer l’ensemble des abattoirs ultramarins – Guadeloupe, Martinique, La Réunion, Nouvelle-Calédonie, Tahiti.

M. Mathieu Pecqueur, directeur général adjoint de Culture viande. Culture viande est l’un des syndicats qui représente les entreprises françaises du secteur de la viande bovine, ovine et porcine en France.

Nous regroupons soixante-dix adhérents, 150 établissements – des entreprises plutôt de plus grande taille que celles que représente la FNEAP – et 35 000 salariés. Nous représentons 75 %, toutes filières confondues, de l’abattage d’animaux de boucherie en France – 84 % pour le porc et 65 % pour les bovins. Bien sûr, nous nous adressons à tous les débouchés possibles pour la viande, principalement la grande distribution qui représente 45 %, mais aussi la transformation, l’exportation qui représente 16 %, la restauration hors domicile (RHD) et les boucheries traditionnelles.

Nos différentes fédérations d’abattage ont fait des communiqués communs à la suite de la diffusion des vidéos de l’association L214. Nous condamnons avec la plus grande fermeté les actes de maltraitance que l’on peut y voir, parfaitement intolérables, pour vous et surtout pour les salariés qui travaillent dans nos entreprises. Les salariés savent tous les efforts à réaliser en termes de formation, de bonnes pratiques pour le bien-être des animaux. Ce que montrent ces vidéos constitue une remise en cause pour les salariés ; c’est un vrai coup qui leur est porté.

Nous ne sommes pas non plus candides : outre le respect du bien-être animal et la dénonciation de pratiques inexcusables, ces vidéos ont également été diffusées pour faire porter une voix végétaliste, qui vise à lutter contre la viande en général. Nous avons bien vu, lors de leur audition devant votre commission d’enquête, que les représentants de l’association L214 aiment à généraliser ce genre de pratiques, ce sur quoi nous nous inscrivons en faux. Nous considérons que ce que l’on voit dans ces vidéos n’est pas généralisé dans nos outils. Toutes les bonnes pratiques que nous pouvons mettre en œuvre, tant en termes de formation que de management humain, visent à garantir, dans nos outils, le bien-être animal.

M. Henri Thébault, membre du conseil d’administration de la Fédération nationale de l’industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV). La Fédération nationale de l’industrie et du commerce en gros des viandes œuvre au service des entreprises depuis 1925. C’est une organisation française représentative des entreprises de la viande et des produits dérivés. Elle défend les activités de l’industrie – abattoirs, industrie de découpe, ateliers de transformation et entreprises de préparation –, du commerce en gros et du commerce international.

Les produits commercialisés par les adhérents de la FNICGV portent sur les viandes bovine, porcine, caprine, ovine et chevaline. Notre fédération regroupe 300 membres environ et représente 25 000 salariés.

Il existe diverses commissions au sein de notre fédération, dont une commission « abattoirs ». Gilles Gauthier, le président de notre fédération, a souhaité que ce soit un détenteur d’un outil d’abattage qui vienne s’exprimer devant votre commission d’enquête. D’où ma présence aujourd’hui. Je possède en effet en Bretagne, dans le petit bourg de Quintin cher à l’un de vos collègues, un outil d’abattage de petite dimension, multi-espèces, qui traite 1 800 tonnes par an. Il m’a semblé normal que je vienne devant vous en tant que dirigeant mais aussi acteur dans cet outil où je suis en permanence, afin que vous sachiez comment nous y travaillons et comment nous y prenons en considération le bien-être animal.

En regardant les auditions que vous avez déjà effectuées, nous avons entendu des choses que nous n’acceptons pas. Voilà pourquoi je veux d’ores et déjà vous donner mon sentiment.

Il a été dit que le volet relatif à la protection animale avait pris du retard dans les abattoirs. Ce n’est pas vrai : la plupart des abattoirs ont pris des mesures bien avant que la réglementation ne l’impose. Le bien-être animal est une préoccupation majeure dans nos outils depuis de nombreuses années. Les professionnels ont diffusé, avant 2013, des guides de bonnes pratiques pour nos opérateurs, afin de permettre une meilleure appropriation du règlement. Autrement dit, nous avons anticipé la préoccupation du bien-être animal.

Le règlement européen a introduit des modes opératoires normalisés qui consistent à anticiper tout ce qui peut se passer dans un outil d’abattage. L’opérateur connaît ainsi la conduite à tenir dans chaque situation. Notre commission « abattoirs » organise une réunion téléphonique tous les mois au cours de laquelle les détenteurs d’un outil d’abattage peuvent exposer leurs soucis et leurs attentes.

La formation au certificat de compétence est une formation interne qui dure quarante-huit heures. Une première session théorique a lieu au cours de laquelle différentes situations sont exposées dans des vidéos. Puis on en vient à la session pratique.

Pour ma part, je suis issu du monde rural. J’ai été négociant en bestiaux et éleveur
– nous l’étions de père en fils. Lorsque j’ai acheté cet outil d’abattage, il m’a été très facile d’apporter mon expérience et de la transmettre à tout mon personnel. Cela nous a énormément aidés.

Notre fédération fait appel à un organisme extérieur de formation dirigé par un docteur vétérinaire qui apporte son savoir en matière sanitaire en plus de l’aspect bien-être animal.

Je me réjouis que M. Le Foll ait décidé qu’un responsable de la protection animale (RPA) devra être présent dans tous les abattoirs, quels qu’ils soient. On se doit de connaître le respect du bien-être animal dès lors que l’on met une bête en abattage. Il est inadmissible que certains outils n’aient pas de RPA.

Je trouve également normal que le RPA soit un responsable. Il ne s’agit pas de fliquer les opérateurs pendant leur travail, mais de faire le lien entre l’opérateur, son directeur ou tous les services de l’outil d’abattage, au même titre que le responsable qualité qui lève le pouce sitôt que quelque chose ne va pas sur la chaîne d’abattage. Je ne vois donc pas d’inconvénient à ce que l’on donne davantage de force au RPA.

Je veux revenir sur les signes de perte de conscience. Lors de la précédente audition, les intervenants ont bien expliqué les choses. Les représentants de l’association L214 montrent des animaux qui se débattent au bout d’une chaîne. Certes, ils se débattent, mais les représentants de l’association ne savent pas apprécier s’ils sont encore vivants, comme ils le soutiennent, ou morts. Il faut savoir que ces animaux sont morts. Mais ils ont encore certains réflexes qui font qu’ils peuvent continuer à se débattre au bout d’une chaîne.

Un animal étourdi s’effondre. Il ferme les yeux. Il rouvre les yeux quatre secondes plus tard environ. Il arrête de respirer, il tremble, il étend ses pattes avant et pédale avec ses pattes arrière. Mais ce n’est pas parce que l’animal pédale au bout d’une chaîne qu’il n’est pas mort ; encore faut-il le savoir. Il est écrit dans le guide des bonnes pratiques que l’indicateur de chute au premier tir est de 95 %. Autrement dit, c’est le chiffre demandé pour une bonne exécution de l’assommage des animaux. Dans mon abattoir, il peut arriver – une fois tous les quinze jours – qu’un opérateur loupe un animal du premier coup et qu’il doive pratiquer une nouvelle percussion. Si nous avons un si faible taux d’échec, c’est parce que le piège à contentieux est bien adapté, ce qui participe au bien-être animal. Dans l’affaire de l’abattoir d’Alès, on a parlé de l’abattage rituel, ce qui fait que les animaux qui se débattent ; mais ce qui m’a choqué le plus, c’était le piège à contention, qui ne convenait pas du tout. C’est donc un point qu’il conviendra d’éclaircir.

M. le président Olivier Falorni. La FNEAP dispense des formations relatives au bien-être animal lors de l’abattage. Pouvez-vous nous présenter un peu plus précisément cette formation ? Combien de temps dure-t-elle ? Quel est le public concerné ? Combien de salariés formez-vous chaque année ? Comment est abordé le bien-être animal dans ces formations ? Je m’adresse aux représentants de la FNEAP, car il me semble que ce sont les seuls à délivrer cette formation.

Ma deuxième question s’adresse à vous tous : êtes-vous favorable à la vidéosurveillance ? Pensez-vous que ce dispositif pourrait entraîner de réels changements dans les pratiques ? Que pensez-vous de l’idée d’un étiquetage de la viande intégrant des critères de bien-être animal ?

Quelle est votre opinion sur les abattoirs mobiles ou itinérants ?

Comment expliquez-vous les comportements que l’on peut observer sur les vidéos diffusées par l’association L214 ? J’ai bien entendu que vous condamniez ces actes choquants. Quels sont les éléments, techniques ou humains, qui peuvent conduire à de tels dérapages ?

Mme Laurence Abeille. Les vidéos des lanceurs d’alerte ont choqué tout le monde. Comment pouvez-vous expliquer que de tels actes aient pu se produire ?

Pouvez-vous nous communiquer les noms des autres organismes de formation qui existent en France ? Existe-t-il des différences en ce qui concerne la durée de ces formations ? S’agit-il de formations en alternance ? Y a-t-il une formation continue ? Comment est délivré le certificat de compétence ? Quel est le contenu de ces formations ? Combien d’heures sont consacrées au bien-être animal ? Quelles sont les compétences des formateurs sur ce sujet-là ? Faites-vous appel à des éthologues ou à des spécialistes du comportement animal ?

Quelles sont vos relations avec les services de l’État ? Les contrôles se passent-ils bien ? Sont-ils suffisants pour ce qui touche au bien-être animal et aux conditions de travail des personnels ? On le sait, leurs conditions de travail sont difficiles : tuer des animaux n’est pas un geste anodin.

Quelle est la part de la viande issue de l’abattage dit rituel dans vos exportations ? Avez-vous constaté une évolution en ce qui concerne le recours à l’abattage dit rituel ?

Mme Françoise Dubois. Ce qui nous préoccupe surtout, c’est la formation des personnels. Le point clé pour beaucoup d’abattoirs, c’est que les employés soient bien formés. J’ai le sentiment que la formation théorique ne dure pas assez longtemps.

Les salariés ont-ils la possibilité de bénéficier d’un suivi psychologique ? Pratiquer des abattages peut être assez éprouvant, ce qui pourrait expliquer certains dérapages en fin de journée ou quand il y a beaucoup de bêtes à abattre ?

M. William Dumas. Je souhaiterais savoir quel est le prix au kilo de l’abattage. Jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à le savoir. C’est le flou artistique…

Pratiquez-vous l’abattage rituel dans vos abattoirs ?

M. Barnay a indiqué que les personnels étaient polyvalents, capables d’intervenir sur tous les animaux. Le turn over est-il pratiqué au poste d’abattage ?

M. Éric Barnay. Tous les salariés qui pratiquent la manipulation des animaux, du déchargement jusqu’aux pièges, y compris l’assommage et la saignée, ne le font que s’ils ont obtenu le certificat de compétence. Il appartient à chaque entreprise d’y affecter le nombre d’employés adéquat ; en général, plusieurs personnes s’en occupent, dans le cadre d’un turn over. Nous avons fait un communiqué commun où nous avons rappelé que des règles existent depuis longtemps et qu’elles ne sont pas discutables.

Lors de l’épreuve, les candidats se voient poser beaucoup de questions, par espèce et par type d’animal. Ces questions, aléatoires, ont été préparées par les services de l’État. Ce n’est pas l’organisme de formation qui rédige le questionnaire. À l’issue de la réussite de l’évaluation, le candidat se voit délivrer individuellement, via le préfet, son certificat de compétence qui est envoyé à son domicile. Et pour ce qui est de l’abattage rituel, les sacrificateurs eux aussi, en règle générale, doivent présenter ce certificat de compétence.

M. André Eloi. La FNEAP n’est pas le seul organisme à dispenser la formation protection animale, mais nous sommes la seule organisation professionnelle à avoir un organisme de formation affilié habilité par le ministère de l’agriculture à dispenser et à délivrer des certificats de compétence protection animale.

Vous trouverez la liste des organismes habilités dans le Journal officiel. Si vous le souhaitez, nous pourrons vous la transmettre assez rapidement. L’habilitation des organismes de formation est régie par toute une série de textes. Nous avons été les premiers à être habilités, avec cinq ou six autres. Mais nous sommes le seul à être affilié à une fédération d’abattage. Et j’ai le privilège d’en être aussi le directeur…

Je suis un peu surpris de vos remarques concernant la faiblesse des formations en ce qui concerne le certificat de compétence. En tant que formateur, je puis vous assurer que pour les salariés c’est une très bonne sensibilisation théorique au bien-être animal. Nous délivrons deux types de certificats : un certificat de compétence protection animale pour les opérateurs et un autre pour les responsables.

S’agissant des opérateurs, la formation dure deux jours s’ils traitent toutes les espèces. Nous travaillons par modules : la mise à mort, l’abattage sans étourdissement et la manipulation des animaux. Il faut multiplier ces modules par le nombre d’espèces concernées. C’est d’autant plus important chez nous que nos opérateurs travaillent essentiellement en multi-espèces.

Comme l’a dit notre président, notre organisme de formation est habilité par les pouvoirs publics, mais ce n’est pas nous qui délivrons le certificat. Au bout de ces deux jours, les salariés passent un vrai examen : c’est une évaluation sous forme de questionnaire à choix multiples. Ce questionnaire apparaît de façon aléatoire en fonction du profil que l’on aura rentré dans le logiciel du ministère de l’agriculture. Cela n’a rien d’une formation galvaudée. C’est une très bonne initiation de départ à la protection animale pour des salariés qui découvrent des notions théoriques, mais qu’ils appliquent depuis de nombreuses années dans leurs entreprises. Autrement dit, le certificat de compétence formalise une formation à la protection animale.

Nous organisons aussi d’autres formations : sécurité du personnel, formation sanitaire, management des hommes, etc. Le certificat de compétence protection animale ne concerne que la protection animale, sujet pour lequel vous nous avez réunis aujourd’hui.

L’autre certificat de compétence protection animale est réservé au responsable protection animale. Leur formation dure trois jours : la différence par rapport au certificat des opérateurs tient surtout à la place réservée aux questions réglementaires : il faut savoir que le responsable protection animale sera chargé de coordonner de façon globale la politique de la protection animale dans l’entreprise. Tout comme les opérateurs, il passe un examen à l’issue de sa formation. Il doit répondre à une cinquantaine de questions, contre une quarantaine pour l’opérateur. De la même manière, son certificat lui est délivré à titre individuel par le préfet, envoyé directement à son domicile ; il est valable cinq ans. Nous recommandons à tous nos abattoirs de présenter ce certificat de compétence aux autorités de contrôle dans l’abattoir.

M. Éric Barnay. De nombreux abattoirs ont déjà installé des caméras de vidéosurveillance. On pouvait craindre que ce dispositif ne risque de casser la confiance qui existe entre la hiérarchie des abattoirs et les opérateurs. Mais s’il faut rassurer le consommateur, je pense que l’installation de ces vidéos ne posera pas de problème. Reste à savoir quelle exploitation sera faite de ces vidéos ? Si les services de l’État ou d’autres structures ont tous les mêmes critères d’appréciation de l’état d’inconscience, il n’y aura pas de souci. Bien sûr, ces images devront rester chez les professionnels. Il faudra définir un cadre en ce qui concerne l’exploitation des images. Chez nous, je pense que cela se fera sur la base du volontariat, à moins qu’il y ait une exigence réglementaire. Mais beaucoup de nos adhérents y sont disposés.

J’ai participé, avec des fabricants de matériels, à une réflexion sur les abattoirs mobiles. Un outil mobile est-il capable de respecter tous les critères sanitaires imposés aux outils d’abattage ? Si c’est le cas, pourquoi pas ? Mais cela ne va pas aller sans poser quelques petits problèmes. On vient en effet de parler du certificat de protection animale : il faudra que ceux qui travailleront dans ces abattoirs mobiles aient aussi ce certificat et qu’ils répondent à tous les mêmes critères que ceux qui exercent tous les jours. Se pose donc la question de l’habilitation des personnels qui travailleront dans ces outils.

Nous ne sommes pas opposés à un étiquetage bien-être animal si cela peut rassurer le consommateur. Les étiquetages sur le bio, les labels rouges correspondent à des cahiers des charges. Des critères de bien-être animal ont déjà été introduits dans certains cahiers des charges, mais ce n’est pas transparent pour le consommateur. Que voulez-vous rajouter exactement ? Les abattoirs sont un maillon de la chaîne en termes de prestation de service. Effectivement, pourquoi ne pas transmettre une information via l’étiquetage ?

Vous nous interrogez sur le suivi psychologique des personnes qui pratiquent l’abattage. Nous ne nous sommes pas trop penchés sur la question. Les vidéos qui ont été diffusées concernaient des cas isolés. Nos cadences ne semblent pas de nature à influer sur l’état psychologique du personnel. Mais peut-être faut-il, comme dans toute entreprise, écarter des personnes de certaines tâches. Il ne faut pas oublier que la qualité de la viande dépend aussi de la qualité de l’abattage. Cela fait de nombreuses années que l’on prend en compte le critère de la qualité de l’étourdissement de l’animal dans la qualité de la viande.

M. Mathieu Pecqueur. Vous trouvez la formation trop théorique, mais il ne faut pas oublier qu’elle s’adresse à des opérateurs présents tous les jours sur la chaîne. Elle leur sert de support théorique à ce qu’ils voient dans la pratique. Il faut qu’un salarié comprenne pourquoi un animal peut avoir des mouvements réflexes tout en étant mort ou inconscient, il faut qu’il comprenne qu’il vaut mieux avoir une bouverie calme pour que les animaux soient apaisés et qu’ils avancent vers le poste, il doit savoir où se placer pour faire avancer un bovin. Cela a beau être théorique, il le met en pratique tous les jours.

Mme Françoise Dubois. Je ne comprends pas bien : vous dites que la formation théorique s’adresse à des salariés qui sont déjà tous les jours sur la chaîne…

M. Mathieu Pecqueur. L’obligation de former nos salariés au bien-être animal date de 2013. Nous avons formé les salariés qui travaillaient déjà ou qui sont arrivés depuis sur nos chaînes. Et ils y sont toujours…

Ce support théorique aide les salariés à comprendre le comportement de l’animal. Cela fait un bien fou aux salariés, du point de vue psychologique, de savoir comment il faut réagir quand on a raté son étourdissement, comment il faut réagir pour s’assurer que l’animal est bien inconscient. Nos entreprises et nos salariés se préoccupent du bien-être animal. Ce support théorique est très important pour eux. Je veux insister sur le fait que le contenu de ces formations est validé par le ministre de l’agriculture, et que les questions qui sont tirées au sort sont préparées par le ministère. Les candidats passent l’examen dans une salle avec un formateur qui vient vérifier qu’ils répondent aux questions posées.

S’agissant du certificat de compétence des opérateurs, entre dix et trente-cinq personnes, suivant la taille des outils, sont formées à la compréhension du bien-être animal. Et deux à trois RPA sont systématiquement présents dans nos outils : ils veillent à ce que les opérateurs appliquent bien les procédures, ils enregistrent les problèmes qui ont pu survenir et s’efforcent de s’inscrire dans une logique de progrès et de suivi du bien-être animal. 6 000 certificats de compétences par espèce et un peu plus de 1 000 certificats RPA ont déjà été délivrés. Ce n’est pas rien. Il a fallu former ces salariés. C’est vraiment un thème que les entreprises ont pris à bras-le-corps.

Mme Laurence Abeille. Pouvons-nous, nous aussi, nous procurer ces questionnaires à choix multiples sur le site du ministère de l’agriculture ?

M. André Eloi. Non. Il faut être inscrit.

M. le président Olivier Falorni. Nous les demanderons au ministre lorsque nous l’auditionnerons.

Mme Laurence Abeille. Quel est le taux de réussite à cet examen ?

M. André Eloi. Pour notre part, nous avons formé 960 opérateurs au CCPA et nous avons obtenu un taux de réussite de 100 %. Mais un salarié qui rate son examen la première fois peut revenir en rattrapage. ; c’est arrivé plusieurs fois. Et nous avons mis en place 189 responsables protection animale.

M. Mathieu Pecqueur. Jamais une caméra de vidéosurveillance ne viendra remplacer l’encadrement et le management des équipes ou la sensibilisation de nos salariés. Culture viande considère que la vidéosurveillance peut être un outil pour certains établissements qui le souhaitent, mais elle ne doit en aucun cas devenir obligatoire, pour différentes raisons.

Pour commencer, l’exploitation des images peut avoir des effets pervers. Il faut être lucide : il n’y aura jamais une personne postée pour les regarder en direct. Autrement dit, ces vidéos ne serviront pas à éviter des actes de maltraitance mais à les constater a posteriori. Certains comptent sur l’effet dissuasif de ces caméras ; mais les opérateurs oublieront très vite leur présence et n’y penseront plus. La dissuasion, je n’y crois pas une seconde… Qui plus est, il faudrait à tout le moins garantir une confidentialité totale des images.

Au final, la formation du personnel et leur encadrement par un RPA sont beaucoup plus efficaces qu’une caméra. Et je n’ai pas parlé des préposés vétérinaires, présents en moyenne à dix ou quinze, voir à trente-cinq dans certains abattoirs. Globalement, les salariés sont en permanence sous surveillance pour ce qui touche au bien-être animal. Ce n’est pas une caméra qui viendra changer quelque chose.

S’agissant des vidéos diffusées par l’association L214, des enquêtes sont en cours. Je n’entrerai pas donc dans le détail. On ne peut pas expliquer de tels actes. Je considère que ce que l’on voit sur ces images ne peut pas se produire si un encadrant est présent et qu’il remonte les bretelles au salarié au moindre acte de maltraitance. Peut-être certains équipements ne sont-ils pas totalement adaptés ; je laisse aux experts de l’équipement le soin de le dire. Je pense qu’il y a eu une défaillance managériale. Quand des encadrants et des collègues constatent que de tels actes sont commis, ils ne doivent pas les laisser passer.

Je ne suis pas le mieux placé pour répondre à la question des abattoirs mobiles. J’ai du mal à comprendre comment ils pourront répondre aux mêmes exigences que les autres en termes de sécurité sanitaire. On compare les RPA à des responsables qualité ; dans les abattoirs mobiles, nous n’aurons pas la possibilité de mettre en place une telle surveillance. Ce type d’établissement peut représenter une solution dans quelques zones bien particulières, mais je ne pense pas que de telles structures puissent être généralisées sur l’ensemble du territoire. Je sais que certains pays ont développé les abattoirs mobiles, mais il s’agit de régions où la production est très faible. En France, le volume d’animaux à traiter est tel que le sujet de l’abattoir mobile devient quasiment invalide.

M. Henri Thébault. S’agissant des abattoirs mobiles, outre l’aspect sanitaire il ne faut pas oublier le volet environnemental. Que faire des déchets des animaux que l’on abattra dans de prétendues bonnes conditions ? Qui va endosser les coûts ? Je ne sais pas par combien il faudra multiplier le prix de la viande. La fédération que je représente et moi-même n’accepterons pas de recevoir, pour les commercialiser, des animaux qui auront été abattus ailleurs que dans nos outils, car c’est bien nous qui apportons des garanties sanitaires quand les animaux sont passés par nos abattoirs. Certains articles de presse soutiennent qu’il n’y aura pas de maltraitance des animaux. Mais la maltraitance commence à l’élevage. Heureusement, beaucoup d’éleveurs sont consciencieux, comme il y a beaucoup d’abattoirs consciencieux qui ne maltraitent pas les animaux.

Comme je gère un abattoir de proximité qui pratique la vente directe, je ne suis pas bien placé pour vous parler exportations. Toutefois, ma fédération pourra vous communiquer des chiffres sur l’exportation.

Mon abattoir traite un faible tonnage : 2 000 tonnes par an ? Huit personnes travaillent sur la chaîne d’abattage, plus moi-même. Nous n’avons pas une cadence qui nécessite le recours à un soutien psychologique. Notre petite équipe commence le travail à six heures du matin. Nos journées durent dix heures les premier et deuxième jours, où l’affluence est la plus forte ; ensuite l’activité redescend. Une fois l’abattage terminé, mes employés passent dans la salle de découpe. Nous ne sommes pas toujours assidus à l’abattage et à l’amenée des animaux. Ce n’est certainement pas la même chose dans les outils de fort tonnage. Dans ma région, certains abattoirs traitent plus de 100 000 tonnes. C’est un autre concept.

S’agissant de la vidéosurveillance, je ne partage pas forcément l’avis du représentant de Culture viande. Tout dépend de la manière dont elle sera employée. Il ne s’agit pas de fliquer l’opérateur : c’est un outil pédagogique qui servira à analyser les comportements. L’opérateur qui aura fait un mauvais geste pourra regarder la vidéo et essayer de comprendre ce qui ne va pas ; mais il ne faudra pas attendre six mois. On ne peut pas se permettre d’engranger des images si elles ne servent à rien.

Je suis absolument contre la divulgation des images. Elles sont la propriété de l’outil. Si des instances nous demandent des images pour aller plus loin, je serai dans l’obligation de les fournir, mais cela devra se faire dans un cadre bien précis d’informations ciblées.

M. le président Olivier Falorni. Comment expliquez-vous les vidéos diffusées par l’association L214 ?

M. Henri Thébault. Je ne pouvais pas imaginer qu’on aurait besoin d’une commission d’enquête pour travailler sur ce sujet. Il est inacceptable de voir de telles images en 2016.

Dans un outil comme le mien, on voit tout ce qui s’y passe. Le représentant des services vétérinaires est présent à la pesée mais il lui suffit de regarder un peu sur la droite pour voir le poste d’assommage. S’il voyait des animaux continuer à se débattre ou abattus dans de mauvaises conditions, cela l’interpellerait. Peut-être y a-t-il eu un défaut de présence ; mais je ne veux incriminer personne. À mon avis, l’opérateur que l’on voit sur la vidéo n’a pas une bonne formation. Mais surtout, les outils dont il dispose ne sont pas adaptés pour l’abattage des animaux. Au Vigan, ils ont un piège à porcs magnifique – j’ai le même –, mais il manque une douchette pour mouiller la tête de l’animal de manière à bien réussir l’abattage. Quand vous mettez une pince à électronarcose sur une tête de porc humidifiée, le courant passe bien, même s’il bouge. Mais si la tête est sèche… Pour les agneaux et les porcelets, ils se servent d’un restrainer, mais cela ne convient pas du tout pour tuer quatre agneaux en une heure. Un box d’abattage pour les agneaux bien conçu permet de faire un travail très correct. Un restrainer est conçu pour les fortes cadences, et à condition qu’il y ait un nombre approprié d’hommes sur les postes. Pas loin de chez moi, j’ai un abattoir qui tue plus de 400 agneaux en une heure : ils ont un restrainer. Les gens sont postés pour qu’il n’y ait aucune erreur. Et on peut arrêter le restrainer quand on veut. Sur la vidéo, on voit des animaux se sauver et gambader dans l’abattoir : c’est une catastrophe. En tant que professionnel, je suis choqué de voir cela. Il s’agit d’un personnel qui manque de surveillance et qui n’a pas été éduqué. Et la faute, je suis désolé de dire cela, incombe au responsable de l’outil, qui n’est pas présent.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Je veux revenir sur une question qui pose problème depuis le début de nos auditions : quelle est la part de votre travail dans la formation du prix du produit ?

Ce n’est pas par indiscrétion de notre part que nous vous posons cette question. Imaginons que nous préconisions de ralentir les cadences, faire quarante-deux opérations nouvelles, etc. : on ne manquera pas de nous dire que cela coûtera beaucoup plus cher. Mais on ne pourra pas évaluer ce surcoût, savoir s’il est réaliste, acceptable ou compliqué si l’on ne connaît pas quel est actuellement le prix au kilo.

Comme la protection animale est un concept qui est en pratique depuis longtemps mais qui s’est formalisé récemment, il peut apparaître que les couloirs d’amenée, le dessin des logettes n’ont pas toujours bénéficié de la meilleure des sciences en matière de comportement animal. Quelle est la part de progrès que l’on pourrait intégrer, en mettant autant d’énergie dans la conception des outils en matière de bien-être animal que l’on en a mis autrefois dans la marche en avant, les aspects sanitaires, le traitement des effluents ?

Vous avez indiqué que l’obligation à la formation au bien-être animal datait de 2013, mais que vous l’aviez anticipée. Nous sommes manifestement dans une dynamique : si aujourd’hui on forme des gens qui étaient déjà, pour beaucoup d’entre eux, sur la chaîne, on formera demain des opérateurs avant même qu’ils ne se mettent au travail. J’imagine qu’après-demain on sera dans une dynamique d’alternance, de formation sur la chaîne parce que les gens n’auront ni l’expérience ni l’antériorité. Quelle place donnez-vous au progrès ? Peut-il y concevoir des formations avec des degrés différents – initiation, perfectionnement, de la maîtrise à l’expertise ? On pourrait peut-être imaginer des gradations dans la compétence.

M. Éric Barnay. Lors des dernières auditions, vous faisiez allusion à cette constante qu’est le prix. Il est difficile de vous répondre.

M. le rapporteur. On l’a constaté !

M. Éric Barnay. Vous avez réuni aujourd’hui les représentants de trois types d’abattoirs. Pour sa part, la FNEAP a fait une étude, il y a quatre ou cinq ans, qu’elle a rapportée lors d’une assemblée générale. Elle avait calculé que le prix allait de 20 centimes à plus de 1 euro le kilo.

Pour un outil tel que celui que je représente qui traite 7 000 tonnes par an, le prix moyen est de 32 à 35 centimes le kilo-carcasse pour les bovins et les veaux, de 60 à 70 centimes pour les agneaux, et de 22 à 25 centimes pour les porcs. Une part revient à des organismes extérieurs, comme l’interprofession, pour gérer l’équarrissage par exemple. Pour les bovins, il s’agit de 81 euros la tonne. Il faut aussi rémunérer les services de l’État, alimenter des fonds d’élevage, etc. Sur 30 centimes par exemple, 20 à 30 % servent à gérer les choses à l’extérieur.

Je vous livre un critère qu’il faut prendre avec précaution : pour 6 000 tonnes de carcasses consommables, comme c’est mon cas, il y a derrière 2 000 tonnes de sous-produits qui sont tous retraités – les viscères, les crânes, par exemple. Il faut aussi traiter le fumier, les stations d’épuration. Tout cela a un coût.

Le tarif d’abattage ne peut pas être le même pour un abattoir qui traite 200 tonnes et un qui en traite 2 000.

M. William Dumas. Ce qui est important pour nous, c’est d’avoir une fourchette. On sait bien que les prix ne sont pas les mêmes dans l’abattoir du Vigan qui traite 300 tonnes et dans celui d’Alès qui en abat 5 000. Mais ce n’est pas un problème pour le client qui abat au Vigan, dans la mesure où, vendant en circuit court, il récupérera le coût de l’abattage.

M. André Eloi. Les tarifs que vient de donner le président de la FNEAP s’entendent de la gestion de la bouverie jusqu’à la mise en frigos. Ils concernent la prestation technique d’abattage, y compris un certain nombre de taxes qui représentent 20 à 25 % de la facturation – redevances sanitaires pour les vétérinaires et toutes les cotisations interprofessionnelles. Nos abattoirs prestataire de service ont la particularité de ne pas faire de commerce de viande.

M. Mathieu Pecqueur. Le rapport de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires détaille les coûts dans la filière viande. Aussi pourrons-nous vous trouver des éléments.

Ce que sous-tend cette question, c’est celle des cadences des outils d’abattage : en regardant vos dernières auditions, on pourrait croire qu’un outil qui abattrait beaucoup d’animaux et irait vite aurait des mauvaises pratiques en termes de bien-être animal. Nous nous inscrivons totalement en faux contre une telle affirmation. La cadence d’un outil est fonction du nombre de postes que l’on est capable de mobiliser. Certains postes peuvent être doublés lorsque l’on veut aller vite. La cadence de l’outil est due à sa conception : un outil extrêmement efficace sera capable de traiter de 50 à 60 bovins en une heure sans que cela pose le moindre problème en termes de bien-être animal.

Quand on parle de cadence, cela concerne plutôt la partie mécanisée qui se trouve après la mort de l’animal, c’est-à-dire quand on le dépouille, qu’on l’éviscère et qu’on commence à le découper. Nos outils fonctionnent avec une zone tampon en amont de cette chaîne qui est cadencée. La zone tampon c’est l’endroit où a lieu la saignée de l’animal et où on a un stock d’animaux qui doivent permettre d’approvisionner régulièrement la chaîne. On sait très bien qu’il se produit toujours des aléas avec les animaux vivants : personne ne peut garantir une amenée fluide. Par exemple, un animal peut ne pas avoir envie d’entrer dans le piège, un autre peut rester dans le parc d’attente. Nos outils sont conçus pour gérer ces aléas tout en alimentant en continu des chaînes qui vont vite. Des zones de stockage permettent d’alimenter rapidement le piège et le poste de saignée. Après le poste de saignée, il y a une zone d’égouttage – c’est là que l’animal se vide de son sang – où l’on peut stocker un certain nombre d’animaux pour pallier les éventuels incidents d’abattage. Ce n’est donc pas parce qu’une chaîne va vite que l’on n’est pas capable de gérer les incidents. Pour nous, la cadence n’est pas un facteur explicatif de maltraitance animale. D’ailleurs, un représentant de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) vous a indiqué, lors de son audition, qu’il avait visité un outil à la fois extrêmement performant en termes économiques et de bien-être animal.

M. William Dumas. Si nous vous demandons de nous communiquer les prix d’abattage, c’est aussi pour pouvoir les comparer à ceux pratiqués à l’étranger.

M. Mathieu Pecqueur. Ce que vous me dites me donne l’occasion de répondre à un éventuel étiquetage du mode d’abattage. Cette idée de transparence vis-à-vis du consommateur est séduisante et intellectuellement confortable ; toutefois, nous y voyons beaucoup d’effets pervers. La dérogation à l’obligation d’étourdissement est avant tout une question politique. La Commission européenne a prévu en effet des dérogations et la France a, comme d’autres pays, opté pour cette dérogation. Rejeter cette problématique sur l’étiquetage reviendrait quelque part à reporter la responsabilité sur les abattoirs et à leur faire payer les conséquences économiques.

Soyons clairs : pratiquer un abattage sans étourdissement est beaucoup plus compliqué pour les abattoirs. En cas d’abattage avec étourdissement, il se passe deux minutes entre la saignée et la zone d’égouttage, contre cinq minutes trente sans étourdissement. Autrement dit, sans étourdissement il y a ralentissement de la chaîne, ce qui a des impacts en termes économiques. Il ne serait donc pas logique qu’un abattoir pratique l’abattage rituel s’il n’avait pas la clientèle. Je le répète, pratiquer l’abattage sans étourdissement est techniquement difficile, et il est compliqué pour les salariés de gérer des quantités de sang plus importantes et des animaux qui peuvent continuer à bouger. Mais si nos outils ne pratiquent pas d’abattage rituel, le risque est de voir se développer l’importation de viande halal. Sommes-nous capables de parvenir à une conciliation collective sur ce sujet de l’abattage sans étourdissement sachant qu’une multitude de pratiques sont acceptées dans nos outils ? Dans certains endroits, en effet, on pratique l’étourdissement préalable parce qu’il est considéré comme réversible ; d’autres établissements sont capables de pratiquer du soulagement, c’est-à-dire un étourdissement post-jugulation pour que les animaux soient inconscients quelques secondes après la saignée. Voilà des solutions dont nous devrions être capables de discuter parce qu’elles sont plus favorables en termes de bien-être animal. Elles nous permettraient de rester positionnés sur le marché du halal dont nous avons besoin pour le marché intérieur mais aussi à l’exportation puisque nous fournissons les pays du Maghreb, les pays des Émirats arabes, etc. Il faudrait que le discours soit cohérent par rapport à ces pratiques. Reporter ce problème sur l’étiquetage revient à sortir d’une décision qui est avant tout politique.

La mise en place d’un étiquetage aurait pour conséquence l’arrêt de l’abattage sans étourdissement dans la plupart des abattoirs, compte tenu des contraintes économiques que cela entraînerait. Même si un décret prévoit qu’il est indispensable de répondre à une commande dès lors que l’on abat un animal sans étourdissement, on sait très bien que les pratiques du culte font qu’une partie de l’animal ou certaines carcasses ne seront pas validées viande halal par les cahiers des charges et qu’elles devront du coup passer dans le circuit conventionnel. Mais si elles sont étiquetées « abattage sans étourdissement », je ne trouverai pas de distributeur pour les commercialiser. Il faut donc prendre le problème à la base : est-on capable de mettre en place des bonnes pratiques permettant le soulagement des animaux, tout en correspondant au cahier des charges de l’abattage rituel ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Depuis la diffusion des vidéos, êtes-vous passif ou bien considérez-vous que l’administration française a une part de responsabilité ? Quelles sont vos relations avec l’administration, au niveau tant des agréments que des contrôles ? Les professionnels de la viande ont-ils décidé de réagir face à ces vidéos qui ont choqué beaucoup de monde ?

M. Henri Thébault. Effectivement, ces vidéos nous ont choqués et interpellés, mais nous n’avons pas été soucieux pour nos entreprises, parce que de tels actes n’existent pas chez nous. Ce qui nous inquiète en revanche, c’est la chute 15 % de la consommation depuis deux mois… Certains de nos abattoirs ont dû cesser de tourner certains jours, faute de commandes. Nous n’avons jamais eu le souci de nous remettre à niveau : nous avons l’encadrement nécessaire au niveau des vétérinaires dans nos régions. Ces images m’ont scandalisé. Mais ce que je vois surtout, c’est leur impact économique pour notre filière, déjà bien malade. C’est pourquoi nous avons besoin que votre commission d’enquête réfléchisse, réagisse et redore un blason qui a été terni par quelques incidents graves.

M. André Eloi. Les contrôles sont intenses ; peut-être faudrait-il mieux les organiser. Notre fédération souhaite que la commission d’enquête et les représentants de l’État que vous avez auditionnés tout à l’heure nous entendent : nous voulons impérativement discuter avec les services d’inspection car il est crucial que les critères d’appréciation du bien-être animal soient les mêmes partout. Il existe des guides de bonnes pratiques professionnels qui ont été validés par l’administration et par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Nous souhaiterions que tous les établissements d’abattage aient la même vision objective des paramètres d’inconscience, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux abattoirs.

La FNEAP réclame avec force que les services d’inspection soient obligatoirement formés à la protection animale. Je ne remets pas en cause les connaissances acquises par les services vétérinaires dans le cadre de leur cursus. Mais nous souhaitons tout simplement que chaque technicien préposé vétérinaire présent dans nos outils ait suivi une formation appliquée à la mise à mort des animaux et à la protection animale dans les abattoirs, sans oublier la manipulation des animaux vivants. J’espère que nous pourrons nous rapprocher des services d’inspection pour discuter très sereinement avec eux de la fixation d’une même base d’observation technique de la protection animale.

Monsieur le rapporteur, vous nous interrogez sur la conception des outils. Depuis trente ans que je traîne mes guêtres dans les outils, j’ai vu beaucoup de choses. À une époque, certains abattoirs ont été construits en dépit du bon sens en termes de protection animale. Aujourd’hui, notre fédération souhaite travailler de façon très approfondie et très ferme avec les fournisseurs de matériels et d’équipements, les architectes et les cabinets d’ingénierie. Outre un organisme de formation, notre fédération dispose d’un cabinet d’ingénierie qui travaille sur la conception des ouvrages dans les abattoirs. Nous sommes favorables à des discussions très spécifiques avec des fournisseurs, notamment sur les boxes rotatifs. Les abattages sans étourdissement – j’emploie très rarement l’expression « abattage rituel » – se font parfois dans des boxes qui nécessitent une adaptation bien précise. Il est nécessaire que les distributeurs de matériels en France nous fournissent du matériel correct. Même remarque pour les pinces à électronarcose : nous rencontrons des problèmes pour trouver des pinces techniquement conformes aux dispositions réglementaires – systèmes d’enregistrement, affichages sonores et visuels, etc. Nous souhaitons également que les fournisseurs nous apportent une meilleure formation et un meilleur service après-vente en ce qui concerne l’utilisation des outils. Et nous ne cessons de leur demander qu’ils nous fournissent des notices techniques en français pour que nos salariés puissent comprendre l’utilisation d’un équipement !

Notre fédération se demande enfin s’il ne faudrait pas dresser la liste des fournisseurs qui respecteraient strictement les prescriptions et les obligations techniques en matière réglementaire.

Mme Sylviane Alaux. Cela veut dire que tout cela n’existe pas à ce jour.

M. André Eloi. Pas systématiquement.

M. Mathieu Pecqueur. Les services de l’État et les préposés vétérinaires sont présents dans nos outils. Chez les adhérents de Culture Viande, de dix à quinze préposés vétérinaires sont présents en permanence, et jusqu’à trente-cinq dans les outils les plus grands. Autrement dit, nos rapports doivent être nécessairement positifs avec les services vétérinaires. Comme M. Eloi, je considère que ces services doivent avoir reçu une formation au bien-être animal, ce qui ne va pas forcément de soi dans leur cursus. Et nous devons tous avoir la même appréciation des guides de bonnes pratiques qui, je le rappelle, sont validés par l’administration et sont d’ores et déjà utilisés dans nos outils.

Nous avons demandé collectivement une présence systématique au poste d’abattage. Même si dix ou quinze proposés vétérinaires sont présents dans l’abattoir, il peut arriver qu’aucun ne soit passé au poste d’abattage. J’ose croire qu’il ne peut pas se produire de pratiques comme celles que l’on a pu voir sur les vidéos si un vétérinaire ou un préposé vétérinaire est à côté du poste d’abattage. Le ministre a répondu qu’il n’était pas possible de généraliser cette présence pour des questions budgétaires, ce que j’entends. Peut-être faut-il réfléchir à leur répartition dans l’établissement ? Faut-il qu’ils restent à trente-cinq dans un seul endroit, ou plutôt n’en mettre que trente-deux ou trente-trois, surtout si d’autres personnes ont été formées, et redispatcher les autres ailleurs ? Voilà une question que nous nous autorisons à poser.

Vous nous posez la question de notre passivité par rapport à la diffusion de ces vidéos. Elles ont constitué un choc pour nous : personne n’imaginait que de telles pratiques pouvaient exister. Je le répète, on ne peut en aucun cas considérer qu’elles sont nombreuses et généralisées. Cela dit, nous n’avions pas attendu ces vidéos ni le règlement européen pour prendre en compte le bien-être animal. Peut-être peut-on donner plus de place aux RPA dans nos outils. Culture viande souhaite créer un réseau de RPA pour que les différentes entreprises puissent échanger entre elles sur les bonnes pratiques et la manière de travailler, la façon dont ils doivent effectuer les suivis, etc. La comparaison a été faite tout à l’heure avec les responsables qualité. C’est un poste indiscutable aujourd’hui dans nos outils. Il en sera de même dans peu de temps du RPA.

M. Éric Barnay. Il n’y a pas d’activité d’abattoir sans les services vétérinaires. Je pense qu’ils sont aussi mal que nous face à ces images. Comme vient de le dire M. Pecqueur, ce sont des choses que l’on n’avait pas du tout imaginées. Les RPA sont présents, de même que les services qualité, les services de l’État. Cette pratique n’est vraiment pas généralisée : il s’agit d’actes individuels, qui nous ont totalement échappé. Je fais souvent la comparaison avec un chauffeur qui aura bu et qui aura eu un accident alors que son employeur n’aura rien pu faire, ni prévenir ni prévoir.

M. André Eloi. Monsieur Morel-A-L’Huissier, nous ne sommes pas passifs, mais choqués. Comme Culture viande, nous avons un réseau de responsables qualité qui s’est quelque peu transformé aujourd’hui en réseau RPA, puisque beaucoup de responsables qualité ont aussi la fonction de RPA. C’est un réseau dynamique. Nous échangeons, via internet, sur les pratiques, les équipements, etc. Notre fédération a également mis en place ce que j’appellerai la labellisation de l’abattoir : nous effectuons chaque semaine, à la demande de l’outil, des audits et des formations pour vérifier que le fonctionnement est optimum dans tous les domaines : protection animale, sécurité sanitaire, sécurité des personnels. Cette labellisation se traduit par un rapport très précis remis à nos abattoirs. Nous allons le redynamiser en mettant peut-être davantage l’accent encore sur la protection animale.

M. Henri Thébault. Il est indispensable d’instituer une rencontre annuelle avec les services vétérinaires et une formation commune pour pouvoir déterminer ce qui est bien fait ou mal fait.

J’invite cordialement les membres de votre commission d’enquête à visiter nos outils de façon inopinée. Vous y verrez des gens qui travaillent correctement, qui vendent de la bonne viande et surtout qui font tourner l’économie de notre pays. La France en a bien besoin.

M. le président Olivier Falorni. Messieurs, nous avons bien entendu votre invitation, et nous vous remercions pour vos réponses.

La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du mercredi 4 mai 2016 à 18 heures

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Yves Caullet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, Mme Geneviève Gaillard, M. Jacques Lamblin, M. Thierry Lazaro, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Arnaud Viala

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Yves Daniel, M. Hervé Pellois, M. François Rochebloine, M. Fabrice Verdier