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Commission d’enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Mercredi 18 mai 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

La séance est ouverte à seize heures quarante .

M. le président Olivier Falorni. Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd’hui M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Depuis maintenant quatre semaines, notre commission d’enquête a organisé un nombre important d’auditions, tout aussi passionnantes et enrichissantes les unes que les autres. Différents acteurs ont été entendus, dont le Directeur général de l’alimentation M. Patrick Dehaumont, présent aux côtés du ministre et que je salue, les représentants de la protection animale, de la filière viande, des syndicats d’abattoirs, et les experts qui se sont penchés sur la question.

Votre présence, monsieur le ministre, est un moment important, d’autant que vous allez, je l’espère, nous faire part en avant-première des éléments du rapport que vous avez diligenté immédiatement après les scandales révélés par les vidéos de l’association L214 tournées dans l’abattoir municipal d’Alès, l’abattoir intercommunal du Vigan et l’abattoir intercommunal du Pays de Soûle, et qui ont été à l’origine de la création de cette commission d’enquête.

Dès le mois de novembre 2015, vous avez vous-même réagi en transmettant aux préfets des instructions afin de s’assurer de la prévention de tout acte de maltraitance envers les animaux et de responsabiliser les opérateurs en matière de sécurité sanitaire et de protection animale.

Ces vidéos ont été diffusées respectivement en octobre 2015, février 2016, et mars 2016. Après la diffusion de la troisième vidéo – celle de Mauléon –, vous avez jugé nécessaire, dans un courrier en date du 30 mars, d’ordonner aux préfets de réaliser immédiatement, et ce dans un délai d’un mois, des inspections spécifiques sur la protection animale dans l’ensemble des abattoirs de boucherie du territoire national. Vous y indiquez notamment : « Les suites administratives et judiciaires adaptées devraient être impérativement données, notamment la suspension de l’agrément des exploitants le cas échéant, dès constatation de manquement dans le domaine de la protection animale ». Les préfets avaient jusqu’au 13 mai pour vous faire part des résultats de ces inspections ; vous venez aujourd’hui devant nous, monsieur le ministre, et je vous en remercie ainsi que mes collègues, pour nous présenter la synthèse de ces inspections.

Cette audition sera également l’occasion pour vous de revenir sur le plan d’action national en faveur du bien-être animal qui a été présenté lors de la réunion du 5 avril du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV) et dont certaines mesures concernent directement les abattoirs : la systématisation du référent protection animale (RPA) au sein de tous les abattoirs, la création d’un délit de maltraitance qui concernerait également le responsable de l’abattoir, et la création, d’ici à la fin de l’année, d’un comité de recherche sur le bien-être animal.

Je vous rappelle, monsieur le ministre, que nos auditions sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Stéphane Le Foll prête serment.)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Depuis que je suis ministre de l’agriculture, le bien-être animal est pour moi une priorité, en même temps que je dois faire face – et vous en êtes tous comptables – à des crises, des enjeux d’emploi, des enjeux économiques, des enjeux de compétitivité, et à des enjeux plus globaux liés à l’agriculture et à l’activité dans tous les territoires de la métropole.

Pour avoir été parlementaire européen, je sais que les règles qui régissent le bien-être animal au niveau européen sont sûrement – et c’est tant mieux – les plus exigeantes qui existent à l’échelle mondiale. J’ai d’ailleurs rappelé hier, au Conseil de l’agriculture à Bruxelles, que lorsque l’on discute d’accords commerciaux, tout le monde doit rester cohérent sur la question du bien-être animal. On ne peut pas prendre des décisions en Europe et considérer que le commerce échappe aux règles et aux normes que nous fixons nous-mêmes pour nos agriculteurs.

Je n’ai pas attendu la diffusion par l’association L214 de ces images qui ont légitimement suscité la réprobation, pour mener une réflexion. Dès 2014, nous avons choisi, avec le directeur de la DGAL, que vous avez auditionné, et les membres de mon cabinet, de doter la France d’une stratégie globale en faveur du bien-être animal. Par ailleurs, s’il est une cause pour laquelle je me bats depuis que je suis ministre de l’agriculture, c’est celle de l’agro-écologie. Parvenir à conjuguer performances économique, sociale et environnementale, tel est l’axe stratégique de la politique que j’ai conduite. Rappelons, mais certains ici s’en souviennent, que la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt l’a inscrit comme objectif national pour l’agriculture française dans un débat qui a rassemblé, et je m’en félicite, une large majorité, bien au-delà de la majorité actuelle.

Reste que la diffusion d’images inacceptables prises dans les abattoirs d’Alès, du Vigan et de Mauléon nous a tous interpellés et nécessite, au-delà de l’émotion, de définir des règles et de mettre en place des outils permettant de garantir dans les abattoirs le respect de la protection du bien-être animal.

Nous avons agi en mettant en œuvre le plan d’action « abattoir » pour optimiser les inspections. Nous avons mis en place des supervisions par des référents nationaux abattoirs et le principe d’audits annuels avec un appui extérieur au service local – chef de service ou coordinateur abattoir. Ainsi que vous l’avez indiqué, j’ai également demandé que les services de l’État se livrent à l’inspection de tous les abattoirs de boucherie avant le 30 avril.

J’ai également fait plusieurs propositions qui restent à traduire dans les faits. Le droit européen a prévu des référents bien-être animal qui ont la responsabilité de la totalité de la prise en compte du bien-être des animaux dans les abattoirs lorsqu’ils arrivent, mais pas de manière spécifique lors de la mise à mort. Pour ma part, j’ai souhaité aller plus loin en proposant la désignation d’un responsable de la protection animale pour la mise à mort dans tous les abattoirs de France. J’ajoute que la réglementation européenne ne prévoit des référents bien-être animal que dans les abattoirs les plus importants. Notre pays doit faire en sorte qu’il y ait des référents bien-être animal dans tous les abattoirs, grands, moyens et petits.

J’ai été souvent interrogé sur la nécessité de développer des petits abattoirs dans tous les territoires d’élevage. Je le dis de la manière la plus claire qui soit : je n’accepterai pas de rouvrir des petits abattoirs partout, y compris sous la forme d’abattoirs ambulants, comme cela a été proposé, parce qu’il faut être capable d’assurer les contrôles nécessaires exigés par la réglementation sanitaire sur l’ensemble du territoire.

Je propose le renforcement de la formation de tous les opérateurs. Je viens de lire le livre écrit par un salarié d’un abattoir, tueur de son métier. La clarté et la précision de son témoignage permettent de comprendre ce qu’est ce métier. J’ai considéré qu’il était indispensable d’accompagner ces salariés dans leur formation et dans leur métier, très particulier.

Il faut renforcer également le cadre des sanctions pénales en qualifiant désormais de délit les mauvais traitements sur les animaux en abattoir et dans les entreprises de transport.

Ces modifications seront proposées dans le cadre de la loi dite « Sapin 2 » qui sera discutée au Parlement. De fait, la protection de tous les salariés signalant un délit, inscrite dans la loi de décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, pourra alors s’appliquer au cas des mauvais traitements observés à l’abattoir. Nous allons d’ailleurs procéder à un arbitrage le plus rapidement possible pour choisir le véhicule législatif le plus approprié – projet de loi Sapin 2 ou projet de loi sur la justice du XXIsiècle – afin d’éviter tout risque de cavalier législatif et d’adopter des mesures législatives cohérentes avec notre droit et rapidement applicables.

J’ai pris l’engagement de garantir la transparence des résultats des contrôles officiels réalisés au titre de la sécurité sanitaire de l’alimentation. Cet engagement, inscrit dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, entrera en vigueur à compter du 1er juillet prochain. Les résultats de l’ensemble des contrôles officiels mis en œuvre au titre de la sécurité sanitaire des aliments, tout au long de la chaîne alimentaire, y compris dans les abattoirs, seront donc rendus publics. C’est un choix que nous avons fait dans le cadre de cette loi, et qui sera appliqué. Ces résultats seront directement consultables sur le site Internet des ministères concernés. Le consommateur pourra ainsi connaître, pour chaque abattoir, son niveau de conformité sanitaire, celui-ci prenant en compte le résultat du contrôle du respect des normes en matière de protection animale.

J’ai souvent été interrogé sur la question des postes affectés aux inspections en abattoirs, et sur celle des vétérinaires. Actuellement, ils représentent 2 300 emplois correspondant à 1 200 équivalents temps plein (ETP). Un ministre est évidemment comptable des décisions qu’il prend lorsqu’il exerce ses responsabilités, mais d’autres avaient été prises bien avant mon arrivée. Je rappelle que 440 postes avaient été supprimés entre 2009 et 2012. Lorsque j’ai pris mes fonctions, il était prévu d’en supprimer encore 120. J’ai décidé de stopper les suppressions de postes – soixante suppressions de postes avaient déjà eu lieu au premier semestre de l’année 2012. Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, j’ai décidé de recréer soixante postes chaque année, avec un objectif de 180 postes sur trois ans jusqu’au budget de 2017. J’espère que tout le monde sera d’accord pour que ce processus se poursuive dans les années à venir. Ces postes dédiés au contrôle sanitaire en abattoirs sont primordiaux, à la fois pour la santé des consommateurs, le respect des règles de protection animale et la sécurisation de la qualité de nos exportations. Lorsque je suis arrivé au ministère, il y a eu à la fois un rapport de la Cour des comptes européenne et de la Cour des comptes française. Avant même qu’ait été pointée du doigt la faiblesse de l’encadrement des vétérinaires dans les abattoirs, qui pouvait d’ailleurs avoir comme conséquence de remettre en cause un certain nombre de certificats à l’exportation, j’avais décidé d’arrêter le processus de suppression de postes et d’engager à nouveau des créations de postes.

J’en viens aux résultats de l’inspection généralisée que j’ai commandée et qui s’est terminée le 30 avril 2016. Suite à ma demande du 30 mars, ces audits ont été conduits pendant tout le mois d’avril dans tous les abattoirs de boucherie. Je rappelle que, conformément à la règle européenne, il est de la responsabilité des exploitants de prendre toutes les mesures nécessaires à cette fin, en tenant compte notamment des meilleures pratiques en la matière. Les contrôles ont porté sur le respect des obligations du professionnel d’apporter la preuve de sa maîtrise de la protection des animaux tout au long de l’abattage. En particulier, il a été vérifié, pendant la mise à mort, que toute douleur, détresse ou souffrance évitables étaient bien épargnées aux animaux.

Tous les abattoirs de boucherie en fonctionnement en avril 2016 ont été contrôlés en France métropolitaine et en outre-mer, soit 259 établissements – notre pays compte 263 établissements mais certains n’étaient pas en activité au moment des contrôles –, comprenant 460 chaînes d’abattage d’animaux de boucherie, un abattoir pouvant comprendre plusieurs chaînes distinctes.

Dans les deux tiers des établissements, absolument aucun problème n’a été mis en évidence. Dans le tiers restant, n’a été relevé dans la majorité des cas qu’un défaut de conformité mineur – absence de preuves documentaires –, mais aucun problème n’a été observé pendant les opérations pour la protection des animaux : la fiche d’utilisation d’un appareil, par exemple, n’était pas à jour alors que l’opérateur et le responsable bien-être animal en connaissaient parfaitement le fonctionnement. Dans d’autre cas, il pouvait s’agir de défauts de conformité, moyens ou graves.

Des défauts d’étourdissement ont été relevés dans trente-neuf chaînes. Dans la plupart des cas, des mesures correctives immédiates ont été exigées par les services et ont permis de reprendre l’activité d’abattage.

Les non-conformités les plus graves ont donné lieu à des suites immédiates. Elles concernaient moins de 5 % des chaînes inspectées – 19 chaînes sur 460.

Au total, quatre-vingt-dix-neuf avertissements, c’est-à-dire des rappels à la règle, ont été donnés et soixante-dix-sept exploitants ont été mis en demeure d’apporter des corrections à leur système dans un délai fixé par l’administration. Dans deux établissements, des arrêts d’activité – suspension ou retrait d’agrément – ont été ordonnés. Pour tout défaut de fonctionnement, la plus grande fermeté a été appliquée et des procès-verbaux ont été dressés dans huit établissements.

Ce résultat montre la forte mobilisation des services et le respect de la consigne donnée d’accompagner toute non-conformité d’une suite proportionnée et pertinente.

Cette inspection démontre que nous avons encore des progrès à faire. Nous n’y parviendrons pas uniquement par le renforcement des moyens de l’État. Considérer qu’il suffit de mettre dans des abattoirs des vétérinaires pour régler un problème qui est d’abord de la responsabilité de ceux qui ont à gérer des établissements, n’est pas la solution, même si j’ai renforcé le nombre des vétérinaires, sachant que les questions de qualité sanitaire et de protection du consommateur sont très importantes.

C’est pourquoi la désignation de responsables protection animale dans tous les abattoirs, le renforcement de leur formation et de leur protection, et l’aggravation des sanctions pénales sont absolument indispensables.

D’autres questions se posent, dont vous aurez certainement l’occasion de discuter : celle de la mise en place de caméras de vidéosurveillance au poste de mise à mort, par exemple. Je n’y suis pas opposé, mais je veux que vos débats précisent, si vous en faites le choix dans votre rapport, les conditions dans lesquelles cette vidéosurveillance peut s’exercer. Un article de journal en parlait encore hier : tout n’est pas fait pour les salariés et travailler dans un abattoir est extrêmement difficile. Si l’on doit envisager des procédures de contrôle, notamment par la vidéo, encore faut-il qu’elles soient encadrées et correctement gérées. On ne peut pas mettre toute la pression sur les seuls salariés. Votre travail parlementaire devra vous conduire à apporter toutes les précisions qui s’imposent dans votre rapport ; j’en tiendrai évidemment compte pour aller au-delà s’il apparaît nécessaire de modifier la loi.

Voilà ce que je voulais vous dire sur ces sujets extrêmement sensibles qui nécessitent que des décisions soient prises. Comme d’autres, j’ai été touché par les images qui ont été diffusées. Mais les courriers que j’ai reçus et les interpellations dont j’ai été l’objet lors du salon de l’agriculture accusant le ministre d’être pratiquement l’équivalent d’un tueur sans foi et sans morale sont assez insupportables pour toute personne qui exerce une responsabilité. J’assume la responsabilité que j’exerce et je considère que j’ai des comptes à rendre ; mais entre des comptes à rendre et des coups à prendre, il y a une distance que j’aimerais que chacun ait en bien en tête… Et cela vaut pour le ministre de l’agriculture comme pour les représentants de la nation. Si l’on veut des débats qui permettent d’ouvrir toutes les possibilités et de faire progresser les choses, cela suppose aussi un minimum de respect.

M. le président M. Olivier Falorni. Merci, monsieur le ministre. Avant de laisser la parole à mes collègues, je vous interrogerai sur trois points.

Concernant le programme d’investissement d’avenir (PIA), 50 millions d’euros ont été alloués à un appel à projet pour la reconquête de la compétitivité des abattoirs et des outils de découpe. Pouvez-vous nous présenter ce programme et nous donner des premières indications sur la consommation des crédits ?

Vous avez évoqué À l’abattoir, ce livre très intéressant de Stéphane Geffroy que nous auditionnerons dans quelques jours. Il y est question du problème récurrent de la formation des personnels. Ne serait-il pas possible de la généraliser et de progresser dans ce domaine ? Quelles sont vos pistes de réflexion ?

Vous avez parlé d’un article paru hier dans Libération. C’est avec stupéfaction – et le mot est faible – que j’y ai lu l’interview de M. Martial Albar, présenté comme un ex-inspecteur des services vétérinaires. J’ai bien entendu les conclusions de votre rapport et je dois avouer que cette interview de cette personne, qui se revendique comme un lanceur d’alerte, m’a laissé pantois. Cet article, dont le titre parlait de barbarie, dressait un portrait cataclysmique des abattoirs en France. Nous aimerions bien évidemment connaître votre point de vue.

M. le ministre. Nous avons débloqué une enveloppe de 50 millions d’euros jusqu’en 2017 dédiée à la modernisation des outils d’abattage et de découpe avec une double stratégie : utiliser ces investissements pour moderniser les abattoirs – c’est ce que l’on a appelé la stratégie des abattoirs du futur – en intégrant toutes les techniques possibles et potentielles permettant d’améliorer le travail, l’efficacité, mais aussi le bien-être animal. Cette enveloppe vise à tenir compte des sujets sur lesquels j’ai été interpellé lors de la crise des filières porcine et bovine que notre pays a traversée : le maillon de l’abattage découpe avait été très rapidement reconnu, et les députés de Bretagne le savent, comme un des éléments qui avait fait perdre de la compétitivité à ces filières. Les investissements pour l’abattoir du futur visaient à améliorer les conditions de travail, de compétitivité et de bien-être.

Sur ces 50 millions d’euros, six projets sont déjà accompagnés pour un montant de 13,2 millions d’euros : on est donc loin d’avoir utilisé l’enveloppe prévue. Ces projets concernent aussi bien les grands groupes que les PME – je pourrai vous fournir les noms si vous le souhaitez, nous n’avons rien à cacher. On peut donc investir pour améliorer les conditions de travail, la compétitivité et le bien-être. Nous sommes souvent coincés par les questions budgétaires pour ne pas avancer ; mais quand des moyens sont alloués mais ne sont pas utilisés, cela mérite d’être rappelé aux intéressés ! Trois projets sont en cours d’instruction pour un montant de 4 millions d’euros. À ce stade, il reste donc une ligne budgétaire de 32,7 millions d’euros. Il va donc falloir appuyer pour faire en sorte que les choses bougent de ce côté.

Nous avons également cherché à utiliser les PIA pour mieux faire dans le domaine du bien-être animal. Comme vous, j’ai été frappé par le broyage des poussins lors du sexage. Lors du salon de l’agriculture, une entreprise a présenté une innovation qui permet de faire du sexage in ovo. Ce projet a immédiatement bénéficié de 4,3 millions d’euros car il faut aller vite, pour faire de la France un pays d’innovations, mettre fin à ces pratiques et ne plus voir ces images terribles. FranceAgriMer a diligenté les choses très rapidement, et j’en suis très satisfait. Emmanuel Macron et moi-même sommes venus assister à la présentation de différents projets, dont celui-ci, pour le soutenir, précisément parce qu’il touche au bien-être animal.

La formation des personnels est un sujet sur lequel nous allons devoir travailler ensemble, et vos auditions seront un des éléments qui devraient permettre d’améliorer les choses. Il faut agir au niveau d’une formation initiale, au début de la carrière, et la renouveler constamment grâce à la formation continue. Il faudra réfléchir, dans le cadre de la discussion du projet de loi El Khomri et du compte personnel d’activité (CPA), à la manière de faire évoluer ces salariés. Dans son livre, M. Geffroy décrit la réalité de ces postes extrêmement difficiles sur le plan physique : au bout de quelque temps, ce sont les épaules, les coudes, etc. qui lâchent. On ne peut pas les laisser pendant quarante ans sur une chaîne, d’où la nécessité de se pencher sur la question de la pénibilité. Ces gens ont vraiment besoin d’être accompagnés. Il faut donc améliorer la formation sur l’acquisition des compétences, en particulier sur la protection animale. Il faut faire preuve de compréhension à leur égard : les cadences dans les chaînes peuvent faire perdre la conscience nécessaire que l’on doit avoir vis-à-vis des animaux. Nous devons sécuriser le parcours professionnel de ces personnes en visant l’acquisition de certificats de compétence. Mais globalement, c’est sur la totalité de la carrière que nous devons réfléchir, formation initiale et formation continue, et jusqu’à la manière dont elle devait pouvoir évoluer dans les abattoirs où il y est très difficile de tenir dans la durée – le livre l’explique très bien.

C’est le ministère de l’agriculture qui habilite les organismes de formation après des examens de moyens pédagogiques et conduites techniques. Treize organismes de formation sont habilités pour les animaux de boucherie. La aussi, les investigations que pourront mener le Parlement dans ce domaine pourront aider à voir où en sont les choses et proposer des améliorations.

Nous avons également créé un outil Web d’évaluation permettant des évaluations individuelles des opérateurs, avec des questions à choix multiples (QCM) corrigées automatiquement, avec tirage de questions aléatoires sur chaque test. Depuis le début du dispositif, ce sont près de 20 000 candidats et 4 000 référents protection animale qui l’ont suivi, avec un taux de réussite d’un peu plus de 99 % pour les opérateurs non référents et de 99,8 % pour les référents protection animale. Les certificats de compétence sont délivrés par le préfet, suite à la présentation de la demande et attestation de formation.

Au-delà des tests et des QCM, il faut mener une réflexion globale et engager un débat sur les treize organismes de formation. Le renouvellement des habilitations des organismes de formation se fera à partir de 2018 ; autrement dit, on a un peu de temps pour redonner et fixer le cadre. Les modifications prévues dans le contenu de formation sont en cours, avec des modes opératoires normalisés et le contrôle interne pour les opérateurs, afin d’intégrer des volets pratiques. Il faut consolider les textes permettant le retrait ou la suspension des certificats : il est nécessaire en effet d’avoir la capacité de donner des certificats à ceux qui sont chargés de former, mais aussi de les retirer lorsque l’on considère qu’ils ne sont pas satisfaisants.

Quelles sanctions définir lorsque l’on réalise des opérations d’abattage et des opérations annexes sans pouvoir justifier du certificat de compétence ? Actuellement, le fait de ne pas désigner de responsable de protection animale dans un établissement d’abattage n’a aucune conséquence. Des sanctions doivent être prévues ; nous en discuterons dans le cadre de la prochaine loi de finances.

Vous m’avez interrogé sur Martial Albar. Il est technicien des services vétérinaires, promotion 1996-1997 – il n’est donc pas vétérinaire. De 1997 à 2002, il est à la Direction départementale des services vétérinaires (DDSV) de l’Aube : aucune affectation en abattoir. De 2002 à 2009, il est à la DDSV de Haute-Savoie : aucune affectation en abattoir. De 2009 à 2012, il est à la Direction départementale des territoires (DDT) de Haute-Savoie. D’après ce que nous savons, il a effectué trois remplacements et vacations dans des abattoirs, à Troyes, Megève et Bonneville. En 2012, il a démissionné de la fonction publique. Dans son dossier, il n’y a pas de lien avec le travail en abattoir.

Moi-même, quand j’ai vu cette interview de quelqu’un qui était présenté comme un fonctionnaire et vétérinaire dans un abattoir, j’ai été surpris. Et surtout par ses propos, qui sont terribles : il dit avoir vu des opérateurs fracasser la tête des moutons. Je respecte toutes les opinions ; celles des militants sont respectables. Mais cet homme a été présenté comme étant vétérinaire ; or il ne l’est pas. Il n’a jamais été vétérinaire du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Et il a effectué trois vacations dans les abattoirs… La transparence vaut pour tout le monde. Voilà tout ce que je peux dire sur Martial Albar, qui travaille maintenant dans une société de conseil.

Mme Sylviane Alaux. Monsieur le ministre, vous nous avez déjà donné beaucoup d’informations et apporté des réponses à nombre de questions que nous allions vous poser.

Comme vous, je demande beaucoup de fermeté et de rigueur et surtout de rapidité dans l’exécution. On le sait, les salariés peuvent être confrontés à des cadences de travail élevées, surtout à certains moments de l’année. Pourrait-on définir un cadre afin de limiter voire d’organiser cette cadence de travail, même à des moments clés de l’année ?

Vous venez d’évoquer l’insuffisance de la formation. Aussi, je n’y reviendrai pas.

Il ne suffit pas de chercher du travail ou d’avoir une formation de boucher, ce qui est assez souvent le cas. Encore faut-il sélectionner les candidats – même si j’ai conscience qu’ils ne se bousculent pas au portillon – car ils œuvreront un jour ou l’autre au poste d’abattage. Quelles dispositions contraignantes comptez-vous prendre pour remédier à ces carences ?

Dans les dispositions prises ou à prendre, traitez-vous de l’abattage rituel ? La France pourrait avoir des exigences en ce qui concerne la compétence des sacrificateurs lors de la mise à mort des animaux. Il faudrait à tout le moins apporter la preuve de sa compétence en la matière.

Mme Françoise Dubois. Monsieur le ministre, je vous remercie pour toutes ces explications. Voilà quelques semaines que nous nous attardons sur le bien-être animal. Bien évidemment, nous avons tous étés émus par ces images insoutenables que je condamne, comme mes collègues. Mais au-delà de l’émotion ressentie, je voudrais également insister sur le bien-être humain. Comme vous l’avez dit, il est nécessaire de fixer des sanctions en cas de dérapage. Peut-on excuser les dérapages que l’on a vus sur les vidéos ? On ignore dans quelles circonstances ils ont eu lieu. Quand on est débordé par un rythme quelquefois insoutenable, ce genre de réaction humaine peut arriver. La formation semble à l’évidence insuffisante, comme le relate l’article paru hier dans le journal Libération – même si ces informations sont à vérifier.

Pour exercer un tel métier, il faut être bien formé. Pensez-vous que l’on pourrait mettre en place un accompagnement psychologique pour ces salariés qui égorgent des animaux pendant plusieurs heures d’affilée ? Une formation plus pointue serait sans doute plus un élément rassurant pour eux, dans la mesure où ils maîtriseraient bien les méthodes d’abattage des animaux.

Sur l’abattage rituel également, j’aimerais connaître votre position.

M. Jacques Lamblin. Monsieur le ministre, l’argent, la rentabilité à court terme participent-ils selon vous à la situation que nous déplorons dans les abattoirs ? Les impératifs de productivité qui seraient imposés aux personnels viendraient-ils à faire oublier la protection animale ? L’inadaptation des matériels, le manque de modernisation ou d’entretien pourraient-ils également être une explication ?

L’abattage sans étourdissement vous paraît-il conciliable avec la non-souffrance animale ? Si l’on veut régler ce problème en interdisant l’abattage sans étourdissement, peut-on trouver une solution conciliable avec les impératifs économiques auxquels est confrontée notre agriculture ? La viande halal est consommée en France, mais elle est également exportée. En d’autres termes, peut-on régler le problème de l’abattage sans étourdissement sans détruire le marché de la viande halal ?

Dernière question, plus anecdotique : vous avez parlé de votre engagement d’augmenter à nouveau les effectifs des services de contrôle vétérinaires en créant soixante postes par an. Je n’ai pas très bien compris s’il s’agissait de la loi de finances initiale pour 2013 ou pour l’année 2014.

M. Christophe Bouillon. Monsieur le ministre, je tiens à saluer votre réactivité et je vous remercie de nous avoir donné les résultats du contrôle généralisé que vous avez diligenté. Le nombre d’avertissements et de procès-verbaux est tout à fait intéressant. J’ai bien noté que le plan d’action « abattoir » comportait déjà des éléments chiffrés qui témoignaient du travail de contrôle permanent réalisé par les vétérinaires. A-t-on observé des cas de récidive de la part d’abattoirs qui avaient déjà reçu des avertissements les années précédentes ? Et que se passe-t-il ensuite ? Ce qui est intéressant, c’est d’aller au-delà du constat et de voir quelles mesures sont prises par la suite.

On a beaucoup parlé, à juste titre, de formation. Cela dit, la question de l’image de la profession est importante également, comme on le voit à travers l’ouvrage de Stéphane Geffroy que vous avez cité. Pour notre part, nous en avons eu la démonstration lorsque, avec Olivier Falorni, Jean-Yves Caullet et Thierry Lazaro, nous sommes allés visiter de façon inopinée l’abattoir de Maubeuge. Le directeur nous a fait part de l’énorme difficulté à trouver des jeunes ou des moins jeunes pour venir travailler dans son établissement pourtant moderne – il a été ouvert en 2008 – et situé dans un bassin d’emploi où le taux de chômage est élevé. Que comptez-vous faire en termes d’image ? En même temps que la formation, l’idée que l’on se fait de son métier peut aider à bien le faire.

Je vous rejoins dans votre opposition aux abattoirs ambulants. Et vous avez évoqué la question des abattoirs de proximité. Mais on le voit, cette équation est difficile à résoudre : moins il y a d’abattoirs, plus il y a de transport ; plus il y a de transport, plus il y a de stress animal ; plus il y a de difficultés, plus les petits éleveurs, qui n’ont pas nécessairement le matériel de transport adéquat, ont du mal à trouver un abattoir à distance raisonnable pour lui confier leurs animaux. On voit bien le hiatus qu’il y a entre les gros abattoirs spécialisés et l’utilité d’un bon maillage. Dans cette affaire, l’abattoir de proximité n’est pas forcément l’ennemi.

M. le président Olivier Falorni. Je confirme les propos du directeur de l’abattoir de Maubeuge : malgré un bassin d’emploi plutôt affecté, il ne parvient pas à trouver des employés. Il ajoutait que si on lui amenait vingt jeunes, il les embaucherait immédiatement, pour peu qu’ils arrivent à l’heure, et tous les jours, et qu’ils respectent les règles que tout abattoir exige. Cet échange était assez édifiant !

M. le ministre. Qu’est-ce qu’un abattoir ? C’est un lieu où les animaux arrivent vivants et en ressortent le plus souvent découpés. C’est une activité économique qui n’a pas d’autre équivalent dans aucun domaine, et dont la rentabilité est extrêmement faible. J’en veux pour preuve le nombre d’abattoirs municipaux qui ont été fermés ces dernières années. Il est difficile de combiner économiquement proximité et rentabilité.

Vous me demandez si l’on ne rogne pas sur le respect des règles au nom de l’économie ; cela peut se produire assez rapidement. Au vu de mon expérience, je considère qu’il faut d’abord consolider ce qui existe, structurer nos lieux d’abattage et les conforter plutôt que de s’obstiner à penser que l’on réglera le problème en installant des petits abattoirs partout.

Car c’est malheureusement le nombre d’abattages qui permet la rentabilité ; et comme il s’agit d’une activité économique à la rentabilité économique extrêmement faible alors qu’elle nécessite beaucoup de main-d’œuvre, on se heurte à une vraie difficulté. C’est pourquoi toute la réflexion sur l’abattoir du futur, et notamment la partie la plus difficile, c’est-à-dire l’abattage et la découpe, tous les investissements dans la recherche de solutions innovantes pour les années qui viennent sont très importants et utiles, et pourraient même conduire à définir une autre stratégie. Mais pour l’heure, compte tenu de la faiblesse de la rentabilité, je déconseillerai de créer de nouveaux abattoirs. Combien de fois suis-je interrogée par des parlementaires sur la fermeture de leur abattoir, la re-création d’un abattoir, la mise en place d’abattoirs mobiles... Imaginez quelles peuvent être les conséquences en matière sanitaire et de bien-être ! Qui contrôlerait ? Je le répète : commençons par consolider, par aider ce qui existe, par mettre en œuvre des politiques de bien-être animal et éviter de répondre à des demandes qui finissent par poser un vrai problème d’accompagnement.

Vous me demandez si la cadence a un impact sur le comportement des salariés. Il faut savoir que lorsque la cadence est extrêmement forte, la concentration l’est aussi. Mais si elle devient trop élevée, elle finit par faire disjoncter le système. A contrario, des moments plus calmes peuvent donner lieu à un relâchement général. Je n’ai pas fait d’études scientifiques, je ne suis pas vétérinaire, mais j’ai fait mes propres analyses : il n’y a pas de lien de causalité directe : dans un moment de faible activité, il peut survenir des risques de mauvaises pratiques ou de non-respect du bien-être animal. Mais si les cadences deviennent infernales, le système peut disjoncter. Mais on ne peut pas dire que ce sont les cadences qui entraînent une perte de repères. On peut intuitivement l’estimer, mais ce n’est pas aussi simple que cela.

Mme Alaux se demandait si l’on pouvait sélectionner les candidats. Stéphane Geffroy, dont le livre est d’une grande simplicité et d’une grande fluidité, viendra certainement devant votre commission pour vous raconter son histoire. Dès que ces hommes et ces femmes choisissent ce métier, il faut être là pour les accompagner. Il faut réfléchir, avec le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), à un accompagnement psychologique, mais également à ce qui existe déjà, qu’il faut pouvoir mettre en œuvre et rendre efficace. Le pire serait de prendre des décisions qui ne pourraient pas être appliquées. Vous avez vu également quelles conséquences peuvent avoir les troubles musculosquelettiques. Il faut qu’il y ait une convergence de travail avec vous en la matière, et que nous réfléchissions à la manière dont on peut faire évoluer la carrière de ces salariés. Je suis certain que l’accompagnement des salariés est important pour la réussite du respect des règles de bien-être. J’examinerai toutes les propositions que vous ferez à cet égard.

S’agissant de l’installation des caméras de vidéosurveillance, il faudra bien mesurer le rapport entre le contrôle et la pression que cela peut induire pour un salarié. Évitons de faire des choix qui pourraient avoir des conséquences non souhaitées. J’ajoute que tous les chiffres que je vous ai donnés à l’instant sur les contrôles que nos services ont effectués seront envoyés à votre commission, afin que vous disposiez des éléments nécessaires. Tel est l’esprit dans lequel nous devons travailler ensemble.

J’en viens à la question de l’abattage rituel. Il y a cinq ans, lorsque je siégeais au Parlement européen, j’ai déjà été saisi de cette question alors que l’Europe discutait de la directive qui applique la convention européenne des droits de l’homme sur la liberté religieuse et l’abattage rituel. Au terme d’un débat, il avait été décidé que l’étourdissement serait la règle et que les dérogations ne seraient plus européennes mais nationales, ce à quoi je m’étais opposé : autrement dit, on renvoyait à chaque État la possibilité de déroger ou pas. Je considérais en effet que la règle, c’était l’étourdissement, et que la dérogation aussi devait être européenne ; il appartenait ensuite aux pays d’appliquer la dérogation ou pas. Mon prédécesseur, Bruno Le Maire, a pris un décret en 2011 sur l’abattage rituel pour que les règles soient fixées après les débats qui avaient eu lieu au niveau européen.

La dérogation à l’obligation d’étourdissement fait l’objet d’un encadrement spécifique en droit français – décret 2011-2006 du 28 décembre 2011 et son arrêté d’application. Les conditions dans lesquelles s’exerce cette dérogation sont les suivantes : une autorisation préalable est délivrée par le préfet sous réserve que l’infrastructure et le fonctionnement le permettent – matériel adapté, personnel dûment formé, procédures garantissant des cadences et un niveau d’hygiène adaptés ; les sacrificateurs sont habilités par des organismes religieux agréés ; les bovins, ovins, et caprins sont immobilisés avant l’abattage par un procédé mécanique dans le but d’épargner à l’animal toute douleur évitable – le problème dans les abattages rituels tient souvent au fait que les animaux sont mal immobilisés. Du coup, ils bougent, ce qui a des effets énormes sur le plan de la souffrance. D’où l’obligation de les immobiliser. Enfin, un système d’enregistrement permet de vérifier que l’usage de la dérogation correspond à des commandes commerciales ou à des ventes qui le nécessitent.

Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai rencontré à nouveau les autorités religieuses. J’ai discuté avec elles pour savoir ce que l’on pouvait faire et si l’on pouvait faire autrement. Le problème, c’est que vous êtes face à des religieux – des rabbins et des imams – qui appliquent les règles de leur propre religion. En tant que ministre et laïque, je n’ai pas à porter de jugement ; j’essaie seulement de trouver un moyen d’améliorer les choses. Je me suis donc tenu à une application stricte de ce décret. Dans le même temps, j’ai confié, au mois de janvier 2013, une mission au conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) pour évaluer la mise en place effective de ces dispositions, et, le cas échéant, de dégager des voies d’amélioration dans l’application du décret pour les abattoirs de boucherie. Ce rapport sera normalement disponible au mois de septembre prochain.

Aujourd’hui, en France, 218 établissements sont autorisés à abattre sans étourdissement, toutes espèces, y compris volailles. En nombre de têtes abattues, l’abattage sans étourdissement représentait, en 2014, 15 % des bovins abattus et 27 % des ovins. À titre de comparaison, en Europe, en 2012, treize États membres ont mis en œuvre cette dérogation de la pratique de l’abattage sans étourdissement, au premier rang desquels se situe la France en termes de pourcentage de bovins abattus, devant les Pays-Bas et la Hongrie, selon une étude de la Commission européenne.

Peut-on faire de la viande halal sans avoir la validation des autorités religieuses ? Non. Il en est de même pour le casher. Ce n’est pas nous qui pouvons décider des conditions dans lesquelles se délivrent les certificats. Cela dit, les dispositions qui ont été arrêtées en France avec ce décret doivent être scrupuleusement respectées. Nous devons être capables d’évaluer tous ces sujets qui sont très importants et qui risquent de revenir dans le débat, car les conséquences peuvent être lourdes. C’est d’ailleurs la première fois que je fais savoir que j’avais commandé ce rapport.

Je veux enfin répondre à M. Lamblin. Pour 2012, il était prévu de supprimer 120 emplois. Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai décidé de stopper ce processus. Au total, ce sont soixante emplois qui ont été supprimés cette année-là. Nous avons décidé, lors de la loi de finances pour 2013, une stabilisation. La loi de finances pour 2014 a prévu une première création de soixante postes. Puis les lois de finances pour 2015 et 2016 ont prévu chacune la création de soixante postes.

M. Jacques Lamblin. S’agissant de l’abattage rituel, certains font état de chiffres beaucoup plus élevés que ceux que vous venez de donner. Que faut-il en penser ?

Les représentants des religions ont des impératifs, mais les mosquées n’ont pas toute la même position. Certaines sont plus ouvertes que d’autres à des possibilités d’étourdissement réversible ou post cut. Est-ce une voie que l’on peut explorer ?

M. le ministre. Vous évoquez des sujets extrêmement techniques dont j’ai effectivement discuté. Mais il faut pouvoir les concrétiser. Il y a des instances qui décident. Je ne suis pas parvenu à modifier les règles que vous avez évoquées ; en attendant, j’en reste à l’application du décret tel que je vous l’ai indiqué. Effectivement, certaines mosquées avaient une position qui pouvait laisser penser que les choses pouvaient changer. Sur ce sujet, il n’y a pas d’accord qui permet à un ministre de dire que ce sera comme cela et pas autrement.

Pour ce qui est des chiffres, le directeur général de l’alimentation qui est à mes côtés me confirme que ceux que je vous ai donnés sont les vrais… J’ai plutôt tendance à lui faire confiance. Jusqu’à présent il ne m’a jamais donné de mauvais chiffres. On a dit que 100 % des abattages étaient rituels. Tout dépend de la façon dont on raisonne : selon les régions, — l’Île-de-France en particulier –, selon les périodes – avant l’Aïd par exemple. Les chiffres que je vous ai donnés s’entendent pour la France entière et peuvent être considérés comme fiables.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre exposé liminaire qui montre bien que tout en étant le plus rigoureux possible avec les outils que l’on a, une alerte peut être utile puisque les contrôles que vous avez diligentés ont fait apparaître des manquements, même s’ils ne sont pas généralisés. Cela veut dire que, dans ce domaine comme dans d’autres, il faut une constance dans le contrôle. Toute habitude occasionne forcément une dérive vers un laisser-aller plutôt que vers une plus grande rigueur. La confiance n’exclut pas le contrôle ; elle s’en nourrit, et c’est très vrai pour ce domaine.

Je veux vous interroger sur les abattoirs de proximité. Moins on est proche, plus on est grand, plus on a des économies d’échelle, plus on peut investir ; mais plus la distance de transport des animaux s’allonge et plus les problèmes liés au transport augmentent. Ne peut-on imaginer des temps de transport maximum qui pourraient, s’ils étaient dépassés, obliger à organiser des temps de repos avant d’entrer dans la chaîne d’abattage pour ne pas multiplier les stress lors de la montée dans le camion, pendant le transport, lors de la descente du camion, à la menée à l’abattoir ? Ne pourrait-on pas normaliser un tant soit peu les choses pour éviter ce conflit entre la distance et la maltraitance ?

Vous avez dit ne pas être opposé, sur le principe, à l’installation de caméras de vidéosurveillance. Pensez-vous qu’il serait possible que cet outil soit, non à la main de l’employeur mais à celle de l’État ? Ce serait en fait un inspecteur virtuel qui pourrait se déclencher à la volonté de l’État ou à celle du responsable bien-être animal qui aurait la possibilité de faire une sorte de reporting grandeur réelle, quitte à faire de la pédagogie interne ensuite. Ces caméras peuvent-elles permettre de faire autre chose que de surveiller le salarié ?

Vous avez parlé de transparence. Il n’est pas sain qu’une société refuse de porter un regard sur un maillon essentiel de sa chaîne alimentaire. Il existe, pour certaines installations classées, des commissions locales composées d’élus, d’associations, de responsables, qui discutent une ou deux fois par an de ce qui se passe avec l’exploitant. Cette piste vous paraît-elle intéressante sur le plan de la transparence ?

Les contrôles sont de la responsabilité de l’État. La démarche de certification par les distributeurs qui voudraient pouvoir garantir aux consommateurs qu’ils leur fournissent des produits tout à fait conformes vous semble-t-elle être une piste intéressante ?

Je ne reviendrai pas sur les échanges qui ont eu lieu sur la question de l’abattage rituel ; nous aurons l’occasion de l’approfondir. Le sacrificateur doit répondre de sa qualité rituelle et être agréé par l’autorité publique en termes de compétences ; or rien ne me semble vraiment clair en ce qui concerne sa relation avec l’exploitant de l’abattoir. Les responsables d’abattoir que nous avons auditionnés nous ont dit qu’ils n’avaient aucun regard ni aucune autorité sur ces gens qui, bien entendu, sont certifiés. Ils viennent avec leurs outils. Dans l’abattoir que nous avons visité, nous avons vu un autre système : le sacrificateur est agréé par les autorités publiques et par les autorités religieuses, mais il est aussi salarié de l’établissement. Ainsi, ses outils sont entretenus et aiguisés sous la responsabilité de l’établissement, et il doit se conformer aux règles de sécurité et aux cadences de l’établissement. Ne pourrait-on pas redonner à ces sacrificateurs un lien plus direct avec l’établissement dans lequel ils exercent, indépendamment des certificats qu’ils doivent avoir par ailleurs, pour éviter un peu d’amateurisme ou d’irresponsabilité ? On ne peut pas dire, d’un côté, que le directeur est responsable et, de l’autre, laisser entendre que certains agents agissant dans l’abattoir ne seraient pas en lien direct avec le responsable.

Enfin, tous les investissements qui permettront de réduire la pénibilité dans les abattoirs et les troubles musculosquelettiques seront évidemment les bienvenus. Mais ne pourrait-on pas mener une réflexion sur les exosquelettes qui permettent, dans certaines entreprises, grâce à un bras robotisé, de limiter l’effort de l’homme tout en gardant la maîtrise des gestes ? Cette piste pourrait permettre un meilleur contrôle de soi et éviter des carrières trop brisantes pour les personnels, qui du reste vont rarement dans le sens du bien-être animal.

Mme Geneviève Gaillard. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre propos liminaire particulièrement intéressant. Pour ma part, je veux revenir sur quelques-unes de vos réponses.

J’ai bien compris que vous ne souhaitiez pas la réouverture d’abattoirs de proximité, ce que l’on peut comprendre. Pensez-vous qu’il y en a encore trop aujourd’hui ?

Vous avez dit être opposé aux abattoirs mobiles. Or ils ont été développés dans certains pays. Au regard de la volonté des éleveurs qui sont très éprouvés par ce qui se passe actuellement, ne pensez-vous pas qu’il serait intéressant d’aller un peu plus loin dans la réflexion ?

S’agissant de l’abattage rituel, je partage les propos de M. Lamblin. Vous vous dites laïque ; moi aussi. La laïcité est un débat récurrent et intéressant dans notre pays. Or vous savez que, dans le cas de l’abattage casher, par exemple, seule la moitié de la carcasse est consommée. Et moi, qui suis laïque et qui défends la protection animale, je refuse de manger de la viande issue d’un animal qui a souffert et qui n’a pas été abattu dans des règles propres à éviter la souffrance. Or, et cela me choque, il n’y a pas d’étiquetage, on n’en sait rien, personne n’est au courant. Moi qui défends la cause de la protection animale, je n’ai pas envie de consommer de cette viande-là. Et si cela continue, je finirai par ne plus consommer de viande du tout, mettant en péril toute une filière qui n’en a pas besoin aujourd’hui, surtout quand on voit tout le travail effectué par nos éleveurs. Comment répondez-vous à cette question ?

Comme l’a dit le rapporteur, toute la chaîne est importante, du départ de l’animal de la ferme jusqu’à son arrivée à l’abattoir. Le transport occasionne du stress aux animaux qui sont désormais reconnus comme des êtres sensibles. Cela fait des années que des chercheurs et des associations de protection animale sérieuses travaillent avec le ministère sur la sensibilité de l’animal. Elles pourraient amplifier leurs recherches sur les questions d’étourdissement, sur l’adaptation de l’étourdissement. On le sait, les moyens utilisés pour étourdir le porc ne sont pas parfaits, certaines machines ne sont pas adaptées. Comptez-vous réfléchir avec des chercheurs, des universitaires ou autres, à l’amélioration de ces pratiques ?

L’abattoir du futur est un sujet intéressant. On n’améliora pas tout d’un seul coup, c’est évident. Mais ne serait-il pas possible de voir comment on peut réceptionner les animaux, les maintenir dans un lieu particulier avant d’être abattus pour faire baisser le stress ? Les chercheurs et les associations ne pourraient-ils pas mener cette réflexion ? On ne peut pas laisser de côté la souffrance animale. Moi qui suis déjà allée dans les abattoirs, j’ai pu constater que tout n’était pas parfait en la matière.

M. Jean-Luc Bleunven. Je veux revenir sur les abattoirs de proximité et la question de l’agro-écologie. Je ne suis pas inquiet en ce qui concerne les grandes chaînes d’abattage : là où il y a une grande concentration d’animaux, on peut en effet concentrer les moyens et améliorer l’efficacité des contrôles. Mais on ne pourra pas nier la nécessité d’une proximité de l’abattage pour répondre aux besoins de l’agriculture biologique et de la traçabilité. Parfois, sur les chaînes, on ne maîtrise pas tout. Pour ma part, je considère qu’il faudra également chercher du côté de l’abattage mobile car là aussi, on est encore un peu au Moyen âge… Rien n’a été fait pour trouver des solutions qui passent sans doute aussi par des techniques nouvelles.

Mme Laurence Abeille. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre présence.

La condition animale est devenue dans notre société un vrai sujet politique. La condition animale est-elle pour vous aujourd’hui un sujet politique, une priorité politique ?

La société s’est emparée de ce sujet parce que nos connaissances sur les animaux ont beaucoup évolué depuis quelques années. Dans le même temps, l’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage a fini par désincarner la question de notre alimentation – et cela ne vaut pas seulement pour l’élevage. Il s’agit de consommation d’animaux, donc d’être vivants doués de sensibilité, comme le précise le code civil. La majeure partie de la population ne connaît pas ces animaux, qu’elle voit seulement dans des publicités où ils sont représentés gambadant dans les prés. Les morceaux de viande sont achetés dans des barquettes ; du coup, le lien entre l’animal qui gambade dans le pré et la barquette ne se fait plus du tout. Autrefois, la plupart des gens habitaient à la campagne et connaissaient davantage les animaux. Depuis, un changement s’est opéré dans la société : les animaux ne peuvent plus être considérés comme destinés à devenir de simples morceaux de viande puisque l’on sait aujourd’hui que ce sont des êtres intelligents, des êtres sensibles.

Les scandales soulevés par la diffusion de ces vidéos posent une vraie question de société. Va-t-on pouvoir, oui ou non, continuer à consommer des animaux ? Si oui, dans quelle proportion ? Une industrialisation toujours plus grande ne finira-t-elle pas par décourager un certain nombre de gens de consommer de la viande ? Je sais que tel n’est pas votre objectif même si, pour ma part, je défends ceux qui appellent à une non-consommation de viande ou à une consommation largement diminuée. La question de la souffrance animale est centrale : un animal élevé et abattu dans de bonnes conditions peut permettre à des gens de continuer à consommer de la viande, peut-être moins. Vous avez parlé de la rentabilité économique extrêmement faible des abattoirs. Nous avons demandé aux personnes que nous avons auditionnées jusqu’à présent quel était le prix de l’abattage, mais nous n’avons pas réussi à obtenir des réponses très précises. L’étiquetage ou la labellisation pourraient peut-être permettre de faire des choix en toute connaissance de cause, puisque le consommateur aurait la certitude que les animaux auraient été élevés et abattus dans les conditions les plus dignes possibles, sachant que la mise à mort d’un animal et son étourdissement a priori sont inévitablement facteurs de souffrance. Comptez-vous retravailler la question des techniques d’étourdissement des animaux, en particulier celle des porcs au CO2 ? Lorsqu’on lit l’article paru dans Libération, on se dit qu’il convient de poursuivre les recherches sur ce point : il semblerait que l’étourdissement ne supprime pas la souffrance des animaux, alors que, au-delà des parlementaires ici présents, la grande majorité de nos concitoyens souhaitent qu’elle diminue.

On a beaucoup parlé dans cette commission de la formation des personnels ; je n’y reviendrai pas. Certes, les caméras serviraient à surveiller les personnes qui travaillent et à améliorer la formation. Mais elles pourraient peut-être aussi permettre de vérifier que les animaux sont abattus dans de bonnes conditions, c’est-à-dire qu’ils ne souffrent pas et ne se réveillent pas après étourdissement : la question du réveil s’est posée à de nombreuses reprises.

À mon tour, je veux revenir sur la question des abattoirs mobiles qui existent dans certains pays d’Europe. Pourquoi êtes-vous opposé à cette solution qui peut permettre de réduire l’empreinte carbone et la souffrance des animaux transportés sur de longues distances ?

M. le ministre. Monsieur le rapporteur, vous m’interrogez sur l’exosquelette. Il ne faudrait pas que le rapport à l’animal soit complètement perdu à cause d’un système qui deviendrait intégralement technologique. Il ne faut pas oublier la sensibilité des femmes et des hommes qui, même si certains peuvent la contester, permet ce rapport à l’animal. Je suis favorable à la mise en place de systèmes de découpe qui allègent les efforts des salariés. Du reste, ces systèmes existent déjà. Il faudrait engager une concertation entre tous ceux qui innovent dans ces domaines et FranceAgriMer afin de regarder ce qui est fait et où cela nous mène.

Les sacrificateurs sont toujours sous la responsabilité de l’exploitant. Soyons clairs : l’exploitant est responsable de ce qui se passe dans son abattoir. Peut-être peut-on réfléchir à un salariat, sachant que l’agrément est donné aux sacrificateurs par les instances religieuses. Ira-t-on jusqu’à dire que les outils qu’ils utilisent sont sous la responsabilité de l’abattoir ? Voilà une question à laquelle il va falloir répondre. Je n’y suis pas du tout opposé.

La question des abattoirs de proximité a été reposée. Il y a aujourd’hui en France 259 abattoirs. Est-ce trop ou pas assez ? Je crois qu’y en a suffisamment. C’est un débat de fond. Suffit-il de limiter le transport et de multiplier le nombre d’abattoirs pour diminuer la souffrance animale. Je dis non. L’expérience montre clairement que cela ne marche pas. Il est plus facile, si je puis dire, d’améliorer les conditions de transport des animaux, pour éviter leur stress durant l’embarquement, la contention, le trajet. N’oublions pas, je le redis, qu’un abattoir est en endroit où un animal arrive vivant et où il doit être abattu, tué et découpé. Sans oublier ce qu’on appelle le cinquième quartier : une partie du chiffre d’affaires des abattoirs se fait sur la peau des animaux. Autrement dit, il faut dépiauter… Et il suffirait de mettre des abattoirs mobiles dans des camions, qui se baladeront à travers la campagne des camions pour abattre des animaux un peu partout ? Et vous me parlez d’empreinte carbone ? J’aimerais qu’on fasse le calcul… Et pour ce qui est de la souffrance, je suis sûr de mon fait : je préfère avoir 259 établissements contrôlés, dans lesquels on peut investir pour améliorer le bien-être animal, plutôt que de disséminer des abattoirs partout au nom de la proximité. Et après ? Il y aura d’autres ministres après moi qui se feront eux aussi alpaguer… N’oublions jamais qu’abattre un animal exige ensuite de le découper et de le transformer. Je voudrais bien voir comment les choses se passent exactement dans les pays européens où l’abattage mobile existe. N’oublions pas enfin les conditions sanitaires : il ne s’agit pas de mettre sur le marché de la viande qui ne répondrait pas aux normes sanitaires. Je suis bien placé pour savoir que la question sanitaire renvoie à des enjeux colossaux en termes de qualité, de microbiologie, d’agents pathogènes : je vous rappelle qu’il a fallu récemment faire le vide sanitaire pendant un à deux mois dans dix-sept départements avant de remettre en production des canetons. Il y va de ma responsabilité de ministre.

Voilà pourquoi, je l’ai dit au Sénat, je ne suis pas favorable à la multiplication des abattoirs, au nom de la proximité, car on risque de se mettre dans des situations où on aura de plus de plus de mal à lutter contre la souffrance animale. Il faut d’abord gérer les sites d’abattage existants. Des élus m’appellent tous les jours. On me demande de rouvrir l’abattoir de Mauléon. Je comprends l’enjeu : c’est un abattoir territorialisé, de proximité mais qui a rencontré les problèmes que l’on sait.

M. Sylviane Alaux. L’abattoir de Mauléon vient d’être contrôlé et aucune réserve n’a été émise.

M. le ministre. On va donc pouvoir le rouvrir. Mais il convient de respecter toutes les règles, pour ne pas revivre ce que l’on a déjà vécu parce que derrière c’est toute la filière qui paye, en particulier la filière de proximité et la filière bio. J’essaie de faire comprendre à tous ceux qui me demandent de multiplier les abattoirs, au nom de la proximité et de la filière bio, que le jour où l’on est confronté à des problèmes comme celui que l’on vient de connaître, le risque est de ne plus avoir aucune maîtrise. Maîtrisons ce que nous avons, améliorons le transport et limitons les stress. Je rappelle qu’un abattoir est un lieu économique où la rentabilité reste extrêmement faible, quoi qu’on fasse. Si tant d’abattoirs municipaux ont disparu au fil des ans, c’est bien parce que même les municipalités n’arrivaient plus à combiner les enjeux de respect des conditions sanitaires, de bien-être et d’équilibre économique. J’ai en tête le cas d’un abattoir municipal, situé dans l’Est de la France, concurrencé par d’autres abattoirs situés de l’autre côté de la frontière. C’est pourquoi, et j’ai bien réfléchi à la question, je ne suis pas favorable aujourd’hui à la multiplication des abattoirs.

Je ne peux pas être accusé de ne pas faire ce qu’il faut alors que c’est la première fois qu’a été mise en place une stratégie globale de bien-être animal. Hier, à Bruxelles, j’ai rappelé que le bien-être animal ne concernait pas seulement les animaux élevés dans des bâtiments : il faut aussi tenir compte de ceux qui sont en plein air. Le plein air fait partie des critères sur lesquels on doit s’appuyer pour mesurer le bien-être animal. Pour moi, c’est un enjeu majeur.

Un abattoir qui ne respecte pas les règles n’est pas agréé ; du coup, l’argument tombe. D’ici au mois de septembre il faudra surtout se pencher sur la question des sanctions. On l’a vu, certains directeurs d’abattoirs ont reporté la faute sur les employés, prétendant qu’il leur a suffi de s’absenter deux jours pour que le salarié fasse n’importe quoi. J’ai entendu des associations dire que c’est chaque fois la même chose, que les politiques disent qu’ils vont traiter le sujet, mais qu’une fois l’émotion passée ils passent à autre chose. En la matière, il faut mettre en place des éléments structurants qui permettent justement de garder la pression et surtout de protéger ceux qui informent. Car c’est bien cela le sujet : il y avait bien des référents bien-être animal dans les abattoirs du Vigan et de Mauléon, mais ils ne disaient rien. Si on ne protège pas les salariés et qu’on ne leur donne pas les moyens de dénoncer ce qu’ils voient, cela ne marchera pas. Et on aura beau mettre des vétérinaires partout, cela ne marchera pas non plus ; et on n’a pas le temps de le faire. La responsabilité des abattoirs doit aussi être engagée. C’est pourquoi je considère que ce sont des questions essentielles.

Vous m’avez interrogé sur la mise en place d’un étiquetage, en particulier pour la viande casher. C’est vrai, dans le rite casher, on ne mange que l’avant de l’animal. Or, jusqu’à nouvel ordre, un animal est génétiquement composé de deux parties et c’est tant mieux… Vous me dites ne pas vouloir manger le quartier arrière d’un animal qui aurait pu être abattu selon le rite casher. La probabilité est assez limitée, l’abattage casher n’étant pas aussi répandu que l’abattage halal. Mais le risque existe ; c’est donc une question de principe. Que va-t-il se passer si l’on met en place un étiquetage ? Il sera indiqué sur la barquette que l’animal a été tué selon le rite casher. Du coup, la moitié de l’animal ne sera pas commercialisable, alors même qu’il s’agit des parties arrière que nous, nous considérons comme les plus nobles… Autrement dit, c’est la fin. Chacun défend son point de vue ; mais pour ma part je ne suis pas favorable à l’étiquetage.

Les analyses scientifiques et les vétérinaires ont avancé sur la question de l’étourdissement. Il doit être fait dans de bonnes conditions. L’homme interviewé dans le journal Libération qui, je vous le rappelle, est technicien vétérinaire et non vétérinaire, exagère. Quand l’étourdissement est réalisé à l’aide d’un pistolet, l’animal est totalement insensibilisé. Mais il est possible que, selon ce qui s’est passé, ce ne soit pas toujours le cas. Ainsi, l’asphyxie des cochons au CO2 ne marche pas toujours. C’est un sujet technique qu’il faut améliorer. Et comme le temps de passage dans le bain est réduit, cela augmente les cadences et certains animaux passent au travers. Il a des exceptions partout.

Il y a deux ans déjà, j’ai présenté, avec Patrick Dehaumont, la stratégie de la France pour le bien-être des animaux. Le premier axe concerne la recherche, car je suis parfaitement conscient que des progrès doivent être faits dans ce domaine. Par ailleurs, la loi d’avenir pour l’agriculture a créé un Centre national de référence bien-être animal. Vous le voyez, nous n’avons pas attendu la diffusion de ces images pour faire quelque chose ; nous avions anticipé. C’est la première fois qu’a été définie une stratégie bien-être animal qui concerne à la fois la naissance, l’élevage et l’abattage. Ce n’est pas un sujet tabou.

Madame Abeille, vous me demandez si le bien-être animal est une priorité. Bien que le ministre de l’agriculture ait tous les jours beaucoup de dossiers sur sa table, cette question est pour moi restée prioritaire. Dès 2014, nous avions défini une stratégie spécifique en faveur du bien-être animal et certains articles de la loi d’avenir traitent de cette question. La DGAL et son directeur avaient parfaitement identifié ce sujet, et j’ai fait en sorte de le mettre en œuvre. Nous n’avons aucune raison de ne pas vouloir améliorer le bien-être animal. Au contraire, tout doit être fait, car cela participe de notre capacité à maintenir les filières d’élevage et la consommation de la viande, même si elle diminue.

Maintenant, faut-il manger de la viande ? C’est une vraie question.

Mme Sylviane Alaux. C’est la liberté de chacun !

M. le ministre. Certes. Mais est-ce à dire qu’il y aurait, d’un côté, ceux qui mangent de la viande et qui ne seraient pas sensibles à la question de la souffrance animale, et de l’autre, ceux qui, en cessant d’en consommer, règlent le problème ? Beaucoup d’associations considèrent qu’il faut arrêter de manger de la viande. Je respecte totalement ce point de vue, mais je maintiens que la stratégie sur le bien-être animal est indépendante du choix qu’on peut faire, en tant que consommateur, de manger ou non de la viande. C’est pour moi clair et net. Et je ne vais pas, dans ce débat philosophique, me mettre dans la posture de celui qui doit choisir : chaque individu est responsable de ses choix de consommation. Notre responsabilité, c’est d’assurer le bien-être des animaux, car il n’y a aucune raison de les faire souffrir. Manger ou non de la viande est un vrai sujet. Mais le jour où l’on ne mangera plus de viande, il n’y aura plus d’animaux domestiques élevés dans de grands pays comme le nôtre ; il faut que chacun en ait conscience. Les animaux, quand on les voit dans les champs, c’est joli, c’est mignon… Et après, on voit des barquettes.

Moi qui suis issu du monde rural, je me souviens que dans les fermes, tout le monde voyait tuer un animal ; tout le monde participait à la tuée du cochon. Et les poules, les lapins… Et l’on savait parfaitement ce que devenait l’animal après avoir été tué : le lapin du pâté, la poule autre chose ; quant au cochon, je ne vous rappelle pas la fameuse formule… Il y avait un rapport direct. Or nos sociétés urbaines se sont coupées de cette réalité ; une « boîte noire » a été mise entre l’animal que l’on voit dans les champs et le steak haché que l’on mange. Certains enfants ne savent même pas que le lait qu’ils voient dans la brique vient d’une vache. C’est un vrai sujet : il va falloir réfléchir à la manière de faire redécouvrir aux gens ce qu’est la réalité des choses. J’en ai parfaitement conscience en tant que ministre et ancien enfant des fermes. Un steak, cela vient d’un animal, une côte de porc provient d’un cochon. Mais à cause de l’urbanisation et de l’industrialisation de l’alimentation, les gens ne le savent plus, ne le voient pas, quelquefois ne veulent pas le savoir. Je vous indique, au passage, que nous sommes l’un des derniers pays d’Europe à manger du poulet rôti servi à table. Dans les autres pays, le poulet n’est plus consommé entier et rôti mais en morceaux : du coup, on ne mange plus un poulet, mais des nuggets par exemple. L’urbanisation de la société et l’industrialisation ont été à l’origine de la disparition de certaines réalités qui interpellent lorsqu’elles refont surface. Le ministre que je suis n’est pas responsable de tout, mais il doit mettre en place les outils qui s’imposent.

Mme Geneviève Gaillard. Vous avez oublié de répondre à une de mes questions, monsieur le ministre ; pour ma part, je n’ai pas demandé que l’on rouvre les abattoirs de proximité, mais seulement si vous comptiez encore en fermer.

M. le ministre. Madame la députée, ce n’est pas moi qui ferme les abattoirs, et je n’ai pas l’intention d’en fermer. J’ai dit que nous avions 259 abattoirs…

Mme Laurence Abeille. Sans compter les abattoirs de volailles.

M. le ministre. Effectivement. C’est notre base de travail. Nous devons améliorer les choses. Il est sûr que je n’ai pas envie d’en ouvrir de nouveaux, mais je n’ai aucunement l’intention d’en fermer, sauf si nous sommes saisis de problèmes. Et j’en connais quelques-uns qui ont encore des difficultés…

Mme Geneviève Gaillard. Il fut une période où on a fermé des abattoirs.

M. le ministre. Oui, et il n’y a pas si longtemps, à Landivisiau par exemple. Et ce fut un dossier lourd à porter…

M. Guillaume Chevrollier. Il y a dans les abattoirs un poste clé : celui du responsable protection animale dont les attributions doivent certainement évoluer et le statut juridique être consolidé. Comment voyez-vous l’évolution des relations entre le RPA et l’administration vétérinaire présente dans les abattoirs, pour que le système soit gagnant sur le plan de l’organisation de l’abattoir comme sur celui de la protection animale, et sans que ce soit coûteux en termes de dépenses publiques ? Alors que les comptes publics de notre pays sont dans l’état que l’on connaît, il faut éviter que l’organisation retenue n’aboutisse à un renchérissement permanent des coûts. La généralisation du responsable protection animale dans l’ensemble des abattoirs, quelle que soit leur taille, ne risque-t-elle pas de mettre en péril des petits abattoirs ? Un RPA représente une charge supplémentaire, donc un problème de compétitivité.

Le lanceur d’alerte L214, association militante pro-végétarienne, a joué sur l’émotion collective qui est la tendance de notre époque. La conclusion des contrôles que vous avez diligentés montre que les images ne sont pas en phase avec la réalité de la quasi-totalité des abattoirs dont il faut saluer le professionnalisme et l’engagement des personnels qui exercent un métier dur mais nécessaire. Quelle campagne comptez-vous lancer pour faire savoir que la quasi-totalité des abattoirs fonctionnent correctement ? Quelles actions entendez-vous mener pour relancer la consommation de la viande ? En tant que ministre de l’agriculture, vous savez que l’élevage est en crise, dans la Sarthe notamment et en Mayenne. Il y a une attente aujourd’hui à la fois de nos éleveurs et de la filière agroalimentaire pour relancer la consommation de viande dans notre pays.

Dernière question, que je vous pose au nom de mon collègue Pierre Morel-A-L’Huissier qui a dû nous quitter : votre ministère s’est-il porté partie civile dans les affaires mises en lumière par l’association L214 ?

Mme Annick Le Loch. Monsieur le ministre, en vous entendant tout à l’heure présenter la synthèse des inspections, je m’interrogeais sur la diversité des abattoirs. À côté des abattoirs classiques, il y a des abattoirs intégrés à des outils industriels et d’autres intégrés à des groupes de distribution. Le rapport que vous avez présenté tout à l’heure permet-il de donner quelques éléments sur cette répartition ? Avez-vous observé dans ces différentes catégories d’abattoirs des différences dans la prise en compte du bien-être animal ou la protection animale ?

Ma deuxième question concerne la crise de l’élevage. J’entends évoquer des départs tardifs d’animaux dans les élevages de porcs ou des abattages conséquents de troupeaux de vaches allaitantes. Je ne sais pas si cela a des conséquences sur le fonctionnement des abattoirs. Chacun sait que les distributeurs se livrent une guerre des prix féroce. La course aux prix bas aurait-elle des conséquences sur le fonctionnement des abattoirs, maillons essentiels de la filière ?

M. William Dumas. Monsieur le ministre, je vous remercie pour toutes les réponses que vous nous avez apportées.

Vous nous avez dit que les sacrificateurs étaient agréés par des organismes eux-mêmes agréés. Mais, dans l’abattoir d’Alès, on a bien vu que le sacrificateur était un remplaçant. Il faudra donc bien un jour clarifier les choses.

Les patrons de cet abattoir que nous avons auditionnés nous ont indiqué que la formation au poste d’abattage durait quarante-huit heures. Et le président de notre commission d’enquête nous a relaté les propos du directeur de l’abattoir de Maubeuge qui peine à recruter du personnel, alors même que son établissement est implanté dans une zone où le taux de chômage est élevé. On voit bien que ce métier est peu couru. Il y a certainement des problèmes de cadence et de productivité. Lors de nos auditions, nous avons essayé de savoir quel était le prix de l’abattage, mais nous n’y sommes pas parvenus… On nous donne jamais le même prix. Il y a très certainement un problème de rentabilité vis-à-vis des autres pays. On sait bien en effet que certains porcs bretons étaient tués en Allemagne il fut un temps parce que les droits sociaux des salariés ne sont pas les mêmes que chez nous.

Au cours de nos auditions, il a été question, à plusieurs reprises, de l’installation de caméras de vidéosurveillance. Au début, je pensais que cela pouvait être une des solutions, mais maintenant que je vois à quel point ce poste est décrié, je me demande si une caméra ne ferait pas peser davantage encore de pression sur les gens qui exercent ce métier. Je ne suis donc plus aussi sûr que l’installation d’une caméra pour surveiller des gens soit une bonne idée.

Hier, à Bruxelles, vous avez indiqué qu’il fallait tenir compte du bien-être des animaux élevés en plein air. Vous avez raison : dans les Cévennes, par exemple, on cherche à faire certifier les élevages de poules qui sont en liberté et on lance le porc noir des Cévennes sous l’appellation « Baron des Cévennes ». Ce cochon, élevé en liberté, ne mange que des châtaignes ; les éleveurs ne parviennent pas à répondre à la demande, tant elle est forte. Les prix de ces produits sont nettement plus rémunérateurs que ceux des poules ou des cochons élevés en batterie.

Actuellement, des taureaux de Camargue sont élevés aux portes d’Alès. À côté de chez moi, dès que des terres se vendent, elles sont achetées par des gens qui élèvent des taureaux de Camargue. Mais comme nous ne sommes pas dans la zone de production, ces taureaux doivent être obligatoirement abattus dans l’abattoir de Tarascon. Le maire d’Alès, dont l’abattoir affiche un déficit de 500 000 euros par an, aurait bien aimé que son établissement puisse abattre les taureaux de Camargue. Cela aurait réglé bien des problèmes.

Enfin, je tiens à vous remercier pour les éclaircissements que vous nous avez fournis à propos de Martial Albar. En douze ans, il a effectué trois remplacements dans les abattoirs, nous avez-vous dit. De tels articles, que l’on peut voir à la une d’un journal comme Libération font mal. Je me demande à quel jeu se livrent les journalistes. Ils ne vérifient pas leurs sources. C’est vraiment grave.

M. Yves Censi. Monsieur le ministre, je vous remercie pour les éclaircissements que vous nous avez apportés. Nous avons eu droit à notre minute philosophique en réponse à certaines questions qui vous ont été posées… Pour ma part, je considère que notre commission n’a pas à se prononcer sur la question de la consommation ou de la non-consommation de la viande. Cela me paraît parfaitement hors sujet. Je me réjouis que vous ayez centré votre propos sur la souffrance animale. Le Code civil reconnaît désormais la notion de sensibilité de l’animal. Pour ma part, j’aurais parlé d’affect, de système émotionnel, comme pour l’ensemble des êtres vivants d’ailleurs ; en tout état de cause, il faut prendre garde à ce que notre commission ne dérape pas vers des sujets qui dépassent son objet.

Vous avez rétabli certaines vérités à propos de l’article de Libération que pour ma part je trouve assez scandaleux, et rappelé que la consommation de la viande était conditionnée à une certaine transparence pour nos consommateurs, au fait que tout le processus doit être opéré de manière digne, dans le respect de l’animal et en évitant totalement, autant que possible, qu’il ne souffre, avec un enjeu de fond : favoriser l’élevage, la consommation de viande et l’excellence de nos filières en France. Élu de l’Aubrac, je ne peux pas imaginer les montagnes de l’Aubrac sans vaches, et de race Aubrac, bien évidemment, avec des cornes !

L’abattoir de Sainte-Geneviève-sur-Argence, dans le nord de l’Aveyron, est actuellement confronté à un mouvement de grèves des techniciens et des vétérinaires de la DDCSPP. Les autorités administratives répondent que la grève est un droit, mais j’appelle votre attention sur ses conséquences. L’enlèvement des animaux dans les élevages est retardé ; je vous laisse imaginer les embouteillages que cela peut représenter sur des centaines de bêtes et les effets en termes de stress des animaux… Bien évidemment, cela pénalise les ateliers de production, et notamment l’activité viande hachée surgelée qui fonctionne en flux tendu. Cela déstabilise absolument tout. Pourrait-on envisager un service minimum, sans bien sûr remettre en cause le droit de grève ?

L’impact sur la filière et sur l’organisation des abattoirs n’est pas uniquement économique dans la mesure où l’on revendique maintenant dans la loi les effets sur l’affect des animaux. En fait, rien n’est organisé pour supporter ces grèves. Il s’agit souvent de grèves perlées, mais les abattoirs ne peuvent pas s’adapter lorsqu’ils sont prévenus seulement la veille ou l’avant-veille. Je vous laisse imaginer les dérèglements que cela peut entraîner.

M. le rapporteur. On a beaucoup parlé des animaux de boucherie et peu évoqué la volaille. J’ai l’impression que nous souffrons tous un peu d’anthropomorphisme, autrement dit que plus l’animal est gros plus l’on s’en sent proche, tandis que l’on fait moins attention à une volaille qui est un animal moins touchant. Pourtant, les cadences dans les unités d’abattage sont élevées aussi bien pour les lapins que pour les poulets. Qu’est-ce qui pourrait être amélioré, sachant qu’il s’agit de processus très industrialisés et très concurrentiels où le coût représente, là aussi, une forte pression ? Pensez-vous qu’il faudrait concentrer nos efforts sur ces abattoirs ?

M. le ministre. Vous me demandez si le ministère a pu se porter partie civile. Non, il ne le peut pas, dans la mesure où les agents du ministère sont des auxiliaires de justice.

Madame Le Loch, il n’y a aucun lien entre la taille des abattoirs et les résultats après inspection. Aucun lien non plus entre les résultats et les statuts – abattoirs liés à des grands distributeurs, à des coopératives, etc. En la matière, je vois à peu près à qui et à quoi vous faites référence. Les inspections n’ont pas révélé de différences susceptibles d’être liées au modèle économique.

Le responsable protection animale lors de la mise à mort doit être inscrit en préfecture. Pour moi, le lien entre privé et public est évident. La responsabilité de l’abattoir est engagée pour ce qui concerne le respect des règles de bien-être ; pour notre part, nous avons une responsabilité globale sur le bien-être et sur les questions sanitaires. Le partenariat public/privé doit exister. Je le répète, pour que le système fonctionne et que la responsabilité soit parfaitement identifiée, le responsable protection animale lors de la mise à mort doit être inscrit en préfecture, son nom doit être disponible en préfecture ; et en tant que lanceur d’alerte, il doit être protégé ; sinon, cela ne sert à rien. J’en veux pour preuve qu’il y avait déjà un RPA dans un des abattoirs mis en cause, mais il ne disait rien. C’est sur ce point que doivent porter les évolutions législatives. L’abattoir doit aussi être sanctionné pour le comportement de ses salariés. J’ai été frappé de voir sur la vidéo de l’abattoir du Vigan comment les moutons étaient balancés de l’autre côté d’une rambarde. Et les pauvres bêtes revenaient… On avait perdu tout sens rationnel. D’où la question de la présence de caméras. En la matière, monsieur le rapporteur, je suis ouvert aux propositions que vous ferez, mais elles ne doivent pas conduire à ce que le salarié soit soumis à une forte pression qui pourrait le troubler psychologiquement et qui ne résoudra pas le problème.

La relation avec l’administration se fait via les préfectures et à travers les mesures que vous allez inscrire dans la loi sur la protection de ces salariés concernant le CHSCT et la formation. Comme les noms des RPA seront disponibles en préfecture, on pourra y avoir accès, notamment lors des discussions et des contrôles avec les associations. Il est très important de cadrer les choses pour pouvoir avancer.

Monsieur Dumas, les taureaux de Camargue ne peuvent pas être abattus à l’abattoir d’Alès, mais à Tarascon, pour la bonne raison que l’indication géographique protégée (IGP) Camargue se limite à la Camargue… C’est la règle et on ne la changera pas. Mais vous touchez du doigt le débat de fond en termes économiques : si vous multipliez les abattoirs, il y aura moins de bêtes à abattre dans chaque abattoir, ce qui affectera leur rentabilité – et le déficit de l’abattoir d’Alès atteint déjà les 500 000 euros, avez-vous dit. Voilà pourquoi je ne souhaite pas augmenter le nombre d’abattoirs.

Quel est le coût de l’abattage ? Il est fonction des investissements, des coûts de fonctionnement, des salaires, de l’amortissement, etc. Mais la difficulté, c’est qu’un abattoir, quelle que soit sa taille, fonctionne à l’envers de ce que fait un système industriel : d’ordinaire, dans l’industrie, on assemble ; dans un abattoir, on désosse, on désassemble. Du coup, entre le moment où l’animal est tué et où il est découpé, les produits qui sont le fruit de ce travail et qui doivent le financer sont complètement éclatés, avec des prix différents, et qui de surcroît varient selon la saison : vous avez plus de chances de valoriser le quartier arrière de l’animal l’été, tandis que l’hiver les parties avant sont davantage consommées, et par conséquent mieux valorisées. La valorisation du produit est également fonction des pièces : il est très difficile de savoir ce que représente l’abattage dans le prix d’une côte de porc, par exemple. Il y a aussi des produits transformés, comme le jambon, qui nécessitent une cuisson ou un affinage. Le coût de l’abattage est donc lié à l’investissement, à l’amortissement, aux charges de personnel, à la consommation d’énergie, qui est importante. Je n’ai pas les chiffres en tête, mais je pourrai vous donner le pourcentage d’un prix global de carcasse, sachant qu’une partie de la valorisation de la carcasse se fait aussi sur les peaux, d’où les débats qui ont eu lieu il y a quelques années sur la qualité des peaux et la lutte contre le varron. Si la qualité des peaux n’est pas correcte, c’est tout le cinquième quartier qui est mal valorisé. Et dans le prix, il ne faut pas oublier non plus la triperie. Il s’agit de sujets très compliqués et extrêmement délicats en termes économiques.

Monsieur Censi, vous m’interrogiez en fait sur les grèves liées au projet de loi El Khomri en cours de discussion au Parlement. Mais vous vouliez aller plus loin que nous : il y en aurait eu davantage encore… Quoi qu’il en soit, le droit de grève existe, je ne peux pas le remettre en cause.

M. Yves Censi. Bien entendu, monsieur le ministre, je connais le droit du travail et le droit de grève dans la fonction publique. Mais la loi, vous le savez, prévoit un service minimum quand cela s’avère nécessaire. Pour des questions de tous ordres, sanitaires philosophiques, émotionnelles puisqu’elles touchent au bien-être des animaux, on pourrait imaginer l’application d’un service minimum. Je pourrai en faire la proposition à notre commission d’enquête. À votre avis est-il possible de l’imaginer dans ce cadre spécifique, sans remettre en question le droit de grève dans la fonction publique ?

M. le ministre. Je verrai ce que votre commission en dira. Mais le ministre de l’agriculture que je suis vous répond non. Je ne vois pas comment on pourrait mettre en place un service minimum. La grève est un droit constitutionnel. Cela étant, vous êtes une commission tout à fait indépendante…

Monsieur le président, toutes les questions que nous avons abordées cet après-midi vont nécessiter un suivi. Nous vous enverrons les résultats de l’ensemble de l’enquête que nous avons effectuée le mois dernier. Vous avez eu la primeur de ces chiffres, et c’était normal. Votre commission a un rôle important à jouer. Tout ce qui peut concourir à dire ce qui se passe réellement est un élément de communication, et nous devons l’utiliser pour redonner confiance dans l’élevage et la consommation de viande.

Je veux revenir sur le rapport du CGAAER sur les abattages rituels, sujet extrêmement sensible dont on voit tous les enjeux.

M. le président Olivier Falorni. Nous devons rendre notre rapport au plus tard le 22 septembre.

M. le ministre. Je ferai tout mon possible pour que ce document soit intégré dans le vôtre. On voit, à travers vos questions, que c’est un sujet qu’il va falloir traiter. De toute façon, il fera l’objet d’un débat. Je suis très attaché, et je le dis à mes services, à ce que l’on puisse donner les moyens à votre commission d’avoir la partie qui concerne l’abattage rituel. Il est important que vous abordiez tous les sujets.

M. le président Olivier Falorni. Nous sommes vraiment très demandeurs de recevoir ce rapport le plus rapidement possible, sachant que le nôtre nécessite un temps de rédaction et une validation de tous les membres de notre commission. Le planning est très serré.

Monsieur le ministre, je vous remercie pour tous les éléments d’information dont vous nous avez livré la primeur. Cela démontre, une fois de plus, que nos actions sont complémentaires et combien il est nécessaire de travailler ensemble pour améliorer le bien-être animal dans nos abattoirs.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du mercredi 18 mai 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Luc Bleunven, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Yves Caullet, M. Yves Censi, M. Guillaume Chevrollier, M. Yves Daniel, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, Mme Geneviève Gaillard, M. Jacques Lamblin, Mme Annick Le Loch, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Fabrice Verdier, M. Arnaud Viala, M. Philippe Vitel

Excusés. - M. Thierry Lazaro, Mme Paola Zanetti