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Commission d’enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Jeudi 26 mai 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des syndicats d’employés du secteur agro-alimentaire, avec la participation de M. Michel Kerling, secrétaire fédéral de la Fédération générale des travailleurs de l’agriculture, de l’alimentation, des tabacs et des services annexes Force ouvrière (FGTA-FO), M. Pascal Eve, conseiller fédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens Agriculture (CFTC-AGRI), M. Michel Le Goff, membre du comité exécutif fédéral de la Fédération nationale agroalimentaire et forestière de la Confédération générale du travail (FNAF-CGT) et M. Alain Bariller, délégué syndical central du groupe Socopa de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

M. le président Olivier Falorni. Notre table ronde réunit les syndicats d’employés du secteur agroalimentaire. Nous souhaitons la bienvenue à M. Michel Kerling, secrétaire fédéral de la Fédération générale des travailleurs de l’agriculture, de l’alimentation, des tabacs et des services annexes Force ouvrière (FGTA-FO), M. Pascal Eve, conseiller fédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens Agriculture (CFTC-AGRI), M. Michel Le Goff, membre du comité exécutif fédéral de la Fédération nationale agroalimentaire et forestière de la Confédération générale du travail (FNAF-CGT), accompagné de M. Roger Perret, secrétaire de la FNAF-CGT et de M. Denis Lefrançois, délégué syndical de Socopa Coutances, M. Alain Bariller, délégué syndical central du groupe Socopa, de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), accompagné de M. Philippe Henriq, coordonnateur du groupe Bigard-Charal-Socopa.

Je vous rappelle, messieurs, que toutes nos auditions sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale. Elles sont aussi parfois diffusées sur la chaîne LCP.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Michel Kerling, Pascal Eve, Michel Le Goff et Alain Bariller
prêtent successivement serment.)

M. Michel Kerling, secrétaire fédéral de la Fédération générale des travailleurs de l’agriculture, de l’alimentation, des tabacs et des services annexes Force ouvrière (FGTA-FO). Mesdames, messieurs les députés, mon organisation vous remercie de nous permettre de nous exprimer devant votre commission. Je suis secrétaire fédéral de la FGTA-FO chargé des deux secteurs viande, le secteur coopératif agricole bétail et viande et celui de l’industrie et des commerces en gros des viandes. La FGTA-FO est représentée dans ces deux secteurs à hauteur de 27,64 % pour la première et de 27,53 % pour la seconde.

Les abattoirs jouent un rôle primordial. Il s’agit de permettre d’abattre, dans des conditions respectant les règles quant au bien-être animal, les animaux de boucherie élevés et destinés à la consommation humaine. Il nous semblait utile de le rappeler, compte tenu du contexte un peu compliqué que nous vivons actuellement.

Sur les 263 abattoirs de viande de boucherie que compte notre pays, la maltraitance animale a été avérée dans trois abattoirs – vous connaissez leurs noms –, soit un peu plus de 1 %. Après une visite de l’ensemble des abattoirs, 5 % de manquements graves ont été détectés. Ces chiffres montrent qu’il ne faut pas établir de règle en partant d’un pourcentage qui, bien qu’intolérable, reste faible. Il s’agit de situations extrêmes, non de réalités quotidiennes. Bien sûr, ces actes sont inadmissibles et condamnables – et je le dis bien que nous représentions les salariés qui travaillent dans ces outils, et notamment sur ce poste très controversé aujourd’hui qu’est l’abattage de l’animal.

Il est utile également de rappeler la grande diversité des abattoirs. Il y a les outils industriels, qui appartiennent à des grands groupes de viande, et ceux que je qualifierai de publics qui assurent bien souvent un service de proximité et qui sont peut-être plus fragiles sur le plan économique, sachant que l’activité d’abattage seule est peu rentable aujourd’hui. La question de la structure assurant la formation – service des ressources humaines – et l’encadrement des salariés – encadrants de proximité – est posée.

Il faut également connaître la réalité quotidienne des salariés. Nous sommes un secteur d’activité où la pénibilité est reconnue par accord collectif par l’ensemble des partenaires sociaux. Le travail, caractérisé par le froid associé à l’humidité, le geste répétitif et la cadence, laisse peu de latitudes aux salariés pour pallier un dysfonctionnement matériel. Je connais un outil qui abat vingt-huit bovins à l’heure avec une équipe d’environ seize personnes, autrement dit un bovin toutes les deux minutes. Cela vous donne une idée du rythme de travail dans les outils industriels. Sans parler des amplitudes de travail pouvant aller de neuf heures trente dans une convention collective à dix heures dans une autre.

Le poste d’abattage est un poste particulier qui concerne le bien-être animal, mais ce n’est pas le seul. Les conditions de vie de l’animal chez l’éleveur, l’arrivée à l’abattoir d’animaux – le pourcentage est faible, heureusement – hors d’état de supporter le transport, et qui n’auraient donc pas dû y être envoyés sont autant de considérations qui peuvent influer sur l’acte d’abattage proprement dit. Nous pensons que le rôle d’inspection ante mortem est primordial. Les vétérinaires, les services vétérinaires ont-ils le temps de remplir parfaitement cette mission aujourd’hui ?

Nous avons fait le choix d’évoquer l’abattage rituel dans son ensemble. C’est un sujet complexe qui touche à la fois à la liberté religieuse des personnes, mais aussi à la prise de responsabilité du législateur que vous êtes. À notre avis, une harmonisation européenne serait souhaitable. Les informations que véhiculent les médias sur ces disparités polluent la compréhension des citoyens qui sont aussi des consommateurs.

Les moyens d’action reposent essentiellement sur la pédagogie et la formation. Des actions de sensibilisation sont indispensables pour le personnel affecté à ce poste particulier, puisque l’animal y arrive vivant et en ressort mort. En allant plus loin, une demi-journée de sensibilisation pourrait être organisée chaque année avec l’ensemble des acteurs, y compris avec le concours des services vétérinaires qui pourraient mettre en avant son importance. Cette action pourrait être financée par le plan de formation des entreprises.

La responsabilité des encadrants de proximité doit être également prise en compte. L’aspect bien-être animal devrait obligatoirement être intégré dans le cursus de formation et
– pourquoi pas ? – délivré par l’intermédiaire d’un intervenant externe à l’entreprise.

Quant à l’idée de filmer le poste d’abattage, elle ne nous paraît pas pertinente pour plusieurs raisons. Qui aurait et prendrait le temps de visionner les journées d’abattage ? La maltraitance animale ne concerne pas uniquement le poste d’abattage mais également l’ante mortem. Enfin, l’aspect « surveillance des salariés » est un point non négligeable qui, pour nous qui les représentons, va bien au-delà du problème de la maltraitance animale.

La désignation d’un référent et/ou lanceur d’alerte pose un problème complexe à deux égards : celui du comportement de la hiérarchie à son égard – les petits outils qui n’exercent que l’activité d’abattage et qui ne sont pas adossés à des grands groupes ont une économie fragile – et de la protection dont il disposerait. La sensibilisation collective et régulière nous semble plus pertinente.

Prévoir des visites ponctuelles dans les abattoirs, comme celles qui ont été organisées de façon systématique dernièrement, nous semble indispensable.

En conclusion, l’ensemble des moyens mis en œuvre n’occulteront pas le fait que l’entreprise est un reflet de notre société. Aussi, si certains citoyens devenus salariés maltraitent les animaux dans le cadre de leur travail, cela devrait constituer un délit avec les conséquences qui s’y rattachent.

M. Pascal Eve, conseiller fédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens Agriculture (CFTC-AGRI). La CFTC déplore également les actes qui ont été commis dans les trois abattoirs ces dernières semaines. Il est clair que de telles choses ne devraient pas exister. Qui plus est, notre filière est en butte à de sérieuses difficultés, et de tels actes ne font que les aggraver.

La première chose qui doit être prise en compte, c’est le bien-être animal. Comme l’a dit à l’instant M. Kerling, le bien-être animal ne commence pas lors de l’arrivée de l’animal à l’abattoir. C’est bien en amont qu’il faut être vigilant : il faut veiller à ce que les animaux ne soient pas compressés pendant le transport. Bien entendu, il y a des choses à faire dans les abattoirs. Mais il faut laisser aux établissements le temps de faire les investissements nécessaires, afin d’améliorer le bien-être animal. Cela fait deux ans que mon entreprise travaille sur ce dossier qui nous paraît très important.

Nous ne sommes pas complètement favorables à l’installation de caméras de vidéosurveillance. Qui va surveiller ? Qui aura la capacité de surveiller ? De surcroît, ces matériels représentent un coût pour nos entreprises qui sont déjà en difficulté. Placer une personne devant un écran pendant huit à dix heures par jour me paraît un peu difficile.

M. Michel Le Goff, membre du comité exécutif fédéral de la Fédération nationale agroalimentaire et forestière de la Confédération générale du travail (FNAF-CGT). Je vais, par la présente intervention, vous expliquer les conditions de vie de l’animal et du salarié dans les abattoirs que je connais en France.

Je suis salarié dans l’agroalimentaire depuis 1981 et j’ai commencé à travailler dans le groupe Bigard en 1988. Je suis délégué syndical central CGT du groupe, pour les entités Bigard, Charal et Socopa. Mon statut dans le groupe m’a permis de visiter une dizaine d’abattoirs sur les dix-sept que possède Jean-Paul Bigard.

Cela fait vingt-cinq ans que je suis à la chaîne, sur les lieux de production et d’exploitation : je connais donc bien le métier. Le bien-être animal est expressément lié au bien-être du salarié dans son entreprise, sur son lieu de travail. Si les moyens de production, c’est-à-dire le matériel et la sécurité du salarié sont respectés, alors les conditions peuvent être réunies pour permettre un abattage dans le respect de l’animal.

L’abattage d’un animal est en lui-même un acte violent. Ne pas le faire souffrir doit être le but ultime. Des règles élémentaires doivent prévaloir avant l’abattage d’une bête, quelle qu’elle soit. Il faut un milieu propre en bouverie, en porcherie ou en lieu d’attente. Les couloirs d’amenée doivent être sécurisés avec des rails qui empêchent l’animal de sauter ou de s’échapper, en optimisant l’avancée par des cases amovibles qui suppriment le recours à la matraque électrique. Un box d’assommage avec blocage de tête permet une maîtrise de l’emploi du matador pour les bovins ou autres outils adaptés à chaque espèce. L’étourdissement est effectué par un opérateur habilité d’un certificat de compétence. La saignée se fait dans la continuité le plus rapidement possible, mais dans un temps bien défini avant le travail sur l’animal. Malheureusement, souvent dans les abattoirs, les cadences sont infernales. Les salariés travaillent dans l’humidité et la chaleur – ils peuvent travailler à plus de 40 °C l’été, et autour de zéro l’hiver – avec une hiérarchie oppressante qui ne cesse de relancer l’opérateur au moindre arrêt de la chaîne. À l’abattoir de Guingamp par exemple, des salariés se sont vus infliger un avertissement parce qu’ils laissaient trop de trous dans la chaîne. Ils sont allés aux prud’hommes ; le tribunal a levé la sanction en condamnant la Socopa, mais la direction a fait appel. Cet exemple montre jusqu’où peut aller l’entreprise pour mettre la pression sur les salariés. Le salarié, dans la crainte ou la peur de se faire sanctionner, voire licencier, peut arriver à une dérive quand certaines situations deviennent intenables et se retrouver à faire ce que l’on a vu dans les vidéos. Mais il faut se rendre compte de toute la pression subie par le salarié pour en arriver là. Ce n’est pas de gaieté de cœur que l’on voit un salarié taper sur une bête ou la malmener ; mais il peut être dans une situation tellement extrême, au point de ne même plus se rendre compte de ses gestes.

Dans les élevages intensifs, l’animal est très peu au contact de l’homme. Quand la bête arrive à l’abattoir, elle est effrayée et peu conciliante, particulièrement les jeunes bovins. Les cadences élevées qui sont imposées, les amplitudes de travail de plus en plus fortes – les journées de neuf heures trente ou dix heures sont monnaie courante –, les contraintes sanitaires, d’hygiène, de qualité en constante évolution, la pression de l’agent de maîtrise qui ne cesse d’interpeller l’opérateur quand la chaîne est arrêtée, poussent le salarié à flirter avec les limites. Un temps de saignée parfois écourté ou un assommage précipité font que l’incident peut se produire à tout moment.

Les salariés ont une haute conscience de leurs responsabilités. En favorisant des formations professionnelles qualifiantes et rémunérées en conséquence, il est possible d’organiser des rotations sur les postes de saignée et d’assommage. Il est inconcevable que les salariés puissent se retrouver toute la journée à l’assommage ou à la saignée, car ce sont des métiers très éprouvants sur le plan psychologique. Les rotations sur les postes permettent aux salariés de souffler. Aussi pensons-nous que la rotation devrait être obligatoire pour éviter le traumatisme psychologique de la tuerie qui s’additionne à la pénibilité du métier en abattoir.

Des garde-fous sont nécessaires. Un ou des référents responsables de la protection animale indépendants doivent être présents dans tous les abattoirs, petits ou grands.

Certes, des contrôles existent déjà, mais de moins en moins nombreux en raison des politiques de réduction d’emplois dans les services publics. Les autocontrôles réalisés par les directions d’entreprise ne permettent pas une impartialité de jugement des situations à risque, du fait du lien de subordination entre le salarié et l’employeur. Abattre en toute transparence pour éviter les dérives est une exigence fondamentale. L’installation de caméras de vidéosurveillance n’apportera pas grand-chose, sinon du stress supplémentaire pour le salarié.

On parle également de cloisonner les postes d’assommage et de saignée et d’en limiter l’accès pour éviter des vidéos sauvages. Nous y sommes défavorables, car cela pourrait attiser les soupçons du consommateur. La filière viande est régulièrement attaquée, de l’agriculteur aux salariés de l’industrie agroalimentaire. Des milliers d’emplois sont concernés. Garantir notre souveraineté alimentaire assurera le maintien de l’activité sur notre territoire. Baser notre alimentation sur une nourriture saine, de qualité et en quantité suffisante, accessible pour tous, voilà les enjeux à venir. Une politique ambitieuse devra nationaliser les grands groupes de l’industrie agroalimentaire, permettant le développement de notre économie industrielle.

M. Alain Bariller, délégué syndical central du groupe Socopa, de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Je suis délégué syndical central SNCOA CFE – CGC AGRO au sein du groupe Bigard-Charal-Socopa. Je travaille sur le site d’Évron, dans la Mayenne, depuis trente-huit ans. Notre entreprise est spécialisée dans l’abattage, la découpe et le désossage de porcs charcutiers. Nous abattons 26 000 porcs par semaine, dont 25 500 sont découpés et 500 vendus en carcasses. Je suis responsable de production en première transformation : je m’occupe de la gestion de la porcherie, du hall d’abattage, du cinquième quartier et de la gestion des carcasses. Ce secteur compte 180 personnes, pour un site de 950 personnes.

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec les propos que vient de tenir Michel Le Goff. Je suis responsable de la protection animale depuis le 24 septembre 2013. Notre site compte quatre RPA, afin de couvrir l’amplitude horaire. Vingt-six personnes ont par ailleurs été formées bien-être animal (BEA), dont sept chauffeurs même si cette formation n’est pas obligatoire pour eux puisqu’ils ont déjà, en tant que « chauffeurs vifs », leur certificat d’aptitude professionnelle au transport d’animaux (CAPTAV). De plus, une équipe de la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), composée de vingt-deux personnes, dont deux vétérinaires et un technicien, est présente en permanence à la porcherie. Je vous remettrai le manuel bien-être animal spécifique à Évron ainsi que deux rapports d’auditions surprises effectuées par l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) le 19 juin 2007, le 20 mars 2012 et le 4 mars 2015. Leurs conclusions soulignent de manière positive notre façon de travailler tout en respectant les règles de protection animale.

Suite aux reportages diffusés dernièrement dans les médias – je soupçonne pour ma part le dernier d’être un scénario truqué, car travailler cagoulé dans une ambiance telle que celle de la porcherie me paraît un comportement assez douteux – je veux souligner le mal-être qu’en ont ressenti les RPA et les personnes ayant passé le BEA. De grandes interrogations se posent, d’une part sur le devenir du noble métier des salariés de la production, d’autre part sur celui des entreprises agroalimentaires qui voient leurs commandes de viande diminuer.

M. le président Olivier Falorni. Vous avez parlé de la formation des opérateurs en abattoir. Comment l’évaluez-vous ? Quelles pourraient être les pistes d’amélioration de cette formation, tant qualitativement que quantitativement ? Comment sont formés ces opérateurs à la manipulation de l’équipement de l’abattoir, et en particulier des outils d’étourdissement ? On voit parfois des problèmes liés à l’utilisation de pinces à électronarcose ou de pistolets à tige perforante. Comment les opérateurs sont-ils formés au bien-être animal et à la protection animale ?

Que pensez-vous de l’instauration d’un statut de lanceur d’alerte pour protéger les référents protection animale ?

M. Michel Kerling. Monsieur le président, votre dernière question démontre que le lanceur d’alerte est un point central de votre commission. Comme l’a dit M. Le Goff, il faut garder à l’esprit l’existence de ce lien de subordination entre l’employeur et le salarié. Nous avons parlé de protection. Il existe des comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans les entreprises d’une certaine taille – dans les entreprises plus petites, ce sont les délégués du personnel qui jouent ce rôle. Pourquoi ne pas désigner le lanceur d’alerte parmi ses membres, puisqu’ils jouissent déjà d’une protection, donc d’une liberté de langage et d’une liberté d’action, certes relative, mais réelle ? Nous sommes très attachés à la liberté de parole du lanceur d’alerte. Si les entreprises désignent un référent ou un lanceur d’alerte, celui-ci doit être protégé d’une façon ou d’une autre.

J’en viens la formation. Je vous résume très rapidement quel a été mon parcours : avant d’être à la fédération, j’ai travaillé pendant vingt-neuf ans, de 1976 à 2005, dans un outil d’abattage en Normandie, qui appartenait à la Socopa, désormais intégrée dans le groupe Bigard. Je n’étais pas à la production proprement dite, mais dans un service administratif de gestion étroitement liée à la production ; et lorsque j’ai pris des responsabilités en tant que représentant du personnel, j’ai pu aller voir en toute liberté ce qui se passait dans l’ensemble des ateliers, et notamment au poste d’abattage. Même si cela fait un peu plus de onze ans que je suis à la fédération, je ne pense pas avoir un regard uniquement parisien, si vous me permettez l’expression, de ce qui se passe. Il n’y a pas si longtemps, j’ai visité les sites de Socopa Évron et de Bigard Castres. Je vois ce qui se passe au quotidien dans les outils d’abattage.

J’ai connu une époque où la formation des encadrants était axée uniquement sur le résultat économique. On leur expliquait qu’ils ne seraient appréciés que par rapport à cet élément. Depuis, les choses ont évolué. Leur formation porte désormais de plus en plus sur la gestion du personnel, sur la façon de gérer les ressources humaines. L’évolution de la société nous incite peut-être à intégrer un vrai module de formation sur le bien-être animal. Nous avons mis en place une politique de formation avec les certificats de qualification professionnelle (CQP) reconnus au registre national des certifications professionnelles (RNCP). Peut-être serait-il utile de revoir les référentiels de formation et d’y inclure un vrai volet bien-être animal, en travaillant avec tous les services liés à l’alimentation, les services vétérinaires par exemple.

M. Pascal Eve. J’appelle votre attention sur le fait que les nouveaux postes créés reviennent souvent à du personnel d’encadrement et d’encadrement de proximité. Il faut surtout éviter que le lanceur d’alerte soit désigné dans cette catégorie, car le lien de subordination est évident. Il faudrait nommer quelqu’un de totalement indépendant, qui ait un droit d’expression, qui ait la liberté d’aller et venir, autrement dit quelqu’un qui soit libre dans l’entreprise. Or, comme vient de l’expliquer Michel Kerling, les représentants du personnel disposent de certaines libertés. Ils pourraient donc apporter quelque chose et permettre que le projet réussisse.

Dans une entreprise, une formation est un investissement. Il n’y a aucun doute là-dessus : il faut organiser des formations sur le bien-être animal. Mais il faut progresser rapidement en la matière, car seules les formations permettront d’obtenir des résultats concrets et rapides.

M. le président Olivier Falorni. Selon vous, sur quoi faudrait-il insister ? À votre avis, la formation des opérateurs chargés de l’étourdissement est-elle suffisante ?

M. Pascal Eve. La formation ne doit pas concerner un seul homme. Il faut que l’animal qui arrive dans nos abattoirs se sente le mieux possible. La personne qui est au poste d’assommage n’est pas la seule responsable de son mal-être. Celle qui amène l’animal jusqu’au piège est concernée également. Plus l’animal sera amené jusqu’au piège dans de bonnes conditions, meilleure sera la viande. Quand un animal n’est pas au mieux, la viande est fiévreuse, elle présente parfois des hématomes. Il est indispensable que toutes les personnes qui interviennent de près ou de loin jusqu’après le poste de saignée soient formées. Et il faut que cette formation tienne la route.

M. le président Olivier Falorni. La question que je vous pose me vient de l’expérience que le rapporteur Jean-Yves Caullet et moi-même avons eue lors de notre visite à l’abattoir d’Autun. Nous avons pu apercevoir des défaillances, en termes d’équipements, de structures, en particulier sur l’amenée des animaux. On a vu à quel point cela mettait en grande difficulté les salariés qui faisaient pourtant le maximum. Ils se retrouvaient dans des situations infernales à devoir rattraper les cochons et les moutons qui passaient par-dessus les barrières. L’outil de contention n’étant pas adapté, ils se retrouvaient face à un mouton qui bougeait la tête en permanence et il leur était très difficile de bien placer la pince à électronarcose. On a pu constater qu’un matériel inadapté pouvait entraîner des conditions de travail absolument épouvantables.

On a vu par ailleurs que les animaux pouvaient arriver à l’abattoir blessés – vous avez parlé d’hématomes, mais cela pouvait être pire – et particulièrement stressés. Il était évident que les animaux arrivaient totalement stressés au moment de l’étourdissement. Je n’oserai pas utiliser le terme de « maltraitance » car nous n’avons pas vu de maltraitance, mais du mal-être animal. Mais ce n’était pas de la faute des opérateurs qui, du reste, étaient jeunes, ce qui nous a fait comprendre la difficulté physique de ce métier.

Nous avons demandé à l’opérateur chargé de la saignée s’il y avait un turn over dans l’entreprise. Il nous a répondu que pour sa part il ne le souhaitait pas, qu’il voulait rester à ce poste. Une telle attitude est-elle fréquente ? Y a-t-il une obligation de turn over ? On imagine bien que passer toute sa carrière au poste de saignée doit finir par avoir des conséquences, au niveau tant psychologique que physique.

M. Pascal Eve. L’entreprise dans laquelle je travaille est équipée de couloirs de contention fermés sur les côtés et au-dessus, de l’arrivée de l’animal jusqu’à l’amenée au piège. Aussi n’avons-nous pas de réelle difficulté sur ce sujet-là. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, cela fait quelques mois que nous travaillons sur le dossier du bien-être animal pour que les animaux soient au mieux avant le poste d’assommage. Mon entreprise a donc fait le nécessaire pour que les animaux passent tous dans un couloir. La personne qui les amène a donc moins de difficultés à les pousser. Il suffit qu’elle soit derrière l’animal pour qu’il avance.

Vous nous demandez pourquoi certains opérateurs ne souhaitent pas faire un roulement. C’est une attitude très fréquente dans nos entreprises. À une certaine époque, c’est le rendement qui était demandé en priorité. Laisser quelqu’un au même poste pendant huit heures lui permettait d’acquérir des gestes systématiques. Tout le monde s’y retrouvait. Mon collègue parlait à l’instant de quarante animaux à heure ; pour notre part, nous en abattons plutôt quatre-vingts à l’heure… Il faut dire que ce n’est pas un petit abattoir : nous sommes 500 salariés environ. Nous aurions dû demander aux opérateurs de faire une rotation, car plus on change de poste, moins les gestes sont répétitifs sur le long terme et cela limite les troubles musculosquelettiques (TMS). Pour ma part, je suis partisan de la polyvalence, d’abord parce que je le suis moi-même. Cela m’évite d’avoir mal partout et de devoir me faire opérer. Tous mes collègues de plus de trente-cinq ans se sont fait opérer du canal carpien, car cela fait dix, vingt ou trente ans qu’ils sont au même poste. Le poste le plus dur dans notre abattoir est celui de la levée des mamelles : l’opérateur affecté à ce poste peut lever des mamelles pendant dix heures d’affilée…

M. Michel Kerling. Vous avez dit que les salariés faisaient le maximum. Nous en sommes convaincus. Ce n’est pas sur la première transformation qu’une entreprise va chercher sa performance économique. Plus elle transforme le produit, plus elle améliorera sa performance. S’il n’y a pas de performance économique, il n’y aura pas d’investissement.

Nous avons besoin des abattoirs de proximité. Ils sont parfois soutenus par les collectivités locales. Bien évidemment, cela ne doit pas se faire au détriment de l’animal et du salarié. Des difficultés économiques ont été mises en avant, même dans les grands outils. J’ai vécu la casse sociale qui s’est passée dans le groupe GAD à cause d’un manque de performances économiques. Certains salariés ont vidé des panses de porc durant toute leur carrière professionnelle, car ils étaient très attachés à la performance économique. Et quand il n’y a pas de performance économique, la gestion des ressources humaines est un peu mise de côté. Ce n’est pas quand vous êtes au chômage que vous vous demandez si vous allez repeindre la façade de votre maison, mais quand votre situation est économiquement bonne.

Quant à la culture du turn over, nous y travaillons très sérieusement, au niveau de la branche. Il faut espérer que la loi travail nous permettra de continuer à travailler sur ces sujets dans le cadre des conventions collectives… Pardonnez-moi cette parenthèse, je ne pouvais pas faire autrement !

Actuellement, nous avons beaucoup de difficultés à emmener le salarié jusqu’à la fin de sa carrière professionnelle. On sait que cela passe par la rotation des postes. Mais quand un salarié fait bien son travail sur un poste et qu’il est performant, surtout dans les petits outils, son supérieur est satisfait de lui ; il n’aura donc guère envie de changer, de crainte de se voir reprocher de ne plus l’être autant. Quand une entreprise dégage de bons résultats économiques – c’est le cas de notre groupe, même s’ils n’ont rien à voir avec ceux que dégagent Danone et autres –, elle essaie de faire une politique de ressources humaines et de consacrer des moyens à la formation des salariés. C’est ce que j’essaie de faire en tant qu’administrateur à l’OPCALIM. Reste que certains refusent de changer de poste : ils sont en fin de carrière, ils ont cinquante-cinq ans, ils sont fatigués, ils n’ont plus envie de se former, ils ne veulent pas revenir sur les bancs de l’école. Alors nous essayons de faire le point, avec le salarié, sur son parcours professionnel. Si l’on veut arriver à des résultats, il faut faire des césures dans la carrière professionnelle et parler avec le salarié – c’est ce qu’a impulsé la loi sur la formation professionnelle. Aujourd’hui, dans le monde de la viande, notamment dans le secteur de la production, on ne sait pas prendre un salarié au début de sa carrière professionnelle et l’emmener jusqu’à la fin. C’est un vrai challenge pour les années à venir ; espérons que l’âge auquel il pourra faire valoir ses droits pour partir à la retraite ne montera pas jusqu’au ciel et qu’il ne devra pas travailler jusqu’à un âge inadapté au monde industriel d’aujourd’hui, à plus forte raison celui de la viande.

M. Michel Le Goff. J’ai surtout parlé tout à l’heure du problème que posait le lien de subordination dans l’entreprise. Comment voulez-vous que votre lanceur d’alerte, appelons-le ainsi, soit en mesure de dénoncer quelque dysfonctionnement que ce soit ? Ce sera très compliqué. Imaginez la pression qu’il peut subir : cela peut entraîner la fermeture de l’abattoir, le licenciement de l’employé fautif. Cela mettra une pression incroyable sur cette personne. Il faut avant tout donner des moyens aux services vétérinaires d’être présents sur le terrain et de surveiller les conditions de travail.

Le problème est d’abord celui de l’organisation du travail dans l’entreprise, autrement dit des moyens que l’on donne au salarié pour qu’il puisse travailler, du matériel adéquat. Il existe encore des abattoirs où il n’y a toujours pas de piège. La bête arrive dans un couloir, elle est plus ou moins bloquée. On assomme une bête en une fraction de seconde, avec un geste très précis ; il suffit qu’elle tourne la tête pour qu’on la rate. Dans le groupe Bigard, les abattoirs se dotent progressivement de pièges équipés d’une mentonnière qui bloque bien la tête : l’opérateur a une grande facilité pour assommer l’animal. Il faut donc un matériel adéquat et régulièrement remis à niveau. C’est sur l’organisation du travail qu’il faut vraiment insister.

Le salarié est conscient de la responsabilité qu’il a quand il fait ce travail. À Bigard Quimperlé, le turn over est une revendication de notre syndicat. Des rotations sur les postes ont été mises en place, ce qui permet une plus grande polyvalence, une qualification, une rémunération et une certaine souplesse dans le travail. Cela économise le salarié en lui évitant les gestes répétitifs. Mais il faut savoir qu’en le rendant plus polyvalent, on peut être tenté de l’exploiter encore plus : au lieu d’avoir un seul coude cassé, il aura les deux coudes, les épaules et le dos cassés… Autrement dit, le système peut avoir des effets pervers ; il faut faire attention à tous ces aspects.

J’ai entendu M. Eve parler d’une cadence de quatre-vingts bêtes à l’heure. Tout dépend comment la chaîne est équipée : certaines chaînes tournent à vingt-sept, d’autres à trente, quarante, soixante ; à Quimperlé, nous en traitons soixante. Après, tout dépend du nombre d’opérateurs qu’il y a sur la chaîne, du matériel et de la conception même de la chaîne. Un chauffeur routier par exemple est obligé de s’arrêter, ce qui n’est pas le cas dans l’agroalimentaire. Il n’y a aucune obligation de rotations en ce qui concerne les tueries. Elles sont fonction de l’organisation du travail appliquée dans l’entreprise ou sur le site. À Quimperlé par exemple, un accord d’entreprise impose une rotation sur ces postes toutes les heures, pour permettre aux salariés de souffler. Mais cela implique des actions dans le domaine de la polyvalence, de la formation, etc.

Le lanceur d’alerte pourrait être désigné parmi les instances représentatives du personnel (IRP) – délégués du personnel (DP), comité d’entreprise (CE). Il y a aussi le CHSCT : c’est déjà en quelque sorte un lanceur d’alerte, il a les compétences pour le faire. Il serait plus intéressant de donner les moyens à ces gens-là plutôt que de faire peser autant de pression sur un lanceur d’alerte.

Chez Bigard, un accord de groupe a été signé sur le parcours professionnel. Mais il est compliqué pour une personne qui a travaillé trente-cinq ou quarante ans au même poste d’en changer, même si on lui en propose un plus facile : comme elle n’a pas été éduquée dans ce sens, elle ne voudra pas. Mais si, dès le début de sa carrière, on met en place un parcours professionnel, si le salarié est habitué à suivre régulièrement des formations avec des remises à niveau et qu’il évolue dans son travail, il aura naturellement envie de changer de poste, d’apprendre des choses, bref d’évoluer tout simplement. Vous avez vous-même remarqué, monsieur le président, qu’il n’y a malheureusement que des jeunes sur la chaîne. C’est que nous sommes des sportifs de haut niveau : il faut travailler à soixante à l’heure et à une température de 40 °C. Et savoir manier le couteau : nous sommes presque aussi performants qu’un chirurgien… L’éviscération exige des gestes extraordinairement précis, bien calculés, une grande dextérité et des couteaux affûtés comme des rasoirs. Le parcours professionnel devrait permettre à une personne qui est embauchée à l’âge de vingt ans dans l’entreprise de travailler jusqu’à cinquante-huit ans sans détériorer sa santé. Maintenir le salarié dans son emploi sans le casser : voilà l’enjeu auquel est désormais confronté le secteur agroalimentaire.

Les formations existent. Mais entre la théorie et la pratique, il y a souvent tout un monde. Pendant les formations on nous dit de faire des choses. Mais ensuite, quand on est sur le terrain, on se rend compte qu’on ne peut pas faire ce que l’on nous a appris. C’est frustrant. Faudrait-il là aussi lancer une alerte, dénoncer ? Il faut pouvoir mettre ce qu’on apprend en application sur le terrain, et avec de bonnes conditions de travail.

M. Alain Bariller. Comme je l’ai déjà dit, dans mon entreprise nous sommes quatre RPA. Nous avons pour cela suivi une formation de deux jours. Et les opérateurs qui travaillent dans l’environnement du vif ont reçu une formation bien-être animal.

Pour s’assurer que la formation est efficace sur le long terme, les RPA et le service qualité font environ quatre audits chaque semaine sur les postes de descente des camions, la réception, la montée des porcs, l’amenée, l’anesthésie et la saignée. Grâce à ces audits, que nous archivons soigneusement et que n’importe qui peut consulter, nous dressons un bilan mensuel. Bien sûr, nous n’attendons pas un mois pour réagir si nous avons constaté quelque chose d’anormal. Si on a vu une personne faire quelque chose de contraire au bien-être animal, nous la recevons sur-le-champ. Mais il ne s’agit pas de recevoir les gens pour leur mettre la pression. En tant que responsable de chaîne, je préfère avoir des « trous » sur la chaîne que de voir des porcs mis sur la zone de consigne et qui finiront en saisie totale pour viande congestive. On est largement perdant quand on se retrouve avec de la viande congestive plutôt qu’avec un porc ou deux de moins sur la chaîne.

Le groupe Bigard a choisi pour politique de donner la priorité à l’Homme, avec un grand H, avant de parler de la production. Nous faisons de sérieux progrès dans le domaine de la polyvalence et la polycompétence. Les salariés affectés aux niveaux de la porcherie et de la montée tournent toutes les demi-heures, ce qui évite la monotonie qui peut conduire au laisser-aller. La polyvalence et la polycompétence valent aussi bien pour le vivant que pour la chaîne d’abattage et les deuxième et troisième transformations. Tout à l’heure, M. Kerling n’a pas cité de noms, mais il pensait fortement à notre groupe…

M. Roger Perret, secrétaire de la FNAF-CGT. Au cours de ma carrière, j’ai eu à m’occuper d’autres secteurs de l’alimentation. Les problèmes d’image, ou de ce qui était répercuté dans la société, conduisaient un certain nombre de citoyens à s’interroger sur la façon dont les produits étaient fabriqués. Aujourd’hui, le problème essentiel est que l’entreprise est un monde extrêmement fermé. Disposer de la parole n’est pas si simple. Du coup, ce sont des citoyens extérieurs à l’entreprise qui soulèvent les problèmes. J’en veux pour preuve ce qui s’est passé avec la banane aux Antilles. Quand on est dans l’entreprise et lanceur d’alerte, reste-t-on citoyen ou est-on dans un monde où la question est fermée ?

La deuxième question, c’est celle de la place du social par rapport à l’économique. Il ne faut pas se voiler la face : les situations que les uns et les autres connaissent aujourd’hui sont liées au fait que l’économique prévaut sur le social. Et si vous ne changez pas cela, les lanceurs d’alertes resteront menacés, au point de devoir se réfugier dans les ambassades, et soumis à des pressions énormes. Qui plus est, le Parlement a adopté des textes de loi qui ont réduit les possibilités d’intervention des salariés. La remise en cause des délégués du personnel et des prérogatives des comités d’entreprise est une réalité.

La question du lanceur d’alerte sera résolue dès lors que le salarié de l’entreprise restera citoyen. Il y a longtemps, j’avais été amené à dénoncer la qualité d’un certain nombre de produits. Il faut voir le type de pression que l’on peut subir quand on est amené à appeler les services vétérinaires… Quand on le fait, on est conscient que cela crée chez les salariés des entreprises agroalimentaires des interrogations, parce que la question de l’image dans l’agroalimentaire est extrêmement importante. S’agissant des lanceurs d’alerte, il faut en revenir à ce que sont aujourd’hui l’organisation et le monde du travail. Sinon on ne s’en sortira pas.

Mme Geneviève Gaillard. Je vous remercie, messieurs, pour vos propos. Vous avez bien exprimé vos points de vue, et par avance répondu à bon nombre de questions que je voulais vous poser.

J’ai senti dans vos interventions qu’il y avait une différence entre les abattoirs intégrés ou de grands groupes et les abattoirs plus petits, ce qui se comprend parfaitement. Pensez-vous que les petits abattoirs aient encore un avenir ? Croyez-vous que l’on puisse réellement améliorer les choses dans les unités à faible tonnage et multi-espèces ? Pensez-vous qu’il faille imposer un RPA en dessous d’un certain tonnage ? Vous le savez, les contrôles vétérinaires ne sont pas les mêmes non plus : dans certains cas, il n’y a pas de vétérinaires affectés, contrairement à ce qui se passe dans de grands groupes. Pensez-vous qu’il soit possible d’améliorer certaines choses ?

Vous avez parlé des cadences. Je suis assez convaincue que les cadences sont importantes – au cours de nos auditions, on a vu que certains le sont moins. Lorsque vous avez fait remonter à votre hiérarchie des problèmes, comment avez-vous été entendus ? J’ai une petite idée de la réponse… Cela donne-t-il lieu à des résultats par la suite ? Dans les postes d’abattage et tous ces postes difficiles, y a-t-il beaucoup d’absentéisme ?

Le bien-être animal concerne tout le monde, y compris les responsables des outils d’abattage, qu’il s’agisse des collectivités ou des personnes privées. Ne serait-il pas intéressant que la hiérarchie soit aussi formée au bien-être animal et que la culture du bien-être animal fasse partie de l’entreprise ? Je suis intimement convaincue que sans cette culture on ne parviendra jamais à faire au mieux.

Enfin, je ne sais pas si vos abattoirs font du halal ou du casher, autrement dit de l’abattage sans étourdissement. Si c’est le cas, comment voyez-vous les choses ? Pensez-vous qu’un abattage…

M. Pascal Eve. Rituel ?

Mme Geneviève Gaillard. Je ne veux pas utiliser le mot « rituel ».

Pensez-vous donc qu’un abattage avec un étourdissement post cut pourrait être possible ? On sait que cela existe. L’État doit donner des dérogations pour pratiquer l’abattage sans étourdissement et les sacrificateurs doivent être agréés. Mais tout est-il calé ? J’aimerais connaître votre sentiment global sur ce sujet.

M. Alain Bariller. Mon abattoir étant spécialisé dans le porc, je ne répondrai pas à votre dernière question… Je considère qu’un référent est indispensable sur tous les sites, même les petits. La responsabilité du bien-être animal doit évidemment concerner au minimum le directeur du site ; il doit être totalement impliqué en la matière. Si le directeur n’est pas persuadé que le bien-être animal est une priorité, je ne vois pas comment il peut le faire respecter sur le terrain.

Dans mon groupe, l’absentéisme représente 5,5 %, ce qui est assez faible par rapport au milieu. Comme je l’ai dit tout à l’heure, notre groupe a placé l’homme au centre du dispositif. C’est grâce à la polyvalence que l’absentéisme baisse chaque année. Visiblement, cette politique est payante.

M. Michel Le Goff. Je crois que les petits abattoirs ont leur place en milieu rural, pour conserver cette économie locale qui est nécessaire sur tout le territoire français. Il faut leur donner tous les moyens de fonctionner correctement parce que l’économie locale a son importance. On a l’impression qu’en ce moment on tape surtout sur les petits abattoirs, notamment les abattoirs municipaux, qu’ils « dérangent » les grosses structures qui aimeraient bien s’approprier ce marché. À force de tout centraliser, on éloigne les gens les uns des autres. Au final, où est le bien-être du salarié qui devra, en plus de ses neuf heures de travail, faire une heure de route pour se rendre sur son lieu de travail, et encore une autre heure pour en revenir ?

À Quimperlé, par l’intermédiaire du CHSCT ou des représentants du personnel, nous parvenons à faire intervenir l’agent de maîtrise local en cas de problème sur la chaîne. Souvent, le salarié nous appelle, et nous venons voir l’agent de maîtrise, et nous parvenons à faire évoluer les choses. Si rien n’avance, nous faisons une enquête par l’intermédiaire du CHSCT, enquête qui est remise à l’inspection du travail. Cela met une certaine pression pour faire réaliser les travaux et les améliorations nécessaires. Nous en parlons aussi en réunion des délégués du personnel ou du comité d’entreprise ; là aussi, cela fait avancer les choses. Mais si c’est un salarié tout seul qui dit que quelque chose ne va pas quelque part, il ne sera pas écouté, c’est certain.

Dans le groupe Bigard, l’absentéisme représente 5,6 %. Mais il faut savoir que ce qui peut être considéré comme maladie professionnelle est systématiquement contesté. Voilà comment on parvient à faire chuter l’absentéisme dans un groupe. Les équipements de protection individuelle (EPI) deviennent de plus en plus contraignants, de plus en plus lourds. Les tabliers, les chasubles ressemblent à des armures des chevaliers de la Table ronde… Rendez-vous compte que la main qui tient le couteau est recouverte d’un gant en kevlar et que la chasuble descend jusqu’au-dessous des genoux parce que, dans la précipitation, il arrive de se couper jusqu’aux mollets ! Pourquoi le salarié qui travaille dans l’artisanat, le petit boucher du coin ne se coupent-ils jamais alors qu’ils ne portent ni gants en maille ni tablier ? Parce que les cadences ne sont pas les mêmes que dans les abattoirs. Plus on augmente les cadences, plus on est obligé de se protéger : un gant en maille, l’autre gant en kevlar, chasuble jusqu’au-dessous des genoux… Bientôt, il faudra un casque car on a déjà vu des salariés se blesser à l’œil ou se couper le nez ! Ne vaudrait-il pas mieux décomposer les gestes, donner tout simplement le temps aux choses ? Qu’est-ce qui prévaut ? L’économique ou le social ?

L’acte de tuer est en lui-même d’une extrême violence. Où est le bien-être de l’animal lorsqu’on ne l’étourdit pas avant de le tuer ? Dans notre groupe, un piège est en cours de validation. Plutôt que d’étourdir la bête avec un matador, il est question d’installer un système électrique. Y aurait-il des façons d’assommer l’animal qui seraient mieux tolérées que d’autres dans la religion musulmane ?

Mme Geneviève Gaillard. On pourrait pratiquer un étourdissement réversible, par exemple.

M. Michel Le Goff. Il faudrait creuser la question. Quoi qu’il en soit, ne pas étourdir la bête et devoir la retourner, consciente, avant de la tuer, c’est atroce.

M. Pascal Eve. Il est certain qu’il ne devrait pas y avoir de différence entre les abattoirs. Nous espérons tous que les petits abattoirs pourront continuer à exister. C’est mieux pour l’économie de nos petites villes. Les petits abattoirs municipaux sont utiles pour l’économie locale, même si les grosses structures aimeraient très certainement qu’ils disparaissent.

Vous nous demandez comment réagissent nos entreprises lorsqu’on les alerte sur les cadences excessives. Leur discours est toujours économique : plus on produit dans un temps donné, plus l’entreprise gagne de l’argent. Mais, au bout du bout, ce n’est pas toujours vrai. Il faut tenir compte des aléas : plus les matériels fonctionnent, plus les pannes sont récurrentes. Au final, l’entreprise ne gagne pas davantage. Il fut un temps où l’on pensait que plus on produisait, plus on gagnait d’argent : c’était une erreur. Et en plus, on a esquinté les salariés.

Bien entendu, tout le monde devrait être formé au bien-être animal. Comment un responsable digne de ce nom pourrait-il imposer à un salarié de respecter le bien-être animal si lui-même n’a pas été formé ou ne connaît pas le sujet sur le bout des doigts ? C’est une évidence : tout le monde doit être formé, le responsable de proximité comme le grand responsable.

L’abattage sans étourdissement est un dossier épineux. Chez nous, on en fait malheureusement beaucoup – entre 300 et 500 bêtes par jour. Comme on ne peut pas assommer l’animal, l’entreprise a trouvé une alternative en réduisant les cadences de plus de moitié : on traite trente bêtes à l’heure au lieu de quatre-vingts bêtes, ce qui permet à l’animal de saigner correctement. Ce que je vais dire est assez cru, mais c’est ce que nous vivons tous les jours : mon entreprise a demandé à pouvoir mettre immédiatement un coup de couteau au niveau de la moelle pour que l’animal souffre le moins possible. Ce procédé est en cours de négociation : certaines mosquées acceptent, mais d’autres ne veulent même pas en entendre parler ; c’est une négociation permanente. Les salariés détestent très clairement ce mode d’abattage. Les représentants du personnel que nous sommes s’insurgent contre cette façon de faire, mais à chaque fois on nous remet l’aspect économique sur la table : cela reste des clients avec lesquels on travaille et qui nous permettent de gagner encore un peu d’argent. Les délégués du personnel se sont opposés à cette méthode. Mais il arrive un moment où l’on ne peut plus aller contre, dans la mesure où cela peut représenter la moitié de notre production journalière. Nous avons fini par nous incliner : nous sommes tous là pour que notre entreprise et les salariés gagnent de l’argent…

M. Michel Kerling. Nous sommes convaincus que ce n’est pas seulement la taille de l’outil d’abattage qui compte, mais aussi l’aspect économique. Il est difficile d’investir. Je suis d’origine normande, mais je ne vais pas vous faire une réponse de Normand. La taille de l’outil importe peu, c’est le résultat économique qui permet de faire ou non des investissements. Il est difficile d’écrire l’histoire à l’avance, mais je dirai que sans résultat économique on peut être très pessimiste quant à l’avenir des outils de proximité dont l’utilité est pourtant évidente.

Dans un grand groupe que je ne nommerai pas mais qui a été abondamment cité, le taux d’absentéisme diffère selon les établissements. Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte.

Mme Geneviève Gaillard. Je vous ai posé la question parce que vous avez parlé du syndrome du canal carpien chez les enleveurs de mamelles. Y a-t-il beaucoup d’absentéisme au poste d’abattage ?

M. Michel Kerling. Je ne peux pas vous donner le taux d’absentéisme sur le poste d’abattage. Mon collègue de la CGT vous a expliqué comment les salariés étaient harnachés
– c’est le terme que les employés utilisent. Cela étant, cela a permis de réduire très sensiblement le nombre d’accidents du travail. La vraie question dans le monde de la viande est celle de la maladie professionnelle : certains salariés qui se font opérer du canal carpien s’en sortent bien, tandis que d’autres passent en inaptitude et en deux mois ne sont plus dans l’entreprise. Le résultat de l’opération n’est pas garanti… Et il y a bien d’autres maladies professionnelles que le syndrome du canal carpien.

En ce qui concerne l’abattage halal ou casher, je répondrai, pour rester politiquement correct, que les salariés travaillent dans un cadre réglementaire. Ce disant, je ne veux pas renvoyer la responsabilité vers le législateur que vous êtes, mais je ne suis pas là pour parler de l’aspect citoyen. Je n’ai pas d’autre réponse à vous apporter.

Je reviens sur la problématique de l’équilibre entre le social et l’économique. Dans les petits outils ou les entreprises qui connaissent des difficultés, vous ne pouvez pas demander à un manager de faire à la fois du social et de l’économique. Les gens ne sont pas schizophrènes : pour faire du social, il faut un service de ressources humaines digne de ce nom, structuré et qui réponde aux remarques des représentants du personnel. À notre avis, c’est la seule façon que cela fonctionne.

Un mot sur l’inspection ante mortem. Autrefois, les cadences n’étaient pas les mêmes. Le nombre de bêtes à abattre quotidiennement n’était bien évidemment pas non plus le même. Il y a, en fonction de la taille de l’outil, un ou plusieurs techniciens en permanence sur la chaîne d’abattage, car il faut examiner les carcasses et les abats. En 2005, j’étais dans un outil qui faisait 20 000 tonnes. Un technicien vétérinaire était affecté aux abats et un autre aux carcasses. Ont-ils le temps d’aller inspecter ce qui se passe ante mortem ? Il n’y a pas un technicien en permanence dans la bouverie : lorsque le salarié constate un problème sur un animal qui entre à l’abattoir, il en parle à son responsable qui essaie à son tour d’appeler un technicien vétérinaire. Le salarié n’est pas vétérinaire. À notre avis, si cette mission n’est pas remplie à cause du manque d’effectifs, autrement dit pour des raisons économiques, cela pose évidemment un problème : on peut se retrouver au poste d’abattage avec un animal qui n’aurait jamais dû arriver jusque-là. On voit encore des animaux euthanasiés avant abattage alors qu’ils auraient dû l’être à la ferme. Certes, ce sont des cas exceptionnels, mais ils existent.

Vous auditionnez aujourd’hui d’anciens salariés, des permanents syndicaux. Mais si les résultats économiques ne s’améliorent pas, notamment dans le secteur porcin, vous ne pourrez plus jamais organiser une audition comme celle-ci, car vous aurez affaire, comme c’est le cas en Allemagne, à des entreprises constituées à plus de 80 % par des prestataires. Et eux ne viendront pas vous répondre. N’oubliez pas la levée de boucliers de certains pays récemment entrés dans l’Union européenne que je ne citerai pas à propos de la directive sur le détachement des salariés… C’est un réel problème pour toute la profession.

Enfin, vous avez devant vous des permanents syndicaux parce qu’il existe des conventions collectives qui déterminent une égalité de droits, un socle commun auquel peuvent prétendre tous les salariés. Si, demain, nous n’avons plus ces connaissances, si tout est fait au niveau de l’entreprise, nous ne pourrons plus répondre aux questions que vous nous posez aujourd’hui.

Mme Sylviane Alaux. Je tiens à vous remercier, messieurs, d’être venus jusqu’à nous. J’ose dire que je savoure vos réponses et vos échanges.

Je veux revenir sur un sujet que je n’ai pas très bien compris concernant l’abattage rituel. Ceux qui le pratiquent sont-ils des salariés de l’abattoir ou bien des sacrificateurs qui viennent de l’extérieur ? Si tel est le cas, avez-vous le sentiment qu’ils maîtrisent suffisamment les gestes, ou tombe-t-on plutôt dans un certain amateurisme ?

Je suis intimement convaincue qu’il faut aller plus avant dans un triptyque et prendre en considération, à égalité, le bien-être animal, la protection du consommateur et la sécurité des salariés. La sécurité des salariés passe par l’aménagement des postes et la formation. Actuellement, celle-ci est assurée en interne ; il n’y a pas véritablement de socle commun. Il appartient au législateur d’exiger un véritable parcours de formation dispensé par des professionnels de l’enseignement. Une formation très orchestrée, très organisée est indispensable.

Il n’y a pas si longtemps, l’animal était encore considéré comme un produit. Fort heureusement, nous sommes quelques-uns – mais pas assez, je le déplore – à répéter que la donne n’est plus la même. L’animal n’est pas un produit : c’est un être doué de sensibilité. Je partage vos propos en ce qui concerne les cadences et les pressions économiques, tout en sachant que cela a une incidence sur les coûts. C’est bien la raison pour laquelle nous faisons un peu le forcing.

Moi qui ne suis pas végétarienne, je serai tentée de remercier l’association L214 de nous avoir montré ce qui arrive dans les abattoirs, ce que j’appelle les « pétages de plomb ». Beaucoup de ceux qui consomment de la viande ne veulent pas savoir comment sont abattus les animaux. Il va pourtant bien falloir que chacun en prenne conscience. Il est clair que l’abattoir ne peut plus demeurer une boîte noire. Il faut de la transparence et tout faire pour que ces « pétages de plomb » n’existent pas. Le salarié d’un abattoir est avant tout un être humain.

M. Hervé Pellois. Beaucoup a déjà été dit.

Pourrait-on connaître le pourcentage de personnes qui suivent des formations ? Les travailleurs intérimaires, les travailleurs détachés, les employés en contrat à durée déterminée qui travaillent dans vos entreprises suivent-ils une formation ? J’ai entendu dire que des salariés refusaient la formation, estimant qu’ils n’en avaient pas besoin. Existe-t-il vraiment une formation, suffisamment intensive, dans les abattoirs ?

Nous le savons, nous avons besoin des petits abattoirs qui sont souvent polyvalents. Mais ceux-ci rencontrent beaucoup de difficultés à recruter du personnel du jour au lendemain pour assurer des remplacements, en cas d’épisode de grippe par exemple. Existe-t-il des solutions pour remédier à ce problème ?

Bien qu’ayant déjà visité des abattoirs, je dois dire que j’ai toujours du mal à différencier un animal bien étourdi de celui qui ne l’est pas. Ce n’est pas évident… Avez-vous des méthodes qui vous permettent de vous assurer que l’animal est bien étourdi ?

Dans l’industrie automobile, les postes de travail ont énormément évolué de même que la conception des outils, ce qui n’est pas le cas dans les chaînes d’abattoirs. Le modèle que j’ai connu il y a quarante ans dans les chaînes d’abattoirs perdure encore presque toujours, à l’exception de la fente de la carcasse qui est désormais mécanisée. Connaissez-vous des outils innovants, en Europe ou en France ? Des recherches sont-elles en cours pour rendre le travail moins difficile ? Il faut certainement faire évoluer les choses en matière d’ergonomie.

Mme Annick Le Loch. Je vous remercie, messieurs, pour vos contributions que je trouve essentielles dans notre débat sur les abattoirs.

En écoutant l’intervention liminaire de M. Bariller, j’ai eu le sentiment que tout allait bien dans les filières d’abattage. Mais en y regardant de plus près, je me suis aperçue que M. Bariller et M. Le Goff faisaient partie du même groupe… J’ai bien vu que les appréciations étaient différentes, et c’est tout à fait normal.

Je vous ai entendu dire que les abattoirs étaient un maillon essentiel dans nos filières d’élevage. Il faut prendre acte de cette réalité et chercher à préserver nos grandes entreprises d’abattage. J’ai bien compris qu’il s’agissait d’outils économiques fragiles et que de la réalité économique de ces entreprises dépendait bien entendu tout le reste. Les cadences, qui sont de plus en plus importantes, conditionnent le bien-être des salariés et du coup le bien-être animal.

Vous avez évoqué la configuration des abattoirs et les investissements. Le Gouvernement a mis en place, vous le savez, un programme d’investissements d’avenir. J’ai entendu dire que certains propriétaires d’abattoir ne l’utilisaient pas, estimant que leurs entreprises dégageaient suffisamment de marge pour pouvoir investir sans faire appel à l’argent public. À mon avis, l’investissement est une orientation tout à fait essentielle pour l’ergonomie, l’accueil des animaux dans de bonnes conditions. Vous avez dit, les uns et les autres, beaucoup de choses sur la formation, le dialogue social, etc., bref, tout ce qui nous semble primordial.

Que doit-on mettre demain sur le devant de la scène en ce qui concerne les investissements ? Est-il vrai qu’il est difficile de recruter des salariés, car il s’agit de métiers difficiles ? J’entends dire qu’il n’y a pas de difficultés de recrutement en raison des politiques de rémunération, de politiques sociales fortes dans certaines entreprises. Que pensez-vous de ce qui se passe en amont ? Si les abattoirs existent, c’est parce que l’élevage existe aussi. Or actuellement, les éleveurs souffrent de prix bas parce que l’aval commande. Cette toute-puissance de l’aval a-t-elle des répercussions sur les cadences ou sur le climat social dans vos entreprises ?

M. Thierry Lazaro. Je vous prie de bien vouloir m’excuser pour mon retard. Ce que j’ai entendu depuis que je suis arrivé est particulièrement riche d’enseignements.

Hier, nous avons auditionné M. Simonin, administrateur chargé du bien-être animal à la Commission européenne, qui n’a pas du tout répondu à ma question sur l’abattage rituel sans étourdissement, ou abattage sans étourdissement rituel – il y a là de la sémantique qui n’empêche pas le respect. Monsieur Eve, vous avez indiqué que des mosquées acceptaient des pratiques, tandis que d’autres ne les acceptaient pas. Cela veut dire qu’il y a une religion, mais plusieurs appréciations sur l’abattage rituel.

Monsieur le président, je ne sais pas si notre commission a prévu de recevoir les hauts dignitaires de ces religions. Il serait important de les entendre parce que nous sommes dans un État de droit, et nous devons avoir peu ou prou les mêmes règles. Je suis élu d’une circonscription où il y a une mosquée. Je connais les responsables religieux, je connais les pratiquants. Beaucoup sont des gens d’une grande générosité, d’une grande ouverture. Peut-être faut-il mener une réflexion pour atténuer la douleur et, si j’ai bien compris, la dureté du travail dans les abattoirs.

M. Michel Le Goff. La durée du transport est aussi un élément à prendre en compte dans le bien-être animal : de ce point de vue, la présence de petits abattoirs permet précisément d’éviter des temps de transport trop longs.

Dans un abattoir, personne ne peut travailler sur la chaîne sans avoir suivi une formation. Tous les salariés qui travaillent dans le groupe Bigard ont reçu une formation interne grâce au Pass IFRIA. On parle beaucoup de Bigard, mais c’est normal puisque c’est le numéro un national. Bigard possède son propre organisme de formation interne, AFORVIA. Une formation, dispensée par des personnes extérieures, serait peut-être être un plus ; mais c’est pour pallier le manque d’écoles de formation dans l’industrie de l’abattage que Bigard a créé son propre organisme de formation.

Mme Sylviane Alaux. On pourrait peut-être adjoindre cette formation à celle de boucher, par exemple.

M. Michel le Goff. Pourquoi pas ? Mais ce sont deux domaines totalement différents… Ce n’est pas du tout le même métier.

Il est clair que les abattoirs sont confrontés à des difficultés de recrutement. Savoir que vous serez cassé dès l’âge de quarante-cinq ans ne donne pas envie d’exercer ce métier… La rémunération est aussi un frein, même si Jean-Paul Bigard considère que son groupe fait beaucoup d’efforts en la matière. Mais à l’exception du patron, je ne vois personne rouler en Porsche… Certes des efforts sont consentis en ce qui concerne la complémentaire santé, la prévoyance. Chez Bigard, par exemple, 75 % de la complémentaire est prise en charge. Mais toute l’industrie agroalimentaire n’est pas à la même enseigne. Ne faudrait-il pas généraliser cela dans l’ensemble des abattoirs ? Il faut savoir qu’en travaillant dans l’industrie agroalimentaire, on met malheureusement sa santé en péril.

Des efforts ont été accomplis en matière d’ergonomie. Dans ma société, l’ergonomie se fait par autofinancement. Il faut apporter des améliorations. Cela dit, les abattoirs créent des emplois. Veut-on tout mécaniser ? Que fait-on ? Dans les abattoirs allemands spécialisés dans le mouton et le cochon, tout est mécanisé, il n’y a plus personne. Les opérateurs surveillent les robots, les ordinateurs, etc.

L’industrie automobile a été robotisée, car rien ne ressemble plus à une voiture qu’une autre voiture. Mais dans le domaine de la viande, aucune bête n’est identique : il y en a des petites, des grosses, des maigres, etc. On est presque parvenu à une uniformisation en ce qui concerne les cochons – moins en ce qui concerne les moutons et les bovins – grâce à des robots intelligents. L’ordinateur, avec le laser, peut faire la différence entre les petits et les gros morceaux. Dans le domaine de la viande, nous arrivons dans une ère qui risque de ne plus créer beaucoup d’emplois car le métier est pénible. Voilà pourquoi les grands abattoirs veulent robotiser au maximum. L’employeur veut se protéger contre la faute inexcusable.

Le bien-être de l’animal, moi, je veux bien… Oui, la bête a une sensibilité. Mais elle sent le sang à des kilomètres. On a beau lui mettre de la musique, des jets d’eau tiède, quand elle arrive dans l’abattoir, elle sait ce qui va lui arriver. Mais veut-on continuer ou non à manger de la viande ? Doit-on ou non fermer les yeux ? C’est un sujet compliqué, qui s’adresse à la conscience.

Comme je l’ai dit, il est indispensable que la bête souffre le moins possible. Elle doit rester le moins longtemps possible en porcherie ou en bouverie. Et quand elle arrive dans le piège, le geste doit être précis et la saignée doit être faite le plus rapidement possible. On doit lui laisser le temps de saigner, faire en sorte qu’elle soit vraiment morte quand on arrive à la première patte.

M. Roger Perret. Nous sommes dans un secteur industriel qui a une vocation particulière : nourrir les hommes. C’est aussi l’un des tout premiers secteurs industriels français de par le nombre de salariés, sa participation au produit intérieur brut, mais également à notre commerce extérieur. Certes, la question du bien-être animal est extrêmement importante, mais d’autres aspects doivent également être pris en compte. Nous sommes dans une phase nouvelle, me semble-t-il : le regard des citoyens sur les produits qu’ils achètent ne sera plus le même. Dorénavant, ils se demanderont dans quelles conditions ils sont fabriqués. Le sanctuaire qui existait est désormais sous les phares publics, et c’est normal. Du coup, cela pose plusieurs types de questions.

Tout à l’heure, on a évoqué les conditions dans lesquelles il faut se protéger pour éviter au maximum les accidents. Mais cela a un coût, financier et humain. Dans ce secteur comme dans d’autres est posée la question de la prévention primaire et de l’ergonomie, qui renvoie à celle de l’organisation du travail. Les gens commencent à regarder dans quelles conditions sont abattues les bêtes, leurs conditions de transport, etc. Cela pose la question de la formation de l’ensemble de la chaîne du monde du travail. Or, dans les industries agroalimentaires, la part consacrée à l’encadrement est extrêmement limitée. Si on ne résout pas ces questions, on n’en résoudra pas d’autres.

Ajoutons que l’on observe une contestation permanente de la part des employeurs en ce qui concerne les formations qualifiantes reconnues dans le cadre des diplômes. Qu’est-ce qui a été fait depuis de nombreuses années ? Pass IFRIA, certificats de qualification, etc. Autrement dit, la qualité de la formation dispensée est uniquement liée à la réponse de production dans l’entreprise ; toutes les questions ayant trait aux aspects théoriques, aux connaissances générales, etc. ont été mises de côté. Ceux qui y travaillent sont considérés uniquement comme des machines à produire. Il faut redonner aux salariés toute l’intelligence qu’on a tenté de leur enlever. La question du bien-être animal, ou de la souffrance, ne peut être déliée de l’organisation telle qu’elle est conçue aujourd’hui dans nos secteurs industriels.

Quelqu’un qui apprécie beaucoup le bon vin se pose immédiatement des questions quand il voit une sorte de cosmonaute travailler au milieu de la vigne… Il se demande pourquoi le viticulteur doit se protéger autant : du coup, il finit par s’interroger sur ce qu’il boit.

Mme Geneviève Gaillard. Tout à fait.

M. Roger Perret. Cette question se posera de plus en plus dans les industries agroalimentaires. C’est donc à une autre organisation dans ce secteur qu’il faudra réfléchir. Aujourd’hui, nous parlons de l’abattage ; mais demain, d’autres problèmes verront le jour, qui concerneront l’ensemble des filières. On ne pourra plus produire comme auparavant. Avec l’agrandissement des exploitations, des établissements industriels, on pense dégager des économies, mais cela crée d’autres problèmes qui en viennent à coûter avantage sur le plan humain et financier. C’est donc un autre type de réflexion qu’il faut envisager pour pouvoir répondre correctement à la situation.

M. Pascal Eve. Les sacrificateurs sont bien évidemment des professionnels, comme tous les salariés. Et surtout, ce ne sont pas des donneurs d’ordres. Ils respectent ce qu’on leur demande. Le sacrificateur aurait tendance à vouloir aller un peu plus vite, mais, Dieu merci (sourires), les salariés qui sont derrière lui demandent de ne pas le faire. Il faut laisser le temps à l’animal de saigner correctement.

Pour ma part, je travaille dans une très grosse structure. On n’y forme que les salariés embauchés en contrat à durée indéterminée (CDI). Il y a très peu de salariés en contrat à durée déterminée (CDD), car ce n’est pas dans la culture de mon entreprise. En revanche, nous avons beaucoup d’intérimaires, qui ne sont pas formés par mon établissement, mais plutôt par leur employeur.

Effectivement, les grosses structures ont du mal à embaucher. Vous imaginez donc bien que les petits abattoirs ont encore plus de mal. Dans une grosse structure, si un salarié sur cinquante est en arrêt maladie, on trouvera toujours quelqu’un pour le remplacer. Dans une petite structure, c’est beaucoup plus compliqué car un salarié peut être affecté à trois ou quatre postes dans une même journée. Il est très difficile de remplacer autant de professionnalisme.

On nous a demandé si les méthodes d’étourdissement étaient irréprochables. J’ose espérer qu’elles le sont, mais je n’en suis pas très convaincu. Je suis un peu loin de ce poste, mais je ne suis pas certain que mon collègue soit sûr, à 100 %, du résultat de ce qu’il vient de pratiquer.

L’ergonomie est un gros dossier qui occupe, depuis quelques années, surtout mes collègues du CHSCT. Bien entendu, c’est un sujet primordial car il facilite la gestuelle. Des formations existent. Je citerai celle consacrée aux gestes et aux postures. L’ergonomie se fait en interne chez nous et fait l’objet d’un suivi car il s’agit d’éviter des arrêts de travail et de maladies professionnelles qui pèseront sur les résultats. C’est donc toujours intéressant pour l’entreprise.

Mon collègue vient de vous dire que son entreprise refusait de faire des formations qualifiantes. C’est loin d’être le cas dans mon entreprise, puisque cela nous permet de recruter du personnel. Nous organisons des formations tous les deux ans et nous délivrons des certificats de qualification professionnelle. De ce côté-là, la convention collective a du bon… Les CQP, qui sont donc issus des conventions collectives, nous permettent de former une vingtaine de personnes tous les deux ans. Malheureusement, au vu des tâches à accomplir dans nos métiers, il ne reste à l’issue de la formation que 40 % au maximum des effectifs de départ ; les autres se tournent vers d’autres métiers beaucoup moins exigeants. Et les salaires dans l’agroalimentaire sont loin d’être ceux que l’on peut trouver dans l’industrie automobile. Notre patron nous répète souvent que nous ne travaillons pas dans une grande marque automobile et que les marges que nous dégageons sont loin d’être les mêmes.

M. Michel Kerling. Je crois savoir que les autorités religieuses délivrent une carte au sacrificateur, conformément, j’y insiste, à ce qui est prévu dans le cadre réglementaire. Les actes de maltraitance avérés qui ont été rendus publics dans les trois outils mis en cause n’ont pas, à ma connaissance, été commis dans le cadre d’un abattage, ni casher ni halal.

Pendant ma carrière professionnelle, j’ai participé à trois journées portes ouvertes en zone rurale, dans le nord du département de l’Eure. Même si l’on ne s’attarde généralement pas au poste d’abattage les réactions sont très différentes d’une personne à l’autre. Sur dix citoyens, vous aurez dix réactions différentes ; j’ai pu le constater moi-même. Voilà pourquoi il est indispensable d’avoir un cadre réglementaire afin de répondre aux attentes du plus grand nombre.

Dans le grand groupe dont on parle depuis le début de cette audition, une formation d’intégration est organisée. Elle est indispensable. Depuis la désindustrialisation des années quatre-vingt, nous recrutons des salariés venant de tous les horizons professionnels.

Suite à la dernière réforme de la formation professionnelle, les branches de l’industrie agroalimentaire, et plus particulièrement celles de la viande parce qu’elles y ont consacré davantage de moyens, sont en train de faire accepter les certificats de qualification professionnelle et de les faire agréer par le répertoire national des certifications professionnelles. Lorsque les CQP seront inscrits et reconnus par le RNCP, ils auront la même valeur que les diplômes de l’éducation nationale. Aujourd’hui, lorsque vous consommez un steak dans un restaurant, vous ne savez pas nécessairement s’il provient d’une boucherie artisanale ou de la boucherie industrielle. Or ce sont deux façons de travailler la viande, deux métiers différents, mais qui répondent tous les deux aux attentes du consommateur. Et les salariés auront des diplômes qui seront reconnus par le RNCP.

Une petite parenthèse : j’ose espérer, depuis qu’il n’y a plus d’obligation légale sur le plan de formation, qu’il existe encore un plan de formation dans les entreprises, car ce ne sont pas les fonds mutualisés des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) qui permettront de former les salariés…

Madame Alaux, les « pétages de plomb » peuvent être évités grâce à la rotation des postes. Lors de la négociation de l’accord sur la pénibilité, nous avons fait réaliser un audit qui nous a permis de constater que les salariés étaient attachés à trois éléments : la rémunération bien sûr, les conditions de travail, difficiles dans nos métiers, mais également la reconnaissance. Nous ne nous attendions pas à ce que ce troisième élément, qui a été porté à la connaissance des organisations professionnelles et des organisations syndicales au niveau de la branche, fasse autant d’audience.

Ces trois choses vont ensemble. Pour éviter les TMS, il faut faire de la rotation mais aussi de la formation. Quand on change de poste de travail, tout le monde essaie de faire de la pédagogie sans défendre nécessairement les mêmes intérêts même si, au bout du compte, ils sont convergents pour le salarié. Pour notre part, nous essayons de faire en sorte qu’il termine sa carrière en bonne santé, tandis que l’employeur souhaite qu’il soit rentable. Encore faut-il derrière que les diplômes soient assortis d’une rémunération adéquate. Nous y travaillons actuellement au niveau de la branche. La rémunération d’un salarié est fonction du niveau d’études, selon qu’il a le brevet des collèges, le baccalauréat ou un diplôme bac + 5 ; mais pour ce qui est de la reconnaissance professionnelle, on est vraiment dans l’entreprise. Il faut aussi que les entreprises du secteur de la viande voient bien toute la nécessité de la rémunération.

Pour ce qui est du travail sur l’ergonomie, j’ai vu certaines recherches que le grand groupe dont on parle est en train de faire, notamment sur le couteau. Je leur laisserai le soin de développer cela car je ne veux pas trahir de secret. Il y a une réelle volonté de la part de ce groupe de travailler sur la pénibilité. Nous ne croyons pas à une robotisation du métier à l’avenir, mais davantage, au moins dans un premier temps, à une « cobotisation », c’est-à-dire à une aide du salarié par le robot. Bien évidemment, il faudra inclure tout cela dans la formation.

Un mot sur les événements relayés par les médias et qui ont provoqué, et c’est bien normal, le travail que vous faites en tant que parlementaires. On se concentre beaucoup sur ce qui s’est passé, et c’est logique car de tels actes sont inadmissibles. Mais comme l’a dit notre organisation, notre société évolue. Un jour ou l’autre, elle se focalisera sur le poisson par exemple. On se demandera ce qu’il advient de tous ces poissons qui restent dans les filets, on s’interrogera sur la pêche industrielle, etc. Je partage les propos tenus par mon collègue de la CGT à partir de l’exemple de la vigne : le consommateur qui voudra boire un verre de vin se posera des questions sur ce que fait le viticulteur dans la vigne… Actuellement, c’est l’acte d’abattage qui est monté en épingle. Demain, d’autres secteurs d’activité seront touchés.

Enfin, j’ai été interrogé par un média national de la presse écrite qui a consacré cinq pages aux événements qui se sont produits dans les abattoirs, en faisant un procès à charge sans tenir compte de ce que nous avons pu lui dire. Nous regrettons ce procès à charge, dans lequel la défense n’a pas été écoutée.

M. Alain Bariller. S’agissant de la formation, je pense que tout a déjà été dit. Lorsqu’un nouvel opérateur arrive, on fait une demande de CERFA pour l’autoriser à travailler en porcherie. Il a trois mois pour suivre la formation bien-être animal. Quant au RPA, la formation est reconnue par l’État.

La chaîne d’abattage d’Évron traite 685 porcs à l’heure. Ce chiffre peut faire peur, comparé aux cadences constatées pour les bovins. Mais, il faut savoir qu’il y a quarante-cinq personnes sur cette chaîne, dont dix personnes sont affectées à l’étourdissement, l’anesthésie et la saignée. Les porcs passent sur deux Midas qui ont trois électrodes, deux qui touchent la tête et une qui touche le cœur. Ils reçoivent une décharge de 400 volts sur la tête avec deux ampères et une décharge de 100 volts avec 0,4 ampère sur le cœur.

Quand le porc sort du Midas, l’opérateur reconnaît tout de suite si l’animal est bien ou mal anesthésié. Si le porc tombe immédiatement, qu’il a les pupilles dilatées, la langue sortie et une absence de réflexes cornéens, c’est qu’il a été bien anesthésié. Si, au contraire, il a la gueule ouverte, qu’on l’entend et qu’il émet une certaine vocalisation, qu’il essaie de se relever et qu’il cligne des yeux, on lui applique directement une pince Morphée. Là, il reçoit une décharge directement sur la tête, derrière les oreilles, pendant trois secondes pour que l’anesthésie fasse de l’effet.

Je fais partie du groupe Bigard et du comité de groupe. Lors de nos réunions, nous faisons des tours de table. Certes, c’est un groupe qui avance, mais comme certains sites ont du retard, il est clair que tout ne peut pas être rattrapé du jour au lendemain. Toutefois, on sent une évolution. Je confirme que l’on avance bien, comme le démontrent nos résultats.

Quant aux RPA, ils sont indispensables, tant dans les grands que dans les petits abattoirs.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Monsieur le président, je n’ai qu’une quarantaine de questions à poser !

Je tiens à remercier nos interlocuteurs pour leur contribution.

Tout à l’heure, il a été question de l’arbitrage citoyen-salarié. Un jour, il faudra aussi se pencher sur l’arbitrage du consommateur, autrement dit du prix, savoir ce que l’on consacre à son alimentation par rapport à d’autres usages. Quand on est dans l’économique, il y a les volumes, les cadences, l’organisation du travail, etc., et le prix que la société est prête à mettre dans ce qu’elle consomme.

Il a été question à de nombreuses reprises, au cours de nos auditions, de l’installation de caméras de vidéosurveillance. J’ai bien entendu ce que vous avez dit. Mais vous parliez d’une vidéo permanente, observée en permanence par quelqu’un qui pourrait très bien être un inspecteur sur le site. Je souhaite vous interroger sur l’apport qu’une vidéo différente pourrait apporter afin de lever un certain nombre de difficultés que vous avez soulevées.

Il a été dit que les services d’inspection étaient très concentrés sur l’aspect sanitaire et qu’ils n’avaient pas un regard suffisamment intensif et attentif sur l’ante mortem. Nous avons également pu voir que les contrôles qui ont été spécifiquement demandés sur le bien-être animal par le ministre de l’agriculture, à la suite de la diffusion des vidéos par l’association L214, ont révélé des problèmes. J’en déduis que ces problèmes n’avaient pas été détectés. Je ne porte pas de jugement sur leur gravité, mais certains problèmes ont été révélés grâce à une inspection ciblée sur le bien-être animal dans 259 abattoirs.

Un outil vidéo en place, mais déclenché à la main du contrôle de l’État, ne serait-il pas une manière de démultiplier sa capacité d’inspection, en procédant de temps en temps à un « flash » de vingt minutes sur tel ou tel poste, qui serait ensuite analysé avec l’entreprise et ses salariés ?

Par ailleurs, il existe un droit de retrait des salariés. Or ce n’est pas à vous que j’expliquerai qu’il est souvent compliqué pour un salarié de le faire valoir. Sur certains postes exposés, pensez-vous qu’une vidéo à la main du salarié, comme cela existe dans une entreprise de transport public dans laquelle j’ai travaillé, pourrait être une démarche intéressante ? En cas d’incident, le salarié pourrait lui-même déclencher un pré-enregistrement des trente minutes précédentes, qui pourra montrer ce qui s’est passé et justifier son droit de retrait.

Enfin, vous avez parlé de la difficulté du responsable bien-être animal d’être un lanceur d’alerte indépendant. Pensez-vous qu’un outil de ce type, à sa main, qu’il déclencherait sur une période de vingt, trente minutes ou une heure pourrait être intéressant ? Il pourrait servir d’élément aux structures internes – CHSCT –, aux structures externes
– contrôle vétérinaire – et – pourquoi pas ? – lors des formations pour montrer ce qu’il ne faut pas faire. Ce type de vidéo, qui ne serait pas un regard permanent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sur des salariés qui y verraient une pression supplémentaire, ne serait-il pas un dispositif intéressant, pour peu qu’on y réfléchisse suffisamment ?

Nous avons été surpris de voir parfois des matériels manifestement inadaptés. Vous avez parlé de l’importance des cadences. Vous imaginez bien que la recherche de cadences avec des matériels inadaptés décuple les difficultés pour les salariés et les souffrances pour les animaux. Une normalisation ou un agrément un peu plus précis à la fois des matériels et des cadences ne pourraient-ils pas permettre de conduire à des investissements indispensables, même dans les petits abattoirs, au moins sur des équipements dont on sait qu’ils ne sont pas intrinsèquement défaillants ou sur des manières de les utiliser qui ne sont pas systématiquement génératrices de difficultés ?

M. Michel Kerling. Vous nous interrogez sur l’installation de caméras déclenchées de façon aléatoire, à la main de l’État. Je vous répondrai par un constat : aujourd’hui, on observe une recrudescence de mortalité sur la route alors qu’il y a de plus en plus de radars…

Il est de plus en plus difficile de faire valoir le droit de retrait ; les entreprises y regardent de très près. Pour exercer son droit de retrait, il faut vraiment qu’il y ait un énorme problème ou bien il faut être, permettez-moi l’expression, sûr de son coup, cela coûte à l’entreprise.

Je suis favorable à la normalisation des outils. Cela dit, elle est en route depuis des années. Des abattoirs ont été classés, d’autres ont été fermés.

Quid des dérogations, et pourquoi ?

Quand l’outil est sur la ligne de flottaison ou dans le rouge, qui financerait les investissements indispensables ?

M. Pascal Eve. Moi non plus, je ne suis pas forcément favorable à la vidéosurveillance. Si l’on sait ce qu’elle peut apporter, on sait aussi qu’elle peut avoir des effets négatifs. C’est la même chose que lorsque l’on prend un nouveau traitement : il y a toujours des effets secondaires… Vous avez proposé que la vidéo ne fonctionne pas toute la journée. Mais si on demande à un salarié de la mettre en route de manière volontaire, on sait bien qu’au fil du temps cela deviendrait une obligation. Voilà pourquoi, pour le moment, je n’y suis pas favorable.

Actuellement, notre filière est en grande difficulté. Qui paiera le remplacement d’un matériel inadapté ? Combien de temps disposeront les entreprises pour se mettre en conformité avec une nouvelle réglementation ? Mon entreprise a déjà du mal à dégager le moindre centime de marge alors que je travaille sur un site où l’animal rentre sur pied pour en sortir complètement découpé, ce qui laisse des possibilités un peu plus grandes. Je ne sais pas comment un abattoir qui ne fait que de l’abattage peut dégager de la marge.

M. Michel Le Goff. Oui, il faut un contrôle de l’État. Mais sous quelle forme ? Je ne suis pas favorable à la vidéo. Je pense qu’il faut donner aux élus davantage de pouvoirs. Les membres du CHSCT ont le pouvoir de prendre des photos et même d’enregistrer une vidéo. Peut-être faut-il leur donner davantage de moyens, notamment au niveau de la surveillance. Dans ces conditions peut-être, je ne serais pas contre…

Quant au droit de retrait, il existe pour le salarié si sa vie est mise en danger, et uniquement dans ce cas : il n’est pas question de bien-être animal. Nous le faisons appliquer dans le groupe Bigard lorsque c’est nécessaire, c’est-à-dire lorsque la vie du salarié est mise en danger.

Je pense qu’une normalisation du matériel est nécessaire, sachant qu’il existe déjà des agréments. Faut-il des agréments supplémentaires, mettre un agrément sur un agrément ? Je ne sais pas. Et qui financera les investissements ? Peut-on demander à un petit abattoir qu’il réalise les mêmes investissements qu’un grand groupe sans le mettre en danger ? Si l’État est prêt à les subventionner, pourquoi pas ?

M. Alain Bariller. Je suis contre la vidéo. La présence d’un RPA dans tous les abattoirs doit déjà permettre de respecter le fonctionnement, sans qu’il soit nécessaire d’installer de la vidéo qui perturberait les opérateurs.

Il est plus facile à un grand groupe qu’à un petit établissement de s’équiper de bonnes machines. Comment faire pour aider les petites structures à se mettre à jour ?

M. le président Olivier Falorni. Je remercie les représentants des quatre organisations syndicales présentes pour leur participation et leurs réponses particulièrement enrichissantes pour nos travaux. Je tiens à préciser que la CFDT avait été également invitée, mais qu’elle n’a pas été en mesure de nous proposer un représentant pour cette audition, ce que nous regrettons.

La séance est levée à onze heures vingt.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du jeudi 26 mai 2016 à 9 heures

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier Falorni, Mme Geneviève Gaillard, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Hervé Pellois

Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Dubois, M. Jacques Lamblin, M. François Rochebloine, M. Arnaud Viala