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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mardi 8 septembre 2015

Séance de 18 heures 

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Patrice Bessac, vice-président de l’Association des maires Ville et Banlieue de France (AMVBF)

L’audition débute à dix-huit heures dix.

M. le président Alain Fauré. Notre après-midi s’achève avec l’audition de M. Patrice Bessac, vice-président de l’Association des maires Ville et Banlieue de France (AMVBF), qui est par ailleurs maire de Montreuil.

Créée en 1983, l’AMVBF est aujourd’hui la seule association regroupant les communes périphériques des principales agglomérations françaises, les villes de première couronne urbaine et celles de grande banlieue ; il s’agit de villes et agglomérations de 5 000 à 100 000 habitants. Pour ses maires fondateurs, il fallait à la fois favoriser le développement des quartiers les plus fragiles du territoire et valoriser l’image des villes de banlieue. L’AMVBF est contemporaine de ce qu’on appelle en France la politique de la ville.

Que reste-t-il de cette ambition d’équilibre des aires urbaines à l’heure où l’État renforce la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques ? Les particularités des couronnes sont-elles un atout ou une faiblesse dans ce contexte ? Voyez-vous d’ores et déjà des risques majeurs pour l’investissement local et pour le fonctionnement des services publics de proximité ? Pouvez-vous faire état de réponses apportées par vos adhérents ou suggérées par l’association, y compris des mesures de portée nationale qui pourraient être discutées dans le projet de loi de finances pour 2016 ?

Avant de vous donner la parole, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Patrice Bessac prête serment.)

M. Patrice Bessac, vice-président de l’Association des maires Ville et Banlieue de France. Au nom des membres de l’AMVBF, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir pris l’initiative de créer cette commission d’enquête, dont le titre correspond à une forte préoccupation des maires que je représente. Dans un contexte marqué par la baisse des concours de l’État, par des changements institutionnels dans l’organisation territoriale et par la volonté affichée par le Gouvernement de réformer la dotation globale de fonctionnement (DGF), il est important que les parlementaires et les maires puissent se saisir de ces questions essentielles.

L’AMVBF a beaucoup œuvré auprès des institutions pour promouvoir le développement des quartiers les plus fragiles et mettre fin aux inégalités territoriales. C’est une petite association d’élus, comparée à l’Association des maires de France (AMF) ou à l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Autour notamment du regretté Claude Dilain, elle a néanmoins permis aux maires de banlieue de se réunir.

Lors des précédentes auditions, vous avez déjà recueilli beaucoup de chiffres, désormais largement connus, notamment sur la baisse des investissements constatée en 2014. Plutôt que de vous faire un exposé technique, je vais donc vous parler des difficultés auxquelles les élus locaux sont confrontés.

Après le prélèvement de 1,5 milliard d’euros effectué en 2014 et les 11 milliards d’euros d’économies imposées aux collectivités territoriales dans le cadre du plan de réduction des dépenses publiques, la baisse de la DGF a eu des conséquences importantes sur l’investissement des communes que l’AMVBF représente. Je n’ai pas l’impression de vous révéler un scoop en vous disant cela…

Au lendemain des élections municipales, c’est-à-dire d’une échéance un peu particulière en termes d’investissement, les maires de l’association ont montré une prudence inhabituelle : ils se sont quasiment bornés à financer les seuls « coups partis », adoptant une position attentiste, accentuée par les débats sur le Grand Paris, en matière d’engagements nouveaux. Aux budgets de fin de mandat dont chacun connaît la spécificité et le caractère volontariste, ont succédé des budgets plus prudents.

C’est ainsi qu’à Montreuil, après une année 2014 faste qui avait vu l’inscription au budget de la ville de 55 millions d’euros de dépenses d’investissement, nous avons dû revenir à des réalités autrement moins souriantes. Les conseils du cabinet Klopfer et notre propre analyse des comptes nous ont conduits à réduire de près de 20 % les investissements à venir par rapport à la moyenne de ceux réalisés par l’équipe municipale précédente. Pour Montreuil, la baisse des dotations annoncée se traduirait par un autofinancement amputé de près de 100 % d’ici à 2017.

Dans ces conditions, c’est à un cadrage financier extrêmement serré que nous avons dû nous résoudre pour préparer notre budget 2015 : maintien au même niveau des charges de personnel ; diminution globale de près de 10 % de toutes les autres dépenses de fonctionnement ; un crédit de dépenses pour notre programme d’investissement plafonné à 30 millions d’euros. La préparation du budget 2016 s’annonce tendue, laissant présager une nouvelle diminution de notre programme d’investissement, même si j’ai l’intention de tout faire pour que celui-ci reste compatible avec le développement, notamment démographique, de la commune.

Tous les maires de l’association sont peu ou prou confrontés au même effet de ciseaux. La conjugaison de la hausse de leurs dépenses – notamment celles qui sont liées à la réforme des rythmes scolaires – et de la baisse de leurs recettes les conduit à réfléchir sur le périmètre de leurs politiques publiques, c’est-à-dire sur la nature même de leurs interventions. Plusieurs de mes collègues assistent à une rupture fondamentale dans l’histoire budgétaire de leur collectivité : pour la première fois, les comptes administratifs enregistrent une diminution nette des recettes réelles de fonctionnement d’un exercice à l’autre.

À Montreuil, cette réduction s’explique pour plus de 40 % par la baisse inédite des dotations et participations de l’État et des autres financeurs institutionnels. Vous connaissez les effets de report : nos financeurs traditionnels – régions et départements – mènent le même type de réflexion et nous annoncent une baisse de certains de leurs concours. Il existe aussi une corrélation entre les recettes de fonctionnement et les dépenses d’investissement. Pour un investissement classique, l’effet de levier est d’un pour dix : chaque baisse d’un euro de l’autofinancement ampute de dix euros la capacité d’emprunt. Dans ces conditions, les villes de banlieue se retrouvent dans des situations très difficiles. Les banquiers appellent certains collègues pour solliciter de nouveaux rendez-vous et demander des explications un peu plus pressantes que par le passé.

M. le président Alain Fauré. Depuis le début de nos auditions, c’est la première fois que j’entends évoquer cela. Voulez-vous dire que les banquiers s’interrogent sur la capacité des communes de votre association à répondre à leurs engagements actuels ou plutôt qu’ils redoutent que des investissements futurs ne se réalisent pas ?

M. Patrice Bessac. Ils s’interrogent sur la capacité des communes à assumer leurs responsabilités futures, en raison de leur situation. Certaines agglomérations, comme celle dont fait partie Montreuil, ont révisé leurs programmes de construction de logements à la baisse, compte tenu de la lourdeur des investissements que suppose l’installation de populations nouvelles : création de crèches, d’écoles, etc. Les maires veillent désormais à étaler dans le temps les constructions nouvelles, qu’elles soient publiques ou privées.

Le Premier ministre a annoncé la création un fonds doté d’un milliard d’euros pour soutenir les projets portés par les communes et les intercommunalités. Récemment, le sujet a été une nouvelle fois évoqué lors du congrès de l’AMF, mais les élus et les fonctionnaires territoriaux n’en connaissent pas les modalités. Il nous est donc difficile d’intégrer les recettes éventuelles dans nos plans de financement.

M. le président Alain Fauré. Cette somme figurera dans le projet de loi de finances pour 2016 puisqu’elle correspond à une volonté du Gouvernement. Dans l’immédiat, nous attendons des suggestions d’associations telles que la vôtre concernant l’utilisation de ce fonds pour tel ou tel type d’investissement.

M. Patrice Bessac. À titre personnel, j’avais salué l’initiative du Premier ministre, il y a un an et demi, lorsqu’il avait indiqué qu’il s’engagerait en faveur des maires bâtisseurs. À mon avis, il faut éviter la complexité et un fléchage précis des financements vers des objets particuliers. Dans les zones où le marché immobilier est tendu, en Île-de-France et ailleurs, il faut construire des logements pour répondre aux besoins à couvrir dans les vingt ans à venir. Il faut donc aider les maires à créer des crèches et des écoles au même rythme. C’est pour ces investissements basiques que nous avons aujourd’hui des difficultés à faire de bonnes prévisions.

Les villes franciliennes ont aussi été confrontées à la longueur des débats sur le Grand Paris, qui a compliqué leur politique d’investissement. Certains collègues ont été plongés dans l’expectative, éprouvant des difficultés à établir des programmes pluriannuels d’investissements. Les maires ne savaient pas quelles compétences leur resteraient au-delà de 2016, ni de quels moyens financiers ils disposeraient. Si une partie de la problématique s’est éclairée, il reste des incertitudes. Prenons l’exemple du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) : si la loi n’est pas modifiée, toutes les communes d’un même établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pourraient devenir des contributrices nettes, ce qui pourrait en particulier conduire toutes les communes du Grand Paris à devenir contributrices nettes de ce fonds de péréquation.

Pour analyser l’investissement des communes, nous devons aussi tenir compte de l’impact de la baisse des subventions accordées par l’État et surtout par les régions et les départements qui sont des acteurs de la plupart des programmes. Or, en préparant cette audition, je n’ai pas trouvé de données tangibles permettant d’évaluer la manière dont les régions et les départements vont modifier leurs concours. Nous avons là un sujet à défricher.

Les villes cherchent des économies dans leur administration en rationalisant, en modernisant, en mutualisant. C’est ainsi que Montreuil a adhéré à la plateforme Maximilien, créée par la région Île-de-France pour mutualiser les marchés publics franciliens. Nous pouvons recourir à la mutualisation dans d’autres domaines également : maîtrise d’ouvrage, partage d’outils numériques, etc. Les associations d’élus, les partenaires institutionnels et l’État doivent s’interroger sur notre capacité à réellement partager des projets innovants, forts et intéressants pour le bien commun. Cependant, cela ne peut pas être considéré comme une solution immédiate pour compenser les coups de rabot : ces investissements et les efforts qu’ils supposent, notamment en termes de formation des personnels et de travail de conviction, demandent du temps avant d’arriver à maturité et de porter leurs fruits. Au départ, ils peuvent même avoir un léger effet négatif sur le budget.

Face à la baisse de leurs ressources, les maires ont d’abord réduit les fournitures consommables, les fêtes, les feux d’artifice, etc. Ces restrictions ont parfois été ressenties douloureusement par les habitants. Cela peut sembler tout bête, mais la suppression de décorations de Noël, qui permet à telle ou telle commune d’économiser 200 000 ou 300 000 euros, peut être vécue par les habitants comme une nouvelle étape dans le délaissement, dans le rejet hors de la communauté nationale en période de fêtes.

Depuis cette année, les communes les plus touchées par la baisse des dotations en viennent à réviser le périmètre même de leurs politiques publiques. Certaines villes de Seine-Saint-Denis vont jusqu’à appliquer des taux d’effort de plus de 15 % sur leurs dépenses d’activité non rigides, c’est-à-dire les subventions et tout ce qui concourt d’une manière ou d’une autre à la vie locale et au vivre ensemble. Dans leurs lettres de cadrage budgétaire, certains maires de notre association appliquent des baisses de 3 % à 5 % aux secteurs jugés prioritaires par les équipes municipales et des réductions de 10 % aux autres.

Les recherches d’économies visent aussi les dépenses de personnel, et les communes subissent un phénomène extrêmement injuste : la baisse des dotations fait croître de manière mécanique la part relative de la masse salariale dans le budget, même lorsque celle-ci est maintenue à l’identique en valeur absolue. Or certains critères permettant d’évaluer la capacité de la commune à assumer ses engagements, notamment en matière d’investissement, sont établis sur la part relative de la masse salariale. L’effet est immédiat sur l’appréciation des finances des collectivités locales, ce qui se traduit par la limitation des renforts et par la dégradation de certains services. Les maires revoient leurs pratiques et prennent des mesures telles que la réduction des horaires d’ouverture des services publics, notamment des équipements culturels. Les arbitrages sont difficiles.

Reste le recours massif au levier fiscal, c’est-à-dire ce que j’appelle le transfert de l’impopularité fiscale sur les maires.

Quand les communes auront fait le tour de toutes ces possibilités, les problèmes s’accentueront fortement, en 2016 et surtout en 2017. Les maires se persuadent qu’ils vont réussir à tenir mais, en réalité, ils ne savent pas comment ils vont pouvoir résister à long terme.

D’aucuns nous expliquent que l’augmentation de la péréquation compense les baisses de la DGF. Un sondage effectué auprès de nos adhérents montre que, à quelques exceptions près, la baisse de la DGF n’est pas compensée par la dotation de solidarité urbaine (DSU) ou le FPIC. Le panel comprenait vingt communes représentatives, bénéficiaires ou non d’une dotation politique de la ville (DPV), dotées ou non de quartiers en projet de rénovation urbaine (PRU) ou en nouveau programme de renouvellement urbain (NPRU), situées en grande métropole ou en province. Nous avons constaté une augmentation de ressources de dotation pour la seule ville de Liévin, dans le Pas-de-Calais, et une légère baisse de ressources pour Vaulx-en-Velin dans le Rhône, Mainvilliers en Eure-et-Loir et Trélazé en Maine-et-Loire. Dans les seize autres communes, les ressources provenant des diverses dotations ont baissé de manière significative. À Montreuil, les dotations de péréquation ont progressé de 300 000 euros en 2015, tandis que la DGF baissait de 3,7 millions d’euros, ce qui aboutit à une diminution nette de 3,4 millions d’euros de nos ressources de fonctionnement.

Souvent décriée, la péréquation est le seul moyen d’équilibrer le budget de certaines villes. Claude Dilain, l’ancien président de notre association, aurait eu beaucoup à dire sur le sujet. Il aurait pu rappeler la bataille qu’il a fallu mener, en 2011, pour la création d’un fonds national de péréquation. Comme Victor Hugo, il était persuadé que « vivre pour soi seul est une maladie ». Il faut trouver les moyens d’une péréquation à la fois horizontale et verticale.

Selon nos adhérents, la DGF doit être réformée dans le cadre d’une loi distincte du projet de loi de finances, sous l’égide du ministre en charge des collectivités locales, et au terme d’un travail avec les grandes associations d’élus.

M. le président Alain Fauré. J’ai cru percevoir un accent du midi, un peu moins prononcé que le mien, dans votre voix.

M. Patrice Bessac. Je suis de Montreuil-Sud… (Sourires.) Je fais partie des nombreux immigrés de cette grande ville d’accueil qu’est la mienne, et je viens d’Agen. J’avais remarqué que nous avions des racines communes.

M. le président Alain Fauré. Notre collègue de Lot-et-Garonne, Mme Povéda, ne manquera pas de vous passer à la question. (Sourires.)

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Tout d’abord, je vais vous rassurer, monsieur Bessac : à Vierzon, la baisse des dotations se traduit par une amputation de 200 % de l’autofinancement sur trois ans. Voyez qu’on trouve toujours plus pauvre que soi ! On trouve aussi beaucoup plus riche et c’est peut-être de ce côté-là qu’il faut regarder.

L’objet de cette commission d’enquête, demandée par le groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) et dont j’ai défendu la proposition de résolution, est de définir les conséquences des baisses des concours financiers de l’État au bloc communal, à la fois sur l’investissement public local et sur les services publics de proximité. Toutes les associations d’élus que nous avons auditionnées depuis huit jours – notamment l’AMF qui a réalisé une étude avec quelques homologues – prévoient une baisse des investissements de l’ordre de 25 % entre 2014 et 2017. La ville de Montreuil va aussi devoir s’y résigner en raison de l’effondrement de son autofinancement. Votre association a fait un sondage sur la compensation de la baisse de la DGF. Pourrait-elle nous fournir des éléments sur les investissements, au cours de nos travaux ?

Toutes les villes membres de votre association sont probablement attributaires de la DSU, et nous constatons un vrai problème d’effet de seuil entre DSU et DSU-cible. Qu’en pense votre association. À Vierzon, notre DSU augmente de seulement 0,5 % alors que nous rencontrons des difficultés terribles.

Vous avez évoqué le FPIC, mécanisme de péréquation verticale et horizontale. Il y a aussi le fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France (FSRIF) qui, je le sais, pose de vraies questions à votre association : certaines communes contribuent au FSRIF tout en percevant la DSU. C’est un enchevêtrement de difficultés, avec deux fonds de péréquation qui fonctionnent en même temps.

Le 27 août dernier, le Premier ministre a annoncé la création d’un fonds doté d’un milliard d’euros, dont on ne connaît pas encore les modalités d’attribution. Quels sont les souhaits de votre association en la matière ? Pensez-vous que les financements peuvent transiter par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ? On peut tout imaginer s’agissant de l’amélioration de l’habitat, notamment dans le cadre de la transition écologique et des programmes déjà établis.

Enfin, quelle est la position de l’AMVBF en ce qui concerne la baisse des dotations ? Certaines associations estiment que le mouvement est trop fort et trop rapide. Des maires expliquent qu’ils s’en sortiront encore en 2016 mais qu’ils ne pourront pas boucler leur budget en 2017. D’autres proposent un étalement sur toute la durée de leur mandat. Nous avons besoin de vos avis, étant entendu que nous recueillerons aussi celui d’associations d’élus politiques qui n’auront pas le même point de vue.

M. Patrice Bessac. La baisse de l’investissement sera effective à Montreuil – j’ai évoqué le chiffre de 20 % par rapport à la moyenne du mandat précédent – malgré tous les efforts que je peux faire pour le maintenir à un haut niveau. C’est une réalité pour la ville dont j’ai la charge mais aussi pour les autres membres de l’association. Nous vous fournirons des chiffres précis mais je pense que la baisse devrait être de l’ordre de 15 % pour les communes touchées par la baisse des dotations.

D’ores et déjà, je peux vous donner des exemples précis de baisse des dotations entre 2014 et 2015 pour des villes qui sont un peu emblématiques : 737 502 euros pour Grigny ; 1,2 million d’euros pour le Grand Évreux ; un million d’euros pour Les Ulis ; 3,3 millions d’euros pour Montreuil ; 763 000 euros, soit une baisse de 20 %, pour Arcueil. Dans l’immense majorité des cas, l’augmentation de la péréquation ne compense pas les baisses de dotations.

S’agissant des modalités d’utilisation du fonds d’un milliard d’euros annoncé par le Premier ministre, l’AMVBF n’a pas encore exprimé sa position. Pour ma part, comme je vous l’ai indiqué, je pense qu’il faut faire simple et aider les maires bâtisseurs, partant du constat qu’il faut accueillir des populations qui ont besoin de se loger et de s’éduquer.

Vous faites une suggestion concernant la phase 2 du renouvellement urbain mais les conditions de financement ne sont absolument pas arrêtées en ce qui concerne les concours des collectivités locales. Dans la phase 1, certains organismes d’habitations à loyer modéré (HLM) et certaines villes se sont lourdement endettés, parfois à la limite du raisonnable, pour assumer le renouvellement urbain. Il faut en tenir compte dans la phase 2 : quelle est la capacité des différents partenaires d’aligner les montants nécessaires à l’engagement concret des travaux ? Il faut éviter un renforcement des inégalités dans les processus de renouvellement urbain.

M. le président Alain Fauré. Êtes-vous concerné par l’ANRU ?

M. Patrice Bessac. Oui mais, en l’occurrence, je ne parlais pas que de Montreuil.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Je vous avais aussi interrogé sur le problème FPIC-FSRIF car certaines communes de banlieue m’alertent sur l’enchevêtrement compliqué des fonds de péréquation.

M. le président Alain Fauré. En définitive, vous vous positionnez sur la complexité des dotations, à la fois positives et négatives, qui peuvent concerner une même collectivité.

M. Patrice Bessac. Nous pensons qu’il est nécessaire de remettre à plat les critères actuels de répartition des différentes enveloppes. Il existe 11 critères différents pour mesurer la richesse et 19 critères pour mesurer les charges. La complexité est évidente et nous constatons des écarts de DGF par habitant injustifiés au regard des critères objectifs de ressources et de charges. Je ne veux pas ouvrir ici un dossier d’une grande technicité qui met en jeu les valeurs locatives de 1970 et le problème de l’évaluation du potentiel fiscal des communes. Pour autant, je m’interroge. Alors que d’aucuns décrivent Montreuil comme une ville riche au regard de ce qu’on appelle son potentiel fiscal, j’observe une autre réalité : près de 40 % de la population est exonérée de taxe d’habitation ; quand ils sont imposables, les habitants des logements sociaux s’acquittent d’une contribution sans rapport avec leurs revenus réels. En réalité, le mode de calcul de la taxe d’habitation en fait un système profondément injuste.

M. le président Alain Fauré. L’appréciation de la richesse peut se fonder sur la vision de l’investissement réalisé, ou encore sur la variété de la composition de la majorité municipale. À Montreuil, vous avez plusieurs tendances, ce qui ne doit pas toujours faciliter l’administration de la cité…

Nous en venons aux questions des collègues, en commençant par celles de M. Razzy Hammadi, qui n’est pas membre de la commission mais qui nous a demandé à participer à l’audition de cet après-midi.

M. Razzy Hammadi. Merci, monsieur le président, de me donner la parole en premier, car un autre engagement m’empêchera de demeurer parmi vous.

Vous auditionnez le représentant d’une association qui nous rappelle Claude Dilain, ses combats et ses livres. Lorsqu’il a repris la mairie de Clichy-sous-Bois, Claude Dilain a toujours considéré que les villes pauvres de banlieue assuraient la légitimité et la crédibilité de leurs revendications en ayant une gestion sérieuse. C’est sur ce point que je veux interroger Patrice Bessac, en sa qualité de vice-président de l’AMVBF et non pas en tant que maire de Montreuil, même s’il a souvent pris sa ville comme exemple. Pour ce faire, je vais prendre moi-même l’exemple de Montreuil.

Comment peut-on améliorer le débat, la prise en compte de la réalité des communes, lorsque l’on constate que, dans certaines villes comme Montreuil, les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 7,5 % en 2014 ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Monsieur Hammadi, ce n’est pas la salle des débats du conseil municipal de Montreuil !

M. Razzy Hammadi. Ce n’est pas le sujet.

M. le président Alain Fauré. Dans cette commission, il est possible d’interroger des maires sur leur gestion – des questions de cette nature ont déjà été posées à des maires ruraux ou de petites villes – à condition qu’il ne s’agisse pas des attaques personnelles. Ce n’est pas facile pour le représentant d’une association d’être auditionné sous serment devant une commission. En d’autres temps et avant d’avoir été député, je ne sais pas comment j’aurais supporté l’exercice.

M. Razzy Hammadi. Le sujet est très simple. La baisse des dotations suscite un débat. D’un côté, le Gouvernement affiche sa volonté politique de prendre en compte la réalité et de ne pas pénaliser l’investissement. En face, il doit y avoir, y compris au sein de la commission d’enquête, un débat fécond, qui ne se limite pas à déplorer la baisse des dotations, mais qui aborde aussi le thème de la bonne gestion des communes. Ne vous en déplaise, monsieur le rapporteur, il est légitime qu’un parlementaire soulève la question. Cela implique de s’intéresser aux dépenses de fonctionnement, courantes ou personnelles, aux marchés publics, à la gestion des opérateurs sociaux, c’est-à-dire à des indicateurs dont il y aurait beaucoup à dire, y compris en prenant l’exemple de notre ville, monsieur le maire.

M. Patrice Bessac. Comme M. Hammadi le sait, j’ai eu la charge du compte administratif de la ville à partir de mars 2014, et il m’a fallu intégrer la problématique de la réforme des rythmes scolaires. En mars, je ne disposais pas des documents budgétaires qui me permettaient d’envisager les dépenses de personnel et de fonctionnement nécessaires à l’application de la réforme en septembre. Ce financement a été prévu dans le cadre du budget modificatif de la ville de Montreuil, adopté par la nouvelle majorité d’Union de la gauche. J’étais opposé à la réforme des rythmes scolaires, mais j’assume mes responsabilités de maire vis-à-vis des élèves de ma commune et de leurs parents. Nous avons fait le mieux possible.

Mme Christine Pires Beaune. Si je comprends bien, l’AMVBF plaide pour que la réforme de la DGF se fasse dans le cadre d’une loi spécifique, ce que j’ai du mal à comprendre. Si une association devait être favorable à ce qu’une réforme ait lieu le plus vite possible, c’est bien la vôtre. Les villes de banlieues sont actuellement défavorisées, compte tenu des charges spécifiques qu’elles doivent assumer. Le fait que le ministre du budget soit au banc semble vous chiffonner, mais c’est le cas pour toutes les lois de finances. La dernière réforme globale de la DGF a eu lieu en 2004 et elle était comprise dans une loi de finances. Comme tous les membres de la commission des finances – dont je fais partie –, le président Gilles Carrez est très attaché à ce que toutes les dispositions financières soient contenues dans les lois de finances.

Monsieur le rapporteur, vous avez raison de souligner que l’effet de seuil est terrible pour la DSU-cible : la deux cent cinquantième commune éligible touche 111 000 euros et la suivante ne perçoit rien. Dans mon rapport, je propose d’ailleurs de supprimer la DSU cible et de créer un coefficient logarithmique de majoration, calculé en fonction des charges, qui permettrait de tenir compte des difficultés de toutes les communes.

Quant aux deux fonds de péréquation horizontaux, le FPIC et le FSRIF, ils ne sont pas dans l’enveloppe normée de la DGF. Ils sont à part et c’est la raison pour laquelle ils n’entrent pas dans le cadre de ma mission. Lors des débats sur la loi de finances pour 2015, un amendement de Mme Annie Genevard avait été adopté qui prévoit la remise d’un rapport sur le FPIC. Nous attendons ce rapport avec impatience pour corriger des inégalités : les communes pauvres des intercommunalités riches sont pénalisées tandis que des communes riches des intercommunalités pauvres ne contribuent pas.

M. Patrice Bessac. Je veux corriger mon propos : à ce jour, l’AMVBF n’a pas formellement pris position sur la réforme de la DGF et c’est mon avis personnel que j’ai exprimé. Je tiens par ailleurs à souligner la situation particulière des villes du Grand Paris.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Sur cette réforme de la DGF, nous avons eu la semaine dernière une discussion avec M. André Laignel, président du Comité des finances locales (CFL). Je vais résumer son propos à l’intention de ceux qui n’assistaient pas à l’audition. M. Laignel estime qu’il est compliqué de ne pas avoir plus de temps pour discuter de la refonte complète de cette DGF, dans la mesure où la diminution des dotations ne fait que des perdants, parmi lesquels il distingue les simples perdants des « perdants-perdants ».

Mme Christine Pires Beaune. Je n’ai pu assister à cette discussion la semaine dernière et je vous prie de m’en excuser, mais nous avons un problème : le système est devenu tellement compliqué et les dispositifs sont tellement imbriqués que si nous modifions la péréquation sans toucher au reste, nous courons à la catastrophe. Puisque le travail se poursuit et que le projet de loi de finances pour 2016 ne sera débattu qu’au mois d’octobre, je pense que nous aurons le temps d’y intégrer la réforme de la DGF. C’est souhaitable si nous voulons réduire les écarts. L’argument de M. Laignel ne tient pas, car il revient à dire que le gâteau va se réduire mais qu’il faut quand même conserver son découpage en parts inégales. À mon avis, ce n’est pas parce que le gâteau se réduit qu’il faut garder des parts inégales.

M. le président Alain Fauré. Je suis totalement de cet avis. En répartissant les subsides d’une autre manière, nous pouvons faire en sorte qu’il y ait des gagnants. Il est normal que les perdants soient les plus riches, ou ceux qui bénéficiaient d’un avantage injustifié.

Mme Régine Povéda. J’aimerais aborder un thème qui me tient à cœur, celui de l’équité sociale. Vous avez parlé brièvement la fiscalité locale, estimant impensable de l’augmenter ou d’en modifier les taux. Mais votre association a-t-elle réfléchi au reclassement des immeubles par catégorie, qui peut avoir un effet important, notamment dans les petites communes ? Ce travail doit être fait par l’administration des impôts ou par une commission qui peut veiller à l’équité. Pour l’heure, une personne qui rénove une maison en ruine n’est pas imposée de la même façon que le propriétaire d’un logement neuf. Quelle est la position de votre association sur ce sujet ?

M. Patrice Bessac. Après un an et quatre mois d’exercice, je vous avoue que je « sèche » un peu sur le sujet. Cela étant, je crois qu’un reclassement des immeubles n’aboutirait qu’à une modification marginale des recettes. On me parle souvent du potentiel fiscal de Montreuil, la qualifiant de ville « riche » qui devrait actionner un peu plus le levier de la taxe foncière ou de la taxe d’habitation. Pour ma part, je constate qu’elle a un taux de pauvreté de 26 %, un taux de chômage de 18 %, et que seulement 65 % des ménages y sont imposés. Les échanges que j’ai avec mes concitoyens me laissent penser que le niveau d’imposition, déjà élevé, est devenu un sujet très difficile, voire épidermique. Mais avec cette réponse, j’ai conscience de ne pas avoir tout à fait répondu à votre question.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Ce thème des bases de la fiscalité locale a suscité plusieurs questions. Dans ma ville-centre, une sous-préfecture de province où les valeurs cadastrales sont très inférieures à celles de Montreuil, le travail de reclassement des immeubles a été fait. Les recettes fiscales ont augmenté de 1,7 %, ce qui reste extrêmement marginal. Les villes qui disposent de services financiers assez importants savent faire cet exercice en travaillant avec les commissions communales des impôts directs et avec les services fiscaux. Mais dans les villes de banlieue, la part de logements sociaux est tellement importante et le prix des loyers est si élevé que le levier fiscal peut difficilement être actionné, même si 65 % des ménages sont imposables, ce qui me paraît énorme puisque le taux est de 47 % au niveau national.

M. le président Alain Fauré. À mon avis, vous ne parlez pas de la même imposition.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Imposable, cela dit bien ce que cela veut dire.

M. le président Alain Fauré. Si l’on prend en compte tous les impôts, le taux moyen est nettement supérieur à 47 %. Si on inclut la TVA, l’impôt le plus injuste, il atteint même 100% !

M. Patrice Bessac. Je vérifierai les chiffres. En tout cas, je sais que le pourcentage des citoyens de ma commune qui ne paient pas l’impôt local est supérieur de vingt points à la moyenne nationale.

M. le président Alain Fauré. Quoi qu’il en soit, je rejoins notre collègue Régine Povéda. En milieu rural, la revalorisation des bases fiscales a permis à de nombreuses communes de ne pas augmenter les taux d’imposition. Les villes ne me semblent pas toutes avoir des services si bien équipés que cela pour suivre les évolutions de l’urbanisme, si j’en juge par le développement des marchands de sommeil et les rénovations plutôt hasardeuses et mal faites. Je ne sais pas si c’est pareil à Montreuil, mais j’ai souvent observé que les rénovations n’étaient pas conformes aux déclarations de travaux, notamment en cas de changement de façade. Tout cela se fait sans réel contrôle.

Peut-être Régine Povéda et moi-même avons-nous une vision rurale qui ne correspond pas à la réalité urbaine ? Ces missions sont souvent confiées à des cabinets, et il faudrait peut-être se demander comment ils abordent concrètement le sujet. Sans vouloir remettre en cause le travail de tous les cabinets de France et de Navarre, je dirais que la compréhension de la fiscalité locale n’est pas un exercice facile : elle varie d’un appartement et d’une maison à l’autre, ce qui est compliqué à appréhender à l’échelle d’une ville.

Mme Marie-Lou Marcel. Pouvez-vous nous apporter plus de précisions sur l’incidence de la baisse des dotations sur les politiques publiques des communes de votre association ? Auriez-vous des éléments précis à nous transmettre concernant les réflexions qu’elles ont pu engager sur la mutualisation des services ? Sur la base de l’enquête que vous avez effectuée, vous dites que le FPIC ampute davantage le budget des communes qu’il ne le soutient. Pourriez-vous nous donner de plus amples explications sur le sujet ?

M. Patrice Bessac. Comme je l’ai indiqué, confrontées à la baisse de leurs dotations, les communes ont d’abord supprimé des dépenses que l’on peut qualifier de périphériques – manifestations, festivités, feux d’artifice… – même si la population peut les percevoir différemment, et elles ont réduit les horaires d’ouverture de certains services.

Dans un deuxième temps, les municipalités ont rogné sur des services plus essentiels, tels que l’accueil périscolaire, ce qui provoque parfois des réactions assez fortes de la part des parents qui travaillent très loin de leur domicile. Les communes ont aussi utilisé les facilités offertes par la loi en matière de taux d’encadrement et procédé à des regroupements d’accueil pour les classes de maternelle et du primaire. Les regroupements du matin peuvent se faire sans trop de difficultés mais quand un travail pédagogique est effectué avec les enfants, il est parfois difficile de mêler des tranches d’âge fort différentes. Sous l’effet de la baisse de leurs financements directs, certains organismes culturels tels que les théâtres voient leur saison se réduire, au point que le taux d’utilisation de certains équipements publics devient un peu ridicule au regard de la dépense qu’ils ont représentée.

Ensuite, les municipalités peuvent envisager de réduire des services plus fondamentaux, comme le maintien à domicile et l’aide aux personnes. Je n’ai pas d’exemple précis en tête mais, dans les communes les plus en difficulté sur le plan social, la mairie joue un rôle très important dans ce domaine, dans la mesure où les financements départementaux ne compensent pas intégralement les dépenses engagées par les personnes qui recourent à une association ou à une entreprise. Ces services très coûteux ne sont pas pensés en termes de solidarité nationale : les personnes les plus âgées et les plus pauvres de certaines communes risquent de pâtir des réductions de crédits.

D’autres équipements publics comme les crèches ou les centres aérés sont affectés par la réduction progressive du nombre de places disponibles et de la durée moyenne des séjours. Certains maires envisagent carrément de vendre des équipements qui, je le concède bien volontiers, soulèvent des problèmes de gestion et de mutualisation.

Mon expérience de la mutualisation de services entre communes m’a appris que l’exercice n’a rien d’automatique et que sa réussite dépend de l’engagement des différentes autorités territoriales membres de l’EPCI. Quand la mutualisation n’est guidée que par des motivations financières – pour bénéficier par exemple des effets de levier consentis aux EPCI qui s’engagent dans cette démarche –, elle risque de déboucher sur de mauvaises expériences. La course à l’économie peut nuire à l’élaboration de solutions bien pensées – en matière de gestion des déchets urbains, par exemple – et il faut bien souvent revoir les dispositifs. En revanche, les maires sont très ouverts au partage quand il s’agit de maîtrise d’ouvrage.

Malgré tout, en tant que jeune maire, j’ai été très étonné de voir converger vers mon bureau un nombre finalement assez faible d’idées de mutualisations utiles et efficaces. Il faut courir après l’information, lire, faire des recherches. De prime abord, on ne trouve pas un soutien qui permette notamment de répondre aux enjeux de modernisation, de créer des portails citoyen susceptibles de simplifier et d’accélérer certaines procédures. Il en existe, bien sûr, mais je me demande comment font les communes de moindre importance, qui ne disposent pas d’un solide appui technique, pour mener à bien leur réflexion.

Mme Monique Orphé. Lors des deux auditions auxquelles j’ai assisté, j’ai entendu les intervenants expliquer que tout le monde s’accorde à dire qu’il faut faire des efforts. Les collectivités locales doivent faire 11 milliards d’euros d’économies. Ce qui me gêne, c’est que je n’ai pas entendu beaucoup de propositions sur la manière de participer à l’effort demandé par l’État. À La Réunion, je suis conseillère municipale de Saint-Denis, la plus grande ville des outre-mer, qui compte près de 150 000 habitants. Nous allons participer à l’effort en réduisant nos dépenses de fonctionnement – en supprimant des voitures de fonction, par exemple – qui avaient donné lieu à quelques dérapages. Nous avons dû aussi étaler nos dépenses d’investissement.

J’en viens à mes questions. L’entrée en vigueur de la réforme des rythmes scolaires a grevé les dépenses de fonctionnement, dites-vous. Pourriez-vous nous dire à quelle hauteur, compte tenu de la dotation accordée par l’État ? Est-ce que cela a empêché la mise en place de la réforme ? Pour notre part, nous l’avons appliquée, mais nous avions investi depuis un moment dans le périscolaire. Ce sont des choix politiques.

S’agissant des compétences facultatives, j’entends dire qu’elles sont importantes dans les communes où il existe de fortes inégalités. Chez nous, le taux de chômage atteint en moyenne 30 % et il est de 60 % chez les jeunes ; la jeunesse est en souffrance ; le département n’assume pas. Nous devons trouver de l’argent pour répondre à la demande des personnes âgées. Mais, dans le contexte actuel, ne devons-nous pas nous recentrer sur nos compétences obligatoires ? Les communes doivent-elles continuer à compenser elles-mêmes le désengagement des autres collectivités, ou y a-t-il un moyen de trouver un compromis ?

Enfin, vous parliez de la construction de logements. À Saint-Denis, entre 2008 et 2014, nous avons participé à la construction de beaucoup de logements sociaux sous la forme de garantie d’emprunts. Comment vos communes adhérentes participent-elles aux programmes de construction ? Comment cette participation peut-elle grever leurs dépenses de fonctionnement ?

Vos réponses me permettront de comprendre un peu mieux les problèmes des banlieues qui me semblent s’apparenter à ceux des collectivités d’outre-mer.

M. Patrice Bessac. Sans entrer dans le débat politique sur les dotations, je vais répondre à votre question sur les rythmes scolaires. Pour une ville de 103 500 habitants, le coût net de cette réforme s’élève à 2,2 millions d’euros. Ce montant cumulé avec la baisse de 3,4 millions d’euros des concours de l’État, nous arrivons à une quinzaine de millions d’euros sur trois ans, auxquels il faudrait encore ajouter l’effort de l’ordre de 1,5 million d’euros qui nous a été demandé en 2014.

Pour répondre à votre deuxième question, nous exerçons effectivement des compétences dites facultatives. La commune n’est pas obligée de s’occuper des crèches et des cantines. Nous avons le droit, si nous le voulons, de ne pas nourrir les enfants le midi. Nous ne sommes pas obligés d’accueillir les enfants le matin et le soir, avant et après les cours.

À Montreuil, commune d’accueil de populations migrantes, nous menons une politique très reconnue en direction des Roms, nous avons plusieurs foyers de travailleurs immigrés et une forte communauté malienne à laquelle la ville est intrinsèquement attachée. Nous intervenons massivement dans les ateliers d’alphabétisation et dans les écoles des parents. Si nous ne le faisions pas, nous passerions à côté de l’une des réalités de la ville. Lorsque des parents ne savent pas lire, l’enfant peut leur raconter à peu près n’importe quoi sur ses notes, sur les appréciations relatives à son comportement et sur le contenu de son carnet de correspondance. En soutenant des cours d’alphabétisation, nous aidons les parents à être maîtres du parcours éducatif de leur enfant.

Il en va de même pour les problématiques culturelles. Historiquement, de nombreuses villes de banlieue ont mis l’accent sur la culture, qui est un outil d’émancipation pour les populations les plus durement touchées par le système. Mais en cas de problèmes budgétaires, la tendance est évidemment à la réduction de ces financements à la culture, qui sont facultatifs. Est-ce légitime ? À mes yeux, non.

M. Hervé Pellois. Ma question porte également sur les schémas de mutualisation inscrits dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Je crois que la réflexion sur ces schémas permettra aux élus d’élaborer des propositions d’économies, notamment en matière de personnels, sujet qu’il faut bien aborder pour faire face aux contraintes actuelles, même dans les collectivités qui, comme La Réunion, souffrent d’un fort taux de chômage.

Comment vos adhérents conduisent-ils cette réflexion ? Dans des communes de taille importante comme les vôtres, la mutualisation intercommunale est peut-être moins évidente que pour les élus de l’AMF. Je reste pourtant persuadé que vous devez explorer cette piste. Pour ma part, j’étais très favorable à la suppression de nombreux syndicats communaux, afin de redonner matière aux communautés d’agglomérations ou de communes. On ne peut pas séparer l’eau et l’assainissement de l’urbanisme et du développement économique. Tout est lié. Au sein de votre association, avez-vous trouvé des modèles utilisables par tous ?

M. le président Alain Fauré. Pour compléter l’intervention de mon collègue Hervé Pellois, je vais revenir, monsieur Bessac, sur vos propos concernant les surprises liées à une mauvaise appréciation des coûts, qui n’incitent pas au travail en commun et au partage de prestation de services. Il est vrai que nombre de collectivités ont un vilain défaut : elles ne connaissent pas le juste prix ni le coût réel de fonctionnement de certains services, et ne savent pas précisément ce que représente le taux d’occupation d’un bâtiment.

Dans l’accueil périscolaire, le taux de participation au service peut être de l’ordre de 2 % ou 3 % pendant certaines tranches horaires. Les collectivités concernées ne pourraient-elles pas envisager d’autres systèmes d’accueil ? Il en va de même pour la mise à disposition d’équipements sportifs. Si les municipalités connaissaient précisément le coût que représente une piscine en termes d’infrastructure, d’entretien et de frais de personnel, il y aurait moins de discussions et de suspicion lors des tentatives de partage de ce genre d’équipement.

Je pourrais multiplier les exemples, mais vous avez compris le sens de mon intervention. La mutualisation suppose une vraie volonté politique. Or, disons-le, certaines municipalités ne voient pas d’un bon œil le partage ou l’intercommunalité. Dans certains cas, la suspicion naît de l’absence d’informations précises et exactes. Qu’en pensez-vous ?

M. Patrice Bessac. Étant un homme pragmatique, je préconise le partage à chaque fois que c’est possible. Néanmoins, je relèverais une source d’incompréhension, sinon d’agacement : on nous répète que la mutualisation nous permettra de sortir des difficultés budgétaires du moment, mais je pense que c’est faux car l’impact à court terme des travaux que nous pouvons entreprendre pour moderniser notre action publique et l’organisation de nos services est sans commune mesure avec les efforts budgétaires qui nous sont imposés sous forme de baisses de dotation et de nouvelles charges.

Cela ne m’empêche pas de m’intéresser à la problématique de l’occupation des locaux publics, dont vous avez parlé. Je me soucie tant du coût de ces locaux que des revenus qu’il est possible d’en retirer en les louant au coup par coup. Je n’ai aucun problème avec cela. Pour autant, les sommes en jeu ne sont pas comparables au montant d’environ 5 millions d’euros par an que j’ai précédemment évoqué.

En matière d’organisation, j’ai pris la décision de regrouper les services de la ville, jusqu’à présent éclatés entre plusieurs immeubles, afin de mettre fin aux transports de parapheurs et aux dysfonctionnements en tous genres. Ce regroupement nous donne l’occasion de travailler sur l’accueil du public, sur les procédures, sur l’accès par internet à certains services. Mais nous récolterons les fruits de ce travail au mieux dans quatre ans, alors que l’effort budgétaire qui nous est demandé concerne l’année dernière, l’année en cours et les deux années à venir. Et nous devons boucler notre budget sur fond de problématiques EPCI et de difficultés territoriales et politiques qui peuvent freiner la maturation de nos projets. C’est l’histoire des collectivités territoriales et de l’inscription dans le temps long des hommes et de leur histoire politique et sociale.

Prenons l’exemple tout bête de la question des déchets. Le transfert de ce service de la ville à l’agglomération modifie des habitudes qui sont parfois plus importantes que les procédures écrites parce que les agents sont aussi dépositaires d’une mémoire, de pratiques, etc. Quand vous passez le cap – si tant est que c’est une bonne chose pour votre territoire –, vous êtes confrontés pendant plusieurs années à de gros problèmes de désorganisation, qui ont un impact financier puisqu’il faut aller chercher des soutiens pour y pallier. Pour résumer, je dirais qu’il faut agir avec toute la bonne volonté du monde et en honnête homme, qu’il faut regarder ce qu’il est possible de faire dans l’intérêt général, mais que ces efforts sont à distinguer de notre problématique budgétaire immédiate.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Je voulais tout d’abord remercier monsieur Bessac de sa participation à nos travaux.

Ensuite, je voudrais m’adresser à Monique Orphé, qui n’a pas pu assister à nos précédentes auditions. Je ne suis pas sûr que tout le monde pense qu’il faille réduire la dépense publique, et surtout celle des collectivités territoriales de 11 milliards d’euros. Pour ma part, je ne le pense pas. Le débat budgétaire aura lieu en son temps et chacun de nous pourra faire des propositions pour atténuer voire annuler la baisse des dotations de l’État. En tant que membre du groupe GDR à la commission des finances, je m’engage à œuvrer en ce sens. Cette commission d’enquête vise d’ailleurs à évaluer les conséquences de la baisse des dotations. Comme l’ont dit aussi bien André Laignel que Philippe Laurent, le secrétaire général de l’AMF, si nous étions sûrs que la baisse des dotations aux collectivités territoriales était bonne pour la croissance, nous pourrions l’envisager. Mais nous n’avons pas la preuve qu’une telle baisse est favorable à l’activité économique de notre pays.

Enfin, j’aimerais répondre à quelques questions. S’agissant des rythmes scolaires, Patrice Bessac nous a apporté une réponse spécifique pour Montreuil. Sur le plan national, Philippe Laurent nous a indiqué que la dépense globale est évaluée à 1,2 milliard d’euros alors que les recettes s’élèvent à environ 450 millions d’euros.

En ce qui concerne la mutualisation, je veux reprendre les propos tenus par plusieurs personnes auditionnées : il ne faut en attendre qu’un effet marginal. Olivier Landel, délégué général de l’Association des communautés urbaines de France (ACUF), a même parlé de « l’épaisseur du trait ». La mutualisation permet, à terme, de réaliser des gains qui sont sans commune mesure avec les efforts demandés aux collectivités territoriales. Chaque responsable de collectivité territoriale sait bien que ce n’est pas la solution miracle. Jean-François Debat, président délégué de Villes de France, estime que les bénéfices attendus de la mutualisation représentent 20 % maximum de l’effort demandé.

Enfin, j’entends ce qui est dit sur la question des compétences obligatoires mais les communes ont surtout une clause générale de compétences. C’est ce qui fait l’originalité de notre pays et ce qui permet la cohésion sociale sur nos territoires. Il est extrêmement important de conserver cette clause, qui a été préservée dans le cadre de la loi NOTRe.

M. le président Alain Fauré. Au fil des interventions, je constate ce que Monique Orphé a relevé tout à l’heure : les personnes auditionnées font peu de propositions sur la maîtrise des dépenses et elles semblent peu enclines à remettre en cause les habitudes de fonctionnement. Nous n’en sommes qu’au début des auditions, mais rares sont les associations qui sont arrivées avec un catalogue d’idées visant à optimiser les dépenses pour remédier à une situation à laquelle nous sommes tous confrontés – citoyens, pays, collectivités. C’est pourtant ce que demandent nos concitoyens. Même si le maire reste le plus populaire des élus, le taux de participation aux élections municipales est en baisse. Dans certains cas que j’ai en tête, il n’a atteint que 37 % et le maire élu a recueilli seulement 51 % des suffrages. C’est peu.

Nous allons donc devoir réfléchir à la mutualisation. Voulons-nous mutualiser certaines dépenses ? Le bénéfice escompté est-il de l’ordre de l’épaisseur du trait ? Je n’en sais rien. Je sais seulement que des élus de communes nouvelles qui se sont regroupées sont venus témoigner d’une optimisation des dépenses et d’une amélioration des services. Il est vrai que ces élus avaient un profil particulier : à un moment donné, voyant qu’ils étaient au bout du bout, ils se sont intéressés à des observations et à des remarques venant de leurs administrés ou d’eux-mêmes. Ils se sont mobilisés pour apporter un service correct aux citoyens à un coût acceptable par tous – qui est aussi une partie du dilemme.

Monsieur Bessac, vous avez parlé d’un « transfert de l’impopularité fiscale sur les maires ». Peut-être avez-vous raison ? Pourtant, au vu de la popularité du Président de la République, je ne crois pas que ce soit une réelle préoccupation… En revanche, nous avons le devoir impérieux de nous préoccuper d’apporter des services et des prestations au bon et juste prix. Cette commission y travaille et je vous remercie de nous avoir apporté votre contribution. Cela étant, je vous invite à nous faire des suggestions plus complètes et précises quant aux objectifs que vous pourriez vous fixer et auxquels vous n’avez peut-être pas pensé jusqu’à présent. Merci à tous.

L’audition s’achève à dix-neuf heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mardi 8 septembre 2015 à 18 heures.

Présents. – Mme Catherine Beaubatie, M. Alain Calmette, M. Alain Fauré, Mme Joëlle Huillier, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Monique Orphé, M. Hervé Pellois, Mme Christine Pires Beaune, Mme Régine Povéda, M. Nicolas Sansu.

Excusés. M. Éric Alauzet, M. Olivier Audibert-Troin, M. Étienne Blanc, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Jeannine Dubié, M. Yannick Favennec, M. Laurent Marcangeli, M. Frédéric Roig, M. Claude Sturni.