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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mercredi 9 septembre 2015

Séance de 18 heures 

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Audition, ouverte à la presse, de Mme Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation IFRAP, et de M. Samuel-Frédéric Servière, consultant à l’IFRAP.

L’audition débute à dix-huit heures cinq.

M. le président Alain Fauré. Notre journée consacrée à l’appréciation globale de la trajectoire financière du bloc communal s’achève avec l’audition de Mme Agnès Verdier-Molinié, directrice de la fondation IFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques), et de M. Samuel-Frédéric Servière, consultant à l’IFRAP.

L’IFRAP a construit sa renommée sur l’analyse des politiques publiques et – pour parler sans fausse pudeur – sur la dénonciation des gaspillages et de la mauvaise gestion qui prévaudraient au sein de la sphère publique. La présente commission d’enquête n’attend donc pas de votre part, madame, monsieur, une indulgence particulière quant à l’appréciation que vous pourrez porter sur la situation financière du bloc communal et sur les facteurs de cette situation, notamment sur la baisse des dotations de l’État. Nous n’attendons pas non plus le récit de gaspillages, certes réels, mais dont la part, par rapport au montant des dépenses totales, reste limitée.

Peut-être, d’ailleurs, le regard que vous poserez sur la gestion publique locale et les recommandations que vous formulerez rejoindront-ils, dans leur dimension critique, les réflexions de nombreux élus et les actions qu’ils entreprennent, tant il est vrai que, pour le vivre au quotidien, la complaisance et l’aveuglement ne sont pas les défauts les plus partagés parmi les élus locaux.

Il est vrai que des questions se posent sur la maîtrise des dépenses de fonctionnement, sur la sélectivité à intégrer dans la politique d’investissement, sur la souplesse du levier fiscal, sur la pertinence des mécanismes de péréquation, sur l’équilibre entre dotations et fiscalité, sur la gouvernance des relations entre l’État et les collectivités, etc. Peut-être n’aurez-vous pas de réponse sur tous ces sujets ; à tout le moins, votre connaissance fine des politiques publiques pourra, j’en suis certain, nous donner des éclairages moins « classiques », mais tout aussi intéressants que ceux obtenus de nos autres interlocuteurs.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Agnès Verdier-Molinié et M. Samuel-Frédéric Servière prêtent serment.)

Mme Agnès Verdier-Molinié, directrice de la fondation IFRAP. La fondation IFRAP a, à plusieurs reprises, pris position en faveur de la baisse de la dépense publique, qu’il s’agisse des dépenses de l’État, des dépenses sociales ou des dépenses locales. Nous n’avons pas de tropisme particulier à l’encontre des collectivités locales : nous avons écrit que nous souhaitions une répartition équitable de la baisse de la dépense sur l’ensemble des acteurs.

La baisse des dotations de l’État est un sujet crucial, surtout pour le bloc communal puisque c’est à ce niveau qu’elle est, en proportion, la plus importante.

Nous avons constaté, au cours de ces dernières années, une hausse importante – en moyenne de 3 % par an – des dépenses de fonctionnement et de la masse salariale au sein des communes stricto sensu comme des établissements à fiscalité propre. Nous avons modélisé cette évolution et nous pourrons vous communiquer tous nos documents. Parallèlement, si l’on prend une tendance moyenne et en partant d’une base 100, on constate que les investissements suivent à peu près la même courbe, même si l’on constate, pour certaines années, une baisse importante suivie d’une hausse.

Nous sommes convaincus que la baisse des dotations de l’État oblige à un choix. Une modélisation montre que nous risquons de passer, dans les prochaines années, hors remboursement de la dette, de 33 milliards d’euros d’investissements à environ 26 milliards. L’investissement est en effet susceptible d’être la variable d’ajustement de la baisse des dotations. L’autre terme de l’alternative consisterait à baisser la dépense de fonctionnement – pas n’importe laquelle : la dépense de personnel, dont l’évolution est la plus dynamique. On voit que, pour les communes comme pour les intercommunalités, la mutualisation n’a pas vraiment fonctionné, elle n’a en tout cas pas donné lieu à des économies sur la masse salariale.

Si l’on souhaite que l’investissement public local, notamment celui des communes et des intercommunalités, se maintienne à 33 milliards d’euros par an, il faudra trouver l’économie correspondante – qui portera donc notamment sur la masse salariale. Nous avons chiffré un certain nombre de possibilités en la matière, mais qui exigent une tout autre gestion que celle qui a prévalu ces dernières années. En tout état de cause, nous n’affirmons pas que tous les dirigeants, les élus, les directeurs généraux des services n’ont pas tenté de réaliser des économies, au contraire : certains essaient, au quotidien, de mieux gérer, de fusionner des services d’achats, des services informatiques, des services financiers, etc. Reste que de nombreuses communes et intercommunalités maintiennent des services qui doublonnent.

Nous ne sommes pas les seuls à constater cet état de fait. Un rapport de la Cour des comptes sur la maîtrise de la masse salariale constate que, dans de nombreuses collectivités locales, les 35 heures hebdomadaires, à savoir les 1 607 heures annuelles, ne sont pas appliquées. En tant que fondation extérieure à l’administration, mais qui cherche à collecter des données publiques, nous nous heurtons à une vraie difficulté pour connaître le nombre d’heures légales travaillées dans les communes, les intercommunalités, les départements et les régions. Nous avons également du mal à obtenir davantage d’informations sur les régimes indemnitaires et sur leurs écarts. La plupart des éléments dont nous disposons proviennent des rapports des chambres régionales des comptes et non des bilans sociaux des communes, des régions et des départements, sur lesquels nous avons beaucoup travaillé dernièrement.

La question des économies que l’on pourrait réaliser sur le temps de travail effectif des agents n’est de fait jamais abordée. Un bref calcul, au caractère scientifique approximatif faute de données précises, permet d’évaluer à environ 14 000 équivalents temps plein travaillé (ETPT) économisés si communes et intercommunalités faisaient travailler leurs agents 1 607 heures par an. Ce n’est pas énorme, mais c’est une piste. On peut très bien, en outre, pour peu qu’on gèle en valeur les dépenses de fonctionnement dans les prochaines années, imaginer ne pas remplacer les départs à la retraite – or on compte 35 000 à 37 000 départs par an rien que pour le bloc communal. Cette démarche, qui suppose évidemment de mutualiser, de fusionner, ne saurait naturellement être isolée ; elle doit aussi pouvoir être accompagnée.

Se pose ici la question d’un lien logique entre dotation globale de fonctionnement (DGF) et bonne gestion. D’ores et déjà, les communes sont incitées à fusionner avec à la clef la conservation de la DGF et même, au départ, un bonus de 5 %. Le but serait d’encourager les mutualisations, les fusions, les réorganisations, non pour bénéficier d’un effet d’aubaine, s’entend, mais dans le cadre d’une vraie démarche de fond.

M. le président Alain Fauré. Votre sous-entendu est bien positif, n’est-ce pas ?

Mme Agnès Verdier-Molinié. En effet.

Autre question d’autant plus délicate que nous ne disposons pas des chiffres pour les 36 769 communes : l’absentéisme. Nous avons toutefois accumulé des données extraites du bilan social pour les communes de plus de 100 000 habitants et nous aboutissons à une moyenne de 26 jours d’absence par agent et par an avec des pics dans certaines communes comme Montpellier, où l’on atteint 39 jours. Comment lutter contre cet absentéisme ? Il conviendrait de mobiliser les agents sur un projet : après avoir travaillé pendant des années sur la question et recueilli de nombreux témoignages, nous parvenons à la conclusion que les agents, notamment du fait des doublons, n’ont pas toujours le sens de leur mission, n’en saisissent pas toujours la cohérence. L’État déconcentré n’est pas exempt de cette critique puisqu’il intervient dans des domaines très proches. La mauvaise répartition des missions nous paraît ainsi avoir un lien avec le fort taux d’absentéisme constaté dans nos collectivités. Cette question est fondamentale : à ne considérer que le bloc communal, une réduction moyenne d’une dizaine de jours d’absence par agent et par an équivaut à 8 000 ETPT, ce qui n’est pas rien rapporté à l’ensemble des économies qu’il faudrait réaliser sur la masse salariale.

Poursuivant cette logique, nous préconisons, au niveau de l’intercommunalité, la plus grande mutualisation possible. Se pose dès lors la question – jamais abordée – du nombre de communes. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a réduit le nombre de régions ; on a même songé, à l’occasion de son examen, à remettre en question la légitimité de l’existence du département, mais celle du nombre de communes n’est jamais abordée. Pourtant de nombreux pays alentour considèrent qu’une commune doit avoir au minimum 5 000, 10 000 ou 20 000 habitants ; la France fait vraiment figure d’exception – je rappelle qu’elle compte 40 % des collectivités locales de l’Union européenne. À cet égard, la mise en place des intercommunalités n’a pas engendré les économies attendues. Tous les rapports le montrent : souvent, la création d’une intercommunalité n’est pas motivée par le souci de réaliser des économies. Quelle est la taille critique des communes ? Nous pensons qu’il faut parvenir, dans un premier temps, à des communes de 5 000 habitants et, dans un second, de 10 000.

En ce qui concerne les investissements des communes et des intercommunalités, il nous paraît important de disposer du plus grand nombre de détails possible sur leur nature – or nous y parvenons difficilement, alors que nous obtenons sans problème ces informations auprès des départements et des régions. Nous préconisons l’investissement qui donne à des entreprises l’envie de s’installer dans le territoire en question. Ce devrait être une priorité. Or il n’est pas aisé d’évaluer avec précision la portée des investissements, le retour sur investissement, notamment en matière de fiscalité.

Enfin, il est essentiel que les communes et les intercommunalités rendent le plus de comptes possibles aux citoyens sur leur gestion. Ce souci est de plus en plus partagé et le nombre d’associations qui s’intéressent aux comptes va croissant. Il s’agit d’aller au-delà des comptes administratifs et de montrer à quoi sert l’investissement, à quoi sert la dépense publique. Le citoyen doit pouvoir savoir quelles économies sont réalisables pour contrer la baisse des dotations de l’État et comment sera éventuellement sanctuarisé l’investissement. Cela suppose un dialogue permanent avec les citoyens, beaucoup plus poussé que ce n’est le cas aujourd’hui.

M. Samuel-Frédéric Servière, consultant à l’IFRAP. La fondation IFRAP estime que la baisse des dotations de l’État est l’occasion de réformer un certain nombre de dispositifs peut-être arrivés en bout de course. Cette baisse atteint un point tel que certaines communes sont susceptibles de ne même plus toucher de DGF ; aussi faut-il peut-être les associer plus étroitement à la maîtrise des comptes et au processus de budgétisation. Il serait bon d’associer, en amont et en aval, les collectivités dans un processus de territorialisation de l’objectif d’évolution de la dépense publique locale (ODEDEL), qu’il s’agirait d’adapter aux particularités des territoires, sachant que l’objectif global initial devra être respecté. D’autres pays ont adopté des pratiques sensiblement similaires : l’Espagne – avec des succès divers – et l’Italie. Il s’agit d’obtenir une solidarisation dans la gouvernance des finances publiques dans leur ensemble, puis des collectivités locales, de sorte que des objectifs particuliers leur soient assignés mais, surtout, qu’elles se les assignent à elles-mêmes.

À cette fin, deux éléments méritent d’être mis en avant.

D’abord, la conférence des finances publiques, prévue récemment par la loi, devrait permettre aux collectivités, en amont, via leurs organisations représentatives, d’être associées à la démarche de budgétisation. On pourrait imaginer, cette fois en aval, l’organisation d’un format financier des conférences territoriales de l’action publique, de façon, là encore, à territorialiser les objectifs et à les redistribuer par strates.

Ensuite, le récent rapport Pires Beaune-Germain a évoqué l’évolution de la DGF, préconisant une simplification prenant en compte, parmi les clefs de calcul, ce qui pour nous est une idée-force : le coefficient d’intégration et de mutualisation (CIM). Cela ne procéderait donc pas seulement d’une vision ascendante, verticale, qui chercherait à faire progressivement bénéficier du dispositif les collectivités qui s’intègrent de mieux en mieux à l’intercommunalité, mais également d’une vision horizontale par le biais d’un coefficient de mutualisation. Cette approche par CIM aurait l’avantage de ré-inclure les syndicats intercommunaux de façon à avoir une vision globale de l’intégration. On pourrait en attendre des progrès dans la mutualisation des services effectifs qui ne sont pas que des services opérationnels : mutualisation des achats, des services informatiques, de certains services scolaires… On pourrait aller plus loin et ainsi réaliser des économies structurelles parce que d’organisation.

M. le président Alain Fauré. Il y a de la clairvoyance et même de la lucidité dans vos considérations sur la mutualisation. Le processus que vous suggérez est en cours, mais il ne va pas assez vite ni assez loin à mon sens. Vous êtes force de proposition en la matière. On ne peut qu’être favorable à la supervision des investissements et à la connaissance du détail de ces investissements qu’il est judicieux de bien répartir. Il faudrait en outre adapter la durée des emprunts à la durée de vie des investissements, ce qui nous permettrait d’optimiser les dépenses. Les objectifs territoriaux, également, vont de pair avec la notion de mutualisation : si la population, les élus d’un territoire voient où il va, comment ils vont pouvoir accompagner son développement, cela a du sens.

L’idée selon laquelle la baisse de la dotation doit pousser à la réforme semble être partagée par un grand nombre d’élus.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Membre du Front de gauche et député du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), c’est à mon initiative que cette commission a été créée. Je le dis afin que Mme Verdier-Molinié sache où elle est… Il s’agit d’évaluer les conséquences des baisses des dotations de l’État au bloc communal sur l’investissement public et les services publics de proximité. Toutes les associations d’élus nous ont fait part de leur inquiétude – compréhensible –, mais s’étonnent aussi de l’absence d’étude d’impact de cette baisse de dotations sur leur capacité à maintenir l’équilibre budgétaire – je rappelle que les communes, les intercommunalités, les départements et les régions sont soumis à la règle d’or…

M. Charles de Courson. Heureusement !

M. le rapporteur. Je ne la remets pas en question, mon cher collègue, seulement, il ne faut jamais l’oublier, car le risque mis en avant par les associations d’élus et par d’autres consultants est que cette règle pourrait ne plus être respectée dans un certain nombre de collectivités : vous avez lu comme moi le papier de François Baroin, président de l’association des maires de France (AMF), avant-hier dans Aujourd’hui en France-Le Parisien, annonçant que 1 500 à 2 000 communes ou intercommunalités pourraient basculer dans le déséquilibre budgétaire et passer sous la tutelle du préfet – ce qui, tout compte fait, répondrait à vos attentes : l’ODEDEL n’est rien d’autre qu’une nouvelle mise sous tutelle du préfet. J’exagère sans doute un peu, mais il s’agit d’une vraie décision politique : faut-il revenir sur certains éléments de la décentralisation ? Nous en sommes là s’il est question de cette sorte de bonus-malus : quand je lis qu’il faut diminuer la masse salariale pour avoir une DGF bonifiée, de quoi s’agit-il sinon d’un contrôle préfectoral, donc étatique, auquel on échappe dès lors qu’on respecte l’équilibre budgétaire imposé aux collectivités et que la chambre régionale des comptes ne trouve rien à redire à la bonne gestion ?

Le fait que personne ne parle du regroupement de communes qui doivent compter au moins, selon vous, 5 000 ou 10 000 habitants, est un choix politique constitutif de la nation française. Je suis un jacobin et en même temps un révolutionnaire – du moins je l’espère –…

M. le président Alain Fauré. Tout en douceur…

M. le rapporteur. Je suis donc soucieux du maintien de la commune dont vous connaissez l’importance en France. C’est pourquoi vos recommandations relèvent d’un autre débat. La commission d’enquête cherche à comprendre quels vont être les impacts de la baisse des dotations de l’État en matière d’investissement public et de services publics de proximité ; les préconisations pour absorber le choc viendront éventuellement après.

En ce qui concerne l’investissement public communal et intercommunal, il passerait, selon vous, de 33 à 26 milliards d’euros, tandis que l’AMF – comme Michel Klopfer – annonce le chiffre de 23 milliards d’euros. Nous ne devons pas nous voiler la difficulté. Toutes les associations d’élus – qui ont sans doute tort – et tous les autres consultants – qui ont sans doute tort aussi – nous ont expliqué que la mutualisation était un bien, mais pas seulement dans l’optique de faire des économies : elle doit avant tout permettre de rendre un meilleur service à nos populations dans les territoires. Reste que la mutualisation n’est pas à la mesure de l’intensité du choc que constitue la baisse des dotations de l’État et que vont subir les communes et les intercommunalités. Or c’est une certitude : la suppression de tous les doublons sera loin de régler tous les problèmes.

J’ai en tête les chiffres que nous a donnés Jean-François Debat, auditionné hier en tant que président délégué de Villes de France : la mutualisation, si elle était poussée à son paroxysme, ne compenserait que 20 % de la baisse annoncée de la dotation de 12,5 milliards d’euros sur quatre ans. J’ai également à l’esprit les propos d’Olivier Landel, délégué général de l’Association des communautés urbaines de France (ACUF), qui parlait d’épaisseur du trait. On peut certes vouloir toujours mieux gérer mais je crois sincèrement que les élus communaux et intercommunaux s’y exercent déjà : dans 99 % des communes et des intercommunalités, les méthodes de gestion sont rigoureuses, chaque euro dépensé fait l’objet d’une grande attention.

Vous suggérez ensuite le non-remplacement des départs à la retraite : sachez que les communes les plus en difficulté le pratiquent depuis déjà un certain temps, ce qui ne les empêche pas de rester les plus en difficulté. Dans ma commune, entre 2008 et 2015, non seulement nous n’avons pas augmenté les effectifs, mais nous les avons baissés.

M. Charles de Courson. C’est beau pour un communiste !

M. le rapporteur. Ce n’était pas de gaîté de cœur, monsieur Charles-Amédée de Courson ! Nous les avons baissés en intégrant trois services dont deux ont été municipalisés : l’éclairage public, la restauration scolaire, l’eau et l’assainissement. Malgré cela, notre épargne brute ne cesse de se dégrader. Notre budget de fonctionnement, en 2015 est à peine supérieur à celui de 2008, à savoir de 1,5 % – j’ignore si l’on se rend compte de l’effort de gestion et d’économies qu’il a fallu faire pour essayer de maintenir le niveau de l’épargne brute !

Vos propos sont peut-être séduisants, mais ils ne correspondent pas à la réalité de nombreuses communes et intercommunalités. Je souhaite savoir sur quelles données vous vous appuyez lorsque vous déclarez qu’on pouvait ne pas remplacer 14 000 personnes partant à la retraite. Or si, dans ma commune, je ne remplaçais aucun départ à la retraite, je ne compenserais pas la baisse de la dotation de l’État pour autant – c’est tout de même un souci…

M. le président Alain Fauré. Ce sont les personnes auditionnées qui doivent faire état de leurs suggestions – d’autant plus bienvenues dans le cadre de cette commission qu’on se rappelle son intitulé. Le cadre de référence dans lequel nous travaillons pourra être modifié dans les mois ou les années à venir afin que nous puissions – qui sait – affiner notre réflexion sur l’optimisation de ces investissements et envisager les choses autrement – en particulier à travers la mutualisation et le regroupement de collectivités. Certains cas d’optimisation sont avérés. Il est important, j’y insiste, que les personnes auditionnées nous fassent part de leurs suggestions ; c’est ce que nous attendons d’elles. Aux élus de déterminer ensuite si elles sont correctes ou non ; en attendant, écoutons-les.

Mme Agnès Verdier-Molinié. Votre expérience, monsieur le rapporteur, est intéressante : dans votre commune, non seulement vous n’avez pas augmenté le nombre d’agents, mais vous l’avez même diminué. Mais cette tendance qui ne se vérifie pas sur le plan global : si, au début des années 2000, on comptait, pour les communes et les intercommunalités, 1,2 million d’agents, on en dénombre 1,3 million aujourd’hui. Il est vrai que la très grande diversité des situations rend difficile toute conclusion générale. Néanmoins, nous avons réfléchi en termes d’économies à dégager pour essayer de « coller » à la baisse de dotation.

Notre première réponse est que le gel des embauches au niveau des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) – soit environ 37 000 postes non renouvelés par an, je l’ai dit – entraînerait 1 milliard d’euros d’économies la première année, 2 milliards la deuxième année et 3 milliards la troisième. Autrement dit, sur la période donnée, en cumulé, à peu près la moitié des économies nécessaires pour amortir l’impact de la baisse des dotations serait financée. Or il faut savoir que, selon les modélisations, la baisse des dotations devrait conduire à une diminution de l’investissement d’environ 7,4 milliards d’euros en 2017 pour le seul bloc communal.

On peut certes très bien mutualiser sans pour autant réaliser d’économies : on l’a fait de nombreuses fois et l’on pourrait continuer ainsi, mais nous sommes aujourd’hui dépassés par l’urgence : nous avons plus de 2 000 milliards d’euros de dettes… Aussi, qu’il s’agisse de nos comptes sociaux, de nos collectivités qui, malheureusement, malgré la règle d’or à laquelle elles sont soumises, s’endettent tout de même pour investir même si cet endettement est plus vertueux, ou qu’il s’agisse de l’État, tous nos comptes sont dans le rouge. Préconiser la mutualisation ne relève donc pas d’un caprice, mais de la nécessité.

On peut très bien réduire le nombre de régions pour autant sans faire d’économies – c’est ce qui risque de se passer – ; mais on peut aussi, comme nous le préconisons, essayer de se caler sur les régions qui dépensent le moins à la fois en fonctionnement et en investissement et économiser 2,2 milliards d’euros par an. Il faut en effet savoir ce qu’on veut et il ne me semble pas que la région Pays de la Loire ou la région Poitou-Charentes soient sous-administrées et que la qualité des services publics soit dans un état tel que personne, ménages comme entreprises, ne veuille s’y installer – cela se saurait… Mutualiser en économisant, c’est possible mais cela implique, j’y insiste, une mise sous contrainte – ce qu’on n’a jamais fait en France –, notamment par le biais du gel des embauches, de la lutte contre l’absentéisme des agents, du passage aux 35 heures hebdomadaires effectives, quitte à passer des accords avec les collectivités locales pour aller au-delà des 35 heures, comme on le fera bientôt dans les entreprises. Il convient de changer de paradigme.

M. Samuel-Frédéric Servière. On pourrait également rétablir le jour de carence ou appliquer ce que prévoit la convention bancaire, à savoir autoriser un certain nombre d’absences, chaque année, au-delà desquelles la carence s’applique à plein.

Je rappelle, par ailleurs, que l’ODEDEL n’est pas contraignant ; or il faudrait créer un paradigme de contraintes afin de se donner vraiment des objectifs. Comme Mme Verdier-Molinié l’a rappelé, les finances locales ne sont pas hors sol : si elles doivent, certes, respecter la règle d’or, elles n’en sont pas moins solidaires des finances publiques. Les transferts de l’État en faveur des collectivités locales se traduisent nécessairement par une partie d’endettement et de déficit concentrés, par construction, sur la tête de l’État. Les collectivités locales ne peuvent pas se tenir en dehors de ce débat ; et si elles s’en étaient emparées plus tôt, elles ne se retrouveraient pas dans la situation actuelle qui reste complexe à négocier.

Si nous préconisons la territorialisation de l’ODEDEL, c’est pour coller au plus près aux réalités locales et non pour aggraver les contraintes qui pèsent déjà sur les communes en difficulté. C’est au contraire pour faciliter certains ajustements mais également favoriser une sorte de coresponsabilité des collectivités locales dans le cadre de la péréquation : il ne s’agit pas d’ossifier les situations où les bons gestionnaires paient systématiquement pour d’autres gestionnaires plus laxistes. Cela ne signifie pas que les territoires sont en difficulté du fait d’une gestion laxiste : certaines villes voient des entreprises partir, subissent un exode de population non à cause d’une mauvaise gestion mais en raison de chocs économiques ou sociaux.

Au moins la territorialisation que nous préconisons permettrait-elle d’associer les collectivités en amont et en aval ; cette proposition équilibrée permettrait d’accompagner la transition.

M. le président Alain Fauré. Nous avons vu que, dans le cadre de la création de communes nouvelles, la spécialisation rendait le personnel beaucoup plus efficient, favorisait son entrain au travail et, du fait de l’élargissement de la population des salariés, offrait des perspectives d’évolution de carrière.

Mme Christine Pirès-Beaune. J’ai été plutôt agréablement surprise par l’exposé que vous nous avez présenté, beaucoup moins caricatural que ne le sont parfois vos interventions sur les plateaux de télévision ou même que votre dernier livre où, exemple parmi d’autres, au chapitre V portant sur les aides sociales, vous entretenez – volontairement, je suppose – la confusion entre prestations sociales et dépenses d’assistance. J’ai en effet été choquée de vous voir annoncer une somme globale de 700 milliards d’euros de dépenses sociales, en amalgamant les dépenses sociales à proprement parler – maladie, retraite, chômage – et les « dépenses d’assistanat » – prestation de compensation du handicap, (PCH), revenu de solidarité active (RSA) et allocation personnalisée d’autonomie (APA) – qui ne représentent que 16 milliards d’euros sur un total de 652 milliards d’euros ou les 700 milliards que vous évoquez.

Pour ce qui est de l’ODEDEL, contrairement au rapporteur, j’y suis favorable, tout simplement parce que l’engagement pris vis-à-vis de Bruxelles vaut pour l’ensemble des dépenses publiques et que les collectivités locales font partie de la sphère publique. Il s’agit d’un bon indicateur, qui n’est certes pas contraignant, mais je vois mal comment l’État pourrait s’engager vis-à-vis de Bruxelles sur un objectif d’évolution de la dépense publique sans inclure les collectivités locales.

Les EPCI n’ont effectivement pas généré d’économies, mais jamais il n’en a été question lors de leur création. On ne peut pas, par conséquent, leur reprocher de ne pas avoir atteint un objectif qui ne leur avait pas été fixé.

Je vous décevrai à propos du rapport sur la réforme de la DGF : je ne proposerai rien concernant la répartition de la dotation en fonction du critère de bonne gestion. J’ignore ce que pourrait être un tel critère et ce que serait le « point zéro » entre les communes qui auraient déjà fait des efforts, celles qui n’en ont pas encore fait, celles qui disposent de recettes importantes et celles qui n’en ont pas. Ce serait ouvrir un débat qui n’a pas lieu d’être. En revanche, on pourrait en effet travailler sur les coûts moyens de service, peut-être même par territoires, tant il est vrai qu’ils ne sont pas tous dans la même situation.

M. le président Alain Fauré. Tout à fait !

Mme Christine Pirès-Beaune. J’ai défendu avec Jacques Pélissard la proposition de loi portant amélioration du régime de la commune nouvelle – qui existe depuis 2010 – car, à nos yeux, la création de ces communes ne devait pas revêtir un caractère défensif, ni n’avoir d’autres objectifs que le bénéfice d’un bonus limité du reste à trois ans. La commune nouvelle n’est pas non plus destinée à réaliser des économies, même si elle en génère de fait très rapidement – et même au bout de six mois seulement ; elle a vocation demain à offrir à nos populations des services que des collectivités de cinquante ou cent habitants ne peuvent plus – ne peuvent pas – leur proposer.

Je reviendrai sur le non-renouvellement des personnels partant à la retraite : je vous invite à éviter toute généralisation, là aussi. Je suis conseillère municipale d’une petite commune et députée du Puy-de-Dôme, et j’ai, à l’occasion de la rentrée scolaire, visité de très nombreuses écoles ; or il se trouve que la population y augmente et par conséquent le nombre d’enfants scolarisés. J’ai donc eu le bonheur de bénéficier de la création de quatre postes : j’avais des classes de trente-deux élèves en maternelle ou en cours préparatoire… Et qui dit nouvelles classes dit postes supplémentaires d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), créés par les collectivités.

On ne peut donc pas raisonner « à la hache », même si je suis d’accord sur la nécessité de réaliser des économies : le taux d’absentéisme n’est en effet pas raisonnable dans certaines collectivités. Mais attention aux jugements à l’emporte-pièce.

M. le président Alain Fauré. Madame la députée, vous avez évoqué les dépenses d’assistanat ; je préfère employer le terme d’allocations, moins négativement connoté et qui recouvre des aides apportées à des populations dans des situations difficiles.

Mme Christine Pirès-Beaune. « Assistance » est malheureusement le terme employé alors qu’il s’agit d’aide aux plus démunis, et c’est pour cette raison que j’ai délibérément utilisé ce mot.

M. le président Alain Fauré. Pour ce qui est de la mutualisation, les collectivités qui se sont regroupées ont dû lancer des missions et mettre en place des services qui n’existaient pas auparavant. Il est vrai que si l’on comparait le panel des services offerts à nos concitoyens par les collectivités en 1970 et ceux proposés en 2015, on aurait une sacrée surprise puisqu’elles interviennent aujourd’hui dans de nombreux domaines nouveaux. Certains le déplorent mais c’est positif dans certaines collectivités, notamment pour les jeunes quand on pense au sport, à la culture, etc. Toutefois, tout cela peut être fait – et ici je vous rejoins – par le biais d’une optimisation.

Les toutes petites communes n’ont pas été les seules à l’origine de la création des communes nouvelles : de grandes communes se sont regroupées. Et j’ai entendu de la bouche de maires ce genre de propos : « Nous avons pu mettre en place une crèche supplémentaire sans aucune incidence financière pour la population. »

Honnêtement, nous disposons aujourd’hui de personnels bien plus présents que ce n’était le cas auparavant : ils sont formés à des tâches précises alors qu’ils ne se retrouvaient pas dans le système antérieur, à leurs yeux illisible ; enfin, la possibilité d’une évolution de carrière leur redonne l’envie de bouger : ils ne sont plus contraints de faire la même chose tout au long de leur vie professionnelle, ce qui n’était guère incitatif.

Mme Agnès Verdier-Molinié. Nous-mêmes, à l’IFRAP, avons de nombreux contacts avec des maires de très petites communes désireux de fusionner avec les communes voisines qui, souvent, n’en ont pas très envie alors même que les dépenses de fonctionnement pourraient baisser de 20 à 30 %. La question est de savoir si nos élus ont envie de se retrouver, après fusion, avec une commune plus importante dont ils connaissent un peu moins les électeurs…

M. le président Alain Fauré. Posez-vous aussi la question de savoir ce que c’est qu’être un élu face à des concitoyens pas toujours faciles à administrer. La confrontation avec la réalité apporte son lot de questionnements, vous pourrez le constater vous-même si vous vous lancez dans l’aventure.

Mme Agnès Verdier-Molinié. J’ai eu l’occasion de représenter la fondation IFRAP au congrès des maires de France, il y a deux ans : il y avait 5 000 élus dans la salle… Nous avons toujours pris le parti d’accepter les invitations, quitte à exprimer des points de vue pas toujours faciles à admettre de la part d’un auditoire très impliqué au quotidien, dans les territoires, avec la population. J’ai alors été frappée en voyant de nombreux « petits » maires, assis au fond de la salle et que l’on n’entend pas forcément, venir m’encourager à persévérer, car ils trouvaient que ce que nous disions allait dans le bon sens même si cela ne correspondait pas au discours ambiant. Parfois nous ne le disons peut-être pas avec les bons mots, ceux qu’aimeraient entendre les élus municipaux, mais il faut faire bouger un système qui en a grand besoin.

Vous-même, madame Pirès-Beaune, avez déploré l’absentéisme des agents et l’insuffisance des contrôles. Or nos travaux sont à l’origine de l’instauration du jour de carence dans l’ensemble de la fonction publique. On a malheureusement supprimé cette mesure qui allait dans le bon sens et qui n’était ni stigmatisante ni humiliante. On nous a objecté que, dans le secteur privé, les conventions collectives prévoyaient la prise en charge des trois jours de carence. Après examen, au hasard, de cinquante conventions, nous nous sommes aperçus que seules la moitié des conventions prévoyaient une prise en charge à 100 %. Faisons donc la même chose dans le public et le privé. Samuel-Frédéric Servière y a fait allusion : la convention bancaire prend en charge six jours par an maximum.

Quand on veut travailler sur les chiffres de l’absentéisme collectivité par collectivité, on a beaucoup de mal, j’y insiste, à obtenir les bilans sociaux. Nous sommes par conséquent obligés de saisir la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et parfois même de menacer d’un recours devant le tribunal administratif. Se pose par conséquent, ici, un problème de transparence. Le nombre d’heures annuelles légalement travaillées dans chaque collectivité ne figure pas dans les bilans sociaux. Pourquoi ?

M. le président Alain Fauré. J’ai été maire dans une commune pendant un certain nombre d’années. Des salariés travaillaient 28 heures par semaine, étaient payés en conséquence et leur présence était bien de 28 heures. Si je vous comprends bien, vous êtes en train d’affirmer qu’un certain nombre d’agents des collectivités seraient payés pour tel nombre d’heures tout en travaillant moins.

Mme Agnès Verdier-Molinié. Le nombre d’heures légales travaillées, dans de nombreuses communes, de nombreuses intercommunalités, de nombreux départements, de nombreuses régions ne correspond pas aux 1 607 heures légales et ne dépasse pas, ici 1 530 heures, là 1 575… Nous disposons d’une liste, mais d’énormes zones d’ombre subsistent. M. André Vallini, par exemple, dans le département de l’Isère, a voulu revenir aux 1 607 heures ; il y a réussi mais cela a été très compliqué. Accroître l’efficience, affiner l’évaluation et augmenter la productivité dans la qualité de nos services publics – il ne faut pas avoir peur de certains mots – suppose que nous ayons accès aux données. Il n’est pas normal que, pour certains départements, il nous ait fallu cinq mois, l’envoi de nombreux recommandés, un recours auprès de la CADA pour réussir à obtenir les bilans sociaux qui ne sont pas mis en ligne automatiquement, comme vous le savez, parce que s’ils doivent être rédigés tous les deux ans, il n’y a aucune obligation légale de les publier… Pourquoi les collectivités locales ne sont-elles pas toutes tenues de publier sur leur site internet leur bilan social, le nombre d’heures travaillées, les régimes indemnitaires ? Nous n’en sommes qu’aux prémices de l’ouverture de nos collectivités, mais aussi de nos administrations : nos administrations de sécurité sociale notamment ne sont pas les plus transparentes… On va, je l’espère en tout cas, vers une amélioration de l’information des citoyens ou de ceux qui, comme nous, recherchent ces données.

M. Samuel-Frédéric Servière. Nous avons été heureusement surpris par le rapport de Mme Pirès-Beaune dans sa volonté de favoriser l’open data. Il est vrai que, pour une meilleure compréhension de la DGF et de façon à en simplifier le calcul – même si votre volonté de rester au plus près des territoires implique de garder un certain degré de complexité –, vous préconisez l’accès de tout un chacun – à commencer par le gestionnaire local – à des données en open data. Cette volonté est présente dans toute la sphère publique : les collectivités locales en particulier souffrent d’une certaine forme de rétention d’informations, tant au niveau de leurs services qu’à celui de l’État en sa qualité d’animateur et de contrôleur de leurs finances.

M. Charles de Courson. Êtes-vous certains que l’agrandissement des intercommunalités sera un facteur d’économies ? En effet, plus vous avez des structures importantes, plus vous les bureaucratisez : d’abord vous spécialisez les agents, alors que dans les petites structures, de 2 000 ou 3 000 habitants, faute de pouvoir se payer un directeur des services techniques, d’un directeur financier, d’un directeur des relations du travail, etc., les gens font un peu tout. Se pose ensuite la question démocratique : trouvera-t-on encore des élus locaux pour gérer des structures importantes ? Cela devient en effet incompatible avec une vie professionnelle à peu près normale. Du coup, on va vers la professionnalisation des élus, notamment des élus intercommunaux. Or je ne suis pas sûr que ce soit un facteur de réduction des coûts ; je crains même l’inverse. Les élus voudront bien consacrer une journée par semaine à leur activité publique, mais ils ne pourront pas être là tous les jours. Et la démocratie n’est pas simplement une affaire de « technos » : il faut des citoyens, des élus capables de la faire tourner. Si, comme on le voit dans certaines grandes structures, on ne trouve que des élus qui « couvrent la marchandise », faute de temps – car en plus ils sont sénateurs, députés, que sais-je… –, le fonctionnement des collectivités en vient à échapper au contrôle démocratique.

Mme Agnès Verdier-Molinié. Vous vous interrogez sur le caractère démocratique ou non des très grosses intercommunalités, autrement dit sur le lien entre élus et administrés et sur la compréhension des citoyens du fonctionnement de la structure en question. La fondation IFRAP n’a jamais préconisé la constitution des plus grosses intercommunalités possibles : notre idée est plutôt que communes et intercommunalités fusionnent afin d’atteindre le seuil de 5 000 à 10 000 habitants. En outre, comme le rappelait Mme Pirès-Beaune, on n’a pas assigné aux intercommunalités des objectifs d’économies – ni, d’ailleurs, aux communes qui se groupaient au sein d’une intercommunalité.

On peut s’interroger sur la pertinence du maintien des niveaux communal et intercommunal. On continue à empiler des échelons – commune, commune nouvelle, intercommunalité, métropole, département, région, État déconcentré, État –, ce qui aboutit à un système in fine très sédimenté. Pourquoi ne pas penser à des fusions entre communes et intercommunalités, sans toutefois former des entités gigantesques ? Il suffit qu’elles deviennent de grosses communes.

La fondation IFRAP est convaincue de l’importance du lien démocratique entre le maire et les citoyens, et ce lien sera plus évident lorsque les communes et les intercommunalités fusionneront plutôt que de subsister côte à côte. Je ne suis pas certaine que les citoyens soient nombreux à maîtriser la répartition des compétences, la composition des différents budgets et la nature des investissements de leur intercommunalité, et cette complexité ne favorise pas leur compréhension de nos institutions.

M. Samuel-Frédéric Servière. Il faudrait en outre réfléchir en termes de frontières technologiques. Nous disposons de technologies beaucoup plus agiles qu’auparavant qui permettent d’avoir une relation avec l’administration, même à distance. Nous avons été reçus, Agnès Verdier-Molinié et moi-même, par des représentants de La Poste qui, dans le cadre de conventions de service public, aurait très bien pu faire de ses postiers le relais de proximité, en territoire très rural, avec des personnes très isolées ou âgées et qui veulent rester à domicile. Le risque évidemment subsiste d’une mutualisation, d’un regroupement mené un peu trop vite ; néanmoins, des palliatifs techniques permettent tout de même d’assurer un degré de proximité peut-être inégalé en dépit du caractère apparemment plus éloigné des services publics dans le cadre de collectivités et de communes plus vastes.

Mme Christine Pirès-Beaune. À mon avis la question n’est pas de savoir s’il y a un échelon de trop entre la commune et l’intercommunalité : si l’on avait transféré des blocs de compétence, nous n’en serions pas là, avec une communauté de communes chargée du développement économique pour la zone d’activité X, et la commune qui continue à s’occuper du reste, tant et si bien que l’on se retrouve avec plusieurs services similaires ; mais cette redondance n’est pas forcément due à la coexistence de ces deux échelons. Dans l’organisation idéale que nous aurons peut-être un jour, les communes nouvelles pourraient assurer les services de proximité, que ne peuvent gérer les très grandes intercommunalités qui devraient se cantonner à la planification, aux schémas et à l’ingénierie qui fait tant défaut aux territoires.

M. Charles de Courson. Je suis étonné que la fondation IFRAP – dont je lis de temps en temps les publications qu’elle m’envoie – n’ait pas évoqué la régulation par la recette.

M. le président Alain Fauré. J’allais y venir.

M. Charles de Courson. Les collectivités locales sont devenues tellement dépendantes de l’État en matière de recettes de fonctionnement, que ce dernier, se trouvant dans une extrême difficulté, est bien obligé de tailler dans les dotations. Je l’affirmais déjà quand j’étais dans la majorité, je n’ai donc pas changé d’opinion.

L’un des facteurs d’ajustement consiste à demander plus à l’usager et moins au contribuable, autrement dit augmenter les tarifs publics. Prenons un exemple aussi simple que celui des cantines scolaires. Qui sait combien elles coûtent ? M’occupant de mes collèges depuis des années, un jour, j’en ai eu assez et j’ai décidé qu’on ferait de la comptabilité analytique. On m’expliquait que les budgets de ces cantines étaient équilibrés, mais on n’imputait aucun amortissement ni les frais de personnels. Or je voulais connaître les coûts complets. Je suis parvenu, sur 47 établissements, à une moyenne de 8 euros par repas mais qui n’était pas stable puisque des établissements étaient mieux gérés que d’autres – d’un établissement à l’autre, le différentiel du coût d’approvisionnement par repas pouvait atteindre un euro ! Nous avons dès lors mis en place une plateforme pour les aider à optimiser leurs dépenses, car nous n’avons pas voulu nous substituer aux établissements dans le choix des carottes et des patates. Donc, il est possible d’augmenter les tarifs. Nous en sommes à 3 euros par repas alors que, dans certains départements, on est allé jusqu’à 4,50 voire 5 euros – sans du reste atteindre l’équilibre.

Ensuite, ne faudrait-il pas que l’État se désengage au profit d’une fiscalité locale pesant sur les électeurs ? Ne serait-ce pas cela, la véritable régulation qui permettrait aux contribuables électeurs et usagers de comparer le prix de revient du service offert – son coût, qui permet de juger d’une bonne gestion –, puis de connaître son mode de financement : vous gérez bien, vous êtes donc moins chers mais vous faites payer trop au contribuable et pas assez à l’usager ou l’inverse… Cette pratique éclairerait sans doute le débat politique local et permettrait une meilleure régulation, plutôt que de répéter à l’envi que l’État n’en peut plus et qu’il réduit sa dotation de 3,6 milliards d’euros par an, et créer une commission d’enquête…

M. le président Alain Fauré. À cela près que les coûts peuvent varier non pas seulement en fonction de la qualité de la gestion mais également de l’étendue du territoire, des contraintes géographiques, des conditions climatiques, etc. Dans ces conditions, l’État a le devoir d’assurer un minimum de péréquation.

D’après mes lectures, la fondation IFRAP suggère que la délégation de service public est préférable à la gestion directe par les communes car présumée moins coûteuse. Sur quelles bases vous appuyez-vous ? Ai-je bien lu ?

Mme Agnès Verdier-Molinié. Pour ce qui est des recettes, il convient de savoir qui paie l’impôt sur les territoires : on constate souvent une corrélation entre exonération d’impôts locaux, pour les ménages, et non-assujettissement à l’impôt sur le revenu. Or, si nous avons bien compris la démarche du Gouvernement, il s’agit d’obtenir le plus faible pourcentage possible de foyers fiscaux assujettis à l’impôt sur le revenu. Comment, dans ces conditions, gérer correctement une collectivité ? Ce qui nous ramène aux aides en complément de revenu, au nombre de trente-cinq, que nous avons évaluées à 80 milliards d’euros par an. Cette somme n’est pas négligeable : la masse salariale totale en France est d’un peu moins de 500 milliards d’euros par an. Pourquoi, dès lors, n’assujettit-on pas à l’impôt les aides en complément de revenu ? Il faudra se poser la question – qui ne doit pas être un tabou – au cours des prochaines années : on ne peut pas avoir des foyers fiscaux qui ne sont pas assujettis à l’impôt et qui bénéficient de tarifs préférentiels et qui, en même temps, en revenus réels constatés, n’ont pas des revenus très éloignés d’un SMIC voire un peu plus. On peut certes augmenter la pression fiscale, mais ce ne serait pas notre choix si l’on ne redéfinissait pas quels revenus paient l’impôt. Le revenu de la redistribution doit être imposé de la même manière que le revenu du travail, comme c’est la règle dans d’autres pays. Ainsi seraient redéfinis les liens entre paiement de l’impôt, attente de dépense publique sur les territoires et bonne gestion publique.

Par ailleurs, vous avez évoqué, monsieur de Courson, l’application de la comptabilité analytique aux collèges. Nous l’appelons nous aussi de nos vœux ! Les budgets des écoles, des collèges et des lycées, doivent faire apparaître tous les coûts afin qu’on puisse comparer la gestion des établissements entre eux. Nous avons récupéré des comparatifs de dépenses par élève et par an : elles peuvent varier du simple au double dans un même territoire. Encore faut-il disposer des chiffres pour le savoir : la Cour des comptes elle-même a mesuré à quel point les écarts de coûts d’enseignement par élève et par an étaient importants. Nous avons mené une étude visant à comparer les coûts de scolarisation, dans le premier et le second degré, entre les élèves de l’enseignement privé sous contrat et ceux de l’enseignement public. Nous avons noté un écart de 2 000 euros par élève et par an dans le premier degré, en intégrant ce que paient les parents et en excluant les dépenses d’administration, écart qui passe à 2 700 euros pour les élèves du second degré. Voilà une réponse à la question du président au sujet de la délégation de service public, car qu’est-ce que l’enseignement sous contrat sinon une délégation d’un service public d’enseignement ? Et d’un service de qualité de surcroît puisque, selon le ministère de l’éducation, sur les cent premiers lycées, en termes de valeur ajoutée – à savoir la capacité à faire progresser un élève –, environ soixante sont privés.

M. Charles de Courson. Il faut également tenir compte de la composition sociale des publics accueillis dans ces établissements.

Mme Agnès Verdier-Molinié. Les écarts de coûts de production, dans l’éducation, sont phénoménaux. Or ce sujet n’est jamais évoqué et quand la fondation IFRAP demande à avoir accès aux données relatives aux dépenses, pour chaque élève, par école, par collège et par lycée sur l’ensemble du territoire, elle n’obtient pas de réponse et doit donc, à nouveau, saisir la CADA – mais j’ai bon espoir que nous finirons par obtenir ces informations.

Il est évident que l’on peut trouver des contre-exemples et la gestion par le privé n’est pas forcément moins chère. Il faut prévoir des clauses de revoyure…

M. le président Alain Fauré. Une surveillance aussi.

Mme Agnès Verdier-Molinié.… un dispositif de surveillance, en effet, disposer des meilleurs éléments, au sein des collectivités et des administrations, à même de rédiger, valider, décortiquer un contrat afin qu’il soit le meilleur possible et que les citoyens français ne « surpayent » pas un service. Ainsi, pour la gestion de l’eau, le Conseil d’État est intervenu afin que certains contrats soient remis à plat : certains remontaient à…

M. Charles de Courson. Cinquante à soixante-dix ans !

Mme Agnès Verdier-Molinié. En effet. C’est une question de concurrence saine, non faussée, de vrais prix. Et lorsqu’on évoque la notion de prix pour les services publics, on a déjà accompli un pas énorme : il y a quelques années, les mots « coût », « prix », « évaluation » et « efficience » n’étaient jamais prononcés.

On peut donc jouer sur la possibilité de comparer le public et le privé, qu’il s’agisse des cliniques et des hôpitaux, des écoles, non pas avec les pays étrangers mais sur notre sol même. On peut aussi comparer les gestions en régie avec les gestions déléguées. C’est un système vertueux que de pouvoir choisir entre diverses possibilités de gestion : cela incite à être meilleur. Au ministère de l’éducation nationale, par exemple, on sait très bien que, dans les Pays de la Loire ou en Bretagne, où l’on compte de nombreux collèges et lycées privés, les établissements publics ont tendance à être meilleurs, grâce à l’effet d’émulation lié à la concurrence. La concurrence est donc un gage, pour le citoyen, pour l’élève, pour le parent d’élève et pour tous les utilisateurs de services publics, de bénéficier de la meilleure qualité possible.

Mme Christine Pirès-Beaune. Je veux bien que l’on compare les établissements entre eux, mais il faudra dès lors prendre en compte leur composition, en particulier l’origine des enfants, car il ne suffira pas de comparer les coûts, quand bien même y est inclus ce que déboursent les parents, pour s’inscrire dans certains établissements privés.

Mme Agnès Verdier-Molinié. Vous pouvez consulter notre étude de 2010. Le ministère de l’éducation nationale n’a jamais réalisé la contre-étude qu’il avait promise, ce que nous regrettons puisque nous aurions aimé avoir un point de vue officiel sur le sujet. Dans la mesure où nous avons pris en compte tous les financeurs confondus, nous avons intégré la part payée par les parents.

Mme Christine Pirès-Beaune. Je donnerai un exemple concret : le taux d’encadrement dans le public n’est pas le même que dans le privé : j’ai découvert qu’il y avait deux budgets différents. Dans une commune de ma circonscription, le taux d’encadrement est de 20 % pour un établissement et de 28 % pour l’autre – devinez lequel !

M. le président Alain Fauré. Les études d’impact, nous l’avons entendu ce matin de la bouche d’un spécialiste de la question, on peut leur faire dire ce que l’on veut en prenant des critères différents. Une chose est certaine : la nécessité pour les élus et les citoyens de réfléchir à l’évolution d’une organisation. Nous sommes passés d’un État centralisé avec des collectivités qui étaient à sa botte, à un État décentralisé qu’il a fallu du temps pour mettre en place – il faut forger des habitudes, former les élus mais aussi les citoyens afin qu’ils voient mieux ce qui se passe. On a même fait évoluer la comptabilité – même si nous sommes passés à la comptabilité M14 relativement tard – et passer la fameuse comptabilité analytique qui permet un réel suivi. Il appartient à chacun de s’en emparer, aux citoyens d’exercer leur devoir de vigilance. Il appartient également à ceux-ci de passer de l’autre côté de la barrière pour se rendre compte que ce n’est pas toujours chose facile.

Je vous remercie de votre intervention. Je m’accorde avec Christine Pirès-Beaune pour considérer que certains débats auxquels vous avez participé dans les médias, notamment à la radio, ont pu être marqués par l’invective ; mais il est vrai que ce type d’émission s’y prête souvent et l’on tombe alors dans le piège consistant sinon à exacerber des haines, du moins à mettre le doigt sur ce qui arrange bien les journalistes.

L’audition s’achève à dix-neuf heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mercredi 9 septembre 2015 à 18 heures.

Présents. – M. Olivier Audibert Troin, Mme Catherine Beaubatie, M. Alain Calmette, M. Charles de Courson, M. Alain Fauré, Mme Viviane Le Dissez, Mme Marie-Lou Marcel, M. François de Mazières, M. Hervé Pellois, Mme Christine Pires Beaune, Mme Régine Povéda, M. Nicolas Sansu.

Excusés. M. Éric Alauzet, M. Étienne Blanc, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Jeanine Dubié, M. Yannick Favennec, M. Laurent Marcangeli, M. Frédéric Roig, M. Martial Saddier, M. Claude Sturni.