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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mardi 29 septembre 2015

Séance de 13 heures 

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Marc Abadie, directeur du réseau et des territoires de la Caisse des dépôts et consignations et de Mme Gabrielle Gauthey, directrice des investissements et du développement local de la Caisse des dépôts et consignations, accompagnés de Mme Brigitte Laurent, directrice des relations institutionnelles de la Caisse des dépôts et consignations et de M. Frédéric Sabattier, responsable des relations institutionnelles à la direction des fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations.

L’audition débute à treize heures cinq.

M. le président Alain Fauré. Notre commission d’enquête reprend ses travaux avec une séquence organisée autour d’une question : « Des capitaux pour investir : du credit crunch à l’abondance ? » Nous accueillons en premier lieu Mme Gabrielle Gauthey, directrice des investissements et du développement local, et M. Marc Abadie, directeur du réseau et des territoires à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Vous êtes accompagnés par M. Frédéric Sabattier, responsable des relations institutionnelles à la direction des fonds d’épargne, et Mme Brigitte Laurent, directrice des relations institutionnelles.

Le groupe Caisse des dépôts est un partenaire majeur des acteurs locaux pour accompagner leurs projets de développement et soutenir ainsi l’attractivité des territoires. L’action du groupe en direction des collectivités locales repose principalement sur trois leviers : les prêts sur fonds d’épargne, l’investissement en fonds propres, le conseil en ingénierie technique, juridique et financière. Dans un contexte marqué par la raréfaction des ressources budgétaires et la réforme de l’organisation territoriale, la Caisse des dépôts a d’ailleurs mis en place une nouvelle organisation, autour des deux directions que vous représentez, afin de conforter son rôle au service des territoires.

Derrière la question un peu naïve avec laquelle j’ai ouvert mon propos, il faut voir une interrogation plus sérieuse : si l’on prend pour acquis le fait que l’État est en train de réduire de façon structurelle ses concours aux collectivités territoriales, quels vont être les nouveaux équilibres financiers de l’investissement local ? Comment penser l’articulation entre finances internes et finances externes, et pour quels besoins d’investissement à l’avenir ?

Peut-être voudrez-vous également confirmer ou infirmer les appréciations plutôt mitigées que certains de nos interlocuteurs ont formulées sur l’utilité du dispositif de préfinancement du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Mais j’aimerais également vous entendre sur l’accompagnement en ingénierie dans les territoires et le soutien que vous apportez aux collectivités en ce domaine : c’est particulièrement important pour les territoires ruraux.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Marc Abadie, Mmes Gabrielle Gauthey et Brigitte Laurent et M. Frédéric Sabattier prêtent serment.)

M. Marc Abadie, directeur du réseau et des territoires de la Caisse des dépôts et consignations. Nous constatons actuellement un ralentissement certain des investissements des collectivités locales, ralentissement sans doute plus marqué dans le bloc communal. Cela est dû non seulement à la baisse des dotations, mais aussi au cycle électoral et au coût de la mise aux normes, récemment chiffré par le comité compétent à 1,4 milliard d’euros. Les dépenses des collectivités locales ont en outre crû de 2 % en 2014, alors que leurs recettes restaient stables.

Il n’en reste pas moins qu’une certaine stabilité s’observe, dans la mesure où le niveau des investissements des collectivités locales s’est établi en 2014 au même niveau qu’en 2011. Conformément à la directive du Premier ministre du 27 avril 2015 sur l’investissement public, les directeurs régionaux de la CDC ont participé à des conférences sur l’investissement public. Les hypothèses d’investissement qui en ressortent pour 2015 sont des hypothèses basses, mais les travaux des collectivités locales ont souvent lieu, comme vous le savez, pendant les grandes vacances, et font l’objet de budgets complémentaires ou modificatifs, de sorte que ces chiffres ne doivent pas être regardés comme définitifs. Pour ne citer que deux exemples, les investissements pourraient cependant baisser de 20 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur comme en Bretagne.

Alors qu’elle avait abandonné ce domaine après la transformation du Crédit local en Dexia, la CDC revient dans le secteur du prêt direct aux collectivités locales. La baisse générale des taux d’intérêt et la baisse des taux du livret A ont permis à la CDC d’améliorer son offre, qui va de pair avec l’offre structurelle annoncée par l’État. Vous avez évoqué le FCTVA et son impact sur la reprise de l’investissement. Je dirais que nous sommes, en cette matière, au milieu du gué. Le dispositif de préfinancement, élargi par le Premier ministre il y a quelques mois, produit seulement ses premiers effets. Il a en outre été annoncé que la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) serait accrue, mais nous ne sommes pas en mesure d’en chiffrer les effets.

Les collectivités locales sont engagées dans une profonde évolution, car elles s’attaquent aux causes structurelles de leurs difficultés financières. Cela rencontre la volonté de notre directeur général, qui a fixé pour mission à la CDC de soutenir cette transition territoriale, estimant qu’il fallait que la CDC redevienne, comme au temps de François Bloch-Lainé, dans les années 1970, la banque des territoires.

Cette transition territoriale passe d’abord par la mutualisation de moyens, au sujet de laquelle notre service spécialisé Mairie Conseil a déjà tenu des dizaines de réunions. Nous retenons une approche pragmatique, semblable à celle qui s’exprime dans le rapport que le président de l’Association des maires de France (AMF) et la ministre de la décentralisation avaient commandé aux deux inspections générales.

Mairie Conseil travaille également beaucoup, en partenariat avec l’AMF, sur une autre question : la création de communes nouvelles. Ce processus est très hétérogène : dans certains départements, quelques projets existent, mais concernent beaucoup de communes ; dans d’autres, ils sont plus nombreux ; dans d’autres enfin, la situation est intermédiaire.

Enfin, nous pouvons accompagner les collectivités dans un troisième domaine, qui présente un aspect plus structurel, lorsqu’elles s’engagent dans une gestion plus dynamique de leur patrimoine immobilier. Certaines de nos filiales sont ainsi sollicitées pour réaliser des inventaires, mais aussi pour fournir les connaissances nécessaires à la mise en œuvre de la transition écologique et énergétique.

Nous travaillons dans un cadre renouvelé, en suivant une approche globale qui lie octroi de prêts et soutien à l’ingénierie, permettant une cohérence et une efficacité accrues. Je souligne que cela ne concerne pas seulement les grandes collectivités territoriales. Vous nous avez interrogés sur le rôle de la CDC comme coactionnaire de sociétés d’économie mixte (SEM). Nous les faisons en effet bénéficier de la solidité de notre modèle économique. Nous octroyons par exemple des prêts de portage foncier Gaïa d’une durée de soixante ans, pour qu’elles puissent se constituer des réserves foncières. Nous soutenons également l’investissement dans le logement social avec des éco-prêts.

Même si la réorganisation institutionnelle n’est pas notre cœur de métier, nous offrons également un accompagnement en ce domaine, par exemple lorsqu’une communauté de communes veut devenir une communauté d’agglomération. Nous prêtons de même notre assistance pour établir les plans pluriannuels d’investissement (PPI). Car les collectivités ont de plus en plus de difficultés à se projeter dans un avenir de moyen terme. En combinant notre offre avec celle des prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI) et avec les mesures du plan Juncker, nous engageons avec elles des discussions sur des projets de moyenne importance, d’un montant inférieur à 40 millions d’euros.

Nous les aidons enfin à mieux comprendre comment utiliser les crédits européens. Notre directeur général a ainsi récemment signé une convention avec le sénateur-maire d’Angers qui prévoit une meilleure articulation des sociétés publiques locales (SPL) et des SEM dans sa région, conformément à notre approche plus globale. Cela devrait permettre des engagements à moyen terme garantissant aux élus une certaine lisibilité de leurs investissements et une visibilité sur l’avenir.

Mme Gabrielle Gauthey, directrice des investissements et du développement local de la Caisse des dépôts et consignations. Nous soutenons en effet l’investissement public par des soutiens en fonds propres ou en quasi-fonds propres. Comme vous le rappeliez, monsieur le président, notre directeur général a renouvelé notre politique en ce domaine en regroupant au sein d’une même direction l’ensemble des outils d’investissement au service de l’investissement et du développement local, en réinternalisant des filiales telles que CDC Infrastructure ou CDC Climat. La nouvelle direction s’oriente vers quatre priorités : transition territoriale, compte tenu des importantes mutations en cours ; transition démographique, tant du point de vue du vieillissement de la population que de celui de la jeunesse qui peine à se loger et à trouver un emploi ; transition écologique et énergétique ; transition numérique. Des moyens financiers significatifs ont été alloués, puisqu’ils représentent 2,5 milliards d’euros sur cinq ans pour la CDC, soit, compte tenu de l’effet de levier attendu du recours à l’instrument des fonds propres, un volume d’investissements total de 25 milliards d’euros.

Des secteurs d’intervention ont été retenus comme prioritaires : les infrastructures et les transports ; la ville, l’immobilier et le tourisme ; les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique ; le très haut débit et les services numériques ; l’économie et la cohésion sociale ; l’économie mixte. Dans ces secteurs, la Caisse a pour doctrine d’investissement et pour mode d’intervention de ne jamais s’engager qu’en position d’actionnaire minoritaire, en partenariat avec des opérateurs, sur un projet de territoire ou un projet d’intérêt général.

Ainsi, s’agissant d’abord des infrastructures et des transports, la Caisse investit dans de grands projets structurants, comme dans le transport terrestre – les transports urbains, les voies navigables, le rail, la route, les autoroutes ; dans le transport maritime – installations portuaires, telles que le port de Calais, ou « autoroutes de la mer » ; dans le transport aérien, où nous affirmerons notre présence dans la prochaine privatisation des aéroports régionaux ; dans les terminaux intermodaux.

Mais nous investissons aussi dans les grandes infrastructures énergétiques, environnementales et numériques. La CDC s’engage par exemple dans le financement de la ligne à grande vitesse Sud-Europe Atlantique Tours-Bordeaux, mais réalise aussi des investissements aux côtés de GRTgaz, de Rhônexpress, ou encore dans la rocade L2 à Marseille, dans le réseau internet des bases aériennes ou dans la concession du port de Calais – toujours en partenariat avec des industriels comme Vinci et Eiffage et des banques privées comme le Crédit agricole. La CDC a pour objectif de produire un effet de levier sur les investisseurs privés, et pour politique de faire tourner ses actifs, en tant qu’investisseur de long terme. Dès qu’un marché émerge, nous dirigeons nos efforts ailleurs, dans des secteurs en transition vers le marché, ou là où nous constatons une carence de l’initiative privée.

Dans le secteur de la ville et de l’immobilier, nous sommes particulièrement vigilants à apporter notre soutien aux quartiers prioritaires de la politique de la ville et aux territoires ruraux, en finançant notamment des opérations d’urbanisme commercial et en travaillant à une plus grande mixité urbaine.

Nous avons l’ambition de développer nos investissements en matière de tourisme. Le Gouvernement lancera prochainement un grand plan dans le tourisme. La France, deuxième pays d’accueil au monde, présente un besoin de financement dans des infrastructures vieillissantes. Dans cette perspective, nous devons participer à leur rénovation et à la résolution du problème des « lits froids », lits non utilisés, dans les zones de montagne, mais aussi à la rénovation des villages-vacances construits dans les années 1970. Nous avons donc récemment créé un fonds de tourisme social, dit TSI, en rassemblant d’autres investisseurs de projet autour de notre capacité d’ingénierie et d’assemblage de projets.

Mais nous ciblons également d’autres domaines, tels que la rénovation des ports ou celle des palais des congrès, pour stimuler le tourisme d’affaires. Enfin, nous investissons dans le logement spécialisé, résidences étudiantes ou établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), logements destinés à la formation professionnelle ou, prochainement, projets destinés aux migrants.

Notre filiale EXTERIMMO propose aux collectivités locales des contrats de long terme de performance énergétique, outil qui leur permet de rénover des écoles, des lycées, mais aussi des bâtiments comme la gare de Montpellier. Les collectivités aiment généralement trouver ce soutien à leur côté, lorsqu’elles en ont compris l’intérêt.

S’agissant justement de la transition énergétique et écologique, nous soutenons l’investissement en faveur d’une meilleure efficacité énergétique des bâtiments. Nous investissons aussi dans un domaine plus nouveau, la mobilité durable, qui constitue un levier clé pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, en finançant des infrastructures et des opérateurs de service dans les secteurs de l’électromobilité, de l’hydrogène et du gaz naturel pour les véhicules. Avec des consortiums d’entreprise, aux côtés des collectivités locales nous soutenons ainsi la logistique urbaine et les plateformes multimodales. Ces projets de transport du futur, faisant appel à des compétences numériques, par exemple à Lille, constituent de nouveaux modèles intéressants.

Historiquement, la Caisse des dépôts est également, par ses participations au capital de grandes sociétés d’économie mixte, présente dans le secteur de l’eau, qu’il s’agisse de l’exploitation d’eau potable ou de la prévention des risques naturels.

Dans le domaine de la transition numérique, nous agissons depuis longtemps dans des projets de haut débit et de très haut débit. Le mouvement est désormais relancé. Aux côtés des collectivités locales, nous investissons ainsi dans les réseaux d’initiative publique, avec les délégataires de service public choisis par elles.

Nous finançons aussi des projets de service numérique dans le domaine de l’e-administration ou du cloud. Au croisement des problématiques du vieillissement, du social et de la santé, nous soutenons le développement de plateformes numériques qui permettent le maintien des personnes âgées à domicile. Nous diminuons ainsi, au profit des départements, le coût des hospitalisations et des placements en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Il en va de même des projets de co-voiturage ambulanciers dans les territoires ruraux.

Dans le domaine de l’économie et de la cohésion sociale, nous avons l’ambition de passer d’une approche encore trop subventionnelle à une approche plus favorable aux investisseurs, dans une logique d’entrepreneuriat social et solidaire, secteur où nous sommes les premiers investisseurs. Car nous investissons en fonds propres sur des projets porteurs d’innovation sociale ou technologique, ainsi que sur des projets de formation aux côtés des établissements de recherche. Grâce à des plateformes d’innovation, nous participons ainsi à un décloisonnement de l’économie, qui permet la valorisation et la mutualisation des capacités de recherche et industrielles.

L’une des modalités de notre démarche que nous cherchons à moderniser est enfin la rénovation des SEM. Nous sommes les premiers à y investir aux côtés des collectivités locales. Mais il conviendra que les SEM se réinventent, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Particulièrement porteuses d’avenir, certaines sont très actives dans l’immobilier d’activité, en intervenant directement pour accueillir des SEM patrimoniales spécialisées dans l’immobilier d’entreprise.

Enfin, nous avons l’ambition d’utiliser l’outil naissant des SEM à opération unique (SEMOP) qui constitue une nouvelle forme de partenariat public privé. Il pourrait servir au développement de secteurs comme le tourisme, la transition démographique ou la transition écologique et énergétique.

M. le président Alain Fauré. Nous constatons que la Caisse des dépôts intervient dans un champ relativement large. Je retiens que les investissements sont au même niveau en 2014 qu’en 2011. Pour l’année 2015, nous avons déjà entendu au cours d’autres auditions que les pronostics sont difficiles à faire, car nous sommes encore trop tôt dans l’année.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Cette commission d’enquête qui porte sur les conséquences, à la fois en termes d’investissements et de services publics de proximité, de la baisse des concours financiers de l’État pour les communes et les intercommunalités procède d’une proposition de résolution que j’ai eu l’honneur de soumettre à mes collègues de la commission des finances.

Comme élu de la région Centre, je suis particulièrement adepte de vos services, étant en contact régulier sur place avec M. Pascal Hoffmann, directeur régional de la CDC. Je serais sans doute heureux d’en connaître toutes les facettes, mais je veux aujourd’hui m’intéresser à la diminution des financements aux collectivités locales.

Pouvez-vous nous dire aujourd’hui ce que vous pensez de la baisse des dotations ou de la capacité d’autofinancement de toutes les collectivités locales ? N’a-t-elle pas, à votre sens, des conséquences néfastes sur l’activité et sur le niveau des investissements ? Toutes les associations d’élus et des experts comme Michel Klopfer nous ont dit que ces conséquences seraient importantes. Comment peut-on éviter que les territoires soient mis en péril ?

Quel serait le moyen de pallier la déficience du financement ? Les enveloppes des fonds d’investissement de la Caisse des dépôts sont fléchées. Sont-elles toutes consommées ? Le directeur régional, M. Hoffmann, peut bien proposer de me prêter tant et plus, cela ne sert à rien si je suis incapable de rembourser. Or les taux qu’il propose sont pourtant très bas : livret A plus 0,6 % ou 1 % selon la nature de l’opération. Pourtant, tous les crédits ne sont pas consommés.

Il en va de même pour les SEM patrimoniales. Je suis membre de l’une d’elles, au titre de ma communauté de communes, et je constate que nous ne pouvons rien faire, car notre action ne serait pas meilleure que celle du marché, et que la demande n’est pas là.

Même si vous formez les élus avec Mairie Conseil, que faites-vous, devant l’effondrement des financements, pour conforter ensuite leurs investissements ?

M. Marc Abadie. Le devoir de vérité s’impose en effet à nous tous. Dès la fin de 2014, nous avons publié une étude où nous signalions que tant les maires que les présidents d’intercommunalité prévoyaient un ralentissement ou un étalement de leurs investissements dans le temps. Mais, s’agissant des prêts consentis par la CDC, jamais leur volume n’a été aussi important qu’en 2014 dans les secteurs évoqués.

M. le rapporteur. Ce faisant, ne prêtez-vous pas à la place des banques privées ?

M. Marc Abadie. Non. Ni la Banque postale ni les caisses d’épargne ne sont très actives dans ce secteur. La pratique actuelle de la renégociation montre d’ailleurs une saine émulation entre les banques publiques et les banques de la place.

Seulement, un effet de ciseau s’observe entre la progression des dépenses de fonctionnement, liées à la progression de leur masse salariale, et la diminution des recettes. Il y a des phénomènes structurels auxquels les collectivités locales doivent apporter des réponses et nous nous efforçons de les y aider. Nous les accompagnons ainsi dans leurs efforts de mutualisation comme dans la définition de la nouvelle carte territoriale, notamment des nouvelles communautés de communes, car elles sollicitent les directeurs régionaux de la Caisse – en parallèle ou à la place de la direction générale des finances publiques – pour des études prospectives sur les possibilités de fusion, de transformation et de rapprochement.

Certains secteurs ont connu des mutations profondes. Dans celui de la mobilité et des transports, les investissements publics évoluent indépendamment de la baisse des dotations, en raison de l’évolution numérique ; cela pourrait conduire à des bouleversements sensibles, notamment pour les infrastructures de surface. Nous devons donc trouver des réponses structurelles. J’ai ainsi participé au congrès de l’association des maires ruraux de France, près de Clermont-Ferrand la semaine dernière : j’ai pu y mesurer que tout le monde en a bien compris la nécessité.

Mais c’est compliqué, car l’État a mis fin à l’ingénierie publique ; la CDC a discuté avec les présidents de département pour pallier ce manque. La Caisse a également élargi les conditions et la durée d’un certain nombre de prêts – dans le jargon financier, on dirait que nous remontons maintenant vraiment très loin dans le haut du bilan – par exemple dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, où il y avait une très forte demande. Encore faut-il que les solutions trouvées restent compatibles avec notre propre modèle économique.

J’ai fait le tour des régions, où j’ai constaté combien les élus aspirent à plus de stabilité, besoin auquel répondent les engagements pluriannuels. Ils veulent également plus de lisibilité sur les différents éléments de planification qui s’entremêlent : il y a un énorme travail d’explication à faire sur les interconnexions prévues par la loi NOTRe entre les schémas de cohésion territoriale (SCOT) et les schémas régionaux. Mairie Conseil a récemment publié une brochure sur les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI), lieux de décision structurelle.

La compétence de l’immobilier d’entreprise reste dans le bloc local. Il faut donc continuer à travailler sur ces sujets-là avec les élus, mais aussi, le cas échéant, en partenariat avec la Banque publique d’investissement (BPI).

Mme Gabrielle Gauthey. Nous constatons en effet une diminution des projets d’investissement. Comme nous sommes un investisseur contracyclique, nous nous efforçons précisément de relancer des projets et de trouver d’autres moyens de les financer, car le déficit est patent.

Après quinze années d’absence à la Caisse des dépôts, je constate que l’investissement y a baissé de presque la moitié sur la période. Le manque de projets locaux est lié à plusieurs facteurs, tels que la baisse des dotations, mais aussi aux cycles électoraux et aux réformes territoriales qui ont incité de nombreuses collectivités à l’attentisme, faute de visibilité sur l’éventuelle participation régionale aux financements. La crise économique contribue également, en particulier dans les partenariats avec le secteur privé, à ce ralentissement.

La Caisse constitue une passerelle entre acteurs publics et fédérations professionnelles. Avec la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), nous avons passé en revue 400 projets qui peinent à trouver un financement avant de les envoyer dans nos directions régionales, pour examen approfondi. Le prêt peut être une solution, mais d’autres modèles économiques sont envisageables, avec d’autres capacités de financement. Certes, il est difficile de trouver des solutions dans le domaine routier, si aucun péage n’est prévu, mais les contrats de performance énergétique ouvrent davantage de perspectives dans le bâtiment, en trouvant une rentabilité sur le long terme grâce à des loyers étalés.

Même quand les collectivités tardent à avoir une visibilité sur le long terme, elles sont généralement moins réticentes à se lancer dans de tels projets. Grâce à des contrats de performance énergétique, nous avons, par exemple, trouvé le moyen de financer la rénovation de bâtiments universitaires souvent vieillissants, et qui sont pourtant la première vitrine d’accueil de la France pour les étudiants et les chercheurs étrangers. Ces montages étant parfois audacieux, il n’a pas été aisé d’obtenir l’aval de Bercy pour ces conventions de performance interne (intracting) qui permettent d’étaler sur le long terme les dépenses d’investissement, mais nous y sommes parvenus, comme à Bordeaux. Nous recourons ainsi soit à des maîtrises d’ouvrage publiques, soit à des contrats de partenariat de long terme, pour redonner confiance.

Nous travaillons également à un allègement des coûts sociaux grâce à tout ce que nous faisons dans le domaine du numérique, par exemple pour le maintien à domicile – or on sait combien l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) pèse sur le budget des collectivités locales. De même, les dépenses allouées au revenu de solidarité active (RSA) peuvent être compensées par des investissements dans le domaine de l’économie sociale et solidaire, qui permet d’attirer des investissements privés à impact social dans les quartiers prioritaires. Dans ces modèles, nous nous appuyons sur la notion de coût évité. Cela s’est déjà concrétisé en matière de performance énergétique, mais nous sommes sur le point d’y arriver également en matière de coût social évité, grâce à des projets innovants en partenariat avec le Crédit coopératif.

Ces efforts réalisés sous le contrôle des collectivités peuvent se substituer à des dotations publiques. Dans le domaine du très haut débit, elles détiennent le savoir sur le territoire, mais elles ont besoin de recourir à des délégations de service public qui ne doivent pas forcément être synonymes d’investissements publics à 100 %, bien au contraire.

Nous développons donc des partenariats public-privé ou ces modèles fondés sur la notion de coût évité, de même que nous nous penchons également sur les expériences étrangères. Certes, le nombre de projets est en baisse, mais nous nous fixons pour objectif de développer des projets plus intelligents et moins coûteux, en maîtrise d’ouvrage publique et sous le contrôle des collectivités. Tel est notre axe d’action.

M. Marc Abadie. Je prendrai un autre exemple. Nous n’avons pas attendu la loi relative à la transition énergétique pour engager avec les intercommunalités et les conseils régionaux demandeurs – notamment le conseil régional de Picardie – une réflexion pour trouver des modalités de financement de la performance énergétique dans le secteur privé. Ainsi le résultat en sera-t-il visible prochainement, alors que l’encre de la loi est à peine sèche.

Cela ne représente pas seulement un investissement en ingénierie et en financement, mais aussi la nécessité de trouver un tiers financeur. Certes, le logement social est bien couvert, grâce à des dispositifs comme les prêts à taux zéro, mais il faut faire attention à ne pas oublier le patrimoine privé diffus dans les zones rurales, sous peine de laisser se développer une France à deux vitesses. En ce domaine, grâce au réseau de nos directeurs régionaux, nous avons essayé de prendre de l’avance et d’être aux côtés des collectivités locales. Cela favorise au demeurant l’artisanat, c’est-à-dire du travail non délocalisable, ce qui entre bien dans la vocation d’intérêt général de la Caisse, investisseur de long terme.

M. le président Alain Fauré. Il me semble que, lorsque la capacité d’autofinancement baisse, elle pourrait être restaurée grâce à l’anticipation des économies à venir dans le temps. Un partenariat avec la Caisse des dépôts le permettrait-il ? La contrainte budgétaire doit stimuler notre réflexion et nous pousser à sortir de notre cadre de référence habituel.

Certes, les réformes organisationnelles peuvent rompre le tempo des décisions, mais elles seront aussi à l’origine d’une optimisation des dépenses, en évitant les doublons. Nous devons faire entendre ce message intéressant et positif. Dans le domaine de la transition énergétique, il ne faut pas craindre d’être plus factuels, suivant le mot d’ordre speak with data, puisque les données disponibles nous permettent d’anticiper les économies sur les quinze ans à venir.

Mme Régine Povéda. Élue du Lot-et-Garonne, département très rural qui compte de nombreuses petites communes, j’ai rencontré beaucoup de maires qui souhaitent renégocier leurs emprunts, mais qui se sont heurtés à des refus de fait, compte tenu des coûts de rachat proposés. Cela ne pourrait-il être revu, étant donné la baisse des taux ?

M. Marc Abadie. Je crois que le taux proposé s’établit à 1,75 %…

Mme Régine Povéda. Pour des prêts souscrits au taux de 3,45 %, les taux de rachat proposés s’élèvent à 2,81 %. Ce ne sont pas de minces écarts pour des petites communes qui ont pu renégocier jusqu’à 400 000 euros. Ce serait pourtant un bon moyen de redonner de l’oxygène à ces petites communes, qui veulent d’abord réduire leur endettement, avant d’investir.

Mme Jeanine Dubié. Plusieurs intervenants nous ont dit avoir travaillé avec vous sur le préfinancement du FCTVA, en nous faisant part de leur scepticisme. Le dispositif du prêt à taux zéro leur apporte en effet plutôt une aide de trésorerie qu’il n’est un soutien à l’investissement.

Je ne puis imaginer que la Caisse des dépôts ne compte pas un service de prospective ou d’anticipation qui puisse faire des prévisions. Pour ma part, je suis bien moins optimiste que notre président et je m’attends à une baisse des dotations en 2015, en 2016 et en 2017. Le phénomène va s’accentuer. La capacité d’autofinancement des communes va baisser, particulièrement en zone rurale, où cette problématique ne se pose pas dans les mêmes termes que pour les grandes métropoles. Quand une commune ne compte que 600 habitants, ce sont bien eux qui sont directement touchés à la moindre réduction des coûts de fonctionnement, car tout est déjà calculé au plus juste. La réduction de la capacité d’autofinancement affecte aussi immédiatement l’entretien des bâtiments communaux, de la voirie. La France, tant vantée pour ses paysages, ne le sera plus guère… Tous les travaux visant à une meilleure attractivité touristique ne pourront plus être poursuivis faute d’entretien, dans les cinq ou dix ans à venir.

Ne pensez-vous pas qu’il devrait au moins être possible, pour les collectivités, de récupérer la TVA sur les travaux de grosses réparations ?

M. Claude Sturni. J’ai beaucoup apprécié votre présentation, mettant l’accent sur le positionnement de la Caisse en faveur d’une démarche globale au profit des collectivités.

Auriez-vous des exemples permettant d’illustrer la situation de communes qui ne peuvent plus investir et qui doivent donc se résoudre à fermer des structures ? Je connais ainsi le cas d’une patinoire fermée parce que sa rénovation aurait coûté trop cher. Percevez-vous des difficultés de ce type dans d’autres territoires ? Certains équipements nécessitent en effet de lourds investissements.

Il y a certes un modèle à développer autour d’économies potentielles. Mais comment pourriez-vous amener les communes à investir dans de nouveaux secteurs ? Fin septembre, toutes débattaient du schéma directeur d’accessibilité-agenda d’accessibilité programmée (SDA-Ad’AP), pour lequel il n’existe pas de modèle économique, malgré la nécessité de planifier sa mise en œuvre. Disposeriez-vous d’éléments nous permettant d’en concevoir un, pour l’adaptation des bâtiments à de telles contraintes ?

Enfin, je voudrais aborder la question du logement social. Je préside à la définition du SCOT d’Alsace du Nord, région qui compte non moins de 90 communes et 150 000 habitants. Nous y prévoyons du logement social à différents niveaux de l’armature urbaine, mais peinons à faire venir des bailleurs sociaux sur notre territoire. Cela est dû tant au zonage Duflot qu’à l’effet attractif de l’eurométropole de Strasbourg, au sud de notre territoire. Comment inciter les bailleurs à sortir des zones où leur travail est le plus facile ? Comment pouvez-vous les accompagner ? Car les élus, malgré tout leur volontarisme, ne sont pas ceux qui conduisent les travaux, à moins qu’ils ne sortent de leur métier.

Mme Marie-Lou Marcel. Au sujet de l’investissement local, vous avez déclaré ne disposer de données que pour les premiers mois de l’année 2015. Mais n’avez-vous pas fait des projections sur les années 2016 et 2017, à trajectoire de dotation inchangée ? Quant aux dépenses de fonctionnement des collectivités, vous avez évoqué un effet ciseau. Auxquelles pensez-vous en particulier ? Je serais heureuse d’avoir votre éclairage. Lorsque vous évoquez des mutualisations sur le bloc communal, quels types envisagez-vous et pensez-vous aussi aux communes dans les territoires ruraux ?

Enfin, s’agissant du préfinancement du FCTVA, par le biais du prêt à taux zéro mis en place en 2015, pouvez-vous nous expliquer quelle part y prend la CDC ? Pensez-vous que ce préfinancement soit vraiment adapté à une relance des investissements ?

M. Frédéric Sabattier, responsable des relations institutionnelles à la direction des fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations. Mme Povéda nous interroge sur les taux des prêts aux collectivités et sur leurs modalités de renégociation. Les taux que vous avez évoqués sont ceux des enveloppes d’urgence allouées en 2009, en 2011 et en 2012. Ils ont été fixés en accord avec le ministère des finances, qui autorise la caution des prêts, mais aussi la définition des taux. À l’époque, ce taux était en effet plus élevé qu’aujourd’hui. Quand les collectivités nous demandent une renégociation, il ne nous est aujourd’hui pas possible, lorsqu’il s’agit de prêts historiques, de descendre aux conditions du marché actuel, car les prêts nouveaux, octroyés à 1,75 %, ne peuvent être utilisés pour un rachat de prêt.

Pour les prêts existants, la renégociation trouve sa limite dans l’enveloppe du fonds d’épargne prévue pour compenser les pertes actuarielles. Bien qu’elle ait été récemment augmentée, cette enveloppe, qui nous sert dans la renégociation des prêts consentis tant aux collectivités locales qu’aux organismes sociaux, est par définition limitée. Elle ne nous permettra pas d’arriver, dans la renégociation des prêts existants, au niveau des taux actuels.

Présidence de M. Jean-Luc Bleunven, secrétaire de la commission d’enquête.

M. Marc Abadie. Pour avoir été directeur de l’agence de l’eau Adour-Garonne, j’ai des souvenirs très précis de votre département, madame la députée. Quant au préfinancement du FCTVA, certains rapports d’inspection laissent entendre que c’est le mécanisme lui-même qui devrait être revu. Néanmoins, dès lors que 8 % ou 9 % des opérations ont été déclarées éligibles, nous les préfinançons, ce qui représente un coût pour la Caisse des dépôts, même si nous limitons au plus simple l’ingénierie financière en privilégiant la dématérialisation. Les préfets et directeurs régionaux de la Caisse attirent l’attention des maires et des présidents d’intercommunalité sur ces opportunités, en réalisant un travail de persuasion qui est en train de porter ses fruits, après un démarrage assez lent.

Quant à savoir, dans un monde où prévaut le principe de libre administration des collectivités territoriales, si le mécanisme peut produire un effet structurant sur la relance de l’investissement, félicitons-nous déjà que l’État ait permis qu’il n’ait pas d’effet aggravant sur la dette des collectivités, puisqu’il devrait être comptabilisé à part. La situation sera en tout état de cause très variable d’une commune à l’autre. Puisque nous sommes entre la première campagne et la deuxième, je pense que nous ne pouvons pas encore arriver à des conclusions définitives. Mais, comme son nom l’indique, le FCTVA n’a pas pour finalité première de relancer l’investissement.

Dans le Lot-et-Garonne, toutes les collectivités, hors celle d’Agen et de ses alentours immédiats, sont regroupées au sein de la même communauté pour l’eau et l’assainissement. Or les prêts « croissance verte » qui sont proposés à cette dernière sont octroyés à un taux de 1,5 %, soit le double du taux actuel du livret A. Joint à une modulation de la durée qui peut l’étirer jusqu’à quarante ans, cela restaure sa compétitivité par rapport au marché. Encore me faut-il rappeler que le livret A est d’abord destiné au logement social.

S’agissant du programme Ad’AP, c’est nous qui gérons le fonds d’investissement visant à venir en aide aux collectivités ou aux hôpitaux devant réaliser des travaux d’adaptation en vertu de la loi de 2005 ou du programme lui-même. L’enveloppe allouée par l’État a été elle aussi touchée par la raréfaction des ressources. Mais nous sommes à votre disposition pour discuter de son emploi, dans le cadre de notre mandat de gestion.

Sur l’investissement local, deux études sont en cours, qui devraient paraître dans les prochaines semaines et pouvoir être transmises à la commission d’enquête, afin de voir comment il peut être modélisé.

S’agissant de la mutualisation, les différentes brochures de Mairie Conseil couvrent tous les domaines prévus, comme le sport, l’accessibilité, la voirie, l’entretien des rivières… Les communautés de communes pour lesquelles je dispose d’exemples sont à 95 % des communautés de communes rurales, puisque Mairie Conseil travaille principalement au profit des communes de moins de 3 500 habitants. Une généralisation est en cours, qui permettra de lui insuffler un nouvel élan et de mettre ses travaux à la portée de toutes les communautés de communes jusqu’à 15 000 habitants, effectif qui serait en harmonie avec les seuils définis dans la loi NOTRe.

S’agissant des bailleurs sociaux, nous ne saurions exercer aucune contrainte vis-à-vis d’eux, mais nous sommes partenaires de 440 SEM, dont certaines sont actives dans le domaine du logement. Beaucoup de nos directeurs régionaux siègent d’ailleurs, souvent à votre invitation, dans les conseils d’administration des offices publics d’habitat. Ils y glanent nombre d’informations et prennent plaisir à y travailler avec les élus. Enfin, la filiale spécialisée de la CDC, la Société nationale immobilière (SNI) est en passe de devenir le premier bailleur social de France, mais il s’agit d’une filiale de droit privé, non d’un établissement public.

Mme Gabrielle Gauthey. Sur les petits travaux et le petit budget d’entretien, Mairie Conseil serait sans doute mieux à même de vous donner des exemples et des conseils. Comme directrice de l’investissement, je travaille à un allégement des procédures de financement qui permettent une rénovation des bâtiments dans le sens d’une meilleure performance énergétique. L’étalement du financement des travaux sur la durée me semble une piste intéressante.

Les Pyrénées nous fournissent un bon exemple de mutualisation, grâce à leur système de réservation en ligne des stations de ski, géré par la SEM N’Py Résa. En mettant leurs forces en commun, les huit communes concernées ont eu plus de réservations que si elles s’étaient débrouillées chacune de son côté. Nous les avons aussi aidées à s’attaquer à la question des « lits froids ». Certes, cet exemple de mutualisation réussie concerne le domaine touristique et saisonnier, non l’entretien au jour le jour d’une école ou d’un bâtiment.

M. Marc Abadie. Je confirme que des piscines sont restées plus longtemps fermées qu’à l’accoutumée, selon les échos de nos directions régionales. Mais faut-il établir un lien direct, une corrélation absolue avec la baisse des dotations ? J’ai évoqué un effet de ciseau. Mais il y a aussi un paradoxe à voir que, depuis dix ans, les dépenses des intercommunalités progressent de manière importante à mesure que progressent leurs compétences, sans que les dépenses des communes ne cessent elles-mêmes d’augmenter. Les chiffres sont publics et proviennent de la direction générale des collectivités locales (DGCL) et de la direction générale des finances publiques. Dans un récent rapport, une députée du Puy-de-Dôme a proposé une piste intéressante en suggérant d’asseoir la dotation sur les critères que peut nous inspirer cette analyse. Car nous sommes aujourd’hui en face d’un paradoxe.

Mme Gabrielle Gauthey. Il y a un autre exemple d’outil dont nous ne vous avons pas encore parlé, à savoir les fonds de garantie. Cet outil supplémentaire montre qu’en effet, comme le disait le président Fauré, la pénurie doit nous rendre inventifs.

Ces fonds de garantie, employés notamment dans le domaine locatif, sont utilisés en zone rurale ou dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nous nous efforçons de les « junckériser », c’est-à-dire de les abonder en recourant aux fonds européens du plan Juncker. Cela permet d’alléger les risques pris par les investisseurs privés, en d’autres termes de « dérisquer » leur participation. Ces formes de financement peuvent prendre aussi une forme assurantielle non seulement en matière locative, mais aussi pour garantir des emprunts bancaires des collectivités.

Les nouveaux instruments financiers (NIF) européens nous invitent eux aussi à nous éloigner d’une logique subventionnelle. L’Union européenne veut que son soutien financier prenne de moins en moins la forme de subventions, en encourageant l’investissement par d’autres voies, plus durables, telles que la garantie d’emprunt. Cela peut pallier la baisse de subventions publiques ou la diminution du financement public. Dans nos projections, nous ne tablons en tout cas jamais sur une remontée de ce dernier.

Nous travaillons ainsi à la mise en place d’autres outils avec l’Union européenne, outils qui permettent la transformation de subventions en outils d’investissement, dont la mise en œuvre est susceptible de produire un effet de levier sur d’autres investissements. Nous nous efforçons donc de faire preuve d’agilité financière au bénéfice des collectivités, en les accompagnant dans cette mutation vers des modèles d’investissement de long terme qui nous obligent à penser autrement.

Mme Jeanine Dubié. Je salue vos propos responsables. Il serait en effet illusoire de croire que le processus de réduction des dotations publiques où nous sommes engagés pourra être inversé. Mais certaines collectivités sont prêtes à ce changement et jouissent de l’envergure nécessaire et de la capacité d’ingénierie nécessaire pour bénéficier de votre accompagnement, tandis que d’autres, dans des zones rurales comme les Hautes-Pyrénées, me donnent beaucoup d’inquiétude. Je rappelle que ce département, à 80 % rural, compte 474 communes de moins de 250 habitants. Dans certains villages reculés, la voirie ne pourra plus être entretenue. De l’autre côté de la frontière, en Espagne, des villages fantômes sont déjà apparus dans le Val d’Aran.

M. Marc Abadie. La Caisse des dépôts ne saurait tout faire, son réseau comptant moins de 1000 personnes. Pour nous prémunir contre la tentation de travailler de préférence avec des agglomérations de quelque importance, nous avons pris deux orientations fortes.

D’abord, Mairie Conseil verra son offre renouvelée et accrue. En outre, de premiers accords privilégiés ont déjà été signés, dans l’Aude ou en Haute-Saône, pour anticiper sur la loi NOTRe. En dernier ressort, ce sont bien les petites intercommunalités et les communes qui en profiteront.

Gabrielle Gauthey prenait à juste titre l’exemple des stations pyrénéennes, qui sont en effet un modèle. Mais tout dépend du degré d’organisation des collectivités, car nous ne travaillons jamais qu’en partenariat avec elles. Nous pouvons les inciter et les encourager à agir, les accompagner dans cette action, mais jamais nous substituer à elles. En tout état de cause, nous attendons beaucoup de la refonte de la carte intercommunale, en espérant qu’elle permettra d’imaginer des solutions nouvelles et adaptées aux besoins des territoires.

Mme Gabrielle Gauthey. Nous aidons d’ailleurs l’État lui-même à mutualiser ses moyens, en étant parties prenantes dans les maisons de services au public (MSAP) qui regroupent huit grands groupes publics tels que La Poste, la Caisse d’allocations familiales, la SNCF, Pôle emploi, etc. Nous avons en effet été choisis comme mandataires pour être le portail d’entrée de ces projets, quand chacun de ces groupes ne peut plus entretenir ses services de manière cloisonnée, comme en silo. Cela ne stimule pas l’investissement local, mais cela répond à des besoins de la vie locale.

Mme Régine Povéda. L’une de ces maisons devrait précisément ouvrir prochainement à Meilhan-sur-Garonne, dans ma commune, où nous avons fait partie des sites pilotes. Parce que je défends le monde rural, je nourris de vraies inquiétudes. C’est pourquoi je vous posais une question sur les marges de manœuvre des petites communes.

Vous avez, madame, évoqué le rôle d’investisseur de la Caisse des dépôts dans le tourisme, en particulier dans le tourisme d’affaires. Mais à quel stade intervenez-vous dans ces projets ? J’ai en tête une communauté d’agglomération, qui possède un bâtiment où l’accueil de groupes serait possible. Comment agissez-vous en ce domaine ? Le Lot-et-Garonne est un département qui doit se développer grâce au tourisme.

Mme Gabrielle Gauthey. Nous investissons principalement dans l’immobilier et dans sa rénovation. Mais les exploitants nous font défaut, quoique nous sachions en attirer quelquefois. Car il ne suffit pas d’investir dans les murs ; encore faut-il qu’un exploitant soit ensuite présent dans les locaux. Nous investissons par exemple dans les locaux de pied d’immeuble, dans les quartiers prioritaires ou en zone rurale. Je concède que la recherche d’un exploitant suffisamment solide s’avère difficile : soit nous avons affaire à de grandes marques, soit à de petits exploitants isolés ou des SEM locales.

Nous avons pour ambition d’entraîner d’autres investisseurs à notre suite, pour attirer l’activité. Ce n’est que par exception que nous étudions avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) les possibilités de financer quelques projets à plus de 50 % dans certains quartiers prioritaires. Nous investissons principalement dans de l’immobilier touristique ou d’entreprise, à travers les SEM patrimoniales, ou dans des friches industrielles.

M. Jean-Luc Bleunven, président. Constatez-vous un effet déclencheur sur l’investissement d’annonces telles que celle, récente, d’une augmentation de la DETR ? 

M. Marc Abadie. Il s’agit d’une annonce trop récente pour que nous puissions déjà vous répondre à ce stade. Les projets que nous finançons portent principalement sur les réseaux d’eau et d’assainissement, pour lesquels une forte demande existe.

Quant à nos interventions en matière de MSAP, nous ne les effectuons qu’à la demande du commissariat général à l’égalité des territoires.

S’agissant de l’augmentation de la DETR, il faudra voir comment les préfets comptent répartir l’enveloppe. Plus généralement, quels effets la suppression de la clause de compétence générale, sauf en matière de sport et de tourisme, pourra-t-elle avoir ?

Au demeurant, notre pays semble déjà bien équipé. La courbe d’équipement est désormais toute proche de son asymptote – peut-être provisoire. Le formidable travail accompli depuis la décentralisation doit conduire aujourd’hui à un déplacement des priorités, car un palier est atteint. De ce point de vue, il est intéressant, même si la somme est relativement peu importante – 140 000 ou 150 000 euros – d’avoir élargi les conditions de remboursement du FCTVA qui étaient sans doute trop drastiques.

M. Jean-Luc Bleunven, président. Mesdames, messieurs, nous vous remercions pour les éclairages que vous nous avez apportés et dont la commission d’enquête tirera assurément profit.

L’audition s’achève à quatorze heures trente.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mardi 29 septembre 2015 à 13 heures.

Présents. – M. Jean-Luc Bleunven, Mme Jeanine Dubié, Mme Françoise Dumas, M. Alain Fauré, M. Laurent Furst, M. Laurent Marcangeli, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Régine Povéda, M. Nicolas Sansu, M. Claude Sturni.

Excusés. – M. Olivier Audibert Troin.