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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mercredi 30 septembre 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Yoann IACONO, conseiller du président de l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF).

L’audition débute à seize heures trente.

M. le président Alain Fauré. Notre séquence d’auditions consacrée au thème des « rigidités et marges budgétaires des collectivités du bloc local » reprend avec l’audition de M. Yoann Iacono, conseiller du président de l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF), auquel je souhaite la bienvenue. Il nous a paru intéressant, en effet, de solliciter une « vision de manager » : le rôle des fonctionnaires territoriaux exerçant des fonctions de direction est essentiel puisqu’ils doivent non seulement exécuter les décisions des élus, mais aussi les préparer par des conseils avisés.

Le rapporteur et moi avions souhaité auditionner l’Entente des territoriaux, qui regroupe depuis le mois de décembre dernier six associations professionnelles : l’AATF, le Syndicat des directeurs généraux de collectivités territoriales (SNDGCT), l’Association des dirigeants territoriaux et anciens de l’INET (ADT-Inet), l’Association des Ingénieurs territoriaux de France (AITF), l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé (ANDASS) et l’Association des directeurs généraux des grandes collectivités (ADGGC). L’Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF) a rejoint l’Entente au début de l’année. Il était donc prévu qu’un représentant de l’ADGCF soit également présent aujourd’hui, mais les contraintes d’agenda ont amené à surseoir à ce projet.

La baisse des dotations de l’État oblige à réviser en profondeur la gestion des collectivités : personne ne croit actuellement à un retour à meilleure fortune, c’est-à-dire à une remontée des dotations à leur niveau de 2013. Notre rapporteur a d’ailleurs dit il y a quelque temps qu’il fallait changer de paradigme. Avec l’année 2017 en ligne de mire, faudra-t-il remettre en cause certains choix de politiques publiques, ou peut-on se contenter d’optimiser la gestion ? Quels sont les leviers que l’on peut activer ? Quelles sont les rigidités à faire plier ? Quels délais pour obtenir des résultats tangibles ?

Au-delà de 2017, faut-il réfléchir à des équilibres financiers radicalement différents pour les collectivités territoriales ? Faut-il – et peut-on – leur redonner du pouvoir fiscal ? Quelle doit être la place de la solidarité dans le financement des politiques locales ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(À l’invitation du président, M. Yoann Iacono prête serment.)

M. Yoann Iacono. Je vous remercie d’avoir convié les associations professionnelles de cadres dirigeants de collectivités territoriales, regroupées sous la bannière de l’Entente des territoriaux et l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui.

En tant que praticiens et professionnels de l’action publique, nous avons à cœur de participer à l’ensemble des débats sur la décentralisation et sur les moyens de financer tant la démarche que les collectivités qui y concourent. C’est pourquoi nous avons adopté, en 2013, un Manifeste de la décentralisation que je viens de vous remettre, et sur lequel je reviendrai puisque nous y avons formulé quatre-vingts propositions concrètes pour faire avancer l’idée de décentralisation dans notre pays.

Nous sommes évidemment convaincus de son bien-fondé, puisque nous en sommes des acteurs, sous l’autorité des élus locaux. Sur l’aspect financier, l’idée initiale de ce manifeste était bien évidemment de faire participer les collectivités locales à l’effort de redressement des comptes publics, mais dans une proportion juste et supportable, considérant également que les collectivités locales jouent un rôle relativement mineur dans l’évolution de l’endettement public ; ainsi que de redonner tout son sens au principe d’autonomie financière des collectivités locales – c’est important dans le débat sur les dotations ; et enfin en affirmant plus de solidarité entre les territoires. Voilà quels étaient les trois grands axes de ce manifeste.

Je suis membre du bureau de l’AATF, et j’ai exercé au sein de différentes strates de collectivités territoriales en tant que directeur du contrôle de gestion, de l’évaluation des politiques publiques et de l’audit, puis des finances et de la commande publique, et aujourd’hui directeur général délégué en charge des ressources – qu’elles soient financières ou humaines – donc de toute l’optimisation des services publics du territoire et des politiques publiques menées. J’ai également eu le plaisir de coordonner le volet « Finances » du Manifeste de la décentralisation des administrateurs et j’ai participé aux comités de pilotage nationaux pour la création de l’Agence France locale, où je siégeais au nom des régions de France. Aujourd’hui, j’exerce mes fonctions dans une intercommunalité, après avoir longtemps exercé comme directeur général délégué dans une grande région de l’ouest de la France.

Avant d’en venir au sujet qui intéresse directement votre commission – l’impact sur les investissements et les services publics de proximité de cette baisse des dotations, et les facteurs de rigidité et de souplesse – permettez-moi une observation liminaire qui n’est pas neutre dans le débat actuel sur la performance de la gestion publique locale, si souvent décriée, voire caricaturée. Certains clubs de réflexion notamment ne cessent de dénigrer par voie de presse les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux, trop nombreux à en croire certains. L’intérêt des métiers de la fonction publique territoriale est assez méconnu du grand public, et je crois important de dire à cette commission d’enquête que les élus locaux, au travers du CNFPT, ont su considérablement moderniser, au cours des dernières années, les voies de recrutement et de formation des cadres dirigeants territoriaux.

Au sein de notre association, nous sommes très sensibles à la parité entre fonctions publiques et à la mobilité. La fonction publique d’État pourrait construire des dialogues plus intenses avec la fonction publique territoriale, notamment dans les mobilités entre administrations et entre fonctions publiques, que nous réclamons. Nous avons considérablement innové sous l’angle managérial des ressources humaines, avec des politiques de formation, de recrutement, de santé et d’innovation sur lesquelles nous pourrons revenir si vous souhaitez parler de la maîtrise des dépenses de personnel : une politique managériale dynamique et active est également une politique responsable de maîtrise des dépenses de personnel. J’ai eu, au titre de mes fonctions, à gérer ces aspects de ressources humaines.

Avec la règle d’or qui impose l’équilibre budgétaire des collectivités locales, des efforts très importants ont été réalisés dans le domaine de la gestion des ressources humaines, sous l’autorité des élus, car c’est l’exécutif – le maire ou le président – qui est chef du personnel. Ces efforts sont méconnus du grand public ; c’est pour cela que j’ai parlé de caricature pour qualifier les critiques de certains et d’une certaine presse.

Lorsque la crise financière s’est déclenchée, à la fin de l’année 2008, nul n’ignorait au sein des collectivités locales que l’investissement public local représente près de trois quarts de l’investissement public français. Confrontées à l’atonie de l’investissement privé, toutes les collectivités locales ont eu à cœur de participer à l’effort de soutien à l’activité économique par le maintien des investissements publics.

En 2009, j’exerçais les fonctions de directeur général délégué au sein d’une région française. Dès cette année, cette région a mis en place un plan de soutien à l’investissement de plus de 260 millions d’euros en plus des investissements initialement prévus, pour soutenir les circuits courts de l’économie, surtout dans un contexte de crise de liquidités. Les collectivités locales ont donc toujours eu conscience du rôle de l’investissement public et de la nécessité de le maintenir.

Pour autant, le contexte a été difficile dès 2009, puisque les collectivités locales ont fait face à un effet de ciseaux que les intervenants précédents ont déjà dû décrire, puisque les recettes de fonctionnement ont été fortement affectées par la crise tandis que les dépenses d’intervention sociale et de formation ont été fortement mobilisées.

Notre rôle, en tant que cadres dirigeants d’une collectivité locale et conseillers d’élus locaux dans un contexte de crise, a été de dire aux élus que la priorité était évidemment de soutenir l’investissement public, comme le faisaient également le Gouvernement et l’État. Pour cela, il fallait à tout prix préserver la capacité d’autofinancement pour ne pas dégrader la situation financière des collectivités locales. Il faut garder une ambition d’investissement, mais dans le même temps préserver la bonne santé financière. Et pour ce faire, il faut travailler sur deux leviers : les recettes de fonctionnement et les dépenses de fonctionnement.

S’agissant des recettes de fonctionnement, le levier fiscal a été utilisé lorsque c’était possible : dans certains territoires, pour certaines strates de collectivité, des disparités de situation en offraient encore l’opportunité. La politique tarifaire a également été utilisée, cela a déjà été longuement présenté devant votre commission d’enquête parlementaire. Enfin, nous avons recouru à l’optimisation de financements privés : nous avons essayé de travailler à des formules nouvelles de marchés de performance énergétique, avec un mixage de financements publics et privés.

Une fois ce travail sur les recettes de fonctionnement effectué, dans un contexte contraint, il faut avouer que ce n’est pas le levier le plus simple à actionner, surtout quand la valeur ajoutée des entreprises – qui détermine la CVAE – est en baisse, à l’instar d’une série d’autres assiettes de fiscalité. Il nous a donc fallu travailler sur les dépenses de fonctionnement, depuis 2009, jusqu’à la baisse plus drastique des dotations de l’État que nous connaissons aujourd’hui.

Je dois le dire ici solennellement, comme je pense que Michel Klopfer ou Olivier Landel ont pu le faire avant moi : les collectivités locales ont engagé un profond travail de maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, de leurs charges de structure et de gestion. De nombreux dispositifs ont été mis en place, dont je peux témoigner au titre de mes expériences professionnelles : systématisation du dialogue de gestion avec les satellites au sein des collectivités ; revisite des politiques publiques avec la mise en place de missions de contrôle de gestion pour décortiquer les coûts des services publics et opérer des choix entre gestion déléguée et gestion en régie ; utilisation de toutes les techniques de commande publique telles que les groupements de commandes, etc. Je ne développerai pas toutes ces techniques, notre métier est de faire ces propositions d’économies aux élus, de les utiliser et de les mobiliser. Tout cela a été fait, et continue de l’être car c’est toujours dans la contrainte que l’on devient plus innovant pour la gestion des dispositifs.

Ces efforts de maîtrise des dépenses de fonctionnement se traduisent dans les chiffres. Je crois que Michel Klopfer l’avait indiqué : en 2015, l’évolution des dépenses de fonctionnement de l’ensemble des collectivités territoriales se situerait aux alentours de 2 %. Ce chiffre peut s’expliquer en prenant en compte les effets démographiques, et il reflète un travail profond de maîtrise des dépenses de fonctionnement. C’est à ce moment qu’est intervenue la décision de réduire plus encore les dotations de l’État aux collectivités locales, avec la baisse annoncée de 12 milliards d’euros.

Une fois préservée leur capacité d’autofinancement, les collectivités locales ont essayé de stabiliser leur investissement. Elles ne pouvaient envisager de l’augmenter, car au vu du contexte et des perspectives de trajectoire financière, il n’est pas possible de maintenir durablement un investissement dans un contexte financier aussi tendu. Ce n’est pas propre aux collectivités locales, mais cela les concerne particulièrement puisqu’elles représentent les trois quarts de l’investissement public français, au moment où l’on souhaite soutenir l’activité économique.

Au terme de cette petite rétrospective, quels éléments vont peser aujourd’hui dans les choix des élus locaux – qui sont parfois députés – et des cadres dirigeants qui les conseillent ? S’agissant des stratégies d’investissement des collectivités locales à compter de 2016, trois paramètres devront être pris en compte dans le travail d’orientation budgétaire des collectivités locales : l’accentuation de la baisse des dotations de l’État, qui vient jouer un rôle considérable dans la dégradation de l’épargne brute, donc de l’autofinancement, particulièrement dans le bloc communal ; la baisse des enveloppes territoriales contractualisées des régions et des départements au bloc communal et la rigidité de nombre de dépenses de fonctionnement, puisque si l’on peut faire un travail important de réduction et d’encadrement de ces dépenses, certaines, du fait de contraintes législatives ou statutaires, sont particulièrement rigides ; à moins de changer la loi, nous sommes contraints d’y faire face.

Un mot rapide sur la baisse des enveloppes territoriales contractualisées des régions et des départements au bloc communal. Au-delà de la baisse des dotations de l’État, c’est un paramètre que prendront en compte les directions financières et les directeurs généraux délégués lorsqu’ils vont présenter à leurs élus les orientations financières pour les années à venir. Pour avoir récemment travaillé dans une région, je peux vous dire que le contexte financier des régions n’est guère meilleur que celui du bloc communal.

Pour les régions, le problème est que depuis la réforme de 2010, le nouveau panier de recettes fiscales se compose essentiellement de dotations. Les régions n’ont presque aucun pouvoir de modulation des taux, sauf sur la carte grise qui représente environ 9 % de leurs recettes de fonctionnement, ce qui est minime pour faire une politique fiscale. Surtout, ces recettes sont « contre incitatives » puisque si l’on demande de développer le ferroviaire, l’essentiel des recettes de fonctionnement est basé sur la route, avec la TICPE et les cartes grises. Il y a là une incohérence dont le Parlement pourrait sans doute se saisir. De plus, les montants de CPER sont en baisse de 3 milliards d’euros pour la nouvelle période de programmation par rapport à la précédente.

Ayant jusqu’à une date récente exercé dans une région, je sais quelles propositions j’aurais fait à mon président pour les années 2016 et 2017 : réduire la voilure sur les fonds de concours sur les territoires contractualisés, notamment les territoires de contractualisation, les agglomérations, les pays ou les communautés de communes. Il est évident que cela affectera le bloc communal.

Pour les départements, j’imagine que la situation a été longuement présentée par les experts qui m’ont précédé. Sans doute auront-ils moins développé celle des régions ; je le fais par attachement à cette strate de collectivité. Je ne reviens donc pas sur l’effet de ciseaux produit par les dépenses d’intervention dans le champ social et le RSA. De ce fait, en 2015, les départements ont réduit leurs subventions aux communes et aux EPCI de 2 milliards d’euros. C’est d’autant plus important que pour les communes de 500 habitants, les subventions des départements pèsent 17 % du budget. Si l’on y ajoute ce que je disais des régions, on voit bien qu’au-delà de la dotation de l’État, le bloc communal subira, par effet indirect, l’impact de la baisse des dotations de l’État sur les régions et les départements. Les raisons en sont multiples, il ne s’agit pas uniquement de la baisse des dotations : pour les régions, cela tient à un panier fiscal inadapté, sans pouvoir de modulation de taux, sans autonomie et contre incitatif.

Le troisième aspect, après la baisse des dotations et celle probable des enveloppes territoriales contractualisées avec les régions et les départements, est la rigidité de nombre de dépenses de fonctionnement. Cela rejoint directement le thème des rigidités et des marges budgétaires. Je n’abuserai pas de votre temps en développant tous les impacts néfastes de l’inflation normative française sur les finances des collectivités locales. Je ne sais pas si mes prédécesseurs ont pu le faire, je me contenterai de mentionner l’excellent rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative de MM. Jean-Claude Boulard et Alain Lambert, sorti en 2013. Il contient des éléments très factuels, très précis, parfois même quelques anecdotes assez humoristiques et croustillantes.

Retenons que l’impact des normes est réel sur les dépenses et fait partie des facteurs de rigidité, au même titre que d’autres politiques, ambitieuses et légitimes, sur le handicap, la transition énergétique et le développement durable. Tous ces éléments contribuent à la rigidité structurelle des dépenses de fonctionnement, dont la maîtrise doit concourir à plus d’autofinancement de l’investissement.

Le sujet des ressources humaines revient souvent dès qu’il est question de maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités locales : le personnel, les fonctionnaires territoriaux, dont on se plaît à rappeler le nombre et la rigidité du statut. Dans ce domaine, le seul impact des normes sur les dépenses de personnel pèserait près de 500 millions d’euros chaque année. Récemment, nous avons eu à intégrer des effets exogènes – autrement dit qui échappent à la volonté des collectivités territoriales – tels que la revalorisation des grilles indiciaires des catégories B et C, la hausse du taux de cotisation employeur à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), l’extension du champ de la garantie individuelle du pouvoir d’achat (GIPA), etc. Les estimations divergent selon les observatoires ou les cabinets d’étude qui les mènent, mais l’on considère que cela peut expliquer jusqu’à 40 % de l’évolution des dépenses de personnel entre 2014 et 2015. Un pourcentage important de cette évolution tient à ces facteurs qui nous échappent et que nous subissons.

Autre aspect de la maîtrise des dépenses liées aux ressources humaines : l’évolution des effectifs. Lorsqu’il y a des évolutions de normes, elles sont appliquées ; lorsqu’il y a un effet de glissement vieillissement technicité (GVT), il s’agit d’une évolution naturelle ; mais les élus gardent la maîtrise de l’évolution des effectifs.

Il n’existe pas de statistiques exactes sur ce point et il est difficile d’avoir des données consolidées au niveau national. Ce sont des sujets sensibles, et souvent il faut préférer la discrétion d’une politique active dans le domaine à une communication assez forte. C’est parfois plus efficace, et l’on avance plus rapidement sur le sujet. Nombre de collectivités mènent une politique de gel des remplacements. Il ne s’agit pas de ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux, mais d’un gel complet des remplacements. Or nous savons que les services publics locaux sont très élastiques et fonction de l’évolution de la population, qui augmente chaque année en moyenne de 0,5 %. Quand les effectifs d’une crèche progressent, quels parents accepteraient de voir le nombre de puéricultrices baisser ? Dans les collectivités que j’ai fréquentées, je n’ai pas l’impression que le public soit prêt à voir ces ratios baisser, surtout s’il s’agit de la sécurité d’enfants dans les crèches, mais nous pourrions aussi parler d’autres services publics, liés au troisième âge, par exemple. Donc en dépit des efforts, l’évolution des effectifs est liée à ces enjeux de démographie.

Les collectivités locales ont donc bien engagé ce travail sur les recettes et les dépenses.

M. le président. Je sens bien que vous faites passer des messages, c’est important, mais les éléments que vous êtes en train de nous donner pourront nourrir vos réponses aux questions que les députés présents vont vous poser.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Si j’ai parlé lors d’une audition de changement de paradigme, j’ai surtout parlé de maintien des ressources financières des collectivités locales, que cela passe par les dotations ou une nouvelle architecture fiscale qui permettrait de mieux assurer l’autonomie financière et fiscale des collectivités. Comme vous l’avez dit, monsieur Iacono, les régions ne contrôlent aujourd’hui que 10 à 12 % de leurs recettes de fonctionnement.

Votre discours ne m’étonne pas. Il rejoint celui des associations d’élus, qui savent à quel point l’épargne brute va souffrir de la baisse des dotations et des nouvelles règles en matière de ressources et de recettes réelles de fonctionnement. La suppression de la taxe professionnelle a été un moment très dur pour les collectivités, car l’impôt économique est dévitalisé dans certains territoires où la CVAE baisse considérablement, ce qui vient s’ajouter à la baisse des dotations.

Ma question est simple : vous dites que des efforts de gestion considérables ont été faits dans le bloc communal ; j’en suis persuadé, mais cela ne suffit pas – je parle d’expérience – pour régler la question des ressources des collectivités et le maintien des services publics de proximité et de l’investissement public local. Depuis la rédaction de votre Manifeste de la décentralisation, avez-vous travaillé sur les conséquences directes de la contraction des ressources ? Je ne parle pas uniquement de la raréfaction des dotations, car l’effet de ciseaux est réel. Avez-vous des éléments à donner sur les conséquences et les choix qui sont faits ? Enfin, avez-vous des propositions pour nourrir les recettes des collectivités afin de ne pas dégrader l’épargne brute ?

M. Yoann Iacono. Oui, nous avons des propositions. L’avantage de travailler dans une collectivité locale est que cela vous empêche de devenir technocrate, car l’on est au contact des élus. C’est la méthode de travail qui est importante.

Il y a deux manières de maîtriser les dépenses de fonctionnement. Ou bien on choisit la méthode bête et méchante, qui consiste à donner des coups de rabot très importants : 5 % ou 10 % de moins sur des dispositifs très sectorisés. Ou bien on essaie de construire avec l’ensemble des élus une vision collégiale des cœurs de compétence. On entre alors dans un débat très compliqué : quel est le cœur de compétence d’une collectivité locale ? Quelles sont ses compétences obligatoires, lesquelles sont facultatives ? Que faut-il prioriser, et que faut-il abandonner ? Sur ces questions, nous pouvons proposer des méthodes de travail, mais pas choisir à la place des élus. Ce qui se prépare, ce sont des choix de politiques publiques : va-t-on en abandonner certaines ? Nous sommes en tout cas arrivés au bout de la logique des coups de rabot.

Quoi qu’il en soit, nous avons des propositions concrètes. Nous prenons la baisse des dotations de l’État comme une donnée. Une fois celle-ci validée, il faut travailler de manière constructive. Nous proposons donc de restructurer l’architecture fiscale des collectivités territoriales en leur accordant plus d’autonomie financière. Il faut convertir des dotations de l’État en fiscalité. Que l’État cesse de donner des dotations aux collectivités, mais qu’il accorde de la fiscalité, même nationale. Mais laissons les élus locaux assurer la responsabilité de la gestion, parce qu’ils sont responsables et qu’ils ont prouvé la qualité de leur gestion. Donnons-leur les moyens d’être responsables, avec une politique fiscale adaptée, en convertissant plus de dotations en fiscalité.

Ensuite, il faut définir des principes pour cette nouvelle architecture fiscale. La part de la fiscalité doit être prépondérante dans les ressources des collectivités locales. Cette fiscalité doit être productive dans les budgets – il faut donc des assiettes de flux –, mais également protectrice – ce qui impose des assiettes de stock. Nous avons besoin d’un mix, car en période de crise économique ou de tension, s’il n’y a que des impôts de flux, la crise est subie de plein fouet et l’effet ciseaux est majeur. Tandis que si la fiscalité est composée d’un mix d’assiette de flux et d’assiette de stock, nous serons mieux armés pour affronter une période de crise économique. Et les périodes fastes permettront de redresser les comptes. Les collectivités territoriales fonctionnent comme l’économie générale : par cycles et par flux. Il y a des périodes fastes et des périodes difficiles, et l’on pilote les dépenses et les investissements en fonction de cela.

Il y a donc des choses simples à imaginer : une fiscalité incitative plutôt que contre incitative, lisible, et sécurisée avec des assiettes de flux et de stock. Nous faisons un certain nombre de propositions très concrètes sur le sujet, qui nous paraissent relativement simples ; mais refondre toute l’architecture des collectivités locales ne doit pas l’être tant que ça !

Parmi d’autres mesures très concrètes pour atténuer cette baisse, nous soutenons l’idée d’imputer en section de fonctionnement le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), qui a été évoquée ici ; nous trouvons également intéressant l’élargissement du FCTVA aux dépenses d’entretien de bâtiments publics ; c’est une bonne idée, qui ira de toute façon dans le bon sens si nous ne parvenons pas à réformer l’architecture fiscale des collectivités.

Nous pourrions aussi supprimer la règle de dépôt des fonds au Trésor pour la section d’investissement. En 2009, je me suis beaucoup occupé de financement des collectivités locales, et j’ai été à l’origine de la création de l’Agence France locale. À l’époque, lorsque nous allions voir les banques, celles-ci s’appuyaient sur les ratios prudentiels de Bâle III pour expliquer qu’en qualité de client non-déposant, les collectivités locales ne les intéressaient pas. Comme nous ne déposons pas de fonds propres, les banques mettent en jeu leurs ratios de liquidité si elles nous prêtent. Et nous ne pouvons pas déposer de fonds parce que nous sommes obligés de les déposer au Trésor. Nous pensons donc que sur la section d’investissement, nous devrions pouvoir déroger à cette règle.

M. Jean-Luc Bleunven. C’est dans la contrainte que l’on est le plus innovant, dites-vous. Beaucoup d’évolutions affectent l’ensemble du personnel qui travaille dans les collectivités, notamment les questions de mutualisation. J’aimerais que vous réagissiez sur l’idée parfois proposée par La Poste de remplacer les collectivités locales. En effet, dans les petites collectivités, les services publics peuvent parfois être regroupés et assurés par d’autres moyens.

Par ailleurs, pensez-vous que nous soyons allés au bout dans l’accueil du public ? Ne pensez-vous pas qu’il y ait des possibilités d’innovation ? Je pense évidemment à la médiation avec le numérique, et aux besoins liés à l’évolution de la société. Avez-vous réfléchi à ces sujets, sachant que l’accueil du public mobilise beaucoup de monde ? Autant nous devrons réduire les moyens, autant sur l’accueil du public, nous devrons encore aller plus loin, car le service public impose de recevoir l’ensemble de nos concitoyens.

M. Laurent Furst. Ce matin, j’ai défendu les collectivités car je ne supporte pas le procès en dépenses publiques que l’on nous fait régulièrement, connaissant l’avalanche normative qui s’est abattue sur les collectivités, mais aussi tous les nouveaux besoins de la société auxquels elles font face : le développement des crèches, ou l’arrivée des rurbains qui exigent de bénéficier à la campagne des mêmes services qu’en ville. Depuis vingt-cinq ans, les collectivités locales sont les seules à avoir fait face à ces besoins.

Pourtant, je voudrais vous poser des questions qui pourraient être mal interprétées. Je précise d’abord que j’appartiens à la fonction publique hospitalière et que je suis fils d’enseignant, attaché à la fonction publique. Ceci étant dit, nous pouvons en venir au vif du sujet.

Tout d’abord, on parle souvent de l’évolution du nombre de fonctionnaires. C’est une source d’augmentation de la dépense, mais on a aussi requalifié beaucoup de postes pour faire plaisir ou acheter la paix sociale, sans que cela ait toujours été utile pour la qualité du service public. Pensez-vous qu’il y ait des sources d’économies en la matière ?

Par ailleurs, lorsque des communes recrutent, ce sont des fonctionnaires. Pensez-vous que le statut de fonctionnaire soit pertinent pour toutes les missions assumées par les communes et le bloc communal ?

Associations d’élus et de cadres territoriaux se plaignent de l’inflation des normes, mais sans dire quelles normes pourraient être supprimées pour faire des économies. Peut-être que le climat actuel permet de mener une réflexion sur ce point. Pourriez-vous nous donner des exemples de normes dont l’abolition ferait faire des économies au contribuable ?

Enfin, pensez-vous qu’une simplification du code des marchés publics soit nécessaire ?

Mme Jeanine Dubié. Il y a longtemps que l’on entend le discours de l’optimisation des moyens et des missions dans les collectivités locales, et que nombre de mesures sont mises en œuvre dans tout ce qui touche à la RH et notamment à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Beaucoup de collectivités sont engagées dans ce processus, au risque de mettre en place de véritables usines à gaz finalement plus coûteuses. La fonction publique territoriale compte beaucoup d’agents de catégorie C, ce qui pose le souci de l’adaptation des agents aux postes de travail. Les collectivités doivent conduire un important effort de formation continue et initiale. Ne pensez-vous pas qu’il serait nécessaire de toiletter le référentiel de formation pour qu’il corresponde à ce que l’on attend des fonctions d’encadrement intermédiaire et d’encadrement des collectivités locales ? Je pense notamment à l’usage du numérique.

S’agissant des dépenses, pourriez-vous apporter des éléments sur ce qui touche aux politiques d’achats publics, notamment en achats centralisés et en commande groupée ? Travaillez-vous sur ces pistes ?

Afin d’améliorer le rendement de la fiscalité locale, des collectivités passent des protocoles d’accord avec les services fiscaux pour travailler sur le redressement des bases fiscales, la collectivité apportant en contrepartie une aide et un suivi au recensement. Avez-vous connaissance de telles expériences ?

Enfin, sur la gestion active du patrimoine, n’y a-t-il pas des choses à améliorer ? Certaines collectivités ne savent même pas qu’elles sont propriétaires d’immeubles ou de bureaux répartis sur un département.

M. Alain Calmette. Vous avez beaucoup parlé des régions, qui ne représentent pas la réalité du bloc communal. Ne considérez-vous pas que dans le bloc communal et les intercommunalités, dont le nombre a explosé à la suite de la loi Chevènement, entraînant une hausse vertigineuse des effectifs sans rapport avec les services rendus à la population, il existe des possibilités d’économies par la mutualisation ou l’achat public ?

À propos du statut de la fonction publique, ne considérez-vous pas qu’il existe un certain nombre de blocages concernant l’évolution de carrière, l’adaptation des compétences aux nouveaux métiers ? Beaucoup de collectivités embauchent des CDI qu’elles titularisent au bout de six ans. De votre point de vue de cadre, y a-t-il des évolutions du statut à mettre en œuvre pour mieux faire correspondre les compétences, les évolutions de carrière et les nouveaux métiers aux agents employés ?

M. Yoann Iacono. Il y a effectivement des choses à faire dans le domaine la commande publique. Je sais, pour avoir travaillé avec des organisations professionnelles du bâtiment, qu’il faut fluidifier la commande publique, au bénéfice de l’économie, du territoire et de ses entreprises du BTP. Nous sommes parfois tenus par des règles tout à fait légitimes, qui ont produit des effets vertueux et positifs en termes de qualité de gestion, à l’instar de celles sur la transparence ou la lutte contre la corruption. Mais aujourd’hui, dans un contexte de crise économique, il serait peut-être bon de les fluidifier.

Concrètement, lors du travail que nous avons réalisé avec les entreprises du bâtiment pour tous les marchés de construction en lien avec le BTP, elles nous ont expliqué que pour être performantes, elles devraient réduire considérablement les temps de chantier. Pour cela, elles devraient être davantage associées aux maîtres d’œuvre en amont, dans la construction du projet, ce qui éviterait de nombreux problèmes qui sont réglés ensuite sur le chantier. Or plus il y a de jours de chantier, plus la performance de l’entreprise est dégradée.

Nous avons donc essayé d’élaborer des marchés de conception-réalisation, qui associent la maîtrise d’œuvre et les entreprises du BTP. Mais il faudrait trouver une solution dans le code des marchés publics pour aider les entreprises à réduire les temps de chantier – c’est une bonne idée – et associer les collectivités plus en amont dans les phases de conception, en prenant exemple sur ces marchés de conception-réalisation mais en trouvant un levier juridique différent.

Les entreprises nous faisaient aussi savoir que les appels d’offres et les cahiers des charges étaient trop compliqués. Les petites PME ou les TPE n’ont pas de services pour faire de la veille, ou lire toutes les clauses dans des documents de cent pages. Nous nous sommes donc engagés à simplifier les mémoires techniques en deux pages, de manière très concrète et standardisée, afin que les TPE et les PME puissent s’y retrouver. Nous nous sommes aussi engagés à faire beaucoup plus de communication en amont, car les entreprises nous informaient qu’elles n’arrivaient pas à s’organiser et qu’elles n’avaient pas de lisibilité sur les dates de lancement des appels d’offres.

Il y a donc des règles de droit contenues dans le code des marchés publics à faire évoluer – le Manifeste de la décentralisation contient des propositions – mais aussi toute une visibilité de la commande publique de l’État et des collectivités à organiser, y compris avec des outils numériques. Du point de vue des entreprises, il est anormal d’avoir autant de plateformes que de collectivités publiques. Il faudrait une plateforme unique sur un territoire qui regroupe les marchés de l’État et ceux des strates de collectivités territoriales, afin que les entreprises n’aillent sur une seule plateforme, car pour les entreprises qui n’ont pas de moyens de veille, aller sur toutes les plateformes est compliqué. Les informations données peuvent être très sommaires : les entreprises n’ont besoin que de l’objet, du montant, de la date prévisionnelle et des différents lots – il faut qu’elles sachent s’il y a beaucoup d’allotissement, si c’est de l’entreprise générale ou s’il y aura du macro-lot. Cela leur suffit, à une échelle de six mois, pour s’organiser.

Vous avez donc raison, il y a un travail profond à mener sur la commande publique et des propositions très concrètes peuvent être mises en œuvre.

Sur la question du patrimoine, les collectivités territoriales comme l’État sont déjà engagés dans une gestion active du patrimoine. Si l’on veut jouer sur tous les leviers d’optimisation, il est nécessaire de travailler ce point en mettant en place des systèmes d’information géographiques (SIG) et des logiciels de suivi. Mais une fois encore, il y a une inégalité entre collectivités riches et pauvres. Après avoir travaillé pour une région, je travaille pour une communauté d’agglomération, et je vois la différence. À l’échelle de la région, nous avions un SIG extrêmement développé pour la gestion de notre patrimoine, avec des vues en trois dimensions, et l’on pouvait piloter tout cela et faire des cessions. Dans la communauté d’agglomération où j’arrive, il n’y a pas de logiciel de suivi.

Cela pose la question des dépenses d’investissement : sachant que ces dépenses sont extrêmement comprimées, qui pourrait demander au président de la communauté d’agglomération de réduire l’investissement dans une crèche pour investir dans un SIG de patrimoine ? L’arbitrage est vite fait. On voit que la baisse de revenu des collectivités touche souvent les dépenses innovantes, ou qui sont susceptibles de générer des économies de fonctionnement. Par exemple, pour la collecte des ordures ménagères dans la communauté de communes où je travaille, le matériel est vétuste et il faudrait que nous renouvelions le parc de véhicules avec des camions électriques. Mais cela coûte extrêmement cher, et ce n’est donc pas la priorité. Compte tenu du contexte financier, cette dépense-là sera reportée et notre matériel continuera de vieillir, entraînant un accroissement des dépenses de maintenance, de fluides et de consommables, alors qu’un investissement dans le parc électrique permettrait des gains en termes de qualité de service, de nuisances sonores et de fonctionnement. Mais nous ne ferons pas cette dépense car elle n’est pas prioritaire.

De la même façon, pour en revenir au patrimoine, nous ne faisons pas la dépense pour acquérir un SIG parce que ce n’est pas une dépense prioritaire dans un contexte contraint. Et tout cela se retrouvera dans les tensions en fonctionnement. Nous aurons beau nous démener, si nous n’arrivons pas à faire les investissements innovants de performance énergétique parce que le contexte est trop contraint, nous ferons face à des difficultés financières. Il faut donc permettre ces investissements plus innovants.

S’agissant maintenant du statut de la fonction publique territoriale, il me semble protecteur, mais il permet d’être innovant. C’est pour cela que j’ai choisi la fonction publique territoriale ; j’aurai pu en choisir une autre, mais j’aime cette fonction publique car elle est moderne. Lorsque je postule dans une collectivité locale, aucun bureau du personnel d’un ministère n’intervient pour gérer ma carrière à l’ancienneté. Je fais exactement comme dans le privé : j’envoie un CV, une lettre de motivation, et je passe une série d’entretiens jusqu’à l’entretien final avec un président ou un maire. Et si l’on me recrute, c’est sur des compétences, sur mon expérience. J’ai l’impression de travailler dans le privé, parce que c’est quelque chose de moderne. J’ai trente-quatre ans, je suis assez jeune, j’ai été directeur général délégué d’une grande région et je trouve assez exceptionnel d’avoir la confiance d’élus sans que l’on exige de moi un parcours déterminé. Aujourd’hui, je suis directeur général des services adjoint d’une communauté d’agglomérations en Île-de-France, et je trouve que la fonction publique territoriale est innovante et moderne. Nous aurions néanmoins intérêt à travailler plus en lien avec la fonction publique d’État, car nous sommes nous-mêmes bloqués dans des déroulés de carrière que nous souhaiterions plus ouverts, pour aller vers d’autres fonctions publiques, et même le monde de l’entreprise : cela n’a rien de choquant.

S’agissant de la prédominance du personnel de catégorie C dans le bloc communal, je n’en ignore rien, puisque j’ai en charge la propreté. Pour ne rien vous cacher, nous travaillons aujourd’hui sur l’intégration de cette compétence dans un territoire plus vaste, ce qui nous amène à travailler très concrètement avec les agents, dans le dialogue social, en insistant sur la polyvalence. Nous leur expliquons qu’ils ne pourront pas exercer demain comme aujourd’hui : ils devront faire preuve de polyvalence territoriale, de polyvalence de compétence, et tout cela est permis par le statut de la fonction publique territoriale.

De la même façon, ce statut permet de rémunérer au mérite, d’adosser une partie du régime indemnitaire annuel à une évaluation professionnelle fondée sur des objectifs mesurables et quantifiables, et d’avoir un régime indemnitaire adossé qui varie dans des proportions importantes. Quand je travaillais pour une région, une part importante de mon régime indemnitaire était adossée à l’évaluation au mérite, et certaines années j’avais plus que d’autres. Ce n’était pas choquant, l’ensemble du personnel de catégorie A l’acceptait parce que cela avait été discuté et s’inscrivait dans le cadre d’une politique managériale assumée.

Sur la formation, je ne voudrais pas être désagréable, et je suis désolé de m’exprimer à nouveau du point de vue de la région, mais les derniers transferts de compétence ont plutôt concerné les départements et les régions. Quand les régions ont hérité le personnel d’entretien des lycées, je peux vous assurer qu’une politique extrêmement importante de formation et de santé a été mise en place. Ce personnel n’avait aucun entretien médical annuel et un absentéisme extrêmement important a très vite été constaté par la région pour cause de maladies professionnelles, parce que le travail de suivi de santé qui échoit à tout employeur n’avait pas été fait.

Je rejoins donc tout à fait vos propos sur le personnel de catégorie C dans le bloc communal. Il y a un chantier à mener sur la formation et l’adaptation aux métiers liés aux nouvelles attentes. Aujourd’hui, l’exigence des citoyens est extrêmement forte. Il y a une part de schizophrénie de notre société qui a une grande exigence à l’égard des services publics mais qui ne veut pas payer d’impôts et trouve qu’il y a trop de fonctionnaires. Les élus locaux et les fonctionnaires sont tiraillés au milieu de tout cela. Nous essayons de faire au mieux, mais on ne peut pas résoudre une équation qui a trop d’inconnues.

Le thème de la formation rejoint celui du numérique, des nouvelles technologies, de l’accueil du public. Je suis convaincu qu’il y a dans ces domaines un enjeu majeur de mutualisation à travailler, et nous le faisons. Mais sur le numérique, je crois que les gains financiers ne seront pas immédiats. Le travail à mener pour dématérialiser complètement des dispositifs d’aide, de paiement ou de factures est considérable. Cela suppose un investissement considérable en temps de travail, des achats et des acquisitions de matériel, tout un travail managérial pour accompagner des personnes qui peuvent être réticentes à l’usage du numérique ou à des écrans. Cela demande un travail extrêmement important, qui doit être mené car c’est le sens de l’histoire, mais qui n’apportera pas de gains à court terme.

Il en va de même pour la mutualisation : quand les mutualisations se sont mises en place à l’issue de la loi Chevènement – c’est un sujet que je connais également –, les gains de mutualisation ne sont pas apparus à court terme ; c’est plutôt à moyen terme, à un horizon de huit à dix ans. Mais aujourd’hui, quels que soient les projets de l’intercommunalité ou des régions, les gains ne seront pas immédiats. Quand il faut mutualiser des progiciels financiers, des progiciels RH ou des organisations, il est fait appel à la force interne de la collectivité, parfois à des conseils, parce que ce sont des projets extrêmement techniques, et cela coûte cher. Il y a donc un surcoût les premières années, et l’on espère un gain les années suivantes. Mais dire que la mutualisation apporte un gain immédiat ne se vérifie pas au niveau technique.

M. Laurent Furst. Je n’ai malheureusement pas eu de réponse sur deux points. Le premier est de savoir si les collectivités ont fait de la surqualification dans leurs cadres, et s’il y a là des sources d’économies. Le deuxième est de savoir pourquoi votre organisation n’est pas, aujourd’hui, force de proposition en tant qu’association pour faire de la décroissance normative. Vous pourriez proposer des idées simples pour faire des économies sans révolutionner la République ; certaines dépenses sont imposées sans être forcément pertinentes.

M. le président. N’oublions pas, cher collègue, que la plupart des normes imposées aux collectivités sont décidées ici même ! C’est bien nous qui, à longueur de journée, faisons des Grenelle de l’environnement ou – pour placer la balle au centre – des lois ALUR, qui imposent d’établir des registres des chiens dangereux ou, pourquoi pas ? des chats qui jouent de la guitare !

C’est ici que ça se passe ! Avant de commencer à faire des registres en bout de chaîne pour que chacun remonte les bonnes idées, c’est à nous de réfléchir à huit fois avant de nous donner bonne conscience, ou d’accoler notre nom à une loi pour en tirer une éphémère gloire. Et si tout ne vient pas d’ici, cela nous est en tout cas suggéré, et c’est nous qui votons. Nous devrions donc réfléchir avant de lancer certaines choses sans nous préoccuper des coûts induits ni de l’énergie qui devra être dépensée sur place.

Bien souvent, des textes sont faits pour se donner bonne conscience, notamment sur les marchés publics. Parce qu’à un moment, des élus se sont comportés d’une manière indigne – comme d’ailleurs ceux qui sont censés les aider dans les territoires –, il a fallu mettre en place des procédures de passation des marchés extraordinairement rigides et compliquées. Le résultat est que plus personne ne s’y retrouve, et nous faisons des copier-coller qui ne ressemblent plus à rien.

Et pour rejoindre ce que disait Jeanine Dubié sur le fait que rassembler beaucoup de personnes peut en fait coûter plus cher, il est sûr que lorsque l’on fait des CHSCT qui durent deux jours d’affilée et où l’on perd un temps fou, évidemment, c’est compliqué… Nous devions tous veiller, et ici plus qu’ailleurs, à faciliter la tâche de ces personnels.

M. Laurent Furst. Je vais faire un commentaire extrêmement douloureux pour moi : je ne trouve rien à redire aux propos de notre président ! Cela prouve que nous partageons les mêmes analyses.

Mais les praticiens, qu’il s’agisse des maires dans l’exercice de leur mandat, des directeurs généraux ou des associations d’administrateurs, parce qu’ils sont praticiens et qu’ils vivent la crise aux premières loges, ont des choses à dire au législateur et aux hauts fonctionnaires qui dirigent la France – parfois plus que le législateur.

M. le président. Mais vous l’aurez remarqué, monsieur Furst, souvent deux personnes et deux missions vivent dans un même corps ! Donc causez-vous, de temps en temps ! (Sourires.)

M. Yoann Iacono. Je vais sans doute vous paraître un peu iconoclaste, monsieur le député, mais j’ai plutôt l’impression que nous manquons d’encadrement dans les collectivités.

M. Laurent Furst. Alors on ne peut plus rien pour vous ! (Sourires.)

M. Yoann Iacono. Ce qui me plaît dans ce métier, c’est que l’on peut s’intéresser à la prospective financière, puis s’occuper de propreté et de choses très concrètes. Cela va me permettre de vous donner un exemple détaillant pourquoi, à mon sens, il faudrait plus de personnes en encadrement intermédiaire.

Prenons la question de l’entretien dans les établissements scolaires et les crèches. Aujourd’hui, nous cherchons à optimiser les moyens humains consacrés à ces tâches en travaillant sur la mécanisation. Quelqu’un qui a aujourd’hui un matériel électrique peut traiter des surfaces beaucoup plus grandes. Mais pour le faire, il faut le former, lui montrer comment se servir du matériel, etc. ; il faut un chef d’équipe qui gère les problèmes de maintenance.

Restons sur cet exemple de l’entretien. Nous essayons de gagner de l’argent en faisant des groupements de commande sur les produits d’entretien. Mais pour faire des groupements de commande, nous avons besoin d’équipes intermédiaires en lien avec les services achat. Il faut que les personnes puissent mettre en œuvre ces techniques d’achat nouvelles, et il faut donc qu’elles soient un peu mieux formées que si elles achètent n’importe quel produit d’entretien, avec un coût supérieur pour la communauté.

La mécanisation et les groupements de commandes font qu’il y a peut-être moins besoin de personnel de catégorie C, mais il faut renforcer l’encadrement intermédiaire pour gérer ces évolutions de métier. Et ces évolutions de métiers sont favorables car en termes de bien-être, de santé au travail, elles permettent de diminuer les troubles musculosquelettiques, les maladies professionnelles, et en définitive l’absentéisme. Tout cela constitue une chaîne vertueuse. Et je pense que ce sera plutôt avec des équipes intermédiaires de proximité qu’avec des masses importantes de catégorie C gérées par un directeur lointain que nous y parviendrons.

Mme Jeanine Dubié. Vous êtes passé très vite sur la question de la formation initiale des rédacteurs ou des attachés territoriaux. Pensez-vous que les matières et les épreuves sur lesquelles on évalue les candidats aux concours administratifs doivent être révisées pour avoir un personnel mieux adapté aux postes de travail ?

M. le rapporteur. Je vais faire entendre une voix différente. Étant également maire, il y a évidemment des normes qui me font râler, mais j’y vois aussi des protections données aux salariés, aux habitants. Si l’on tord peut-être parfois un peu le bâton, il ne faut pas non plus le tordre dans l’autre sens. Je crois sincèrement que les normes amènent un certain professionnalisme.

J’entends bien, madame Dubié, que pour devenir logisticien, il n’est pas nécessaire de faire une belle note de synthèse. Mais la fonction publique territoriale, notamment les concours B et A, ce sont des savoir-être, des fonctions d’encadrement. Un attaché peut encadrer un service culturel aussi bien qu’un service des ressources humaines. C’est aussi la force de la fonction publique territoriale, et en ce sens il est un peu dangereux de les spécialiser. Certes, on peut trouver d’autres solutions sans passer par le statut de la fonction publique, en embauchant directement un professionnel du métier recherché. Mais le risque est de ne plus avoir cette fonction publique qui exerce beaucoup de métiers différents avec un esprit de service public commun ; et c’est cela que je trouve très important.

Il y a des problèmes pour boucler les budgets dans les collectivités territoriales, mais ce n’est pas de la faute des cadres ou de l’encadrement intermédiaire. Ce n’est pas non plus la faute des normes : elles ont aidé à réaliser certains progrès dans les collectivités territoriales, et nous nous sommes même imposés des normes prudentielles sur les finances. Quant à l’encadrement des marchés, cela a quand même beaucoup amélioré les choses. S’il peut y avoir de la rigidité, c’est tout de même une sécurité pour les élus et l’encadrement sur laquelle on ne peut pas revenir.

M. le président. Parmi les remarques qui ont été faites sur le recrutement, il était aussi proposé de faire de la formation. S’agissant des normes, j’entends des élus venir nous dire ici que les normes s’empilent. En effet, elles sont là pour protéger nos concitoyens, mais alors que l’on ne vienne pas nous dire tout et son contraire. Si les normes s’empilent, c’est aussi parce que les territoires sont inscrits dans un ensemble plus vaste, l’Europe, qui connaît des difficultés. Comment peut-on sérier des problématiques financières, et dénoncer le fait de restreindre les dotations aux collectivités sans se préoccuper du fait que ces collectivités font partie d’un État qui lui-même est en butte à des difficultés budgétaires ? C’est un problème qui doit être regardé dans sa globalité, et il n’y a pas lieu d’opposer les collectivités locales à l’État. Une analyse plus juste et posée permettra d’apporter de meilleures réponses. Enfin, les restrictions ont un effet vertueux, elles favorisent la réflexion.

M. Yoann Iacono. Je ne veux pas me substituer au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), et notre association est toujours vigilante à ne pas empiéter sur son rôle.

Néanmoins, sur les voies de recrutement et de formation, je peux vous parler de mon expérience. J’ai été formé à l’Institut national des études territoriales à Strasbourg, où nous avions des sessions communes avec nos collègues de l’ENA. J’ai passé dix-huit mois en formation, dont dix mois de stage. Pour le concours, j’ai passé des examens sur les finances locales, sur les finances publiques, et beaucoup d’autres sujets ; mais ce qui m’a plu dans la formation qui nous a été dispensée, c’est qu’on ne venait pas y surajouter des connaissances théoriques. Nous avons passé énormément de temps auprès d’élus et de directeurs généraux au cours de stages d’observation, et c’est cela qui m’a fait apprendre. On apprend en étant confronté aux problèmes des collègues, aux savoir-être dans lesquels il faut avoir une posture de modestie lorsque l’on arrive jeune avec des gens qui travaillent depuis trente ans – y compris avec du personnel de catégorie C.

Il y a trois jours de cela, j’étais en réunion de présentation avec les collègues de la propreté urbaine, et l’on m’a reproché de ne pas me salir les mains et donc de ne pas connaître la réalité du métier. Je leur ai répondu qu’en effet, je ne connaissais pas leur métier, et que j’étais prêt à venir passer une journée avec eux. Ce n’est pas de la démagogie, c’est porter une attention nécessaire à ceux qui font un métier depuis des années, pour les aider à le faire évoluer.

J’ai participé à plusieurs jurys de concours administratif et j’ai trouvé intéressant qu’au-delà des socles de connaissance, le jury était presque conçu comme un entretien de recrutement. Le candidat était moins testé sur ses connaissances, censées avoir été évaluées par les épreuves écrites ou les épreuves techniques orales, que sur son aptitude à exercer les fonctions de sa catégorie, et notamment son savoir-être, son sens de la diplomatie, son sens politique, son appréciation des sujets, ou encore sa capacité à faire des propositions. Il m’a semblé intéressant de mixer des compétences techniques et des entretiens avec le jury qui sont presque des entretiens de recrutement.

Sur la formation, je mesure la différence entre l’exercice en commune et celui dans des collectivités qui ont plus de moyens. Un plan de formation, c’est un investissement financier, et toutes les collectivités ne peuvent pas se permettre le luxe de construire un plan de formation développé, abouti, qui permette d’organiser la mobilité professionnelle et de diversifier le parcours professionnel. Je crois qu’il y a là une différence entre les strates de collectivités, ou selon la richesse des collectivités. Dans beaucoup de petites communes, d’intercommunalités ou de communautés de communes, il n’y a peut-être pas la même ambition de formation, parce qu’il n’y a pas les mêmes moyens. Il y a certainement une réflexion à mener en ce domaine.

Le président. Je vous remercie d’avoir répondu à toutes ces questions. Nous lirons attentivement le Manifeste de la décentralisation que vous nous avez donné, et les quatre-vingts propositions qu’il contient. C’est un beau travail collectif.

L’audition s’achève à dix-huit heures.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mercredi 30 septembre 2015 à 16 heures 30.

Présents. – M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Calmette, Mme Jeanine Dubié, M. Alain Fauré, M. Laurent Furst, M. Michel Heinrich, Mme Joëlle Huillier, M. Laurent Marcangeli, Mme Marie-Lou Marcel, M. Hervé Pellois, Mme Christine Pires Beaune, Mme Régine Povéda, M. Nicolas Sansu, M. Claude Sturni.

Excusés. – M. Etienne Blanc, M. Martial Saddier.