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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mardi 20 octobre 2015

Séance de 13 heures 30

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Audition, ouverte à la presse, de la direction de la gouvernance publique et du développement territorial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : M. Luiz de Mello, directeur-adjoint ; Mmes Dorothée Allain-Dupré et Isabelle Chatry, analystes principales des politiques.

L’audition débute à treize heures trente.

M. le président Alain Fauré. Notre unique audition de la journée est consacrée à une mise en perspective internationale de la situation des collectivités françaises du bloc communal. Il est intéressant, en effet, de sortir d’une vision « franco-française » du sujet traité par notre commission d’enquête. Or la direction de la gouvernance publique et du développement territorial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a justement conduit de nombreux travaux sur la contribution des collectivités locales aux politiques de redressement des finances publiques et sur les conséquences à en attendre.

D’autres pays que la France ont mis en œuvre une stratégie nationale de redressement des finances publiques associant le niveau central de gouvernement aux niveaux infranationaux. D’autres pays ont été confrontés, comme le nôtre, aux questions apparues tout au long de nos travaux : quelle forme prend la contribution du bloc communal à la stratégie de redressement des finances publiques ? Quelles sont les conséquences de cette contribution sur la solidité financière, à long terme, du bloc communal ? Quelles sont les stratégies mises en œuvre par ce dernier pour supporter, atténuer ou contourner cette contrainte ? La stratégie de redressement des finances publiques a-t-elle modifié ou peut-elle modifier la place prise par l’État dans la façon dont sont financées les compétences dévolues au bloc communal ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander, mesdames, monsieur, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Luiz de Mello et Mmes Dorothée Allain-Dupré et Isabelle Chatry prêtent serment.)

M. Luiz de Mello, directeur-adjoint de la gouvernance publique et du développement territorial de l’OCDE. Nous vous remercions pour cette invitation à évoquer un thème sur lequel l’OCDE travaille de plus en plus. Les expériences des pays membres peuvent en effet apporter d’utiles informations à vos débats. Je commencerai par un bref tour d’horizon de la situation des finances publiques infranationales dans les États de l’OCDE, pour aborder ensuite les effets de la crise et proposer, in fine, quelques pistes pour tâcher d’y faire face.

Pour les 34 pays membres de l’OCDE, on compte près de 140 000 gouvernements infranationaux. L’organisation de certains pays est de type de fédéral et comprend deux ou trois niveaux d’administration infranationale : d’abord les États – comme aux États-Unis – ou les provinces – comme au Canada –, puis les administrations locales. La plupart des pays membres sont en revanche des États unitaires où l’on trouve également deux niveaux d’administration locale, voire, pour la France par exemple, trois niveaux en deçà des régions : départements, intercommunalités et communes.

On constate que deux pays, les États-Unis et la France, représentent plus de la moitié du nombre d’entités locales. En moyenne, la taille d’une commune française est assez réduite : moins de 2 000 habitants, contre plus de 9 000 habitants pour l’ensemble des pays membres. La distribution est en outre assez asymétrique : la moitié des communes, en France, sont peuplées de moins de 500 habitants en moyenne.

Si l’on s’intéresse à la part des dépenses infranationales dans la dépense publique, la moyenne française représente à peu près la moitié de celle des pays membres, alors que si l’on rapporte les dépenses infranationales au PIB, la France est moins éloignée de la moyenne OCDE. Pour ce qui est de l’investissement infranational, la moyenne française est peu ou prou la même que celle de l’OCDE, soit moins des deux tiers de la dépense de l’ensemble des administrations publiques, mais, rapportée au PIB, elle est nettement supérieure à la moyenne OCDE. Si l’on élargit cet examen à la dépense en personnel, à la commande publique, aux recettes fiscales, on peut conclure que la France est un pays moyennement décentralisé.

La composition de l’investissement infranational montre que les collectivités locales, en France, dépensent beaucoup plus en matière de logements et d’équipements collectifs – eau potable, éclairage public, etc. – que la moyenne des pays de l’OCDE. Pour ce qui concerne les « affaires économiques », recouvrant essentiellement les transports, les niveaux infranationaux de gouvernement des pays de l’OCDE, dans leur ensemble, dépensent beaucoup plus que les collectivités territoriales françaises. Reste que les moyennes sont parfois trompeuses.

Les recettes fiscales représentent quant à elles environ la moitié des recettes infranationales pour la France contre 44 % pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Notons que la plupart, en France, sont des recettes propres alors que l’on constate un partage des recettes dans de nombreux pays membres. La part des dotations, elle, est à peu près équivalente en France à celle qui prévaut dans les pays de l’OCDE, même si cette donnée globale recouvre des réalités très diverses.

Voilà qui donne en tout cas un aperçu de ce que font les collectivités infranationales dans l’ensemble des pays membres de l’OCDE.

J’en viens à une analyse plus évolutive. Avant la crise, la croissance du PIB, de même que celle des recettes fiscales et des recettes totales, a été continue. Ensuite, pendant la période la plus sinistre de la crise, entre 2007 et 2009, le PIB et les recettes fiscales ont chuté, ce qui est naturel étant donné l’impact sur les finances locales de la décélération de l’activité économique. Cette perte de recettes a toutefois été compensée par l’accroissement des dotations dans l’ensemble des pays membres. Ensuite, à partir des années 2009-2010, après la fin des plans de relance consécutifs à la crise, les dotations ont diminué tandis que, parallèlement, les recettes fiscales augmentaient. Les recettes totales, pour leur part, ont été relativement stables. L’évolution de la France a peu ou prou suivi l’évolution générale. En effet, la France fait partie des pays dont, entre 2009 et 2013, les recettes fiscales infranationales ont crû ; de même fait-elle partie des pays dont les dotations et subventions ont diminué pendant la même période.

Si l’on s’en tient aux dépenses, leur accroissement, lié aux plans de relance, atteint un sommet vers 2009-2010, pour baisser ensuite progressivement dans la plupart des pays, diminution liée notamment à la réduction des dépenses de personnel, alors que les dépenses sociales et les achats de biens et services – à savoir tout ce qui est lié à la consommation intermédiaire – restaient stables. La France fait partie des pays où la croissance de la dépense infranationale totale s’est maintenue pendant cette période d’après-crise, qu’il s’agisse des dépenses de personnel, des consommations intermédiaires ou des dépenses sociales.

L’investissement public infranational a connu une croissance très importante avant la crise, puis une chute vertigineuse après la crise, enfin une relative stabilité en 2012-2013. La France, pour sa part, n’a pas vraiment connu cette chute, même si l’investissement public infranational a diminué en 2009-2010. La courbe est repartie à la hausse ensuite ; de 2010 à 2013, alors qu’elle continuait de baisser pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Enfin, toujours pour la France, on remarque pour la période récente une nouvelle et nette baisse. Aussi note-t-on un déphasage entre la France et les autres États membres.

L’OCDE recommande la coordination des investissements locaux entre les administrations infranationales et l’État central, le développement des capacités des collectivités locales aux différents stades du cycle d’investissement, la mise en place de plans pluriannuels d’investissements, l’amélioration de la performance des investissements – autant d’aspects davantage liés à la gouvernance des investissements qu’à l’investissement public proprement dit. À partir de l’analyse que nous menons pays par pays, nous tâchons de définir de bonnes pratiques éventuellement généralisables.

J’aborderai, pour conclure, quelques pistes pour améliorer la gouvernance de l’investissement public local en France. Comme d’autres pays de l’OCDE, la France traverse une période difficile en la matière, la plupart des États membres étant dans une phase de redressement des finances publiques. Or ces moments difficiles offrent des occasions qu’il faut saisir pour mettre en place, en particulier, des relations plus équilibrées entre les différents niveaux d’administration, afin d’améliorer la qualité et l’efficacité de l’investissement.

M. le président Alain Fauré. Votre exposé a le mérite de replacer la France dans un contexte plus large, celui de pays dont l’environnement social et économique est semblable au nôtre. Il est toujours intéressant de voir ce qui se passe ailleurs afin de nous enrichir d’expériences diverses. Votre présentation montre par ailleurs que ce qu’on peut entendre ici et là sur la restriction des dépenses, sur le fait que nous vivrions une période d’austérité, sur la façon dont nous gérons les investissements à l’échelon local, ne correspond pas forcément à la réalité.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Je vous remercie, monsieur de Mello, pour votre exposé très clair qui montre la spécificité, en France, de ce que vous appelez les « gouvernements infranationaux », et en particulier l’importance de l’investissement public local par rapport à l’investissement public total. L’une des inquiétudes nées de la raréfaction des ressources des collectivités territoriales, en France toujours – le processus est connu : suppression de la taxe professionnelle, gel des dotations, baisse des dotations de 1,5 milliard d’euros, puis de 3,7 milliards d’euros au moins par la suite –, concerne le niveau à venir de l’investissement public local. Notre analyse se fonde sur nos rencontres avec les représentants d’associations d’élus, mais aussi avec de nombreux experts, ceux de la Banque postale en particulier. Or tous font le même constat : en 2014 l’investissement public local a diminué de 10 % – un peu plus pour le seul bloc communal – et il baissera d’autant, au moins, en 2016.

Quel a été, selon vous, l’éventuel impact, dans d’autres pays, d’une telle baisse de l’investissement public local sur l’emploi et l’activité économique ? Charles-Éric Lemaignen, président de l’Assemblée des communautés de France (ADCF), nous a déclaré ici même que la baisse drastique des investissements publics locaux en Allemagne avait posé problème en matière de maintien du patrimoine.

Ensuite, vous avez indiqué que, tandis qu’il continuait de baisser dans l’ensemble des pays de l’OCDE, l’investissement public local a continué d’augmenter en France entre 2010 et 2013 pour s’effondrer dans la période récente. Jusqu’où, à votre sens, la baisse des dotations aux collectivités locales, à partir de 2014, peut-elle entraîner celle de l’investissement public local ?

M. Luiz de Mello. C’est une question qu’on se pose dans la plupart des pays : cette évolution reflète-t-elle une tendance, ou bien constitue-t-elle une correction de la période d’accroissement de l’investissement des années antérieures à la crise et de la période d’accroissement de l’investissement lié aux plans de relance ?

Par ailleurs, dans certains États, on se demande quels sont les investissements les plus performants pour entretenir, dans un contexte budgétaire difficile, le patrimoine – notion dont la définition même est fort variable selon les pays.

Il n’est pas aisé de répondre à la question de savoir quel impact sur la croissance peut avoir la baisse de l’investissement infranational direct. Nous avons besoin de temps pour analyser ce phénomène, car aucun précédent n’est connu, dans l’histoire, d’un tel accroissement suivi d’une telle réduction en un laps de temps si court. J’insiste en outre sur la grande diversité des situations : dans certains pays, l’investissement infranational représente deux tiers de l’investissement total tandis que, dans d’autres, l’État central reste l’investisseur le plus important.

Quoi qu’il en soit, il convient de ne pas négliger les considérations liées à la gouvernance et, j’y insiste, il faut profiter de ce moment de difficulté budgétaire pour évaluer les dispositifs en vigueur et déterminer les plus à même de maximiser le bénéfice des investissements publics.

Mme Dorothée Allain-Dupré, analyste principale des politiques. On peut être certain que la baisse de l’investissement public infranational va se poursuivre au cours des prochaines années : l’arbitrage sera en effet, a priori, défavorable à l’investissement public. La capacité d’autofinancement des collectivités locales diminue pour absorber la baisse des dotations. Pour ce qui est, plus précisément, du décalage de l’évolution de la France, en la matière, par rapport à l’ensemble des pays de l’OCDE, j’appelle votre attention sur le fait qu’en Suède l’investissement est reparti à la hausse, comme au Canada où un grand plan d’infrastructures est destiné à compenser des décennies de sous-investissement.

Mme Isabelle Chatry, analyste principale des politiques. On met souvent en avant l’exemple allemand ; reste que, globalement, l’investissement public y est plus faible que dans les autres pays de l’OCDE. En revanche, l’Allemagne a maintenu le niveau de son investissement infranational.

M. Alain Calmette. Ma première question porte sur l’efficience de l’investissement public par rapport à l’émiettement de ce que vous appelez les gouvernements infranationaux. Si le volume de l’investissement infranational est, en France, à peu près dans la moyenne des pays de l’OCDE, les dépenses locales de personnel représentent 27 % du total, soit bien moins que la moyenne OCDE. Ce chiffre pourrait laisser croire que les petites communes ont chacune une capacité d’investissement consolidé bien moindre que les communes ou intercommunalités très fortes d’autres pays. Comment expliquez-vous cette apparente contradiction ?

Ma seconde question concerne les partenariats public-privé (PPP). Sont-ils autant en expansion dans d’autres pays qu’en France ? Les investissements liés aux PPP, par définition très lourds, sont-ils comptabilisés dans les données statistiques que vous nous avez communiquées ?

Mme Isabelle Chatry. En effet, l’hyperfragmentation municipale propre à la France correspond à une fragmentation de l’investissement local. Aussi l’OCDE recommande-t-elle que les investissements soient réalisés à la bonne échelle, à savoir, surtout, celle du bassin de vie et du bassin d’emploi. Cette échelle correspondrait, en France, aux intercommunalités, d’autant que, grâce à la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), elles seront plus adaptées aux réalités économiques et sociales. La commune nouvelle est également une formule intéressante.

M. Alain Calmette. Je suis convaincu, moi aussi, que l’agrandissement des intercommunalités permettra d’accroître la force d’investissement. Ma question était de savoir pourquoi, à investissement public égal, étant donné l’émiettement des collectivités locales en France, et donc étant donné le handicap qui en résulte en matière d’investissement local, la part de ce dernier dans l’investissement total est peu ou prou la même que dans l’ensemble des pays de l’OCDE.

Mme Isabelle Chatry. On compte de nombreux doublons à tous les échelons, si bien qu’il est difficile de rendre ces investissements efficients.

Mme Dorothée Allain-Dupré. En France, l’essentiel de l’investissement public est réalisé, en volume, à l’échelon municipal. Du coup, la fragmentation que vous évoquiez implique la multiplication des projets, ce qui explique de facto l’importance de l’investissement public local. Si les dépenses totales d’investissement représentent, en pourcentage, le poste budgétaire le plus important des régions, c’est à l’échelon municipal qu’elles sont le plus importantes en volume.

En ce qui concerne les PPP, nous avons réalisé une enquête auprès de quelque 300 collectivités locales de pays membres de l’Union européenne. Seules 15 % d’entre elles ont davantage utilisé ce dispositif depuis 2010. Les autres collectivités n’expriment aucune opinion, ou ont moins eu recours aux PPP. Ces outils sont très complexes et la plupart des collectivités n’ont pas les capacités techniques d’y recourir dans de bonnes conditions. Nous avons donc tendance à considérer que les PPP sont utiles pour les grandes collectivités, les grandes agglomérations, mais pas forcément pour les petites villes, à moins d’une mutualisation.

M. Olivier Audibert Troin. Je reviens à mon tour sur l’utilisation des PPP, dont vous soulignez à raison la complexité. Reste que les sociétés publiques locales (SPL), qui se développent dans les départements, accompagnent l’ensemble des communes sur le plan technique. Je ne suis pas convaincu que l’argument de la technicité – laquelle s’est par ailleurs assez simplifiée ces dernières années – soit le bon. Nous bénéficions – c’est une chance – de taux d’intérêt très bas et les collectivités, grâce à leur gestion patrimoniale, disposent encore d’une certaine marge de manœuvre en matière d’endettement. Toutefois, aujourd’hui, la difficulté vient essentiellement de l’impact de la baisse des dotations sur l’équilibre des sections de fonctionnement. Or le PPP implique le paiement d’un loyer, qui s’impute sur la section de fonctionnement. Le souci de l’équilibre budgétaire est donc à mes yeux la principale raison pour laquelle les collectivités ne se jettent pas dans les bras des organismes financiers pour lancer des PPP.

Vous nous avez montré que, malgré la réduction des recettes de fonctionnement et en particulier la baisse des dotations, certaines dépenses restent incompressibles, comme celles liées au personnel – la masse salariale augmente en effet inexorablement – ou comme les dépenses sociales – dont vous avez souligné à plusieurs reprises l’accroissement. Or les dépenses sociales, en France, ont été dévolues en grande partie aux départements. Ces dépenses, dans les autres pays européens, sont-elles du ressort de l’État ou bien ont-elles été, à la faveur d’un processus de décentralisation ou du fait d’une organisation fédérale de l’État, confiées aux pouvoirs infranationaux ? Quid, selon vous, de l’impact sur l’investissement public du transfert de la dépense sociale à un échelon infranational ?

M. Luiz de Mello. Au-delà de la question des PPP, il convient d’analyser les différentes modalités de financement des investissements, depuis les concessions traditionnelles jusqu’à la privatisation des services, en passant par les marchés publics. Chaque mode de financement exige des capacités ainsi que des approches juridiques et institutionnelles différentes.

Outre la nécessité de gérer la dépense dans le cadre de leur budget annuel, certaines administrations locales mettent en avant la dimension intertemporelle des investissements, que vous venez d’évoquer, ainsi que le risque inhérent aux PPP pour expliquer leur hésitation à conclure de tels partenariats. Afin de faciliter le choix par les collectivités locales de ces modalités d’investissement, nous venons de lancer une étude tenant compte de ces enjeux. Les situations varient beaucoup en la matière selon les pays de l’OCDE : certains ont une longue tradition de recours aux PPP au niveau infranational, comme le Royaume-Uni ou le Canada, d’autres moins.

Je laisserai Isabelle Chatry vous répondre s’agissant des dépenses sociales, mais je précise que nous vous avons apporté plusieurs publications dont le fascicule qui vous a été distribué : Les gouvernements infranationaux dans les pays de l’OCDE : chiffres clés. Édition 2015. Nous y déclinons des indicateurs permettant de comparer les collectivités locales dans le temps et dans l’espace, sous plusieurs aspects liés aux finances publiques. On constate dans de nombreux pays un accroissement continu des dépenses courantes, soit d’ordre social, soit servant à financer d’autres programmes de maintenance ou de consommation intermédiaire. S’agissant des programmes sociaux, je vous ai présenté un graphique illustrant la différence de niveau de dépenses entre la France et les autres pays de l’OCDE, selon les secteurs concernés. Ainsi le poids du logement dans les investissements publics locaux est-il plus important dans l’hexagone qu’ailleurs.

Mme Isabelle Chatry. Dans les pays de l’OCDE, les dépenses sociales représentent 12 % en moyenne des dépenses infranationales. Mais la part des dépenses sociales dans les dépenses publiques infranationales y est plus faible, car elles restent essentiellement prises en charge par l’État, notamment dans les pays nordiques tels que le Danemark (55 %), la Norvège et la Suède, ainsi que dans les pays fédéraux. De plus, la crise a entraîné un mouvement de décentralisation de certains postes de dépenses sociales, notamment aux Pays-Bas, en Pologne et au Royaume-Uni, l’objectif étant de rapprocher les prestations sociales des citoyens, pour plus d’efficacité.

En réalité, ce n’est pas parce que les dépenses sont décentralisées que les collectivités locales se voient attribuer un pouvoir de décision sur celles-ci. Il faudrait plutôt parler de déconcentration, puisque les réglementations relatives aux prestations sociales sont décidées par le pouvoir central pour être appliquées au niveau local, comme c’est notamment le cas en France. C’est pourquoi l’OCDE préconise l’évaluation de l’impact des réglementations, de l’adoption de nouvelles normes, sur les finances locales. Il existe à cet égard des méthodes et des bonnes pratiques auxquelles recourent déjà certains pays comme l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas, et dont pourrait s’inspirer la France.

M. Luiz de Mello. L’OCDE publiera la semaine prochaine des Perspectives de la politique de réglementation 2015 consacrées notamment à l’évaluation des normes. Nous avons en effet constaté des différences très importantes en la matière entre les pays membres de notre organisation. La plupart d’entre eux ont déjà une culture de l’évaluation ex ante du coût chiffré de la réglementation et de son impact sur la vie économique. Sont beaucoup moins fréquentes l’évaluation ex post de l’impact réel des lois et règlements promulgués au regard de leurs effets attendus, de même que celle de l’impact des décisions prises au niveau central sur les administrations infranationales. Il s’agit là d’une lacune importante dans la plupart des pays. L’Allemagne a toutefois l’habitude de procéder à l’analyse de toute réglementation nouvelle et à une réévaluation des normes, des procédures et des règlements au fur et à mesure. Cette évaluation revêt une grande importance en termes d’investissements car certaines normes relatives au maintien du patrimoine et des infrastructures existantes peuvent entraîner des coûts de maintenance, au-delà du coût des nouveaux investissements.

M. Olivier Audibert Troin. Vous souligniez à l’instant, madame Chatry, que les autorités centrales imposent des normes aux collectivités, mais les parlementaires qui déposent des propositions de loi ne réfléchissent guère non plus à leurs conséquences financières. En France, l’évaluation des normes doit-elle, selon vous, être assurée par la Cour des comptes ? À l’étranger, l’est-elle par des organismes indépendants ?

Mme Dorothée Allain-Dupré. Il existe plusieurs modèles. Aux Pays-Bas, les collectivités locales sont depuis peu directement associées à un organisme pour discuter avec le gouvernement central de l’impact des nouvelles normes et essayer d’en limiter l’inflation.

Mme Isabelle Chatry. En Allemagne, un organisme appelé Nationaler Normenkontrollrat (NKRG) contrôle l’ensemble des textes de loi et ordonnances proposés par le Gouvernement et le Parlement. Il émet ensuite des avis quant à leur impact sur les collectivités et les finances locales. Cette évaluation est également effectuée à l’échelle des États fédérés qui ont eux aussi un pouvoir normatif vis-à-vis des collectivités locales.

Mme Dorothée Allain-Dupré. En Australie, les États fédérés procèdent systématiquement à une évaluation de l’impact des nouvelles normes.

M. Luiz de Mello. Si les modalités de l’évaluation et le niveau d’administration qui en est responsable varient d’un pays à l’autre, la plupart des mécanismes permanents d’évaluation existants relèvent davantage du pouvoir exécutif que du pouvoir législatif. Cela mérite d’être souligné, dans la mesure où une bonne part des normes est d’origine parlementaire.

Mme Isabelle Chatry. Dans les pays fédéraux – ou les plus décentralisés, comme le Danemark, la Finlande ou la Suède –, le dialogue entre l’État et les collectivités locales est très développé, et même institutionnalisé, de sorte que l’échelon local est associé à l’élaboration de chaque nouvelle loi et par conséquent, à l’évaluation ex ante de leur impact. Sans doute cela manque-t-il dans d’autres pays ainsi qu’au niveau de l’Union européenne, au sein de laquelle le Comité des régions (CdR) n’a pas vraiment cette fonction. En France, il existe bien des instances telles que le Comité des finances locales (CFL), mais le dialogue n’est pas institutionnalisé à cette fin d’évaluation.

M. le président Alain Fauré. Nous disposons en France d’un Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (CNEN), mais il n’intervient, hélas, qu’a posteriori, pour constater l’incidence financière des programmes lancés sur les collectivités.

Le Canada a connu une réforme importante à tous les échelons. Y a-t-on observé par la suite des améliorations ainsi qu’une concentration de la population du fait de l’optimisation et de la rationalisation des dépenses ? La question se pose pour un pays touristique comme la France où les activités sont disséminées sur tout le territoire.

M. Luiz de Mello. Les Canadiens ont mené une politique très décentralisée de développement régional et territorial, tenant compte des particularités d’un pays très fragmenté, à la population diversifiée et à la superficie immense. Mais je ne saurais vous répondre de façon précise sur l’impact des réformes qui y ont été menées.

Mme Dorothée Allain-Dupré. Si le Canada est un pays fédéral, par définition très décentralisé, le gouvernement central est également très présent sur le territoire, dans chacune des provinces, à travers des agences de développement régional très puissantes élaborant la stratégie d’investissement du territoire concerné en coordination avec les provinces et les municipalités. Le dialogue entre l’État et les collectivités y est donc très développé.

M. le président Alain Fauré. Les secteurs pris en compte dans les analyses que vous nous avez présentées – logement, équipements collectifs, éducation – ne sont pas répertoriés de la même façon d’un pays à l’autre. Que recouvrent-ils pour vous ? Je suis frappé par le fait que les dépenses d’investissement les plus importantes des collectivités françaises concernent le logement et les équipements collectifs.

Mme Isabelle Chatry. Nous utilisons une nomenclature des comptes nationaux intitulée « classification des fonctions des administrations publiques » (CFAP). Dix fonctions ont été déterminées dans le cadre de ce système international, utilisé par les Nations unies et l’OCDE et appliqué partout, y compris en France. La catégorie « logement et équipements collectifs » inclut notamment le réseau d’eau potable – les eaux usées relevant de la fonction « environnement » –, l’éclairage public et les équipements des collectivités. La fonction « affaires économiques » recouvre les infrastructures de transport, les zones d’activité économique et le soutien à l’investissement dans les réseaux d’énergie et de télécommunications. La section « santé » désigne essentiellement les hôpitaux et les soins primaires. La rubrique des « services publics généraux », assez diverse, inclut désormais la recherche-développement à la suite de l’adoption en 2008 d’une nouvelle méthodologie, en vigueur depuis 2014.

Le fait que la recherche-développement ne soit plus considérée comme de la consommation intermédiaire, mais comme de la formation brute de capital fixe (FBCF), explique d’ailleurs pourquoi l’on considère désormais que les investissements publics ne sont plus réalisés qu’à 60 % par les collectivités locales en France, au lieu de 75 % auparavant. Cette catégorie comprend aussi les bâtiments publics sans fonction précise. La rubrique « loisirs et culture » renvoie par exemple aux médiathèques et aux équipements sportifs. L’éducation comprend les écoles, les collèges, les lycées et les universités dans les pays où la compétence relève des collectivités locales. Il est vrai que le contenu des rubriques varie d’un pays à l’autre en fonction de la répartition des compétences entre niveaux d’administration publique.

M. le rapporteur. Afin d’éviter toute confusion, je tiens à préciser qu’un loyer de PPP ou un remboursement de dette s’impute de la même façon sur la section de fonctionnement du budget des collectivités locales.

M. Olivier Audibert Troin. Un remboursement d’intérêts, oui, mais pas de capital.

M. le rapporteur. Certes, mais le capital doit être couvert par de l’autofinancement, de sorte que cela revient au même.

Le PPP présente l’avantage de faire payer l’usager davantage que le contribuable, par le biais d’une redevance. Pour cette raison, on peut y recourir pour la réalisation, par exemple, de grandes infrastructures autoroutières.

Quant au niveau de dépenses sociales des collectivités locales, il dépend aussi du modèle social choisi par un pays : on ne saurait comparer les dépenses sociales en France et aux États-Unis, puisque, dans le premier cas, quasiment tous les services sociaux sont collectifs alors que, dans le second, tout ou presque relève d’assurances privées.

Les différences en termes de répartition de compétences pèsent également dans la balance. Dans le secteur éducatif, par exemple, si certaines universités reçoivent des aides dans le cadre des contrats de plan État-région, elles relèvent de la compétence de l’État. Un tel choix politique n’est ni à blâmer ni à encourager. Simplement, on ne parle pas toujours de la même chose dans la mesure où tous les pays n’ont pas la même organisation territoriale.

La baisse de l’investissement public local ayant frappé les pays de l’OCDE avant la France a-t-elle eu des conséquences sur la croissance ? N’est-ce pas une ineptie aujourd’hui que de décourager l’investissement en menant une action procyclique plutôt que contracyclique ?

Mme Isabelle Chatry. Mathématiquement, cette baisse a effectivement affecté la croissance dans la mesure où la FBCF fait partie du PIB. Ce peut être salutaire pour les comptes publics à court terme, mais aussi avoir des effets néfastes à moyen et long terme sur la croissance, dès lors que l’investissement reste inférieur au taux de renouvellement des infrastructures.

M. Luiz de Mello. Il est difficile de répondre à la question. La réponse est affirmative du point de vue comptable, c’est-à-dire à court terme. Mais c’est là un enjeu moins intéressant que celui de l’impact d’une baisse des investissements sur le taux de croissance potentielle de nos économies. La plupart des pays de l’OCDE traversent une période de croissance très faible de la productivité : le moteur de la croissance à long terme peine à redémarrer. Nous ne saurions malheureusement vous dire clairement si le redressement de l’investissement public aura un impact négatif sur la capacité de nos économies à maintenir des taux de croissance raisonnables et durables. Cela varie d’un pays à l’autre en fonction du type d’investissements effectués aux niveaux infranational et national, de leurs modalités et de la répartition des compétences.

M. le président Alain Fauré. Parmi les chiffres figurant dans vos graphiques, il manque peut-être les taux de prélèvements obligatoires, car qui dit investissement public dit financement par le public et donc accompagnement par la fiscalité.

Mme Isabelle Chatry. Cette donnée figure dans le fascicule dont j’ai parlé.

M. le président Alain Fauré. Les pays qui ont engagé une diminution de leurs investissements publics ont-ils compensé celle-ci par une baisse de la fiscalité, libérant d’autant la possibilité pour le secteur privé d’investir ?

Mme Isabelle Chatry. S’agissant du lien entre croissance et investissement, j’ajouterai qu’un désinvestissement ou un sous-investissement déprécie à moyen et long terme le patrimoine local, et cela peut finalement coûter plus cher à terme et grever la croissance future.

Nous disposons effectivement d’éléments quant à la part des recettes fiscales dans les finances locales. Dans la plupart des pays de l’Union européenne et de l’OCDE, les recettes fiscales sont reparties à la hausse en raison de nombreuses réformes de la fiscalité. De nouveaux impôts locaux ont été créés et, en cas de fiscalité partagée, la part versée aux collectivités locales a augmenté. En d’autres termes, la décentralisation fiscale s’est accrue. Ces réformes ont permis aux collectivités locales de faire face à la baisse des dotations grâce à un pouvoir fiscal plus fort.

D’autre part, on constate une légère hausse des recettes tarifaires et des redevances, qui constituent aussi un moyen de financement des infrastructures nouvelles. Quant à savoir s’il revient à l’usager plutôt qu’au contribuable de payer une partie des infrastructures, cela relève d’un choix politique.

Mme Dorothée Allain-Dupré. L’impact de l’investissement public sur la croissance est surtout déterminé par les conditions dans lesquelles il est réalisé, et en particulier par la coordination entre secteurs dans les stratégies d’investissement. Plus les investissements sont effectués de manière intégrée, dans le cadre d’une complémentarité avec les transports, le capital humain et l’éducation, plus l’impact sur la croissance potentielle à long terme sera élevé. Certains de nos travaux montrent que l’impact de l’investissement est supérieur lorsque sont définies des stratégies multisectorielles, adaptées à des territoires précis, plutôt que des stratégies sectorielles nationales totalement déconnectées entre elles.

M. le président Alain Fauré. Les investissements sont en effet beaucoup plus efficaces dès lors qu’ils sont réalisés en tenant compte de spécificités locales.

M. Luiz de Mello. Assurer cette cohérence intersectorielle et intertemporelle suppose toutefois que nous disposions d’une capacité de comparaison chiffrée beaucoup plus poussée qu’auparavant. Or, nous sommes désormais en mesure d’évaluer l’impact des politiques non seulement sur la croissance, mais aussi sur d’autres aspects importants du point de vue du bien-être de la population. Nous disposons notamment d’une étude et d’une base de données nous permettant de comparer plusieurs indicateurs tels que l’accès aux services publics de l’éducation, de la santé et du logement au niveau régional. Nous y comparons les collectivités rurales et urbaines, ce qui nous fournit beaucoup plus d’éléments de réflexion qu’il y a deux ou trois ans.

Nous nous sommes appuyés sur une logique de cohérence intersectorielle – terme qui peut paraître froidement technique, mais qui renvoie en fait à des données dont nous disposons désormais quant aux préférences des populations locales, à l’accès aux services et à la durabilité environnementale de la vie économique. Cette base de données est révolutionnaire en ce qu’elle nous permet d’aller au-delà des seuls enjeux de revenu économique et nous aide à réfléchir à la cohérence des investissements. Il y a quelque temps, nous mettions surtout l’accent sur l’aspect intertemporel des investissements, c’est-à-dire sur la capacité à définir des plans d’investissement pluriannuels et à les articuler avec les lois de finances annuelles. Aujourd’hui, nous pouvons mesurer les résultats des interventions des administrations locales et nationales à l’aune d’une multitude d’indicateurs allant bien au-delà de la dimension « finances publiques ».

M. le rapporteur. La question du climat et de la transition écologique est aujourd’hui fondamentale, et les « gouvernements infranationaux » vont avoir un rôle considérable à jouer dans la réussite de cette transition. Disposez-vous d’études chiffrées illustrant cet aspect ? Lors de leur audition, le Groupement des autorités responsables de transport (GART), l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) et les professionnels de l’eau m’ont fait part de leurs inquiétudes quant aux investissements qui vont être retardés, voire diminués. Or les transports publics sont un enjeu considérable de cette transition.

M. Luiz de Mello. Nous travaillons beaucoup sur la gouvernance de l’eau, notamment sur la manière de gérer les usages concurrents – consommation humaine, agriculture, production d’énergie – ainsi que sur l’accès à l’eau et sur son coût. Nous réalisons de plus en plus d’études sur les questions d’environnement, en essayant de penser l’apport des administrations locales à la transition vers une économie moins intensive en carbone.

Mme Isabelle Chatry. S’agissant de la contribution des collectivités locales à la gestion de l’enjeu climatique, nous menons actuellement un travail approfondi à l’OCDE, en lien avec d’autres directions, pour élaborer des indicateurs, mais nous ne pouvons vous en fournir pour l’instant.

Mme Dorothée Allain-Dupré. Une étude que nous avons publiée en 2006, Cities and climate change, fait apparaître que, dans les pays de l’OCDE, 75 % du CO2 est émis par les villes. Ces dernières sont donc de toute évidence les acteurs-clés d’un changement qui doit être opéré de façon partenariale.

M. le président Alain Fauré. Nous vous remercions pour ces informations, fort utiles dans le cadre de notre enquête.

L’audition s’achève à quatorze heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mardi 20 octobre 2015 à 13 heures 30.

Présents. – M. Olivier Audibert Troin, M. Alain Calmette, M. Alain Fauré, Mme Régine Povéda, M. Nicolas Sansu, M. Claude Sturni.

Excusés. – M. Éric Alauzet, Mme Catherine Beaubatie, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Jeanine Dubié, M. Laurent Furst, Mme Marie-Lou Marcel.