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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

MARDI 7 OCTOBRE 2014

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 22

Présidence de
M. Alain BOCQUET, Président

Audition de Mme Françoise Sampermans, présidente, et Mme Gwenaëlle Dufour, directrice juridique et fiscale de France Générosités ; de Mme Agnès de Fleurieu, vice-présidente, et Mme Nathalie Blum, directrice générale du Comité de la Charte.

    L’audition débute à dix-sept heures dix.

    M. le président Alain Bocquet. Mesdames, nous vous souhaitons la bienvenue. Les auditions conduites jusqu’ici ont montré l’importance de la générosité publique pour les associations : si toutes ne sont pas concernées au même titre, chacune est confrontée un jour ou l’autre à la question du don.

    France Générosités est le syndicat professionnel des organismes faisant appel aux générosités. Fort de ses 81 membres, il représente plus de la moitié des dons et legs collectés auprès du grand public.

    Le Comité de la Charte du don en confiance est un organisme à but non lucratif, qui exerce depuis 25 ans une mission de contrôle de l’appel à la générosité publique, fondée sur l’élaboration de règles de déontologie, sur l’agrément des organismes volontaires pour se plier à une discipline collective vis-à-vis des donateurs, et sur le contrôle continu des engagements souscrits.

    Nous souhaitons bénéficier de votre expertise, être à l’écoute de vos observations et de vos propositions sur la manière de promouvoir les dons des personnes privées, particuliers ou entreprises, ainsi que sur les qualités et défauts du cadre juridique et fiscal des dons. Nous n’oublierons pas l’impératif de transparence qui s’attache à la gestion des fonds ainsi récoltés, et nous serons attentifs à ce que vous pourrez nous dire de l’essor du financement participatif.

    Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (Mmes Françoise Sampermans, Gwenaëlle Dufour, Agnès de Fleurieu et Nathalie Blum prêtent serment)

    Mme Françoise Sampermans, présidente de France Générosités. Merci de nous recevoir. En effet, les 81 organismes adhérents de France Générosités sont ceux qui dépendent le plus de la générosité du public. Le plus gros d’entre eux, la Croix-Rouge, en tire une part importante de ses ressources même s’il est largement subventionné et vit aussi de ses prestations. Le plus petit est l’Association Laurette Fugain, que nous venons d’accueillir et qui lutte contre les maladies du sang.

    Le syndicat a été créé en 1998 après le scandale de l’ARC (Association pour la recherche sur le cancer), dont tous se souviennent, hélas, en particulier les donateurs. Il s’agissait pour les adhérents – associations et organismes non lucratifs – de se réunir, de partager leur expérience, et surtout de défendre leurs intérêts et leur image, très entamée dans les années 1990. Depuis lors, la situation s’est nettement améliorée grâce aux dispositifs de contrôle et à l’action des organismes comme le nôtre.

    Outre qu’il défend les intérêts de ses membres, le syndicat informe et forme les publics concernés à propos des aspects juridiques et fiscaux de la collecte ; assure un travail de veille, d’expertise et d’information ; accompagne et soutient ses adhérents dans leur stratégie de collecte ; réalise des études marketing et juridiques pour leur compte ; mutualise certains services ; enfin, il s’occupe de promouvoir la générosité privée par des campagnes institutionnelles.

    Rappelons brièvement le contexte global. Les financements publics connaissent depuis plusieurs années une baisse marquée ; vous connaissez les statistiques, je n’y reviens pas. Parallèlement, les besoins croissent avec la paupérisation de la population, mais peut-être aussi sous l’effet d’exigences croissantes en matière de soins, d’accompagnement, d’humanitaire, de recherche. Le budget qui nous est nécessaire augmente en conséquence. Or la générosité publique stagne. Après une période de croissance, de 4 à 6 % par an suivant les années, les donateurs sont moins généreux depuis deux ans, en raison de la crise et peut-être de la pression fiscale. Nous avons la grande chance de connaître une stagnation plutôt que la baisse que nous avons crainte et anticipée dès 2012 : il n’y a pas de véritable catastrophe, ce qui signifie que nos donateurs restent fidèles.

    En revanche, 92 % des dons émanent des mêmes donateurs : leur renouvellement est relativement faible, ce qui est inquiétant pour l’avenir. Il est vrai que les jeunes sont de moins en moins enclins à donner, pour des raisons bien connues. Nous sommes donc à la recherche de modes de collecte plus adaptés à leur culture et à leur réactivité.

    Nos adhérents – je ne parlerai qu’en leur nom – disposent de ressources globales de 5,5 milliards d’euros, dont pas moins de 2 milliards proviennent de la générosité du public. Ils se décomposent en 52 % de dons, 25 % de legs, donations et libéralités, 10 % de concours d’organismes privés – redistribution de la part de fondations, mécénat d’entreprise – et 13 % issus des autres produits de la générosité : événementiel, ventes aux enchères, manifestations, courses, etc.

    Quels sont aujourd’hui nos besoins ?

    D’abord, le maintien des avantages fiscaux existants. Il y a eu depuis trois ans plusieurs tentatives de remise en cause du taux de défiscalisation applicable à l’impôt sur le revenu, à l’impôt de solidarité sur la fortune et même au mécénat d’entreprise. À nos yeux, il faut préserver ce système extrêmement incitatif auquel les Français sont très attachés. Si l’on touchait à la défiscalisation, fût-ce à la marge, la baisse de nos ressources serait sinon proportionnelle – les plus convaincus continueront de donner –, du moins significative. Or notre secteur n’est guère doté en fonds propres, de sorte que nos ressources ne sont pas assurées d’une année sur l’autre. La défiscalisation est donc capitale pour nous.

    Nous appelons également de nos vœux la stabilisation du cadre fiscal et juridique de nos activités. Chaque année, les donateurs comme les organisations se demandent si les dispositions applicables aux dons vont perdurer l’année suivante. Or la prévisibilité à moyen et à long terme est essentielle, ne serait-ce que pour appliquer des programmes de recherche médicale ou encore des programmes humanitaires.

    Troisièmement, nous souhaitons une définition plus précise de la notion d’intérêt général, qui détermine les autorisations accordées aux associations de délivrer des reçus fiscaux. En la matière, le système administratif est complexe et peut se révéler aléatoire.

    Un problème auquel nous avons été confrontés de manière annexe est la territorialité des dons.

    Mme Gwenaëlle Dufour, directrice juridique et fiscale de France Générosités. Le problème est celui du mécénat qui finance les actions menées à l’étranger par des structures françaises, dont les conditions de défiscalisation font l’objet d’une discussion avec l’administration fiscale. L’insécurité est très grande pour toutes ces structures dont l’activité contribue au rayonnement de la France à l’étranger et conditionne le financement réciproque par des structures étrangères d’actions conduites sur notre territoire – dans l’enseignement, par exemple.

    Mme Françoise Sampermans. Nous avons également besoin d’une promotion de la générosité privée puisque celle-ci nous est de plus en plus indispensable. Naturellement, cela relève de notre responsabilité, mais on pourrait imaginer des actions communes. Je ne parlerai pas du bénévolat, puisque nous ne sommes pas chargés des aspects humains, bien que nos adhérents recourent à nombre de bénévoles et de salariés.

    Nous avons enfin besoin de chercher de nouveaux donateurs, donc de développer de nouveaux modes de collecte. Le don par Internet et le prélèvement automatique se sont beaucoup développés au cours des dernières années. Le don par SMS, très prometteur, nécessite un encadrement législatif ; peut-être pourriez-vous interférer en notre faveur à cette fin.

    Mme Gwenaëlle Dufour. À l’heure où les donateurs vieillissent et où nous avons du mal à en trouver de nouveaux, le don par SMS permettrait de toucher une cible jeune, que nous pourrions fidéliser en instaurant un prélèvement automatique par le même canal. Le secteur a beaucoup travaillé avec les opérateurs téléphoniques pour élaborer une offre, des tests ont été réalisés, mais la directive communautaire sur les services de paiements de 2007, qui a fait l’objet d’une interprétation très restrictive, empêche d’aller plus loin sauf à ce que les opérateurs téléphoniques se fassent agréer comme opérateurs de paiement, ce qu’ils ne souhaitent pas. Si nous nous permettons de vous solliciter à ce sujet, c’est parce que la directive est en cours de renégociation.

    Parmi les nouvelles techniques, le financement participatif ou crowdfunding, que vous avez évoqué, monsieur le président, et sur lequel on a récemment légiféré, mérite toute notre attention, mais comporte quelques limites. D’abord, et même s’il est difficile d’en évaluer le poids, on parle de 20 millions d’euros de dons – tous dons confondus, y compris ceux qui ne vont pas à des structures d’intérêt général mais à des particuliers, par exemple. Ensuite, le crowdfunding finance des projets, non l’action associative ni le fonctionnement des structures. Enfin, il suppose que le projet soit suffisamment séduisant pour attirer les donateurs, ce qui en exclut certains, plus difficiles d’accès. Gardons ces réserves à l’esprit même s’il s’agit d’un très bel outil qu’il importe de promouvoir.

    Mme Françoise Sampermans. J’aimerais enfin souligner trois difficultés que nous rencontrons et sur lesquelles nous souhaitons appeler votre attention.

    La première, qui concerne nombre de nos adhérents, touche à la taxe transport, à propos de laquelle j’espère que nous pourrons trouver ensemble une solution acceptable.

    La deuxième engage l’allocation des subventions publiques, attribuées en fonction d’appels à projets mais dont le règlement est souvent tardif, ce qui oblige les structures à assurer la trésorerie dans l’intervalle tout en lançant le projet dans les délais acceptés par les services territoriaux ou les ministères. Il faudrait inciter les administrations publiques à verser les subventions promises dans des délais acceptables.

    Enfin, nos adhérents subissent de très nombreux contrôles de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales alors que la plupart d’entre eux sont déjà obligés de recourir à un commissaire aux comptes – ce qui est parfaitement logique – et appartiennent souvent au Comité de la Charte, sur la base du volontariat. Ces contrôles les mobilisent pendant plusieurs semaines. Nous tenons à la transparence vis-à-vis des donateurs, que nous développons en nous donnant des règles de déontologie et d’éthique, mais nous aimerions que ces procédures soient allégées, sans perdre leur rigueur.

    Au total, le secteur est fragilisé par la baisse des subventions, la croissance des besoins et la stagnation des dons. Il subit la concurrence du secteur public puisque universités, hôpitaux, services du patrimoine et collectivités territoriales – celles-ci pouvant créer, par exemple, des fonds de dotation – font désormais appel à la générosité privée alors même que l’assiette de donateurs est inchangée. La concurrence est nécessaire, c’est une source de créativité, mais ce contexte est pour nous extrêmement difficile.

    Je souhaite que nous trouvions ensemble les moyens de soutenir la générosité du public, peut-être en en faisant une grande cause nationale ou l’objet d’une journée de la générosité, afin d’éveiller les consciences.

    Mme Agnès de Fleurieu, vice-présidente du Comité de la Charte. Nous avons nous aussi peu de moyens de fonctionnement et beaucoup de bénévoles. Ces derniers, que leur parcours professionnel a généralement préparés à accomplir les tâches que nous leur confions, bénéficient également d’une formation continue. Grâce aux associations de taille diverse qui siègent au sein de notre conseil d’administration, et du fait des contrôles auxquels nous procédons, nous connaissons bien la vie et les difficultés du monde associatif. Nous confirmons bien des constats établis dans le rapport préparatoire aux travaux de votre commission d’enquête ; nous pouvons proposer des pistes de solution, mais elles ne seront pas révolutionnaires compte tenu du rôle que nous jouons par ailleurs.

    Mme Nathalie Blum, directrice générale du Comité de la Charte. Le Comité de la Charte est né en 1989 de la volonté des associations d’encadrer par des règles de déontologie l’appel à la générosité du public : avant même le scandale de l’ARC, le secteur avait perçu que la confiance était un élément déterminant du don. Nous avons donc pour mission d’élaborer la déontologie du secteur de la générosité publique, de délivrer un agrément aux organisations et de les soumettre à un contrôle continu.

    À l’origine, nos adhérents étaient plutôt issus du secteur humanitaire et social ; aujourd’hui, le Comité est ouvert à tous les secteurs relevant de l’intérêt général, une notion qui n’est pas toujours aisée à définir, et de l’appel à la générosité du public, qui s’adressait d’abord, à l’origine, aux personnes privées, mais inclut aussi le mécénat.

    Le Comité de la Charte regroupe près de 80 organisations, associations et fondations de taille diverse – à partir de 500 000 euros de ressources privées –, qui recourent à des bénévoles ou à des salariés et représentent au total 40 % de la générosité publique. 40 %, c’est à la fois beaucoup et relativement peu. En effet, nous n’intégrons pas les structures politiques, cultuelles ou syndicales. Ensuite, toutes les associations et fondations qui sont de notre ressort n’adhèrent pas : l’adhésion dépend d’une démarche volontaire, le secteur se dotant lui-même de ses règles de déontologie. Enfin, même celles qui entament le processus d’adhésion ne le mènent pas toutes à leur terme, car il est particulièrement exigeant.

    Au sein de notre association, ce sont des bénévoles qui accomplissent notre mission.

    Les contrôles que nous exerçons se fondent sur quatre critères : règles de fonctionnement statutaire et gestion désintéressée, rigueur de la gestion, qualité de la communication et des actions de collecte de fonds, transparence financière. C’est parce qu’ils sont irréductibles à des contrôles strictement financiers qu’ils nous permettent de connaître de l’intérieur nos adhérents, leurs problèmes de gouvernance, leur difficulté à pérenniser leur action, à anticiper, à élaborer de nouvelles stratégies.

    Mme Agnès de Fleurieu. À la baisse des financements publics s’ajoutent deux autres difficultés.

    D’abord, les associations, qui consacrent l’essentiel de leur énergie à agir sur le terrain, ont souvent peu de personnels compétents en matière de gestion, ce qui les pénalise dans la période actuelle de difficultés financières. Ce problème épargne les plus grandes mais pèse sur les moyennes ainsi que sur les plus petites – nous le savons même si elles ne sont pas représentées au Comité.

    Ensuite, la baisse des financements publics ne peut pas être anticipée, sinon de manière générale compte tenu du contexte actuel. L’administration qui instruit les demandes de subvention y répond avec retard, car elle a elle-même perdu beaucoup d’effectifs avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) et ses avatars. Ainsi, une association peut apprendre, un an après avoir déposé sa demande, qu’on lui rogne 50 % de sa subvention, voire qu’elle n’y a plus droit du tout faute de satisfaire à tel ou tel critère. Dans l’intervalle, elle a continué de fonctionner, d’engager des dépenses, de financer des projets.

    Il serait donc souhaitable que nous puissions programmer avec les associations la diminution des financements publics, si celle-ci doit inéluctablement se poursuivre au cours des trois à cinq ans à venir. Nous avons besoin de savoir si la baisse sera de 20 % par an, ou différenciée selon tel ou tel critère, etc.

    Nous nous inquiétons aussi de la modification éventuelle de la clause de compétence générale des collectivités, car nombre d’associations vivent d’une multiplicité de subventions – un empilement, dit-on, mais il leur apporte des ressources cumulées.

    Plus généralement, il faudrait un plan d’ensemble pour le secteur associatif, incluant la sécurisation du régime fiscal à propos de laquelle nous sommes entièrement d’accord avec France Générosités. Les associations ont besoin de connaître par avance les financements dont elles disposeront au cours des années à venir. On pourrait même imaginer des dispositifs contractuels qui les associent à la programmation de la baisse des financements. Tout plutôt que l’incertitude actuelle !

    Par ailleurs, pour pouvoir en appeler davantage à la générosité publique, il faut inspirer davantage confiance aux donateurs. De nombreux acteurs espèrent conserver leur part des financements publics alors que ceux-ci sont en baisse. Dans l’appel aux dons privés, ils sont en outre concurrencés par de nouveaux intervenants, comme le Louvre par exemple. D’où le besoin de nouveaux modes de financement – ce que les fonds de dotation ne sont pas. L’appel à de nouveaux donateurs pose toutefois des problèmes de prospection et de fiscalité.

    Peut-être faut-il également développer la formation, qui pourrait aider les dirigeants associatifs à faire face à leurs difficultés financières et, en leur donnant l’occasion de rencontrer les acteurs du secteur marchand, à préparer une éventuelle reconversion.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. Merci pour ces exposés très précis. La stabilité des dons est encourageante, mais le renouvellement des gisements paraît nécessaire. À cet égard, nous avons bien noté que les nouvelles technologies sont susceptibles d’attirer les jeunes générations. D’une manière générale, il s’agit de développer la générosité privée. Celle-ci étant davantage mise à contribution dans d’autres pays, pouvez-vous établir une comparaison avec d’autres pays européens ? Mais comment lui donner plus de place tout en préservant l’impératif de transparence, l’intérêt général et l’initiative associative au sens de la loi de 1901 ? Telles sont les pistes qu’il faudra continuer d’explorer pour pallier une conjoncture économique défavorable.

    M. Frédéric Reiss. Grâce à la position que vous occupez dans le monde associatif, vous nous offrez sur les questions qui nous préoccupent une précieuse vue d’ensemble.

    J’aurais aimé en savoir un peu plus sur le problème de la territorialité des dons et sur les solutions envisageables.

    Le renouvellement des donateurs est lui aussi problématique : 92 % des dons, dites-vous, viennent des donateurs fidèles. En va-t-il de même du renouvellement des dirigeants associatifs ? Vu les responsabilités, notamment pénales, qu’ils endossent, on peut le concevoir. La formation n’est sans doute pas la seule solution à ce problème.

    Mme Isabelle Le Callennec. Comme vous, j’ai observé l’émergence d’une forme de concurrence pour capter la générosité du public. Vous appelez de vos vœux des campagnes communes d’appel à la générosité privée. Mais l’espace publicitaire vous est-il donné ou vendu ? Et, dans la seconde hypothèse, ne faudrait-il pas commencer par le rendre gratuit pour vos organisations ?

    À propos du financement participatif, vous avez parlé de 20 millions d’euros de dons : est-ce beaucoup ? Est-ce peu ?

    Enfin, existe-t-il un profil type de donateur et celui-ci évolue-t-il ? Vous dites que les donateurs sont très attachés à la défiscalisation de leurs dons, mais je connais beaucoup de personnes qui donnent pour donner, sans rien espérer en retour.

    Mme Bernadette Laclais. Peut-on vraiment parler de concurrence au sujet des collectivités, qui lancent généralement des souscriptions très limitées – limitées au patrimoine, en particulier ?

    On peut concevoir que les jeunes générations soient plus sensibles aux nouveaux outils technologiques, même si des personnes plus âgées les emploient aussi beaucoup. Mais peut-on espérer que les jeunes, en vieillissant, deviennent donateurs, ou leur réticence à donner s’explique-t-elle par une évolution culturelle ? Autrement dit, si les jeunes ne donnent pas, est-ce parce qu’ils ont d’autres préoccupations et moins de ressources, ou parce qu’ils sont les premiers témoins d’une désaffection profonde de notre société à l’égard du don ?

    Enfin, le don comporte des spécificités locales, qui peuvent être affaire de contexte plus que d’histoire. Ainsi, mon département a longtemps été le premier collecteur de verre pour la lutte contre le cancer, grâce à l’action d’une personnalité locale très dynamique. Existe-t-il une tradition du don que vous auriez pu cartographier ?

    Mme Agnès de Fleurieu. En ce qui concerne les problèmes de gouvernance, ils se posent à notre Comité comme à ses membres. Du fait de la complexité croissante des contrôles à effectuer pour garantir la transparence, il nous faut veiller à la fois à la compétence de nos dirigeants et à leur indépendance. Nous avons donc fait entrer dans notre conseil d’administration des personnalités qualifiées extérieures aux associations fondatrices du Comité. Nous avons revu notre projet associatif en conséquence, afin d’éviter que quiconque ne se sente lésé. Cette évolution était inéluctable.

    Mme Nathalie Blum. Quant à nos organisations, leurs difficultés sont bien souvent liées à des problèmes de gouvernance et de renouvellement des administrateurs. Pour tenter de remédier à ce problème, nous avons promu des règles de transparence des modalités de gouvernance au sein des associations. C’est une question à laquelle nous sommes confrontés en permanence lors de nos contrôles. Une association dotée d’une bonne gouvernance a beaucoup moins de mal à faire face à ses difficultés.

    Mme Agnès de Fleurieu. Nous avons vu des associations dont le président-fondateur est un homme remarquable qui, à l’approche de ses quatre-vingt-dix ans, n’a pas trouvé de bras droit à qui passer le relais et ne parvient plus à maîtriser le réseau territorial qu’il a créé. Nous sommes attentifs à ces situations.

    Mme Nathalie Blum. En ce qui concerne les comparaisons internationales, les statistiques de nos homologues étrangers montrent que les habitudes de don sont relativement peu développées en France. Les dons représentent 290 milliards d’euros par an aux États-Unis, contre 2 milliards en France, 6 en Allemagne, 3,5 en Italie et 2,3 aux Pays-Bas. En pourcentage du PIB, les Italiens donnent deux fois plus que les Français et les Allemands trois fois plus.

    Mme Agnès de Fleurieu. Outre ces valeurs absolues, la comparaison doit toujours tenir compte d’autres facteurs, dont la fiscalité.

    Mme Françoise Sampermans. En ce qui concerne la recherche de nouvelles sources de financement, trois pistes existent.

    D’abord, développer celles des méthodes de collecte actuelles qui n’ont pas encore été utilisées au maximum. Je songe en particulier aux legs, sur lesquels nous ne travaillons pas depuis très longtemps et auxquels nos adhérents recourent encore peu, car les campagnes, délicates à mener, requièrent un grand professionnalisme. En revanche, le marketing direct par voie postale, par exemple, a atteint ses limites.

    Ensuite, rechercher de nouveaux donateurs. Les jeunes deviendront-ils des donateurs ? Oui, s’ils commencent à donner dans un contexte qui leur convient ou pour une cause à laquelle ils croient. On les voit ainsi se mobiliser lors de courses événementielles ; on atteint leur cœur avant leur portefeuille, si j’ose dire. Nous les fidéliserons à condition de nous adresser à eux de façon adaptée.

    Enfin, nous tourner vers l’international. À l’étranger, dans certaines zones ou au sein de certaines catégories de population, le don est beaucoup plus habituel et spontané qu’ici. Pour des causes qui les intéressent et qui sont susceptibles d’être internationalisées, nous pouvons trouver des donateurs expatriés ou étrangers, d’autant que nombre de nos adhérents travaillent à l’international.

    Nous payons la plupart du temps les espaces publicitaires, ou tout au moins les frais techniques afférents. Tous nos membres ont conclu des accords avec de grands organismes comme la RATP ou la SNCF, qui se montrent plutôt compréhensifs. En revanche, il est très difficile d’obtenir la gratuité des affichages ou des publications dans la presse. Les chaînes de télévision et de radio ont un contingent annuel d’espaces gratuits qu’elles répartissent plutôt harmonieusement aux termes d’un accord qui nous lie au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Toutefois, cette possibilité n’est pas extensible à l’infini : les médias doivent bien vivre eux aussi. Par ailleurs, des espaces nous sont offerts lors de grandes catastrophes ou encore d’événements récurrents dont l’organisation est prédéfinie. Ces partenariats sont une réussite, même si l’on peut toujours demander plus et faire mieux.

    Il existe bien un profil type du donateur : une personne de 59 ans ou plus, très fidèle aux causes et aux organismes qu’elle soutient, donnant très régulièrement, de plus en plus par prélèvement automatique. Celui-ci concerne aujourd’hui 20 % des dons, dont il a l’avantage de garantir la continuité et la prévisibilité. Pour compléter cette esquisse, nous pourrons vous envoyer le résumé de notre récente étude sur le profil du donateur et celui du non-donateur, avec l’étude que nous consacrons régulièrement à la tradition du don et à sa répartition par département.

    Mme Gwenaëlle Dufour. Au-delà des appels au don, il existe différents types de manifestations – ventes, prestation de services – qui s’apparentent davantage à des actions commerciales et auxquelles les structures évitent pour l’instant de recourir, pour des raisons fiscales : elles ne souhaitent pas être assujetties à ce titre aux impôts commerciaux – TVA, contribution économique territoriale. Pour les inciter à développer ces modes de financement, on pourrait actualiser le système de franchise en vigueur, ce qui n’a pas été fait depuis une dizaine d’années, ou proportionner la franchise aux ressources des structures : actuellement, une personnalité morale unique dont dépendent de nombreux comités, comme le Secours catholique, atteint très vite le plafond, contrairement aux structures fédératives où le plafond s’applique à chaque fédération.

    Aujourd’hui, les structures peuvent développer des activités commerciales sans basculer dans le secteur marchand dès lors que ces activités ne sont pas « significativement prépondérantes ». Pour tenir compte du fait que ces structures sont désormais concurrencées par le secteur privé alors qu’elles ne s’adressent pas au même public, ne pratiquent pas les mêmes tarifs ni ne disposent de la même marge de manœuvre, il conviendrait d’étudier la possibilité d’un financement différentiel.

    J’en viens à la territorialité. À l’heure actuelle, aux yeux de l’administration fiscale, le financement d’actions menées à l’étranger n’est éligible au mécénat que si ces actions sont humanitaires, en un sens très restrictif, ou concourent à diffuser les connaissances scientifiques ou la langue françaises. Cette condition de territorialité ne nous paraît pas pouvoir être déduite de l’article 200 du code général des impôts, qui organise la déductibilité fiscale des dons à des structures d’intérêt général. Pour nous, l’intérêt général est une notion unique qui englobe l’humanitaire, l’éducation, le social, l’activité sportive, que ce soit en France ou à l’étranger. Pourquoi pourrait-on financer à l’étranger des actions humanitaires et non éducatives ? Cette hiérarchisation des causes ne nous paraît pas fondée.

    S’il est néanmoins nécessaire de maintenir un système d’exception, pour des raisons budgétaires que nous pouvons fort bien comprendre, il faut alors l’adapter aux pratiques des structures, qui financent d’importants projets souvent soutenus par l’État, notamment par l’aide publique au développement, parce qu’ils contribuent au rayonnement de la France.

    Les 20 millions d’euros issus du financement participatif représentent un montant relativement faible, rapporté aux 2 milliards annuels de dons en France. Certes, ce mode de financement n’en est qu’à ses débuts. Il n’en reste pas moins difficile pour les structures de se limiter au financement de projets. Il faut soutenir le crowdfunding car il convient très bien aux petites structures, mais il est moins adapté à celles que nous représentons, notamment lorsqu’il s’agit de financer leurs frais de fonctionnement.

    Mme Agnès de Fleurieu. En conclusion, les associations ont besoin d’argent, mais aussi de bien d’autres choses. Si elles pouvaient anticiper la diminution de leurs ressources, elles pourraient aussi programmer l’appel au bénévolat, facilité par l’inversion de la pyramide des âges et l’arrivée de nombreux retraités sur le marché.

    M. le président Alain Bocquet. Merci beaucoup, mesdames, de cette contribution qui nourrira utilement notre rapport.

    L’audition s’achève à dix-huit heures dix.

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du 7 octobre 2014 à 17 h 10

    Présents. – M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, Mme Françoise Dumas, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, M. Frédéric Reiss.

    Excusés. – M. Jean-René Marsac.