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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 11 juillet 2012

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 03

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, et de Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, chargée de la réussite éducative

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 11 juillet 2012

La séance est ouverte à onze heures trente.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, et de Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, chargée de la réussite éducative.

M. le président Patrick Bloche. Je souhaite la bienvenue à M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative, nous rejoindra dès la fin du conseil des ministres.

Nous aurons grand plaisir, monsieur le ministre, à établir avec vous une relation de travail aussi durable qu’efficace ; la Commission des affaires culturelles et de l’éducation est votre commission de référence à l’Assemblée nationale, et vous êtes le premier membre du Gouvernement que nous auditionnons, ce qui témoigne de l’importance que nous accordons, comme le Gouvernement, au système éducatif.

Nous avons eu lors d’une première réunion de la Commission un débat extrêmement riche sur les mesures d’urgence contenues dans le collectif budgétaire pour 2012, notamment sur les moyens nouveaux donnés à l’éducation nationale, et, bonne nouvelle, je vous annonce que nous avons donné un avis favorable à l’adoption de ces dispositions.

Mais ce débat était avant tout de nature budgétaire ; or, que nous soyons de la majorité ou de l’opposition, nous attendons tous un débat sur le projet éducatif que vous défendez, monsieur le ministre.

Je veux d’ores et déjà saluer l’ambition que vous incarnez, et votre souci de redonner sa chance au modèle français de la réussite pour tous. La forme important souvent autant que le fond, et conformément à la « marque de fabrique » de ce Gouvernement comme de cette majorité, vous avez choisi pour méthode la concertation, avec la communauté éducative dans son ensemble. Vous avez lancé cette « concertation pour la refondation de l'école de la République » dès la semaine dernière, et la composition du comité de pilotage et des groupes de travail témoigne de l’esprit qui vous anime.

La concertation n’exclut pas le volontarisme : vous l’avez déjà montré, notamment sur la question des rythmes scolaires. Vous reviendrez sans doute sur ce sujet.

Nous attendons aussi avec une certaine impatience l’automne et la loi d’orientation et de programmation que vous avez annoncée, et dont nous débattrons sans doute en parallèle avec le projet de budget pour 2013. C’est en effet avec le souci d’une bonne articulation entre ces deux projets de loi que nous devons ouvrir le grand débat sur l’éducation.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Je suis ravi de commencer – enfin – un travail que je souhaite aussi commun qu’il sera possible. Notre calendrier, vous le savez, sera chargé : nous devrions effectivement déposer à l’automne la grande loi d’orientation et de programmation que vous venez d’évoquer, monsieur le président.

Je répondrai bien sûr à toutes vos questions sur le collectif budgétaire, mais je voudrais ici commencer par ouvrir une perspective plus large, répondant ainsi d’ailleurs à votre sollicitation.

La priorité accordée par ce Gouvernement et par le Président de la République à la jeunesse et à l’éducation découle, vous le savez, d’une analyse des difficultés majeures que rencontre notre société.

D’une part, notre pays vit, davantage que d’autres, ce que certains ont baptisé la « crise de l’avenir ». Cette formule me semble rendre compte avec justesse d’un certain pessimisme, d’une difficulté à se projeter, collectivement, dans l’avenir ; lorsqu’on les interroge, les jeunes comme les moins jeunes peuvent montrer de l’optimisme quant à leur destin individuel, à leurs chances d’insertion sociale et d’épanouissement personnel, mais ils expriment sur ce que nous pouvons faire ensemble, sur le destin de la Nation française, un grand pessimisme – beaucoup plus fort que dans d’autres pays de l’Union européenne ou de l’OCDE. Cela se traduit dans certains thèmes politiques, sans doute, mais aussi dans la façon dont nous traitons notre jeunesse et notre école. Or – pardonnez ce truisme – la jeunesse, c’est la France de demain. Tous ceux qui se consacrent à la politique et ont l’amour de leur pays doivent donc prendre cette question à bras-le-corps.

Cette « crise de l’avenir » n’est pas neuve : elle a été diagnostiquée voici déjà une vingtaine d’années de cela et l’idée n’a pas été contrariée par un certain nombre de choix. On peut d’ailleurs la retrouver à propos de la dette, des investissements d’avenir, de la possibilité de défendre notre modèle industriel et, bien entendu, de l’école. L’enjeu est donc absolument considérable pour la Nation : il s’agit de se remettre en mouvement et d’entrer avec plus d’optimisme, donc avec plus d’énergie et de courage, dans le siècle qui vient de s’ouvrir.

D’autre part, il y aurait une crise de l’identité nationale ; ce thème, de plus en plus souvent mis en avant à partir des années 2000, en relation aussi avec certains résultats électoraux, nous renvoie à ce qui nous permet d’œuvrer ensemble à des projets communs et à la promotion de valeurs partagées. Au cours du précédent quinquennat, un débat sur l’identité nationale et sur l’immigration avait été organisé – et avait d’ailleurs heureusement avorté, vite interrompu par ceux-là même qui l’avaient lancé. Ce n’était certainement pas une bonne réponse à nos problèmes, mais c’était sans doute le symptôme d’une inquiétude récurrente.

L’identité nationale française, pour autant qu’elle est républicaine – et c’est une spécificité de notre pays qui n’a pas, vous le savez, de religion civile –, s’est construite autour de l’école et même, d’une certaine façon, par son école. Nous n’avons pas le temps ici de reprendre cette histoire mais, lorsque nous évoquons notre identité nationale, il est important de ne pas trop négliger cette mémoire de ce qui peut réunir la communauté nationale, au-delà des clivages partisans. Il ne faut oublier ni Condorcet, ni les hésitations du xixsiècle, ni le fait que les premiers républicains ont voulu que l’établissement de la République dans la durée se fasse grâce à l’école. À chaque moment de son histoire, quand la France a besoin de se « relancer », de se réapproprier son histoire, de vaincre des tendances négatives, elle repasse tout à fait naturellement par son école.

Il était donc pour nous très important de réaffirmer que nos valeurs, notre identité nationale, doivent se comprendre dans un rapport à l’école.

Au croisement de ces deux préoccupations – la crise de l’avenir, la crise de l’identité nationale –, il y a donc l’école. Rassembler la nation, lui permettre de se dépasser, cela passe par l’école et par la priorité accordée à la jeunesse et à l’éducation ; c’est ce qu’a proposé le Président de la République pendant la campagne électorale. Le Premier ministre a réaffirmé cette priorité dans son discours de politique générale et le Gouvernement la met aujourd’hui en œuvre.

Nous essayons désormais de la traduire de plusieurs façons ; ces propositions peuvent, je crois, nous réunir car elles relèvent d’un certain bon sens. Ce sont des orientations simples, mais qui peuvent toutefois avoir des conséquences très importantes pour notre système éducatif.

Nous voulons en premier lieu accorder la priorité à l’école primaire.

Toutes les études dont nous disposons, nationales et internationales, relèvent les difficultés que rencontrent les élèves français à l’entrée au collège. Selon les indicateurs que l’on utilise, cela concerne entre 15 et 40 % des enfants. Ces difficultés ne sont pas toujours lourdes, mais elles sont bien réelles et la proportion est considérable ; il en résulte de très fortes tensions à l’intérieur des collèges.

Or tous les processus de remédiation, c’est-à-dire ceux qui interviennent une fois la difficulté apparue, sont assez coûteux, relativement inefficaces et parfois stigmatisants pour les élèves : il ne serait pas inutile, en ce domaine comme dans d’autres, de prévenir plutôt que de guérir, surtout si l’on ne sait pas bien guérir. Nous voulons donc investir davantage dans les premières années des apprentissages. Cette idée fait, je l’espère, consensus entre tous les groupes politiques ; nous avons d’ailleurs reçu sur ce point le soutien de plusieurs personnalités qui n’appartiennent pas à notre famille politique. Cette priorité est juste et elle avait d’ailleurs déjà été reconnue comme telle après 2002, bien que trop vite abandonnée par la suite. Elle fait aussi consensus, et c’est nouveau, au sein des forces syndicales : vous savez que le syndicalisme enseignant a historiquement été divisé entre les professeurs des écoles et les professeurs du secondaire, au sein même de certaines grandes fédérations, et que certains conflits majeurs se sont structurés autour du collège. En lisant les uns et les autres, j’observe que nous pouvons aujourd’hui dépasser ces conflits ; tout le monde accepte d’accorder la priorité à l’enseignement primaire, et ce même parmi les professeurs du secondaire – cela se comprend d’ailleurs : ce sont ces enseignants qui auront à accueillir au collège des élèves déjà en grande difficulté.

Ce que nous voyons aujourd’hui à l’école, ce n’est plus seulement comme il y a une trentaine d’années la reproduction des inégalités, mais leur aggravation. Les destins scolaires se nouent très tôt et, avec eux, des destins non seulement sociaux mais tout simplement humains – cela va jusqu’à influer sur l’espérance de vie. Ceux qui sont en échec en CP et en CE1, sont encore en échec à l’entrée au collège, en fin de troisième, au lycée professionnel ou dans les filières universitaires. Vous connaissez aussi l’immense difficulté que rencontrent les enfants issus des lycées professionnels, dont certains sont pourtant excellents, pour accéder aux filières qui devaient leur être réservées ; dans les premiers cycles universitaires, ils connaissent un taux d’échec de 90 % ! De plus, les taux de réussite au baccalauréat professionnel, vous l’avez sans doute noté, ont baissé. Ce doit être pour nous tous un sujet de réflexion majeur.

La priorité accordée au primaire, cela veut dire des moyens, bien sûr, mais aussi des avancées pédagogiques. J’ai en particulier insisté sur le principe « plus de maîtres que de classes ».

Nous voulons ensuite mettre l’accent sur la formation des enseignants. C’est pour moi une très ancienne conviction, qui est je crois partagée par beaucoup de ceux qui sont attachés à notre école : enseigner dans les petites classes suppose un apprentissage. Nous devrons donc rendre sa spécificité à l’école maternelle et lui redonner des moyens, notamment pour accueillir les moins de trois ans dans les zones particulièrement tendues puisque c’est là que c’est le plus efficace, mais aussi pour développer des pédagogies adaptées – j’ai rendu public le rapport d’inspection sur la maternelle qui constitue, comme vous le savez, une belle tradition française.

Enseigner dans les petites classes est très difficile et suppose à l’évidence un apprentissage, disais-je : lorsque vous êtes appelé à enseigner l’anglais, l’histoire-géographie ou les mathématiques au terme de vos études universitaires, même s’il vous faut apprendre à transmettre ce savoir, vous connaissez au moins votre discipline – et je suis très attaché aux disciplines. Lorsque vous voulez devenir professeur des écoles, il n’y a pas de lieux où apprendre comment enseigner dans ces classes, ou si peu ! La responsabilité d’apprendre à des enfants à lire et à écrire est pourtant considérable.

Dans notre tradition républicaine, on accordait une très grande attention à la formation des instituteurs et des institutrices. Il existait d’ailleurs une pratique qui s’est révélée d’une très importance dans notre pays : le recrutement se faisait avant le bac, assorti du versement d’un salaire. Cela assurait la promotion sociale, permettait de tenir la promesse républicaine et créait une forme d’identité ou en tout cas de correspondance, de compréhension entre ceux qui enseignaient et ceux à qui l’on enseignait.

La suppression de la formation des enseignants a plongé certains dans une grande détresse qui sera sans doute très préjudiciable à long terme – gardons toujours à l’esprit le temps long quand il s’agit d’école ! Nous avons donc le projet de rétablir cette formation.

Évitons toutefois les faux débats : aucun d’entre nous ne pense que les instituts universitaires de formation des maîtres avaient donné pleine satisfaction et que nous pourrions donc nous contenter de revenir à la situation antérieure. Nous voulons au contraire inventer des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, pour permettre, sans revenir sur la mastérisation ni sur l’insertion de ces écoles dans l’université, une véritable professionnalisation : ce qui faisait la richesse de ce tissu, ce sont les maîtres formateurs, les conseillers pédagogiques, l’alternance et la possibilité de croiser des cultures professionnelles et des cultures universitaires.

Le temps de la grandeur de l’école, c’était celui où des maîtres de terrain et des professeurs au Collège de France pouvaient mêler leurs cultures et travailler ensemble. Nous allons reprendre ce chemin, pour que ces cultures se croisent à nouveau ; nous voulons que les enseignants du supérieur, qui sont bien sûr des chercheurs et des enseignants soucieux de la réussite de leurs étudiants, puissent aussi partager des moments d’apprentissage avec ceux qui se destineront à enseigner dans le secondaire, dans le primaire, voire dans le pré-élémentaire. Ce sera un grand enjeu pour ma collègue Geneviève Fioraso, qui devra nécessairement revenir sur la réforme des premiers cycles universitaires tout en la poursuivant.

Je suis sûr que vous m’interrogerez aussi sur la question du recrutement de ces enseignants, et donc des moyens d’assurer la mixité sociale. Nous rétablirons l’année de stage et nous chercherons à mettre en place des pré-recrutements, dès la troisième année de licence. En effet, vous avez tous pu constater sur le terrain qu’attendre cinq ans pour recruter, et donc obliger les jeunes à suivre, avant de percevoir un revenu réel, cinq années d’études supérieures avec des bourses de 450 euros au mieux crée une discrimination sociale très importante. La paupérisation du milieu étudiant est en effet très inquiétante et la corrélation est forte entre le nombre de ceux qui sont obligés de travailler pour payer leurs études et le nombre de ceux qui échouent.

Il faut donc poser la question des viviers de recrutement, ainsi que celle des pré-recrutements, qui existaient naguère. Cette question est liée à celle des écoles supérieures que j’évoquais.

Voilà donc notre deuxième grande orientation. Comme la première, elle donnera lieu à des discussions, qui seront toutes utiles : en effet, je ne crois pas une seconde que, sur des sujets aussi vastes, nous puissions détenir seuls toute la vérité. Je ne crois pas non plus qu’il faille aller trop vite, car beaucoup d’erreurs ont été commises par précipitation. Je n’entends d’ailleurs pas le ministre qui a supprimé la formation des enseignants comme je n’arrive pas à savoir qui a rédigé les programmes : on ne se bouscule pas pour défendre ces décisions ! Personne n’assume, sauf peut-être Bercy, mais enfin il n’y avait certainement pas de pilotage pédagogique quand – cas unique au monde – on a décidé de supprimer la formation des enseignants dans notre pays.

Nous voulons enfin travailler, comme l’a dit le président Bloche dans son intervention, sur les rythmes scolaires ainsi que sur l’articulation du temps scolaire et du temps éducatif. Mon prédécesseur Luc Chatel avait conduit une concertation sur ce point ; votre commission a produit un rapport sur le sujet. Indépendamment des clivages politiques là encore, tous ceux qui connaissent un peu ces questions – les scientifiques, l’Académie de médecine… – constatent que nos élèves n’ont pas assez de jours de classe, mais qu’ils ont des journées trop chargées. Il en résulte de véritables discriminations sociales, des inégalités considérables, en fonction des possibilités ou non de s’assurer des activités sportives ou culturelles en dehors du temps scolaire. C’est un facteur d’échec.

Des concertations ont eu lieu ; les principes sont, je crois, partagés même si cela demande à être vérifié : je pense à l’allongement de l’année scolaire, à la semaine de quatre jours et demi, à l’allégement de la journée de classe. En revanche, nous savons tous que les modalités de mise en œuvre d’une telle réforme sont extrêmement complexes.

Nous voulons un nouveau contrat entre l’école et la nation. Je ne pense pas, et je l’assume, que l’école soit la propriété des spécialistes ni même des professionnels de l’éducation nationale. Ceux-ci demandent à être respectés ; ils demandent qu’on leur redonne une autorité perdue, qu’on les accompagne au mieux dans leur vocation, dans leur mission exercée au nom de l’intérêt général ; ils demandent que l’on respecte les valeurs qu’ils transmettent, la connaissance, le dévouement, la morale. Mais l’école appartient bien sûr à toute la nation.

Chacun doit donc être associé à cette réforme : au premier chef, les parlementaires, représentants de la nation, mais aussi les parents d’élèves et les collectivités locales dont la contribution à l’investissement dans l’éducation est aujourd’hui essentielle. C’est à cela que servira la concertation. Nous savons tous pourquoi nous en sommes là : alors que les difficultés d’articulation du temps scolaire et du temps éducatif sont bien connues, la situation n’a fait en réalité qu’empirer. On a parlé, et on avait raison, de reconquête du temps scolaire mais on a fait l’inverse de ce que l’on disait. Cela tenait sans doute à des impératifs budgétaires, mais d’autres raisons, qu’il faut prendre au sérieux, peuvent se rattacher à une forme de démoralisation, d’abaissement, d’incapacité à faire communiquer les différentes parties prenantes de cette réforme des rythmes scolaires.

Nous souhaitons mener cette réforme à bien relativement rapidement, parce qu’elle est dans l’intérêt des élèves, et donc de la nation.

Voilà les trois grandes orientations sur lesquelles je voulais insister. Beaucoup d’autres points seront bien sûr abordés. Il y a d’abord la question, que je crois tout à fait centrale, du grand projet internet, qui constitue une des portes d’entrée dans la modernité et un moyen de reconnaître la diversité des excellences, de changer les méthodes pédagogiques. Les collectivités locales ont investi dans les matériels ; nous sommes beaucoup plus mauvais en ce qui concerne les usages pédagogiques, et nous prenons du retard ; il faut donc donner une impulsion forte. Il y a ensuite la question de l’éducation prioritaire, que nous devrons revisiter, et celle, connexe, de la carte scolaire. Il y a également l’idée, déjà lancée mais ensuite abandonnée, d’un plan en faveur de l’éducation culturelle et artistique. Il y a encore les questions de l’évaluation, des élèves comme des professeurs.

Tous ces sujets seront évoqués dans la grande concertation, qui est ouverte à tous. Chacun doit s’y exprimer avec la plus grande sincérité, parce que nous devons construire ensemble, au-delà des intérêts particuliers, un intérêt général. Cette refondation est, vous l’avez compris, une refondation de l’école républicaine et, en même temps, – c’est l’idée du Président de la République – une refondation de la République par son école.

Après cette concertation, au début du mois d’octobre, un rapport sera remis au Gouvernement – à moi-même et à ma collègue George Pau-Langevin. Nous présenterons ensuite un projet de loi, dès la mi-octobre ou un peu plus tard selon l’état de nos discussions. Nous voulons en effet, au-delà des mesures budgétaires qui seront présentes puisqu’il s’agira d’une loi d’orientation et de programmation, mettre en œuvre dès la rentrée 2013 certaines des réformes qui nous paraissent essentielles pour repartir du bon pied.

Nous associons à cette réflexion sur l’éducation vingt-deux ministres du Gouvernement : sur la question de l’internet, sur celle de l’accueil des enfants en situation de handicap, sur les spécificités des outre-mer, sur l’éducation artistique et culturelle, c’est tout à fait normal. Ces sujets ne sont pas la propriété du ministère de l’éducation nationale.

La priorité sera donnée à l’éducation tout au long du quinquennat. Il faut aller vite pour lancer les choses, mais nous devons aussi prendre le temps et agir dans la durée : trop souvent, c’est ce qui a manqué pour mener à bien des réformes.

Enfin, si la priorité est donnée à l’éducation en matière budgétaire, dès cet été, comme vous l’avez vu dans le collectif budgétaire, mais aussi dans les discussions du plan triennal et au-delà pour tout le quinquennat, cela ne nous dispense en rien d’utiliser au mieux les moyens qui nous sont attribués par le Président de la République et par le Premier ministre. Je me sens donc comptable, vis-à-vis des autres fonctionnaires mais aussi de l’ensemble de la nation, de cette priorité budgétaire.

M. le président Patrick Bloche. Mme Pau-Langevin nous a rejoints. Souhaitez-vous également, madame la ministre déléguée, faire une intervention liminaire ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative. Je voudrais, monsieur le président, expliquer brièvement l’intitulé de mon ministère.

Je commence par vous dire combien je suis heureuse d’être aujourd’hui parmi vous, de retrouver beaucoup de visages connus et d’en découvrir de nouveaux.

« Réussite éducative » : qu’est-ce que cela signifie ? Beaucoup d’articles un peu moqueurs ou ironiques ont paru sur le sujet lors de ma nomination. Or nous nous sommes aperçus que cette expression avait depuis longtemps cours. Pour le dire très simplement, mon rôle sera de m’intéresser plus particulièrement à ces nombreux jeunes – de 135 000 à 150 000 suivant les évaluations – qui quittent le système scolaire sans diplôme, sans qualification.

Le plus gênant, c’est la forte corrélation entre la situation sociale des jeunes et leurs résultats ou leurs difficultés scolaires. Non seulement notre école ne parvient pas à réduire les inégalités, mais au contraire elle les accroît : au niveau du collège, l’échec est encore plus grand qu’en CM1. C’est là un gâchis social qui affaiblit notre pacte républicain, mais aussi un gâchis économique, puisqu’on voit bien que les pays les moins inégalitaires du point de vue scolaire sont aussi les plus performants économiquement.

Nous nous proposons donc de réexaminer les dispositifs existants, notamment en matière d’éducation prioritaire. Ceux qui ont été créés pour favoriser la réussite éducative – je pense notamment aux collèges « Ambition réussite » – sont nombreux et pourtant nous ne voyons pas de franche amélioration de la situation : les résultats ne semblent pas être au rendez-vous.

Nous voulons, dans le même ordre d’idées, nous préoccuper non seulement de la transmission des savoirs mais aussi de l’apprentissage de la citoyenneté, par l’acquisition de codes et de valeurs.

La lutte contre l’échec scolaire passe beaucoup par la lutte contre le « décrochage scolaire » – extraordinaire expression que l’on utilise depuis quelque temps. Aujourd’hui, on se préoccupe donc de « raccrochage scolaire » : c’est à ce moment particulièrement périlleux dans la vie d’un jeune que nous devons agir.

Nous souhaitons donc que les dispositifs d’éducation prioritaire soient revus dans le sens d’une plus grande cohérence, d’une plus grande simplicité et d’une plus grande clarté : empilés aujourd’hui sous des dénominations complexes, contribuent-ils vraiment à réduire les inégalités ?

À l’évidence, nous devrons également tout faire pour améliorer les conditions de vie des élèves. Même si l’école ne peut pas tout régler, il est indispensable de s’assurer que les enfants peuvent au minimum fréquenter la cantine ou bénéficier d’un suivi médical, tous éléments déterminants pour leur réussite éducative.

À cet égard, j’accorderai une attention toute particulière aux personnels de santé et à la revalorisation de leurs missions. Il importe en effet d’améliorer la situation détestable des médecins scolaires et de développer l’éducation des élèves à la santé et la prévention – en particulier l’éducation à la contraception : il existe bien une loi sur le sujet mais son application n’est pas du tout à la hauteur de nos attentes. Il faudra également renforcer la lutte contre les addictions – aux drogues, bien sûr, mais aussi à l’alcool.

Le sport doit jouer un rôle central dans l’action pour la réussite éducative : pour beaucoup de jeunes, il peut être un moyen d’évacuer un trop-plein d’énergie qui est parfois source de problèmes dans nos quartiers.

Je crois également beaucoup au rôle de l’éducation artistique : dans un certain nombre de quartiers, elle peut contribuer à la mixité sociale en favorisant le retour de familles des classes moyennes dans les écoles.

Je m’attacherai aussi, évidemment, à améliorer la situation des élèves handicapés, ce qui passe notamment par un examen de celle qui est faite à ceux qui sont chargés de les encadrer : nous nous sommes aperçus avec une certaine surprise que certains de ces emplois n’étaient pas budgétés et que la formation de ces personnels remplissant une mission particulièrement difficile n’était pas ce qu’elle devrait être. Nous devrons donc travailler à la formation des enseignants aux questions de handicap, mais aussi à celle des personnels appelés à les épauler.

Ce travail en faveur de la réussite éducative est par définition interministériel. Ainsi je travaillerai avec la ministre déléguée chargée de la famille afin d’associer les familles que l’on considère trop souvent comme démissionnaires quand elles sont simplement dépassées par la situation ou fragilisées – je pense aux familles monoparentales – et afin de redynamiser des dispositifs comme celui des « réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents ». Je travaillerai bien sûr également avec le ministre délégué chargé de la ville, de même qu’avec Mme la ministre de la justice, puisque beaucoup de gamins en difficulté scolaire sont suivis par la protection judiciaire de la jeunesse. Nous devons enfin associer à la tâche les associations de parents d’élèves ainsi que les associations d’éducation populaire.

Enfin, je m’intéresserai à tout ce qui concerne l’innovation : en ce domaine, beaucoup de choses ont été mises en place et beaucoup d’expériences ont été menées. Une grande créativité s’exprime sur le terrain mais il nous revient de mutualiser les expériences réussies.

Beaucoup de travail, vous le voyez, nous attend, et beaucoup de moments à partager avec le Parlement.

M. le président Patrick Bloche. Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes, et d’abord à Luc Belot pour le groupe SRC.

M. Luc Belot. Monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, jeudi dernier, vous avez ouvert une grande concertation qui sera l’acte I de la refondation de l’école. Autour de vous et de M. le Premier ministre, de nombreux membres du Gouvernement étaient présents, témoignant d’un engagement au plus haut niveau en faveur de cette cause. Étaient aussi présents tous les acteurs de l’éducation, mais aussi tous les représentants de la communauté éducative entendue de la façon la plus large. J’approuve d’ailleurs pleinement ce qu’a dit Mme Pau-Langevin à ce propos.

Cette méthode doit être saluée ; elle est à la hauteur des enjeux comme des fortes attentes qui s’expriment sur les sujets comme la réussite scolaire pour tous, la formation ou encore les rythmes de l’enfant – ce qui ne recouvre pas les seuls rythmes scolaires et j’ai été sensible à la précision apportée par M. le ministre sur ce point.

Vous avez évoqué les objectifs que vous vous êtes fixés ; pouvez-vous, alors que les groupes de travail ont commencé leur tâche hier seulement, nous résumer votre état d’esprit ? Pouvez-vous enfin nous préciser la manière dont vous pensez que les animateurs et rapporteurs vont pouvoir se saisir des expérimentations, riches, qui sont menées dans nos territoires ?

M. le président Patrick Bloche. Pour le groupe UMP, la parole est à Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, nous vous avons écoutés parler de beaucoup de choses, d’urgence, de refondation, de grands principes. Nous sommes aujourd’hui dans la sémantique et la communication, et je peux le comprendre : vous en êtes à l’évidence au stade des diagnostics et du discours de la méthode.

J’ai la conviction que la réforme de l’université que nous avons menée à bien au cours de la treizième législature a été une avancée majeure pour notre pays : plus d’autonomie et, en contrepartie, plus d’évaluation. Ne faudrait-il pas s’inspirer de cette méthode pour réformer l’école, en donnant une plus grande autonomie aux établissements et en encourageant l’expérimentation ?

Monsieur le ministre, vos premières interventions ont fait passer un frisson dans l’opinion publique, puisque vous avez annoncé le passage à la semaine de cinq jours dès 2013 sans avoir pris l’avis des syndicats d’enseignants, des parents d’élèves ni des collectivités locales. Aviez-vous oublié la cinquante-cinquième proposition du candidat Hollande ? Heureusement, le Premier ministre a volé à votre secours en annonçant une véritable concertation publique. La république exemplaire était sauvée !

Je rappelle que le travail sur les rythmes scolaires a été bien amorcé par Luc Chatel, votre prédécesseur. Cette conférence nationale, servie par des rapporteurs de qualité, Odile Quintin et Christian Forestier, a émis des avis dont, j’en suis sûr, vous tiendrez compte.

Le rapport de la Cour des comptes intitulé « L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves » recommande notamment d’accroître la responsabilité des établissements d’enseignement, d’adapter l’organisation scolaire aux besoins des élèves, d’accroître la part des financements consacrée à l’école primaire et, plus généralement, d’améliorer le pilotage du système. Pour aller vers la réussite de chaque élève, le groupe UMP estime qu’il faut des enseignants mieux considérés, avec de meilleurs salaires, plus d’autonomie et de responsabilités pour les établissements, mais aussi un enseignement plus personnalisé et une éducation fondée sur le mérite et visant l’égalité des chances.

La révision générale des politiques publiques (RGPP), tant décriée par les socialistes sous le dernier quinquennat, a permis d’augmenter de 18 % le salaire des jeunes professeurs ; nous avons également augmenté le pouvoir d’achat des enseignants grâce à la défiscalisation des heures supplémentaires. Quelle est votre position sur ce sujet ?

La priorité à l’école primaire est, je crois, une idée que beaucoup partagent, notamment depuis les différents rapports parus sur ce sujet. Mais quid du statut de directeur d’école ? Allez-vous améliorer les regroupements scolaires ? Envisagez-vous des établissements publics d’enseignement primaire ?

Vous êtes un ministre heureux puisqu’on annonce 60 000 créations de postes dans l’éducation nationale – au détriment sans doute de certains de vos collègues, qui devront eux se serrer la ceinture. Mais, quand on y réfléchit bien et que l’on voit le nombre de postes aux concours qui ne sont pas pourvus alors même que l’UMP avait choisi de ne compenser qu’un départ à la retraite sur deux, votre projet de créer 12 000 postes supplémentaires par an ne risque-t-il pas de se heurter à des obstacles insurmontables ?

Vous voulez prévenir plutôt que guérir. On ne peut qu’être d’accord, mais a-t-on évalué correctement tous les dispositifs de remédiation, tels que les réseaux d’aide et de soutien aux élèves en difficulté (RASED) ou les programmes personnalisés de réussite éducative aujourd’hui en place dans les écoles ? On peut en effet s’interroger sur leur efficacité.

Enfin, vous avez évoqué l’alternance à propos de la formation des maîtres, ce qui est très bien, mais je m’étonne du silence assourdissant autour de l’apprentissage, c’est-à-dire de la formation en alternance des élèves. Une dynamique était amorcée mais, après avoir entendu le discours de politique générale du Premier ministre, je crois que nous allons de nouveau faire marche arrière, ce que je regrette profondément : l’apprentissage est en effet une voie d’excellence, qui donne des résultats tout à fait remarquables en matière d’insertion professionnelle.

Nous sommes tout à fait prêts, bien sûr, à apporter nos idées sur le sujet dans le cadre du grand débat.

M. le président Patrick Bloche. Pour le groupe UDI, la parole est à Rudy Salles.

M. Rudy Salles. Nous sommes heureux du climat apaisé de cette réunion si on la compare à celle qui l’a précédée. Le groupe majoritaire considérait tout à l’heure que l’on était passé de l’ombre à la lumière ; or il n’y a pas dans cette salle des gens qui aiment l’école et des gens qui ne l’aiment pas. Tous les groupes sont unanimes à vouloir faire le maximum pour que la France ait une école de qualité. Tous les gouvernements depuis trente ans ont fait des efforts, tous ont eu leurs réussites et leurs échecs ; vous aurez les vôtres. Il faut donc, je crois, rester extrêmement modeste en ce domaine et faire attention avant de lancer des anathèmes, car ils vous reviennent rapidement à la figure.

Vous avez repris l’idée de la grande concertation, qui avait été lancée par Luc Chatel : c’est une bonne idée. Vous avez parlé de vingt-deux ministres impliqués ; vous voulez y associer le plus grand nombre, et beaucoup de partenaires sont autour de la table, notamment les parents d’élèves et les collectivités locales. Nous nous en réjouissons.

Vous avez évoqué l’école primaire, la formation des enseignants, les rythmes scolaires : ce sont des préoccupations que nous avons en partage. Vous le voyez, l’état d’esprit de notre groupe demeure celui d’une opposition constructive pour améliorer l’éducation dans notre pays.

Je fais miennes les questions qu’a posées M. Reiss et j’écouterai vos réponses avec attention.

Vous avez annoncé l’allongement des vacances de la Toussaint ; la question n’est pas de savoir si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais avez-vous mesuré les conséquences pour les collectivités territoriales ? Quelques jours de vacances de plus obligent en effet les communes à des efforts supplémentaires pour l’accueil et les loisirs des enfants. Cela a un coût : pour la ville de Nice, ces quatre jours représentent un surcroît de dépenses de 40 000 euros ! Qu’avez-vous prévu pour compenser ces charges nouvelles ?

M. le président Patrick Bloche. La parole est à Marie-George Buffet, pour le groupe GDR.

Mme Marie-George Buffet. Je tiens d’abord, monsieur le ministre, à vous remercier d’avoir rappelé le lien entre l’école et la construction des individus, mais aussi entre l’école et la construction de la Nation : école et Nation sont indissociables.

Vous voulez mettre l’accent sur l’école primaire, et je m’en réjouis. Je m’avoue en revanche un petit peu préoccupée par la place que vous semblez concéder à l’école maternelle, mais peut-être vous ai-je mal compris : l’école maternelle, que j’espère un jour obligatoire, est bien partie intégrante de l’école. Bien sûr, elle demande certainement un enseignement, une pédagogie à part, notamment lorsqu’on accueille des moins de trois ans. Mais nous sommes bien dans le parcours éducatif. J’y insiste, car dans des territoires comme le mien, l’accueil d’enfants très jeunes à l’école maternelle est un grand atout pour leur réussite scolaire future.

En ce qui concerne les processus de remédiation, nous disposons tout de même, avec les RASED et avec les maîtres qualifiés qui les animent, d’un atout. Bien sûr, l’idéal serait que tous les enfants puissent suivre normalement leur scolarité ; mais il faudra, je crois, maintenir ces réseaux après avoir évalué leur fonctionnement. Pour ce que j’en ai vu, ils ont représenté une véritable chance pour beaucoup d’élèves.

Je partage entièrement tout ce que vous avez dit sur la formation.

C’est bien, j’en suis convaincue, sur les rythmes de l’enfant qu’il faut se pencher, c’est-à-dire sur la semaine de quatre jours et demi mais aussi, au sein de la journée scolaire, sur les programmes et sur la place des différentes matières, comme sur l’action éducative hors de la scolarité proprement dite, par exemple la pratique sportive, la pratique artistique et tout ce qui constitue l’éducation populaire à travers des structures telles que les centres de loisirs. Pour que tout cela soit coordonné et se concilie bien, il faudra un travail très fin avec les élus locaux : les équipements sportifs ne sont pas extensibles à l’infini.

Vous avez, me semble-t-il, peu évoqué la question de l’orientation. On parle d’absentéisme dans les lycées professionnels mais j’ai pu éprouver qu’il était souvent dû aux carences de l’orientation : certains enfants éprouvent dans ces établissements un sentiment de relégation, ou bien ils restent dans l’ignorance des débouchés offerts par telle ou telle formation professionnelle. La constitution d’un grand service de l’orientation est donc vitale pour l’éducation nationale.

M. le président Patrick Bloche. Pour le groupe RRDP, la parole est à Thierry Braillard.

M. Thierry Braillard. Dans RRDP, il y a « républicain » : nous avons beaucoup apprécié l’introduction de M. le ministre, et je veux lui dire que nous partageons totalement sa conception. Auparavant, nous avions parlé chiffres ; ici, nous avons eu un moment de philosophie politique délectable.

L’école de la République reste aujourd’hui le meilleur vecteur de mobilité sociale. Durant la campagne électorale, j’ai été sollicité à plusieurs reprises par des électeurs qui s’inquiétaient des effets pervers de la réforme de la carte scolaire, car ils estimaient que, si elle partait d’une bonne intention, elle avait en réalité eu pour effet d’accroître une sorte de fracture spatiale et de concentrer dans certains établissements des enfants fragilisés, ce qui est contraire à l’esprit même de l’école, qui doit favoriser la mobilité sociale.

Quelles sont vos intentions en la matière ? Pensez-vous réformer la carte scolaire au cours de la législature ?

Mme Colette Langlade.  Les activités des professionnels de la médecine scolaire n’ont cessé de se diversifier au fil des années. Aujourd’hui, on demande aux médecins et infirmiers de l’éducation nationale d’assurer le suivi médical obligatoire de l’ensemble des élèves et de leur dispenser une éducation à la santé, mais également d’aider ceux qui rencontrent des difficultés au cours de leur parcours scolaire. Et cette multiplication des tâches s’est opérée sans que soit définie la moindre priorité.

Entendez-vous clarifier les missions de ce secteur et remettre de la cohérence dans la définition des activités de ces professionnels, étant entendu, comme le souligne la Cour des comptes, que l’atteinte des objectifs qui leur sont assignés bute avant tout sur la question centrale des ressources humaines ?

Ma seconde question concerne la diminution, voire la suppression des contrats aidés. Il s’agit des emplois vie scolaire (EVS) destinés à apporter un soutien administratif aux directeurs et directrices d’établissement. Rien que dans le département de la Dordogne, plus de 43 personnes n’ont pas vu leur contrat renouvelé. Allez-vous y remédier ?

M. Benoist Apparu. S’agissant des missions que vous avez assignées à notre école républicaine – forger une culture commune, investir pour l’avenir et gérer l’égalité des chances –, je pense que dans cette salle nous sommes tous d’accord. Il en va de même du constat sur la situation de l’école. Vous nous proposez pour solution une méthode que vous appelez « refondation de l’école ». Sur cette méthode, là encore, je pourrais probablement vous rejoindre. J’ai d’ailleurs participé hier aux groupes de travail sur ce thème et j’ai assisté, la semaine dernière, au lancement du processus, à la Sorbonne. Pour avoir en son temps lancé et piloté le grand débat sur l’école qui avait débouché sur la constitution de la commission Thélot, puis sur la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005, je comprends également l’enjeu de la démarche que vous engagez. Mais je m’interroge sur la méthode, censée se dérouler en trois temps : le temps de la démocratie participative, celui de la démocratie sociale et celui de la démocratie parlementaire.

En effet, vous venez de nous indiquer que la commission terminerait son travail début octobre et que le projet de loi serait présenté autour du 15 du même mois. Autrement dit, le travail de refondation doit être réalisé entre aujourd’hui et début octobre. Si j’ai bien compris, le temps social, à savoir la discussion avec les partenaires sociaux, l’élaboration de la loi et les arbitrages – qui généralement ne se font pas en deux jours – devront prendre place avant le dépôt du texte. Cela laisse quinze jours en tout et pour tout. Comme je n’ose imaginer que la rédaction du texte se fera « en temps masqué », je ressens quelque inquiétude quant au temps de sommeil que vous accorderez à vos collaborateurs et aux membres de l’administration centrale…

M. Yves Durand. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous rassurerez notre collègue Apparu sur le calendrier de la concertation – dont, au demeurant, je me félicite.

Cette concertation porte notamment sur la question des rythmes scolaires qui, plus qu’une simple question technique d’organisation du temps, touche à la conception même de la pédagogie et du métier d’enseignant, ce qui en fait l’un des socles de la refondation de l’école.

L’aménagement des rythmes scolaires suppose l’implication des collectivités territoriales. Certaines y sont préparées pour avoir mené des expériences d’aménagement du temps de l’enfant, mais toutes n’ont pas les mêmes possibilités ni la même volonté de s’engager, ce qui pose un problème d’égalité républicaine. Comment votre ministère entend-il agir auprès des collectivités pour faire en sorte que l’égalité territoriale soit respectée ? Par le biais de quel type de contrat ?

M. Guénhaël Huet. Monsieur le ministre, nous avons bien noté vos priorités
– l’enseignement primaire, la formation des enseignants et les rythmes scolaires –, mais quel rôle entendez-vous assigner à l’école ?

Je suis l’un de ceux, très nombreux, qui, au-delà des clivages politiques ou idéologiques, pensent que nous demandons beaucoup trop à l’école, en particulier de se substituer à une série d’acteurs sociaux qui, au fil des ans, ont démissionné, ou de régler des difficultés sociales qui devraient l’être dans d’autres lieux – je pense à la famille. Quant à Mme la ministre déléguée, elle nous dit vouloir assigner à l’école, entre autres objectifs, la lutte contre les addictions ou l’acquisition de la culture. Nous sommes d’accord, sauf qu’il arrive un moment où l’école « sature ».

Les programmes scolaires sont infiniment trop chargés, en particulier à l’école primaire – dont la mission, je le rappelle, est de transmettre les savoirs essentiels que sont la lecture, l’écriture et le calcul. Nous lui demandons beaucoup trop, ainsi qu’aux enseignants, ce qui nous ramène au problème des effectifs.

À l’instar de mon collègue Frédéric Reiss, je regrette que vous n’ayez pas dit un seul mot sur l’alternance et l’apprentissage, qui sont des voies d’excellence pour les jeunes mal à l’aise au sein de l’école classique.

Vous n’avez pas non plus évoqué la formation continue tout au long de la vie, qui revêt une grande importance à une époque où les métiers évoluent très vite et où les carrières ne se déroulent plus au sein d’une seule entreprise. Quel est votre sentiment sur cette question ?

M. Jean-Jacques Vlody. Je félicite le Gouvernement d’avoir placé l’école au cœur de la République. Je salue également la méthode employée, fondée sur la concertation.

La refondation de l’école revêt une dimension particulière dans les territoires d’outre-mer, où elle fait naître une grande espérance. La situation sociale, conjuguée à l’éloignement du territoire hexagonal et à l’insularité, génère pessimisme et crainte de l’avenir. Seule l’école de la République peut redonner de l’espoir, mais encore faut-il lui donner les moyens de ses missions, à savoir l’épanouissement individuel et l’intégration sociale de tous les enfants, quelle que soit leur origine.

À La Réunion, comme dans l’ensemble des territoires et départements d’outre-mer, l’école souffre de difficultés particulières. Les évaluations nationales, même imparfaites, placent avec constance ces académies, singulièrement celle de La Réunion, en queue de classement. Dans notre île, 120 000 personnes souffrent d’illettrisme, et ce nombre ne diminue pas au fil des décennies ; le taux de réussite au brevet est inférieur de 7 points à la moyenne nationale et le taux de réussite au baccalauréat de 5,5 points. La jeunesse rencontre de très grandes difficultés d’insertion professionnelle : près de 60 % des moins de 25 ans sont au chômage !

Les conditions d’entrée à l’école sont déterminantes pour la réussite scolaire – sur ce point, je partage votre diagnostic –, mais je constate que l’école républicaine ne tient pas suffisamment compte de nos spécificités. Je pense notamment à la transition, dès l’entrée à l’école, entre le créole et le français et je fais miennes à ce propos les remarques de Mme Buffet concernant l’importance de l’école maternelle ; je pense également aux rythmes scolaires, qu’ils soient quotidiens ou annuels, et qui, quasiment calqués sur ceux de l’hexagone, ignorent nos réalités climatiques.

Les exemples de ce type sont nombreux et il apparaît clairement que la non-prise en compte de ces réalités locales est l’une des causes des résultats trop contrastés de l’école outre-mer.

Il serait souhaitable que le projet de refondation de l’école ne se limite pas aux seules réalités hexagonales, mais intègre la dimension ultramarine de la République. Comment comptez-vous y veiller dans votre projet de refondation ?

Mme Sophie Dion. Monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, vous avez évoqué à plusieurs reprises la nécessité de consacrer du temps scolaire à l’éducation artistique et culturelle, dont nous reconnaissons tous que, bien que ne constituant pas un savoir fondamental, elle contribue à l’épanouissement des enfants.

En revanche, je vous ai très peu entendu parler de sport, qui occupe pourtant une place importante dans un parcours éducatif équilibré. Il véhicule des valeurs très fortes et favorise l’épanouissement des élèves. Or sa pratique est organisée de manière très diverse, entre les petites classes, le collège – où existent les mi-temps sportifs – et les « doubles projets » – pôles espoir et pôles France – proposés aux enfants les plus doués, sans oublier l’université qui souffre à cet égard de graves carences.

Le sport fait-il partie de vos priorités ? Dans quelle mesure et selon quelles modalités ? Quelles sont vos ambitions en la matière ?

M. Malek Boutih. Monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, comme beaucoup de mes collègues, je vous souhaite de réussir et vous exprime ma satisfaction de vous voir prendre des mesures d’urgence pour l’éducation, qui correspondent aux engagements du Président de la République. Je rappelle qu’il y a cinq ans, les mesures d’urgence, avec le bouclier fiscal, s’adressaient aux Français les plus riches… Le choix des Français a été entendu et c’est un message très important.

Nous devrions baptiser votre ministère, dans le cadre du débat budgétaire, le ministère d’économies, car chaque euro investi dans la réussite scolaire d’un enfant représente plusieurs dizaines d’euros que la Nation économisera au cours des années à venir. Lorsqu’on connaît le coût d’un jeune délinquant en échec scolaire et de sa réinsertion, il est clair qu’en tant que législateurs, notre responsabilité est de vous aider à réussir.

Vous placez l’école au cœur de l’identité et du destin commun de la Nation. À ce titre, j’appelle votre attention sur un point : la ghettoïsation de certains établissements ne revêt pas seulement un caractère social. Certes, les familles concernées vivent souvent dans des conditions très difficiles, mais on voit apparaître une discrimination fondée sur des critères ethniques. Cette césure, qui va à l’encontre des principes de l’école républicaine, rend le travail des enseignants très difficile et a des conséquences dramatiques. Il faut de tout urgence que le ministère s’intéresse à la situation de ces établissements.

L’identité nationale représente un enjeu important dans notre société. Elle se construit autour de certaines valeurs comme l’émancipation que peut apporter l’école, mais elle doit aussi affronter les préjugés racistes et antisémites qui se développent dans notre pays depuis quelques années de façon de plus en plus virulente. Nous assistons à la résurgence de propos et de passages à l’acte violent, qui impliquent de très jeunes gens. Tous ceux qui osent regarder la vérité en face sont frappés par cette violence et par sa banalisation.

Il y a urgence. Il faut, dès la rentrée, prendre un certain nombre de mesures pour rappeler aux valeurs républicaines et à la loi, pour contrer les préjugés à l’égard des citoyens en fonction de leur origine ou de leur religion et, compte tenu des événements dramatiques de ces derniers mois, pour engager une action plus ciblée à l’égard de l’antisémitisme.

Mme Maud Olivier. Monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, vous avez dégagé un certain nombre de priorités auxquelles j’adhère totalement. Parmi tous les enjeux qui ont été abordés, l’égalité entre les femmes et les hommes me semble cruciale. Vous connaissez l’ampleur de la tâche pour venir à bout des inégalités mais l’éducation constitue un levier pour déconstruire les stéréotypes et le sexisme, pour favoriser une orientation scolaire sans autocensure ni discrimination, et pour construire une image des femmes et des hommes plus en phase avec la réalité et avec l’ambition qui est la nôtre. Quelles sont, dans votre démarche, les modalités d’une intégration transversale de l’égalité entre filles et garçons ? Le prisme du genre sera-t-il adopté dans chaque groupe de travail, sur chaque thématique abordée, pour proposer des mesures au plus près des besoins et pour faire de l’éducation le levier dont je parlais ?

Les infirmiers et infirmières scolaires sont des maillons indispensables de notre système de santé publique, mais ils sont également des relais indispensables pour les élèves, qu’il s’agisse de les sensibiliser à des enjeux majeurs de santé comme la contraception, l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, ou aux risques que présentent les jeux dangereux. Leur mission consiste également à écouter, voire à réorienter les élèves fragiles et vulnérables, que ce soit physiquement ou moralement, ou à alerter les autorités dans les cas de mise en danger des enfants. L’augmentation du nombre d’infirmiers et d’infirmières scolaires est-elle l’une des mesures urgentes que vous entendez prendre pour réformer notre système éducatif ? Est-elle l’un des enjeux de votre démarche de refondation de l’école de la République ?

Mme Isabelle Bruneau. Monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, le monde enseignant attend beaucoup de vous, qui avez redonné espoir à un système fortement mis à mal depuis quelques années.

La réforme des lycées a engendré beaucoup de souffrance dans le monde enseignant, d’autant que les programmes scolaires ont été réformés sans véritable concertation. Un certain nombre de matières essentielles ont été supprimées au profit d’un self service de matières « fourre-tout ». Dans des disciplines comme l’histoire-géographie, la philosophie et les sciences économiques, la réforme nous a enlevé des outils et des méthodes susceptibles d’amener les élèves à réfléchir. C’est dommage, car le but des enseignants de lycée n’est-il pas, en plus de transmettre des connaissances, de former l’esprit critique des enfants ?

Vous avez souligné la corrélation entre la situation sociale et la réussite scolaire et je vous en sais gré. Les enseignants constatent la dégradation de la situation des parents d’élèves dès lors que ceux-ci se retrouvent confrontés à la précarité ou au chômage. Il est évident que les familles dont les moyens se trouvent ainsi brutalement réduits investissent beaucoup moins dans la culture et dans l’éducation, ce qui alourdit la charge – et la responsabilité – de ces mêmes enseignants.

Enfin, les moyens des écoles supérieures du professorat, désormais intégrées dans les universités, seront-ils garantis ? La formation des enseignants est essentielle, notamment dans les quartiers d’éducation prioritaire où ils jouent le rôle d’éducateurs – et où ne devraient pas être affectés les enseignants débutants.

M. Mathieu Hanotin. Monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, le signal que vous nous avez adressé a été très bien perçu par l’ensemble de la communauté éducative de mon département. Il nous redonne de l’espoir en plaçant la réussite des élèves au cœur de nos priorités.

Même si aucune solution à ce problème n’est en vue, je souhaite vous alerter sur les difficultés rencontrées pour remplacer les professeurs absents. Les parents ne comprennent pas que les élèves perdent ainsi un ou deux mois de scolarité, ou que la succession de remplaçants prive leurs enfants de toute continuité pédagogique.

Vous souhaitez revenir sur la semaine de quatre jours dans les écoles primaires. C’est une bonne chose, car cette organisation est catastrophique pour les élèves en difficulté dans la mesure où elle alourdit leurs journées de travail.

Mon département est particulièrement concerné par la réforme de l’éducation prioritaire. Il en a besoin, comme il a besoin de dispositifs spécifiques pour la prévention du décrochage et pour la lutte contre les violences scolaires.

Si l’école primaire est plutôt bien structurée, même si elle manque cruellement de moyens, le collège, lui, n’a pas cet avantage. Dans les zones difficiles de mon département, il délivre un apprentissage beaucoup trop académique et cette approche, qui consiste à enseigner en sixième comme on le fait en terminale, n’est pas appropriée. Il faut instaurer une meilleure transition entre l’école primaire et le lycée, et c’est au collège d’aider les élèves à opérer cette transition. Or, s’il existe une certaine homogénéité dans le primaire et au lycée, ce n’est pas le cas là : les élèves, à l’adolescence, n’évoluent pas tous au même rythme et un certain nombre d’entre eux décrochent.

M. le ministre. Je vous remercie pour vos interventions. Je vous prie de m’excuser si mon propos liminaire n’était pas exhaustif, mais il m’a semblé préférable de vous laisser vous exprimer, d’autant que l’une des difficultés que nous allons rencontrer sera de déterminer des lignes de force parmi tant de sujets qui méritent tous notre attention.

La question de l’école, si elle peut nous diviser, peut aussi nous réunir. Les blocages de l’école française sont liés à des incompréhensions et à des erreurs d’analyse, mais aussi à des divisions qui sont apparues à l’intérieur même de notre système scolaire. Aujourd’hui, beaucoup de ceux qui nous observent et qui partagent notre diagnostic se gaussent en pensant à l’éternelle répétition du même qui mine cette société en panne d’avenir et s’attendent à ce que le primaire s’oppose au secondaire, et les républicains aux pédagogues...

Je crois, monsieur Boutih, que nous pouvons collectivement faire mieux et que nous avons intérêt à montrer aux jeunes que les adultes sont capables, en réponse à la crise de l’identité nationale, de se montrer exemplaires. On peut demander aux autres de faire ce que l’on ne fait pas soi-même, mais ce n’était pas le principe des « hussards noirs ». Agis toujours de telle sorte que ce que tu fais puisse servir d’exemple : tel est le principe de l’école.

C’est également l’esprit de la concertation, et je remercie tous ceux qui se sont engagés dans cette démarche. Dans un temps de difficultés économiques profondes, si nous n’engageons pas rapidement les réformes, elles ne se feront pas. Si un certain nombre d’entre elles n’ont pas vu le jour, bien que les concertations aient eu lieu, c’est par manque de volonté politique. Cette réforme de l’éducation nationale, le Président de la République l’a annoncée dans sa campagne. Nous sommes mandatés pour la mener à bien, avec vous tous. Veillons à ce que ce soit fait le plus intelligemment possible.

En même temps, nous devons, pour des raisons de fond et non de forme, distinguer ce qui relève de l’essentiel et ce qui relève de l’accessoire. Le temps du débat parlementaire sera un moment essentiel.

Ce qui a compromis la loi Fillon de 2005, c’est qu’y ont été ajoutés un certain nombre de points qui, même s’ils sont importants du point de vue de ceux qui les défendent et méritent à ce titre le respect, ne structurent pas l’organisation d’une Nation et auraient pu être traités dans un autre cadre. Alors qu’il existe des dispositions très contraignantes s’agissant de ce qui relève du législatif et ce qui n’en relève pas, ce sont les ajouts, ministériels ou parlementaires, qui ont mis la loi Fillon en grande difficulté. Un projet de loi n’est pas un catalogue auquel on peut indéfiniment ajouter. Nous ne mettrons pas tout dans le nôtre. Au pays de Descartes, nous savons qu’une démarche pour réussir exige un peu de clarté, de distinctions et la définition de priorités. Nous avons renouvelé ces dernières. J’y ajouterai toutefois, car ce point avait été oublié, le service public territorialisé de l’orientation. Nous avons entamé des discussions avec l’ensemble des associations d’élus sur ces questions qui, si elles ne sont pas simples, sont essentielles pour les élèves.

Je n’ai aucun préjugé sur l’apprentissage, à condition que le statut scolaire et les stages respectent les conditions permettant aux élèves de se former et de progresser. Nous avons remis hier les prix du Concours général. Ce fut pour moi une expérience très intéressante sur le plan de la continuité de l’État et eu égard aux questions soulevées par Malek Boutih. Nous avons rencontré de nombreux élèves issus de lycées professionnels, en ayant à l’esprit certaines préoccupations : les sorties précoces, plus nombreuses que dans les lycées classiques, et le taux de réussite au baccalauréat. De leur côté, ces jeunes nous ont alertés sur les difficultés auxquelles ils se heurtent pour trouver un stage. Les professeurs eux-mêmes nous ont indiqué qu’il serait vain de fixer des objectifs qui ne pourraient être atteints. Je serai moi-même très vigilant quant à la rédaction de la loi. Il ne sert à rien de prévoir 800 000 stages s’ils n’existent pas – nous en avons souvent discuté avec Xavier Bertrand. Nous avons devant nous un travail extrêmement long, mais les analyses dont nous disposons montrent que les systèmes éducatifs qui réussissent sont des systèmes dans lesquels le tronc commun dure plus longtemps, ce qui n’empêche pas la diversification.

Nous reviendrons sur les problèmes du collège, qui sont considérables, nous le savons depuis longtemps. Il nous faudra pour cela abandonner un certain nombre de stéréotypes comme celui du collège unique, car il y a longtemps qu’il ne l’est plus.

Nous avons là un travail fondamental à accomplir et celui qui s’apprête à opérer un changement doit le faire d’une main tremblante. Cependant, si notre système produit trop d’échecs, il produit également des réussites.

Beaucoup de ceux qui ont voulu engager des réformes étaient animés de bonnes intentions, et un ministre doit s’occuper – comme on dit en maternelle, faire de l’occupationnel. Mon ambition n’est pas d’accoler mon nom à une loi. Il est des domaines qui nécessitent que nous prenions le temps. La réforme du lycée, classique et professionnel, est pour nous un point essentiel.

Sur ce point aussi, il faut définir des priorités, sur lesquelles nous pouvons nous mettre d’accord et qui changeront réellement le système : la formation des maîtres et la primarisation, cette révolution copernicienne qui signe l’inversion des mentalités qui ont cours depuis un siècle et demi.

Ensuite, nous aurons beaucoup à faire. Mais prenons le temps de la concertation qui, à mes yeux, est beaucoup plus qu’une consultation. Je la prends très au sérieux et j’attends beaucoup des apports des uns et des autres. Il faut savoir se décentrer : nous l’enseignons aux élèves, mais cela vaut pour tous : nul ne saurait agir seul.

Le temps parlementaire est fondamental, tout comme celui de la démocratie sociale. Il n’y aura pas de négociations parallèles, qui n’auraient aucun sens. Nous jouerons le jeu de la concertation, qui inclut les syndicats. Et de ce temps, j’en suis absolument certain, naîtra un agenda de négociations internes, portant notamment sur les effets statutaires de la loi.

Il importe que nous respections cet ordre : le temps de la concertation, entre forces vives, le temps parlementaire, de la responsabilité du Gouvernement, et celui de la négociation.

La réforme de l’enseignement prioritaire nous amène en effet à nous poser certaines questions : faut-il augmenter les décharges horaires, devons-nous renforcer le travail en équipe ? Si la Nation décide que les décharges ne doivent pas être réservées aux professeurs des classes supérieures des grands lycées mais être étendues à ceux qui se trouvent au front des difficultés sociales, cette décision fera l’objet d’une négociation sociale. C’est ainsi que je l’entends. Il faut distinguer la déclaration de la loi, qui part de tous et s’applique à tous, et la négociation, qui relève d’instances prévues pour cela.

Le temps est court, j’en suis conscient. Je pense néanmoins que s’il était plus long, nous risquerions de reproduire ce qui s’est déjà fait un certain nombre de fois et de ne pas débloquer la situation.

Nous n’avons pas aujourd’hui la possibilité d’accorder un statut à tous les directeurs d’école en France. Mais nous allons déjà renouveler les contrats de ceux qui les assistent, ces contrats aidés concernant quelque 4 000 directeurs d’école. Vous pouvez donc rassurer les personnels dans vos départements, mesdames et messieurs les députés : les 12 000 contrats aidés qui venaient à échéance fin juin, mettant les personnes en grande difficulté, seront renouvelés dans leur intégralité.

Si nous voulons évoluer, il nous faut engager une réflexion en vue d’une coordination entre le collège et l’école primaire. Un certain nombre d’expérimentations sont en cours, je n’y mettrai pas fin. Je souhaite d’ailleurs, et nous y travaillerons ensemble, que la loi reconnaisse le statut de l’expérimentation. Ma collègue a la responsabilité d’un certain nombre d’innovations. J’ai moi-même tenu à rencontrer les enseignants innovants dès ma nomination au ministère, considérant qu’ils doivent être accompagnés.

En ce qui concerne l’école maternelle, la proportion des enfants de moins de trois ans scolarisés est tombée de 35 % à 10 %. Je ne souhaite pas polémiquer, mais je considère que c’est très grave. Cela prendra du temps, mais il nous faudra revenir à la situation précédente et bien cibler les établissements auxquels seront destinés les crédits permettant d’accueillir ces enfants de moins de trois ans.

Certaines initiatives devront être développées – je pense aux classes passerelles. Nous en discuterons avec les collectivités locales. Un certain nombre d’expériences en cours fonctionnent très bien. C’est le cas du programme « PARLER bambin » qui aide les familles en difficulté. Le Président de la République avait pris un engagement dont plus personne ne parle mais qui me tient à cœur : celui d’aider les parents, en particulier les femmes qui élèvent seules leur enfant, à progresser dans l’acquisition de la langue française. Nous réfléchissons à un dispositif à cet effet.

J’en viens à la question des programmes scolaires. Elle sera posée, mais je vous le dis d’emblée et je le dirai aux professeurs : par respect pour les comptes de la Nation, mais aussi compte tenu de la durée des journées d’école en France, nous ne permettrons aucun ajout d’une heure ici ou là. Le moment est venu d’une école de la responsabilité.

Je crois à la nécessité des humanités, de la pensée critique, et je pense que nous devons développer celle-ci, y compris dans le cadre des programmes. Mais le premier effort que nous aurons à faire sera de mieux articuler la notion de socle, à laquelle nous tenons, le livret, le brevet et les programmes. Nous avons là un espace de travail.

Je souhaite que ce travail soit entrepris indépendamment du ministre, comme cela a été fait en 2002. Il faut rétablir un Conseil national des programmes – ce qui sera fait par voie législative – et mettre en place des instances d’évaluation réellement indépendantes, sur lesquelles nous puissions réellement nous appuyer. Aujourd’hui, lorsque je demande qui a élaboré les programmes de 2008, personne ne peut me répondre. C’est totalement extravagant ! Nous ferons collaborer les praticiens de terrain, les professeurs compétents par discipline, les didacticiens, et la souveraineté nationale sera saisie comme elle l’avait été en 2002.

En ce qui concerne les RASED, j’ai demandé que soit créée une mission d’inspection afin d’évaluer leur bien-fondé, étant entendu que sur les 1 000 postes créés, un certain nombre seront destinés à ces réseaux d’aide spécialisées. Nous devons engager une réflexion, si nous avons plus de maîtres que de classes, pour déterminer les établissements où les moyens seront les plus efficaces et à quel type d’élèves ces aides doivent s’adresser. Je connais les difficultés qu’ont pu provoquer les réseaux, tout en étant convaincu de leur extrême utilité. Je connais bien la question : j’ai été très surpris par les critiques qui se sont exprimées au cours des dernières années car, dans le même temps, j’ai vu venir vers moi, dans les cas de suppressions de postes, des professeurs des écoles reconnaissant les problèmes posés par l’absence de RASED dans leur établissement. Il est vrai que le réseau représentait 5 000 postes, ce qui est considérable. La formation étant très consommatrice de postes, nous devrons affecter les postes de maîtres spécialisés, sur les 60 000 postes prévus, là où ils seront les plus utiles. C’est un vrai sujet de préoccupation. Nous devrions disposer d’un rapport précis sur cette question dans le temps du débat législatif.

Monsieur Vlody, vos considérations sur la situation de l’école outre-mer sont tout à fait justes. Je ne puis à ce stade vous détailler les mesures que nous avons déjà prises, mais je vais vous indiquer quel est notre état d’esprit. Ce qui me préoccupe, c’est le fait que nous mettions toujours en avant la question des moyens. Ceux-ci seront toujours insuffisants. Dans les DOM-TOM, lorsque survient un problème, on demande souvent au ministre de l’éducation nationale de créer cinq ou six postes supplémentaires. Pour ma part, je ne crois pas que ce soit la solution. Je souhaite que nous adoptions une approche qualitative des problèmes spécifiques aux DOM-TOM. C’est ce que je vous proposerai dès la fin de l’été. Nous avons affecté à la Réunion une part des moyens supplémentaires. Cela me paraît juste, mais nous pouvons difficilement aller au-delà. Cela dit, il nous faut mettre à plat tous les éléments, y compris les carrières des personnels. Ce sera mon approche pour que ces problèmes, très anciens, trouvent enfin une solution.

Nous partageons la préoccupation de Malek Boutih. J’ai eu l’occasion, hier, à la remise des prix du Concours général, d’assurer la continuité de l’État : mon prédécesseur Luc Chatel avait pris un engagement à l’égard d’un élève qui avait obtenu le prix du Concours général avant d’être déporté. Et tous les jeunes présents ont réagi très positivement quand on leur a rappelé qu’ils appartenaient à une certaine Histoire et à une certaine France…

Monsieur Boutih, le problème que vous soulevez doit trouver une solution, et pas uniquement par le biais de dispositifs singuliers. Je demanderai dès la rentrée que soit constituée une mission sur la morale laïque et sur la conception que nous devons diffuser d’une laïcité qui ne peut être la simple tolérance, l’indifférence ou la neutralité. Je crois profondément que ce qui est déterminant, c’est notre capacité collective à tenir des discours, à entraîner, à respecter et à montrer que l’on parvient à surmonter les problèmes.

Vous avez parfaitement raison, monsieur le député, l’école ne peut résoudre tous les problèmes de la société, et ce ne sera jamais notre approche. L’école doit être sanctuarisée, tenue à l’écart des manifestations de violence. C’est pourquoi, dès la rentrée, il y aura davantage d’adultes dans les établissements. Mais nous devons nous préoccuper d’autres mesures, en matière d’urbanisme et de logement, qui sont tout aussi nécessaires – les sociologues nous ont montré à quel point le logement a un impact sur le destin scolaire des enfants.

Les décisions politiques destinées à lutter contre les discriminations, à favoriser l’emploi, doivent avoir toute leur place dans notre action, mais il ne faudrait pas – j’y veillerai, et vous le ferez aussi – que donner la priorité à l’école soit compris comme l’obligation pour elle de résoudre tous les problèmes de la société. Au contraire, l’école doit être accompagnée par des politiques publiques en cohérence avec les objectifs que nous lui fixons.

J’évoquerai pour terminer la question des temps scolaires, dont je comprends qu’elle préoccupe les collectivités locales et les familles. J’en connais le coût, je vous ai indiqué la méthode. Nous avons engagé une étroite concertation avec l’ensemble des associations d’élus. Des expériences ont eu lieu. Je crois que nous allons pouvoir avancer. Ma seule réserve et ma seule responsabilité tiennent au fait que certains progrès, comme l’expérimentation, la décentralisation ou la réforme des lycées, ont accru les inégalités. L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions ! Je suis prêt à aller très loin dans cette réforme des rythmes scolaires, y compris au niveau de la journée, car je pense que là est le levier de la réussite pour tous, y compris pour l’acquisition du « lire, écrire, compter ». L’éducation de Jules Ferry était libérale et les enfants de tous les milieux ont toujours eu accès à la plus haute culture. Telle est l’ambition de l’école de la République.

Mais nous devrons être vigilants, car nous savons qu’un regroupement pédagogique intercommunal de Haute-Saône ou une école de Gennevilliers n’ont pas les mêmes moyens pour organiser l’accueil périscolaire qu’un établissement situé au coeur de Lyon, Toulouse ou Paris. C’est de la responsabilité de l’État de créer le cadre nécessaire. Celui-ci n’existe pas encore. Il peut être d’ordre législatif, mais il doit tenir compte de la revendication des collectivités locales de s’administrer librement.

L’État doit jouer son rôle afin que tous les enfants de France, quel que soit leur territoire d’origine, aient les mêmes droits et la même possibilité de rendre ces droits effectifs. C’est pour moi le seul verrou qu’il convient d’accepter pour élaborer la réforme des temps scolaires. Nous y veillerons : vous, législateurs, prendrez vos responsabilités et je prendrai les miennes.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie et vous souhaite bon courage à tous deux.

La séance est levée à 13 heures 20.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 11 juillet 2012 à 11 heures 30

Présents. - M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Malek Boutih, M. Thierry Braillard, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Isabelle Bruneau, Mme Marie-George Buffet, M. Ary Chalus, Mme Dominique Chauvel, Mme Valérie Corre, M. Yves Daniel, M. Gérald Darmanin, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Mathieu Hanotin, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, Mme Joëlle Huillier, M. Christian Kert, Mme Sonia Lagarde, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Lucette Lousteau, Mme Marion Maréchal-Le Pen, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, Mme Dolores Roqué, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, M. Jean Jacques Vlody

Assistaient également à la réunion. - Mme Françoise Dumas, Mme Anne-Yvonne Le Dain