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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 10 octobre 2012

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 02

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Debarbieux, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire au ministère de l’éducation nationale

Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 10 octobre 2012

La séance est ouverte à dix-sept heures vingt.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’audition de M. Éric Debarbieux, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire au ministère de l’éducation nationale.

M. le président Patrick Bloche. Je suis heureux d’accueillir en votre nom, chers collègues, M. Éric Debarbieux, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire au ministère de l’éducation nationale.

Cette audition a lieu dans une actualité que nous avons tous à l’esprit, mais, en tant que représentants de la nation, nous ne devons pas nous y limiter. Il est en effet également nécessaire que nous fassions le point sur les outils dont dispose le ministère de l’éducation nationale afin de lutter contre les violences scolaires et, au-delà, sur les objectifs et les ambitions qui sont les vôtres.

Votre nomination en qualité de délégué ministériel, intervenue à la mi-septembre, montre combien, monsieur Debarbieux, vos travaux d’observations et de recherches sont reconnus, ainsi que votre engagement inlassable pour une meilleure prise en compte des phénomènes de violence.

En tant que directeur de l’Observatoire international de la violence à l’école, vous aviez présenté juste avant votre nomination les résultats de la première enquête de victimation menée auprès des enseignants ainsi que des directeurs des écoles maternelles et élémentaires. Peut-être nous en direz-vous quelques mots.

En votre qualité de délégué ministériel, nous allons aujourd’hui écouter attentivement le détail de votre mission, que le ministre a définie en trois points : préparer les réponses et les actions pédagogiques préventives et punitives ; former les personnels – enjeu essentiel pour nous ; coordonner les connaissances en matière de violences scolaires, de harcèlements, d’incivilités et de discriminations à l’égard des élèves et des personnels.

Nul doute que le débat que nous allons avoir trouvera un écho lorsque nous nous pencherons sur le projet de loi d’orientation et de refondation de l’école, qui sera présenté par le Gouvernement sur la base des propositions issues de la concertation et reprises solennellement hier, à la Sorbonne, par le Président de la République.

M. Éric Debarbieux, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire au ministère de l’éducation nationale. Je vous remercie vivement d’une invitation qui m’honore.

Vous, parlementaires, disposez évidemment d’une légitimité électorale mais qu’en est-il des experts, dont je suis ? De quel droit puis-je évoquer un sujet aussi grave qui suscite tant d’approximations idéologiques et de passions dont nous savons d’ailleurs combien elles peuvent être mauvaises conseillères ?

La première réaction, notamment médiatique, face à la création d’une nouvelle délégation ministérielle est la suivante : « Qu’est-ce donc que ce machin supplémentaire ? Est-il utile ? » En l’occurrence, je considère qu’il s’agit d’un aboutissement, la délégation ayant vocation à être pérennisée indépendamment de ma personne. En outre, les problèmes de violence à l’école, pour la première fois, seront considérés comme tels à un niveau élevé de l’État.

De la même manière, on entend souvent dire que les experts ne connaissent pas le terrain, ni les classes, ni les établissements scolaires, suspectés qu’ils sont d’être très loin des réalités. En ce qui me concerne, j’ai été pendant 18 ans éducateur spécialisé au sein de l’établissement Le Gîte, à Roubaix, travail qui m’a beaucoup intéressé. J’ai ensuite été dans la Drôme en tant qu’instituteur spécialisé auprès d’enfants en très grandes difficultés. Lorsque je parle de violence à l’école, j’ai donc en tête des visages et des noms ! Lorsqu’un expert a travaillé en institut médico-pédagogique ou en section d’éducation spécialisée, il a tout de même traversé un certain nombre de difficultés ! Enfin, j’ai effectué et je continue de mener des recherches de terrain : ainsi, lundi matin, je présenterai les résultats d’une enquête dans un collège de Saint-Denis avec lequel je travaille et je serai dès demain à La Rochelle pour participer à une formation de professeurs des écoles.

Si je suis aujourd’hui devant vous, c’est principalement en raison des enquêtes de victimation dans le milieu scolaire que j’ai réalisées dès 1991 et dont j’ai été le principal porteur, en France, bien avant que ce thème soit complètement intégré dans l’agenda politique et médiatique. Nous avions donc pressenti que ce sujet serait essentiel dans les prochaines années et, malheureusement, nous ne nous sommes pas trompés.

Ces enquêtes m’ont conduit à interroger plus de 82 000 élèves en France, près de 12 000 enseignants du premier degré, de 2 500 personnels de l’enseignement en Seine-Saint-Denis, 3 000 personnels de direction et, avec la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale, 18 000 collégiens. Oui, je connais un petit peu le sujet, et c’est à partir de cette expérience que je me propose de parler.

De plus, je dois avouer que je suis un grand naïf : j’ai cru qu’il était possible de faire de la question de la violence à l’école autre chose qu’un sujet d’affrontements idéologiques. Les victimes ne sont ni de droite, ni de gauche ! Qu’elles soient parfois l’objet d’une exploitation politique, c’est possible, mais, en attendant, il convient d’éviter au maximum l’idéologie afin d’avoir une vision un peu plus rationnelle et éclairée de la question. De ce point de vue-là, le simple fait que je sois ici n’est pas si mal.

Vous avez en effet rappelé mon parcours, monsieur le président, mais je tiens à souligner que, pendant la mandature précédente, j’ai présidé le comité scientifique des états généraux de la sécurité à l’école ainsi que le comité scientifique des Assises nationales contre le harcèlement à l’école – dont j’ai été l’un des principaux organisateurs –, à la demande de Luc Chatel. L’État délivre un message très fort, face à ce type de problèmes, en montrant qu’il est capable de poursuivre son action en dépassant les clivages. Certes, les différences existent et je n’ai jamais eu la volonté de travailler sur ce terrain-là mais il est notable que les phénomènes de harcèlement – qui sont centraux, un des nœuds, véritablement, du problème de la violence scolaire, situé dans son cœur – ne sont pas oubliés. Lorsque j’ai été nommé délégué, j’ai été principalement frappé par les messages des parents et des victimes qui craignaient que ce qu’ils ont vécu ne soit oublié. Eh bien non ! Non seulement cela ne le sera pas, mais nous allons donner encore plus de force à notre action.

Avant d’en venir au cœur de notre sujet, je précise que je ne ferai évidemment aucune annonce : avec M. le ministre de l’education nationale, nous travaillons à l’élaboration d’un certain nombre de solutions dont il ne m’appartient pas de faire part.

Pendant des dizaines d’années, en France, nous n’avons compris la violence scolaire que sur le mode intrusif, provenant de l’extérieur de l’école envahie par la barbarie des quartiers. Que l’école soit poreuse vis-à-vis des problèmes sociaux, c’est une évidence, mais les enquêtes de victimation aussi bien que les signalements réalisés par les chefs d’établissement ou l’étude des plaintes déposées montrent que la violence scolaire est d’abord interne et, principalement, le fait des élèves.

Selon une enquête de la DEPP, 98 % des faits de violence verbale à l’encontre d’élèves le sont par des élèves au sein de l’établissement scolaire ; 99 % des faits de violence physique à l’encontre d’élèves et par d’autres élèves le sont dans l’établissement par des élèves de ce dernier ; 0,4 % des enseignants, quant à eux, ont été frappés par des parents d’élèves. Dans les départements les plus difficiles, moins de 5 % des actes de violence, y compris les plus graves d’entre eux, sont perpétrés de l’extérieur. Dans les départements les plus paisibles, ils représentent 1 % à 2 %, ce qui est très peu.

Les problèmes de violence à l’école ne peuvent donc pas être réglés uniquement de l’extérieur, par exemple par la prévention situationnelle. Je n’y suis pas opposé sur un plan idéologique, mais, compte tenu de la situation, la solution consiste à apporter d’abord de l’aide à l’intérieur des établissements scolaires. Nous sommes en effet confrontés à un problème qui est également pédagogique, qui relève de la gestion humaine et qui, comme tel, concerne au premier chef l’Éducation nationale.

De plus, la violence à l’école est souvent mise en avant par des faits relativement exceptionnels. Certes, il n’est pas question de les minimiser : ils sont dramatiques pour les victimes, mais aussi pour les témoins, et leurs conséquences sont potentiellement terribles. Je n’ai aucune envie de relativiser la récente défenestration de la petite Myriam depuis le septième étage de son immeuble en raison du harcèlement qu’elle subissait – travailler à la gestion de l’urgence constituera d’ailleurs l’un des objectifs de ma délégation. Je le répète, de tels faits sont exceptionnels et ce n’est pas respecter ces victimes que de les considérer comme des victimes parmi d’autres.

En outre, nous n’avons pas connu, dans notre pays, de massacres scolaires mais nous ne sommes pas pour autant à l’abri – ce qui ne manquerait pas d’entraîner une remise en question idéologique totale. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ils ne sont pas épidémiques aux États-Unis puisqu’ils ont été divisés par trois depuis le début des années 90.

L’enquête de victimation que j’ai réalisée montre que 3,6 % des enseignants des écoles primaires – maternelles et élémentaires – déclarent avoir été frappés. Mais ce n’est évidemment pas la même chose de l’avoir été par le coup de pied d’un enfant que d’avoir subi une agression violente. Les bousculades ont entraîné pour 0,1 % des personnes, soit quatorze cas, une interruption temporaire de travail (ITT) de plus de huit jours et, pour 50 d’entre elles, de moins de huit jours ; 90 % des cas de bousculades n’ont pas été suivis d’arrêts de travail. Parmi les enseignants qui, dans de telles situations, ont reçu des coups, 87,5 % d’entre eux n’ont eu aucune ITT. Douze cas, soit 0,1 % des personnes interrogées, en ont eu une de plus de huit jours. Les violences paroxystiques, qui souvent font la « une » des journaux, sont donc relativement limitées.

Néanmoins, comme je le dis depuis longtemps, il ne faut pas relativiser les « petites » violences. D’autres l’ont d’ailleurs répété depuis bien plus longtemps que moi à l’étranger : les « petites » violences cumulées ont des conséquence importantes en termes de santé mentale, de réussite scolaire et de délinquance.

Par ailleurs, les enquêtes que nous avons réalisées ont montré qu’environ 90 % des élèves déclarent être heureux à l’école – ce qui ne les empêche pas, quelquefois, de détester leur professeur de mathématiques ou de préférer l’école buissonnière ! Entre 80 % et 90 % des enseignants, quant à eux, se disent plutôt heureux et considèrent que la situation scolaire est plutôt bonne. Notre école n’est donc pas à feu et à sang… sauf qu’il me semble opportun de reprendre le titre d’un rapport que j’avais jadis écrit pour l’UNICEF : « À l’école des enfants heureux… enfin, presque. »

En effet, ce sont toujours les mêmes qui sont victimes de ces « petites » violences, essentiellement verbales, de l’ordre de la petite bagarre, de la petite bousculade, des insultes, de la rumeur. Un enfant sur dix est victime d’un harcèlement et 5 % d’entre eux d’un harcèlement sévère. Cet effet de cumul est extrêmement important, où que ce soit. En effet, ce n’est pas qu’un problème de banlieue : la sociologie de la violence à l’école demeure certes, en partie, une sociologie de l’exclusion, mais le harcèlement survient n’importe où. Nous savons de source sûre que les conséquences de ces petites violences répétées sont importantes en termes de santé mentale et de décrochage scolaire. Entre 20 % et 25 % des élèves absentéistes chroniques ne se rendent plus à l’école parce qu’ils ont peur. Une telle attitude ne s’explique donc pas seulement par la défaillance des parents. Myriam, que j’évoquais à l’instant, était en danger parce qu’elle était harcelée en permanence !

Les recherches de Dan Olweus sur le harcèlement effectuées dès les années 70 ont été pionnières sur un plan international. Elles ont montré que les tentatives de suicide étaient quatre fois plus nombreuses chez les enfants harcelés que chez les autres. Des méta-analyses récentes ont également montré que les dépressions et les dégradations de l’image de soi sont aussi beaucoup plus répandues. En d’autres termes, ces problèmes ne relèvent pas uniquement de la sécurité publique mais de la santé publique, contrairement à ce qu l’on a trop longtemps cru dans notre pays. L’une des missions de ma délégation consistera donc à nous rapprocher de ce secteur. Quoi qu’il en soit, le thème du harcèlement a considérablement frappé les esprits, et pour longtemps.

La violence est souvent le fait de la loi du plus fort, laquelle n’a rien à voir avec la justice selon Robin des Bois : des enfants d’une même classe, issus d’un même milieu, se liguent contre le ou les plus faibles – à ce propos, Christian Bachmann, un grand sociologue, a évoqué une « haine de proximité » – en raison d’une différence, souvent inventée, ou d’un handicap. Le racisme ou l’homophobie ont également leur part dans ces attitudes. L’enquête de la DEPP a montré que 39 % des élèves se disaient victimes de moqueries parce qu’ils sont bons en classe. Ainsi, dès qu’on est différent ou « fabriqué » comme différent, il peut y avoir un problème. La lutte contre les discriminations est donc extrêmement importante pour lutter contre la violence à l’école.

Les conséquences sont également nombreuses pour les agresseurs. David Farrington, responsable du département de criminologie à Cambridge, a travaillé pendant quarante ans sur environ 500 élèves harceleurs issus de la banlieue sud de Londres. Bien plus que d’autres, ils sont au chômage ou ont un travail sans aucune responsabilité, mal payé et précaire ; bien plus que d’autres, ils maltraitent leurs conjoints ou deviennent délinquants. Leurs victimes, quant à elles, ont souffert d’une dépression très longue, pouvant durer toute la vie ; elles sont victimes, elles aussi plus que d’autres, de maltraitances conjugales et font des tentatives de suicide parfois jusque soixante ans après les faits. Un chauffeur de taxi âgé de 43 ans, victime de harcèlement lorsqu’il avait 14 ou 15 ans, m’a confié que son taxi était le seul endroit dans lequel il se sentait assez bien. Il ne pouvait plus en sortir ! Les coûts du harcèlement juvénile, en termes de santé publique, sont donc inouïs.

Lutter contre la violence à l’école, ce n’est pas seulement s’attaquer aux faits divers que l’on connaît mais c’est aussi agir sur le long terme, et il y faudra de nombreuses années. La Finlande et l’Angleterre ont réussi à diminuer de moitié les problèmes de violence et de harcèlement scolaires mais il leur a fallu vingt et quinze ans. Nous sommes donc face à des responsabilités que je n’hésiterai pas, devant vous, à qualifier de politiques. Elles impliquent un suivi sur la longue durée qui n’est pas toujours compatible avec le calendrier électoral.

Je suis toutefois très heureux d’être ici parce que, malgré tout, nous tenons le bon bout et que nous allons essayer de persévérer.

M. le président Patrick Bloche.  Je vous remercie pour ce propos introductif qui a recueilli les applaudissements spontanés de nombre de commissaires, ce qui n’est pas fréquent.

M. Yves Durand. Au nom du groupe SRC je vous remercie à mon tour, monsieur Debarbieux, pour votre propos liminaire.

D’une part, en effet, vous avez mis en avant la nécessité de combattre la violence scolaire sur la longue durée, ce qui est notre commun travail, et d’autre part, vous avez essayé de dégager cette lutte de tous ses attendus médiatiques, même s’il convient bien entendu de les prendre en considération. Il importe, en tout cas, de ne pas réduire la violence scolaire aux incidents qui sont rapportés au grand public par les médias.

Ce phénomène vient de loin. S’il n’est pas spécifique à l’école, il y est particulièrement inadmissible. Par ailleurs, il ne résulte pas seulement de l’ouverture de l’école sur le monde et il n’est pas question de regretter une situation idéale, qui, par définition, n’a jamais existé – souvenons-nous de La Guerre des boutons –, où une école sanctuarisée aurait été un oasis de sérénité et de calme dans une société violente.

Comment votre délégation s’intègre-t-elle dans le chantier de refondation de l’école lancé par le Président de la République ?

Vous avez démontré que la réponse sécuritaire n’était pas la seule à promouvoir pour lutter contre la violence scolaire. Grossièrement parlant, ce n’est donc pas qu’une question de police. Ces violences, vous l’avez dit, ne se déroulent pas majoritairement à l’extérieur des établissements scolaires mais à l’intérieur. Rétablir un climat de sérénité au sein de l’école relève donc plus d’une ambition pédagogique et éducative qu’exclusivement sécuritaire. La mise en place de portiques de sécurité ne changera rien à la situation, mais l’encadrement des élèves par la présence bienveillante, y compris répressive – « qui aime bien châtie bien » –, d’adultes est essentielle.

Vous avez également rappelé qu’il n’est pas possible de relativiser les « petites » violences, celles dont on ne parle pas mais dont les conséquences peuvent être terribles pour ceux sur lesquels elle s’exerce. J’ai particulièrement apprécié vos propos sur les agresseurs, qui sont eux aussi, d’une certaine façon, des victimes.

Le ministre de l’éducation nationale ayant décidé, voilà environ trois semaines, d’intégrer l’observatoire de la violence scolaire au sein de son ministère, comment envisagez-vous votre action sur le long terme ? Quelle part accordez-vous à la formation des enseignants ? Comment la lutte en faveur de ce que j’appellerai un climat serein à l’intérieur des établissements scolaires permettra-t-elle aux élèves de retrouver un « désir d’école » et aux enseignants la joie d’enseigner – même si les uns et les autres, vous l’avez dit, sont plutôt heureux d’aller à l’école ? Comment répondre aux moindres faits de harcèlement ou de violence, la grande ambition de ce Gouvernement étant la réussite de tous les élèves ? Il n’est en effet pas possible de se résoudre à ce qu’un ou deux élèves par établissement soient victimes de harcèlement, jusqu’à l’échec scolaire.

M. Frédéric Reiss. Au nom du groupe UMP je vous remercie, monsieur le délégué ministériel, pour votre exposé. Votre expérience et vos travaux vous confèrent en effet toute légitimité pour réfléchir à la violence scolaire, qui, comme vous l’avez dit, n’est ni de droite, ni de gauche. La polémique, sur un sujet aussi grave, n’a aucun intérêt.

Vous avez joué un rôle majeur durant les états généraux de la sécurité en 2010 et, en 2011, vous avez été l’un des acteurs des Assises contre le harcèlement. Des préconisations ont été formulées, des mesures mises en œuvre – je serais curieux d’avoir votre avis à ce propos – mais, comme vous l’avez également affirmé, ces problèmes ne peuvent être traités que sur le long terme.

Être confronté régulièrement à des comportements violents altère les fonctions cognitives des élèves : manque de concentration, problèmes de mémoire, etc. Lutte contre l’échec scolaire et lutte contre la violence scolaire sont-elles donc liées ?

En outre, les situations sont souvent très complexes : violences entre élèves, entre élèves et enseignants, entre enseignants et parents d’élèves. Nous avons besoin de prendre conscience de ces difficultés, notamment grâce aux enquêtes que vous avez menées. Travaillez-vous avec le médiateur du ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, lequel doit être vraisemblablement submergé par un certain nombre d’affaires ?

Même si des élèves et des enseignants, c’est rassurant, affirment être heureux, je n’en suis pas moins choqué de la souffrance et du désarroi de très nombreux enseignants. En tant qu’ancien professeur, j’ai du mal à comprendre que l’on soit contraint de quitter l’Éducation nationale à cause de problèmes pour lesquels aucune solution n’a été trouvée.

Enfin, des régions et des secteurs sont sans doute plus exposés que d’autres. Le travail en équipe des enseignants dans le cadre des réseaux « ambition réussite » constitue-t-il, de ce point de vue-là, une piste intéressante ?

M. Rudy Salles.  Nous aimerions partager l’enthousiasme de la conclusion de votre exposé, monsieur le délégué ministériel, mais, pour l’instant, le constat n’est pas brillant. La situation se détériore même, en particulier au collège. Il faut réussir à redonner le moral, de la confiance et de l’autorité aux personnels d’encadrement dans les établissements - principaux, conseillers principaux d’éducation et surveillants - qui se sentent démunis.

Les petites incivilités progressent car les limites ne sont pas posées aux enfants. Dans ma circonscription, des faits assez graves se sont produits au collège car les adultes n’avaient pas les moyens d’intervenir et n’avaient pas envie de faire de publicité négative à l’établissement. Ces problèmes étaient considérés comme mineurs alors qu’ils peuvent devenir beaucoup plus aigus. Cette situation démoralise l’ensemble de la collectivité scolaire – les professeurs notamment – et détériore le climat à l’intérieur des établissements. Cela peut déboucher sur des événements encore plus graves pouvant impliquer des bandes à la sortie des collèges.

Ce dont nous avons besoin, ce sont, non des portiques ou de la présence policière, mais des instruments juridiques qui permettent aux personnels d’encadrement d’agir à l’intérieur de l’établissement pour régler les problèmes dès qu’ils se forment.

Mme Isabelle Attard. Les agressions à l’école sont la conséquence d’une société à la fois très brutale et intolérante à la violence. Les personnels de l’éducation nationale sont confrontés à de nouvelles formes de violence à leur endroit et à celui des élèves. Comment réagir, par exemple, à la diffusion sur internet d’une photo d’une jeune fille nue scolarisée dont un seul des parents est informé a minima ? C’est une forme de violence. Peut-être faut-il accepter que la cour d’école soit un lieu de jeux, certes parfois dangereux mais surveillés ? Cette question est évidemment liée à la présence d’adultes à l’école. Car les petits bobos au genou valent mieux qu’un coup de couteau dans le ventre…

Quelle est la proportion d’enfants harcelés à l’école qui en sont retirés par leurs parents ?

Les jeunes enseignants souffrent d’un manque de formation pour affronter les différentes formes de violence qui s’expriment à l’école. Lorsque des grands frères ou des parents viennent agresser un enseignant parce qu’il a osé mettre une mauvaise note à un enfant de la famille, aucun professeur ne peut être préparé à ce genre de violence. Quelle profession faut-il remettre à l’intérieur de l’école pour régler ce problème : des surveillants, des infirmiers, des assistantes sociales ?

M. Thierry Braillard. La lecture de votre rapport, monsieur le délégué ministériel, permet de déconstruire l’idée selon laquelle la violence règne à l’école. Certes, la situation n’est pas idyllique et les rapports entre élèves, entre enseignants et élèves ainsi qu’entre parents d’élèves et enseignants peuvent être tendus.

Vous relevez également que trois éléments déterminent le degré de tranquillité d’un établissement : le climat de travail, le climat éducatif et le climat de justice.

Deux événements dramatiques viennent de se produire à Lyon au cours des dernières quarante-huit heures. Une adolescente, prénommée Myriam, s’est défenestrée ; elle n’assistait déjà plus qu’à quelques-uns de ses cours depuis plusieurs semaines et avait reçu le conseil de changer d’établissement, ce à quoi elle s’était refusée. Ce drame me conduit à vous demander quel est, selon vous, le meilleur remède pour lutter contre le silence des élèves ? Au lycée La Martinière-La Duchère, aujourd’hui, le père d’une élève ayant eu une mauvaise note a frappé un enseignant avec un bâton télescopique ; le professeur a été conduit à l’hôpital.

Des enseignants, notamment d’éducation physique et sportive, se retrouvent confrontés, parfois dès leur premier poste, dans certains secteurs, à des situations très difficiles sans avoir reçu de formation spécifique. Qu’est-ce qui pourrait être fait pour la mobilité des enseignants ?

Ne faudrait-il pas imposer à tous les établissements l’élaboration d’un règlement et d’un projet d’école ? Vous semblez esquisser cette piste dans votre rapport car ce n’est pas seulement la situation géographique et sociale de l’école qui détermine les difficultés qu’elle rencontre. En effet, les projets menés par les chefs d’établissement jouent un rôle déterminant pour le climat dans lequel évolue la communauté scolaire.

Enfin, que pensez-vous du développement d’un partenariat avec la police ?

Mme Marie-Odile Bouillé. Tous les jours sont rapportés des cas d’agression à l’école. L’utilisation de réseaux sociaux comme Facebook devient un outil de violence virtuelle. Ce phénomène, invisible, est beaucoup plus difficile à mesurer et à prévenir que les autres types de violence : quelles actions recommandez-vous, monsieur le délégué ministériel, pour améliorer cette situation ?

M. Patrick Hetzel. Dans votre ouvrage Violences à l’école : un défi mondial, paru en 2006, vous indiquiez, monsieur le délégué ministériel, que l’une des clefs était de renforcer l’accompagnement local et affichiez du scepticisme vis-à-vis des plans ministériels. Comment peut-on concilier une politique publique nationale avec le développement d’expérimentations locales ?

Mme Martine Faure. Quel rôle pensez-vous, monsieur le délégué ministériel, que les 500 assistants de prévention et de sécurité doivent jouer dans les établissements scolaires ? Quelles relations vont-ils nouer avec les enseignants et les parents d’élèves ?

M. Peillon a évoqué le retour de l’enseignement de la morale laïque : cela aura-t-il un impact sur la violence à l’école ?

M. Xavier Breton. Comment développer la formation continue, monsieur le délégué ministériel ? Comment l’administration pourrait-elle soutenir les enseignants et quelle place pourrait être accordée aux inspecteurs de l’éducation nationale dans cette mission ? Comment exaucer le vœu des professeurs de renforcer la stabilité des équipes dirigeant les établissements où se concentrent les difficultés ?

Par ailleurs, comment la place des parents et la responsabilisation des familles pourraient-elles être mieux assurées ?

Enfin, sans aller dans la voie du déterminisme, certaines difficultés sont détectables précocement chez les enfants qui en souffrent. Des expériences étrangères sont conduites, notamment au Canada, pour améliorer le repérage de ces problèmes dès l’école primaire voire maternelle. Ne pourrait-on pas s’inspirer de ces pratiques ?

Mme Martine Martinel.  Monsieur le délégué ministériel, dans votre étude récente, L’école entre bonheur et ras-le-bol, vous mettez en lumière le harcèlement entre adultes. Vous relevez que 14 % des enseignants et des personnels de direction se déclarent harcelés et que cette violence provient en grande partie d’adultes – parents d’élèves et agents d’encadrement. Quels dispositifs préconisez-vous de mettre en place pour que les relations humaines soient mieux gérées et la cohérence éducative davantage assurée ?

M. Guénhaël Huet.  Nous pouvons tous faire le constat que notre société engendre de la violence. Son développement à l’école a trop longtemps souffert de déni, notamment de la part des enseignants et de certains de leurs syndicats. Un changement s’est opéré et l’opposition des enseignants au principe d’un partenariat avec les forces de sécurité et avec les élus locaux s’est réduite. Il ne s’agit pas de faire entrer la police au sein de l’école mais cette évolution est notable.

Entre les cas de violences à l’intérieur et à l’extérieur des établissements, certains actes délictueux se déroulent dans un espace intermédiaire situé aux entrées des établissements scolaires. Quelles actions peuvent être conduites pour juguler ces faits qui ont une incidence sur la vie de nos écoles, collèges et lycées ?

Mme Colette Langlade. Vous avez insisté dans votre exposé, monsieur le délégué ministériel, sur le fait que le principal problème résidait davantage dans la multiplicité d’actes mineurs que dans la délinquance dure. Or, ces violences d’intensité limitée sont rarement pénalisées alors qu’elles peuvent engendrer des difficultés importantes pour leurs victimes. Dans ce contexte, la pédagogie et la définition d’une politique de longue durée, notamment dans les établissements, sont, à vos yeux, essentielles. Pourriez-vous nous faire partager l’expérience de projets que vous auriez conduits pour lutter contre la violence scolaire ?

M. Ary Chalus. À Baie-Mahault, commune guadeloupéenne de 30 000 habitants dont je suis le maire, des postes d’agent d’animation, payés par la collectivité, ont été créés afin de lutter contre la forte violence scolaire durant les récréations et les repas. Cette politique, qui a été un succès, a été complétée par la mise en place de récompenses, pour les élèves de CM1 et de CM2. Ce système représente un coût annuel de 40 000 euros et repose sur un ensemble de critères comme l’assiduité, la ponctualité et le comportement à l’école. Les élèves les mieux notés effectuent notamment un voyage à l’étranger.

Les réunions du conseil des droits et devoirs des familles (CDDF) ont permis, dans un premier temps, de constater que les élèves usant de violence à l’école la subissaient à la maison et, ensuite, de dialoguer avec les parents pour faire évoluer la situation. Ce travail a aidé de nombreux jeunes dont les résultats scolaires et le comportement se sont grandement améliorés.

Par ailleurs, la morale à l’école et le développement de cours de soutien sont deux éléments capitaux pour traiter le problème des collégiens qui se retrouvent dans la rue après la fin des classes.

Mme Françoise Dumas. Tous les enfants violents ont des problèmes comportementaux qui sont souvent liés à la violence qu’ils subissent eux-mêmes et qu’il faut savoir traiter. L’école de la République doit être un lieu sûr pour les élèves et les enseignants. La question du climat scolaire doit donc être reposée.

Au-delà de la nécessité d’apporter des réponses immédiates et proportionnées à tout acte de violence, la réparation doit prévaloir sur la vengeance. Les actions de prévention doivent être coordonnées.

Quelle articulation doit être mise en place entre les personnels de l’éducation nationale – notamment en prenant en compte les 500 assistants de prévention et de sécurité et les équipes mobiles de sécurité – à l’intérieur comme à l’extérieur des établissements ? Quelle place va occuper la prévention dans les projets globaux des établissements ?

Mme Annie Genevard. Comment peut-on expliquer, monsieur le délégué ministériel, la coexistence d’un bien-être individuel d’élèves et de professeurs avec le sentiment de malaise collectif ressenti dans l’opinion publique ?

Comment interpréter l’absence de concordance entre la stabilisation statistique de la violence et le développement d’agressions graves dont les enfants et les détenteurs de l’autorité publique – pour ces derniers, le constat ne se limite d’ailleurs pas au monde scolaire – sont les victimes ?

Vos travaux attestent d’un accroissement de la violence en groupe. Comment expliquez-vous ce phénomène ? La violence collective doit-elle être traitée différemment des actes individuels ?

Mme Anne-Lise Dufour-Tonini. L’usage de la force n’est-il pas normal pour l’Homme ? L’institution n’a-t-elle pas tendance à générer de la violence ? Le Président de la République évoquait hier la question des notes. Lorsqu’un enseignant rend une copie à une élève et lui dit qu’il est nul, n’y a-t-il pas là une forme de violence ?

Le manque de respect et les lacunes du savoir-vivre ensemble constituent une petite maltraitance qui est si répandue que les chefs d’établissements ne peuvent la répertorier sous peine d’y consacrer leur journée. Comment les enseignants - en lien avec les chefs d’établissements, les conseillers principaux d’éducation, les nouveaux assistants de prévention et de sécurité - vont-ils pouvoir traiter ce problème ?

Enfin, on a constaté qu’il y a un effet établissement, un effet chef d’établissement. Pouvez-vous citer des expériences - nationales comme étrangères – que vous avez observées et sur lesquelles on pourrait s’appuyer pour améliorer la formation des enseignants ?

M. Claude Sturni. Quelle est votre conception, monsieur le délégué ministériel, du rôle du chef d’établissement ? À mes yeux, son influence est capitale dans le développement d’un bon climat de travail et d’une cohérence dans l’action de l’équipe éducative. La formation du chef d’établissement devrait, à ce titre, constituer une piste de réflexion qu’avait déjà défrichée notre collègue, M. Frédéric Reiss, dans son rapport « Quelle direction pour l’école du XXIème siècle ? », remis au Premier ministre en 2010.

Pour votre travail qui s’inscrit dans la longue durée, je formule le vœu que vous ne cherchiez pas à démanteler les dispositifs existants mais à les améliorer. Nous sommes nombreux ici à penser que la violence scolaire n’est pas un thème partisan, que nous pouvons tous y être confrontés et que votre action doit s’inscrire au-delà des clivages politiques.

Mme Sophie Dessus. Monsieur le délégué ministériel, comment aider les enfants à parler aux adultes des violences qu’ils subissent ? Notre rôle d’élu est de favoriser le dialogue entre les élèves, les enseignants et les parents afin d’améliorer la vie en commun et de renforcer le respect. Si vous pensez que cette action peut être utile, je suis prête à y contribuer.

M. Stéphane Travert.  La violence scolaire touche les milieux urbains mais également, quoique sous des formes différentes, les espaces ruraux. Les familles et les conseils d’élèves doivent être impliqués pour lutter contre ces actes. Ce travail doit être détaché du tumulte médiatique.

Au sein des établissements, les enseignants doivent pouvoir s’épanouir et inscrire leur action dans la durée.

Comment les nouveaux assistants de prévention et de sécurité vont-ils être recrutés ? Quels moyens vont être mobilisés pour leur formation ? Quel sera leur rôle dans l’action éducative ? Quelle sera leur place aux côtés des conseillers principaux d’éducation, des surveillants et des enseignants ? Comment faire en sorte que les équipes éducatives puissent limiter la prégnance de la violence scolaire et ainsi consolider l’idéal de l’école républicaine ?

Mme Dolorès Roqué. Ce sont des événements de violence qui ont conduit à la nomination de médiateurs hier ou d’assistants de prévention et de sécurité aujourd’hui.

Le discours récurrent sur le nécessaire rétablissement de l’autorité se heurte au fait que cette dernière ne peut se décréter. Néanmoins, elle peut s’acquérir grâce à une formation spécifique, par exemple psychopédagogique. En effet, la formation, l’encadrement et le tutorat sont indispensables pour pouvoir faire face à la violence. Or, jusqu’à cette année, j’ai pu assister à l’entrée dans le métier de jeunes enseignants qui n’avaient pas bénéficié de formation et qui étaient souvent nommés dans des établissements difficiles.

Par ailleurs, les délégués de classe, s’ils sont formés, peuvent constituer un excellent relais entre les équipes éducatives et la classe.

J’attends beaucoup de la nomination des assistants de prévention et de sécurité. Quels seront leur statut, leur mission et la nature de leur formation ?

Un événement dramatique et médiatisé s’est produit l’année dernière dans la circonscription dont je suis l’élue dans l’Hérault. Une jeune enseignante s’est immolée ; ses conditions de travail ont certainement contribué – outre des problèmes personnels – à son geste. Cet acte, isolé, tragique et dont il est difficile de tirer des enseignements, pourrait constituer un élément de réflexion.

M. Jean-Pierre Le Roch. Sachant que, dans les territoires ruraux, les collégiens doivent effectuer de longs déplacements, notamment dans les transports scolaires, quel regard portez-vous, monsieur le délégué ministériel, sur ce temps passé entre le domicile et l’école, sur les faits de violence qui peuvent s’y produire et sur les moyens de les prévenir ?

Il y a une quinzaine d’années, un principal de collège avait été agressé à la limite de son établissement, ce qui nous avait conduits, nous élus locaux, à créer un « réseau santé citoyenneté » pour lutter contre ce type de violence.

M. Dominique Le Mèner. Plusieurs rapports, au cours des dernières législatures, ont déjà traité de la formation continue des enseignants, destinée à faciliter leur adaptation aux changements intervenus dans le public des élèves depuis leur recrutement. Les problèmes que l’on rencontrait il y a vingt ou trente ans ne peuvent plus être abordés de la même manière. Cette formation continue est donc essentielle, mais elle demeure indigente sur bien des plans, notamment pour la gestion des groupes. Pour l’améliorer il faut dégager du temps sur l’ensemble de l’année scolaire, ce qui n’est guère le cas aujourd’hui.

Même si les difficultés éprouvées par les enseignants ne dépendent pas seulement de leur âge, il n’en demeure pas moins que leurs affectations, déterminées selon un barème contestable et déjà dénoncé, ne facilitent pas toujours leur bonne insertion et que l’indispensable assistance aux 850 000 enseignants de l’éducation nationale n’a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante.

M. Éric Debarbieux. Je ne possède évidemment pas de baguette magique pour résoudre instantanément tous les problèmes posés. Mais vos questions révèlent au moins un diagnostic partagé.

La délégation chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire s’intègre déjà dans la politique de refondation de l’école par sa seule existence. Le Président de la République l’a d’ailleurs citée hier matin, avec les agents de prévention et de sécurité (APS), comme un des éléments stratégiques pour faire face à la violence à l’école. Elle intervient à plusieurs titres et en liaison avec des équipes universitaires afin d’améliorer la connaissance des réalités, encore insuffisante s’agissant par exemple des violences contre les enseignants dont on a peut-être négligé l’importance.

Nous allons évidemment nous impliquer dans les questions de formation, qui furent au cœur des états généraux de la sécurité à l’école et des Assises nationales sur le harcèlement à l’école. Mes analyses en la matière paraîtront peut-être moins consensuelles que précédemment. Ainsi la « mastersisation » fut une erreur, non dans son principe, généralement approuvé, notamment par les syndicats, mais dans sa réalisation. Elle a d’abord produit un effet idéologique en consacrant la victoire de ceux qu’on appelle les anti-pédagogues car ils véhiculent l’idée que le métier d’enseignant consiste uniquement à enseigner et non à se transformer en assistante sociale ou en grand frère. L’observatoire international de la violence à l’école, que j’ai longtemps présidé et qui regroupe 52 pays, a fait apparaître que la France est le pays au monde où cette conception frôle la caricature. L’erreur a cependant perdu du terrain à partir du constat que de nombreux jeunes enseignants, sans formation adaptée, se trouvaient confrontés à des situations très pénibles, loin de chez eux. Ainsi, il y a quelques années, 33 % des enseignants issus de l’institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Bordeaux ont reçu pour première affectation un poste dans un collège sensible en banlieue parisienne.

Il existe aujourd’hui un désir de formation pédagogique et psychopédagogique, principalement chez les enseignants du premier degré. L’opinion publique reconnaît maintenant que les enseignants peuvent se sentir démunis et qu’ils ont donc besoin d’une formation supplémentaire. Mais il faudra trouver des formateurs, mission à laquelle la délégation va s’atteler, même s’il n’est pas très médiatique d’organiser des formations de formateurs. Voilà près de deux ans que nous avons constitué, au niveau national, un groupe de « formateurs de formateurs », qui ont notamment bénéficié de l’apport des meilleurs spécialistes mondiaux en psychopédagogie. Ce processus devra être accéléré et amplifié dans le cadre de la refonte des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Alors la caricature disparaîtra.

La notion de climat scolaire est, enfin maintenant, considérée comme un élément important. Bien que relevant du simple bon sens, elle ne s’est imposée qu’à la suite de recherches et d’études mondiales qui ont montré que la violence à l’école ne provenait pas que de l’extérieur – ce qui traduit un changement de paradigme. Ainsi, le groupe de recherche que je dirigeais pour le compte de la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l’éducation nationale a fait venir de New York Jonathan Cohen, le responsable du Center for Social and Emotional Education (CSEE), qui est le plus grand centre de recherche au monde à ce sujet. Celui-ci a confirmé le caractère essentiel du climat scolaire pour la réussite des apprentissages de base, tels que la lecture et le calcul.

Le climat scolaire repose d’abord sur une équipe, stable et soudée, dirigée par un vrai chef d’établissement – mes recherches en France ont montré un effet établissement et un effet chef d’établissement dès 1996. Car, à niveau socioculturel ou socioéconomique ou sociodémographique identiquement difficile, peuvent correspondre des réalités scolaires extrêmement diverses. Et ce que j’appelle un vrai chef d’établissement est celui qui ne se contente pas d’accepter de mettre en place de nouvelles formules mais qui les initie. Tous les programmes que nous avons évoqués ne serviraient à rien sans cette cohésion minimale de l’équipe. Dans les établissements, il faut que nous puissions nous appuyer sur des routines, avant de mettre en œuvre de l’exceptionnel – aussi nouveau et médiatique soit-il. Si le programme finlandais « KiVa » de prévention du harcèlement à l’école a été un succès, c’est parce qu’il y avait un consensus de tous les acteurs sur ce point.

Le ministère de l’éducation nationale annoncera prochainement des initiatives ambitieuses en ce domaine.

L’observation des secteurs les plus exposés à la violence traduit une situation complexe. Différentes formes de violence nécessitent différents traitements. Par exemple, le traditionnel harcèlement se prolonge maintenant dans le cyber harcèlement, sujet sur lequel se penche le monde de la recherche. Sa singularité consiste en ce qu’il ne se situe ni vraiment à l’école ni vraiment en dehors. Persistant auprès de l’écolier rentré chez lui et en pleine nuit, ses conséquences peuvent être dramatiques.

Les nouvelles formes de violence concernent tout le monde, les milieux ruraux et montagnards n’en étant pas exonérés. Elles se manifestent aussi dans les transports scolaires : c’est pourquoi nous lançons une enquête à ce sujet en Seine-et-Marne, département caractérisé à la fois par des zones urbaines sensibles et par des zones rurales éloignées.

La violence est désormais collective, ainsi que plusieurs d’entre vous l’ont relevé. Mes premières enquêtes dites de victimation, au début de la décennie 90, montraient, d’une part, que 6,5 % des élèves étaient victimes d’un acte de racket – situation déjà traumatisante et pouvant parfois conduire à des tentatives de suicide – commis par un élève seul et, d’autre part, que 4 % des élèves reconnaissaient avoir racketté un camarade. Deux nouvelles enquêtes réalisées successivement sous le ministère de M. Claude Allègre puis de M. Jack Lang, ont révélé un changement radical : le racket est devenu collectif, souvent par groupes de quatre ou cinq ; donc plus audacieux et plus violent. Le taux des élèves reconnaissant avoir commis un racket s’est élevé à 8 %, avec un taux inchangé de victimes. Son exercice tient dorénavant compte de critères d’appartenance, à un quartier, à une famille, à un milieu social…

Nous assistons également à une montée des tensions entre les personnels éducatifs et des groupes d’élèves, mais presque uniquement dans les quartiers les plus sensibles. Le phénomène est comparable à celui du rejet de la police ou des services publics, par exemple de transports avec des « caillassages » d’autobus, dans les mêmes quartiers d’exclusion. On y rejette les représentants d’un autre monde – Denis Salas, un magistrat, parle de délinquance d’exclusion.

Je ne crois donc pas à une montée globale de la violence à l’école, plutôt à une montée ciblée liée à la dérive de certains quartiers. Mais, bien entendu, la nécessité de lutter contre l’exclusion n’excuse aucun type de violence. D’autant que les victimes de ces formes de violence sont justement des enfants vivant dans ces zones difficiles.

Les solutions préconisées pour lutter contre le harcèlement valent aussi pour cet autre type de violence. D’abord parce que la situation de victime peut conduire à la délinquance. Des études conduites aux États-Unis par le FBI ont montré que 75 % des school shooters avaient commencé par être harcelés. Cela montre que, en luttant contre le harcèlement, on lutte également contre des faits plus dramatiques – mais qu’on n’évitera jamais totalement. En tout état de cause, on ne peut faire face seul à une violence de plus en plus collective.

J’ai publié, en 2008, un ouvrage intitulé Les dix commandements contre la violence à l’école. Je tiens tout spécialement au sixième commandement : « la solitude, tu éviteras.» D’abord celle des victimes dans l’établissement. Il est anormal que les élèves victimes d’un acte de violence se trouvent condamnés à une double peine : la violence qu’on leur a faite et leur départ de l’établissement – qui leur est parfois conseillé ! Des procédures rigoureuses doivent être mise en place pour leur venir en aide et mettre fin à ces situations aberrantes.

C’est ensuite la solitude des professeurs. Tout ne dépend pas du nombre d’élèves par classe, surtout pour obtenir des diminutions marginales. Il serait préférable, comme l’a d’ailleurs également mentionné le Président de la République, de disposer de surnuméraires qui permettraient de casser cette solitude – j’ai eu cette chance d’être professeur surnuméraire dans une école de Montélimar. Au Royaume-Uni, les support teachers, spécialement formés, jouent un rôle très efficace. Travailler sous le regard de l’autre est remarquablement instructif. C’est pourquoi aussi la vie d’équipe est essentielle. Et rien de tout cela ne coûte cher… Vous avez évoqué l’importance de la communication avec les parents d’élèves. Il faut aussi savoir parler à l’intérieur de l’établissement, entre enseignants. L’accueil de l’enseignant ne doit pas se limiter à une rapide session la vieille de la rentrée, il doit devenir continu. Au Canada, une étude a montré que les enseignants réellement accueillis étaient deux fois moins victimes de violences, de même que leurs élèves.

Enfin la solitude des chefs d’établissement. À ce titre, les équipes mobiles de sécurité (EMS) ont représenté un progrès considérable. Personnellement je n’y croyais pas, en raison de leur aspect sécuritaire et de leur caractère externe. Mais les acteurs de terrain s’en sont intelligemment emparés. Les chefs d’établissements les ont fait travailler sur le climat scolaire et sur les enquêtes de victimation. Même s’il reste beaucoup à faire et à améliorer – et la délégation va s’y employer –, elles ont rétabli une certaine assurance dans les écoles. Même si de ci de là, il y a encore quelques problèmes, il ne s’agit pas de casser tout ce qui a été fait précédemment.

Les APS, quant à eux, ne sont pas des surveillants supplémentaires et ne doivent surtout pas le devenir. Nous les formons à des métiers qui n’existaient pas. Ils ne sont embauchés que pour cinq ans mais nous préparons pour eux des licences professionnelles touchant à toutes les professions de la prévention et leur permettant de se présenter à des concours de l’Éducation nationale ou bien de se diversifier, par exemple dans la politique de la ville. L’avenir me semble en effet appartenir aux formations inter catégorielles, associant enseignants, animateurs, travailleurs sociaux …

Enfin, il convient de stabiliser les équipes. La France est le seul pays au monde qui affecte ses enseignants débutants sans tenir aucun compte de leur épanouissement personnel et avec une formation insuffisante pour les confronter aux réalités de zones qu’ils ne connaissent pas et que, bien souvent, ils redoutent. Dès lors, repartir devient leur seul objectif, ce qui n’est guère mobilisant pour leurs élèves. Est-il normal que, dans certains collèges, les seuls anciens soient les élèves de troisième ? Il faudra certes du courage pour changer les choses mais cela devient indispensable, avec la formation, et avec l’accompagnement dont j’ai parlé.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie. Votre conclusion nous conforte dans la nécessité qu’il y a à entreprendre une refondation de l’école de la République.

La séance est levée à dix-neuf heures cinq.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 10 octobre 2012 à 17 heures

Présents. - Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Thierry Braillard, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Isabelle Bruneau, M. Ary Chalus, Mme Dominique Chauvel, Mme Valérie Corre, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sandrine Doucet, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, Mme Françoise Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, Mme Claude Greff, M. Mathieu Hanotin, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Pierre Léautey, M. Dominique Le Mèner, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Michel Pouzol, M. Frédéric Reiss, Mme Dolores Roqué, M. Rudy Salles, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, Mme Brigitte Bourguignon, M. Bernard Brochand, M. Yves Daniel, Mme Virginie Duby-Muller, M. Jean-Pierre Giran, Mme Sonia Lagarde, M. Michel Ménard, Mme Barbara Pompili, M. Jean Jacques Vlody