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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 7 novembre 2012

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 09

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Maka Kotto, ministre de la culture et des communications du Québec

Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 7 novembre 2012

La séance est ouverte à douze heures.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Maka Kotto, ministre de la culture et des communications au Québec.

M. le président Patrick Bloche. C’est pour moi un plaisir et un grand honneur de souhaiter, au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, la bienvenue à M. Maka Kotto, ministre de la culture et des communications du Québec, accompagné de M. Michel Robitaille, délégué général du Québec à Paris, et de membres de son cabinet et de la délégation générale.

Certains collègues, qui auraient souhaité assister à cette audition, vous prient de les excuser : soit ils prennent part, dans l’hémicycle, à la discussion du budget de l’outre-mer, soit, députés membres de mon groupe, ils reçoivent en ce moment le Premier ministre.

Après avoir rencontré Mme Pauline Marois, première femme Première ministre du Québec, et deux de vos collègues, Jean-François Lisée et Bernard Drainville, je suis particulièrement heureux de vous recevoir aujourd’hui, monsieur le ministre, non seulement en raison des liens qui unissent la France et le Québec, fondés sur le principe, récemment rappelé par Pauline Marois et François Hollande, de « non-ingérence, non-indifférence », non seulement en raison de votre personnalité et de votre parcours, mais aussi parce qu’un nouveau gouvernement a été formé au Québec il y a un mois et demi et que nous sommes donc impatients de vous entendre parler des orientations que vous allez donner, et que vous donnez sans doute déjà, à la politique culturelle du Québec, sous l’autorité de Mme Marois. Nos échanges, je n’en doute pas, seront profitables aussi bien aux Français qu’aux Québécois : je voudrais qu’ils puissent s’inscrire dans la durée et dans la réciprocité.

M. Maka Kotto, ministre de la culture et des communications du Québec. Monsieur le président, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre invitation. Vous l’avez dit, Mme Pauline Marois, notre Première ministre, est la première femme dans notre histoire à assumer ces fonctions, puisque, à l’issue des élections législatives du 4 septembre dernier, elle a pris la tête d’un nouveau gouvernement formé d’élus du Parti québécois.

Comme l’a récemment fait Mme Marois, j’ai choisi la France pour ma première mission à l’extérieur des frontières du Québec. Ce faisant, je marche dans les pas du tout premier titulaire du ministère que je dirige, Georges-Émile Lapalme, qui, en octobre 1961, était venu à Paris rencontrer son homologue français, André Malraux. Conscient que s’ouvrait une nouvelle ère de collaboration, Malraux avait appelé la France et le Québec à « créer, ensemble, les valeurs culturelles du monde moderne ». La France manifestait alors pour la première fois de façon non équivoque son appui au Québec pour l’accomplissement de sa destinée. C’est d’ailleurs avec joie que nous avons vu le gouvernement français réitérer récemment, comme vous l’avez rappelé, sa position historique de solidarité envers les choix que les Québécois et les Québécoises pourraient faire quant à leur avenir. Cette position, qualifiée de « non-ingérence, non-indifférence », illustre en effet à merveille l’attitude à la fois respectueuse et chaleureuse de la France.

En quelque cinquante ans d’une relation directe et privilégiée en constante évolution, la France est devenue pour le Québec un partenaire stratégique et occupe une place prépondérante dans sa politique internationale. Je suis fier de souligner que la culture a toujours été au cœur de cette relation. Les gouvernements du Parti québécois sont par tradition très favorables à la mise en valeur de la culture, et celui-ci ne fera pas exception.

Je veux rappeler brièvement le contexte qui a fait de la culture un élément central de l’identité québécoise. Cette identité complexe plonge ses racines dans un caractère francophone affirmé, une américanité assumée et un riche métissage composé des héritages amérindiens et britanniques, ainsi que des apports des citoyens issus de l’immigration et venus de tous les horizons pour participer à la grande aventure du Québec. Je suis moi-même un exemple de cette diversification de la société québécoise, puisque, né en Afrique, j’ai pris, après quelques années en France, pays et compagne au Québec. J’aime à dire que j’ai mes racines au Cameroun, que j’ai donné mes premières fleurs à la France et que j’ai porté mes fruits au Québec. Je peux témoigner que le peuple québécois est ouvert sur le monde.

Mais il doit composer avec une réalité : le Québec est le seul État francophone du continent nord-américain. Ses quelque 8 millions de citoyens ayant le français pour langue officielle sont entourés d’une population anglo-américaine avoisinant les 337 millions de personnes. Dans ce contexte démographique, il n’est pas étonnant que le Québec ait éprouvé le besoin d’appuyer le développement de sa spécificité francophone en se dotant d’institutions et d’instruments adaptés. L’une des plus importantes initiatives prises en la matière est la politique culturelle adoptée en 1992. Nous sommes à ce jour les seuls en Amérique et l’une des rares nations au monde à disposer d’un tel outil législatif et administratif qui engage l’ensemble du gouvernement.

Cette politique, élaborée au terme d’une vaste consultation, établit les trois grands principes fondamentaux de notre développement culturel : la culture est aussi indispensable à la vie en société que les dimensions économiques et sociales ; l’autonomie dans la création et la liberté d’expression sont des valeurs essentielles à la vitalité démocratique de notre société ; la culture est un droit pour tous les citoyens et toutes les citoyennes du Québec, de toutes origines et situations géographiques, au même titre que le droit à l’éducation.

Ces trois principes revêtent une importance particulière pour des raisons géopolitiques, mais aussi parce que nous sommes confrontés à l’étalement de nos concitoyens sur un très vaste territoire. Cette volonté d’un développement culturel doublé d’une démocratisation de la culture représente un défi qu’il n’est pas simple de relever. C’est pourtant le choix de société qu’ont fait les Québécoises et les Québécois, c’est lui qui guide l’action du ministère de la culture et des communications du Québec et celle des douze sociétés d’État du portefeuille ministériel. Cela se traduit notamment par des mesures de soutien que le gouvernement nouvellement élu a résolu d’intensifier dans des secteurs culturels à forte valeur identitaire. Ainsi, j’ai récemment annoncé l’entrée en vigueur d’une importante loi sur le patrimoine culturel québécois, qui comporte des pistes d’action durables, efficaces et mobilisatrices, pour enrichir notre vision du patrimoine, élargir le champ d’intervention, encourager la participation citoyenne et faciliter la transmission de notre histoire.

La Première ministre m’a également chargé de poursuivre nos efforts afin que la culture québécoise soit plus que jamais notre meilleur atout à l’extérieur de nos frontières, une carte de visite, en somme, qui fait de nos créateurs l’incarnation du dynamisme qui nous permet de figurer en bonne place parmi les nations d’avant-garde.

J’ai aussi pour projet de stimuler la fibre artistique chez les jeunes en appuyant la présentation d’activités culturelles dans les établissements d’enseignement et en favorisant le rapprochement entre artistes et écoliers. Cet aspect est d’autant plus crucial que les recherches les plus pointues en la matière confirment que l’éducation aux arts améliore les résultats scolaires chez les jeunes de milieux défavorisés, notamment en rédaction et en mathématiques, et qu’elle a des effets positifs sur la poursuite d’études supérieures.

Il m’incombera également de renforcer les liens entre la communauté des créateurs, la société civile et les gens d’affaires, afin que la créativité et la vitalité culturelle du Québec participent à l’innovation, à l’esprit d’entreprise et au développement de secteurs d’avenir comme l’industrie numérique, le multimédia et les arts technologiques.

Pour atteindre ces objectifs, nous pouvons compter sur un ensemble de politiques publiques mises en place par l’État québécois pour faire de la culture un facteur de qualité de vie, de progrès social et de développement économique. Or ces instruments d’aide à la culture, nous avons dû, aux côtés de la France et d’autres nations conscientisées, les défendre avec opiniâtreté afin qu’elles fassent l’objet d’un traitement particulier face aux traités de libre-échange économique qui se multiplient. Souvenons-nous que, au milieu des années 90, les tenants d’une mondialisation uniforme ont pris pour cible les interventions en faveur de la création. Certaines nations, comme la France et le Québec, ont alors plaidé pour l’établissement de ce que l’on a appelé « l’exception culturelle ».

Malgré un accueil encourageant, il nous a cependant fallu passer d’un discours défensif à une approche plus active de promotion de la diversité culturelle. C’est ainsi que, en 1999, trois ministres du gouvernement du Parti québécois ont appelé de leurs vœux la création d’un instrument juridique international reconnaissant le droit des États à adopter librement des politiques culturelles.

Cette initiative nous a valu des alliés de taille, dont la France, qui, au sein d’un groupe de travail franco-québécois, a œuvré avec nous à définir les principes d’une convention sur la diversité culturelle. Nos efforts ont été couronnés de succès, puisque, le 20 octobre 2005, la Conférence générale de l’UNESCO a adopté la convention sur la diversité des expressions culturelles. Celle-ci est entrée en vigueur en 2007 et a obtenu à ce jour l’adhésion de 124 États, dont la France, le Royaume-Uni, la Chine, l’Inde, le Canada, l’Australie, le Brésil, ainsi que l’Union européenne.

Les États signataires reconnaissent qu’il faut éviter que l’évolution du commerce remette en cause le rôle des États et des gouvernements et entraîne une homogénéisation qui mettrait à mal les cultures moins rentables et appauvrirait la diversité culturelle de l’humanité. Or ce risque est particulièrement aigu à l’heure de la multiplication des accords de commerce et de l’explosion des possibilités technologiques.

À l’ère du numérique, d’importants défis nous sont d’ailleurs lancés en matière de protection de la diversité culturelle, si bien qu’il nous faut aussi adapter notre approche, comme le fait la France dans le cadre de l’acte II de l’exception culturelle, et comme le Québec entend le proposer dans le cadre de son chantier numérique.

Au-delà des modes d’intervention, il faut également que les États continuent à défendre le caractère essentiel des interventions en faveur de la culture dans le cadre des accords qu’ils négocient, car c’est seulement à l’aune du comportement des États dans leurs négociations commerciales que la valeur de la convention sur la diversité des expressions culturelles pourra être mesurée.

À ce sujet, les négociations en cours pour un accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne représentent, pour les défenseurs de la convention, tels la France et le Québec, une occasion unique. En donnant davantage de substance aux principes fondateurs de la convention sur la diversité des expressions culturelles au sein de cet accord économique, nous contribuerons à préserver la variété des cultures qui constitue une grande richesse pour le monde. La France et le Québec ont prouvé qu’ils ne désirent pas entraver le commerce ou l’accès aux biens et services culturels étrangers, qui contribuent aussi à enrichir la culture universelle, mais que l’intervention publique en matière de culture demeure légitime et nécessaire pour que les expressions culturelles nationales fleurissent.

De plus, l’UNESCO ayant établi que la diversité culturelle doit être intégrée dans les efforts de coopération internationale pour le développement durable, notre démarche embrasse les idéaux de solidarité, de dialogue, d’accès équitable et de respect de toutes les cultures, sans lesquels l’humanité ne peut progresser dans la justice. C’est là une attitude que le Québec entend promouvoir avec ardeur, surtout si, comme nous l’espérons, il choisit démocratiquement de se donner sa place dans le concert des nations en tant que pays souverain.

Pour terminer, je forme le vœu que les relations entre la France et le Québec se poursuivent sous d’heureux auspices, et que, s’agissant du développement culturel, nous continuions d’établir de fructueuses coopérations au bénéfice de nos concitoyennes et concitoyens des deux côtés de l’Atlantique. Vive l’amitié entre la France et le Québec ! Vive la culture ! (Applaudissements.)

M. le président Patrick Bloche. Merci, monsieur le ministre, pour cette intervention d’une grande densité et d’une grande intensité. Les députés français que nous sommes y ont retrouvé tous leurs repères, qu’il s’agisse de l’exception culturelle, de la convention de l’UNESCO ou de notre résistance commune à la marchandisation de la culture.

M. Marcel Rogemont. Au nom du groupe SRC, je dois vous dire, monsieur le ministre, le plaisir que nous avons à vous accueillir.

À l’occasion des travaux d’une mission d’information sur les droits de l’individu dans la révolution numérique, dont le président Bloche fut co-rapporteur, nous avons pu travailler en commun avec les députés allemands et découvrir que, alors que l’Union européenne estimait qu’il n’y avait pas à débattre, ils partageaient nos interrogations sur la numérisation de l’économie ou de la culture. Ne pourrions-nous, de même, entreprendre un travail collectif avec des parlementaires ou des membres du gouvernement québécois qui s’intéressent à ces questions ? Dès lors qu’il y aurait convergence de vues entre plusieurs pays, nos idées auraient un plus grand poids auprès des instances internationales. Sans doute faudrait-il prévoir une date butoir pour ces travaux : comme nous nous aimons bien les uns les autres, nous risquerions de ne jamais vouloir finir. Or, en amour, les paroles ne suffisent pas, il faut des actes… En tout cas, nous aurions déjà de quoi débattre avec les deux concepts que vous avez évoqués, l’« exception culturelle » et la « diversité culturelle ».

M. Christian Kert. Au nom des députés du groupe UMP, je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir accepté l’invitation du président de notre Commission : votre exposé a donné de la hauteur à notre réflexion.

Pourriez-vous nous dire où en est la pratique de la langue française au Québec ? Est-ce une langue de qualité ? La proximité des États-Unis d’Amérique ne risque-t-elle pas de laisser gagner par l’anglais un pays tellement ami de la langue française ?

Nous nous interrogeons beaucoup sur le destin de l’audiovisuel extérieur de la France. Pourriez-vous nous dire si les télévisions françaises sont regardées au Québec ? Notre voix est-elle entendue face à la très vive concurrence ?

Vous avez évoqué la diplomatie culturelle du Québec et l’ouverture de la politique culturelle vers l’extérieur. Quel bilan tirez-vous du fonctionnement de vos centres culturels à l’étranger, et singulièrement en France ?

Nous avons bien noté, enfin, votre double préoccupation – le patrimoine, d’un côté, et la culture vivante, le spectacle, de l’autre. Comment soutenez-vous et aidez-vous la création et les créateurs ? En période de crise économique, les créateurs risquent de souffrir. Avez-vous conscience de ce péril et comment essayez-vous d’y parer ?

Mme Isabelle Attard. La culture numérique suscite bien des interrogations en France. Quels sont les droits des individus vis-à-vis des œuvres numériques ? Comment assurer une rémunération à tous les créateurs, et pas seulement à un groupe de vedettes ? Plus généralement, quel statut pour les œuvres au fil du temps ? Tous les parlementaires écologistes défendent l’existence du domaine public en tant que bien commun des citoyens. Or, en France, les groupes d’intérêts des médias et de la distribution exercent de fortes pressions pour empêcher le partage non marchand d’œuvres numériques entre individus. Nous souhaiterions connaître votre point de vue sur la question.

M. Stéphane Travert. Monsieur le ministre, votre visite, et celle, il y a quelques jours, de Mme la Première ministre du Québec soulignent notre volonté commune de maintenir et de renforcer les coopérations existantes et de défendre la francophonie et la langue française. Je vous apporte les amitiés et les salutations de ma province, le Cotentin, terre d’accueil pour de nombreux citoyens québécois.

L’innovation et la créativité sont deux axes majeurs que nous pouvons développer ensemble, notamment dans les secteurs de la jeunesse et de la culture. La Semaine de la langue française offre ainsi au public l’occasion de manifester son attachement à la langue, tout en célébrant sa richesse et sa diversité. Peut-on imaginer un travail en commun entre parlementaires français et québécois sur notre relation à la thématique politique, sur notre manière de participer et de construire la vie de la cité ? Je ne doute pas que la constance de nos relations soit de nature à favoriser l’entente et la coopération pour promouvoir nos richesses et notre diversité, et faire en sorte que, de part et d’autre de l’Atlantique, chacun garde toujours ce qu’il a de meilleur.

Mme Martine Martinel. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous poser une question personnelle, qui ne se veut cependant pas indiscrète. Avant d’être ministre, vous êtes vous-même artiste et créateur. Votre regard d’artiste influence-t-il l’exercice de vos fonctions ministérielles ?

Vous accordez une grande attention au rapprochement entre les artistes et l’école ? Comment mettez-vous en œuvre ce rapprochement, dont vous dites qu’il favorise la réussite et qu’il représente un droit démocratique ?

Enfin, vous avez évoqué la convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles. A-t-elle eu des effets bénéfiques ? Qu’attendez-vous de la coopération avec la France en ce domaine ?

M. le président Patrick Bloche. Quel regard portez-vous sur un média que nous avons en commun, TV5 ? Estimez-vous qu’il remplit ses missions ? Pensez-vous qu’il faudrait lui en confier de nouvelles ?

Il n’y a pas de culture sans langue, et nous sommes tous attachés à la préservation de la langue française. Quelles leçons tirez-vous du récent sommet de la francophonie ? Comment vivez-vous, dans l’espace canadien ou, plus généralement, nord-américain, l’enjeu linguistique ? Nos amis québécois nous reprochent volontiers, avec raison, d’être de mauvais militants de la langue française, peut-être parce que celle-ci n’a pas pour nous une signification aussi identitaire que pour eux.

M. Maka Kotto. Je vais tâcher d’apporter à vos questions des réponses aussi précises que possible, sans trahir, toutefois, des détails techniques que je me dois d’annoncer sur le territoire québécois avant d’en parler à l’extérieur des frontières.

Une coopération entre nos deux pays en matière de numérique est hautement souhaitable. La raison fondamentale de ma venue en France est d’ailleurs de consolider le pont culturel qui, depuis des générations, relie la France et le Québec. C’est la France qui a inspiré la première politique culturelle au Québec : dès 1961, la volonté de collaboration était là. Sans vouloir faire de procès d’intention, je puis rappeler que, durant les cinq dernières années, on a remarqué une certaine altération de cette relation et des échanges qui la nourrissaient au plan culturel. Le gouvernement que je représente est dirigé par une femme qui garde sans cesse présent à l’esprit l’impératif de protéger l’identité québécoise.

Ce n’est pas une posture idéologique visant à écraser les autres identités qui vivent sur le sol québécois : c’est une question de survie même du peuple québécois. Les nouvelles plates-formes technologiques, les réseaux de télévision et de cinéma sont dominés par les produits qui nous viennent des États-Unis, de Hollywood, de la Silicon Valley. La langue que nous avons en commun est une sorte de bouclier qui empêche une assimilation, voire une acculturation. Lorsque nos voisins, par exemple en Ontario, succombent à la beauté et à la séduction des produits culturels des États-Unis, ils délaissent le peu de création anglophone qui leur est proposé sur leur propre territoire.

Nous serons bien inspirés de saisir la main que vous nous tendez, pour nous inscrire durablement dans ce nouvel espace numérique. Toutefois, vous avez pris de l’avance en ces matières alors que nous ne sommes qu’au début de nos chantiers. Votre cheminement nous servira de cadre de référence.

La situation de la langue française est très fragile. Lorsque l’on arrive à Montréal, ce n’est plus le visage français qui prédomine. Si l’on ne savait pas que la ville est francophone, on pourrait la croire anglophone – surtout si l’on traverse les quartiers ouest, mais dans ceux de l’est, aussi, qui sont censés être francophones, on entend les deux musiques linguistiques. On dit souvent, pour plaisanter, que la seule nation bilingue en Amérique du Nord, c’est le Québec. On s’en convainc aisément lorsqu’on connaît la réalité humaine et linguistique de Montréal.

Cette situation nous amène à reconsidérer notre Charte de la langue française, qui a été fragilisée par les tribunaux, qui, pour l’attaquer, invoquent la Charte canadienne des droits et libertés. Force est de constater aujourd’hui que, sous tous les gouvernements, et malgré les efforts qui ont été consentis pour la protection de la langue, le français a reculé. Ma collègue Diane De Courcy, ministre de l’immigration et des communautés culturelles et responsable de la Charte de la langue française, travaille à mettre la charte à jour afin de sensibiliser les nouveaux arrivants au fait que nous vivons dans un État francophone, et que, pour s’y intégrer, que ce soit par le travail ou par le regroupement familial, il faut maîtriser la langue française et connaître les valeurs de la société d’accueil.

Si nous n’accomplissons pas les travaux qui s’imposent à nous pour redresser la situation de la langue française, qui est notre témoin identitaire, nous tendrons, d’ici à deux générations, à devenir une sorte de Louisiane du Nord. C’est d’ailleurs ce qui a conduit certains de nos élus, faisant preuve de prescience et de lucidité, à œuvrer pour la signature de la convention sur la diversité dont nous disposons aujourd’hui.

Le français parlé au Québec est-il une langue de qualité ? La « parlure québécoise », avec ses tournures de phrase, son vocabulaire décalque de l’anglais ou hérité du vieux français, a été échafaudé au fil du temps dans les champs, dans les villages, dans la rue, dans les usines, alors même que ceux qui avaient fréquenté des collèges classiques ou des pensionnats de jésuites pratiquaient la langue parlée en France. Dans la perspective d’une réappropriation et d’une démocratisation du parler français, on a voulu réhabiliter la langue parlée afin de décomplexer les Québécois qui n’avaient pas eu accès aux études classiques. Aujourd’hui, on ne peut qu’être inquiet de voir les jeunes investir beaucoup de temps dans l’apprentissage de l’anglais, qui se veut la langue internationale du commerce. Comprenez-moi bien – je ne veux pas essuyer de procès en sorcellerie –, le Parti québécois est ouvert à l’apprentissage d’autres langues, mais, avec Mme Marois, dans son approche de la protection et de la promotion du français, il considère qu’on peut difficilement apprendre une seconde langue si l’on ne maîtrise pas sa langue maternelle. Il y va de notre propre pérennité en tant que parlants français en Amérique du Nord. Compte tenu des flux migratoires, Montréal offre le tableau le plus représentatif du destin calamiteux de la langue si nous n’y prenons garde, si nous ne nous dressons pas pour corriger les choses. L’histoire montre que, quand les peuples minoritaires baissent la garde, ils sont appelés à disparaître.

Les produits culturels américains sont très séduisants, je l’ai dit, et notre jeunesse en est très friande. Avec notre complicité passive, ils se sont répandus un peu partout à travers le monde. Si, au Québec, nous sommes passionnés de productions théâtrales, cinématographiques, télévisuelles, si nous sommes aussi actifs en matière muséale, si nous sommes aussi fous d’arts plastiques, d’arts visuels, de chansons, c’est parce que nous éprouvons le besoin fondamental d’occuper ce territoire de l’imaginaire et de la langue, pour ne pas nous noyer dans l’océan de la culture américaine.

TV5, en effet, est très présente et très regardée. L’image de la France et, par extension, de la francophonie, est bien assise sur ce réseau. Nous espérons que, dans la perspective du développement de la chaîne, dominera toujours cet esprit de concertation et de convergence des intérêts.

Chaque année, dans nos centres culturels à l’étranger, sont proposées 400 à 500 activités. Nous pouvons encore progresser. L’Institut français est bien disposé à entreprendre des collaborations avec nos institutions culturelles au Québec. Cela se fait déjà avec le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Les divers interlocuteurs que j’ai pu rencontrer à cet égard – notamment, ce matin, M. Xavier Darcos à l’Institut français – me permettent d’être très optimiste sur l’avenir et l’enrichissement de ces collaborations.

Pour parler de la culture numérique et des droits d’auteur, je dois entrer un moment dans le détail de la politique intérieure du Canada et évoquer les enjeux opposant la capitale fédérale, Ottawa, et Québec. De tout temps, sous tous les gouvernements, le Québec a revendiqué la maîtrise d’œuvre dans le secteur de la culture et des communications. En 2008, M. Charest adressait une lettre en ce sens. Sous le gouvernement de M. Bourassa, du Parti libéral, le ministre des communications avait porté ce même dossier. Depuis une quarantaine d’années, pour des raisons qui m’échappent encore, le gouvernement fédéral n’a pas cédé. Officiellement, il renvoie aux articles 91 et 92 de la Constitution de 1867. Mais c’est sur la base d’un vecteur déclaratoire qu’il s’approprie cette compétence. Par la force des choses, ce sont les tribunaux qui ont toujours statué sur ces questions. Mais le débat n’est pas clos, car j’ai mandat de négocier le transfert de ces pouvoirs et des enveloppes budgétaires correspondantes. Nous avons entrepris des démarches en ce sens et j’espère, notamment pour nos auteurs, qu’elles aboutiront bientôt, car la lecture du projet de loi qui vient d’être adopté au niveau fédéral ne nous paraît pas favorable au droit d’auteur.

Pour les questions concernant le partage des œuvres numériques, les chantiers viennent à peine d’être ouverts au Québec. Je n’ose donc anticiper et ne vous donnerai pas mon point de vue personnel sur la question, mais, dans le cadre des relations étroites que nous entretenons, nous pourrons communiquer à votre commission l’état d’avancement de nos travaux.

Il faut maintenir et renforcer les coopérations existantes pour la promotion du français. Je le dis avec énergie, car c’est le vœu le plus cher que j’exprime depuis trois jours que je rencontre tous les intervenants du domaine culturel à Paris. Les thèmes de l’innovation et de la créativité seront abordés à Québec en février, lors de la rencontre alternée des Premiers ministres du Québec et de France, puis seront déclinés dans les domaines de la jeunesse, de l’entreprenariat, de l’économie solidaire et de la culture. Nous ne sommes pas seuls à promouvoir nos richesses communes. L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et l’Institut français ne ménagent pas leurs efforts, et l’horizon me paraît plutôt clair. Je sais bien que, en France et peut-être même en Europe, l’expression « défense de la langue » paraît un peu ringarde, mais, avec le recul artistique, pour ne pas dire avec une distance critique, quand on prend la mesure de ce qui se passe au Québec, on comprend que nous n’avons pas le choix : c’est une question de survie, car nous sommes une minorité et il suffirait d’une ou deux générations pour que ce soit fini.

Quel peut être le regard de l’artiste sur son rôle de ministre ? C’est là une question artistique ! Moi-même, je me la suis posée. L’artiste, en moi, qui est non seulement acteur et comédien, mais metteur en scène et auteur, m’a expliqué qu’un ministre, c’est d’abord un serviteur. Il est au service de son monde, il doit servir et ne pas se servir. Cela impose une grande humilité, qui est aussi celle de l’artiste : quand un comédien travaille un personnage, il ne projette pas ses rêves, ses fantasmes, ses passions personnelles sur celui qu’il incarne, mais il accomplit un travail préalable d’investigation pour ainsi dire psychanalytique, remontant jusqu’à son enfance, se demandant ce qui a conditionné son comportement, afin de l’habiter et de le rendre fidèlement. C’est un avantage d’avoir la capacité de la distanciation pour mesurer les responsabilités qui sont les miennes. C’est précisément pour ces raisons que je garde les pieds sur terre et reste concentré sur le travail qui m’a été confié.

Malgré l’élargissement de l’offre et la démocratisation, les jeunes fréquentent de moins en moins les opéras, les concerts classiques, les expositions, et le public du théâtre ne se renouvelle pas. Si cela continue, d’ici à quelques années, les artistes auront de plus en plus de mal à vivre de leur métier. Moi-même, j’ai grandi dans un quartier pauvre de Douala, au Cameroun. Sans les arts, je serais probablement aujourd’hui en train d’errer dans les ruelles de quelque bidonville. Je dois beaucoup à la France, où je fus pensionnaire chez les jésuites, où je fus en contact avec les arts, avec la poésie, où je pus trouver des exutoires pour transcender mes frustrations, et rêver. Plusieurs d’entre nous se sont sauvés de la dérive grâce aux arts qui, des études l’ont montré, ont les mêmes effets partout en Occident.

C’est pourquoi nous n’allons pas ménager notre énergie afin de stimuler la connaissance des arts auprès des jeunes. Je ne sais si nous aurons suffisamment d’argent, car la crise que nous traversons appelle une révision de la redistribution des budgets. La pression financière est forte, mais, pour l’avenir du Québec, pour son identité, nous ne pouvons pas ne pas accompagner sa jeunesse.

On m’a interrogé sur les effets bénéfiques de la convention sur la diversité culturelle. Nous devons la défendre avec l’énergie du désespoir. Les discussions sur l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne sont en cours et, dans ce contexte, la mise en œuvre de la convention représente un défi. Nous n’avons pas toutes les précisions sur la place qu’occupe la protection de la diversité dans ces négociations. Il semble que la proposition va nous être présentée par chapitres déclinés avec une liste d’exceptions. Nous ne pouvons pas rentrer dans cette logique, qui, selon divers avis, paraît trop risquée. Aussi travaillons-nous à d’autres solutions qui permettraient de sauvegarder l’esprit de la convention sur la diversité culturelle et éviteraient d’autres problèmes lorsque viendra l’heure de négocier des traités avec les États-Unis. Je ne saurais trop vous exhorter à la vigilance, puisque l’Europe ratifiera l’accord sans consulter les Parlements nationaux. De l’autre côté de l’océan, au Québec et dans les provinces canadiennes, nous aurons la possibilité de dire notre mot sur la proposition qui nous sera présentée.

Mme Marois en a témoigné, les réactions ont été très favorables, lors du dernier sommet de la francophonie, en ce qui concerne les politiques linguistiques, la présence accrue du français dans la totalité des pays membres de l’OIF, les droits de la personne, l’accompagnement des pays en sortie de crise et les suites du forum mondial de la langue française qui s’est déroulé à Québec en 2012.

J’ai eu, hier, un entretien en tête-à-tête avec M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’OIF, rencontre émouvante avec celui qui fut l’un des modèles de mon enfance au Cameroun. Je suis persuadé que son énergie contagieuse sera relayée par d’autres et que nous continuerons sur la voie qui a été tracée.

Parler de la langue aux Québécois, c’est leur parler de leur âme : elle est l’essence même du Québec, le repère, le soleil qui poursuit son chemin malgré les nuages. C’est la coopération dans tous les domaines de la culture qui peut renforcer sa pérennité en Amérique du Nord. Si nous aimons la langue française, nous avons tous là une grande responsabilité.

M. le président Patrick Bloche. Merci, monsieur le ministre, d’avoir répondu à nos interpellations et d’avoir fait passer parmi nous le souffle de la Belle Province. Comme disait un ancien Président de la République française, « nous avons tant de choses à faire ensemble » que nous ne pouvons que nous donner rendez-vous très rapidement, d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique.

La séance est levée à treize heures dix.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 7 novembre 2012 à 12 heures

Présents. - Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, M. Yves Durand, M. Christian Kert, M. Dominique Le Mèner, Mme Martine Martinel, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, M. Marcel Rogemont, M. Claude Sturni, M. Stéphane Travert, M. Jean Jacques Vlody

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, M. Malek Boutih, M. Ary Chalus, Mme Sandrine Doucet, M. Vincent Feltesse, Mme Sonia Lagarde, Mme Barbara Pompili, M. Franck Riester, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga