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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 6 février 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la formation des enseignants en vue de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (n° 653) (M. Yves Durand, rapporteur)

Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 6 février 2013

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation organise une table ronde, ouverte à la presse, sur la formation des enseignants en vue de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (n° 653) (M. Yves Durand, rapporteur), réunissant M. Jean-Yves Capul, sous-directeur des programmes d’enseignement, de la formation des enseignants et du développement numérique à la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’éducation nationale ; Mme Virginie Gohin, chef du bureau de la formation des enseignants ; M. Gilles Roussel, président de la commission de la formation et de l’insertion professionnelle de la Conférence des présidents d’université, président de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée ; M. Pierre Statius, premier vice-président de la Conférence des directeurs d’IUFM (CDIUFM), directeur de l’IUFM de Franche-Comté, et M. Didier Geiger, vice-président de la CDIUFM, directeur de l’IUFM de l’académie de Créteil.

M. le président Patrick Bloche. Après avoir, la semaine dernière, entendu M. Vincent Peillon sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, nous poursuivons aujourd’hui les auditions préalables à l’examen de ce projet de loi.

La reconstruction de la formation initiale des enseignants, grâce notamment à la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, est un des éléments les plus importants de ce texte.

Dans le cadre d’une table ronde consacrée à ce thème, j’ai le plaisir d’accueillir M. Jean-Yves Capul, sous-directeur des programmes d’enseignement, de la formation des enseignants et du développement numérique à la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’éducation nationale, et Mme Virginie Gohin, chef du bureau de la formation des enseignants de cette même direction générale ; M. Gilles Roussel, président de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, qui préside la commission de la formation et de l’insertion professionnelle de la Conférence des présidents d’universités (CPU) ; M. Pierre Statius, premier vice-président de la Conférence des directeurs d’instituts universitaires de la formation des maîtres (CDIUFM), directeur de l’IUFM de Franche-Comté, et M. Didier Geiger, vice-président de la CDIUFM, directeur de l’IUFM de l’académie de Créteil.

M. Jean-Yves Capul, sous-directeur des programmes d’enseignement, de la formation des enseignants et du développement numérique à la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’éducation nationale. Si la direction générale de l’enseignement scolaire est avant tout responsable, au sein du ministère, de la formation continue des enseignants, notre mission d’élaboration de la politique éducative et pédagogique ainsi que des programmes nous conduit à nous intéresser également à leur formation initiale.

L’efficacité du système éducatif repose sur la formation des enseignants. Seule une bonne formation leur permet de prendre en charge tous les élèves, notamment les plus faibles.

La réforme de la formation des enseignants repose sur deux grands principes.

Premièrement, elle vise à donner une culture commune à l’ensemble des enseignants et des personnels d’éducation. Dans cette perspective, nous avons rénové le référentiel des compétences professionnelles commun à tous les professeurs et personnels d’éducation et valant pour la formation initiale comme pour la formation continue, avec la volonté d’insister sur la dimension collective des métiers de l’éducation.

Ces personnels seront formés par les écoles supérieures du professorat et de l’enseignement, les ESPE, qui participeront par ailleurs à la formation continue. Ces ESPE permettront la mise en place d’un tronc commun de formation, défini dans le cadre national des formations. Ces éléments de culture commune recouvrent notamment les valeurs de la République, en particulier la laïcité, la logique du socle commun et de l’approche par compétences, les mécanismes d’apprentissage, la gestion de classe, l’adossement à la recherche, le travail en équipe, etc. Nous espérons accroître ainsi l’homogénéité et la cohérence des formations proposées aux enseignants et aux corps de l’éducation. Cette culture commune devra tenir compte de la spécificité des métiers. C’est pourquoi le référentiel comportera des éléments liés aux différents métiers de l’éducation : professeurs des écoles, des lycées et des collèges, des lycées professionnels, professeurs-documentalistes, conseillers principaux d’éducation.

Le deuxième grand objectif de la réforme est de dispenser aux futurs professeurs une formation professionnelle de qualité. C’est une nouveauté radicale au regard de la situation actuelle, particulièrement en ce qui concerne les professeurs des lycées et collèges. Dans le cadre du master, les futurs enseignants recevront un véritable enseignement universitaire, avec non seulement des contenus académiques, mais aussi des contenus professionnels transversaux. À ces éléments académiques et universitaires, validés par la réussite au master et au concours, s’ajoutera une véritable formation professionnelle, avec une certification complète des éléments de professionnalisation. Les nouveaux masters dans les domaines des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation contiendront donc des volets professionnalisants. En outre, des professionnels de terrain interviendront dans les ESPE.

De nouveaux concours assureront cette nouvelle qualification professionnelle. Les maquettes sont en cours d’élaboration par les inspections générales et la direction générale des ressources humaines. Une maquette générique a été définie, qui met l’accent sur la formation professionnelle dès les épreuves écrites : la réussite à ces épreuves suppose, non seulement une bonne maîtrise des savoirs académiques, mais également la capacité de transmettre ses savoirs aux élèves. Évidemment, la compétence professionnelle sera évaluée également par les épreuves orales, dont le poids sera accru. Mais elle le sera, non seulement dans le cadre du master et par le concours lui-même, mais aussi par une nouvelle forme de ce qu’on appelait autrefois épreuve de qualification professionnelle.

Nous travaillons de concert avec l’enseignement supérieur, dans le cadre de la Conférence des professeurs d’université, la CPU, de la direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, la DGESIP, et dans le cadre de groupes de travail communs. Nous suivons avec eux la mise en place des futures ESPE. C’est un véritable travail en commun que les deux ministères, de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche, accomplissent pour assurer une rentrée réussie dans les ESPE, en septembre 2013.

M. Gilles Roussel, président de la commission de la formation et de l’insertion professionnelle de la Conférence des présidents d’universités (CPU), président de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Les présidents d’université étaient attachés à ce que les ESPE soient au cœur de l’université, afin que l’ensemble des compétences universitaires puissent être mobilisées pour la formation des enseignants. Le projet de loi permet cette coopération.

Cette formation suivra le modèle connu et reconnu du master, ce qui assure un adossement à la recherche et surtout une formation professionnelle, en particulier par l’alternance. Le concours de recrutement a été replacé à l’issue de la première année du master, conformément au souhait de la CPU : cette solution n’est pas parfaite, mais c’est la moins mauvaise. Quant au contenu de ce concours, il a considérablement évolué afin de permettre une véritable formation intégrée, sans rupture entre la formation à la discipline, la préparation du concours et la préparation à l’exercice du métier. Désormais, ce n’est plus le concours, mais le master qui valide les compétences. La CPU se félicite de ce signe de confiance du ministère de l’éducation nationale vis-à-vis de l’université.

Comme cela vient d’être rappelé, les ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur travaillent de concert. Les deux ministres ont fixé ensemble un calendrier de mise en place des ESPE. À cela s’ajoute l’important travail accompli par le comité de suivi master. En outre, les académies qui accueilleront une ESPE sont en train de mettre en place des groupes de travail et de suivi internes pour définir précisément le contenu des maquettes des concours.

En revanche, la formation continue qui sera dispensée aux enseignants dans les ESPE n’est pas encore complètement définie. Les ESPE joueront un rôle important dans ce domaine : c’est eux qui permettront aux enseignants de rester en contact avec les innovations pédagogiques, en lien avec la recherche en éducation qui devra nourrir les formations dispensées par l’ESPE.

M. Pierre Statius, premier vice-président de la Conférence des directeurs d’IUFM, directeur de l’IUFM de Franche-Comté. En tant que représentant d’une institution appelée à disparaître, ma parole sera à la fois institutionnelle et libre.

Cette réforme de la formation des enseignants ne vient pas de nulle part : elle procède d’une histoire, dont je rappellerai les étapes principales. J’exposerai ensuite les principes qui ont présidé à cette réforme. J’évoquerai enfin les difficultés de sa mise en œuvre.

La formation des maîtres est en crise depuis les années quatre-vingt : on peinait alors à trouver un nouveau modèle de formation apte à se substituer aux écoles normales – je vous renvoie sur ce point au livre de Gilles Laprévote, significativement intitulé Splendeurs et misères de la formation des maîtres. On a ainsi tâtonné, bricolé – le terme n’a rien de péjoratif –, jusqu’à la création des instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, par la loi du 10 juillet 1989, et à leur généralisation en 1991. Ensuite, jusqu’en 2005, ces instituts ont connu une histoire contrastée : cibles de violentes polémiques et d’attaques virulentes, ils ont fait l’objet de réformes successives avant d’être finalement intégrés à l’université par la loi Fillon de 2005. Mais, à cette époque, la greffe n’a pas pris, en raison des histoires différentes de ces deux institutions, les IUFM étant liés de façon substantielle à l’État éducateur et instructeur alors que les universités tentaient depuis les années quatre-vingt-dix de prendre leur autonomie vis-à-vis de ce même État. Ainsi il a été très difficile de faire entrer dans le référentiel de l’université des tâches accomplies par les IUFM mais qui n’étaient pas reconnues par les universités. Nous sommes entrés durant cette période dans une guérilla perpétuelle avec les services universitaires. La réforme de la masterisation de 2008 a été pour nous la double peine en ce qu’elle a fait éclater le cadre de la formation des enseignants. La réforme qui nous est aujourd’hui proposée procède en partie de l’échec de cette réforme de 2008-2009, qui nous a laissés exsangues tant elle avait été mal pensée, mal pilotée et mal mise en œuvre.

La mastérisation était mal pensée en ce qu’elle n’était cadrée que par la « circulaire Hetzel » de 2009. Elle a été mal pilotée, les présidents d’université en ayant profité pour réorienter une partie de la formation des enseignants vers les Unités de formation et de recherche (UFR) disciplinaires, notamment de lettres et sciences humaines, en vue de « repeupler » des masters en grande difficulté. Enfin, sa mise en œuvre a donné lieu à un maquis réglementaire extrêmement compliqué.

C’est la raison pour laquelle la Conférence des directeurs d’IUFM a présenté lors de la campagne présidentielle vingt-deux propositions pour une réforme de la formation des enseignants. Elle demandait notamment que l’État s’implique à nouveau, via un cadrage national, la définition de principes structurants et la création d’une véritable école au sein de l’université.

J’en viens aux principes de la réforme. La formation des enseignants sera intégrée, ce qui signifie que la professionnalisation ne succédera pas au concours : les étudiants prépareront le concours et se professionnaliseront dès la première année de master. Deuxièmement, les ESPE seront également en charge de la formation continue. Troisièmement, elles œuvreront au sein de l’université dans un esprit coopératif. Quatrièmement, la formation sera un continuum qui débutera à la licence pour permettre la constitution d’un vivier de candidats. Cinquièmement, le concours doit devenir un outil de recrutement et non un instrument de certification universitaire.

La mise en œuvre est assez chaotique au niveau local, s’agissant d’une institution qui est sur le fil, entre l’État et l’autonomie des universités, entre un statut universitaire et un statut d’école professionnelle. Tout naturellement, certains intérêts corporatistes tentent de faire main basse sur la réforme. L’équilibre est de ce fait compliqué à réaliser sur le terrain, mais je gage que nous y parviendrons.

M. Yves Durand, rapporteur. Pour ne pas faire de peine à nos collègues de l’opposition, je ne dirai pas que la formation des maîtres est sacrifiée depuis dix ans. De toute façon, ils le savent déjà, et s’ils l’ignoraient, M. Pierre Statius vient de le dire beaucoup mieux que je ne l’aurais fait. C’est en tout cas en raison de cette histoire qu’elle est la pierre angulaire du projet de loi, avec la création des écoles qui en seront l’instrument. Il reste cependant des éléments de flou dans sa conception et dans sa mise en œuvre.

Je ne suis pas de ceux qui considèrent que l’expérience des IUFM a été négative. Elle a traduit d’abord la reconnaissance de la nécessité d’une formation des maîtres ; elle a été par ailleurs la première tentative de construire une formation professionnalisante en France. Il est quand même extraordinaire que notre pays, qui se targue d’avoir un des meilleurs systèmes éducatifs au monde, n’ait pas cru jusque là devoir former ses maîtres. Votre volonté de mettre enfin sur pied une formation professionnalisante commune à tous les métiers de l’éducation, est un premier motif de satisfaction.

Je voudrais cependant que vous m’éclairiez à propos de l’alternance : que mettez-vous derrière ce mot ? Comment l’organiser pour en faire un outil de formation professionnelle ?

Je voudrais également vous interroger sur les contenus des concours, maintenant que la question de leur place, qui a été largement débattue pendant la concertation, a été résolue. Comment faire en sorte que ces contenus permettent d’assurer la formation professionnelle des maîtres ?

Je me félicite que le projet de loi reconnaisse la nécessité d’une école de formation des maîtres, et le terme d’« école » n’est pas neutre. Sans vouloir réveiller des conflits qui n’ont plus lieu d’être, je m’interroge cependant sur la place qui sera la leur au sein de l’université : quelle sera leur identité, en matière de budget et de gouvernance pour commencer ? L’université a tout à gagner de la réussite de ces écoles et cela suppose qu’elles soient pleinement reconnues comme un outil identifié de professionnalisation des métiers de l’éducation.

Mme Martine Faure. Le projet de refondation de l’école prévoit de redonner à l’école de la République les moyens de sa mission. Donner à chacun toutes ses chances suppose une meilleure formation des enseignants.

Le premier enjeu de la refondation de l’école est essentiellement qualitatif. Or la qualité du système éducatif tient d’abord aux compétences de ses enseignants, à leur savoir-faire – leur « savoir-transmettre » mais aussi leur « savoir-être ». Enseigner est un métier exigeant qui s’apprend : il faut du temps pour devenir un bon enseignant. De nombreuses études démontrent l’effet déterminant des pratiques pédagogiques dans la réussite des élèves.

La formation, tant initiale que continue, est le meilleur levier pour transformer les pratiques professionnelles des enseignants et les doter des outils indispensables à l’accomplissement de leurs missions. Pour organiser cette formation professionnalisante au métier d’enseignant, le projet de loi prévoit la création des ESPE, qui accueilleront leurs premiers étudiants dès la rentrée 2013.

Au moment où nous redonnons toute sa place à l’école maternelle, je voudrais insister sur l’importance de ce degré d’enseignement : il a été démontré que la réussite à l’école primaire dépend bien davantage des acquis en maternelle que de l’origine sociale.

Le développement d’une culture commune à tous les enseignants et à l’ensemble de la communauté éducative doit permettre d’encourager le développement des projets transversaux et interdisciplinaires.

Comment donner aux ESPE, dès le début, la dynamique et la logique de l’école ? Que deviendront les équipes pédagogiques et les directeurs des IUFM ? Quels moyens seront garantis pour assurer la réussite de la transition des IUFM aux ESPE, tant d’un point de vue humain que financier et matériel ? Comment éviter la dispersion du potentiel existant ?

Les ESPE assureront-elles la formation des auxiliaires et des emplois de vie scolaire, AVS et EVS, et des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, les ATSEM ?

Je voudrais également vous interroger sur l’implantation du numérique à l’école : comment sera assurée, notamment, l’harmonisation entre le travail scolaire et l’emploi de ces nouveaux outils ?

Enfin, les prochains concours de recrutement se dérouleront-ils sous la même forme que par le passé récent, ou sont-ils déjà appelés à évoluer ?

M. Frédéric Reiss. La nouvelle majorité présente la formation des maîtres comme une des nombreuses priorités de son action, mais la majorité précédente avait conscience de la nécessité d’améliorer la formation des enseignants, comme le prouve la constitution par notre Commission, sous la précédente législature, d’une mission d’information dont le rapport est intitulé « Mieux former les enseignants ». Les anciens se souviennent des épisodes rocambolesques qui ont marqué la publication du rapport de cette mission, le rapporteur ayant dû se résigner à en retirer deux propositions, notamment celle qui visait à supprimer à terme le concours de recrutement pour le remplacer par le master... Mais ce rapport proposait aussi de mieux articuler concours et formation, enseignement disciplinaire et pratique professionnelle. Il est dommage que nous n’ayons pas eu le temps de passer aux travaux pratiques !

Il est également regrettable que la loi Fillon d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005 n’ait pas eu le temps de produire tous ses effets, alors qu’il était jusqu’ici d’usage que les lois d’orientation relatives à l’école soient en vigueur durant une quinzaine d’années. Elle est en effet à l’origine de nombreuses innovations, telles que l’instauration d’un socle de compétences et de connaissances.

L’article qui intégrait les IUFM dans les universités a été un des derniers à être mis en œuvre. À cette occasion, le niveau de qualification requis pour être enseignant a été porté au niveau master. Loin d’être une double peine, monsieur Statius, la mastérisation est une chance, en ce qu’elle assure un continuum de la formation, de la maternelle à l’université. Elle est aussi une chance pour l’école du socle commun. Le groupe SRC ne la remet d’ailleurs pas en cause.

La réforme de la formation des enseignants est donc restée inachevée. On ne peut pas s’empêcher de faire le rapprochement avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont on ne peut contester les vertus, même si la suppression de l’année de stage des professeurs débutants en était une conséquence malheureuse.

Dans son dernier avis de janvier 2013 – qui sera probablement le dernier dans l’absolu –, le Haut Conseil de l’éducation soulignait l’importance d’établir un lien étroit entre recherche, expérimentation et formation, tant initiale que continue. Selon lui, « les ESPE doivent être pleinement intégrées aux universités, afin d’instituer une authentique synergie avec le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur ». Dans un avis plus ancien, le même Haut Conseil avait rappelé l’importance du socle commun, même si l’enseignement ne doit pas s’y résumer, et appelé à assurer une formation des professeurs en lien avec ses exigences. Cette formation doit par conséquent garantir en premier lieu une solide maîtrise des disciplines et une bonne culture générale, amenant à rechercher les complémentarités et les convergences entre les disciplines. Nous ne pouvons que souscrire à ces intentions.

Avancer les concours d’un an ne risque-t-il pas de placer des enseignants sans formation professionnelle devant les élèves ? Un concours à l’issue de quatre années d’université, suivi d’une année de formation en alternance, n’est-ce pas là une forme de masterisation « light », masquée par un diplôme qui ne signifie pas nécessairement une meilleure formation, et donc un retour en arrière ? D’autre part, le problème des « reçus collés » reste entier : quelle solution proposer aux élèves qui intègrent le master mais échouent au concours ? Selon le Conseil économique, social et environnemental, la place des concours, coupant le master en deux, obérerait fortement le caractère intégré d’un cursus alliant enseignement théorique et pratique, stage, formation disciplinaire et professionnelle.

Le Conseil supérieur des programmes jouera-t-il pleinement le rôle que le projet de loi lui assigne en veillant à la cohérence de la formation des futurs enseignants ?

M. Rudy Salles. Le mot « école » est un très beau mot, et nous pensons comme vous, monsieur le rapporteur, qu’il remplace avantageusement le terme d’« institut ».

Nous avons reproché au ministre la tiédeur et le flou de son projet d’ESPE. Pourriez-vous nous dire, monsieur Statius, quelle formation vous attendez pour les nouveaux professeurs, avec quels contenus et pour quelles missions ?

M. Thierry Braillard. Je vous ferai part d’une satisfaction, d’une inquiétude et d’un espoir.

Ce projet de loi est en lui-même un motif de satisfaction : il était nécessaire de créer une structure dédiée à la formation des enseignants, disposant de moyens propres.

Je m’interroge cependant quant à notre capacité de « reconstituer un vivier » d’enseignants à un moment où, dans des matières comme les mathématiques ou l’anglais, on offre plus de postes qu’il n’y a de candidats. Il apparaît urgent de revaloriser le rôle de l’enseignant, après le déclassement social, culturel et économique de ces dernières années – on se souvient du discours de Latran du précédent Président de la République. Il faut également améliorer les conditions du recrutement : de ce point de vue, un prérecrutement au niveau de la licence permettrait de ne pas réserver ce métier à ceux qui ont les moyens de poursuivre leurs études quatre ou cinq ans après leur baccalauréat. Les emplois d’avenir professeur sont une première solution, mais ne devrait-on pas aller encore plus loin en permettant à ceux qui auraient la capacité d’exercer ce métier s’il n’y avait l’obstacle de difficultés familiales, personnelles ou financières de continuer leurs études ?

Il faut enfin revaloriser les conditions d’exercice de la profession et, en particulier, ne plus « lâcher » les jeunes professeurs en terrain exposé.

Mon espoir naît du fait que le projet de loi pose de bonnes bases, qu’il nous appartiendra toutefois de préciser. Nous proposerons ainsi par voie d’amendements de définir plus clairement le statut des ESPE, avec une gouvernance partagée, ainsi que le tronc commun de la formation. Nous proposerons également de faciliter les transitions pratiques et méthodologiques entre le primaire, le secondaire et le supérieur.

Je voudrais par ailleurs appeler l’attention de nos collèges sur le risque de voir s’installer une fracture numérique entre les centres urbains et certains territoires ruraux. Étant donné le rôle éducatif que le numérique sera de plus en plus appelé à jouer, il serait bon que nous entendions Mme Fleur Pellerin sur ce sujet.

Je voudrais enfin vous interroger sur les moyens que vous envisagez de déployer pour remettre sur pied la formation continue des professeurs, qui semble totalement sinistrée.

Mme Julie Sommaruga. La mise en place des ESPE est vitale. La suppression de la formation des maîtres, qui traduisait un manque de considération pour le métier même d’enseignant, était en contradiction avec l’objectif d’assurer la réussite de tous les élèves. En effet, l’absence de formation pratique a privé les jeunes enseignants des outils pédagogiques indispensables à cette réussite. Elle a aussi contribué à la dévalorisation du métier, entraînant une véritable crise des vocations, sans parler du stress supplémentaire qu’elle a généré chez les jeunes enseignants, et donc chez les élèves.

Traduction d’un engagement fort de François Hollande, la création des ESPE répond aux besoins en formation à la fois théorique et pratique des enseignants. Le projet prévoit que ces écoles seront pleinement intégrées à l’université, mais comment garantir un lien fort avec la recherche ? Comment les ESPE seront-elles représentées dans les conseils d’administration des universités ? Que deviendront les étudiants qui échoueront au concours à l’issue de leur première année de master ? Des passerelles avec d’autres filières universitaires leur seront-elles ouvertes ?

L’existence d’une épreuve professionnelle suffit-elle à garantir le caractère professionnalisant des concours ? Ne faudrait-il pas envisager l’instauration d’un contrôle continu dès la première année de master, comportant une épreuve de mise en situation devant une classe ? Ne serait-ce pas un bon moyen aussi d’encourager les vocations ?

M. Paul Salen. Quand on sait que 40 % des élèves ont des difficultés à maîtriser les savoirs fondamentaux à l’entrée en sixième, on ne peut qu’approuver l’objectif de faire du primaire une priorité. Mais les outils proposés ne me semblent pas réellement à la hauteur des ambitions affichées pour la formation des enseignants. En effet, sur les 43 500 recrutements annoncés pour l’année 2013 par le ministre de l’éducation nationale, 22 100 seront destinés à remplacer les enseignants partant à la retraite et 21 350 seront assurés par un concours spécifique à l’issue de la première année de master. En tout, ce sont donc seulement 8 200 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires qui seront inscrits au budget 2013.

Dans ces conditions, on peut se demander si les objectifs affichés pour les ESPE auront un contenu réel, au-delà des effets d’annonce. Seront-elles implantées sur des sites spécifiques, ou va-t-on se contenter de réutiliser ce qui existe déjà ?

Le nombre des candidats sera-t-il par ailleurs à la hauteur des besoins tels qu’ils sont identifiés par le gouvernement ? Si tel n’est pas le cas, n’y a-t-il pas un risque de voir diminuer le niveau de qualification, au rebours de l’objectif affiché ?

Mme Marie-Odile Bouillé. M. Peillon nous a assuré qu’un véritable parcours d’éducation artistique et culturelle serait mis en place tout au long de la scolarité : comment les enseignants seront-ils formés à cette fin ?

Mme Dominique Nachury. Tous les réformateurs du système de formation des enseignants qui vous ont précédés étaient aussi persuadés que vous du bien-fondé de leurs propositions. Il faudra attendre la mise en œuvre de cette dernière réforme pour en évaluer la pertinence.

Comment sera assuré l’équilibre entre contenus disciplinaires et contenus professionnels dans les cursus et dans les épreuves des concours de recrutement ? Quelle solution envisagez-vous d’apporter au problème des « reçus collés » ? S’agissant de l’alternance, les établissements d’appui devront nécessairement être proches des lieux d’enseignement universitaire : quels moyens leur seront donnés pour faire face aux inévitables difficultés d’organisation ?

M. Stéphane Travert. Le métier d’enseignant est aujourd’hui le seul qui puisse s’exercer sans formation ni apprentissage. On en connaît les conséquences : les risques d’échec dès la première année d’enseignement sont tels que ce métier a perdu de son attractivité. La création des ESPE consacre la reconnaissance du fait que la formation des enseignants est, non seulement une nécessité, mais une priorité pour l’école de la République.

Quelles orientations seront proposées aux étudiants qui auront échoué au concours à l’issue de la première année de master ? Pourront-ils exercer d’autres fonctions dans le système éducatif, comme celles d’éducateurs ou d’auxiliaires de vie scolaire ? Enfin, comment les lauréats du concours concilieront-ils le statut d’étudiant et celui de fonctionnaire stagiaire, soumis à l’autorité du recteur ? C’est là une innovation qui appelle des éclaircissements.

M. Benoist Apparu. Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, le flou du projet de loi : or « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » comme aurait dit un autre élu du Nord, et les propos liminaires de nos invités n’ont pas suffi à dissiper ce flou.

Je vous rappelle que le reproche principal adressé à la réforme de la mastérisation était qu’elle aboutissait à confier des classes en pleine responsabilité à des débutants qui n’avaient jamais enseigné. Or vous n’avez pas dit un mot au sujet de la formation en alternance des futurs enseignants. Combien d’heures les étudiants en deuxième année passeront-ils devant les élèves ? Ce n’est pas un point de détail, puisque c’est ce qui justifie une réforme qui coûtera la bagatelle de 27 000 postes.

Je n’ai pas compris par ailleurs comment le nouveau concours s’articulera avec le CAPES et l’agrégation. À quel moment les futurs certifiés et agrégés passeront-ils par les ESPE ?

Enfin, quelle sera l’autonomie des ESPE au sein de l’université ? S’inspirera-t-elle du statut des instituts universitaires de technologie, ou ces écoles bénéficieront-elles d’une autonomie budgétaire complète, en contradiction avec la loi relative aux libertés et responsabilités des universités ?

Mme Colette Langlade. Le futur Conseil du numérique éducatif sera-t-il décentralisé, afin d’assurer une meilleure mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés dans nos territoires ? À un moment où on demande de plus en plus aux enseignants de travailler avec les collectivités locales et d’inscrire leur action dans les bassins de vie, une formation professionnelle de qualité ne devrait-elle pas leur permettre d’acquérir une connaissance approfondie des collectivités ? S’agissant enfin de l’enseignement professionnel, on a évoqué la création de campus de métiers regroupant les différents degrés d’enseignement autour de champs professionnels : pourriez-vous nous donner quelques précisions sur cette initiative ?

Mme Annie Genevard. Tout le monde s’accorde à dire que la formation des maîtres doit mettre l’accent sur la pédagogie, car tout démontre le caractère déterminant de l’« effet maître » dans la réussite scolaire, particulièrement celle des enfants les plus fragiles. Partagez-vous ce constat et comment envisagez-vous de stimuler un tel effet ? Comment les acquis de la recherche seront-ils articulés avec les problématiques de l’enseignement ? Enfin, toute politique publique devant être évaluée, avez-vous anticipé cette nécessité s’agissant de ce nouveau dispositif de formation ?

M. Pierre Léautey. C’est dans le domaine de la formation des enseignants que ce projet de refondation de l’école opère la rupture la plus marquée avec les politiques passées. Je suis tout aussi convaincu que vous, monsieur Capul, que l’efficacité de notre système éducatif repose sur une bonne formation des enseignants. De ce point de vue, les ESPE sont porteuses d’un grand espoir d’amélioration de la formation pratique et théorique des enseignants.

Les contenus des programmes seront-ils stabilisés et soumis à des évaluations régulières ? Est-il pertinent de recréer une structure similaire à l’ancien Conseil national des programmes ? Des pôles de concertation seront-ils mis en place afin de renforcer le lien entre premier et second degrés et de fédérer les actions de formation et d’enseignement ?

M. Patrick Hetzel. Je mets en garde contre le risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. Je rappelle que la mastérisation visait à élever le niveau de formation des enseignants en recrutant des étudiants titulaires d’un master : il apparaissait en effet essentiel que les enseignants bénéficient d’une formation universitaire de qualité qui leur permette d’être informés des dernières avancées de la recherche pour pouvoir ensuite s’adapter aux évolutions futures de leur métier. De ce point de vue d’ailleurs, il semble que le projet de loi maintienne l’orientation de la loi Fillon, ce qui prouve qu’elle était la bonne.

Je m’interroge aujourd’hui sur les modalités que devrait revêtir une formation susceptible de concilier les impératifs de l’« employeur » éducation nationale – c’est la partie pratique – et le respect des exigences académiques et universitaires – c’est la partie théorique. S’agissant d’une thématique par définition interministérielle, le risque est de voir chaque ministère tenter de tirer la couverture à soi.

L’alternance est à mes yeux un moyen de concilier ces deux impératifs. Avez-vous prévu de mettre en place des dispositifs d’alternance, en vous inspirant, par exemple, du modèle des études médicales ? L’internat permet en effet des allers-retours entre la pratique et la théorie. Nous disposerions ainsi d’un dispositif de formation que je qualifierais de « praxéologique », c’est-à-dire qui prenne en compte à la fois la praxis et le logos – la pratique et la connaissance.

Mme Sandrine Doucet. Le rapport Marois de 2009 opérait une véritable rupture dans la conception de la formation des enseignants. Selon lui, la formation des professeurs stagiaires devait se situer dans la continuité de ce qui avait été acquis à l’université. La définition en était expédiée en une ligne : ce rapport la décrivait essentiellement comme une adaptation à l’emploi et comme un accompagnement de l’enseignant placé en situation de totale responsabilité. Au contraire, le rapport de la Cour des comptes de février 2012 soulignait le désastre de la mastérisation : en aboutissant à confier des classes à des enseignants sans formation, cette réforme a provoqué des abandons massifs sans permettre les économies qu’elle visait.

Quelle sera l’identité des ESPE au sein du système universitaire ? Comment réhabiliter la recherche en sciences de l’éducation, indispensable à la formation des enseignants ? Quel sera le sort des bâtiments qui accueillaient les IUFM et dont l’entretien a été souvent négligé, faute de crédits ? Quelle sera la proportion des personnalités extérieures dans les conseils d’école, et quelles seront-elles ?

M. Dominique Le Mèner. Il est vrai que l’ensemble des partenaires de l’éducation partageait l’objectif de revalorisation qui était celui de la mastérisation. Mais il faut revaloriser, non seulement la formation dispensée aux futurs enseignants, mais également le métier lui-même, à travers une augmentation de leur rémunération. Aujourd’hui en effet, il n’est pas abusif d’utiliser la formule « travailleurs pauvres » à propos de certains nouveaux enseignants. Il semble que l’on n’ait pas mesuré tous les problèmes que pose la primo-affectation, en dehors de celui de la qualification de ces nouveaux enseignants. Alors que le niveau global des nouveaux recrutés s’est incontestablement élevé, ils sont souvent incapables de faire face à des élèves difficiles dans des secteurs difficiles. Cela explique en grande partie la désaffection que subit le métier. Dès lors, cette question ne devrait-elle pas être traitée en même temps que celle de la formation ?

M. Pascal Deguilhem. Sur la mastérisation, il n’y a pas de débat, monsieur Hetzel. Le problème, c’est qu’il n’y a plus de formation des maîtres et qu’il n’y a plus de candidats aux concours de recrutement des enseignants alors que les besoins sont grands. La question est de savoir si la création des ESPE permettra d’inverser rapidement cette évolution. Je rejoins par ailleurs M. Thierry Braillard pour dire qu’une formation véritablement professionnalisante des enseignants devrait être organisée sur deux ans après un recrutement à l’issue de la troisième année de licence. Je déplore enfin que le texte n’évoque guère le maillage territorial qui serait nécessaire pour la formation continue des enseignants. Pourriez-vous nous fournir quelques éléments à ce sujet ?

Mme Anne-Lise Dufour-Tonini. Nous avons tous conscience que la performance d’un système éducatif repose en grande partie sur la formation des enseignants et nous avons tous admis la nécessité de professionnaliser le métier de ceux qui ont la charge de former les citoyens de demain.

Quel sera le sort des candidats qui auront échoué au concours à l’issue de la première année de master ? Pourront-ils bénéficier de passerelles avec d’autres formations universitaires ? Quelles seront les modalités de formation des titulaires d’emplois d’avenir professeur ou des auxiliaires de vie scolaire ? Dans le domaine de la formation continue, les plans académiques de formation et les formations d’initiative locale seront-ils appuyés par les ESPE ? Quel sera le rythme de la formation continue des enseignants, et quelles seront les obligations de ceux-ci en la matière ? Quel sera enfin le rôle de l’École supérieure de l’éducation nationale de Poitiers, notamment pour ouvrir des perspectives de carrière aux professeurs, par exemple vers la direction d’établissement ou vers l’inspection ?

Mme Françoise Dumas. La grande concertation sur l’avenir de l’école a permis de réaffirmer que la formation des enseignants constitue l’enjeu fondamental d’un système éducatif désireux de faire de la réussite de tous les élèves sa finalité. C’est ce qui justifie la mise en place des ESPE. La réforme de la formation des enseignants prévoit la préparation des concours en première année de master et des stages d’observation et de pratique accompagnée. Les concours auront lieu à la fin de cette première année. Les étudiants admis à l’issue de ces concours auront alors un double statut : à la fois professeurs stagiaires et étudiants. Il s’agit d’assurer ainsi l’alternance de formations disciplinaires et professionnelles, rendue nécessaire par l’évolution de la société, qui amène les jeunes enseignants à affronter de nouveaux publics, plus délicats à aborder, plus rétifs à la structure scolaire et à l’autorité.

Dans cette approche de la diversité des publics, il me semble que la formation à l’exercice de la profession doit s’accompagner d’une formation théorique à la question de la laïcité. En effet, le public scolaire est composé d’élèves issus de milieux socioculturels différents, ayant des attentes et des capacités très diverses. L’enseignement des principes et des comportements liés au « vivre ensemble » est susceptible de leur permettre de dépasser les préjugés réciproques, les particularismes sociaux ou confessionnels pour développer leur réflexion personnelle et leur esprit critique. C’est pourquoi il me semble important que le contenu de la formation des futurs enseignants dans cette nouvelle matière – mêlant philosophie, français, histoire-géographie, voire sciences naturelles –  soit clairement défini.

Comment concevez-vous cette nouvelle discipline, dont les contours devraient être fixés par l’arrêté sur le cadre national des formations dispensées dans les ESPE ?

Mme Maud Olivier. L’insuffisance de la formation scientifique des professeurs des écoles contribue à la désaffection qui frappe actuellement ces disciplines. Dans quelle mesure les ESPE y remédieront-elles ?

Par ailleurs, les filières d’orientation tendent à être de plus en plus sexuées cependant que, dans notre société, la répartition des rôles entre hommes et femmes n’évolue guère. Envisagez-vous un enseignement, commun à tous les professionnels de l’éducation, relatif à la déconstruction des stéréotypes de genre et à la gestion de la mixité ?

M. Michel Herbillon. Tout le monde s’accorde sur la nécessité d’améliorer la formation des enseignants. Qu’en est-il de la formation professionnelle qui sera dispensée par les ESPE ? Qu’entendez-vous conserver des IUFM, qui font l’objet d’appréciations pour le moins contrastées ? Quelle solution proposez-vous, enfin, au problème des « reçus collés », c’est-à-dire les élèves qui auront intégré la première année de master puis échoué au concours ?

M. William Dumas. Mon attention a été appelée sur les emplois d’avenir professeur qui ne semblent pas concernés par le projet de loi. Pourtant, on ne peut pas dire que des jeunes inscrits en deuxième année de licence ne sont pas qualifiés. Comment seront-ils considérés ? Que se passera-t-il si l’étudiant se réoriente au cours de ces études : devra-il rembourser tout ou partie des sommes perçues ? Les périodes de travail en établissement scolaire équivaudront-elles aux périodes de stage prévues dans le cadre du master ?

Je souhaiterais enfin des précisions sur la mise en place du service public de l’enseignement numérique.

M. Jean-Yves Capul. Le mot « alternance » est utilisé pour désigner des pratiques très différentes et, par exemple, recouvre souvent une simple juxtaposition de périodes de stages et de formation théorique sans lien entre elles. Dans nos textes, nous nous assignons la mission d’assurer une « véritable alternance », c’est-à-dire, au contraire, de lier vraiment l’expérience pratique de la conduite d’une classe, avec le soutien d’un enseignant chevronné, et le soubassement que procurera l’enseignement universitaire, enrichi de l’apport de la recherche.

Comment seront organisées à cet égard les deux années de master, sachant que l’accord passé avec la CPU prévoit des modules de pré-professionnalisation dès le niveau de la licence de manière à faire connaître les métiers de l’enseignement ? En première année, outre le cursus normal du master à vocation professionnelle et la préparation au concours, les étudiants auront à effectuer un stage d’observation et de pratique accompagnée de plusieurs semaines, qui sera pris en compte dans le cursus même du master. Ces futurs enseignants auront donc à la fois des tuteurs de l’éducation nationale et des tuteurs de l’université et les validations seront de même doubles. En deuxième année, les étudiants reçus au concours deviendront fonctionnaires stagiaires et, en alternance avec les périodes en université, assureront un mi-temps d’enseignement de neuf heures. Ce stage sera également intégré au cursus du master et, dans le cadre national défini conjointement par les deux ministères, il est prévu qu’il vaudra 20 crédits ETCS (système européen de transfert et d'accumulation de crédits). Ici encore, il y aura double tutorat mais, de manière à ne pas surcharger le jeune professeur en le soumettant à des exigences trop éloignées de part et d’autre, nous envisageons une évaluation en partie commune.

Nous souhaitons un aller et retour permanent entre le stage et l’enseignement dispensé dans le cadre du master. Nous avons repris la définition des blocs de compétences définis par la circulaire Hetzel de décembre 2009 pour distinguer ce qui relève de l’enseignement académique, ce qui relève du didactique, ce qui relève de la recherche et ce qui relève de la mise en pratique professionnelle. La pondération de ces différents éléments est encore en cours de discussion dans l’enseignement supérieur. Il est certain que l’enseignement académique pèsera nettement plus lourd que la didactique en première année de master car la réussite au concours suppose la maîtrise de contenus disciplinaires ; mais la proportion sera vraisemblablement inverse en deuxième année.

Un étudiant qui échouera en fin de deuxième année ne pourra pas être titularisé : à l’exigence d’un stage validé et d’un succès au concours s’ajoute en effet celle du diplôme.

Le concours ne servira pas à valider ce qui l’aura déjà été par l’enseignement supérieur au travers des différentes épreuves organisées au cours de la première année de master. Néanmoins, il est indispensable d’avoir la maîtrise complète de contenus disciplinaires pour en assurer la pédagogie : les deux choses seront constamment liées et la maquette générique du concours, même si elle fait encore l’objet de travaux avec les différentes inspections générales, me semble de nature à rassurer tous ceux qui s’inquiètent à ce propos. Une des deux épreuves de l’écrit consistera en l’exploitation d’un dossier documentaire devant démontrer « la capacité à mobiliser les savoirs disciplinaires et didactiques dans le but de présenter un raisonnement pédagogique contextualisé par rapport » à une situation et à un public scolaire donnés : il s’agit donc d’une épreuve qui, tout en n’étant pas entièrement académique comme par le passé, exigera une bonne maîtrise des savoirs disciplinaires en même temps qu’une maîtrise des conditions de leur transposition à un public d’élèves. Ainsi, on peut penser que sera testée, non la connaissance de la grammaire universitaire, mais la capacité d’enseigner la grammaire à des collégiens. Les deux épreuves orales prendront « la forme d'une mise en situation professionnelle, mettant en jeu la capacité d’engager la construction d'une séquence pédagogique dont le candidat devra justifier, face au jury, les choix didactiques et pédagogiques qu'il a effectués » et celle d’un « entretien à partir d'un dossier destiné à montrer l'aptitude au dialogue, mais également (…) une première approche épistémologique de la discipline et de ses enjeux, la capacité à se projeter dans le métier futur, par exemple à partir des réponses aux questions et aux situations proposées par le jury ».

Le lien sera donc constant entre l’appréciation du savoir disciplinaire et celle des aptitudes professionnelles, mais ces dernières seront d’autant mieux prises en considération que les coefficients des épreuves orales, qui permettent mieux que l’écrit d’en juger, pèseront pour deux tiers dans le total.

La maquette relative au concours de professeur des écoles fait une part très importante aux deux enseignements fondamentaux du premier degré : celui du français et celui des mathématiques. Cependant, comme, aujourd’hui, beaucoup d’enseignants de primaire n’ont pas suivi de cursus scientifique, l’accent sera mis sur les sciences et les mathématiques dans les épreuves – si les propositions de l’inspection générale sont validées.

Il nous semble donc avoir atteint dans nos propositions à un équilibre plutôt satisfaisant entre formation disciplinaire et formation pratique.

M. le rapporteur. Le propos me rassure, car j’avais quelques doutes sur ce point après l’intervention de notre collègue Patrick Hetzel, posant la question de l’articulation entre pratique et théorie en laissant supposer une possibilité de juxtaposition – mais sans doute aurait-il été plus explicite s’il avait disposé de plus de temps… De fait, dans la formation dispensée aux enseignants, la pratique doit déjà être impliquée dans la théorie. Ainsi il ne s’agit pas de leur enseigner l’histoire ou la grammaire pour former des universitaires ou des chercheurs spécialistes de ces disciplines, mais bien de telle manière qu’ils puissent à leur tour les enseigner à des élèves, par exemple, de cours élémentaire ou de cours moyen.

Ce qu’a dit M. Jean-Yves Capul me rassure donc, mais le problème du contenu des concours et de leur validation n’en est pas moins posé.

M. Patrick Hetzel. Vous n’avez pas dû m’écouter jusqu’au bout, monsieur le rapporteur ! J’ai conclu mon propos en demandant comment on comptait réunir les conditions d’une approche véritablement praxéologique – autrement dit d’une approche dans laquelle pratique et théorie sont étroitement associées. Il convient en effet que nos enseignants soient capables de porter un regard distancié sur leur pratique, de mettre leurs connaissances en perspective, faute de quoi ils ne pourraient transmettre convenablement leur savoir aux élèves en les aidant à développer leur propre esprit critique – étant entendu que, dans le primaire, la priorité doit aller à l’acquisition d’un socle de connaissances et que ce n’est que progressivement que cette capacité critique va s’affirmer, jusqu’aux dernières classes de lycée où il devient possible de faire une place à la philosophie et à une réflexion sur les concepts.

M. Jean-Yves Capul. Trois catégories de formateurs travailleront ensemble dans les ESPE : les enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur ; les professeurs des ex-IUFM, mais aussi les professionnels de terrain : enseignants, formateurs, chefs d’établissement, membres des corps d’inspection. C’est leur addition, leur coopération qui permettra un regard « croisé », qui favorisera le va-et-vient entre théorie et pratique, l’une nourrissant l’autre.

Dans le cahier des charges que les ESPE devront respecter pour être accréditées, nous avons veillé à faire une place adéquate au numérique. Elles devront proposer des modalités de formation exploitant toute une gamme de nouveaux outils : ressources numériques, enseignement à distance et en ligne – et l’ESEN, l’École supérieure de l’éducation nationale, aura un rôle à jouer à cet égard –, réseaux sociaux, etc. Mais la formation par le numérique doit s’appuyer sur une formation au numérique. Pour s’assurer de la capacité des futurs maîtres à utiliser les nouvelles technologies dans leurs classes, l’obtention du certificat informatique et internet de niveau 2 (C2i2e) sera rendue obligatoire, mais cette compétence devra ensuite être entretenue grâce à la formation continue.

Le 13 décembre dernier, le ministre a défini une stratégie globale pour le numérique à l’école, comprenant la création d’un conseil du numérique éducatif, auquel il est prévu d’associer les collectivités, qui sont pleinement parties prenantes du service public de l’enseignement numérique. Sur ce point, la circulaire de rentrée sera même plus précise : ce partenariat sera formalisé au sein d’une instance académique chargée d’élaborer et de mettre en œuvre des plans académiques du numérique.

Mme Virginie Gohin, chef du bureau de la formation des enseignants. Qu’il s’agisse de l’attractivité du métier, des nouveaux contenus de formation ou du lien entre théorie et pratique, bon nombre de vos questions trouveront aussi une réponse dans le référentiel de compétences communes destiné à se substituer à celui du 19 décembre 2006 et actuellement soumis aux syndicats. Il vise à créer une culture commune entre tous les professionnels de l’éducation et assigne des objectifs en matière de formation scientifique, de formation aux enjeux de la laïcité, de formation au numérique, etc., valant aussi bien pour les futurs enseignants que pour les universités. Comme celui de 2006, il détaille dix grands domaines de connaissances à maîtriser au moment de la titularisation et tout au long de la carrière. Il prend en compte la complexification du métier et, notamment, les contraintes résultant de l’hétérogénéité de la population scolaire. S’adressant à l’ensemble de la profession, il contribuera à affirmer son identité ; mais il précise aussi les compétences spécifiques requises des enseignants, des professeurs-documentalistes et des conseillers principaux d’éducation (CPE) et, pour les premiers, il les décline en fonction des différents niveaux : école, collège, lycée général et lycée professionnel…

Ce document sera un guide pour l’élaboration des maquettes de master mais surtout donnera un cadre aux équipes pédagogiques des ESPE comme aux enseignants eux-mêmes, et cela aussi bien pour la formation initiale que pour la formation continue. En effet, ces compétences sont certes supposées être acquises à un niveau suffisant lors de la titularisation, mais elles devront être entretenues tout au long de la carrière.

M. Gilles Roussel. Les universités ne vont pas découvrir l’alternance : elles y sont déjà confrontées, pour les études de médecine mais aussi pour l’accueil d’apprentis, et elles prennent en compte dans leurs formations les acquis de la pratique en entreprise ou à l’hôpital. Elles savent donc faire ! Dès lors, le lien entre la pratique et la théorie – entre le stage et l’enseignement disciplinaire – ne devrait pas faire difficulté, même s’il peut être délicat de trouver le bon équilibre, au sein du cursus, entre la formation académique, la préparation du concours et la mise en situation professionnelle. Mais les équipes y travaillent, le comité de suivi y est attentif.

Cependant, un autre problème, plus global, se pose : dans certaines formations, les étudiants de master ont un nombre de cours à suivre et un nombre de compétences à acquérir trop important au regard du nombre d’heures d’enseignement que nous pouvons leur dispenser. Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’ils acquièrent toutes les compétences et connaissances requises au cours de ces deux années : l’important est qu’ils disposent à la fin du master d’un socle et que, pour la suite, les ESPE soient capables de dispenser une formation continue de qualité.

Les universités ont tout à gagner à l’affirmation d’une identité forte des ESPE en leur sein. Pour l’instant, il n’y a qu’une dénomination et un projet en cours de définition, mais que je pense clair, ainsi que la décision de regrouper dans ces écoles des personnels des IUFM, des UFR et de l’éducation nationale. Tout le défi pour les universités va être de rendre ces écoles visibles, au sein d’un dispositif lisible par tous les étudiants. Pour attirer ceux-ci, il est en effet indispensable de mettre en place un cadre clair et stable. Clair : ils doivent savoir quels cursus précis ils devront suivre, où s’inscrire… Stable : tout a changé ces dernières années à l’université comme dans la formation des enseignants, assurée d’abord en totalité dans les IUFM, puis en partie à l’université, de sorte que les étudiants ont du mal à s’y retrouver. Faisons donc cette nouvelle réforme, mais tenons-nous-y ensuite pour longtemps !

La loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche est encore à venir mais, pour rendre plus lisible ce projet d’ESPE, on pourrait envisager de rattacher les ESPE à des établissements qui ne seraient pas des universités mais des communautés universitaires – ainsi dans la région Île-de-France.

Se pose bien sûr la question des locaux des IUFM, dont il est naturel que les élus se préoccupent. Les universités seraient portées, pour des raisons d’économie et pour simplifier leur gestion, à fermer toutes les antennes locales pour tout regrouper sur leur emprise. D’un autre côté, elles sont également conscientes de leurs missions au service des territoires et des populations : elles doivent contribuer à une élévation générale du niveau de formation et, de ce point de vue, utiliser les locaux des IUFM pourrait être un atout… Mais elles n’ont pas aujourd’hui les moyens de cette territorialisation de la formation et si on veut qu’elles assument cette mission, il faudra donc les leur donner.

L’enseignement est en train de se transformer sous l’effet du développement du numérique et les deux ministères ne peuvent en faire abstraction. Cependant, il ne faut pas céder inconsidérément à une mode et se lancer dans toutes sortes d’expérimentations. Une évaluation de ce qui a été fait me paraît nécessaire, de même que l’élaboration d’un plan digne de ce nom, sur la base de ce bilan.

On a beaucoup médit des personnels des IUFM, mais il faut être clair à leur propos, d’autant qu’ils s’inquiètent légitimement de ce qu’ils vont devenir à partir de septembre : il est exclu de trier entre eux, les universités doivent les intégrer tous dans les ESPE, où ils ont toute leur place.

L’un des intérêts de mettre les ESPE au sein des universités, c’est que les « reçus collés » – comme d’ailleurs les « collés reçus » – pourront facilement se reporter sur d’autres masters, ou même sur d’autres formations que pourraient offrir les ESPE.

M. Pierre Statius. Pour la formation, il faut distinguer entre premier et second degré. L’enseignement primaire est caractérisé par une polyvalence qui a cependant été quelque peu délaissée au cours des années récentes, au motif que les maîtres ne pouvaient maîtriser toutes les matières. Mais ce n’est pas en cela que consiste la polyvalence ! C’est la capacité d’enseigner aux élèves les éléments du savoir sans lesquels ils ne pourraient progresser dans chaque discipline. Il faut donc réactiver cette notion de polyvalence dans la réforme de la formation et renouveler sur ce sujet la réflexion épistémologique.

Dans le second degré, chaque maître enseigne une discipline et la question, là, est celle de l’articulation à trouver entre le disciplinaire et le pédagogique afin de ne pas sombrer dans le pédagogisme – dont la définition est simple : ce sont des protocoles sans objet, des procédures. Je viens d’une discipline qui se pense comme étant à elle-même sa propre pédagogie : la philosophie ; mais, dans les autres disciplines, il convient d’entamer une réflexion pédagogique, et une réflexion sur la question de la professionnalité – soit qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui ?

J’en arrive ainsi à la question de l’alternance, qu’on mobilise dès qu’on a un problème. Revenons à sa définition : c’est l’aller et retour entre une situation professionnelle et une situation de formation. Mais il faut évidemment qu’elle participe d’un processus de formation. Il ne suffit pas d’organiser des stages, encadrés par des inspecteurs pédagogiques régionaux ou par des correspondants IUFM : cela a déjà été pratiqué avec des résultats relativement limités. À ce propos, je note que l’« effet maître » est diversement apprécié : l’Institut de recherche sur l’éducation (IREDU) estime qu’il ne compte que pour 2 % dans l’apprentissage des élèves ! N’utilisons que prudemment l’expression « la science montre… » : souvent, elle n’est que controverse !

On dispose sur ces sujets de travaux auxquels on peut reprocher de faire une place insuffisante à la transmission des savoirs, mais qui peuvent aider à penser l’alternance : je pense par exemple à la réflexion sur les pratiques professionnelles menée par Luc Ria au sein de l’Institut français de l’éducation (IFÉ), rattaché à l’École normale supérieure de Lyon.

S’agissant de la recherche, il faut distinguer deux sujets : la place à lui faire dans la formation, d’une part ; la contribution de la recherche en éducation, d’autre part.

Sur le premier point, il y a danger : le futur enseignant devra passer de 30 à 50 % de son temps sur le terrain, suivre le master, préparer et réussir un concours… Actuellement, pour les masters, on en arrive à un volume de 900 ou 1 000 heures : enlevons 30 % de temps consacré au stage, il faudra se contenter de 700 heures au mieux. Ça ne rentre pas ! En tout cas, ce ne sera pas simple et il faudra donc déployer une grande inventivité pour imaginer des moyens de faire irriguer la formation par la recherche. En tout état de cause, cette recherche ne doit pas être « applicationniste », monsieur Hetzel : la praxéologie vise à installer la réflexivité dans la pratique, ce qui ne peut s’acquérir que dans le temps long.

Quel rôle les ESPE peuvent-elles jouer pour ce qui est de la recherche en éducation, qu’il ne faut surtout plus réduire à la recherche « en sciences de l’éducation » ? Je rejoins sur le sujet la position de Denis Kambouchner qui, dans son dernier livre, distingue trois sujets d’étude : les apprentissages, en s’appuyant sur la psychologie cognitive, la culture telle qu’elle peut se concevoir dans une société démocratique moderne, et la consistance des savoirs à enseigner. Tels sont les trois chantiers par rapport auxquels les ESPE auront à se situer.

La formation commune – laïcité, questions de genre, etc. – figurait dans les missions assignées aux IUFM : il fallait construire une culture commune d’appartenance pour le premier et le second degré. Mais c’est un point sur lequel il faut bien constater un échec et ce n’était d’ailleurs pas une mince affaire. Dans le cadre de la concertation, j’ai pour ma part appelé à distinguer trois sortes de savoirs : les savoirs à enseigner, les savoirs pour enseigner et les savoirs pour exercer la mission. C’est parmi ces derniers que se placeraient la formation à la laïcité, l’histoire et la philosophie de l’éducation, sans d’ailleurs qu’ils s’y réduisent : il faut probablement y faire entrer aussi des éléments relatifs aux situations d’enseignement. Jeune professeur à Hénin-Beaumont dans les classes de terminale G3 – techniques commerciales –, j’étais confronté à des élèves rétifs à la philosophie et c’est un peu de sociologie qui m’a aidé : il faut connaître les publics auxquels on s’adresse. C’est d’ailleurs ce qu’enseigne Spinoza : on ne s’affranchit des déterminismes qu’en les connaissant. Cela étant, je n’indique là que des pistes. Je me garderai bien d’être prescriptif sur le sujet.

On m’a posé une question sur ce qu’il convenait de conserver des IUFM, sans doute avec une arrière-pensée : je sais en effet que, les locaux de ces instituts étant en général leur propriété, certains conseils généraux essaient de mettre à profit le vide séparant la mort des IUFM de la naissance des ESPE pour reprendre possession de ce patrimoine, avec l’assentiment des universités qui ne peuvent pourvoir à son entretien. C’est le cas notamment à Besançon où l’université de Franche-Comté n’a pas les 22 millions d’euros nécessaires à l’entretien du fort Griffon, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, et où l’ESPE va être installée sur un autre site où elle se trouvera à l’étroit. Dès lors, je répondrai à celui qui m’a interrogé sur le sujet qu’il m’est égal de conserver ou non ces bâtiments : les IUFM ont eu une histoire diverse et contrariée, mais c’est maintenant l’histoire – à laquelle on consacre d’ailleurs des thèses. Aujourd’hui, il s’agit de repenser la formation des maîtres en sorte qu’elle ne soit plus le parent pauvre qu’elle est depuis les années quatre-vingt.

M. Didier Geiger, vice-président de la Conférence des directeurs d’IUFM, directeur de l’IUFM de l’académie de Créteil. Ne concluez pas du fait que nous soyons deux directeurs d’IUFM à intervenir que nous chercherions à sauver ces instituts ! La seule affaire qui vaille est de reconstruire la formation des enseignants et de redonner à beaucoup de jeunes l’envie d’exercer ce métier – de transmettre des savoirs et d’éduquer. La revalorisation des traitements est sans doute importante à cet égard, mais la revalorisation intellectuelle de la profession l’est beaucoup plus. Y contribuera le fait que les masters sont délivrés par l’université – et non par une de ses composantes, UFR, Institut universitaire de technologie (IUT) ou école de telle ou telle dénomination.

Il faut aussi que cette mission de formation soit bien définie, aussi bien par le ministère de l’éducation nationale, principal employeur, que par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et qu’on ne se pose qu’ensuite les questions de gouvernance et de budget. Il ne faudrait pas en effet que des a priori sur ces sujets ou la construction a priori d’un modèle fassent passer au deuxième plan les problèmes de formation. La structure, si nécessaire soit-elle, doit être seconde et conçue en fonction de la mission assignée aux ESPE.

Il faut enfin que ces formations aux métiers de l’enseignement et de l’éducation soient très visibles au niveau de chaque académie. Dans celles qui comportent plusieurs universités et tant que le modèle de l’établissement public de coopération scientifique sera ce qu’il est, l’ESPE sera forcément intégrée à une seule de ces universités. Ce ne sera pas un problème si on parvient à créer une synergie permettant de porter le plus haut possible ce modèle de formation des enseignants.

À cet égard, la région parisienne ne présente sans doute pas le cas le plus simple : elle constitue un bassin unique d’emploi et de formation au sein duquel les établissements d’enseignement supérieur et de recherche ont tissé des liens ou constitué des pôles qui ignorent les frontières des académies. La décision a néanmoins été prise de doter chacune des trois académies d’une ESPE, mais nous ne pourrons nous passer de tisser entre elles des partenariats forts.

M. le président Patrick Bloche. Merci, madame et messieurs, pour ces contributions à la réflexion de notre Commission.

La séance est levée à 12 heures.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 6 février 2013 à 9 heures 30

Présents. – M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Malek Boutih, M. Thierry Braillard, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Isabelle Bruneau, Mme Marie-George Buffet, Mme Valérie Corre, M. Yves Daniel, M. Gérald Darmanin, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, Mme Françoise Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Vincent Feltesse, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Michel Françaix, M. Claude de Ganay, Mme Annie Genevard, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Pierre Léautey, M. Dominique Le Mèner, Mme Lucette Lousteau, Mme Marion Maréchal-Le Pen, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, M. Stéphane Travert

Excusés – Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, M. Ary Chalus, Mme Sonia Lagarde, M. Michel Ménard, Mme Claudine Schmid, M. Jean Jacques Vlody