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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 16 avril 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Yves Lévy, dont la nomination en qualité de président de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) est envisagée par le Président de la République et vote sur cette nomination en application de l’article 13 de la Constitution

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 16 avril 2014

La séance est ouverte à seize heures trente

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

La Commission entend M. Yves Lévy, dont la nomination en qualité de président de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) est envisagée par le Président de la République.

M. le président Patrick Bloche. Nous nous retrouvons cet après-midi pour auditionner M. le professeur Yves Lévy, puis émettre un avis sur sa nomination aux fonctions de président de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Cette nomination, qui relève du Président de la République, fait partie de celles sur lesquelles notre Commission doit se prononcer au préalable, en application de l’article 13 de la Constitution.

Je rappelle qu’aux termes de cette procédure, si l’addition des suffrages négatifs émis dans les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat atteint les trois cinquièmes du total des suffrages exprimés, le Président de la République ne peut pas procéder à la nomination. Ce rappel négatif ne m’empêche pas, monsieur le Professeur, de vous souhaiter un sort plus heureux…

L’an dernier, notre commission avait donné un avis favorable à la reconduction de M. André Syrota à la présidence de l’INSERM ; celui-ci atteignant la limite d’âge le 20 avril prochain, nous sommes à nouveau sollicités aujourd’hui pour nous prononcer sur la nomination de son successeur, ne vous en étonnez donc pas.

M. le professeur Yves Lévy, vous vous êtes rendu hier devant nos collègues de la Commission de la culture du Sénat pour vous livrer au même exercice.

Vous êtes professeur des universités et praticien hospitalier, vous avez dirigé le service d’immunologie clinique du groupe hospitalier Henri Mondor de Créteil de 2006 à 2012 et assuré les fonctions de directeur scientifique du programme vaccinal de l’Agence nationale de recherches sur le SIDA et les hépatites virales, l’ANRS, de 2006 à 2012.

Vous avez ensuite rejoint le cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, comme conseiller spécial.

L’audition d’aujourd’hui va vous permettre de nous présenter vos projets et votre ambition pour l’INSERM, organisme que vous connaissez bien puisque vous y avez exercé en tant que chercheur de 1986 à 2012.

Vous nous direz sûrement quels sont les actions et les domaines de recherche que vous souhaitez privilégier. Plus spécifiquement, envisagez-vous – comme cela semble être la tendance aux États-Unis – de revaloriser les financements directs des chercheurs et des équipes de recherche, parallèlement aux financements sur projet ?

Monsieur le professeur, je vous propose de vous donner la parole pour une intervention liminaire, après quoi un dialogue pourra s’instaurer avec les membres de la commission. Je rappelle que nous procéderons à huis clos au vote sur votre nomination, à l’issue de votre audition.

M. Yves Lévy. Merci du temps que vous consacrez à cette audition. Je vous propose de revenir sur mon parcours scientifique et sur ce qui m’amène à postuler à cette direction, puis de vous présenter les objectifs de ce futur mandat à l’INSERM au moment où nous fêtons les 50 ans de l’institution. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le Président, je suis chef d’un service consacré aux patients atteints du SIDA, depuis maintenant une vingtaine d’années et aussi directeur d’une unité de l’INSERM dans le même hôpital, Henri Mondor, complètement orientée sur la recherche d’un vaccin. Depuis la fin de mon internat en 1986, je relève d’une unité de l’INSERM et j’ai consacré tout mon temps à la recherche clinique ou à la recherche en amont, transversale ou translationnelle, selon l’expression actuelle. J’ai été membre de commissions scientifiques de l’INSERM depuis 1995, puis directeur d’une équipe, et enfin d’une unité à Dallas, jusqu’en 2012, ayant démissionné pour rejoindre le cabinet de Mme Fioraso. L’unité de Dallas nous a permis de faire le pont entre notre recherche en France sur un vaccin contre le SIDA et une équipe prestigieuse aux États-Unis que j’ai fini par diriger. Dans le cadre du premier appel d’offres du grand emprunt, j’ai été lauréat d’un Labex, l’Institut de recherche sur le vaccin (IRV), auquel participent dix-sept équipes – dont celle de Mme Fançoise Barré-Sinoussi – toutes orientées sur la recherche vaccinale et qui travaillent en réseau en France, en Europe et aux États-Unis.

Concernant mon implication dans la recherche et mon parcours, l’événement le plus marquant a été l’irruption du SIDA, à la fin de mon internat en 1986 et la confrontation à une maladie et une pathologie sur lesquelles nous ne savions rien et n’avions rien appris. Ce problème majeur de santé publique m’a conduit à participer à la création de l’ANRS (Agence nationale de recherches sur le SIDA et les hépatites virales) en 1991. Dès 1993, j’étais chargé de travailler sur les thérapeutiques innovantes pour prendre, en 2000, la direction du programme de recherche vaccinale sur le SIDA. Confrontés à cette épidémie et à cette urgence, s’imposait d’emblée le lien entre recherche clinique et recherche fondamentale qui marque mon activité depuis mon internat.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le Président, j’ai eu la chance et l’honneur d’être auprès de Mme Fioraso ces deux dernières années. À ce titre, j’ai participé à la mise en place de l’agenda stratégique de la recherche France Europe 2020, et à l’élaboration de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Enfin, tout récemment – et cela intéresse l’INSERM très directement – j’ai travaillé sur les stratégies nationales de la santé et de la recherche, dont l’imbrication a été voulue par les deux ministres, Mmes Touraine et Fioraso, et rappelée par le Président de la République lors de la célébration des 50 ans de l’INSERM, il y a une semaine.

Je n’avais pas prévu ma candidature à ce poste il y a deux ou trois ans, mais cette expérience récente et l’évolution de la recherche aujourd’hui m’ont conduit à la présenter et à réfléchir, à l’issue de cet anniversaire, à ce que pourrait être un prochain mandat de l’INSERM. Avant de préciser mes objectifs, je voudrais replacer les prochaines années dans leur contexte scientifique et de politiques publiques, l’INSERM, comme le précisent ses décrets fondateurs, ayant pour objet l’amélioration de la santé de nos concitoyens.

Le contexte scientifique est aujourd’hui assez clair : il a été rappelé à plusieurs reprises. Nous sommes dans une situation de changement d’échelle de la recherche biomédicale, avec l’essor extraordinaire des biotechnologies et des technologies à haut débit, aux applications cliniques immédiates, comme l’objectif de séquencer 60 000 tumeurs des malades dans le plan cancer présenté par le Président de la République le 4 février dernier. Il implique une médecine personnalisée, les malades étant traités non seulement eux-mêmes avec leurs caractéristiques mais également les caractéristiques de leur tumeur, et génère un nombre très élevé de données et leur intégration du niveau cellulaire – pour la biologie la plus fondamentale – jusqu’aux populations. En effet, l’étude des fonctions, digestives, cérébrales, respiratoires, telle que nous la connaissions au lycée ou à l’université est aujourd’hui remplacée par l’étude des systèmes. Il est dès lors nécessaire de procéder à une intégration totale de toutes les données que nous pouvons générer, ce qui implique de réfléchir, les prochaines années, à l’évolution et à l’adaptation du métier de chercheur et d’intégrer la recherche fondamentale à la recherche clinique. Dans cinq ans, le dossier médical des malades comportera non seulement leurs caractéristiques médicales, mais également la cartographie génétique de leur tumeur ou d’eux-mêmes, afin d’y adapter les traitements. Cette réflexion cadre l’élaboration des nouveaux objectifs de l’INSERM.

Le contexte politique comprend la politique nationale de santé déjà citée, la politique de site que met en place la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche et l’agenda stratégique de la recherche que s’est fixé notre pays.

Le futur mandat que je propose se fixe quatre objectifs respectant trois principes.

Les quatre objectifs sont :

- maintenir une recherche fondamentale de très haut niveau, car aucune recherche appliquée et d’amélioration des soins, aucune avancée clinique n’est indépendante de la recherche fondamentale, que ce soit par exemple la thérapie par les cellules souches ou la thérapie génique, et préparer aux défis de santé et sociétaux, ces derniers étant un exemple des recherches appliquées visant à préserver santé et bien-être ;

- rattraper le retard de la recherche technologique dans le domaine des sciences du vivant. Jusqu’à présent les chercheurs utilisaient des techniques pour répondre à des questions, aujourd’hui les techniques et les avancées technologiques sont telles qu’elles ouvrent de nouvelles portes et conduisent à de nouvelles questions. La recherche technologique conditionne la recherche fondamentale, mais est aussi très importante pour le transfert et la valorisation. L’INSERM doit être le lieu d’interaction entre les études académiques et tous les prototypes de ce qui générera les données fondamentales de la recherche de demain. Mon expérience du NIH (National Institutes of Health) américain en 2000 m’a permis de voir tester les premières machines qui inondent aujourd’hui les marchés et sont présentes dans tous nos laboratoires. Ces prototypes ouvrent de nouvelles voies de recherche, l’INSERM doit les accueillir ;

- une authentique politique de santé publique et d’aide à la décision publique, conformément aux missions « régaliennes » de l’INSERM définies dans son décret de fondation. Elle concerne l’ensemble des pathologies décrites dans les programmes européen ou national de santé - bien-être. Il convient en effet de réfléchir aux déterminants sociaux qui conditionnent la santé. Les objectifs de réduction du tabagisme fixé par le plan cancer ne peuvent s’aborder du seul point de vue de la fiscalité. Or, les messages de prévention ne passent pas et ne sont pas relayés. Dans mon domaine de recherche, le SIDA, on constate 6 000 nouveaux cas tous les ans en France, chiffre stable, malgré trente ans de messages pour promouvoir le seul « vaccin » disponible : le préservatif et les techniques de prévention. La recherche en santé publique et en épidémiologie est maintenant complètement intégrée aux données de la recherche fondamentale. L’interdisciplinarité, l’intégration des sciences humaines et sociales, l’aide à la décision publique en prévention et non pas seulement en réaction – ainsi pour le chikungunya, la grippe H1N1, le réseau INSERM était prêt à répondre, mais il convient de préparer également la prévention des risques – tels sont les axes de cet objectif ;

- la démocratie scientifique : comme c’est déjà le cas avec les 380 associations partenaires de l’INSERM, il convient de diffuser la culture sur la santé et de médiatiser les découvertes afin de diminuer la méfiance et la défiance des citoyens vis-à-vis des experts, en impliquant les associations de malades.

Les trois principes sur lesquels doivent reposer, selon moi, ces objectifs sont :

- assurer le continuum entre la recherche fondamentale en amont et la recherche clinique jusqu’aux soins, ce qui va constituer l’objectif majeur de toute la recherche biomédicale dans le monde, afin de garantir l’accès à l’innovation, l’attractivité pour l’industrie et la réussite des partenariats entre public et privé pour le développement des médicaments ;

- renforcer les partenariats et la transversalité entre l’INSERM et ses partenaires, notamment dans le cadre de l’alliance AVIESAN (alliance pour les sciences de la vie et de la santé) qui regroupe l’ensemble des organismes de recherche impliqués dans la recherche biomédicale, notamment le CNRS, les universités ou les hôpitaux. On atteint aujourd’hui la troisième étape de ces alliances, après leur création en 2009 pour coordonner la réflexion, puis leur capacité, dans le cadre de l’agenda stratégique, de soumettre une programmation à l’ANR (Agence nationale de la recherche). Il convient maintenant de mieux intégrer les forces disponibles, notamment sur les sites, dans le cadre défini par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche ;

- l’implication des chercheurs à toutes les étapes de ces décisions. Sans appropriation et responsabilisation des chercheurs au niveau des unités mixtes de recherche, il va être très difficile aujourd’hui de définir les choix et les priorités rendus nécessaires par les contraintes budgétaires, ainsi que les modalités de recrutement des chercheurs et des personnels ITA (ingénieurs, techniciens et administratifs). Il ne faut pas qu’il y ait de hiatus entre la politique définie par l’agenda stratégique de la recherche, les objectifs de l’organisme et les chercheurs au niveau de leur unité. Une réflexion doit être engagée sur la politique de ressources humaines et sur des mesures extrêmement concrètes visant à améliorer la vie des chercheurs au quotidien, en profitant notamment de la politique de site et des alliances, par des délégations de gestion par exemple.

Je voudrais aussi évoquer la place de l’INSERM et d’AVIESAN aux niveaux européens, international et vers le Sud. AVIESAN a largement contribué à l’espace européen de la recherche, grâce au président Syrota et à son travail comme vice-président de Science Europe, qui regroupe l’ensemble des organismes opérateurs et financeurs de la recherche au niveau européen, de la santé à la physique. Le lobbying entrepris permet à AVIESAN d’être présente dans les différents groupes de travail. En effet, l’Europe et les financements européens d’Horizon 2020 constituent la nouvelle « frontière ». Des mesures très concrètes comme l’information, l’ingénierie de projets, la mise en place de points de contact nationaux pour les relayer, doivent être prises pour aider les chercheurs à se tourner vers l’Europe.

La politique internationale s’appuie aujourd’hui sur les 23 unités internationales associées à l’INSERM. Elles doivent passer à une autre étape avec d’authentiques échanges de chercheurs, de post-doctorants et de jeunes chercheurs.

La politique en direction du Sud s’appuie sur une forte croissance en Afrique et des demandes très fortes de partenariats. Elle est développée par AVIESAN Sud. Des sites de recherche disposant de chartes éthiques ont été mis en place, sur le modèle des interventions pour lutter contre le SIDA ou d’autres maladies infectieuses, il convient de les renforcer.

Voici, selon moi, les objectifs et la vision qui devraient être portés par un prochain mandat, intégrés dans l’évolution des politiques publiques menées depuis deux ans, au service des stratégies nationales de la santé et de la recherche et préparant la recherche, fondamentale ou clinique, aux défis des prochaines années. Ils impliquent une simplification administrative, comme l’a rappelé le Président de la République il y a une semaine, mais aussi une réflexion sur les financements « santé » ou provenant de l’ANR et par un guichet unique pour les appels d’offres afin d’améliorer la vie des chercheurs. Des mesures devront être prises assez rapidement dans ce domaine afin de mieux répondre à ces défis.

M. le président Patrick Bloche. Merci monsieur le Professeur, nous voulions vous laisser développer votre présentation pour apprécier la cohérence du projet que vous envisagez pour l’INSERM ces prochaines années. Je vous remercie de la clarté et du caractère synthétique de vos propos auxquels nos collègues ont certainement été sensibles.

Mme Colette Langlade. Permettez-moi tout d’abord, au nom des commissaires du groupe Socialiste, républicain et citoyen – mais aussi, je n’en doute pas, de l’ensemble de mes collègues – de saluer la qualité de travail de l’INSERM, dont nous fêtons cette année le cinquantième anniversaire. Premier organisme européen de recherche médicale, l’INSERM est à l’origine de réelles avancées comme le traitement par thérapie génique des bébés bulle, des vaccins contre les hépatites B ou C ou le développement des techniques d’imagerie médicale qui ont été permises grâce à son action. L’INSERM a aussi créé des délégations régionales pour accompagner, sur les territoires, les quelque 300 laboratoires et structures de recherche. Permettez-moi, en tant qu’élue d’Aquitaine, de saluer tout particulièrement la construction du Neurocampus de Bordeaux, destiné à devenir un centre de renommée européenne voire mondiale dans le domaine de la recherche sur le cerveau. L’INSERM constitue un des atouts de la France, il fait d’elle une grande nation scientifique, une grande nation médicale. Rappelons que la recherche est aussi un pilier de notre réussite économique ; elle représente 600 000 emplois directs et indirects dans vos filières, celles des biotechnologies.

Mais pour réussir dans ces domaines, il faut du temps : des années, parfois plusieurs décennies sont nécessaires pour qu’une découverte fondamentale trouve des débouchés concrets, visibles par nos concitoyens. Ce temps suppose des moyens, constants et pérennes, placés à l’abri de toute coupe budgétaire aveugle. C’est pourquoi je tiens à saluer la volonté du Président de la République, réaffirmée lors des célébrations du cinquantième anniversaire de la création de l’INSERM, de « sanctuariser le budget de la recherche », parce que la recherche est essentielle, parce que « sans recherche publique forte, il n’y a pas d’économie privée forte ». Croyez bien que, si vous accédez à la présidence de l’INSERM, vous pourrez compter sur les députés de la majorité pour vous soutenir.

Je souhaiterais vous poser quatre questions. La première porte sur la féminisation des équipes dirigeantes de l’INSERM ; j’ai pu constater sur les organigrammes que, sur dix instituts, seul celui de la santé publique est dirigé par une femme ; le conseil scientifique de l’INSERM n’est composé que d’à peine un tiers de femmes. Si, à l’évidence, ce bilan ne peut vous être imputé, comment comptez-vous faire progresser la parité dans les instances dirigeantes de l’INSERM ?

Ma deuxième question concerne directement notre travail de législateur. La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche précise que les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche doivent coordonner leurs offres de formation et leurs stratégies de recherche, ouvrant aux établissements trois cadres juridiques : la fusion, la participation à une communauté d’universités et d’établissements ou l’association d’établissements. Quelle est la place de l’INSERM dans la politique de regroupements de sites ?

Ma troisième question est relative à la diffusion des savoirs au plus grand nombre. En la matière, des projets ont déjà abouti, je pense notamment à « Destination labo », qui a permis à des élèves du primaire, du collège ou du lycée de découvrir les laboratoires de l’INSERM, mais aussi à votre magazine « Science et Santé » ou, en régions, à la « Nuit des chercheurs » de Besançon ou aux « mois de la santé » d’Angers… Je voudrais savoir si vous entendez poursuivre ce travail d’ouverture vers le grand public et par quel canal. Peut-on imaginer qu’un dispositif semblable aux cours en ligne ouverts à tous, les fameux « MOOC » (Massive open online courses), qui connaissent un réel succès dans les grandes écoles et les universités, soit mis en place ?

Enfin, on sait que la recherche est une démarche rarement solitaire ; comment dès lors comptez-vous travailler avec autres instituts de recherche, l’Institut Pasteur ou le CNRS, notamment ? Poursuivrez-vous l’investissement de l’INSERM au sein d’AVIESAN ? Comment envisagez-vous la collaboration avec des associations telles que la Fondation Arc ou le Sidaction, qui peuvent également financer vos travaux – et dont je salue le travail ?

Vous présentez votre candidature à la présidence de l’un des organismes de recherche les plus prestigieux, dans une période particulièrement cruciale pour la recherche française, marquée par des contraintes budgétaires drastiques, une actualité européenne chargée avec le cadre « Horizon 2020 » et le 8e PCRD mais aussi une priorité donnée par le Président de la République au niveau national. La recherche est un enjeu social et éducatif de premier plan, porteur de progrès et de bien-être, mais aussi un enjeu économique majeur. La qualité de votre parcours, votre expérience, vos compétences, votre ambition pour l’INSERM que vous venez de nous exposer sont autant d’atouts qui ont convaincu les députés du groupe SRC de vous accorder leurs suffrages ! Vous pourrez compter sur nous pendant toute la durée de votre mandat.

M. Patrick Hetzel. Une fois n’est pas coutume, le groupe UMP par ma voix s’exprimera dans une tonalité proche de celle que vient d’exprimer notre collègue Colette Langlade pour le groupe SRC. L’INSERM se trouve aujourd’hui à un moment clé de son histoire, cinquante ans après sa création. Il fait aujourd’hui partie des grands organismes de recherche qui se sont adaptés aux grandes évolutions de la recherche ; il a réussi à développer une fertilisation croisée avec d’autres secteurs de la recherche.

Permettez-moi de saluer le travail remarquable réalisé par votre prédécesseur, le professeur André Syrota, qui a revivifié des axes de développement de l’Institut en capitalisant sur son expérience passée au Commissariat à l’énergie atomique, et notamment à la direction des Sciences du vivant. Une ligne directrice me semble vous rassembler tous deux, lui le spécialiste de la médecine nucléaire, vous l’immunologue émérite : tous deux êtes à la fois professeur d’université et praticien hospitalier. Cela illustre à mes yeux le lien fort qui doit exister entre recherche fondamentale et recherche appliquée dans ses différents domaines.

Je voudrais vraiment vous remercier pour la qualité de la présentation que vous venez de nous faire et dans laquelle vous avez bien cerné les enjeux de la fonction que vous briguez. J’aurais six questions à vous poser. La première concerne l’innovation et son lien avec le monde économique : quelle articulation imaginez-vous entre INSERM Transfert et les toutes nouvelles sociétés d’accélération du transfert de technologie (SATT), financées grâce aux investissements d’avenir et qui maillent tout notre territoire ? Ma deuxième question porte sur l’alliance AVIESAN créée en 2009 afin de mieux coordonner nos efforts de recherche et d’aller plus vite plus loin grâce à ce lieu d’échanges : quels partenariats envisagez-vous, au sein de l’alliance, avec les autres organismes de recherche – le CNRS, le CEA, l’Institut Pasteur, l’Institut Curie pour ne citer qu’eux – pour éviter les risques de doublons et démultiplier nos capacités de recherche ? En matière de financements – je sais que la question n’est pas simple –, quelle articulation envisagez-vous entre les crédits récurrents et les financements par projet ? S’agissant des partenariats avec l’université, comment l’INSERM pourrait-il les renforcer, notamment à l’international ? Votre carrière, qui vous a permis de connaître de grandes universités très puissantes notamment aux États-Unis, pourrait vous avoir donné des idées novatrices en la matière. Enfin, s’agissant de l’organisation interne de l’institut, allez-vous conserver la même structure que votre prédécesseur ou envisagez-vous de la faire évoluer ?

En conclusion, et vous l’aurez compris à la tonalité générale de mon propos, le groupe UMP vous apportera son soutien dans le vote qui interviendra tout à l’heure.

Mme Isabelle Attard. L’INSERM, dont nous fêtons cette année les cinquante ans, fait partie de ces instituts de recherche lourdement touchés par la précarité du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les contractuels qui y sont employés sont particulièrement nombreux et quelques cas ont défrayé la chronique ces dernières années, tel celui de cette ingénieure qui, sur une période de onze années, a enchaîné pas moins de douze contrats à durée déterminée et six avenants prolongeant ces contrats, continuant pourtant de travailler dans la même équipe de recherche médicale avant de se faire tout bonnement congédier. La loi « Sauvadet » de 2012 n’a rien fait pour améliorer la situation – j’avais évoqué cette question ici même il y a un an lors du renouvellement de M. Syrota à la tête de l’Institut – puisque, si son objectif est de résorber au moins une partie de la précarité, l’État n’a pas accordé depuis les crédits nécessaires aux titularisations requises, ce qui pousse les différents organismes employeurs à licencier les précaires, faute de pouvoir les titulariser…

En 2013, la Cour des comptes avait estimé que le nombre de personnels de l’INSERM en contrats à durée déterminée avait été multiplié par quatre entre 2005 et 2010 et représentait alors 28 % des effectifs. La Cour explique que « l’examen des contrats de travail révèle, notamment pour les ingénieurs, techniciens et administratifs [ITA], des modalités de gestion « au fil de l’eau » critiquables : des recrutements sur des contrats très courts (quelques mois), prolongés plusieurs fois par avenant, et financés parfois au titre de différents contrats de recherche successifs, ce qui peut poser la question du caractère permanent ou non du besoin auquel répond le recrutement d’un contractuel ».

En réponse à la Cour, l’INSERM avait annoncé l’élaboration d’une « charte des bonnes pratiques » portant sur le recrutement et le suivi des personnels non titulaires et comportant un bilan d’activité, des actions de formation et un entretien annuel d’activités, à l’image de ce qui existe pour les agents titulaires. J’aimerais donc savoir si le futur président de l’INSERM compte faire de la résorption de la précarité un axe fort de son mandat.

Mais permettez-moi de vous dire que, au-delà de vos qualités personnelles évidentes, votre candidature pose question au groupe Écologiste de l’Assemblée nationale car, depuis 2012, vous êtes avant tout un membre du cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Certes, s’il est interdit aux membres des cabinets ministériels d’aller travailler pour les entreprises relevant du champ de compétence dudit ministère, une telle règle n’existe pas au sein de la fonction publique. Toutefois, votre éventuelle nomination interroge sur la procédure de sélection et ce, alors même que la ministre Geneviève Fioraso avait annoncé que les procédures de nominations directes seraient remplacées par un recrutement ouvert et transparent. Derrière ces annonces, quelle est la réalité ? N’y a-t-il pas eu conflit d’intérêts entre le poste que vous occupez dans son cabinet et votre candidature à la direction de l’INSERM ?

À toutes fins utiles, je rappelle qu’un conflit d’intérêts apparaît dès lors qu’un individu ou une organisation est impliqué(e) dans de multiples intérêts dont l’un peut – je dis bien « peut » – corrompre la motivation à agir sur les autres : il n’y a pas besoin d’établir la preuve de l’existence réelle d’une influence d’un intérêt sur un autre, la suspicion suffit à miner la confiance qu’on aurait pu accorder.

C’est la raison pour laquelle, tout comme nous l’avions fait lors de la nomination de M. Olivier Schrameck à la tête du Conseil supérieur de l’audiovisuel il y a quinze mois, le groupe Écologiste, par ma voix, s’abstiendra sur le vote qui va intervenir sur votre nomination.

M. Rudy Salles. Je ne reprendrai pas les excellents propos tenus par Patrick Hetzel ou par Colette Langlade et je construirai donc mon intervention autour de six questions.

Premièrement, le combat contre le VIH constitue, encore aujourd’hui, un défi scientifiquement complexe. Vous connaissez particulièrement bien les enjeux liés à ce virus dévastateur pour avoir été six ans le chef du service d’immunologie clinique à l’hôpital Henri Mondor de Créteil et le directeur scientifique du programme vaccinal de l’ANRS. Allez-vous donc concentrer votre action à la tête de l’INSERM sur ce sujet ? Quelles sont, en outre, les perspectives scientifiques en la matière et où en sommes-nous dans l’élaboration d’un nouveau traitement ?

Deuxièmement, la dernière édition de l’étude internationale Global Drug Survey englobe, pour la première fois, notre pays. Le psychiatre qui l’a lancé, Adam Winstock, met ainsi en garde la France contre les médicaments sur ordonnance qui peuvent provoquer une forme de dépendance, en soulignant qu’aux États-Unis, les analgésiques provoqueraient plus d’overdoses mortelles que l’héroïne. Quelles leçons devons-nous en tirer, surtout dans un pays déprimé comme le nôtre, et quels dispositifs pouvons-nous mettre en place pour sensibiliser l’opinion publique sur cette problématique ?

Troisièmement, la salle de consommation à moindre risque prévue boulevard de la Chapelle à Paris n’a toujours pas ouvert ses portes. Les riverains de ce projet, qu’ils perçoivent comme un « facilitateur » de la consommation de stupéfiants, se montrent très inquiets, à juste titre. Avez-vous une réponse à leur apporter ? Ne pensez-vous pas que ce projet prend le problème « à l’envers » ?

Cette question fait le lien avec le quatrième thème – la dépendance aux drogues, à l’alcool, au tabac ou encore aux jeux vidéo chez les jeunes. Malgré plusieurs campagnes de prévention, les résultats restent alarmants. Ainsi, 34 % de collégiens de troisième indiquent avoir déjà connu l’ivresse alcoolique ! Selon vous, quel ton faut-il adopter à l’égard des jeunes pour les sensibiliser et de nouvelles mesures de santé publique doivent-elles être prises ?

Cinquièmement, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’INSERM, le Président de la République a annoncé, la semaine dernière, que le budget de la recherche publique sera « sanctuarisé ». Cependant, au regard de l’objectif affiché de cinquante milliards d’euros d’économies, ne pensez-vous pas que les crédits de cet institut pourraient en pâtir ?

Enfin, la place de nos chercheurs est insuffisamment valorisée par rapport à des pays comme les États-Unis. Les rémunérations ne sont pas assez importantes, les budgets de la recherche sont resserrés et l’opinion publique reste trop peu sensibilisée à l’importance des avancées scientifiques. Nous assistons donc, impuissants, à un départ massif de nos jeunes chercheurs vers des pays plus accueillants. L’INSERM n’a-t-il pas un rôle pédagogique à jouer auprès des citoyens et des politiques pour inverser cette tendance ?

M. Pascal Deguilhem. Je me demande s’il existe une procédure parfaitement adaptée de désignation des directeurs d’établissements de recherche ? Certes, la question peut se poser, mais la procédure qui nous réunit aujourd’hui est celle qui existe… Il est vrai aussi que le milieu de la recherche n’est pas le plus tendre et votre candidature a donc suscité des interrogations, voire des inquiétudes.

Je voudrais évoquer plus spécifiquement la situation des jeunes chercheurs qui reste une question préoccupante. Ces derniers me font part de leurs souffrances, souvent liées à leurs conditions de travail : au lieu de s’investir pleinement dans leur travail de chercheur, ils s’épuisent à rechercher des financements. Comment peut-on, dans ces conditions, remobiliser l’ensemble des acteurs de notre communauté scientifique ? À mon sens, ce nouvel élan devrait être adossé à une volonté partagée par tous, ce qui inclut les jeunes chercheurs et les précaires.

Je souhaiterais aussi vous interroger sur la procédure d’élaboration de la nouvelle stratégie nationale de la recherche, qui est entrée, semble-t-il, dans sa phase de consultation publique. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur les modalités pratiques de cette consultation ?

Mme Sandrine Doucet. Sans vouloir mettre en avant, une nouvelle fois, « l’exemple bordelais », je voudrais évoquer, en premier lieu, l’inauguration, en février dernier, de l’institut hospitalo-universitaire de rythmologie et de modélisation cardiaque, le LIRYC, dont l’INSERM est l’un des partenaires institutionnels. D’ici 2015, il devrait regrouper jusqu’à 150 chercheurs. Le coût de ce projet s’élève à 45 millions d’euros, l’Agence régionale de santé (ARS) en étant le premier financeur et la région Aquitaine le deuxième, à hauteur de 15 millions d’euros. En outre, l’INSERM cherche à développer ses partenariats dans la « grande région » Aquitaine-Poitou-Charentes, cette dernière remarque ne devant pas être interprétée comme étant préfiguratrice des débats ou décisions à venir sur notre réorganisation territoriale !

Ce contexte et le cinquantième anniversaire de l’INSERM devraient être l’occasion de valoriser l’action de ce dernier en région. Ceci me conduit à vous interroger sur vos projets avec les collectivités territoriales. Quels sont-ils ? Quels obstacles pourraient être levés pour consolider le partenariat entre les acteurs locaux et l’INSERM ? Faut-il déconcentrer les décisions entre celui-ci et les régions ?

En second lieu, s’agissant de la place de la France dans les programmes européens, notre pays a reculé alors que nous sommes le deuxième financeur de ces projets communs. Vous avez abordé cette problématique, mais pouvez-nous nous en dire un peu plus sur le « retour » de la France dans ces programmes ?

M. Yves Lévy. Je souhaiterais d’abord répondre à Mme Isabelle Attard en rappelant le contexte de ma désignation. La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a encadré le choix des dirigeants des établissements publics à caractère scientifique et technologique en posant deux principes : le recours à un appel public à candidatures et leur examen par une commission de sélection.

S’agissant de l’INSERM, l’appel à candidatures a été diffusé à partir du 24 janvier dernier et ce pendant un mois. Six candidats se sont donc présentés, de manière généralement confidentielle, ce qu’on peut comprendre. Un comité d’évaluation a été alors mis en place, composé du directeur général de la santé, du directeur général pour la recherche et l’innovation et de deux personnalités qualifiées, respectivement désignées par la ministre de la santé et la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. La première personnalité était M. Edouard Couty, conseiller maître à la Cour des comptes, ancien directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, qui a une très grande expérience de la recherche clinique et de la vie hospitalière, et la seconde M. Habib Benali, ancien chercheur à l’INSERM, prix Albert Lasker pour la recherche médicale clinique, cette distinction annonçant souvent un Prix Nobel, et qui a été le pionnier, dans notre pays, des stimulations cérébrales contre la maladie de Parkinson.

Ce comité a auditionné chaque candidat – avec le format suivant : quinze minutes de présentation et quarante-cinq minutes de réponses aux questions des membres – à qui il était demandé, en outre, de communiquer une lettre d’intention, un CV détaillé et une bibliographie. Les candidats ont alors été évalués sur six critères et classés, comme le fait l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), entre « très bon », « excellent » et « exceptionnel ». Ces six critères portaient notamment sur la vision scientifique, la légitimité scientifique, l’expertise des politiques publiques et la visibilité internationale du candidat. À la suite de ce processus d’audition, un rapport a été établi puis transmis aux deux ministres qui ont alors retenu un seul nom.

Il convient de préciser que cette procédure a été suivie alors même que les décrets qui doivent l’encadrer ne sont pas encore parus. D’un point de vue strictement juridique, en effet, les nouvelles modalités de désignation ne pourront entrer en vigueur qu’après que les décrets régissant le fonctionnement des organismes de recherche concernés aient été modifiés. Or, en raison des délais qui président à de telles modifications, ces textes ne pouvaient être adoptés rapidement, d’autant qu’il n’était pas souhaitable que ce processus de révision puisse impliquer l’actuel président de l’INSERM, le professeur Syrota.

La mise en œuvre de la procédure prévue par la loi du 22 juillet 2013 a donc été volontairement anticipée, en appliquant l’esprit du nouveau dispositif à la nomination du futur président de cet institut. Cette décision a été prise par les ministres compétentes, après consultation du Secrétariat général du gouvernement. Je rappellerai, à titre de comparaison, que si M. Fuchs a été reconduit à la tête du CNRS après un appel à candidature, le processus a été piloté, cette fois, par les cabinets ministériels, en l’absence de toute commission de sélection, faute de modification en temps et heure des décrets « statutaires » de cet organisme.

Pour conclure sur ce sujet, je tiens à préciser que j’ai également été interrogé hier au Sénat sur ce point et que si la procédure que j’ai décrite a été divulguée, elle n’a pas non plus, pour d’évidentes raisons, été rendue publique dans ses moindres détails.

En ce qui concerne la résorption de la précarité, l’INSERM appliquera, bien entendu, la loi « Sauvadet » du 12 mars 2012, qui concerne l'accès à l'emploi titulaire et l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique. En 2012-2013, quarante personnes étaient éligibles au dispositif leur permettant d’accéder à des contrats à durée indéterminée (CDI). Par ailleurs, le premier concours répondant aux critères posés par cette loi a été ouvert cette année, vingt-six postes ayant été ouverts à cet effet. Au total, le nombre de personnes éligibles aux dispositions de la loi « Sauvadet » est estimé à 326 au sein de l’INSERM et, selon les projections établies par l’institut, 33 à 35 % d’entre elles pourraient être intégrées dans les prochaines années.

À l’instar du CNRS, l’INSERM a adopté, sur ce fondement et très rapidement, des mesures d’intégration des personnes qui pouvaient être recrutées sur un CDI et qui étaient soit employées par ce seul organisme soit travaillaient avec plusieurs employeurs. Pour ce faire, l’institut n’a pas bénéficié ou ne bénéficiera pas de financements supplémentaires. Il a donc été décidé, comme au CNRS, de réserver un quota des postes budgétés au financement des recrutements permettant de résorber les emplois précaires. Cette politique se poursuivra les prochaines années et s’appuiera, chaque année, sur un appel en direction des personnels éligibles à la loi « Sauvadet ».

En ce qui concerne les jeunes chercheurs, la charte des bonnes pratiques constitue un progrès, mais il faut surtout aller vers une plus grande professionnalisation du recrutement et un meilleur accompagnement de ces personnels. C’est là un point essentiel, surtout dans notre pays qui, contrairement à d’autres, n’a pas mené de véritable réflexion sur le parcours des post-doctorants. En effet, que fait-on de ces chercheurs, une fois qu’ils ont enchaîné plusieurs contrats post-docs et ne sont pas recrutés par un organisme de recherche ?

Je propose donc d’engager une réflexion sur l’accompagnement, en amont, des jeunes chercheurs et sur leurs nouveaux parcours, ainsi que sur le développement des passerelles. Sur ce dernier point, des partenariats doivent être établis avec les industries, le plus tôt possible, pour passer de la recherche académique au monde de l’entreprise.

Par ailleurs, la vie quotidienne des chercheurs doit effectivement être améliorée. Les contraintes matérielles ou administratives sont une source de souffrance, même lorsqu’il s’agit de passer une simple commande. Il faut agir sur elles, en développant les structures communes de gestion et en améliorant les processus informatiques et les logiciels.

En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, ces dernières années, la politique de recrutement de l’INSERM, qui a concerné 140 ingénieurs, techniciens et personnels administratifs (ITA) et 70 chercheurs, peut être qualifiée de stable. Par ailleurs, l’institut doit faire face, désormais, à la diminution des départs à la retraite et ce dans un contexte où les problèmes posés par le recrutement de personnels ITA seront plus aigus que ceux posés par celui des chercheurs.

Je proposerai donc une réflexion sur l’emploi scientifique des ITA, qui constituent le véritable « patrimoine » des équipes de chercheurs. Elle est d’autant plus nécessaire que, ces derniers temps, nous avons, pour des raisons budgétaires, privilégié l’affectation de ces personnels au sein des plates-formes communes, dont le bilan doit être dressé, alors qu’il faudrait essayer de remettre à l’ordre du jour l’emploi des ITA au niveau des équipes de recherche. Au total, les projections à l’horizon 2017 dont nous disposons pour le recrutement doivent nous inciter à mener une politique globale de l’emploi scientifique.

En ce qui concerne la féminisation des équipes, les universités, les CHU et l’INSERM sont tous dans la même situation. Un seul institut thématique multi-organismes (ITMO) sur dix, l’ITMO santé publique, est aujourd’hui présidé par une femme, Mme Geneviève Chène. Il faut en effet envisager un renouvellement et la mise en place de la parité, du conseil scientifique jusqu’aux ITMO.

À leur création en 2009, les alliances ont été conçues comme un lieu de coordination, une structure souple, sans personnalité morale ni structure administrative. Ce format a bien fonctionné mais elles restent un club réunissant des personnes qui veulent bien se voir et réfléchir ensemble. Néanmoins les ITMO, qui associent l’ensemble des alliances, ont mis en place la nouvelle programmation de l’ANR dès 2012. Les alliances sont dès lors devenues le lieu véritable de la réflexion sur la programmation scientifique. Auparavant, l’ANR élaborait sa programmation scientifique en s’appuyant sur les organismes de recherche. En 2012, le mouvement a été inversé. Aujourd’hui nous sommes à une nouvelle étape. La stratégie nationale de recherche est élaborée dans un comité de pilotage au sein duquel les alliances sont représentées ainsi que le CNRS. Cette stratégie nationale, élaborée pour cinq ans, est ensuite évaluée par un conseil stratégique de la recherche, placé auprès du Premier ministre. La participation des alliances à la programmation scientifique et à la réflexion sur la stratégie a structuré les alliances plus que n’auraient pu le faire des règles administratives.

Le choix a été fait d’un financement sur projet. Dans l’agenda stratégique de la recherche, les nouvelles missions de l’ANR ont été clairement posées par le Gouvernement : l’ANR finance les projets en lien avec la programmation élaborée dans le cadre de la stratégie nationale de recherche. Il y a néanmoins eu un rééquilibrage des financements depuis 2012 au sein du budget de l’ANR, une partie ayant été réaffectée aux financements récurrents. Aujourd’hui je crois que l’équilibre a été atteint. Mais il faut être très vigilant en ce qui concerne le budget de l’ANR.

Concernant la « nouvelle étape », elle ne porte pas simplement sur l’espace européen de la recherche mais aussi sur les financements au niveau européen. Les financements de l’INSERM issus du 7e PCRD (programme-cadre de recherche et de développement) sont évalués à 163 millions d’euros, dont 113 millions d’euros de financement provenant des Actions Marie Curie et 29 millions d’euros de l’ERC (European Research Council/Conseil européen de la recherche). Il s’agit donc d’un enjeu extrêmement important. L’objectif est d’insérer l’INSERM dans la politique d’ « Horizon 2020 » en s’aidant de l’agenda stratégique de la recherche qui a posé les mêmes objectifs qu’ « Horizon 2020 ». En incitant les équipes à répondre à des projets nationaux qui ont le même intitulé et les mêmes objectifs que les projets au niveau européen, nous nous mettrons dans une meilleure situation pour gagner plus de financements dans le 8e PCRD.

En ce qui concerne le lien avec l’université, la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche pose très clairement la question de la place des organismes de recherche dans les politiques de sites avec différentes options pour les regroupements. On estime qu’il y aura entre 26 et 30 regroupements d’universités. La place des organismes de recherche y a été très clairement définie puisque deux sièges leur sont attribués au sein des conseils d’administration des universités avec droit de vote. Aujourd’hui, l’INSERM joue parfaitement son rôle au niveau des sites. L’institut participe aux politiques de site en termes d’offres de formation et de recherche, avec les acteurs locaux. Vous avez parlé de blocages et de difficultés. Je crois qu’il y a dans chaque site des particularités liées au poids des différents acteurs. D’après M. Syrota, qui s’est beaucoup déplacé et a créé beaucoup de lien au niveau des sites au nom d’AVIESAN, les choses semblent bien se passer au vu de l’obligation, fixée par la loi, de définir les projets de regroupements d’ici à juillet 2014 et donc la place de chacun des organismes de recherche dans ces regroupements. Six contrats de site ont été signés en 2013, avec des projets de recherche extrêmement ambitieux dans certaines régions, notamment à Nice ou à Bordeaux. Il faut poursuivre cette politique. AVIESAN a créé une structure particulière qui s’appelle AVIESAN en régions, et qui a pour objectif d’accompagner chacune des politiques locales.

En ce qui concerne le financement de la recherche, j’ai parlé de l’ANR. Évidemment, les décisions qui seront prises en matière budgétaire seront examinées de manière extrêmement attentive. Nous espérons que le financement de la recherche biomédicale sera sécurisé, conformément à l’annonce du Président de la République. La ministre de la recherche et le Président de la République, à l’occasion des 25 ans de l’ANRS, s’étaient également prononcés pour un maintien à l’euro près du budget de l’ANRS. L’ANRS est en effet une agence autonome au sein de l’INSERM. Son budget est dédié et orienté sur la recherche sur le SIDA. La sanctuarisation de son budget ne nous dispense pas de réfléchir à des financements innovants. Des partenariats avec les fondations doivent être envisagés et discutés. Cela facilite la vie des chercheurs, évite les doublons, les appels redondants, des procédures administratives multiples. On pourrait imaginer un partenariat sur le long terme beaucoup plus institutionnalisé. Dans les dotations propres de l’INSERM, 47 millions d’euros viennent de l’ANR et 41 millions d’euros viennent de l’univers caritatif, des associations. Il est donc très important d’engager une discussion de fond sur ce partenariat.

En ce qui concerne la diffusion du savoir, il y a le magazine Sciences et Santé qui est diffusé aujourd’hui à 25 000 exemplaires et l’on sait qu’il touche à peu près dix fois plus de personnes. Il y a le partenariat avec Médecine Sciences, journal qui met en avant toutes les découvertes et les avancées que l’INSERM peut faire. Il y a les sites web, le partenariat avec la presse, les manifestations ponctuelles dont vous avez parlé. Tout cela doit évidemment être poursuivi et je crois qu’il faut réfléchir maintenant au niveau de l’alliance, afin que la diffusion de la science qui en émane et qui dépasse largement ce qui est fait au niveau de l’INSERM, puisse être mise à la disposition du public ou en tout cas mieux expliquée à ce dernier. L’enjeu est de lutter contre la méfiance que nous avons évoquée à l’égard des expertises. Le public doit pouvoir mieux s’approprier les connaissances scientifiques pour mieux participer aux débats. Ce mouvement a déjà été engagé par l’INSERM, il convient de l’amplifier.

L’étude globale « Drug Survey » évoquée par M. Rudy Salles doit être examinée de manière extrêmement attentive. L’ITMO de santé publique travaille activement sur ces sujets et l’INSERM joue ici son rôle d’aide aux décisions publiques. Il existe aujourd’hui un service commun à l’INSERM, qui est saisi par les administrations et établit un certain nombre de rapports et d’aides à l’expertise. L’addiction aux médicaments, l’alcoolisme chez les jeunes, le suicide des jeunes, les nouveaux handicaps rares, l’impact des pesticides sur la santé, sont des sujets sur lesquels les chercheurs de l’INSERM sont complètement impliqués. Sur les salles de consommation, je crois que ce n’est pas mon opinion qui est demandée. Une étude de l’INSERM a fourni des études scientifiques d’aide à la décision, laquelle relève du ministère de la santé.

Concernant l’état de la recherche sur le SIDA, la France, grâce à l’ANRS et donc à la mobilisation au sein d’un organisme thématique, fondé sur la coordination des soins et de la recherche, en partenariat avec les associations de patients, a montré l’exemple, depuis 1991, de la manière dont on pouvait répondre, dans l’urgence, à une épidémie. Elle a donné naissance à une véritable démocratie sanitaire. En effet, tous les essais thérapeutiques qui sont faits à l’ANRS sont décidés au sein d’un conseil scientifique dans lequel les associations de patients sont représentées et votent sur l’essai qui va être réalisé. Aujourd’hui, le budget de l’ANRS est d’environ 40 millions d’euros par an. Il est sécurisé au sein du budget de l’INSERM. À titre de comparaison, le budget que l’institut national de la santé aux États-Unis consacre au SIDA est de 4,7 milliards d’euros. Et pourtant, en termes de publications scientifiques, la France est au deuxième rang juste après les États-Unis. Le rapport de 1 à 100 pour les financements n’est donc que de 1 à 10 pour les publications. Cela signifie que la coordination de la recherche dans un institut thématique ciblé sur la réponse à une épidémie est un modèle qui fonctionne.

Le deuxième exemple de ce type est l’INCa, institut national du cancer, qui fait partie des instituts thématiques de l’alliance AVIESAN au sein de l’INSERM. Il faut réfléchir désormais à l’évolution de ces instituts thématiques multi-organismes, comme l’a annoncé le Président de la République. Ils doivent être le lieu de la coordination de la recherche en amont et en aval jusqu’aux soins, avec un objectif ciblé sur une thématique qui peut être les neurosciences, les maladies neurodégénératives, les maladies métaboliques ou cardiovasculaires. Il faut s’appuyer sur ce qui a marché pour avancer dans ces domaines.

Enfin, les liens avec l’institut Pasteur et les autres organismes sont absolument évidents. À l’ANRS, le lien avec l’institut Pasteur, qui est orienté sur les maladies infectieuses, est complet. Dans mon Labex, les équipes de l’institut Pasteur sont largement représentées, notamment celle de Mme Françoise Barré-Sinoussi.

M. Patrick Hetzel. Ma dernière question portait sur l’organisation et les équipes mises en place par M. André Syrota…

M. Yves Lévy. Ma connaissance de l’INSERM part du niveau de la base, de mon unité mixte de recherche, d’un centre de recherche comme il en existe au sein de mon université, d’une délégation régionale, celle avec laquelle je travaille tous les jours, et évidemment je connais également l’organisation interne. J’ai évoqué la nécessaire évolution des ITMO, non seulement en matière scientifique mais aussi de gouvernance, et l’arrivée de nouveaux personnels en étant attentif à la parité. S’agissant de l’organisation interne de l’INSERM, je dois y réfléchir et en discuter avec les partenaires. Je ne saurais décider à l’extérieur et seul. Il y a un conseil d’administration et un conseil scientifique, des directions qui fonctionnent très bien et qui devront être consultés. Sans vouloir me défausser, il me semble respectueux des personnes et des structures en place ainsi que des organisations syndicales, que de commencer par les rencontrer et les écouter.

M. le président Patrick Bloche. Monsieur le Professeur Yves Lévy, je vous remercie.

La Commission procède ensuite au vote, en application de l’article 13 de la Constitution et dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination de M. Yves Lévy en qualité de président de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.

En application de l’article 5, alinéa 2 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la Commission procède au dépouillement du scrutin simultanément avec la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants : 12

Bulletins blancs ou nuls : 1

Abstentions : 0

Suffrages exprimés : 11

POUR : 11

CONTRE : 0

En conséquence, la Commission émet un avis favorable à la nomination de M. Yves Lévy.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 avril 2014 à 16 heures 30

Présents. - Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, M. Xavier Breton, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Annie Genevard, M. Patrick Hetzel, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Michel Ménard, M. Marcel Rogemont, M. Rudy Salles

Excusés. - Mme Martine Faure, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. Frédéric Reiss, Mme Michèle Tabarot, M. Stéphane Travert