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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 9 juillet 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 39

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information sur les relations entre l’école et les parents (Mme Valérie Corre, rapporteure)

– Présentation, ouverte à la presse, de la note d’étape de la mission d’information sur la gestion des réserves et dépôts des musées

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 9 juillet 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, du rapport d’information de Mme Valérie Corre en conclusion des travaux de la mission d’information sur les relations entre l’école et les parents.

M. le président Patrick Bloche. Nous débuterons cette réunion par le rapport de la mission d’information sur les relations entre l’école et les parents. Lors de l’examen en séance du projet de loi pour la refondation de l’école de la République, face au nombre d’amendements traitant de ces relations et provenant de tous les bancs de notre assemblée, je m’étais engagé, au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, à créer une mission d’information sur ce sujet, ce qui a été fait le 10 juillet 2013, deux jours après la publication de la loi au Journal officiel.

Cette mission de dix-huit membres, présidée par M. Xavier Breton, a démarré ses travaux le 20 novembre dernier et travaillé avec sérieux afin d’examiner tous les aspects et tous les enjeux des relations entre l’école et les parents.

C’est donc avec plaisir et intérêt que je donne la parole au président de la mission, M. Xavier Breton, qui nous donnera certainement une note d’ambiance, puis à la rapporteure Mme Valérie Corre, pour qu’ils nous rendent compte des travaux de cette mission et de ses préconisations.

M. Xavier Breton, président de la mission d’information. Permettez-moi de vous présenter un bref résumé de l’activité de la mission. Celle-ci a été dense et marquée, de surcroît, par un climat constructif. Je tiens à en remercier la rapporteure, Mme Valérie Corre, qui y a été pour beaucoup, ainsi que l’ensemble des membres de la mission. Nous avons procédé à trente-neuf auditions, toutes ouvertes à la presse et diffusées sur le portail vidéo de l’Assemblée, et entendu, dans ce cadre, quatre-vingts personnes. La mission a en outre effectué trois déplacements : à Limeil-Brévannes, à Gonesse et à Amiens pour recueillir l’avis de soixante-quatre acteurs de terrain impliqués dans la vie de neuf établissements.

Ce travail aura permis d’établir un constat qui, j’en suis sûr, est très largement partagé. Les relations entre l’école et les parents sont trop souvent difficiles alors qu’elles sont indispensables au bon fonctionnement de notre système scolaire. Le pistes d’amélioration proposées par notre rapporteure vont sans doute donner lieu à débat, notamment celles qui concernent la notion de coéducation.

Mme Valérie Corre, rapporteure de la mission d’information. Effectivement, la mission est née du long débat sur les relations école-parents que nous avons eu lors de l’examen du projet de loi de refondation. Leur place institutionnelle au sein de l’école nous a en effet interpellés.

Je voudrais vous remercier, Monsieur le Président, d’avoir mis en place cette mission, car elle m’a permis, aux côtés de Xavier Breton, de travailler de nombreux mois, dans une ambiance constructive et détendue sur un très beau sujet, très complexe aussi, mais qui constitue l’un des principaux enjeux de la refondation de l’école.

Je commencerai par quelques constats avant d’évoquer les propositions de la mission, adoptées hier matin.

Si ce sujet des relations entre l’école et les parents est effectivement passionnant, la qualité de ces liens est quelque peu inquiétante. En effet, force est de constater que le dialogue entre ces deux acteurs n’est pas toujours au rendez-vous ou que celui-ci a souvent lieu lorsque les parents sont « convoqués », une situation qui peut engendrer des crispations.

Certes, ces relations s’inscrivent dans un contexte institutionnel plutôt défavorable puisque, historiquement, l’école française a été construite sans les parents, voire contre eux, ce qui a quand même laissé des traces. Mais s’ajoutent à ce contexte, de nombreux « irritants » ou, comme dirait la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Mme Monique Sassier, « points de friction » entre les parents et l’école. Le rapport les commente abondamment.

Cela rend parfois illusoire la notion de « communauté éducative » consacrée par le législateur en 1989. Il est vrai aussi que l’élection des représentants des parents aux conseils d’école et aux conseils d’administration des établissements scolaires, qui mobilise, il faut le dire, trop peu d’adultes, ne suffit pas à enclencher un partenariat vertueux entre les « forces » en présence.

De plus, il existe un décalage entre le parent que l’on pourrait dénommer « institutionnel », incontestablement légitime du fait de son élection mais pas toujours représentatif d’un point de vue sociologique, et le parent que l’on pourrait dénommer « réel ». Aux yeux de la mission, cette réalité rend nécessaire la création d’un nouvel outil pour faciliter l’engagement des parents dans la vie des écoles.

Dernier constat, et peut-être le plus préoccupant. C’est celui de « l’invisibilité » de certains parents qui ne viennent pas ou qui viennent très peu à l’école pour des raisons qui tiennent à leurs souvenirs d’élèves ou à leurs difficultés sociales. Nos interlocuteurs les appellent les parents « éloignés » de l’institution scolaire. Souvent issus de milieux populaires ou défavorisés, ils peuvent en outre avoir le sentiment que l’école s’est « fermée » sur le plan culturel et pédagogique, car son modèle éducatif est celui des classes moyennes et aisées. L’école ayant construit la Nation, le rapport « abîmé » de ces parents avec l’éducation nationale devrait tous nous interpeller.

Ce questionnement s’impose d’autant plus qu’il est désormais unanimement admis qu’une coopération étroite entre la famille et l’école aide l’enfant à apprendre plus efficacement – c’est là le vrai sens de la notion de coéducation, dont je sais qu’elle fait débat.

Les différentes auditions ont démontré, à cet égard, les effets positifs du partenariat école-parents.

Par ailleurs, il existe d’ores et déjà, sur le terrain, de nombreuses initiatives, souvent remarquables, comme la mission a pu le constater, pour tisser des liens étroits entre l’école et les parents. Mais elles sont le fruit de la bonne volonté des uns et des autres. Il faut donc passer d’un système qui n’interdit pas les bonnes pratiques à un cadre qui favorise leur généralisation.

Le ton du rapport est volontariste, car quelques initiatives, qui relèvent parfois du bon sens, suffiraient à créer un climat propice à la réussite éducative. Tel est le fil conducteur des propositions de la mission.

Avant d’évoquer les principales d’entre elles, je tiens à souligner qu’il ne peut y avoir, dans une telle matière, une recette toute faite, applicable de manière uniforme. En effet, c’est à chaque établissement d’inventer « sa » relation avec les parents de ses élèves, de manière adaptée à l’hétérogénéité de ses publics.

Les 25 propositions de la mission s’articulent autour de cinq orientations que je présenterai brièvement.

Premièrement, les droits d’expression des parents dans les établissements devraient être renforcés. Cela pourrait passer par l’institution, aux côtés des conseils décisionnels de ces établissements, de « collèges de parents ». Cela pourrait aussi passer par la création d’un statut du parent-délégué dont la question, techniquement et financièrement complexe, devrait être inscrite à l’agenda des partenaires sociaux. Loin d’être un « gadget », cette dernière mesure est de nature à favoriser l’accès de tous les parents aux instances de pilotage. Enfin, pour assurer les conditions d’une réelle participation à la prise de décision, il faudrait mettre fin, de manière expérimentale, au monopole de la fixation de l’ordre du jour par le chef d’établissement en appliquant la disposition du code de l’éducation qui permet de confier la présidence du conseil d’administration d’un lycée professionnel ou technique à une personnalité extérieure, membre de cet organe. La mise en œuvre de cette mesure permettrait à des parents, le moment venu, d’exercer cette fonction.

Deuxièmement, la notion de coéducation devrait être clarifiée. En effet, il serait utile de préciser que cet acquis fondamental de la loi du 8 juillet 2013 ne consacre pas un quelconque « droit à l’interventionnisme » des parents dans le fonctionnement des classes ni ne vise à instaurer une « école des parents » qui apprendrait à ces derniers comment élever leurs enfants. La coéducation, ce devrait être une forme aboutie de coopération entre les parents et les enseignants, au profit de la réussite des enfants, dans le respect des prérogatives de chacun. Et celle-ci devrait être placée au cœur des projets d’école et d’établissement et des projets éducatifs territoriaux. Cela supposerait, par ailleurs, de sanctuariser les dispositifs interministériels d’aide à la réussite éducative qui impliquent les parents et de mieux articuler ces outils aux projets de l’éducation nationale.

Troisièmement, il faut lever les non-dits ou malentendus initiaux. Les parents devraient être mieux accueillis et informés, grâce à l’instauration d’une prérentrée à leur intention et l’explicitation systématique du travail demandé aux élèves – ce que M. Jean-Louis Auduc a appelé « communiquer le plan de vol de la classe ». Pour ce faire, les parents devraient rencontrer plus souvent les enseignants, dont le service devrait être ajusté à cet effet, sans augmenter, pour autant, les maxima hebdomadaires en vigueur. Dans le même esprit, un cahier des charges précis en matière de communication avec les parents devrait être arrêté dans chaque établissement.

Quatrièmement, l’école devrait « aller à la rencontre » de tous les parents, en multipliant les temps d’échange quand tout va bien, en organisant, y compris le samedi, des formations pour adultes et des débats éducatifs dans les établissements et en recourant à des « tiers facilitateurs ». Pour nouer des contacts avec les parents que l’équipe pédagogique ne voit jamais, il faudrait mobiliser les « espaces parents » et les lieux intermédiaires qui, avec l’appui de la commune, permettent à ces adultes de s’informer sur le système scolaire dans un endroit « neutre ». Enfin, l’école pourrait aller à la rencontre des parents les plus éloignés en se rendant à leur domicile, selon des modalités adaptées, cette politique étant menée dans certains pays de l’OCDE. En France, ces visites sont d’ores et déjà assurées par les assistants sociaux scolaires, dont le nombre devrait être, selon moi, augmenté.

Cinquièmement, dernier point et sans doute le plus important, tous les personnels de l’éducation nationale devraient être formés aux enjeux de la relation école-parents. La formation initiale des enseignants devrait ainsi inclure des modules spécifiques, centrés sur des jeux de rôle et l’acquisition de gestes professionnels. De telles formations faciliteraient « l’inclusion pédagogique » des parents d’élèves, qui devrait avoir pour but d’instaurer des « aller-retour », des échanges, entre l’école et le domicile, favorables à l’acquisition des connaissances et des compétences.

À titre d’exemple, le simple fait, pour un père ou une mère de famille, de demander à son enfant « comment s’est passée sa journée » ou de l’accompagner à la bibliothèque du quartier peut avoir des effets très positifs sur ce que M. Benoît Hamon a appelé « la disponibilité des élèves aux apprentissages ». À ce titre, le dispositif de « la mallette des parents » devrait être rapidement, dans un premier temps, étendu aux classes charnières, à savoir le CP, la 3ème et la 6ème.

Des relations école-parents plus sereines et, de ce fait, plus « productives » sont à la portée de quelques gestes simples mais aussi variés que souples. J’en suis, en tout cas, convaincue, à condition, et c’est là ma conclusion, que l’école fasse le « premier pas » pour instituer une communauté éducative vivante dans tous les territoires.

M. le président Patrick Bloche. Je remercie la rapporteure pour sa présentation dynamique et synthétique du rapport et de ses vingt-cinq propositions. Je remercie également les membres de la mission pour l’investissement qu’ils ont manifesté pendant presque huit mois et, de ce fait, pour le beau travail qui voit ici son aboutissement.

Mme Martine Faure. Je remercie le président Xavier Breton et tout particulièrement la rapporteure Valérie Corre pour son énergie, la qualité de son rapport et la clarté de ses propos. Cette mission s’est déroulée dans un climat parfaitement sérieux et convivial et nous espérons que la conclusion sera unanime.

Beaucoup de chemin a été parcouru depuis les années soixante, où l’école était encore considérée comme un sanctuaire auquel les parents n’avaient pas accès et dans lequel ils n’avaient surtout pas leur place. En 1989, la notion de « communauté éducative » est enfin consacrée par le législateur, permettant une première reconnaissance de l’importance du rôle des parents d’élèves dans l’école. Malheureusement, aucun réel partenariat entre les établissements d’enseignement et les parents d’élèves n’a vraiment vu le jour, si ce n’est sur la simple bonne volonté de chacun. Dans le même temps, ne l’oublions pas, nous connaissons tous de beaux exemples de travail partagé et de réelle coopération dans certains établissements.

Malgré tout, les relations entre l’école et les parents témoignent trop souvent de la persistance d’une véritable incompréhension, générant de la défiance mutuelle, chacun considérant que l’autre poursuit ses propres intérêts. Ces dernières années, la relation parent-enseignant s’est même dégradée : multiplication des attentes pédagogiques et éducatives des familles, rejet de l’institution et je ne parlerai pas des derniers événements...

Aussi l’objectif de la présente mission d’information est d’aider à concilier, parfois à réconcilier, deux mondes, l’école et la famille, en organisant leur coopération, en reconnaissant leur légitimité et leur responsabilité partagée. Afin de participer efficacement à l’effort engagé pour permettre la réussite de tous à l’école et dans la continuité de la grande loi de refondation de l’école, notre rapporteure Valérie Corre s’est efforcée de définir les meilleures préconisations pour un dialogue intégré, ouvert, serein entre parents et enseignants.

Seule une implication accrue des partenaires clefs de l’école permettra d’améliorer et de bonifier les conditions d’apprentissage à tous les niveaux. Car les familles et l’école défendent le même objectif : la réussite des élèves et la formation d’adultes citoyens et responsables. Cette coopération réussie entre l’école et les parents sera l’un des leviers de la transformation de notre système éducatif.

Sur ce point, je tiens à souligner l’importance de la coéducation – proposition n° 5 – qui devra traduire une meilleure participation des parents à l’action éducative dans l’intérêt de la réussite de tous les enfants. Mais ce mot coéducation doit être bien défini ou peut-être même changé. Le rapport propose de nouvelles modalités de coopération avec les parents pour une école plus accueillante dans cette perspective de coopération, de croisement des regards, des savoirs, des expériences.

Je salue la proposition n° 10 qui prévoit le développement d’entretiens personnalisés conduits en amont avec les parents aux étapes clefs de la scolarisation. Cette démarche s’inscrit dans la parfaite continuité de la loi de refondation de l’école qui accorde une grande attention aux passerelles entre les différents cursus.

Aux craintes qui pourraient être formulées sur la coéducation, je rappellerai qu’elle n’est pas synonyme d’intrusion, d’ingérence dans les enseignements. Les apprentissages scolaires relèvent de la responsabilité de l’enseignant et de lui seul. Mais il s’agit surtout d’instaurer un climat de confiance et d’expliquer les objectifs pédagogiques et les méthodes d’évaluation. Tel est le but de la proposition n° 11.

Cette participation des parents dans l’école ne peut être réduite au seul dialogue entre parents et professeurs autour de l’enfant et de sa scolarité, mais peut également prendre des formes collectives, conviviales qui font de l’école un lieu de la vie en société pour les adultes également. Cette analyse n’est pas étrangère à l’adoption, dans le rapport annexé à la loi précitée du 8 juillet 2013, d’une orientation qui vise à « redynamiser le dialogue entre l’école et les parents », en veillant « à ce que tous les parents soient véritablement associés aux projets éducatifs d’école ou d’établissement » et plus particulièrement ceux qui en sont très éloignés.

Je souligne à cet égard l’importance de la proposition n° 7 qui prévoit d’annexer au projet d’école ou d’établissement une charte sur l’égale dignité des acteurs éducatifs rédigée par l’ensemble des membres de la communauté éducative. J’ai en effet trop souvent été indignée, voire très en colère, devant certains comportements méprisants d’élèves ou de parents face aux personnels non enseignants. Une telle charte doit faire prendre conscience du rôle indispensable de chacun.

Je souhaiterais conclure mon propos sur deux aspects à conforter. Le caractère contraignant des obligations réglementaires de service des professeurs des écoles au regard d’un dialogue plus régulier avec les parents d’élèves implique forcément une redéfinition du temps de travail de ces derniers, comme le préconise la proposition n° 14. Enfin, le changement de regard de l’institution scolaire – c’est la proposition n° 22 – sur la place et le rôle des parents ne pourra se concrétiser qu’en agissant sur le levier de la formation initiale et continue de tous les personnels, enseignants et non enseignants.

Cela ne s’improvise pas. Aussi le passage de tous au sein des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) prévu par la loi du 8 juillet 2013 doit devenir effectif le plus rapidement possible, notamment afin de sensibiliser les futurs personnels à certaines réalités sociologiques, sur la pluralité des modèles éducatifs, sur des méthodes de communication et comportements à adopter dans ses relations.

Plaçant l’enfant au cœur de toutes les préoccupations, l’école et les parents s’ouvrent l’un à l’autre et notre rapporteure, dans la continuité de la refondation de l’école, fait le pari d’une réelle coéducation responsable et réussie.

Le groupe SRC votera en toute confiance pour la diffusion de ce rapport.

M. Fréderic Reiss. Cette mission a permis de dresser un diagnostic très complet des relations entre les parents et l’école. Au nom du groupe UMP, je tiens à saluer l’implication de la rapporteure et son souci d’envisager les différents aspects de cette question complexe. Dans une première partie, le rapport dresse un historique des relations des parents avec l’institution scolaire, qui ont beaucoup varié selon les époques. Certaines furent plus marquantes que d’autres comme la période de mai 1968, qui constitua une rupture.

Ces relations sont marquées par une certaine méfiance voire défiance. Selon les milieux sociaux, les relations sont plus ou moins proches, avec des incompréhensions fréquentes quant à l’équité des sanctions appliquées ou sur les méthodes pédagogiques employées. Face à un certain désarroi des familles et au sentiment qu’un fossé semble se creuser, surtout dans les milieux populaires, entre parents et enseignants, que faut-il faire ?

L’enjeu est important, car il revient à conforter le goût de l’effort chez les enfants et de leur donner confiance en l’école. En outre, les enseignants ne peuvent pas à eux seuls être les garants de la réussite scolaire : l’investissement éducatif des parents est donc indispensable. Aussi l’éducation nationale doit-elle tout mettre en œuvre pour faciliter ce dialogue – l’exemple de la « mallette des parents » semblant, à cet égard, très positif. De fait, ce genre d’initiatives doit être multiplié, surtout au regard du constat selon lequel notre pays est, en Europe, celui où la corrélation entre difficultés scolaires et milieu social défavorisé est la plus forte.

Cela dit, il est dommage que le rapport n’ait pas cherché à répondre de manière satisfaisante aux sept points de friction qu’a évoqués la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Mme Monique Sassier. Par ailleurs, trop peu de choses sont dites sur les devoirs à la maison (propositions n° 8 et 9) et la pédagogie (propositions n° 11 et 12). Le rapport passe aussi sous silence des sujets comme la carte scolaire, les enfants en situation de handicap ou la prévention des violences ou du harcèlement. Concernant les enfants de couples séparés, je pense que le mandat d’éducation prévue par la proposition de loi récente relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant ne donnera pas de résultats concrets.

De plus, il est paradoxal, alors que la gauche se fait le chantre de la coéducation, d’avoir ignoré, avec tant d’indifférence, les oppositions résolues des associations de parents d’élèves sur les nouveaux rythmes scolaires.

En ce qui concerne la coéducation, le rapport l’aborde longuement et il semble que la majorité et le gouvernement placent tous leurs espoirs dans cette notion. Celle-ci, même si le rapport en fait le « SAV » ou « service après-vote », n’est malheureusement pas le talisman qui garantira à tous les parents d’être associés aux projets d’école ou d’établissement.

Les propositions 5 à 8 sur la coopération entre parents et acteurs éducatifs sont certes positives mais ne vont pas beaucoup plus loin que ce que prévoit le décret du 28 juillet 2006 relatif aux parents d’élèves, aux associations de parents d’élèves et aux représentants des parents d’élèves.

Je voudrais aussi avoir des précisions sur votre proposition 14 qui prévoit que le service des enseignants doit accorder une place plus importante aux relations avec les parents mais sans augmenter les maxima hebdomadaires en vigueur. Cette prudence à évoquer le temps de travail des enseignants n’est pas de bon aloi pour modifier réellement les relations entre les parents et les enseignants.

Je partage en revanche tout à fait votre idée selon laquelle on pourrait expérimenter l’élection d’un président de conseil d’administration pour les lycées professionnels ou technologiques qui ne soit pas le chef d’établissement avant d’envisager d’étendre cette mesure à tous les lycées.

Compte tenu de nos réserves sur certains points, où votre analyse est juste mais vos propositions trop peu ambitieuses, l’UMP s’abstiendra lors du vote sur ce rapport.

Mme Barbara Pompili. Au nom du groupe écologiste, je voudrais adresser tous nos remerciements à la rapporteure pour cet excellent rapport qui reprend d’ailleurs certaines de nos propositions et dont les écologistes auraient très bien pu être les auteurs.

Améliorer les relations parents – école est un levier important de la démocratisation de l’enseignement. Notre système éducatif reproduit encore beaucoup trop les inégalités sociales et nous avons donc beaucoup de chemin à faire pour parvenir à des relations apaisées entre enseignants et parents. Lors de la discussion du projet de loi sur la refondation de l’école, j’avais d’ailleurs plaidé pour un statut des délégués de parent. Je me félicite que cette idée figure parmi vos propositions. J’espère que vos recommandations auront des suites concrètes car il faut vraiment redonner confiance aux parents. Ils ne doivent pas être dans une attitude consumériste ni dans une position de contrôle des enseignants. L’équilibre est difficile à trouver mais une véritable « coéducation » est possible. Je me félicite que la réforme des rythmes scolaires reprenne ce terme dans le projet éducatif de territoire.

Je crois que cette confiance ne pourra s’instaurer sans un travail de formation important des enseignants et des autres acteurs éducatifs car la communication avec les parents passe par une réflexion sur certaines bonnes pratiques et sur l’acquisition de gestes professionnels spécifiques.

Ce rapport a cependant quelques lacunes que nous regrettons : il n’aborde pas la question des devoirs à la maison et de la notation, alors que ces points sont particulièrement conflictuels avec les familles. Je rappelle d’ailleurs que les devoirs à la maison sont interdits, pour le primaire, depuis un arrêté de 1956 !

La remise personnalisée du bulletin scolaire qui figure dans votre proposition n° 13 me paraît très positive pour engager une évolution dans l’évaluation des élèves. Le système actuel de notation est stigmatisant et n’est pas vraiment parlant pour évaluer les progrès réalisés par les élèves.

L’échec scolaire ne résulte ni de la démission des parents ni de la démotivation des élèves. Il s’agit plutôt d’un échec de l’institution scolaire qui est confrontée au défi de la démocratisation de la réussite. Il faut donc développer des mécanismes de médiation pour désamorcer les conflits et permettre aux familles vulnérables de pouvoir découvrir les procédures d’orientation en amont des périodes de décision pour leurs enfants. Certaines communes, comme à Amiens, ont réussi à ouvrir les établissements aux familles pour dédramatiser les relations parents/enseignants. Des rencontres régulières doivent être organisées avec les parents pour évoquer la situation personnelle des enfants sans que les parents se sentent convoqués lors de moments critiques.

Je regrette par ailleurs que le rapport n’ait pas abordé la situation des enfants en situation de handicap dont l’intégration scolaire reste aujourd’hui difficile.

Ce travail demeure néanmoins de très grande qualité et c’est pourquoi le groupe écologiste se prononcera en faveur de sa publication.

M. Rudy Salles. Cette mission est la traduction d’un engagement pris dans le cadre de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Je salue ce travail très approfondi qui dresse un état des lieux complet de la situation souvent conflictuelle entre l’école et les parents. C’est un enjeu majeur que d’améliorer ces relations avec les parents, car elles ont un fort retentissement sur la réussite des jeunes. Il s’agit de trouver un équilibre délicat car les parents doivent être impliqués, sans remettre en cause le rôle des enseignants.

Je m’étonne que ce rapport n’aborde pas la question de la réforme des rythmes scolaires, qui a pourtant révélé une profonde fracture entre les enseignants et les parents. La coéducation suppose un respect de chacun des acteurs et on ne peut pas prôner cette coéducation dans les seuls cas où il y a consensus. Cette nouvelle organisation aurait dû susciter un effort de dialogue entre les membres de la communauté éducative.

Concernant votre proposition sur le statut des représentants de parents d’élèves, je voudrais savoir quelles seront les conséquences concrètes de ce statut. Nous voudrions aussi évoquer la difficulté d’associer les familles les plus en difficulté aux décisions d’orientation.

Compte tenu d’un certain nombre de lacunes de ce rapport ou de certains silences, le groupe UDI s’abstiendra lors du vote.

Mme Marie-George Buffet. Au nom du groupe GDR, je voudrais souligner les aspects positifs mis en lumière par ce rapport. Contrairement à certaines idées reçues, les parents gardent un haut degré de confiance dans l’école, comme le montrent les enquêtes citées par la rapporteure. Ce niveau de satisfaction est certes variable selon le degré d’enseignement, mais il est excellent pour l’école maternelle. Le rapport revient aussi sur une idée toute faite selon laquelle les parents seraient démissionnaires. Au contraire, ils attendent beaucoup de l’école même s’ils ne comprennent pas toujours les règles du jeu. C’est bien que le rapport ne se focalise pas sur les questions de violences à l’école, malgré un drame récent, car dans la vie quotidienne il y a bien d’autres sujets de tension entre les parents et l’école que celui des violences.

Toutefois, je trouve que certains titres figurant dans votre rapport sont un peu simplificateurs, comme lorsque vous écrivez que l’école entretient des « rapports abîmés » avec les milieux populaires. En réalité, certaines familles vulnérables, notamment celles logées en hôtels sociaux, ont souvent du mal à scolariser de manière stable leurs enfants car elles sont contraintes à de fréquents changements de résidence. Les parents cherchent à s’investir mais ne comprennent pas toujours certaines méthodes pédagogiques notamment lorsqu’il s’agit d’acquérir des savoirs en dehors du cadre classique de l’enseignement. Un effort de pédagogie doit être fait auprès des familles, surtout auprès de celles éloignées de l’institution scolaire.

En matière de coéducation, je crois qu’il faut être très clair et ne pas demander aux parents de remplir des missions qui ne leur incombent pas. En matière d’enseignement, la responsabilité première revient à l’éducation nationale qui doit faire face à des défis importants. Chacun doit respecter son rôle : les parents ne sont pas en position de consommateurs et les enseignants ne doivent pas être intrusifs dans la sphère familiale.

Les associations de parents d’élève doivent être mieux valorisées et l’idée d’un statut pour les parents délégués semble intéressante. Les associations doivent être reconnues comme des acteurs à part entière, capables de faire des propositions et de se mobiliser pour que des moyens adéquats soient donnés aux établissements.

Les enseignants doivent avoir du temps à consacrer aux relations avec les familles et les directeurs d’école doivent pouvoir obtenir des décharges de service. Je suis en revanche très interrogative sur votre proposition de visites au domicile des familles. N’y a-t-il pas un risque d’intrusion ? Vous évoquez l’intervention de médiateurs mais qui seront-ils ?

Malgré ces interrogations, le groupe GDR votera en faveur de la publication de ce rapport au riche contenu.

M. Christophe Premat. Le travail remarquable des membres de la mission a permis de produire ce rapport, qui marque la nécessité de mieux utiliser l’arsenal législatif existant en l’adaptant à la pratique vécue par les acteurs éducatifs. L’école est le pilier de l’ascenseur social et l’enseignant le symbole de notre modèle républicain. Ce rôle lui est contesté depuis plusieurs années car il a longtemps été considéré comme une conscience morale rivalisant avec les parents dans l’éducation de leurs enfants. C’était d’ailleurs le sens du tristement célèbre « discours de Latran » de l’ancien Président de la République qui, en comparant les missions de l’instituteur avec celles de l’homme d’église, avait entretenu cet amalgame culpabilisant à la fois parents et professeurs. Réaffirmer les objectifs partagés de l’école et des parents, en précisant ce que recouvre la politique de coéducation, permettrait de mieux appréhender le rôle de chacun et d’instaurer un climat de confiance réciproque.

L’autre point fondamental que je souhaiterais souligner porte sur vos propositions en faveur d’un meilleur accès de l’école aux parents les plus éloignés du système éducatif. J’ai rappelé que la force de notre modèle républicain a longtemps été de favoriser l’ascenseur social en garantissant, par l’accès à l’école, les mêmes chances de réussite pour tous. Or, ce modèle est aujourd’hui contesté, comme le soulignent les études récentes qui identifient le système éducatif comme vecteur de reproduction des inégalités sociales. Plusieurs initiatives de rencontres des acteurs éducatifs avec les parents les plus éloignés du système éducatif ont été menées par des associations en France. Ce processus devrait être généralisé, comme c’est le cas en Irlande, dans ma circonscription. Ce pays dispose d’un programme national de liaison entre le foyer familial, l’établissement scolaire et la communauté associative, qui encourage des contacts accrus entre les parents, les enseignants, les groupes de bénévoles locaux et les organismes officiels afin d’agir sur les problèmes qui nuisent à l’apprentissage scolaire. Ce programme dispose d’un budget conséquent qui a bénéficié à plus de 50 000 familles.

Votre rapport précise la notion de coéducation. Dans les pays du Nord de ma circonscription, Norvège et Suède, il existe un système de normes, le système Olweus, qui permet notamment de lutter contre l’exclusion scolaire au sein même de l’établissement. Il repose d’abord sur l’administration et l’école et associe ensuite les parents, pour éviter l’exclusion due aux tracasseries à l’école et permettre la prise en charge de l’enfant. Ce système tend à se développer, plus de mille écoles sont engagées dans ce processus. La coéducation n’implique donc pas une responsabilisation accrue des parents mais, au contraire, une participation à l’éducation des enfants et permet ainsi d’éviter ces phénomènes d’exclusion scolaire.

Mme Dominique Nachury. Merci au président et à la rapporteure pour la conduite de cette mission, pour ce rapport riche de constats et de propositions et sa restitution devant nous, aujourd’hui. Les relations entre les parents et l’institution scolaire sont marquées par une double défiance. Défiance des parents envers les enseignants qu’ils ressentent comme jugeant ou insuffisants, et des enseignants envers les parents pouvant être perçus comme des intrus. Je retiens quelques points. Un premier, un peu général : la coéducation, qui est un sujet en soi, et dépasse largement l’école. Est-il si simple de définir et de respecter le rôle de chaque éducation ?

« L’école de la République a besoin de tenue », disait M. Philippe Mérieux, et cela est notamment vrai dans le domaine de la communication, par exemple pour la préparation des réunions de parents, avec des documents lisibles et compréhensibles. C’est en effet une multitude de petites choses qui érode la confiance entre les parents et l’école. N’est-il pas nécessaire de mettre en place un cahier des charges qui établisse un code de communication entre l’école et les familles ?

Les parents trop performants ou, à l’inverse, trop éloignés du monde de l’école partagent la même difficulté, trouver la bonne distance par rapport aux enseignants, ni intrusive, ni indifférente. La formation des enseignants à la communication avec les parents est prévue dans la proposition n° 23, mais par qui, et sur la base de quelles règles ?

Enfin, le rapport indique en quelques lignes la nécessité, afin d’améliorer la qualité de l’accueil et l’information des parents, de l’implication personnelle des directeurs d’école et des chefs d’établissement. La rapporteure souligne également l’anomalie que constitue l’absence d’un statut des directeurs d’école. Les directeurs et chefs d’établissement ont été les grands oubliés de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, n’est-il pas temps d’y remédier ?

Je souhaiterais compléter mon intervention par un exemple local, révélateur des difficultés des relations avec l’école. Il concerne l’application de la réforme des rythmes scolaires dans la Ville de Lyon, montrant par là, d’ailleurs, le fort impact des collectivités territoriales dans l’organisation de l’école. Les parents doivent inscrire leurs enfants pour des activités périscolaires le vendredi après-midi, avant le 11 juillet, sans connaître aucune des activités proposées aux enfants. Cela prouve que, dans le dialogue de l’ensemble représenté par l’école et les parents, il faut aussi prendre en compte l’implication d’autres acteurs.

M. Michel Ménard. Je salue cet excellent rapport et le travail de la rapporteure et du président de la mission. Le terme coéducation peut effectivement faire débat. L’éducation repose, selon moi, sur un triptyque, l’école, les parents et l’éducation populaire qui recouvre tout le temps restant en dehors de la famille et de l’école. Chacun a ses missions et Mme Marie-George Buffet vient de le rappeler, en faisant bien attention à ce que les parents n’empiètent pas sur le rôle de l’école, notamment en matière de programmes et, à l’inverse, que les enseignants n’exercent pas une tutelle par rapport aux parents. L’éducation populaire joue un rôle particulièrement important pour les enfants de milieux populaires. En effet, et en écho à ce que vient d’indiquer Mme Dominique Nachury, il me semble que la mise en place des nouveaux rythmes scolaires et des temps d’activités périscolaires sera particulièrement favorable aux enfants de milieux défavorisés.

Nous sommes nombreux à assister à des conseils d’école ou à des conseils d’administration d’établissements, et la qualité des relations parents – enseignants y est très variable. Les relations existent avec les parents les plus investis dans l’éducation de leurs enfants, mais parfois aucun contact n’existe avec d’autres familles, trop souvent celles d’enfants en grande difficulté. À ce sujet, la proposition n° 21 paraît intéressante puisqu’elle suggère de nouer des liens avec les parents des enfants les plus éloignés de l’école, en les rencontrant à leur domicile selon des modalités adaptées. Peut-on en savoir plus sur ces modalités ?

M. Patrick Hetzel. À mon tour je voudrais remercier le président et la rapporteure pour le travail réalisé. Cette base extrêmement riche peut donner lieu à un certain nombre de débats. Je voudrais pour ma part revenir sur le concept de coéducation. Vous l’évoquez de manière très explicite, tout en rappelant qu’il est nécessaire de le définir. Vous oscillez pourtant entre deux acceptions du concept, ce qui me semble être source de débats. Pour ma part, je trouve que vous en avez une vision un peu idéalisée, votre regard ne me semble pas assez critique.

Il y a trois acceptions possibles de la coéducation. Aux origines, au dix-huitième siècle, il s’agit, pour le pédagogue suisse Pestalozzi, d’éduquer ensemble les filles et les garçons, dans un esprit très rousseauiste. Mais ensuite s’est développée une école de pensée spécifique de la coéducation, à l’intérieur des différents courants pédagogiques, qui a une vision très particulière consistant à affirmer qu’il ne doit pas y avoir de relation maître-élève, le maître ayant une sorte de supériorité par rapport à l’élève. Cette remise en cause de la relation s’inscrit dans une approche collective, pour ne pas dire collectiviste de la pédagogie. Or, ce courant réapparaît parfois en filigrane de la notion de coéducation et j’y suis, pour ma part, hostile. La troisième vision de la coéducation, celle que l’on retrouve dans l’usage courant – mais il convient dès lors de le préciser clairement – consiste à la définir comme l’éducation effectuée par l’institution scolaire en lien avec les parents.

Il est donc important d’être conscient, lorsqu’on utilise des termes comme coéducation, d’en apprécier les significations pouvant apparaître en filigrane et qui peuvent s’avérer irritantes pour certains, s’il leur apparaît qu’on cherche ainsi à imposer une philosophie du collectif au détriment de la transmission aux jeunes générations de savoirs ou de valeurs par les aînés. Votre rapport est intéressant en ce qu’il évoque la coéducation comme étant un dispositif pour faire avancer la connaissance des dynamiques interactives dans les processus éducatifs, ce qui permet de stimuler l’implication des parents vis-à-vis de l’institution éducative. Sur ce point, il me semble que nous pouvons tous être d’accord. Faisons attention, cependant, à ne pas développer une vision trop idéalisée autour de ce concept de coéducation.

Mme Colette Langlade. Merci au président Xavier Breton et à la rapporteure Valérie Corre pour le contenu de leur rapport et notamment ce constat : plus l’enfant avance dans sa scolarité, plus les relations entre parents et enseignants se distendent. Vous avez listé et cité de nombreux « irritants » dans les relations entre les parents et l’école, comme autant de points de friction qui affectent tous les niveaux d’enseignement. Vous avez cité la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013 qui a érigé la coéducation en vecteur de transformation de l’école en permettant des rencontres plus régulières et mieux préparées avec, pourquoi pas, remise en mains propres aux parents des bulletins trimestriels.

J’ai trois questions à vous poser : vous avez cité les effets très positifs de la « mallette des parents », qui les accompagne dans leur rôle éducatif et soutient leur implication dans la scolarité de leur enfant et vous vous félicitez de la nouvelle impulsion donnée à cette politique, dont les crédits sont doublés : pouvez-vous nous en préciser l’impact ? Pouvez-vous préciser la proposition n° 22 qui suggère de former tous les personnels de l’éducation nationale aux enjeux des relations école-parents ? Enfin, vous souhaitez mieux informer, grâce au numérique et à la création d’une chaîne de télévision thématique, or M. Eric Nédélec, qui est le coordonnateur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, a indiqué le frein que des parents illettrés peuvent représenter pour la scolarité de leurs enfants : pensez-vous que ces médias permettraient de le desserrer ?

Mme Sophie Dessus. Merci aux auteurs de ce rapport important pour nous et pour nos enfants. Je voulais apporter l’expérience un peu particulière de l’école rurale que je connais mieux. Il y existe aujourd’hui un partenariat très fort entre les enseignants, les élus et les parents. Cette vraie proximité traduit la volonté de tous : la réussite de l’enfant. La difficulté de communication que vous avez relevée ne résulte pas de l’enseignement donné par les instituteurs, qui est de qualité, ni du comportement des parents qui siègent dans les conseils d’écoles ou dans les associations de parents d’élèves avec un investissement important, mais de la difficulté à toucher les parents qui, pour toute une série de raisons, ne viennent jamais à l’école. Or c’est bien souvent dans ces familles que l’on trouve les enfants en difficulté.

Les outils les plus simples peuvent aider à faire de grands pas et à passer de la proximité à la solidarité. Dans ma circonscription, le cadre périscolaire a ainsi pu être utilisé pour offrir à tous les enfants une ouverture qu’ils n’avaient pas l’occasion d’avoir au sein de leur famille. Des conversations s’en sont suivies au sein des familles et tous les parents sont venus à une grande fête organisée avec les enfants : la fête du périscolaire qui a permis de rapprocher tout le monde. Chacun, parents, élus, peut à travers ce type d’initiatives se réapproprier l’école, tout en préservant le rôle premier de l’enseignant qui est d’enseigner.

Mme Martine Martinel. Je salue le travail très conséquent produit par le président et la rapporteure de la mission, qui me semble faire un sort aux lieux communs. Vos propositions, madame la rapporteure, méritent mieux que le terme de « service après-vote », utilisé par notre collègue M. Frédéric Reiss, fin connaisseur du système éducatif et d’habitude plus pondéré.

Je souhaiterais revenir sur deux points. La formation des enseignants aux relations avec les parents que suggère la proposition n° 23 existe déjà. Je souhaiterais donc connaître vos préconisations sur ce point. Pouvez-vous également préciser le rôle des « parents relais » que vous évoquez ?

M. Hervé Féron. Je voudrais faire remarquer que les tensions qui existent entre les parents d’élèves et l’école peuvent être dues au comportement de certains acteurs de l’éducation nationale et qu’elles pourraient être dégonflées assez facilement avant tout conflit potentiel. Ainsi, quand un inspecteur d’académie décide de la fermeture d’une classe sans expliquer sa décision aux parents d’élèves membres du conseil d’école, refuse de les recevoir avant le début des vacances scolaires et commente leur revendication avec mépris, il y a un vrai déficit de pédagogie et, au-delà, un manque de respect. Or, c’est ce qui s’est produit à l’école maternelle de Vandœuvre dans ma circonscription. Un comportement plus respectueux du dialogue de l’inspecteur d’académie aurait entraîné une attitude plus citoyenne des parents.

Votre rapport vise à favoriser les relations entre l’institution scolaire et les parents d’élèves. Tenter de répondre en priorité aux attentes éducatives des familles est une démarche tout à fait louable, mais nous pouvons nous demander ce qu’il en est des professeurs des écoles et d’une éventuelle réaffirmation de leurs droits. L’attitude qu’ont parfois les parents vis-à-vis des enseignants est en effet symptomatique de ce qu’une enseignante du secondaire appelle, dans un article de Rue 89 intitulé « Chers parents d’élèves, vous nous emmerdez », leur perte d’autorité intellectuelle et morale, ce qui entraîne la dégradation du statut de l’enseignant dans la société. Aujourd’hui, quand un professeur dit quelque chose qui ne plaît pas, il est vite décrié, tant par les parents d’élèves que par sa hiérarchie, qui finit souvent par leur donner raison. Dans Le Sagouin, de François Mauriac, l’enseignant n’aurait jamais pu aider et défendre l’enfant rejeté de tous, s’il n’avait joui du statut de notable du village, traduisant une reconnaissance sociale. Il ne s’agit pas de revenir aux codes du XIXe siècle, mais il est indispensable de mettre fin à ce manque de considération de la part des parents d’élèves et de la société tout entière.

La meilleure façon de redonner de la légitimité aux enseignants, c’est d’agir au niveau de leur formation. En informant, en préparant les futurs professeurs aux difficultés des métiers de l’enseignement, ils acquerront les savoir-faire et les savoir-être nécessaires à la transmission des connaissances et ils se feront de nouveau respecter. Nous fondons donc de grands espoirs sur les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) mises en place à la rentrée 2013 et qui doivent allier formation théorique et pratique des futurs enseignants. En outre, je pense qu’il faut que l’éducation nationale réaffirme haut et fort son soutien à ses agents quand ils sont en difficulté. L’enseignement comporte des risques psychologiques fréquents et parfois sérieux pour les enseignants, souvent confrontés à des comportements irrespectueux, à des agressions verbales voire physiques, des actes de vandalisme… Des plans de prévention doivent être mis en place pour anticiper ces risques professionnels et un accès à une structure de soutien adaptée doit leur être assuré en cas de besoin. Il faut plaider pour une reconnaissance et un respect du corps enseignant. Je rappelle enfin que ce n’est que le 22 juillet 2013 qu’on a, pour la première fois, accordé une reconnaissance de maladie imputable au service, équivalent d’une maladie professionnelle, à une enseignante.

Mme Brigitte Bourguignon. Je me joins à mes collègues pour saluer la qualité de ce rapport, très intéressant sous beaucoup d’aspects, qui présente des propositions pratiques, de bon sens et, une fois n’est pas coutume, qui fait ressortir les aspects positifs de l’école.

Je voudrais parler notamment de vos préconisations sur les liens entre l’institution scolaire et les parents qui en sont le plus éloignés. Selon l’INSEE, on parle aujourd’hui de 2,7 millions d’enfants pauvres, soit 20 % des enfants de France. Même si tous ne sont pas en âge d’être scolarisés, c’est un chiffre énorme qui impacte l’école de plein fouet. Or, si l’école elle-même n’a certes pas pour objet de créer des inégalités, elle peut en produire. Pour beaucoup d’enseignants encore, la vie matérielle des élèves au quotidien ne doit pas forcément faire partie de la vie de l’école, et pourtant, lorsqu’elle est faite d’angoisse, de difficultés permanentes, elle réduit la disponibilité des parents et des enfants aux apprentissages. La coéducation ne va pas de soi. Lors des débats sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République, nous avions évoqué la nécessité de préparer les enseignants, dès leur formation initiale, aux situations de grande pauvreté de certains élèves et de mettre en place, pour les enseignants, des modules de formation dans les ESPE. Nous avons été en partie entendus puisqu’avec la réforme de l’éducation prioritaire, les futurs professeurs seront formés au repérage et au traitement de la difficulté scolaire. Mais je voudrais juste rappeler que si les zones d’éducation prioritaire concentrent les difficultés sociales, il n’en reste pas moins que l’on trouve des familles vulnérables sur l’ensemble de notre territoire, qu’il soit urbain ou rural.

ATD Quart Monde, que vous citez dans votre rapport, fait un très bon travail sur la question de la relation école-famille et explique combien de nombreux parents ne participent pas à la vie de l’école parce qu’ils se sentent dépassés, en particulier parce qu’ils ne peuvent pas aider leurs enfants pour les devoirs ou leur offrir les conditions matérielles nécessaires. C’est pourquoi je suis particulièrement sensible et d’accord avec votre proposition de renforcer tous les dispositifs d’accompagnement à la scolarité et de soutien à la parentalité, comme le dispositif de « parents relais ». Vous parlez d’ailleurs de l’expérience menée dans l’académie de Rennes par le groupe de travail « famille, école et grande pauvreté », il serait intéressant que l’outil de formation qui en est issu, et qui sert de base à l’analyse des points d’incompréhension entre famille et communauté éducative, soit plus largement diffusé auprès des inspections d’académie et fasse l’objet de présentations aux enseignants.

Je voudrais, en outre, rappeler l’importance du rôle des assistants sociaux dans la médiation. Vous soulignez d’ailleurs que leur nombre est insuffisant. Le gouvernement a décidé d’engager très prochainement les états généraux du travail social, nous aurons l’occasion d’y défendre la voix de l’école. Ce rapport montre aussi que, quelles que soient toutes les mesures que l’on pourra proposer, la qualité des équipes enseignantes et d’encadrement et leur volonté d’implication comme l’intelligence collective restent le moteur essentiel et le meilleur gage de rapports constructifs avec les parents.

M. Luc Belot. Je vais aussi saluer la qualité de ce travail, non pas parce que c’est la coutume ou par courtoisie, mais parce que je voudrais traduire les remarquables conditions de travail de la mission et l’intelligence qui a régné entre majorité et opposition, due autant à la rapporteure socialiste qu’au président UMP, ce qui contraste un peu avec les positions plus dogmatiques que l’on a pu entendre ce matin au sein de la commission, mais c’est alors la règle du jeu politique qui s’applique...

Ce rapport permet un débat qui me semble extrêmement passionnant sur la question de la coéducation. Entre une vision rousseauiste de l’école devant sortir l’enfant de son carcan familial et des préceptes religieux, pour l’accueillir dans la République, et une vision passéiste de la famille qui éduque et de l’école qui instruit, il y a le chemin que nous avons pris avec la refondation de l’école, celui de la réalité objective de la coéducation qui se met en place partout. Je veux m’inscrire dans le prolongement de notre démarche non partisane en reconnaissant que les dernières réformes du temps scolaire et du rythme de l’enfant de 2008 et de 2013 ont détruit des temps de rencontre et de vie de la communauté éducative. Je pense en particulier au samedi matin qui était souvent un temps riche, disparu en 2008 et à l’arrivée des nouveaux rythmes scolaires. On connaît mon attachement aux mercredis matins et aux temps d’activités périscolaires. Or il faut reconnaître que lorsque la classe se termine à 15 heures 30 et qu’il y a après une heure ou une heure et demie d’activité, la famille ne voit plus l’équipe enseignante ou la direction au portail de l’école. Il faut retrouver ce temps d’échanges de qualité. Je salue les propositions faites dans ce rapport, sur les lieux, les occasions les moyens que vous donnez.

Une question : est-ce qu’au travers de l’ensemble des rapports dont vous avez disposé comme des visites que vous avez effectuées, vous pensez que l’arrivée des outils numériques, des blogs, des comptes twitter de classe, mais aussi des espaces numériques de travail, qui comprennent les devoirs, les notes, la vie numérique des établissements, vont permettre de rapprocher les parents de l’école ou au contraire les maintenir éloignés derrière un écran ?

Mme Lucette Lousteau. Monsieur le président de la mission, madame la rapporteure, je veux tout d’abord m’associer aux remerciements et aux compliments qui vous ont déjà été adressés pour ce rapport qui aborde largement et sans tabou la difficile question des relations entre les parents et l’école. Ces relations sont complexes et le contexte peu propice à une normalisation, me semble-t-il. La remise en cause de la représentativité des parents élus et des fédérations de parents d’élèves par les parents en est une illustration, les directeurs d’école, eux-mêmes, considérant que les délégués ne représentent pas bien les autres parents. Ce risque de divorce entre le parent institutionnel et le parent réel est préoccupant, on peut craindre dans certains cas qu’il ne soit déjà consommé. Pourtant le rôle des parents délégués pourrait être primordial, notamment par leur présence dans les conseils d’école, dans les conseils d’administration mais aussi dans le rôle d’accompagnement des autres parents. La participation, dans les instances académiques de concertation, des fédérations de parents d’élèves est également essentielle. Votre rapport présente un certain nombre de préconisations pour améliorer les relations entre les parents et l’école et la question que je me pose, et que je vous pose, concerne le rôle que pourraient jouer les parents délégués, les associations locales et les fédérations de parents d’élèves dans leur mise en œuvre.

M. Yves Durand. Comme tous mes collègues, je vais féliciter à la fois le président et la rapporteure. Je ne leur poserai pas de questions mais plutôt à nos collègues de l’UMP, dont je ne comprends pas l’attitude consistant à s’abstenir sur ce rapport. L’objet de notre vote, ce matin en commission, est d’en autoriser la publication. Or, et ils s’en sont félicités, ce rapport comme tout rapport d’information, pose des problèmes autant qu’il apporte des réponses, même si, en l’occurrence, il présente des préconisations précises sur un sujet extrêmement difficile, compte tenu de l’histoire conflictuelle des rapports entre l’école et les parents. Ce travail méticuleux mérite mieux qu’une abstention.

La mission sur les lycées que j’ai présidée sous l’ancienne majorité, et dont le rapporteur était M. Benoist Apparu, était d’une nature totalement différente. Notre abstention était la conséquence des propositions que nous avions jointes comme une contribution alternative de notre groupe. Or, il n’en est rien aujourd’hui. La coéducation, essentielle pour rapprocher les parents de l’école, est au centre du rapport comme des questions posées. Il aurait donc été intéressant que l’on dispose de vos propositions sur ce point, y compris sous forme de contrepropositions dont j’aurais voté la publication.

M. Patrick Bloche, président. Je donne la parole à Mme Valérie Corre, rapporteure, puis à M. Xavier Breton.

Mme Valérie Corre, rapporteure. Je vous remercie de vos nombreuses interventions. Je souhaite d’abord répondre à l’intervention de Mme Marie-George Buffet. Vous avez raison de regretter que l’on se focalise trop souvent sur les situations qui posent problème et il faut souligner que, dans la majorité des cas, l’image de l’école est positive, comme le montrent les sondages de rentrée. L’école maternelle constitue à la fois le moment où l’école est la plus appréciée et celui où les parents sont en contact, au quotidien, avec les enseignants, grâce à l’existence de temps d’échanges et de contacts directs dans la classe. Mais, au fur et à mesure que les enfants grandissent, on constate un éloignement progressif des parents et de l’école. À l’école primaire, les parents laissent l’enfant à l’entrée de l’école, parfois à l’entrée de la classe lorsque cela est possible. Au collège, le contact n’est pas régulier. Au lycée enfin, il n’y a plus de contacts naturels entre les parents et l’école d’autant que les élèves concernés se soucient de préserver leur autonomie.

Nous devons dès lors faire face à une contradiction, dans la mesure où il faut à la fois pousser l’enfant vers l’autonomie – ce qui est le but de la formation – et répondre à ce besoin de contact. Il faut se demander comment ces contacts peuvent être noués, dès lors qu’ils ne sont plus naturels. Ce qui est sûr, c’est que, d’une manière générale, lorsque l’on a appris à se connaître, la discussion et les échanges s’engagent plus facilement.

La formation des enseignants et de l’ensemble des intervenants au sein de l’école est particulièrement importante. La formation initiale, incluant une formation à la réalité sociologique, est fondamentale. À cet égard, je souhaite revenir sur le mythe de la pensée démissionnaire. Tous les interlocuteurs rencontrés (enseignants, parents d’élèves, intervenants extérieurs, collectivités, etc.) ont évoqué la difficulté, pour des raisons souvent pratiques, pour certains parents d’accompagner les enfants, mais ils n’ont jamais parlé de démission.

Il faut former les enseignants et les intervenants en milieu scolaire à la réalité sociologique, afin qu’ils intègrent la diversité des modèles éducatifs et le caractère composite de l’échec scolaire. Cet effort de formation doit permettre aux enseignants de réfléchir à la réalité des enfants qu’ils ont devant eux et à leur développement psychomoteur, ce dernier sujet étant, rappelons-le, abordé, au cours de leur formation, par les jeunes titulaires du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur.

Il faut également former les enseignants aux gestes professionnels, pour leur apprendre comment se comporter face à un adulte et quels termes employer. À cet égard, les débats consistant à savoir s’il fallait « inviter » ou « convoquer » les parents à l’école montrent que les mots ont un sens. Lorsque l’on convoque quelqu’un, c’est qu’il y a un problème. Il faut donc réfléchir aux mots, aux postures, à la façon de s’adresser aux adultes et de les accueillir – le simple fait d’« inviter » ces derniers à s’assoir sur les petites chaises d’une école primaire n’est pas sans effet.

Il s’agit de permettre aux enseignants, au moment de la formation initiale, de réfléchir à ces temps d’accueil et d’échange. Cette formation doit également s’adresser à l’ensemble des personnels de l’éducation nationale et les autres personnels intervenant à l’école. De fait, la formation est la clef de voûte de l’évolution des relations entre parents et école et de la refondation de l’école.

Concernant les parents des milieux populaires, c’est au départ le sociologue Didier Lapeyronnie qui a utilisé le terme de relations « abimées ». Globalement, l’image de l’école est bonne, mais force est de constater qu’il peut exister une incompréhension sur le modèle éducatif « dominant » aujourd’hui, comme en témoignent la journée de retrait ou les débats autour de l’ABCD de l’égalité. Il faut travailler à la réconciliation de tous les acteurs.

Il est vrai aussi que le rapport « abimé » entre l’école et les familles concerne toutes les strates de la population. D’ailleurs, cette dégradation existe pour l’école, mais aussi pour tous les corps institutionnels – la justice, la politique, la police, etc. Le lien complexe entre les institutions et nos concitoyens dépasse donc la question des enfants.

Concernant la notion de coéducation, je souhaite rassurer M. Hetzel, je ne me sens pas « collectiviste » ! Je crois effectivement que cette notion de coéducation a besoin d’être explicitée. La coopération entre les différents acteurs permet d’améliorer la réussite de nos enfants. Certes, il n’existe pas d’enquête scientifique tendant à démontrer qu’une plus grande implication des parents est un facteur de réussite scolaire, même si tous les indicateurs de l’OCDE et des enquêtes internationales tendent à mettre en évidence des corrélations. En revanche, des chiffres très précis, issus d’enquêtes sur les dispositifs d’aide à la parentalité ou de l’évaluation de « la mallette des parents », montrent que la coopération entre ces deux partenaires contribue à améliorer le comportement des enfants, notamment en termes de diminution de l’absentéisme. Or cela n’est pas sans conséquences sur les résultats scolaires eux-mêmes : en effet, ces changements mettent les enfants concernés dans de bonnes conditions d’apprentissage et les aident à progresser en termes d’acquis.

Il ne faut pas être dogmatique, comme le montre le débat sur les rythmes scolaires. Cette réforme a permis, pour la première fois, de parler de ce que font les enfants en dehors de l’école. Ces temps – appelés garderie, temps périscolaire ou accueil de loisirs – existent pourtant depuis longtemps. Mais ils ont fait, cette fois-ci, l’objet d’un réel débat éducatif dans les territoires. Les difficultés rencontrées dans l’application de la réforme tiennent en outre à un manque de communication de la part des enseignants, des parents ou de la collectivité qui met la réforme en place, parce que le temps n’a pas été pris pour discuter des objectifs de la réforme, des aménagements retenus et des activités proposées lors des temps libérés. Mais ce n’est pas parce qu’il existe un problème de communication que la réforme est défaillante. Nous parlons bien entendu de la réforme des rythmes scolaires dans le rapport, qui plus est dans la partie sur les « irritants ». Je rappelle cependant qu’une mission d’information du Sénat est en train de travailler sur ce sujet. Évitons donc le dogmatisme sur cette question, et soyons convaincus qu’une meilleure coopération de tous les acteurs auprès des enfants leur permettra de progresser réellement.

Beaucoup de sujets que vous avez abordés trouvent leur solution dans le dialogue, la conduite de ce dernier constituant le postulat des propositions du rapport.

Dans vos questions, vous avez souvent évoqué les « irritants ». Il s’agit d’un terme parlant, qui rejoint les « points de friction » mentionnés par la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. A titre d’illustration, lors de notre déplacement à Gonesse, nous avons été interpellés sur le sujet de la discipline, avec, d’un côté, la volonté de l’équipe éducative d’appliquer les directives consistant à exclure le moins souvent possible les élèves, et, de l’autre, les craintes de certains parents qui s’interrogent sur un certain laisser-aller et un manque d’exigence en matière de discipline. À cette occasion, nous avons bien constaté qu’il est avant tout nécessaire de construire un climat de respect et d’écoute entre tous au sein des établissements. Je le répète : la première des préconisations revient de facto à développer un dialogue de qualité.

Les différentes façons d’aller vers les parents éloignés, et notamment celle qui consiste à se rendre à leur domicile, ont été abordées pour la première fois lors de l’audition de l’Association nationale des conseillers principaux d’éducation (CPE). La première solution consiste cependant à faire venir les parents à l’école. La solution intermédiaire est de faire intervenir des « médiateurs » dans des espaces « neutres ». Je crois en effet beaucoup à la notion de médiation entre l’école et la famille. C’est le rôle, au sein des communes, des « maisons de l’éducation », des maisons de quartier ou des centres sociaux, où chacun, école et parent, fait un pas l’un vers l’autre.

Il reste que lorsque les parents sont trop en colère, ils sont incapables d’ouvrir cette « porte ». Dans ce cas, rencontrer les parents à leur domicile peut être une solution. Les assistants sociaux scolaires, les CPE, voire même des « médiateurs école-parents », qui peuvent être des retraités de l’éducation nationale – dès lors que tous bénéficient, à l’instar des assistants sociaux scolaires, d’une formation – peuvent alors se rendre dans la famille, mais en ayant un discours et une posture adaptés et en évitant tout jugement de valeur. Ce n’est pas la première des solutions, mais il ne faut pas s’interdire cette possibilité.

Les directeurs d’école ont évidemment un rôle d’impulsion et de médiation. Ce rôle rejoint d’ailleurs la question du statut des enseignants : il faut pleinement reconnaître dans leur temps de service l’intervention auprès des parents.

Le dispositif de « la mallette des parents » permet de donner des outils aux enseignants et aux personnels d’éducation afin de créer un climat de confiance et de dialogue avec les parents. À Limeil-Brévannes, où la mallette a été mise en place à la fois au moment de l’expérimentation en éducation prioritaire et dans un établissement considéré comme ayant moins de problèmes, les CPE nous ont dit que cet outil était très utile. La mallette est donc un véritable outil, peu coûteux financièrement, mais qui demande du temps aux enseignants.

L’augmentation de crédits, que j’évoquais, n’est pas liée à la « mallette » : elle porte sur l’aide à la parentalité, dont la Caisse nationale des allocations familiales à la charge. Toutes ces politiques d’aide à la parentalité doivent d’ailleurs être pérennisées, même si leur multiplicité peut sembler constituer un handicap. En réalité, cette diversité permet d’adapter chaque outil à chaque individu. On peut ainsi mettre en place une situation de coéducation entre les acteurs, toujours avec la coopération des parents.

L’outil de formation conçu par ATD-Quart monde est extraordinaire. Il est disponible sur le site du Centre régional de documentation pédagogique (CNRDP) de Rennes et est accessible à tous.

Quant aux outils numériques, ils constituent un progrès et un facteur de rapprochement entre l’école et les familles, mais ils ne peuvent être une fin en soi. Toutes les familles n’ont pas accès à internet et les parents illettrés en sont très éloignés. Il s’agit donc d’un outil supplémentaire, mais qui ne peut être suffisant. Comme le souligne l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, d’autres dispositifs doivent être mis en place.

Nous avons été interpellés par quelques personnes auditionnées au sujet de l’illettrisme. Notre système éducatif est opaque et fait l’objet de réformes très fréquentes. Or, aucune émission de télévision, accessible à tous, ne permet d’expliquer à quoi sert l’école. D’où la préconisation de créer des programmes télévisuels sur les questions éducatives. Il y a la possibilité de diffuser ces programmes sur une chaîne web.

Pour résumer ma pensée : dialoguons dès le début de l’année et formons tous les personnels cette relation pour permettre à tous les enfants de bénéficier des meilleures conditions d’apprentissage.

M. Xavier Breton, président. Je souhaite féliciter la rapporteure pour son travail et remercier les membres de la commission pour la qualité de leurs contributions ce matin. Je rebondis sur l’attente de notre collègue Martine Faure et sur la déception d’Yves Durand concernant l’unanimité des votes. S’il s’agit de sanctionner la qualité du travail et l’ambiance de la mission d’information, le vote est bien entendu favorable.

Toutefois, sur le fond, j’ai entendu les interrogations de M. Frédéric Reiss pour le groupe UMP et de M. Rudy Salles pour le groupe UDI. Ils regrettent tout d’abord de ne pas retrouver un certain nombre de propositions permettant de traiter certains des « irritants » des relations école-parents, notamment les questions de la carte scolaire, des enfants handicapés, de la prévention de la violence et du harcèlement, sur lesquelles il y a sûrement une attente. Ensuite, le concept de coéducation, souvent évoqué, soulève une interrogation. Dans près des trois-quarts des auditions, les représentants n’utilisaient pas ce mot de coéducation. Un vote unanime pourrait faire croire que ce concept est validé, alors qu’il pose un certain nombre de questions. Ceci dit, ces interrogations n’enlèvent rien à la qualité de ce rapport.

M. Patrick Bloche, président. Je pense pouvoir traduire le positionnement des groupes UMP et UDI en disant qu’ils s’abstiennent sur le contenu du rapport d’information, ce qu’ils ont fait hier, lorsque la mission s’est réunie pour adopter le projet de rapport, mais qu’ils sont favorables à la publication du rapport, sur laquelle porte le vote ce matin en commission, et qui devrait pouvoir être unanime.

M. Frédéric Reiss. La publication du rapport ne pose aucun problème au groupe UMP, qui présentera d’ailleurs une contribution afin que celle-ci soit annexée au rapport.

M. Patrick Bloche, président. Je vous remercie pour cette clarification.

La Commission autorise, à l’unanimité, le dépôt du rapport de la mission d’information sur les relations entre l’école et les parents, en vue de sa publication.

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La commission procède ensuite à la présentation, ouverte à la presse, de la note d’étape de la mission d’information sur la gestion des réserves et dépôts des musées (Mme Isabelle Attard, rapporteure, MM. Marcel Rogemont, Michel Herbillon et Michel Piron, corapporteurs).

M. le Président Patrick Bloche. Je vous rappelle que la mission d’information sur la gestion des réserves et dépôts des musées, composée de quatre de nos collègues – Isabelle Attard, Michel Herbillon, Michel Piron et Marcel Rogemont – a démarré ses travaux le 5 novembre dernier et a, depuis, procédé à de nombreuses auditions et visites ; elle a également effectué deux déplacements, à Londres fin 2013 et, tout récemment, à New York et Washington. Quel contraste avec les déplacements effectués dans le cadre de la mission sur les relations entre les parents et l’école dont nous venons d’approuver la publication du rapport !

Madame la rapporteure, je sais que la mission souhaite poursuivre ses travaux jusqu’à la fin de l’année mais il m’a semblé utile que nous puissions faire avec vous et les corapporteurs présents – M. Michel Herbillon n’a pu être présent ce matin et m’a demandé de bien vouloir l’en excuser auprès de l’ensemble des membres de la commission – un point d’étape pour connaître les axes de travail que vous avez dégagés et les problématiques que vous souhaitez désormais privilégier.

Mme Isabelle Attard. Plus de dix ans après la publication de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France – à l’élaboration de laquelle mes collègues corapporteurs Marcel Rogemont et Michel Herbillon, comme d’autres membres de la commission, ont activement participé – la commission des affaires culturelles et de l’éducation a souhaité nous confier une mission d’information chargée de faire un tour d’horizon des différents aspects de la gestion des collections des musées de France, plus précisément leurs réserves et la circulation des œuvres. Nous avons choisi d’adopter un point de vue global et d’aborder les différents aspects de la gestion des collections des musées, de l’entrée des œuvres dans les collections jusqu’à leur exposition au public. La mission a étudié les conditions de conservation des œuvres dans les réserves des musées, les modalités de leur circulation
– notamment au travers de prêts ou de dépôts –, mais aussi les conditions de leur restauration et enfin la question de la recherche de provenance des œuvres qui entrent ou sont entrées dans les collections publiques. Nous avons ainsi abordé, à la suite des travaux de Mme Corinne Bouchoux au Sénat, la question de la présence dans nos collections publiques d’œuvres aux origines douteuses, car spoliées durant la Seconde Guerre mondiale.

À l’issue des huit premiers mois de nos travaux, nous avons souhaité vous présenter un point d’étape. Comme le rappelait le président, nous avons déjà procédé à une quarantaine d’auditions et visité plusieurs réserves de musées que ce soit celles du Louvre, celles Musée national d’art moderne situées dans le nord de Paris ou celles du musée du Quai Branly. Nous nous sommes rendus à Londres où nous avons rencontré les responsables de trois grands musées et visité leurs réserves. Nous nous sommes en effet intéressés non pas aux salles d’exposition mais aux parties cachées des musées, essentielles à la vie de ces établissements. La mission a également rencontré à Londres les responsables de la Commission pour l’art spolié en Europe. À Washington et New York d’où nous revenons, nous avons procédé de même, visitant des réserves de musées et rencontrant également des personnalités extérieures au monde des musées stricto sensu : avocats, responsables de grandes maisons de vente aux enchères, représentants de grandes organisations juives…

Nous avons choisi d’organiser notre réflexion autour de quatre enjeux centraux : connaître les collections publiques, les conserver dans de bonnes conditions, assurer une meilleure sécurisation juridique de leur provenance et, enfin, les faire circuler pour les présenter à un public le plus large.

Le premier sujet sur lequel s’est penchée la mission est celui du récolement général des collections publiques, prévues par la loi de 2002 et qui devait s’achever en juin 2014. Il est clair que de très nombreux musées n’ont pas rempli cette obligation légale, qui consiste à rapprocher les pièces physiquement présentes dans les collections des listes d’inventaires.

Nous avons cherché à comprendre les raisons du retard pris par ces opérations dans une proportion très importante de musées et identifié d’ores et déjà plusieurs explications : le retard pris pour publier les textes d’application ; le retard pris par certains musées pour établir leur propre « plan de récolement décennal » ; les difficultés diverses qui ont pu être rencontrées au cours des campagnes de récolement elles-mêmes, lorsqu’elles ont révélé des lacunes de l’inventaire, notamment ; le manque de moyens humains – c’est l’argument qui revient le plus souvent – mais aussi le manque d’informatisation des données. À toutes ces raisons s’ajoute une certaine sous-estimation de l’ampleur de la tâche à accomplir, voire une réticence de certains conservateurs vis-à-vis d’une tâche chronophage et ingrate, infiniment moins visible que l’organisation d’une exposition temporaire.

Sur ce premier point, nos pistes de réflexion sont les suivantes : nous souhaitons, en premier lieu, procéder à l’analyse fine des résultats du récolement qui nous seront transmis par le ministère de la culture, afin d’identifier avec plus de précision les raisons du retard pris par les opérations et de mettre en avant les méthodes retenues par les musées qui sont parvenus à réaliser leur récolement dans les temps. Nous estimons d’ores et déjà qu’il convient de distinguer le cas des collections des musées d’archéologie, dont le nombre colossal d’objets rend nécessaires des aménagements procéduraux. En outre, il est apparu lors des premières auditions que le ministère n’était pas en capacité aujourd’hui de faire le point exact sur le nombre de musées de France qui ne sont plus en activité ; nous estimons que des marges de progrès substantiels existent, d’autant que le bilan des opérations de récolement devrait fournir l’occasion de disposer d’un tableau de bord fiable de l’état des musées de France sur tout le territoire. Nous allons enfin nous pencher sur les opérations dites de « post-récolement » qui permettent des recherches complémentaires sur certaines œuvres (restaurations antérieures, changements de localisation, recherche de provenance) mais aussi la recherche pure et simple des œuvres manquantes, voire le dépôt de plainte pour vol.

S’agissant de notre deuxième sujet, celui des conditions de conservation des œuvres dans les réserves des musées, je veux dire de manière liminaire qu’un musée ne se limite pas à ses salles d’expositions ouvertes au public et que, pour bien fonctionner, il doit disposer de réserves, à la fois lieux de stockage des œuvres qui ne peuvent être exposées mais aussi lieux d’étude et, plus largement, de gestion des collections conservées par le musée.

Nous nous sommes intéressés aux « coulisses » des musées, à ces zones fonctionnelles de traitement des collections que ne voit pas le public mais qui ne doivent pour autant pas être négligées. Or, nous avons constaté que peu de musées datant de plus de dix ans ont engagé une réflexion approfondie sur les moyens de renforcer l’efficacité de la gestion de leurs réserves.

La fonction première des réserves est de contenir les œuvres conservées par le musée qui ne peuvent pas être exposées dans les salles ouvertes au public, que ce soit parce que ces œuvres ne peuvent, pour des raisons de conservation, être durablement exposées au public (c’est le cas des textiles, des photographies ou des dessins, notamment) ou parce qu’elles ne sont pas en état d’être exposées et nécessitent une restauration, ou bien encore parce que leur exposition n’aurait que peu de sens pour le grand public (ce qui est le cas des séries d’objets dans les collections de comparaison des muséums d’histoire naturelle, par exemple) ou bien enfin parce qu’elles ne correspondent pas au goût de l’époque. Les réserves permettent en effet d’adapter les collections exposées au goût du public, rendant ainsi possible l’exposition d’œuvres qui redeviendraient à la mode.

À l’issue de ses premiers mois de travaux, la mission d’information a identifié trois séries de difficultés principales auxquelles sont confrontés les musées dans la gestion de leurs réserves. Nombre de musées sont en premier lieu confrontés à une inadaptation de la surface de réserves disponibles pour accueillir leurs collections et exercer les missions qui leur sont confiées. Un certain nombre de réserves pâtissent en outre de conditions de sécurité insatisfaisantes, voire potentiellement dangereuses pour les collections. C’est le cas des musées situés sur les bords de Seine à Paris et menacés par le risque de crue centennale. Enfin, certains musées qui louent des locaux à des propriétaires privés se trouvent confrontés à une insécurité de nature juridique, liée à l’incertitude du renouvellement du bail ; c’est notamment le cas des réserves décentralisées du Musée national d’art moderne, dont le bail prendra fin en 2020.

Sur ce deuxième sujet, nos pistes de réflexion sont les suivantes : la mission va poursuivre ses travaux afin d’analyser plus précisément les exemples de « réserves modèles » et d’identifier les lignes directrices qui pourraient être celles d’une gestion rénovée des réserves. Nous allons étudier les conséquences de l’abandon du projet d’un Centre de conservation, de recherche et de restauration des musées de France à Cergy-Pontoise et sur la recherche d’autres solutions durables pour les réserves des musées parisiens concernés. Plus largement nous allons approfondir nos réflexions sur la mutualisation des réserves, qui n’est pas toujours la solution la plus pertinente, comme cela nous a été dit aux États-Unis ou à Londres. Nous allons enfin élargir notre réflexion à celle du statut des œuvres qui sont déposées en réserves : si les réserves ont vocation à accueillir des œuvres en attente d’exposition, doivent-elles demeurer des lieux de stockage d’œuvres qui ne seront sans doute jamais montrées au public ?

Notre troisième axe d’étude est un sujet qui porte davantage à polémique : il s’agit de la sécurisation juridique des collections et des recherches de provenance des œuvres à l’origine douteuse.

S’interroger sur la gestion des collections publiques conduit en effet inéluctablement à étudier la question de la provenance des œuvres entrées dans les collections après avoir changé de propriétaires.

Les musées sont régulièrement confrontés à des contestations de la propriété publique de telle ou telle œuvre qui n’aurait pas dû entrer dans les collections publiques car volée à son légitime propriétaire, ce qui est, notamment, le cas des œuvres spoliées sous l’Occupation en France.

Sur les 60 000 œuvres retrouvées en Allemagne ou en Suisse à la fin de la Seconde Guerre mondiale et envoyées en France en raison d’indices laissant penser qu’elles en provenaient, plus de 45 000 ont été restituées à leur légitime propriétaire dans l’immédiat après-guerre. Les œuvres restantes ont été réparties en deux catégories : 2 000 d’entre elles ont été sélectionnées par une « commission des choix », présidée par le directeur général des arts et lettres de l’époque, pour être exposées au musée de Compiègne entre 1950 et 1954 avant d’être placées sous la garde des musées : ce sont les « Musées nationaux récupération » ou « MNR » – acronyme indigeste, certes, mais qu’il convient de connaître. Les quelque 13 500 autres ont été vendues par le service des Domaines.

Ce qu’il est important de savoir, c’est que les œuvres dites « MNR » ont un statut particulier, fixé par un décret du 30 septembre 1949 : elles sont exposées dans les musées mais inscrites sur un inventaire distinct car elles ne font pas partie des collections des musées, l’État n’en étant que le détenteur provisoire dans l’attente d’une restitution éventuelle.

Comme cela a été souvent rappelé lors des auditions, une fois le premier travail de restitution effectué dans l’immédiat après-guerre, nombreux ont été les acteurs du monde muséal à considérer que le sujet était clos. D’ailleurs peu de restitutions ont eu lieu depuis les années 1950 : si entre 1951 et 1955, vingt-cinq MNR qui ont été restitués, il n’y eut que quatre restitutions entre 1957 et 1979 et aucune entre 1979 et 1994. Comme l’écrit Mme Corinne Bouchoux dans sa thèse consacrée sur le sujet, « l’administration et ses fonctionnaires vont en quelque sorte hériter d’une situation quelque peu floue qui deviendra une sorte de secret de famille dans le monde des musées, de l’art, de la culture ».

Le sujet est revenu sur le devant de la scène dans les années 1990, sous l’impulsion du président Jacques Chirac, qui a confié en 1997 à une commission présidée par M. Jean Mattéoli une mission d’étude sur la spoliation des Juifs en France, dont un des sept rapports sectoriels porte sur le pillage de l’art en France pendant l’Occupation. Grâce à cette démarche que l’on peut qualifier de proactive, ce sont pas moins de trente-trois MNR qui ont été restitués entre 1996 et 2000. Depuis lors, le rythme des restitutions a marqué un net ralentissement, le sujet retombant quasiment aux oubliettes.

Au total, ce sont donc 102 œuvres MNR qui ont été restituées depuis 1951, ce qui semble bien peu si on rapporte ce chiffre aux quelque 2 000 œuvres classées MNR après-guerre. Si nous mesurons la difficulté qu’il peut y avoir aujourd’hui, près de 70 ans après la Libération, à restituer ces œuvres à leur légitime propriétaire, il n’en demeure pas moins que notre pays, qui ne sera jamais propriétaire de ces œuvres, a le devoir moral de continuer à rechercher les ayants droit.

Dans ce contexte, nous saluons la politique volontariste engagée par la ministre Aurélie Filippetti et la mise en place en 2013 d’un « groupe de travail », placé auprès de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), chargé d’adopter une démarche proactive de recherche des ayants droit des MNR réputés spoliés avec un niveau élevé de certitude. On peut en attendre un fort accroissement du nombre de restitutions, même s’il faut se rendre à l’évidence : tout ne pourra pas être restitué. Il faut en tout cas tout mettre en œuvre pour tourner cette page sombre de notre histoire.

Au-delà du cas des MNR, nous avons souhaité étudier la question du cas potentiel d’œuvres entrées légalement dans les collections publiques alors qu’elles auraient une origine spoliatrice. Compte tenu de l’histoire des spoliations, rien n’interdit de penser qu’il y ait aujourd’hui, dans les collections publiques, des œuvres qui, bien qu’entrées légalement dans les collections publiques et même vendues ou léguées par des propriétaires de bonne foi, sont d’origine spoliatrice. Nous avons donc eu deux séries d’interrogations : les procédures d’acquisition des œuvres sont-elles suffisamment encadrées pour garantir qu’aucune œuvre au passé douteux ne puisse entrer aujourd’hui dans les collections de nos musées ? Comment nos musées pourraient-ils améliorer leurs recherches sur la provenance des œuvres figurant dans leurs collections ?

Sur ce troisième sujet, la mission va poursuivre ses travaux afin d’affiner les préconisations qu’elle entend formuler au sujet des œuvres MNR. Nous souhaitons que s’engage un effort général de transparence avec un plus large accès aux archives aux fins d’identification des ayants droit potentiels, une modernisation du site internet Rose-Valland, qui n’est pas régulièrement mis à jour, et une identification plus claire des œuvres MNR dans les salles des musées afin de mieux les distinguer des œuvres des collections. La mission veut aussi mettre en lumière les pratiques de certains musées exemplaires en la matière, comme celui d’Angers. Elle veut enfin réfléchir à la définition d’un statut pour les œuvres MNR qui n’auront pu être restituées une fois passé un certain délai et qui auraient vocation à rejoindre les collections publiques. Faut-il prévoir une sorte de musée virtuel qui regrouperait toutes les œuvres ou même un lieu qui les exposerait toutes ?

La mission va en outre formuler des préconisations pour que se diffuse plus largement dans nos musées une culture de la recherche systématique de la provenance des œuvres des collections publiques ayant changé de mains entre 1933 et 1945. Elle va aussi s’intéresser à la formation des conservateurs : la formation dispensée à l’Institut national du patrimoine sur les questions de recherche de provenance doit en effet être renforcée. Nous allons, enfin, nous intéresser aux pratiques des maisons de ventes volontaires en France ; nous avons rencontré à New York le responsable des recherches de provenance de chez Sotheby’s et nous souhaitons interroger les maisons françaises sur leurs politiques de recherche de provenance des œuvres qu’elles mettent en vente.

J’aborde enfin le dernier sujet étudié par la mission : la circulation des œuvres. Prêts et dépôts d’œuvres, qui sont une tradition déjà ancienne de nos musées, présentent l’intérêt d’assurer une diffusion des collections à un public plus large, mais aussi un meilleur équilibre territorial dans la répartition des collections publiques. Les prêts sont accordés pour quelques mois à une institution française ou étrangère pour permettre la réalisation d’une exposition temporaire, tandis que les dépôts sont consentis pour une durée de cinq ans – renouvelables – afin de renforcer la présentation des collections permanentes au sein de musées de France ou de monuments historiques ouverts au public.

Or, il apparaît qu’il existe d’importantes marges pour de nouveaux dépôts des musées nationaux au profit des autres musées de France. Nous avons donc cherché à identifier les freins à la circulation des œuvres. Le premier d’entre eux résulte de la trop mauvaise connaissance de l’état des lieux ; le second a trait aux procédures, qui font des décisions de mise en dépôt des actions inconditionnées et perpétuelles, au détriment d’une politique cohérente avec le projet culturel de chaque musée.

Nous plaidons donc pour une plus grande circulation des œuvres qui favorise un meilleur accès de tous à la culture et un enrichissement du patrimoine muséal ne reposant pas uniquement sur les crédits d’acquisition qui, on le sait, diminuent chaque année. Nous allons prolonger nos travaux afin, en premier lieu, de poursuivre les investigations sur les freins à la circulation des œuvres, en s’intéressant notamment aux régimes d’assurance. En second lieu, nous souhaitons définir les axes d’une réelle politique des dépôts, cohérente et équilibrée, permettant d’une part d’assurer une meilleure égalité des territoires – entre Paris et la province, mais aussi entre les métropoles régionales et les collectivités plus petites – et, d’autre part, de mettre davantage en cohérence les fonds des musées dépositaires avec leur projet scientifique et culturel. Les dépôts ont longtemps servi à désengorger des réserves des musées déposants ; ce ne doit plus être le cas et il convient au contraire de davantage les valoriser dans un projet d’étude et de conservation cohérent.

Voici les constats partagés par les rapporteurs – du moins je le crois ! – ainsi que les principales pistes de réflexion qui vont guider la suite de nos travaux. L’intégralité de nos préconisations vous sera présentée à la fin de l’année. Je tiens à souligner l’ambiance studieuse et amicale dans laquelle nous avons travaillé tous les quatre sur ce sujet passionnant des « coulisses » de nos musées, indispensables à leur bon fonctionnement.

M. le Président Patrick Bloche. Je vous remercie de cette présentation très complète du travail au long cours que vous avez entrepris et me réjouis que la mission ait aussi bien avancé dans sa collecte d’informations, ce qui lui a permis de dégager des axes de réflexion clairs et tout à fait passionnants. Nous avons donc rendez-vous en décembre pour la présentation du rapport final.

Je donne maintenant la parole aux deux corapporteurs présents.

Marcel Rogemont, corapporteur. Je souhaite souligner les qualités de Mme la rapporteure, qui apporte à la mission son expérience professionnelle sur les questions qui nous intéressent. Sans revenir sur l’ensemble des points déjà traités, je voudrais faire trois observations. La première pour rappeler qu’il y a un intérêt à revisiter la loi musée du 4 janvier 2002 à la rédaction de laquelle nombre de députés ici présents ont participé. La deuxième concerne les avancées en matière de gestion de nos musées, qu’ils soient nationaux ou territoriaux. La troisième porte sur les collections et les restitutions.

Revisiter la « loi musées » fait partie de notre travail parlementaire. C’est ainsi que nous exerçons notre contrôle sur le Gouvernement ou les gouvernements successifs et, au-delà, sur la façon dont les administrations prennent possession des lois que nous adoptons. Même si la mission ne s’est pas donnée essentiellement comme objectif de regarder l’application de la « loi musées », il est clair qu’elle en permet une évaluation, au moins partielle. L’appellation « musée de France » est entrée pleinement dans le champ muséal. Elle couvre, fin 2012, 1 218 musées, dont 84 % sont des musées territoriaux, 13 % sont liés à des personnes morales et 5 % à l’État. Cette appellation permet aujourd’hui de jongler aisément avec les notions d’imprescriptibilité, d’insaisissabilité et d’inaliénabilité. Par ailleurs, nous constatons aujourd’hui que le nombre de musées nationaux ayant acquis la personnalité juridique devient significatif : Orsay, Versailles, Pompidou, Guimet, Picasso, Fontainebleau ont rejoint Le Louvre en devenant des établissements publics à vocation administrative. Nous aurons à cœur, bien sûr, d’en dresser la liste complète.

Sur les avancées en matière de gestion, il est clair que le label « musée de France » a permis l’application de principes communs, notamment scientifiques, à tous les musées. C’est un résultat encourageant à mettre au crédit de cette loi. Le récolement décennal dont Isabelle Attard a parlé, est en cours. Il devait être réalisé pour le 12 juin 2014. Ses résultats ne sont pas si mauvais que cela, dès lors que nous prenons en compte la diversité des musées et la date de parution de la circulaire d’application, en 2006 seulement. Le bilan de ce récolement n’est pas si mauvais car il donne lieu à une vraie prise de conscience. On constate que le nombre de plans de récolement est significatif. Dans la suite de nos travaux, nous le préciserons et donnerons leur état. Cela nous permettra d’avoir une connaissance réelle de nos richesses et de faciliter leur circulation.

Ma troisième observation concerne les collections, leur circulation et leur conservation. Nous aurons intérêt à creuser davantage la notion de dépôt pour la clarifier. La situation des dépôts qui ont été réalisés auprès des musées territoriaux au fil du temps doit être redéfinie. Le rapport d’étape signale qu’il y a des marges nettes de progression ; il conviendra d’être plus précis et de faire des propositions. Concernant les restitutions, je ne reprendrais pas les propos d’Isabelle Attard. Je voudrais simplement reprendre l’adage populaire selon lequel « quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console ». Notre déplacement à New York et notre rencontre avec un service compétent en la matière montre que, dès lors qu’une question est posée à la France, une solution est vite trouvée. Pourquoi alors ne pas être plus proactif comme le suggère Mme la rapporteure ? Incontestablement, nous avons intérêt à remettre ce sujet sur l’établi. Pour de nombreux conservateurs, cette question est désormais derrière eux. Si tel est le cas, alors n’ayons pas peur d’une plus grande transparence. Peut-on renforcer la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) ? Peut-on, comme la rapporteure le demande, rendre plus accessible le site Rose-Valland ? Et pourquoi ne pas trouver une autre dénomination pour les œuvres « Musées Nationaux Récupération » ? La restitution des œuvres est un devoir envers les familles spoliées pendant la dernière guerre, mais aussi envers notre pays tout entier.

Cependant, derrière le terme de « restitution » des œuvres, se cachent des arrière-pensées. La notion même de musée est interrogée. La Vénus Hottentote ou les têtes Maories montrent que derrière la question de la restitution, la question de l’inaliénabilité des œuvres est posée. Qui n’est pas ému en constatant qu’au moment où des travaux importants sont réalisés pour la restauration du Parthénon, ses frises sont conservées à Londres ? Je serais tenté de dire qu’une réflexion et des précisions sont nécessaires pour éviter la tentation de l’ethnocentrisme. Le musée que l’on nomme communément « Musée du Quai Branly » s’appelle en réalité « Musée des cultures d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des deux Amériques ». Où est l’Europe ? Au centre, laissant entendre que les autres cultures seraient secondaires par rapport à celle de l’Europe ? Il y a là, je le vois bien, matière à réfléchir sur la notion de musée, sur notre rapport à la culture, à la conservation et… à la restitution.

Pour conclure le travail qui avance correctement sous l’autorité de Mme la rapporteure, nous pourrons prochainement vous apporter encore plus de matière afin de préciser les préconisations que pourrait retenir notre commission.

M. Michel Piron, corapporteur. Je remercie le Président de notre commission de nous avoir confié cette mission et mes deux collègues de la majorité qui m’ont très bien traité ! Je témoigne de l’ambiance agréable dans laquelle nous avons travaillé. Je m’en tiendrai à quelques observations complémentaires. À propos de la gestion des réserves, on a évoqué des modes qui passent. Le principe d’inaliénabilité fait ressurgir des œuvres qui, sans lui, auraient été occultées ou oubliées pendant quelques décennies. Nous avons une gestion moins active des collections que les Anglo-saxons qui se sont exonérés de ce principe. Ils échangent et commercent.

Je ne reviens pas sur tout ce qui a été dit et que je partage totalement, y compris sur la question du récolement. J’ai eu le sentiment, à Londres, d’un choc des cultures et des méthodologies en voyant à quels types de récolements procédaient les Anglais. Nous avons, nous Français, un goût de l’exhaustivité a priori qui rend la tâche impossible. Cela a été parfaitement dit par notre rapporteure s’agissant des millions de pièces de certaines collections qui ne peuvent être inventoriées aussi aisément que des tableaux. Ce goût de l’exhaustivité a probablement donné quelques missions impossibles à certains musées alors que c’était possible dans d’autres. Il y a à établir des distinctions – voire des hiérarchies – dans le temps ou dans l’espace.

S’agissant du sujet très douloureux des œuvres que l’on estime spoliées, il y a en réalité énormément de doutes. Beaucoup a été fait, cela a été rappelé. 45 000 œuvres restituées, ce n’est pas rien. Nous sommes aujourd’hui, la plupart du temps, dans des « zones grises », dans lesquelles on ne sait pas si l’œuvre a été spoliée ou non. On sait par qui l’œuvre a été peinte, éventuellement par qui elle a été achetée et puis il y a un blanc dans son histoire pendant une dizaine d’années, entre 1933 et 1945. Que fait-on quand on ne sait pas ? Est-ce qu’on l’affiche de manière explicite, comme cela se fait aux États-Unis, ou est-ce qu’on ne l’affiche pas ? L’affichage de la non-connaissance manque dans notre pays : quand on retrace l’histoire d’une œuvre, pourquoi ne pas mettre de manière très explicite des points de suspension, notamment sous les photographies en haute définition qui figurent sur les sites Internet ? Cela pourrait déclencher, chez des ayants droit de la génération actuelle, un souvenir ou l’envie de chercher. On a des progrès à faire en matière de ce que l’on appelle, en philosophie, la connaissance apophatique, c’est-à-dire afficher le fait qu’on sait que l’on ne sait pas.

Enfin, je suis sensible au fait qu’à l’heure de la mondialisation, les échanges ne concernent pas seulement les prêts et les dépôts, mais aussi les réseaux qui se constituent avec les musées des pays émergents. Ces échanges soulèvent la question complexe des droits nationaux et internationaux. Ce n’est pas systématiquement le même droit qui s’applique dans les pays avec lesquels nous sommes susceptibles d’échanger. La possibilité de ces échanges est une question de droit international intéressante à soulever, sur laquelle pèse aussi le droit à la restitution. Jusqu’où s’exerce-t-il ? Il ne fait aucun doute qu’il s’exerce sur les œuvres spoliées de la période récente. En revanche, l’appliquer à un passé lointain interroge le concept même de musée, puisque tout espace muséal est par définition un espace meublé à la suite d’un « rapt », puisque les objets qui sont là ne sont pas dans leur lieu d’origine. N’allons tout de même pas jusqu’à poser la question existentielle du musée à travers un droit à restitution qui pourrait devenir un peu fantasmatique.

M. Patrick Bloche, président. Merci, mon cher collègue, pour cette contribution utile. Trois groupes se sont exprimés à travers nos trois corapporteurs. En excusant à nouveau M. Michel Herbillon, je donne la parole à Mme Dominique Nachury qui s’exprimera, comme elle le souhaite, en son nom personnel ou bien au nom de son groupe.

Mme Dominique Nachury. Je m’exprimerai au nom du groupe UMP. Tout d’abord je souhaite remercier Mme Isabelle Attard et les corapporteurs pour le travail qu’ils fournissent dans le cadre de cette mission resserrée. J’évoquerai trois points. Premier point, la loi musée prévoit un récolement décennal. Vous estimez que cette obligation ne sera pas tenue. Quelles sont les conséquences directes de cette insuffisance pour les musées concernés et comment y remédier ? Que pensez-vous des propositions du rapport Seban en matière d’inventaire ? Il propose, pour assurer plus de cohérence des fonds, un redéploiement des œuvres et le renforcement de la commission du récolement en un haut conseil des dépôts d’œuvres d’art.

Deuxième point, votre note d’étape souligne l’exiguïté des réserves. Peut-on envisager des réserves externalisées ou visitables ? Le plan de conception des musées récents intègre la gestion de ces réserves. Le problème se pose pour les musées dits anciens. Comment lutter contre les risques qui pèsent sur leurs collections ? On sait que plusieurs musées, dont Orsay, le Quai Branly ou Le Louvre manquent de place. Ils entreposent une partie de leurs collections dans d’autres musées ou dans un entrepôt parisien. Le manque de rationalisation de cette configuration, les allers et retours qu’elle implique ont un coût. Avez-vous une idée de ce coût ? Quelle autre solution allierait moindre coût et sécurité ? Vous ne semblez pas avoir évoqué la sauvegarde de ces réserves face aux risques naturels, notamment d’inondation. Pensez-vous que des dispositions ont été prises à leur égard ?

Troisième point, vous reconnaissez dans votre note d’étape que le principe d’inaliénabilité des œuvres est parfois indirectement mis à mal. Que répondez-vous à certains rapports que l’on pourrait qualifier de provocateurs ? Je pense à celui de l’Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP), qui préconise de revenir sur ce principe pour permettre la vente des collections publiques inutilisées ou conservées dans des conditions insatisfaisantes. Certains acteurs considèrent que cela permettrait une gestion plus dynamique des collections dans le cadre d’une charte de bonnes pratiques, telles qu’en usage dans d’autres pays.

M. Christophe Premat. Merci pour cette note d’étape passionnante. J’avais eu l’occasion d’assister à une de vos auditions et je retrouve les questions posées à l’époque. Vous faites un lien dynamique entre le dépôt, la réserve et la circulation des œuvres. Vous évoquez une baisse de 16 % de leur circulation à l’étranger entre 2009 et 2011 et vous avancez des pistes d’explications. Vous évoquez une gestion décentralisée dynamique des œuvres en réserve ou leur usage dans des expositions thématiques à l’étranger qui sont très prisées et très utiles pour l’image de notre pays qui est identifié à la culture, pour le dire vite. Est-ce que cela pourrait contribuer à les mettre davantage en circulation ?

J’ai assisté, il y a quelques années, à l’Institut nordique des études africaines d’Uppsala, à une communication passionnante d’une chercheuse américaine de l’université de Philadelphie sur le trafic des œuvres culturelles, qui est apparemment plus profitable que le trafic de drogues. Ce trafic est la face cachée de la circulation des œuvres. Pour revenir à la logique de la conception muséale, faut-il adopter la position proudhonienne selon laquelle « la propriété, c’est le vol » ? Je pense que la régression à ce niveau est un piège. La chercheuse avait participé à la restitution d’un objet rituel africain du musée de Philadelphie au village kényan. Elle nous avait montré le rituel passionnant de l’accueil de l’œuvre. C’est un sujet compliqué, peut-être à la marge de votre mission, qui susciterait peut-être en soi une autre mission d’information et un autre rapport.

M. Fréderic Reiss. Je souhaiterais connaître vos préconisations s’agissant des petits musées de province, dont la note d’étape souligne – fait inquiétant – que bon nombre ne sont plus en activité, ce qui pose des questions à la fois de moyens, de conservation et de collections.

M. William Dumas. À la lecture de la note d’étape j’ai été surpris de constater que des œuvres d’une telle valeur ne sont pas mieux inventoriées. Je tiens par ailleurs souligner que la circulation des œuvres est rendue difficile par le coût des assurances. Ce point est d’autant plus dommageable que cela empêche l’accès de ces collections à d’autres publics et la démocratisation de la culture.

M. le Président Patrick Bloche. Avant de redonner la parole aux corapporteurs, je salue l’intérêt qu’a suscité cette présentation. Je me souviens des débats que nous avions eus à l’occasion du vote de la loi sur les restitutions de têtes Maories en Nouvelle-Zélande. Deux de nos collègues avaient d’ailleurs participé à un cérémonial d’échange. La détermination du bon point d’équilibre entre la restitution de ces œuvres présentes dans les musées européens ou américains et la nécessité d’échanger, de partager la connaissance de ces cultures est délicate à trouver.

M. Marcel Rogemont. Je partage la dernière remarque du président. Hormis la problématique des œuvres spoliées dans la période récente, qu’à l’évidence il faut distinguer, où doit s’arrêter la restitution ? Le rapport de la mission devra par ailleurs proposer des pistes de réflexion sur les moyens d’améliorer la circulation des œuvres, les prêts et dépôts et de disposer de lignes directrices des musées sur le sujet. Un renouvellement des dépôts effectués au moment de la Révolution française ne pourra se faire sans un récolement préalable.

M. Michel Piron. Il convient d’éviter la confusion entre restitution, qui a du sens si l’œuvre est conservée et exposée, et le « droit à restitution ». S’agissant des têtes Maories et d’autres objets du musée du Quai Branly, je souligne que les conditions de conservation, très élaborées, offertes par ce musée ont permis de les conserver et d’éviter leur disparition. Je ne pense pas que la restitution soit la bonne réponse au fantasme des origines. Notre président a rappelé que la justification essentielle d’un musée est d’être un lieu d’échanges et de connaissance qui ne pourrait avoir lieu autrement.

M. le Président Patrick Bloche. J’ajouterai que les têtes Maories sont d’une nature particulière – des restes humains à caractère sacré – et ne sauraient être comparées aux frises du Parthénon.

M. Michel Piron. Permettez-moi de contester l’argument de la dimension religieuse. Le sacré des uns peut être le profane des autres et le sacré d’hier sera le profane d’aujourd’hui. Je reste donc très prudent et interrogatif sur ces questions.

M. Marcel Rogemont. Je précise que je ne fais pas d’amalgame entre les frises du Parthénon et les têtes Maories. La notion de restitution interroge le principe d’inaliénabilité des œuvres. La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France permet déjà à une personne publique de transférer la propriété de tout ou partie de ses collections à une autre personne publique. La mission devra faire des propositions sur cette possibilité d’échanger des œuvres entre musées.

M. le Président Patrick Bloche. La laïcité est le respect des croyances des autres, quelles que soient les époques…

Mme Isabelle Attard. S’agissant de la question posée par Mme Dominique Nachury sur les réserves visitables, je ne pense pas que cette solution soit toujours souhaitable, exceptée dans un cadre pédagogique comme c’est le cas au musée du Quai Branly. Plutôt que de les rendre visitables par un large public, il convient de réfléchir à la manière de les rendre accessibles et disponibles aux chercheurs et aux étudiants. Au-delà, la question de l’organisation et du classement des réserves rejoint aussi celle de l’évacuation des œuvres en cas de risque naturel. Les plans « Éta. Ré ». (Établissements répertoriés) prévoient une procédure mais le travail des pompiers est grandement facilité si les réserves sont bien organisées d’un point de vue logistique.

L’inaliénabilité des œuvres est importante car les goûts changent. Beaucoup de musées français possèdent des œuvres françaises des XVIIIe et XIXe siècles, qui sont très prisées des Japonais et que nous pouvons leur prêter dans le cadre d’expositions temporaires. Il est heureux que nous ne les ayons pas vendues ! Néanmoins, si les collections publiques doivent être conservées en l’état, elles doivent être également mises en valeur. L’organisation d’expositions temporaires est difficile en raison des coûts – au minimum 150 000 euros pour la moindre exposition organisée en province ; même si le prêt des œuvres entre musées reste gratuit, il subsiste d’autres dépenses d’assurance, de transports ou de confection du catalogue, notamment.

Certains musées sont, en effet, tombés en désuétude et manquent de personnel. Le service des musées de France en est conscient mais n’est pas en mesure d’apporter l’aide nécessaire. Se pose donc la question de répartir les collections de ces musées dans d’autres établissements.

Je souligne enfin que la mutualisation des réserves, qui est une question au centre de nos réflexions, est une opération délicate sur le plan humain car si l’on externalise les réserves, il importe que le conservateur et ses équipes gardent le sentiment de leur utilité et ne se sentent pas relégués sur un site secondaire en tant que simples gardiens d’entrepôts...

M. Marcel Rogemont. En la matière, nécessité fait loi. Le problème de l’externalisation ne se pose que dans les musées qui manquent de place dans leur bâtiment principal.

M. le Président Patrick Bloche. Quand on pense que l’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas été en mesure de mutualiser la conservation de leurs archives dans le cadre de la prévention du risque de crue… Il me reste à remercier nos corapporteurs.

La séance est levée à douze heures trente-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 9 juillet 2014 à 9 heures 30

Présents. - M. Jean-Pierre Allossery, Mme Isabelle Attard, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, Mme Dominique Chauvel, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Yves Daniel, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Claude Greff, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Barbara Pompili, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Ary Chalus, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Sonia Lagarde, M. François de Mazières, Mme Julie Sommaruga, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal, M. Jean Jacques Vlody

Assistait également à la réunion. - M. Michel Piron