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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 28 octobre 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Projet de loi de finances pour 2016 (n° 3096) (seconde partie) :

• Présentation des rapports pour avis sur les crédits de la mission Culture :

- Création ; transmission des savoirs et démocratisation de la culture (Mme Marie-Odile Bouillé, rapporteure pour avis)

- Patrimoines (M. Michel Piron, rapporteur pour avis)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 28 octobre 2015

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq

(Présidence de M. Patrick Bloche, président)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’examen des rapports pour avis de Mme Marie-Odile Bouillé (Création ; transmission des savoirs et démocratisation de la culture), et de M. Michel Piron (Patrimoines) sur les crédits pour 2016 de la mission Culture.

M. le président Patrick Bloche. Nous en terminons cet après-midi avec la présentation des rapports pour avis de notre commission sur le projet de loi de finances pour 2016.

Lundi prochain, Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, s’exprimera sur les crédits pour 2016 de la mission « Culture » en commission élargie. Aujourd’hui, Mme Marie-Odile Bouillé nous présente son avis sur les programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », et M. Michel Piron, le sien, sur le programme « Patrimoines ».

Mme Marie-Odile Bouillé, rapporteure pour avis sur les crédits des programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». La décentralisation culturelle, l’accès de tous à la culture, qui semblait hier une utopie du XXsiècle, est-elle aujourd’hui en voie de se réaliser ?

Notre pays s’est doté depuis le début des années soixante d’un maillage important du territoire par de nombreuses institutions culturelles, porté par une politique publique volontariste, associant l’État, représenté par le ministère de la culture et de la communication, les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), et les collectivités territoriales. Au moment où s’engage un nouveau tournant de la décentralisation, il m’a semblé utile et nécessaire de faire le point sur ces structures culturelles décentralisées, qu’elles bénéficient d’un label ou qu’elles soient intégrées à un réseau national. Mon étude portera principalement sur l’organisation la plus généraliste, la plus développée et la mieux implantée sur tout le territoire : les scènes nationales.

La politique de création culturelle déconcentrée repose aujourd’hui sur dix labels et réseaux nationaux qui en sont les principaux acteurs. Leur présentation dans la circulaire du 31 août 2010 du ministre de la culture et de la communication sur la mise en œuvre de la politique partenariale de l’État rappelle que l’histoire de la labellisation s’est développée parallèlement à la décentralisation théâtrale et culturelle qui a accompagné la création, puis le renforcement du ministère de la culture. Le paradoxe n’est qu’apparent : en effet, la défense et l’épanouissement d’une véritable création, répartie équitablement sur l’ensemble du territoire, en étroite interaction avec les collectivités territoriales qui en accueillent les productions, supposent une volonté gouvernementale forte et structurée.

Si les trois réseaux labellisés regroupent un ensemble d’institutions, parmi lesquelles on compte les opéras en région et les orchestres permanents, aux missions artistiques homogènes, organisées pour échanger leurs pratiques, voire développer des outils mutualisés, les sept labels sont attribués, à leur demande souvent appuyée par une collectivité territoriale, à des institutions présentant des créations multiples, du théâtre aux musiques actuelles, de la danse au cirque ou aux spectacles de rue. Elles doivent respecter un cahier des charges spécifique à chacune d’entre elles.

Ces dix structures labellisées bénéficient de près de 30 % de la dépense totale de l’action « Soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant » du programme « Création » de la mission « Culture », soit près de 193 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2016.

Chaque structure à laquelle un label est conféré doit remplir un certain nombre d’obligations satisfaisant aux critères de la politique publique d’aide à la création mise en œuvre au niveau national. Ces obligations varient mais s’appuient sur un socle d’engagements communs autour de trois des missions principales figurant dans leur cahier des charges, sur lesquelles je reviendrai s’agissant des scènes nationales.

Le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, que nous venons d’examiner en première lecture, a sécurisé et simplifié le dispositif juridique des labels en introduisant, dans son article 3, une procédure de label unifiée pour les structures. Le cahier des missions et des charges des structures labellisées ou constituées en réseau sera donc réécrit sur cette base nouvelle. Ce nouveau dispositif devrait avoir le double effet de mieux faire respecter les prescriptions attachées au label ainsi que la procédure d’agrément des dirigeants. Il incitera aussi à un engagement plus prudent. Les demandes de labellisation supplémentaires devraient être fondées sur une étude plus serrée de la capacité des structures candidates à répondre à leur cahier des charges.

J’en viens aux scènes nationales qui reflètent brillamment la longue histoire du développement de la création culturelle en région. Par leurs seules structures et leurs productions, elles résument assez bien l’ensemble des missions dévolues aux autres institutions labellisées. Leur vocation généraliste, embrassant tous les domaines de la création, leur implantation, leur capacité d’accueil et leur créativité leur confèrent véritablement un caractère unique dans le paysage culturel non seulement national mais aussi international. Il s’agit, dirions-nous, d’une « exception culturelle » de plus.

Le label « Scène nationale » n’a vu le jour qu’en 1991, mais son histoire, beaucoup plus ancienne, s’inscrit dans la volonté des pouvoirs publics, prolongeant les initiatives pionnières de grands noms du théâtre, comme Firmin Gémier ou Jean Vilar, de diffuser une création contemporaine de qualité sur l’ensemble du territoire. Développée dès l’après-guerre, cette politique de rayonnement culturel fut portée par la forte impulsion donnée par André Malraux au cours des années 1960.

La labellisation a réuni sous une même dénomination les maisons de la culture, les centres d’action culturelle et les centres de développement culturel, chacun apportant ses propres traditions. De la même façon, l’État conserve les siennes : sa participation à leur financement continue, aujourd’hui encore, de suivre un gradient décroissant, des ex-maisons de la culture aux ex-centres de développement culturel, malgré près de vingt-cinq ans de destin partagé.

Les scènes nationales, aujourd’hui au nombre de soixante et onze, sont réparties sur l’ensemble des régions métropolitaines ainsi qu’en Guadeloupe et en Martinique. Leur statut est associatif pour cinquante-sept d’entre elles, dix ayant celui d’établissement public de coopération culturelle (EPCC).

La majorité d’entre elles se trouvent dans des villes moyennes, au cœur d’agglomérations de 50 000 à 200 000 habitants, où elles sont encore très souvent les seuls équipements à proposer une programmation permanente, pluridisciplinaire et exigeante. Elles jouent donc, à ce titre, un rôle essentiel en présentant des œuvres et des artistes qu’elles peuvent produire ou coproduire et dont elles soutiennent activement la diffusion dans les réseaux du spectacle vivant, tant en France qu’au niveau européen et international.

Lieux accessibles et de proximité de l’art, elles ont rassemblé, lors de la saison 2013-2014, plus de 3 millions de spectateurs, dont 2,8 millions pour le spectacle vivant, au cours de 9 200 représentations de 3 950 spectacles montrant 70 disciplines ou thématiques de configurations différentes, du spectacle en salle au cabinet de curiosités.

L’ensemble des scènes nationales emploient environ 1 880 personnes dans des métiers très divers, correspondant à la diversité des fonctions et des productions. On compte donc en moyenne vingt-six salariés permanents par scène. Elles génèrent par ailleurs un volume important de salariat sous contrat à durée déterminée, représentant l’équivalent de quatre cent quatre-vingts emplois à temps plein pour les artistes ou techniciens sous statut d’intermittent du spectacle, ainsi que de nombreux emplois indirects.

Si, pour la période 2013-2014, les financements publics se sont globalement maintenus, des annonces de baisse de subventions des collectivités territoriales se sont multipliées depuis un an. Elles s’appliquent parfois fortement, comme à Chambéry. Tous les responsables auditionnés ont souligné que les financements pluriels des scènes nationales étaient structurellement fragiles s’ils n’étaient pas accompagnés d’un engagement politique fort, seul à même de maintenir un équilibre budgétaire précaire. Les villes, les agglomérations, les départements et les régions ont, pour nombre d’entre eux, répercuté une partie de la baisse des dotations de l’État sur les subventions accordées aux associations et aux structures culturelles. Si des mesures d’économie sont nécessaires, je m’étonne que la culture et la création soient trop souvent les premières concernées.

Or, si un quart des financements des scènes nationales repose sur leurs ressources propres, trois quarts proviennent des financements publics qui sont assurés, en moyenne, à 45 % par les villes, à 32 % par l’État, à 12 % par les départements et à 9 % par les régions. Ces moyennes recouvrent des réalités extrêmement différenciées, liées aux origines de chaque établissement comme à l’histoire particulière de son implantation.

En 2014, le budget global cumulé des scènes nationales était d’environ 238 millions d’euros, et le budget moyen par scène de 3,3 millions d’euros. Il convient aussi de souligner que, si peu de données précises sont disponibles, la quasi-totalité des dépenses d’une scène nationale est réinvestie dans l’économie locale par le biais de ses salariés, mais aussi des entreprises et des services qu’elle sollicite régulièrement. Le projet de loi de finances pour 2016 porte la subvention de l’État aux scènes nationales à 52,65 millions d’euros. La fourchette des financements se situe entre un montant minimal attribué stable à 330 000 euros, et un maximum qui s’élève à 3,278 millions. Il est pourtant prévu, depuis 2010, de porter le plancher de financement à 500 000 euros.

Si la part des financements de l’État n’est, en moyenne, que d’un tiers environ, ces moyens déconcentrés constituent un levier essentiel de l’action publique et ils sont la condition matérielle indispensable de la liberté réelle de programmation de chaque scène nationale. Les inquiétudes qui peuvent légitimement exister en la matière sont prises en compte par l’article 2 du projet de loi de relatif à la liberté de création. Il est important, en contrepartie, et pour garantir cette liberté, de conserver un bon niveau de financement de l’État, qui devrait permettre rapidement aux quinze scènes, pour lesquelles la subvention reste inférieure à 500 000 euros, d’atteindre l’objectif que l’État s’était lui-même fixé en 2010. Les scènes dont le budget est inférieur à 2 millions d’euros pourront alors atteindre ce dernier seuil, montant minimal indispensable pour établir une programmation solide.

Ces financements sont nécessaires pour permettre aux scènes nationales d’assurer un bloc de missions qui s’articulent autour des trois grandes responsabilités qui caractérisent tous les labels et réseaux nationaux : la responsabilité artistique, la responsabilité publique et la responsabilité professionnelle.

La responsabilité artistique s’exprime par la programmation pluridisciplinaire qui doit refléter de manière équilibrée les principaux courants de la production actuelle, en les resituant au besoin par rapport aux grandes œuvres de référence.

La responsabilité publique se traduit par la considération spécifique portée à un territoire et à sa population.

La responsabilité professionnelle prolonge celle des premières maisons de la culture qui « venaient signifier l’utopie d’une proximité, pour chaque Français, avec le plus ambitieux et le plus actuel des arts vivants », comme l’indique le cahier des missions et des charges des scènes nationales de 2010. La carte de répartition de ces équipements généralistes présentée dans mon avis illustre parfaitement la continuité des politiques publiques et l’important maillage culturel du territoire qui a été réalisé.

Au rôle d’exemplarité joué de manière déterminante par les scènes nationales pour l’aménagement culturel du territoire s’est donc progressivement substituée une responsabilité nouvelle d’entraînement, d’animation et de référence pour le vaste paysage de la création et de la diffusion artistiques qui les environne.

Vous le constatez : le cahier des missions et des charges des scènes nationales est riche en éléments qui, pour chacun d’entre eux, suffiraient à définir les activités d’un établissement à part entière. Le responsable d’une scène nationale – on compte aujourd’hui dix-huit directrices, soit 25 % de femmes, et cinquante-trois directeurs pour soixante et onze scènes nationales – est choisi sur la base d’un projet culturel et artistique intégré par la direction au contrat d’objectifs négocié pour une durée de quatre ans avec les partenaires publics. Ce dernier doit être évaluable et donc comporter des objectifs qui le soient. Définis conjointement par les différentes parties, ils portent sur la programmation mais aussi sur les partenariats artistiques, la fréquentation et la connaissance du public, l’impact territorial, l’organisation professionnelle, les outils de travail, ou encore sur l’activité de création ou de résidence, les efforts de diffusion territoriale, nationale et internationale ou le respect des grands équilibres financiers. Le risque, soulevé par tous les responsables auditionnés, est grand que cette accumulation, cet empilement des objectifs et des missions, portés avec constance par les différents partenaires publics, les rendent rapidement soit contradictoires, soit inapplicables, soit les deux, et que toute évaluation devienne quelque peu délicate. Dans de telles conditions, il est probable que l’on ne tienne finalement pas vraiment compte de ces injonctions multiples.

Le désir légitime d’une équipe municipale que le théâtre dont dispose sa scène nationale affiche régulièrement complet n’est pas toujours compatible avec une programmation devant permettre l’expression des approches « plus singulières » que lui fixe, par ailleurs, le cahier des missions et des charges des scènes nationales de 2010. Il conviendrait donc, à cet égard, de s’en tenir à un cadre compatible avec une structure dont les moyens financiers et humains sont à l’échelle du territoire qu’elle anime et restent forcément limités. Les résultats obtenus sur ces missions sont d’ailleurs suffisamment riches pour qu’il soit inutile d’en amplifier excessivement les objectifs.

Ainsi, en matière d’action culturelle comme d’éducation artistique, les scènes nationales s’attellent au défi de favoriser l’égalité des chances, de développer le goût de l’art et de « donner les clés aux plus jeunes pour qu’ils se forgent un esprit critique et se construisent un jugement esthétique », toujours suivant le cahier des missions et des charges des scènes nationales. Elles s’associent également aux enseignements de spécialités et donc à l’enseignement artistique cette fois. De tels résultats en termes de production et de soutien à la création conduisent à souligner la pertinence d’une réflexion rapportée lors d’une audition : « C’est la province qui finance les spectacles à Paris. » Il faudrait y ajouter la banlieue parisienne.

Je voudrais terminer en faisant l’éloge de la diversité que portent les scènes nationales. Mon rapport rend compte des auditions et des rencontres passionnantes que j’ai faites en le préparant. Même s’il m’est difficile, dans le temps dont je dispose, de les présenter maintenant de façon détaillée, j’ai choisi d’évoquer deux axes de réflexion.

L’un porte sur les scènes des villes moyennes relativement éloignées de grands centres de culture, d’agglomérations dotées d’universités ou disposant d’un public accédant à la « culture cultivée ». Elles constituent le territoire idéal de rayonnement, à la fois géographique et humain, d’une scène nationale dont la vocation première est de permettre l’accès de tous aux formes et aux créations artistiques les plus variées.

L’autre concerne le cas particulier de la banlieue parisienne et de la création dans les villes nouvelles proches de Paris, mais aussi dans les départements de la petite couronne et leurs préfectures. Comme les premiers centres dramatiques, les scènes nationales ont été, dès leur implantation, pensées dans ces cadres en devenir, avec l’objectif de leur associer une image artistique assez éloignée de la planification plutôt technocratique qui les avait vues naître. Si les scènes nationales implantées en région ont à dépasser un éloignement géographique des lieux de culture, l’éloignement revêt, près de Paris, de façon plus marquée, un caractère social. Il s’agit de s’adresser à des publics nouveaux, nombreux, mais sur des territoires relativement moins étendus et plus accessibles.

En conclusion je constate, comme le soulignait le président de l’association des scènes nationales, M. Jean-Paul Angot, se faisant le porte-parole de ses camarades, selon la belle expression qu’ils aiment utiliser, que les soixante et onze scènes nationales représentent donc bien soixante et onze projets artistiques, et non une tuyauterie en réseau uniquement chargée de diffuser des productions. La participation de l’État à cette diversité, bien que modeste, est plus que jamais nécessaire, mais elle doit pouvoir compter sur le soutien, dans la durée, des engagements pris par les différents partenaires territoriaux.

M. Michel Piron, rapporteur pour avis sur les crédits du programme « Patrimoines ». Avec plusieurs de nos collègues, j’ai participé, l’an dernier, à une mission d’information de notre commission sur la gestion des réserves et des dépôts des musées de France. Puisque vous m’avez invité à donner un avis sur le budget 2016, je reviens sur ce sujet.

Quelques mots suffiront à résumer l’état des crédits accordés par ce budget aux autres actions du programme « Patrimoines ». Le ministère se réjouit que les crédits augmentent et que les subventions, retranchées aux opérateurs lors des exercices 2013 et 2014, leur soient partiellement restituées. Les autorisations d’engagement sont relevées de 165 millions d’euros et les crédits de paiement de 121 millions d’euros, dont 118 servent à reconstituer la dotation des opérateurs de l’archéologie préventive. Conformément au vœu exprimé par notre collègue Martine Faure, dans le rapport qu’elle a remis en mai dernier à Mme la ministre de la culture à ce sujet, le Gouvernement renonce à financer les dépenses de ces derniers par le produit de la redevance d’archéologie préventive qui leur était affecté.

Cette reconstitution mise à part, les crédits de paiement sont simplement reconduits. En revanche, les autorisations d’engagement augmentent de 48 millions d’euros : 17 millions financeront une réserve d’archives à Pierrefitte, après l’évacuation du bâtiment fissuré de Fontainebleau, et les châteaux de Versailles et Fontainebleau se partageront 19 millions pour leurs travaux. Par ailleurs, 11 millions iront au chantier du Grand Palais. L’état de ce bâtiment, qui relève désormais de la Réunion des musées nationaux (RMN), est préoccupant. Je peux en témoigner pour avoir, à mes risques et périls, arpenté ses toitures la semaine dernière. Sa restauration et la mise aux normes des espaces ouverts au public coûteraient entre 430 et 440 millions d’euros. Sur cette somme, 200 millions d’euros resteraient à trouver.

J’en viens à présent aux musées. Notre rapport d’information de l’an passé a suggéré que les collections nationales pourraient être conservées, entre deux expositions temporaires, dans des centres de réserves éloignés des musées. Ces centres, de haute technologie, seraient compartimentés par matériaux et non plus par disciplines ou collections. Ils pourraient même être visitables.

Le rapport n’a pas exploré une contrepartie de ces centres : les musées sans collections permanentes. Le Louvre-Lens, que j’ai visité en septembre dernier, entre dans cette catégorie. C’est un édifice remarquable que l’on n’entrevoit qu’au détour des corons construits dans l’après-guerre. En déambulant dans sa Galerie du Temps, dont l’accès est gratuit, j’ai eu le sentiment d’un lieu chaleureusement empli par la présence d’œuvres venues du Louvre, qui sont là de passage. Ces œuvres n’auraient probablement pas autant retenu l’attention des touristes dans un palais parisien saturé. Elles deviennent remarquables, isolées dans un décor simple, émouvantes même pour qui les contemple.

Ce Louvre-Lens qui les expose au public est un beau « musée », bien qu’il ne dispose pas de collection permanente. Cette situation pose une véritable question juridique. Le statut d’établissement public de coopération culturelle pourrait même rapprocher le Louvre-Lens du spectacle vivant, puisqu’il peut convenir à un lieu d’exposition éphémère de performances d’art contemporain. Ce statut a d’ailleurs été également retenu pour le Centre Pompidou-Metz. Alors que ces « musées » n’en sont pas stricto sensu, un centre de réserves visitables qui aurait un projet scientifique serait bien un « musée » au sens du code du patrimoine.

Ces exemples en marge du droit du patrimoine signalent une évolution dont j’ai rappelé les étapes précédentes dans mon rapport. Les autorités centrales et locales de la Ve République ont beaucoup investi dans les musées. Elles ont relogé leurs collections dans des bâtiments neufs ou rénovés, à l’architecture souvent remarquable. Cette politique d’investissement a eu des résultats spectaculaires, puisque la fréquentation des musées nationaux a triplé et que celle des autres musées de France a doublé.

Les autorités qui ont financé ces investissements peinent désormais à conserver les dotations de fonctionnement indispensables à leurs musées. Ce n’est pas seulement le cas du Centre Pompidou-Metz, mais aussi celui de nombreux musées nationaux et territoriaux auxquels l’État et les collectivités territoriales commencent à retirer des crédits. En contrepartie de l’autonomie juridique accordée aux directions de ces musées, leurs tutelles leur demandent de modérer leur masse salariale, de diminuer les dépenses d’entretien des bâtiments, d’augmenter leurs recettes de billetterie et les redevances d’exploitation de leur domaine, sans pour autant renoncer à la mise aux normes de leurs locaux et à la démocratisation des publics qu’elles accueillent. Pourtant, très peu de musées peuvent vivre de leurs seules recettes d’exploitation. Ils sont deux à Paris : Orsay et Rodin. Si des musées gratuits sont bien financés à l’étranger par des fonds privés, seules quelques fortunes françaises ont déposé leurs collections dans le musée d’une fondation qui en assume l’entretien et le personnel.

Les lois fiscales et successorales ont certes fait beaucoup pour financer le mécénat et l’acquisition d’œuvres d’art, mais les dons privilégient les institutions les plus célèbres et les plus fréquentées. Le mécène le plus généreux pourrait même être, cette année, la Banque de France. Quant à l’exonération de l’impôt de solidarité sur la fortune en faveur de la conservation patrimoniale des œuvres d’art, elle profite au marché de l’art et à la conservation des œuvres plus qu’aux musées.

Pour revenir à ces derniers, qu’adviendra-t-il des collections et des salles d’exposition si les subventions publiques venaient à leur manquer ? Quelle place et quel rôle auront alors des centres de réserves ouverts ou fermés ? Autant de questions que la diversité des lieux et des situations suscite et laisse ouvertes aujourd’hui.

Mme Régine Povéda. Monsieur Piron, vous venez d’évoquer le Louvre-Lens : il est le symbole d’une action culturelle réussie. Démocratisation, excellence et décentralisation culturelle définissent ce musée inauguré par le Président François Hollande après huit années de travaux.

Le Louvre parisien attire plus de 8,8 millions de visiteurs, ce qui le place loin devant le British Museum londonien et le Metropolitan Museum of art de New York, mais, à Paris, le public ne peut voir que 10 % des 350 000 œuvres qu’abrite le musée : 90 % d’entre elles se cachent dans les réserves, parfois en attente de restauration.

Le Louvre-Lens, avec ses 900 œuvres exposées, puise dans huit départements du Louvre parisien : antiquités orientales, égyptiennes, grecques, étrusques et romaines, arts de l’Islam, objets d’art, arts graphiques, sculptures et peintures. Il s’intéresse à toutes les techniques et à toutes les périodes couvertes par la maison mère.

Le Louvre implanté à Lens ne se contente pas du statut de mini-Louvre. L’agence japonaise SANAA, concepteur du site, et le scénographe du Louvre-Lens ont choisi de ne pas céder à l’accrochage classique des musées des Beaux-Arts, en créant notamment une Galerie du Temps. Dans un espace décloisonné de 3 000 mètres carrés, 205 œuvres retracent l’histoire de l’art, de l’Antiquité à 1830 : aucune n’est accrochée au mur, et les visiteurs peuvent déambuler au milieu des tableaux, sculptures, gravures ou manuscrits. Nous pouvons saluer le travail de l’équipe du Louvre-Lens et de son directeur, Xavier Dectot : l’établissement a accueilli 1,4 million de visiteurs depuis son ouverture, dont 500 000 durant la deuxième année. La bonne situation géographique, l’architecture contemporaine et l’exposition inaugurale de qualité sont à l’origine de cette réussite.

Dans une région en difficulté, l’implantation du Louvre est un vrai bol d’air. Si certains voient le Louvre-Lens comme un coût déraisonnable et une charge pour les collectivités et l’État, qui n’a financé directement que 4 % de la construction, je vois ce musée comme une chance pour tous les habitants de la région. La construction a coûté 150 millions d’euros financés notamment à 60 % par la région Nord-Pas-de-Calais et à 20 % par l’Europe. Son budget annuel de 15,5 millions d’euros est assumé à 80 % par la région.

Les objectifs de fréquentation avaient été fixés, avant l’ouverture du musée, à 700 000 visiteurs pour la première année, puis à 500 000 visiteurs par an. L’objectif est tenu et même dépassé, puisque l’année inaugurale a vu défiler 900 000 visiteurs. Après le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) de Marseille, le Louvre-Lens est le musée le plus fréquenté de province.

L’éducation et la démocratisation culturelles sont au cœur du projet de ce musée. Il s’agit d’objectifs majeurs dans un département dont les habitants de moins de vingt ans représentent 27 % de la population, alors qu’on en compte 24,5 % au niveau national, où le taux de diplômés de l’enseignement supérieur est inférieur de 10 % au taux moyen enregistré dans le pays, et où le revenu moyen est très inférieur à celui des Français. Parmi les 1,4 million de visiteurs du Louvre-Lens, 50 % sont originaires du Nord-Pas-de-Calais et 16 % du territoire environnant, ce qui montre que la population du Nord s’est véritablement approprié le musée. La médiation et l’attention portée à la diversification du public sont exemplaires. Des actions et des ateliers spécifiques sont développés pour tous les niveaux scolaires : écoliers, collégiens, lycéens, mais également pour les étudiants de la région et les enseignants. Au total, ce sont près de 70 000 élèves et enseignants qui ont visité le Louvre-Lens en 2013.

À côté de ces actions fondamentales, le musée présente aussi des expositions ambitieuses pour attirer un public étranger ou français – nous regrettons seulement que la moyenne d’âge des visiteurs individuels soit élevée : cinquante-deux ans. Beaucoup d’entre eux ne seraient pas venus dans la région sans le Louvre, et le musée permet de réinventer notre vision d’une région trop souvent dépréciée. Le Président François Hollande a annoncé qu’une grande exposition sur la Mésopotamie serait organisée, en collaboration avec le musée national d’Irak, dans l’antenne de Lens, à l’automne 2016. Le Louvre-Lens est entré dans le paysage national culturel ; il va y rester.

Cette implantation porte la conviction que le développement de l’offre culturelle est un puissant facteur de cohésion et de transformation sociales, d’essor économique, et de renouveau territorial.

M. Michel Herbillon. Je félicite nos deux rapporteurs pour avis. Marie-Odile Bouillé a fait le point de façon particulièrement intéressante sur les soixante et onze scènes nationales. Quant au travail effectué par Michel Piron, il se situe dans la continuité du rapport d’information dont nous étions les co-rapporteurs avec Isabelle Attard et Marcel Rogemont.

Le Premier ministre ne s’est pas trompé quand il a reconnu, il y a quelques mois, que la baisse historique du budget de la culture au début du quinquennat était une erreur. L’apparente hausse de ce budget annoncée cette année est, en réalité, un peu cosmétique puisque, à périmètre constant, les crédits du ministère de la culture et de la communication n’augmenteront en 2016 que de 1 %, c’est-à-dire sensiblement le niveau prévu d’inflation. Autant dire que le budget est stable hors inflation, et que son niveau reste très bas – il est en tout cas inférieur à celui du début du quinquennat.

Que ce soit dans le domaine de la création ou du patrimoine, les avis présentés par nos collègues traduisent avec justesse les difficultés rencontrées partout en France pour faire rayonner la culture française.

Le rapport pour avis de Mme Marie-Odile Bouillé illustre bien le rôle déterminant joué par les collectivités territoriales pour soutenir la création artistique, en particulier les scènes nationales qui diffusent sur tout le territoire des spectacles vivants de qualité. La rapporteure a eu raison d’insister sur la triple responsabilité artistique, publique et professionnelle de ces structures. Elle a souligné à juste titre que, en ces temps de disette budgétaire, on leur en demandait beaucoup sans leur apporter tous les moyens nécessaires. Ma chère collègue, ne serait-il pas temps d’établir une hiérarchie ou de fixer des priorités qui permettraient de faire face à l’empilement des objectifs que vous stigmatisez à juste titre ?

La menace qui pèse sur les scènes nationales est réelle. La baisse des ressources de l’État, couplée à la situation inquiétante des collectivités locales qui subissent l’assèchement de leurs dotations du fait des mesures prises par le Gouvernement, fragilise les moyens des soixante et onze scènes nationales, puisque deux tiers des financements publics proviennent des collectivités locales. Pourtant, le maillage du territoire par ces scènes nationales, qui portent toutes un projet artistique différent, est essentiel et constitue une richesse pour notre pays et pour l’accès à la culture du plus grand nombre. On ne peut donc que regretter les économies faites aujourd’hui sur le dos de la culture, mais cette réalité s’impose chaque jour davantage.

Notre collègue Michel Piron l’évoque aussi dans son rapport sur le patrimoine, qui subit la même contrainte. Nos musées, qu’ils soient nationaux ou locaux, ou encore l’entretien de nos différents monuments pâtissent de cette situation. Michel Piron parlait des retraits massifs de crédits de fonctionnement. Le Premier ministre a fait le constat d’une erreur, que nous dénoncions en son temps : je crains que, d’ici peu, l’on constate qu’une nouvelle erreur a été commise lorsqu’on a choisi de baisser les dotations aux collectivités territoriales, car, malheureusement, c’est la culture qui en fait les frais. Ce constat est partagé au-delà des bancs de l’opposition, et il est malheureux qu’il faille attendre d’avoir des regrets. Les remords n’effacent pas la faute initiale.

Nos rapporteurs pour avis disposent-ils d’éléments complémentaires sur une évaluation du désengagement en cours des collectivités locales sur le plan culturel ? Un travail a-t-il été mené sur ce sujet ? Évidemment, toutes les collectivités locales n’empruntent pas cette voie. Le budget de la culture de ma commune n’a, par exemple, pas été réduit d’un centime. Du côté du ministère de la culture, est-on vraiment conscient de ce phénomène et de ses conséquences ?

Monsieur Piron, vous montrez bien la situation difficile et inquiétante dans laquelle se trouve notre patrimoine, et l’absence de réponse apportée par le projet de loi de finances pour 2016. Le budget accordé au patrimoine, à défaut de connaître une nouvelle baisse sensible, est stabilisé à un étiage très bas qui ne permet pas d’assurer toutes les missions à accomplir. Selon les bilans sanitaires élaborés par les DRAC, une part importante et croissante des immeubles classés au titre des monuments historiques attend des travaux urgents qui sont toujours reportés faute d’argent.

J’ai été heureux d’entendre vos propos sur le Grand Palais, monument remarquable qui conduit une politique d’exposition beaucoup plus ample que par le passé, sous la houlette de la RMN. Avez-vous une idée des pistes à suivre pour trouver 200 millions d’euros et financer sa rénovation ?

Comme le groupe Socialiste, républicain et citoyen, le groupe Les Républicains est extrêmement sensible à la qualité du projet du Louvre-Lens, lieu culturel d’exception que vous évoquez à juste titre dans votre avis budgétaire, cher Michel Piron.

Par ailleurs, je suis satisfait de constater que vous consacrez une partie de votre rapport à la question du « tourisme culturel » dans lequel les musées s’investissent pleinement. Il s’agit à mes yeux de l’un des éléments forts susceptibles de permettre une démocratisation de la culture et d’assurer la survie des établissements confrontés à la baisse des ressources publiques. S’ouvrir aux publics, améliorer les conditions d’accueil, offrir une expérience toujours plus enrichissante pour les visiteurs, aussi divers soient-ils : telle est la direction que devraient prendre tous les musées. Cela suppose néanmoins une certaine autonomie dans la gestion, un soutien permanent et régulier des institutions publiques, mais également une capacité durable à s’autofinancer. L’État ne doit donc pas chercher à pénaliser ceux qui réussissent, comme on le constate trop souvent, par des ponctions sur les ressources des musées.

Dans votre rapport, en matière d’accueil du public, vous prenez l’exemple du musée du Louvre : 60 millions d’euros sont nécessaires pour réaliser urgemment les travaux d’accueil des visiteurs, au regard de l’affluence touristique. Quelles précisions pouvez-vous nous apporter sur ce programme de travaux, en particulier sur son calendrier ?

Pour conclure, j’indique que, à mon sens, la stratégie de commercialisation des marques dans laquelle se sont lancés deux musées, à savoir le Louvre à Abu Dhabi et le Centre Pompidou à Malaga, constitue un excellent moyen de faire rayonner la culture française à l’international tout en trouvant de nouvelles ressources financières. À votre connaissance, d’autres projets du même type sont-ils en préparation ? Le ministère entend-il impulser dans ce domaine une action particulière ?

Mme Gilda Hobert. Je tiens tout d’abord à remercier nos rapporteurs pour avis pour leurs rapports circonstanciés qui démontrent, par le bilan qu’ils dressent, l’importance des processus de création et du patrimoine, qui sont des fleurons de notre nation.

L’augmentation des crédits de la culture pour 2016 concrétise l’attachement porté à ces missions : avec près de 668 millions d’euros d’autorisations d’engagement sur la période 2016, ce budget dépasse de plus de 9 millions celui du précédent exercice.

Cette augmentation est primordiale, par exemple, pour les soixante et onze scènes nationales qui prennent de grands risques. Elles jalonnent notre territoire où elles font partager des savoirs, innovent et perpétuent une tradition culturelle. L’éclectisme est sans doute ce qui définit le mieux ces scènes nationales, qui regroupent soixante-dix disciplines, où se côtoient le théâtre, la musique ou le cirque, et qui ont accueilli plus de 3 millions de spectateurs durant la saison 2013-2014.

Je tiens tout de même à relayer la parole de certains artistes et créateurs, qui disent pratiquer inconsciemment une sorte d’autocensure de leurs élans créatifs. Ils craignent en effet que des idées ou des conceptions esthétiques particulières ne soient pas suivies, notamment sur le plan financier.

Je souhaite évidemment saluer la diversité générale de ces scènes, qui dépasse le cadre artistique. Sur des territoires variés, cette diversité bénéficie à tous et participe à un maillage territorial indispensable au vivre ensemble et à l’équité de traitement entre tous les publics. C’est le cas par exemple à Bobigny, avec la MC93, mais aussi à Gennevilliers ou à Saint-Denis, où les projets des centres dramatiques sont également défendus par les municipalités. Des ateliers découverte sont souvent ouverts dans les locaux des scènes nationales, dans des écoles en milieu rural et urbain et dans des quartiers, qu’ils soient ou non prioritaires.

Les scènes nationales, fortes de leur succès, doivent être soutenues par l’État et les collectivités. Elles restent profondément dépendantes des subventions et de leurs conditions d’attribution. Elles pratiquent des tarifications réduites et même la gratuité, ce qui est certes attractif, persuasif et indispensable pour les publics les plus éloignés de l’offre culturelle, mais ce qui implique de construire des budgets très serrés.

Madame la rapporteure pour avis, vous avez cité Chambéry. Le cas de l’espace Malraux est criant de vérité. Devant une baisse drastique des subventions de la commune, de l’ordre de 22 %, la programmation a dû être amputée de près de quinze spectacles, et le risque est grand que le label « Scène nationale » soit retiré à cette structure. Quinze spectacles en moins, c’est trente-six salariés et quatre-vingts intermittents qui risquent de perdre leurs emplois, preuve que ces scènes ont, en plus d’une responsabilité artistique et publique, une responsabilité professionnelle et humaine.

Devant l’importance du développement de ces lieux, saluée par l’augmentation du budget de la culture dans le projet de loi de finances, en ayant conscience des fragilités, notamment financières, qui demeurent, pensez-vous que puissent être maintenues des scènes de création, notamment les scènes nationales, sur les territoires en tension, alors que leur présence, bien que précaire, est indispensable ?

Nous retrouvons ces points sensibles avec la question du Louvre-Lens, dont la construction est un acte politique et culturel fort, prônant le développement par la culture de territoires en crise. Se mêlent des motifs de satisfaction – une programmation ambitieuse, une démocratisation de la culture, avec une fréquentation des jeunes de moins de dix-huit ans en hausse constante – et des sujets sur lesquels il faut rester vigilant, comme le refus d’une appellation « Musée de France » faute de collection permanente. Comment, selon vous, ne pas entraver la vitalité de ce musée, vitrine nouvelle du patrimoine et de la culture française, dont l’emplacement à Lens est une richesse pour le territoire, mais peut également être source de fragilité ?

Mme Annick Lepetit. Je veux saluer à mon tour le travail des rapporteurs pour avis. Pour ma part, je concentrerai mon intervention sur le rapport très intéressant que Mme Bouillé a consacré aux scènes nationales, dont l’action en faveur de la promotion et de la diffusion de la culture sous toutes ses formes est fondamentale.

Tout d’abord, je constate que le budget 2016 de la culture est un bon budget ; il augmente de 46,5 millions d’euros alors que nous consentons des efforts financiers considérables pour réduire les déficits publics. C’est la preuve que nous n’oublions pas l’importance de la culture pour la nation, l’épanouissement de nos concitoyens, l’éducation et pour l’économie, car nous n’ignorons pas que, derrière chaque spectacle, il y a des emplois.

En ce qui concerne les scènes nationales, je sais que le désengagement financier des collectivités locales est souvent un sujet d’inquiétude. De fait, pour la seule année 2015, il a été chiffré à 3,5 millions d’euros pour l’ensemble du réseau. La situation de la scène nationale de Chambéry, notamment, a marqué les esprits, puisque la nouvelle majorité municipale a réduit la subvention de la commune de 300 000 euros de façon extrêmement brutale, en cours d’année, obligeant ainsi le directeur à mettre ses salariés au chômage technique. Chacun a bien conscience que les collectivités locales doivent, elles aussi, participer à l’effort de réduction de la dette publique. Mais il est regrettable que, trop souvent – ce n’est pas le cas dans toutes les collectivités –, la culture soit la première cible des coupes budgétaires. L’année 2016 suscite les mêmes inquiétudes, car si, comme en témoigne ce budget, l’État est bien présent financièrement, on peut craindre que les collectivités locales ne décident, pour l’an prochain, de nouvelles réductions de crédits. Que peut faire l’État, dont c’est la mission, pour inciter les collectivités à maintenir leur participation pleine et entière au réseau des scènes nationales, auquel nous sommes si attachés ?

Mme Annie Genevard. Je tiens également à complimenter M. Piron et Mme Bouillé pour leurs rapports respectifs. Ces derniers, bien qu’ils portent sur deux sujets distincts, présentent certains points communs. Tous deux soulignent en effet la fragilité financière des établissements culturels, les exigences accrues des uns et des autres et l’incertitude quant à l’avenir. L’inquiétude est partagée par les établissements culturels eux-mêmes, par les collectivités, qui assument une part importante de leur financement, et par les autres institutions, sur l’ensemble du territoire, car, chaque fois que l’État doit abonder le budget d’établissements labellisés, il réduit d’autant les moyens qui peuvent leur être alloués.

L’augmentation du budget de la culture cache mal les effets ravageurs de la baisse des dotations de l’État aux collectivités. Vous déplorez, madame Lepetit, que la culture fasse les frais de cette diminution, mais le premier secteur à en pâtir, c’est bien celui de l’investissement : la baisse de la capacité d’autofinancement nette est de 30 % ! Je rappelle que les communes et leurs groupements sont les premiers financeurs de la culture, à hauteur de 73 %. Je veux, quant à moi, saluer les efforts admirables des maires pour maintenir des budgets cohérents et consistants : ils méritent d’être félicités plutôt que stigmatisés. Lorsqu’on parle d’une commune, chers collègues de la majorité, il faut connaître l’ensemble de sa situation financière. Croyez-vous que, lorsque Mme la maire d’Avignon diminue la subvention que sa ville verse au festival, elle le fait de gaieté de cœur ? Non, elle y est obligée ! Si je n’ai pas diminué le budget de la culture de ma commune, c’est parce que je disposais de marges de manœuvre, mais d’autres villes n’ont pas cette chance, soit parce que leur endettement est trop important, soit parce que leur situation sociale est particulière.

Comment, dans un contexte budgétaire aussi contraint, poursuivre la labellisation de nouveaux établissements alors que l’on peine déjà à financer ceux qui existent ? Et – mais c’est un autre débat – que restera-t-il à ceux qui ne sont pas labellisés ?

Comment concilier ce contexte avec l’augmentation des exigences ? Je pense aux conservatoires. Mme la ministre a rétabli, très partiellement, le financement de ces derniers ; il s’élève à peine à 15 millions, contre 28 millions en 2012. Or les exigences se sont accrues : le plan de charge est tout de même très conséquent.

Encore une fois, j’y insiste, ne stigmatisez pas les communes sans connaître leur situation budgétaire globale. Ce n’est pas acceptable !

Mme Colette Langlade. Nous ne stigmatisons pas les communes, madame Genevard.

Mme Annie Genevard. On a tout de même cité trois fois Chambéry !

Mme Colette Langlade. Les équipements culturels qui font l’objet de ces deux rapports sont source d’emplois et contribuent à l’attractivité des territoires. La création du Louvre-Lens est emblématique à cet égard, puisque, comme ce fut également le cas pour le Centre Pompidou-Metz, elle a consisté à installer une antenne déconcentrée d’un prestigieux établissement parisien dans un territoire défavorisé et populaire.

Quant aux scènes nationales, dont le label date de 1991, elles participent également au développement de la culture, en l’espèce à la diffusion du spectacle vivant dans l’ensemble des régions. Je remarque néanmoins que la Dordogne, parmi d’autres départements ruraux, n’a pas encore la chance de bénéficier d’un équipement de ce type.

Madame la rapporteure pour avis, vous évoquez le choix de la mutualisation qu’ont fait certains territoires reculés, tel le Jura, en créant une scène nationale qui rassemble diverses salles. Quel bilan avez-vous pu dresser de ce type de dispositif ? Estimez-vous possible de l’étendre à d’autres départements ruraux de même dimension et à la démographie comparable ?

M. François de Mazières. Je m’associe aux félicitations adressées à nos deux rapporteurs pour avis. Je concentrerai, quant à moi, mon intervention sur les problèmes de patrimoine, mais je tiens à rappeler que la labellisation ne concerne pas uniquement les scènes nationales, puisque 290 établissements sont labellisés. Celles-ci sont très nécessaires, mais pourront-elles se maintenir, compte tenu des contraintes ? On l’espère.

J’en viens au budget du patrimoine. A priori, celui-ci augmente de 16 % en 2016, mais il s’agit d’une hausse en trompe-l’œil. En effet, l’augmentation de 121 millions d’euros des crédits de paiement sera absorbée par la budgétisation, à hauteur de 118 millions d’euros, de la redevance d’archéologie préventive. Si l’on neutralise l’effet de cette budgétisation et que l’on intègre l’inflation, les crédits du patrimoine diminuent en fait de 4,5 millions d’euros en 2016. Surtout, si l’on observe les choix budgétaires opérés par le ministère, on s’aperçoit que la protection du patrimoine monumental n’est plus assurée. Les crédits de l’action correspondante sont en effet stabilisés par rapport à 2015, mais ils le sont à un niveau bien inférieur à celui de 2012 ; la variation est tout de même de 50 millions d’euros en crédits de paiement, soit une baisse de 16 % depuis 2012. Je me souviens que l’on disait, il y a quelques années, qu’en deçà de 300 millions d’euros, on ne pourrait plus sauvegarder notre patrimoine dans de bonnes conditions ; nous y sommes !

Le problème de l’exécution budgétaire est plus grave encore. Les crédits de l’action « Patrimoine monumental » présentaient un taux de consommation de seulement 80 % en 2014, du fait de moindres dépenses d’investissement – moins 13 millions d’euros – et d’intervention : moins 37 millions d’euros. Comme vous le soulignez, monsieur le rapporteur pour avis, non seulement 5 % des monuments historiques sont en péril aujourd’hui, mais de plus en plus de monuments attendent des travaux urgents, qui sont reportés faute d’argent. Sont concernés non seulement les monuments publics, mais aussi les monuments privés : de plus en plus de châteaux sont en vente, et les associations de défense du patrimoine nous alertent sur le fait que les difficultés croissantes liées à la gestion de ces biens posent un problème de conservation.

Face à ces constats, le législateur peut agir, comme en témoignent les propositions de notre collègue sénateur Vincent Eblé sur les dépenses fiscales relatives à la préservation du patrimoine historique bâti. Son rapport d’information ouvre en effet des pistes très intéressantes quant aux objectifs de la dépense fiscale. Je pense, par exemple, à la question fondamentale de la réintégration des monuments historiques inscrits, qui ont été exclus du bénéfice des avantages fiscaux. De fait, si l’on veut rénover les monuments historiques, on ne peut oublier les monuments inscrits, qui sont plus nombreux aujourd’hui que les monuments classés. Qu’en pensez-vous, monsieur le rapporteur pour avis ?

Par ailleurs, l’enthousiasme qu’a suscité l’ouverture, sept jours sur sept, des grands établissements culturels m’inspire la question suivante. La ministre s’est voulue rassurante en indiquant, dans le dossier de presse diffusé par le ministère, que près de 70 emplois équivalents temps plein seraient mobilisés pour accompagner la mesure. Mais, dans votre avis, vous évoquez 94 emplois. Pouvez-vous nous éclairer sur les effectifs réellement mobilisés ? Surtout, cette prévision est-elle réaliste, au regard de la diminution de 63 équivalents temps plein du plafond d’emplois du ministère ? En outre, le budget de fonctionnement d’un musée est lourd ; il s’élève, pour un jour cumulé de fonctionnement du Louvre, d’Orsay et du château de Versailles, à 735 000 euros, selon le plafond annuel de performances, soit 39 millions d’euros par an. Se pose donc, de manière générale, la question du financement de cette mesure.

Enfin, lorsque je constate que les budgets des établissements publics sont en déficit
– qu’il s’agisse de celui que je gérais il y a encore quelque temps, la Cité de l’architecture et du patrimoine, ou de celui du musée du quai Branly, qui est en déficit de 5 millions –, je suis très inquiet pour l’avenir de la culture en France.

M. Michel Françaix. J’ai bien entendu la mise en garde de nos collègues de l’opposition, qui nous demandent, sans doute avec raison, de ne pas stigmatiser une ville ou une autre. Je leur demanderai, quant à moi, de s’abstenir de stigmatiser la politique culturelle du Gouvernement, car ils ont peut-être oublié la situation dans laquelle ils nous l’avaient laissée.

Madame la rapporteure pour avis, pouvez-vous nous dire combien de projets de nouvelles scènes nationales sont en préfiguration ? Comme l’ont dit certains de nos collègues, nous n’aurons sans doute pas les moyens de répondre à toutes les demandes, surtout si l’on ne souhaite pas baisser le montant des subventions actuellement versées aux scènes existantes. On peut donc se demander s’il n’est pas temps d’envisager, pour les villes moyennes dépourvues de ce type d’équipements, la création, à l’échelle du département, d’une scène nationale regroupant diverses salles. Dans l’Oise, par exemple, Compiègne, Creil et Beauvais veulent une scène nationale.

Mon dernier point concerne les publics. Trois millions de spectateurs, c’est bien, mais on constate que la fréquentation est stable et que les publics sont souvent les mêmes. Les scènes nationales ne pourraient-elles pas en gagner de nouveaux en renonçant au confort consistant à jouer dans son propre théâtre, pour organiser des représentations dans d’autres lieux ? Il est vrai que certaines d’entre elles font cet effort et que, souvent, les investissements ne sont pas suffisants, mais d’autres se montrent trop timides.

M. Claude Sturni. Je veux à mon tour féliciter nos deux rapporteurs pour avis pour leurs travaux qui, certes, portent sur des sujets différents, mais présentent au moins un point commun : l’inquiétude pour l’avenir. Tout d’abord, le paysage actuel est issu de la décentralisation. Ainsi, je regrette que, dans aucun des différents textes relatifs à l’organisation territoriale que nous avons examinés, il ne nous ait été proposé une nouvelle vague de décentralisation en matière culturelle, qui aurait permis d’irriguer le territoire et de clarifier les responsabilités. Cependant, quelles conséquences aura le nouveau découpage régional sur le réseau composé des quelque 290 structures bénéficiant d’une labellisation ? Les nouvelles régions, en particulier celles qui seront issues de fusions, seront en effet amenées à s’interroger sur le maillage de leur territoire. Certaines d’entre elles pourront aller de l’avant, car elles seront en terrain connu, tandis que d’autres devront concevoir une nouvelle politique dans un contexte budgétaire difficile. Cette problématique vaudra, demain, pour les EPCI, qui sont appelés à se regrouper et à s’étendre : il est clair que l’évolution des intercommunalités pourrait fragiliser l’existence de certaines structures culturelles si celles-ci se retrouvaient au nombre de deux ou trois sur un même territoire.

La baisse des dotations de l’État aux collectivités territoriales a bien pour première conséquence une baisse de leur capacité d’autofinancement, mais on peut imaginer que, à plus long terme, elle affectera également le paysage culturel ou sportif. En effet, compte tenu des économies qu’ils devront réaliser dans leurs dépenses de fonctionnement, peu d’élus pourront continuer à assumer l’ensemble des politiques publiques qu’ils mènent actuellement.

Par ailleurs, si l’on peut se féliciter de l’augmentation de la fréquentation des musées, notamment par les plus jeunes, nous devons nous demander comment monétiser cette fréquentation en hausse, dont nous savons qu’elle est liée notamment à la gratuité pour les publics les plus jeunes.

Enfin, le nombre impressionnant des établissements labellisés « Musées de France » témoigne de la richesse culturelle de notre territoire, mais combien d’entre eux ont un avenir, soumis qu’ils sont aux contraintes liées à ce label, qui leur impose davantage de coûts et d’obligations qu’il ne leur offre de moyens financiers ?

Mme Isabelle Attard. Je me sens particulièrement concernée par votre rapport, monsieur Piron, d’une part, parce que nous avons réalisé ensemble, et avec Michel Herbillon notamment, une mission d’information sur la gestion des réserves et dépôts des musées et, d’autre part, parce que j’ai eu à assumer, dans le cadre de ma profession, la direction d’un de ces musées.

Parmi les pistes qui pourraient permettre à ces derniers de trouver de nouvelles ressources, vous citez les redevances domaniales ainsi que les recettes de la commercialisation des copies numériques des œuvres par la RMN. Cette commercialisation serait, selon vous, une source de recettes importante. Or j’ai posé une question à ce sujet à la ministre de la culture, qui m’a répondu au mois de janvier, et il apparaît que, sur la totalité du résultat de l’agence photographique, en coûts complets et hors projets innovants subventionnés, la quote-part du résultat que l’on peut affecter à l’activité commerciale de l’agence photographique s’établit à 332 000 euros en 2014 – elle était de 256 000 euros en 2005 –, soit 8 % seulement du chiffre d’affaires de la RMN.

Il est une autre activité de la Réunion des musées nationaux que l’on croit pouvoir être lucrative, à tort. Je veux parler du site intitulé « Images d’art », inauguré la semaine dernière et qui est censé donner accès à 500 000 œuvres du domaine public. On s’aperçoit en effet que, pour un même tableau – en l’occurrence, Saint Joseph charpentier de Georges de La Tour, exposé au Louvre – la copie numérique effectuée par la RMN est de bien moindre qualité – 768 pixels – que celle qui est disponible, depuis très longtemps et en libre accès, sur Wikimedia, au point qu’il est permis de se demander s’il s’agit d’une erreur ou d’une plaisanterie.

Je conclurai en évoquant l’exemple du Rijksmuseum. Celui-ci a fait le choix de proposer en libre accès – pour un usage commercial ou privé – l’ensemble des œuvres exposées, et il gagne de l’argent, si bien qu’il n’a pas besoin de financer les salaires des quelques personnes chargées de gérer les droits, les frais de numérisation et de dossier, c’est-à-dire les « péages ». Les responsables du musée ont donc misé sur la labellisation, en créant une marque qu’ils exploitent, notamment dans leurs boutiques, et cela rapporte. J’ignore si vous avez pu aborder cette question avec les responsables d’établissement que vous avez auditionnés, mais c’est une piste de financement qui semble plus réelle que celles qui sont exploitées pour le moment par la RMN.

Mme Sylvie Tolmont. Monsieur Piron, vous avez choisi de consacrer votre rapport pour avis aux ressources financières des « Musées de France ». Ce travail offre notamment un éclairage sur les musées nationaux, dont l’envergure peut être internationale. Ces musées font la renommée de la France, sa richesse culturelle, son identité patrimoniale, sa diversité artistique. Si nous nous réjouissons d’avoir sur notre territoire de tels établissements, qui sont des trésors culturels pour les Français et un facteur d’attractivité pour les touristes étrangers, nous devons admettre qu’ils se situent presque tous à Paris.

Pourtant, de nombreux musées, dont la richesse culturelle a donné lieu à une labellisation « Musée de France », se situent dans tous les territoires, où ils participent à la vitalité des zones rurales, à l’attractivité des quartiers, à la dynamisation de la vie locale et à la préservation de la noble mission de service public. À titre d’exemple, je veux citer, une fois n’est pas coutume, l’Espace Faïence de Malicorne, un « Musée de France » qui se situe dans ma circonscription et qui présente un projet culturel de grande qualité et une richesse patrimoniale inouïe. Cette structure, qui vient de traverser une période budgétaire extrêmement délicate, a pu compter sur mon soutien et, surtout, sur celui des collectivités locales, pour assurer sa sauvegarde et le maintien de ses actions.

Vous indiquez dans votre rapport que les collectivités et l’État sont de plus en plus exigeants dans la distribution de leurs subventions, imposant de nouveaux objectifs de fréquentation et de ressources propres. La volonté de démocratisation culturelle et l’accessibilité des sites culturels au plus grand nombre demeurent de fortes ambitions, et nous nous en félicitons. Mais ces priorités conduisent les musées à instaurer davantage de gratuité ou de tarifs réduits. Si cette orientation est positive, elle soulève inévitablement la question des ressources propres. Pouvez-vous, monsieur Piron, citer des exemples de démocratisation culturelle réussie ?

Par ailleurs, à l’instar de toutes les structures, les musées doivent faire des efforts budgétaires – j’ajouterai : et les élus des choix éminemment politiques. Aussi évoquez-vous les nouvelles sources de financement qui peuvent profiter aux musées nationaux. Pouvez-vous nous indiquer quelques pistes de financement envisageables pour les musées territoriaux au rayonnement local ?

M. Christophe Premat. Ce qui fait la qualité d’une œuvre d’art, c’est son ici et maintenant, disait Walter Benjamin, c’est-à-dire sa faculté de nous parler à travers les âges. D’où l’importance d’être attentif aux conditions d’archivage, sur lesquelles vous vous êtes penché, monsieur Piron, avec d’autres de nos collègues, dans le cadre d’une mission d’information réalisée l’an dernier.

Mais, si l’on parle de la création et de la conservation, il faut également évoquer la reproduction de l’œuvre d’art. Or, dans votre rapport, si vous soulignez le rayonnement de nos musées et notre capacité de diffuser la création française à l’étranger grâce à des ressources considérables, vous vous montrez plus discret sur le numérique et le patrimoine immatériel. Je comprends cette discrétion. Au-delà du logiciel VITAM et des difficultés d’investissement, la question de la numérisation du patrimoine ne peut pas se poser indépendamment de celle de son articulation avec le patrimoine réel. Il ne s’agit pas d’avoir un patrimoine virtuel, mais de permettre des allers et retours entre les deux patrimoines. Je souhaiterais donc savoir ce que vous pensez des investissements dans le patrimoine immatériel, car on constate des dépenses parfois inutiles dans ce secteur.

Ma deuxième question porte sur l’action « Patrimoine linguistique ». Le budget 2016 maintient, dites-vous, les 2,9 millions d’euros de subventions en faveur de la francophonie, du plurilinguisme et des langues régionales. Pouvez-vous préciser la répartition de ces subventions, au moment où le Sénat vient de rejeter le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte des langues régionales ?

M. le président Patrick Bloche. Avant de donner la parole à nos rapporteurs pour avis, je tiens à les mettre à l’aise en précisant que les réponses à un certain nombre de questions qui leur ont été posées seront certainement apportées par Mme la ministre lundi prochain, lors de la réunion de la commission élargie.

Mme Marie-Odile Bouillé, rapporteure pour avis. Il m’est en effet difficile de répondre à certaines questions, notamment celles relatives à la création de nouvelles scènes nationales.

Cependant, plusieurs d’entre vous m’ont interrogée sur les labels. Il est évident qu’il faut simplifier et « prioriser » les objectifs des différents opérateurs locaux. Le ministère en est du reste parfaitement conscient et travaille sur le sujet. Bien entendu, plutôt que de créer de nouvelles scènes nationales, il importe de pérenniser celles qui existent déjà. Mais, si les collectivités locales décident de réduire leur financement, je suppose que l’État fera de même, ce qui serait grave pour ces établissements. À ce propos, il serait intéressant que nous disposions de données précises sur le désengagement des collectivités territoriales du financement de la culture, au développement de laquelle je suis, comme vous, monsieur Herbillon, très attachée. Force est en effet de constater que, dans les communes – pas dans toutes, tant s’en faut –, ce sont, hélas, bien souvent les crédits alloués à la culture que l’on réduit en premier.

Mme Annie Genevard et M. François de Mazières. Non, c’est l’investissement !

Mme Marie-Odile Bouillé, rapporteure pour avis. Bien sûr, mais je parle ici des subventions de fonctionnement versées aux différents opérateurs locaux. En tout état de cause, comme l’a indiqué Mme Lepetit, il me semble très important de maintenir, d’une part, la liberté de programmation et, d’autre part, les scènes nationales là où elles existent. Il serait du reste souhaitable de porter, comme cela est prévu depuis 2010, le plancher de financement de l’État de 330 000 à 500 000 euros.

Monsieur Françaix, vous avez évoqué un dispositif qui permettrait à une scène nationale de regrouper plusieurs lieux à l’échelle du département. L’exemple du Jura est tout à fait intéressant à cet égard : cela fonctionne ! Il faut donc faire preuve d’inventivité et diversifier les méthodes de fonctionnement, surtout en cette période de contrainte budgétaire. En revanche, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous en ce qui concerne les publics des scènes nationales. Celles-ci, en tout cas dans mon département et ma région, ont diversifié et rajeuni leur public, grâce à un travail d’éducation artistique et culturelle mené depuis fort longtemps sur le terrain. Il est néanmoins intéressant de noter que la diversification et le rajeunissement du public s’observent davantage pour la danse et la musique que pour le théâtre. Quoi qu’il en soit, l’éducation artistique doit être assurée de l’école à l’université.

Quel sera l’impact du nouveau découpage régional au plan culturel ? L’enjeu est important, et nous devrons interroger la ministre sur ce point, même si la nouvelle organisation est encore en cours de discussion. Nous devons en effet être très vigilants quant au devenir des DRAC dans les très grandes régions, notamment celles dont les frontières vont être modifiées.

M. Michel Piron, rapporteur pour avis. Je veux dire tout d’abord combien j’ai été sensible à l’hommage rendu au Louvre-Lens. Sylvie Tolmont a, du reste, la réponse à sa question : voilà un exemple de démocratisation réussie !

Monsieur Herbillon, les travaux dont font actuellement l’objet l’entrée du musée et la pyramide du Louvre – travaux dont je précise qu’ils se déroulent sans interruption du service – s’inscrivent dans un programme pluriannuel d’un montant de 53 millions d’euros qui est censé s’achever en 2017. Rappelons que son financement présente la particularité d’être assuré par les intérêts produits par le fonds de dotation lié à la marque « Louvre » et à Abu Dhabi.

Que faire ? demande Annick Lepetit. La question est si vaste que je n’envisage qu’une seule réponse : rappeler André Malraux... (Sourires.)

Sur les nouvelles labellisations, je me permets de faire une petite observation en dehors du champ de mon rapport pour avis. On peut, certes, s’étonner de la labellisation de nouvelles scènes nationales dans la période de disette budgétaire que nous traversons. Mais l’on peut également se demander si toutes celles qui existent méritent d’être maintenues, quoi qu’il en soit et quoi qu’il advienne. La question n’est pas si facile à trancher. Je ne dis pas : « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? » Mais il peut arriver que le nouveau vaille mieux que l’ancien.

François de Mazières admettra, s’agissant des monuments nationaux, que, dans le passé, la consommation des crédits n’a pas toujours été au rendez-vous, si bien que des redéploiements vers d’autres organismes ont parfois été décidés. Le taux de consommation des crédits est aujourd’hui incontestablement plus satisfaisant.

Par ailleurs, la question de l’extension des réductions d’impôt pour travaux aux monuments inscrits mérite un véritable examen – examen que, souvent, nous ne savons pas faire, y compris dans d’autres domaines, notamment celui du logement. Les incitations fiscales – on parle, d’ailleurs, de dépenses alors qu’il s’agit plutôt de non-recettes – ont, certes, un coût, mais elles permettent de financer des travaux et génèrent ainsi des recettes indirectes, qu’il s’agisse de la TVA ou des cotisations sociales. Au nom d’une doctrine étroitement comptable, on finirait par considérer que toute niche fiscale est malsaine. Or on s’aperçoit que l’instruction technocratique des dossiers de subventions coûte parfois très cher, alors que les niches fiscales ont le grand mérite d’être parfaitement ciblées et d’être simples à mettre en œuvre. Je suis donc favorable à une évaluation de ce que pourraient être et le coût et le produit d’une extension aux monuments inscrits du dispositif de réductions d’impôts pour travaux.

Quant à la question du nombre des personnels nécessaires à l’accueil des visiteurs, elle fait toujours l’objet d’une discussion entre le ministère et le Louvre. Elle est très liée, en réalité, au nombre des visites groupées : on aura besoin de plus ou moins de personnels selon qu’on augmentera ou qu’on diminuera le nombre de visites. Quant aux déficits de nombreux musées, ils sont, hélas, prévisibles, nous le savons.

En ce qui concerne la monétisation de la hausse de la fréquentation, on a entendu dire à Lens – et c’est sans doute en partie vrai – que, lorsque les enfants visitent le musée dans le cadre scolaire, leurs parents sont incités à les y emmener par la suite. La gratuité n’est donc pas toujours une pure perte, ou une non-recette. Mais il est vrai qu’elle a un coût en termes d’accueil. L’équilibre entre la part de la gratuité et la part de ce qui est payant relève de la politique tarifaire, voire de politiques tarifaires différentes selon les monuments ou les musées. Dans ce domaine, je ne suis pas certain qu’une réponse univoque soit forcément adaptée. Par ailleurs, 10 % des 1 200 « Musées de France » sont déjà fermés, parfois depuis un certain temps. Ce n’est pas satisfaisant, mais on a beaucoup investi dans les musées, et la question de leur fonctionnement est largement ouverte en cette période de restrictions budgétaires.

Madame Attard, les revenus du fonds photographique ne sont pas si négligeables que cela, comme en témoigne la vive discussion qui a eu lieu entre le Louvre et la RMN. Quant à la qualité de la numérisation réalisée par cette dernière, elle soulève en effet quelques questions, mais je ne peux pas me prononcer sur ce point.

La numérisation est un sujet majeur, d’un point de vue quantitatif tout d’abord. En matière de récolement, nous avons constaté, dans le cadre de la mission d’information présidée par Mme Attard, que nous avions pris un retard important, même si un rattrapage est en cours. Quant à l’aspect qualitatif, il est présent dans le choix des objets, des photos, des priorités, mais aussi des destinations : le fonds RMN ou Google, pour ne citer que cet exemple ? Cela soulève incontestablement des questions importantes. C’est tout le problème posé par l’apparition des nouvelles technologies et l’explosion des nouveaux acteurs du numérique. À cet égard, une réflexion plus politique, au sens noble du terme, devrait être conduite, car l’enjeu est important au plan économique, certes, mais aussi au plan culturel.

Enfin, sur la question des langues, je me contenterai de faire l’observation suivante : sur un montant global de 2,9 millions, 2 millions vont à la délégation générale à la langue française.

M. le président Patrick Bloche. Nous avons achevé l’examen de l’ensemble des rapports pour avis portant sur les missions budgétaires 2016 intéressant notre commission.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 28 octobre 2015 à 16 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Valérie Corre, M. Pascal Demarthe, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Michel Herbillon, Mme Gilda Hobert, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Piron, Mme Régine Povéda, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont

Excusés. - M. Bernard Brochand, M. Ary Chalus, M. Jean-François Copé, M. Pascal Deguilhem, M. Yves Durand, Mme Dominique Nachury, M. Rudy Salles