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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mardi 15 mars 2016

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 30

Présidence de Mme Marie-Odile Bouillé, vice-présidente

– Examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (n° 3537) (M. Patrick Bloche, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 15 mars 2016

La séance est ouverte à vingt-et-une heures.

(Présidence de Mme Marie-Odile Bouillé, vice-présidente de la commission)

——fpfp——

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation examine, en deuxième lecture, sur le rapport de M. Patrick Bloche, le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (n° 3537).

Mme Marie-Odile Bouillé, présidente. Je suis heureuse de présider ce soir notre première réunion de commission consacrée à l’examen en deuxième lecture, sur le rapport de notre président Patrick Bloche, du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Je souhaite, en votre nous à toutes et à tous, la bienvenue à Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Je vous remercie, madame la ministre, d’être venue participer à nos travaux sur ce texte majeur pour la culture et la création artistique dans notre pays.

M. Patrick Bloche, rapporteur. L’Assemblée nationale est saisie, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, qui a été adopté par le Sénat le 1er mars dernier. Je ne peux que me réjouir de l’inscription rapide de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée, qui laisse entrevoir une possible promulgation avant l’été.

L’apport du Sénat à ce projet de loi s’est traduit par l’adoption de trente-sept nouveaux articles, dénotant une volonté réelle d’enrichissement du projet de loi. Loin de s’opposer, sur chaque sujet, au travail réalisé par notre commission puis par notre assemblée, le Sénat a adopté « conformes » trente articles, notamment l’article 1er relatif à la liberté de création, l’article 6 sur les relations entre producteurs de phonogrammes et éditeurs de service de musique en ligne, l’article 15 portant sur les conditions d’emploi des artistes du spectacle vivant par les collectivités territoriales, l’article 18 consacrant dans la loi les fonds régionaux d’art contemporain, les articles 26 ter et 26 septies relatifs aux conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement et l’article 32 ter permettant aux associations du patrimoine de se constituer partie civile.

Le Sénat a apporté des modifications à cinquante-cinq articles adoptés par notre assemblée.

En ce qui concerne la création, il a souhaité consacrer, dans un nouvel article 1er bis, la liberté de diffusion, tout en l’encadrant de limites. À l’article 2, article central du projet de loi dans la mesure où il définit la politique en faveur de la création artistique, le Sénat a procédé à divers aménagements. En substance, il a introduit des dispositions visant à favoriser les pratiques amateurs – je vous proposerai néanmoins de revenir sur la rédaction qu’il a adoptée sur ce point –, à faciliter l’accès aux œuvres des personnes en situation de handicap ou à garantir la transparence et l’évaluation de l’octroi des subventions publiques. Il a, par ailleurs, supprimé la notion de « service public », dont je proposerai la réintroduction, nombre d’entre nous y étant particulièrement attachés. À cet article, je vous présenterai, pour la clarté de nos débats, un amendement de rédaction globale reprenant les apports déterminants des deux assemblées. J’ai d’ailleurs souhaité que cet amendement de réécriture de l’article 2 vous soit communiqué très en amont afin que vous puissiez utilement le sous-amender.

Le Sénat a, par ailleurs, supprimé deux articles tendant à la production de rapports. Je vous proposerai de les réintroduire, tant les sujets traités sont importants et ouvrent des perspectives législatives futures.

En matière de propriété intellectuelle, le Sénat a introduit un nouvel article 7 bis AA visant à assujettir à la rémunération pour copie privée certaines pratiques de copie réalisées sur des serveurs distants, plus communément appelés cloud. Il a également décidé de modifier, à l’article 7 bis, la composition de la Commission de la copie privée, en remplaçant les trois représentants des ministères par un conseiller d’État, un magistrat de la Cour des comptes et un magistrat de la Cour de cassation. Il a, en outre, souhaité confier à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) la réalisation des enquêtes d’usage prévues par l’article 7 ter. Il a enfin modifié l’article 7 quater afin que soit rendue publique l’identité des bénéficiaires du nouveau dispositif visant à affecter le quart du produit de la rémunération pour copie privée au financement d’actions artistiques et culturelles, notamment d’actions d’éducation artistique.

Le Sénat a encore introduit un nouvel article 10 quater visant à créer un mécanisme de rémunération des photographes et plasticiens dont les œuvres sont reproduites sans autorisation préalable par des services de moteur de recherche et de référencement sur internet.

Un important volet audiovisuel a été ajouté au texte. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de l’examen des amendements, mais j’indique d’ores et déjà que certaines de ces dispositions, si elles étaient maintenues dans le texte, risqueraient d’avoir des conséquences importantes sur les rapports entre éditeurs de services de télévision et producteurs et devront, en toute hypothèse, être modifiées pour demeurer dans le texte en navette.

En modifiant l’article 11 A sur les pratiques artistiques amateurs, le Sénat a mis à mal le fragile équilibre élaboré entre, d’une part, la reconnaissance de ces pratiques et, d’autre part, la place accordée aux professionnels. C’est pourquoi je vous proposerai de rétablir la version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale et d’apporter éventuellement des précisions pour que la présomption de salariat ne subisse aucun préjudice.

À l’article 17 bis, le Sénat a supprimé, de manière regrettable, une partie des missions susceptibles d’être exercées par les écoles d’architecture et a apporté certaines précisions qui m’apparaissent perfectibles.

Concernant le patrimoine culturel, force est de constater que le consensus qui a pu émerger sur d’autres sujets a été rompu s’agissant de l’archéologie préventive, le Sénat ayant modifié radicalement les dispositions de l’article 20, du moins sur la politique scientifique, ce que je regrette vivement.

En premier lieu, il a jugé excessif le rôle de régulateur attribué à l’État. Il a donc reformulé ses missions : il a supprimé son rôle de garant de la cohérence et du bon fonctionnement de l’archéologie préventive dans ses dimensions économique et financière. De plus, l’État n’exercerait plus la maîtrise d’ouvrage scientifique des opérations, et le monopole de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) sur les fouilles archéologiques sous-marines a été supprimé.

En deuxième lieu, le Sénat a tenu à préserver les prérogatives actuelles des services archéologiques des collectivités territoriales, dont nous ne remettons évidemment pas en cause le rôle et les compétences. Il a ainsi supprimé les limites posées au champ d’intervention de ces services, telles que la signature d’une convention avec l’État et la limitation géographique de leur habilitation. Enfin, les nouvelles règles administratives et financières imposées aux opérateurs privés soumis à agrément ont été jugées trop contraignantes par le Sénat et ont donc été notablement réécrites ou allégées. En conséquence, notre collègue Martine Faure a proposé de rétablir en partie le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, en l’enrichissant utilement.

En ce qui concerne les dispositions relatives au patrimoine bâti, le Sénat a su, sur un certain nombre de sujets, dégager des solutions de compromis tout à fait acceptables. Vendredi dernier, dans le Lot, Mme la ministre et moi-même nous sommes engagés à préserver cet équilibre – c’est ce que j’appellerais le « serment de Figeac » ! À l’article 23, notamment, le Sénat a voulu donner une place plus importante aux collectivités territoriales concernées par la protection des biens inscrits au patrimoine mondial. À l’article 24, il a renforcé de façon substantielle la protection du patrimoine, qu’il s’agisse des domaines nationaux appartenant à l’État, désormais inconstructibles, ou bien des éléments de second œuvre et de décoration des immeubles situés dans le périmètre d’un site patrimonial protégé. Il a également créé un nouveau plan de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, sur l’intitulé duquel nous reviendrons dans nos échanges. En première lecture, nous avions essayé d’instaurer un dispositif analogue, que nous avions qualifié de « plan local d’urbanisme (PLU) patrimonial ».

Le Sénat a également adopté des amendements portant articles additionnels qui visent à améliorer la protection du patrimoine hydraulique et à encadrer l’installation d’éoliennes. Sur ces deux sujets, si l’on comprend la volonté qui a animé nos collègues sénateurs, il me semble que sa traduction législative est peut-être excessive et appelle de nécessaires modifications.

En matière d’architecture, en revanche, le bilan nous apparaît moins favorable, le Sénat ayant supprimé ou tenté de supprimer, avant un rétablissement in extremis en séance publique, les articles les plus ambitieux du point de vue de la création architecturale que notre assemblée avait adoptés. Si les articles relatifs au seuil de recours obligatoire à l’architecte et à l’expérimentation en matière de normes ont finalement survécu aux débats sénatoriaux, tel n’a pas été le cas des articles relatifs aux délais d’instruction des permis de construire, au concours d’architecture, au dispositif du « 1 % artistique » et aux marchés de conception-réalisation, entretien ou maintenance (CREM). Aussi, sur ces sujets, je présenterai demain des amendements de rétablissement, voire de nouvelles rédactions, plus ambitieuses encore que celles que nous avions adoptées en première lecture.

C’est sur cette base que je vous propose de travailler utilement au cours des quatre séances que notre commission prévoit de consacrer à l’examen de ce texte. J’ai souhaité conserver, en deuxième lecture, un esprit de grande ouverture à l’égard des propositions venant de tous les groupes, de la majorité comme de l’opposition.

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Permettez-moi de vous dire ma joie d’être pour la première fois en commission avec vous en tant que ministre. J’ai pu travailler avec certain d’entre vous dans d’autres contextes, mais c’est un honneur de retrouver la commission dans ces nouvelles fonctions. Je n’en retrouve pas tous les membres, car vous avez perdu une figure solaire, et je sais que vous l’avez tous en mémoire en vous réunissant dans cette salle.

Après une première lecture à l’Assemblée nationale, après son examen au Sénat au début du mois, nous sommes tous aujourd’hui pleinement conscients des enjeux de ce projet de loi. Ce texte est très attendu par le secteur culturel. Il a mis du temps à arriver jusqu’à cette étape. Il a été enrichi par les apports de votre assemblée et, parfois, par ceux du Sénat. Sans revenir sur les différents articles qui viennent d’être précisément et utilement évoqués par le rapporteur, je voudrais rappeler brièvement pourquoi cette loi est importante et quels sont ses enjeux.

Premier principe que nous souhaitons défendre avec cette loi : la protection de la liberté de création, de diffusion et de programmation.

Le projet de loi promeut une liberté nouvelle, inscrite à son frontispice, que vous avez souhaité sanctuariser : la liberté de création. Vous avez eu des débats, que nous allons poursuivre, sur le point de savoir en quoi elle diffère de la liberté d’expression, en quoi elle ne s’y réduit pas. Il s’agit, en l’inscrivant au niveau législatif, de promouvoir la singularité de ce qu’est la démarche artistique. Ainsi que d’autres pays l’ont fait, la France veut apporter une consécration législative à la liberté de création.

Ce projet de loi affirme également la liberté de diffusion et de programmation artistique. Il prend ainsi pleinement en considération le travail artistique dans toutes ses dimensions, et le protège. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions lorsque nous discuterons du premier amendement portant sur l’article 1er bis nouveau voté par le Sénat.

Ce qui est en jeu ici, après les différents épisodes que nous avons connus en 2015 et certaines tentatives, encore récemment, de porter atteinte à la liberté de création, c’est l’affirmation de cette liberté comme socle de notre démocratie et comme valeur fondamentale.

Pour autant, cette liberté n’est évidemment pas absolue : elle doit être conciliée avec d’autres principes fondamentaux, notamment le refus de l’incitation à la haine. Car nous avons tous en mémoire ceux qui prennent prétexte du spectacle pour diffuser de tels messages.

Autre point sous ce chapitre : la labellisation comme politique nationale. Au terme de la discussion en première lecture à l’Assemblée nationale, le projet de loi donnait une assise juridique incontestable aux labels. Avec ces labels, il s’agit non pas de figer notre politique culturelle, mais de poser un cadre législatif clair pour les quelque 300 structures qui forment un réseau d’acteurs culturels de référence nationale, colonne vertébrale de notre pays. De ce point de vue, je pense nécessaire de revenir sur certains des amendements votés par le Sénat, avec lesquels nous avons perdu l’intention première d’ancrer la politique de labels dans le territoire et de traiter cet enjeu au niveau national.

Dernier point que je souhaite évoquer sous ce chapitre : les pratiques amateurs. Votre assemblée avait voté à l’unanimité un article sur ces pratiques. Ce vote fera date, lui aussi : pour la première fois, le législateur s’est saisi de cette question importante pour notre pays, qui compte plus de 12 millions de praticiens amateurs. Ainsi que l’a souligné le rapporteur, il est important de lever certaines ambiguïtés en réaffirmant le respect absolu de la pratique professionnelle et de la présomption de salariat qui la caractérise : elle ne saurait être remise en cause. Mais cet article permet aussi de reconnaître les pratiques diverses qui fondent la richesse culturelle de notre pays, sur tout le territoire, ainsi que l’engagement de tous les bénévoles qui participent à cette vie culturelle.

Second grand objectif de ce projet de loi : promouvoir la transparence et la concertation dans les industries culturelles. Celles-ci connaissent de nouveaux usages et voient leur modèle économique évoluer. Cela requiert de notre part une régulation modernisée et un recours accru à la concertation professionnelle, entre les organisations représentatives des éditeurs et des auteurs s’agissant du livre, entre les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes s’agissant de la musique.

Le projet de loi prévoit la création de nouvelles institutions, notamment un médiateur de la musique et des observatoires, qui contribueront à définir ces équilibres et permettront de renforcer la transparence, nécessaire pour instaurer de la confiance entre les acteurs.

Par ailleurs certains équilibres, parfois introduits ou supprimés par le Sénat, méritent d’être à nouveau discutés, par exemple l’application du régime de la licence légale aux webradios, supprimée par le Sénat, les quotas de chansons françaises à la radio ou encore les rapports entre éditeurs de services de télévision et producteurs, qui appelleront des commentaires et des modifications.

Troisième enjeu de ce projet de loi : la clarification et la protection.

Sur le volet relatif au patrimoine, le projet de loi revient en deuxième lecture à l’Assemblée nationale avec des modifications importantes apportées par le Sénat, qui ont d’ailleurs conduit le Gouvernement à revoir sa position. Grâce à l’apport de la discussion au Sénat, nous avons atteint, me semble-t-il, un bon équilibre entre le rôle de l’État et celui des collectivités territoriales, désormais connu sous le label du « serment de Figeac ». Il reste néanmoins des points à discuter au cours de cette deuxième lecture, notamment la dénomination des espaces protégés, que vous avez évoquée dans votre présentation, monsieur le rapporteur. Ce point n’est pas majeur dans les dispositifs, mais il a son importance : il faut que chacun puisse mieux comprendre et s’approprier cette politique du patrimoine. Nous vous ferons des suggestions à ce propos au cours de la discussion.

Sur le volet relatif à l’architecture, la valorisation de l’architecture en tant que discipline et art contribuant à améliorer le cadre de vie des Français a parfois été mise à mal au Sénat. Je tiens à cette ambition qui est chère à notre rapporteur et que j’ai défendue en séance publique au Sénat : inscrire l’architecture dans la société contemporaine et favoriser son inscription dans la cité. À toutes les étapes de la construction et de l’aménagement du cadre de vie qui constitue le quotidien des Français, la dimension architecturale doit être présente et défendue. Des points importants ont été confirmés, tels que le seuil d’intervention de l’architecte, la possibilité d’expérimenter, la participation de l’architecte à l’élaboration du lotissement. Il conviendra encore de consolider cette partie importante. Et il reste des points sur lesquels nous souhaitons revenir.

Enfin, l’archéologie préventive est l’un des derniers points qui a opposé l’Assemblée nationale et le Sénat. En la matière, je souhaiterais également que nous revenions à des dispositions proches de celles qui avaient été adoptées par votre assemblée. Une certaine incompréhension semble encore prévaloir quant aux objectifs de la loi dans ce domaine. Nous avons pourtant voulu réaffirmer le rôle de l’État et son expertise scientifique sans remettre en cause la place des différents acteurs, qu’ils soient établissement public national, collectivité territoriale ou entreprise privée, dans le cadre d’une politique publique de l’archéologie globale et efficace. L’État est le garant de la bonne réalisation de cette politique publique : il doit veiller à sa mise en œuvre par tous et partout. Il est important que les discussions à l’Assemblée permettent de dissiper les malentendus à ce sujet.

Voilà, mesdames, messieurs les députés, ce que je voulais vous dire à l’orée de cette discussion. Je souhaite, moi aussi, que ces travaux avancent de telle sorte que nous puissions promulguer un texte avant l’été. Ce serait une belle réalisation et cela correspondrait, je crois, à une attente forte du secteur culturel et, plus largement, des Français.

M. Michel Pouzol. Notre commission a beaucoup de plaisir à vous recevoir, madame la ministre. Nous vous souhaitons la bienvenue.

Je suis très heureux de vous retrouver ce soir, mes chers collègues, pour la deuxième lecture de cette grande et belle loi sur la culture, l’architecture et le patrimoine, que nous avons tant attendue et sur laquelle nous avons tant travaillé depuis le début du quinquennat. Heureux, parce que ce projet de loi est, pour notre commission, un des actes fondamentaux de cette législature, au même titre que l’a été la réforme des rythmes scolaires. Heureux, parce qu’il a mobilisé beaucoup d’entre nous autour de valeurs qui nous sont chères et qui nous rassemblent souvent au-delà de nos clivages politiques.

Heureux, certes, mais aussi mélancolique, pour ne pas dire très triste, de ne pas croiser ce soir le regard de Sophie Dessus, qui s’était tellement investie dans ce projet, Sophie pour qui la culture était non pas un simple supplément d’âme, mais quelque chose de plus profond, d’essentiel et de consubstantiel à son engagement. Permettez-moi donc de placer nos débats sous le signe de sa mémoire. Sophie, tu nous manques terriblement, mais je n’ose pas croire que tu ne sois pas, d’une façon ou d’une autre, avec nous, dans nos mémoires et dans nos cœurs.

Le présent projet de loi comportait initialement quarante-six articles. Il nous revient du Sénat substantiellement agrémenté, puisqu’il en compte désormais cent trente-deux. C’est peu dire qu’il a été profondément modifié ! Si certains sujets ont fait l’objet d’un assez large consensus – trente articles ont été votés « conformes » –, des divergences importantes sont apparues sur d’autres, notamment sur le volet relatif au patrimoine : les conceptions différentes du rôle de l’État, des collectivités, de l’initiative privée et de la protection des biens et des sites n’ont pas pu s’accorder.

Sur le volet relatif à l’architecture, ainsi que vient de l’expliquer notre rapporteur, nos collègues sénateurs, en commission, ont envoyé un mauvais signal à ce milieu pénalisé par un contexte économique morose. Pour notre part, nous avions, en première lecture, déployé une véritable stratégie nationale pour l’architecture. Telle était notre ambition et celle du Gouvernement.

Pour ne prendre qu’un exemple représentatif, l’abaissement du seuil à partir duquel il est obligatoire de recourir à un architecte était essentiel, en termes à la fois d’incitation et de simplification. L’architecte doit être considéré, dans tous les projets de construction, non plus comme un handicap, mais comme un atout supplémentaire permettant aux collectivités de favoriser un habitat nouveau, en phase avec les évolutions de notre société, à la fois écologiquement et esthétiquement responsable. Je sais la volonté de notre rapporteur de rendre toute sa force de frappe aux dispositions votées par notre assemblée. Il aura évidemment le soutien de notre groupe pour ce faire.

Tel sera également le cas de notre collègue Martine Faure, qui s’est particulièrement investie en faveur de la mise en valeur et de la protection de notre patrimoine archéologique, tant lors de l’élaboration de son rapport relatif à l’archéologie préventive qu’à l’occasion de l’examen de ce texte. Sur ce sujet passionnant, elle aura la tâche importante, à l’article 20, de clarifier le rôle de chaque acteur au sein de la chaîne opératoire archéologique et de défendre notre ambition à tous : assurer la qualité scientifique des opérations de fouilles, essentielles pour la connaissance de l’histoire de l’humanité par le grand public.

Je fais également confiance à notre collègue Hervé Féron pour proposer une solution sur les quotas de chansons françaises à la radio qui soit effective juridiquement et qui fasse sens idéologiquement. Notre paysage radiophonique a désespérément besoin de renouvellement. Nous en avons longuement débattu lors de la première lecture, et j’espère que nous continuerons dans cette voie. Le renforcement proposé en première lecture constituera une avancée capitale pour la création musicale et, loin d’entraver la liberté éditoriale des radios, ouvrira la porte de leur programmation à de nouveaux titres. Ainsi que vous l’avez souhaité, madame la ministre, j’espère que nous réussirons, ensemble, à trouver une solution appropriée sur ce sujet comme sur bien d’autres.

Le travail du Sénat, mes chers collègues, ne s’est pas contenté d’être volumineux : il a également été généreux !

De nombreuses dispositions introduites au Sénat peuvent être confirmées et valorisées par nos travaux. Je soutiendrai ainsi l’article 1er bis qui vise à reconnaître la liberté de diffusion de la création artistique – il s’agit d’un point fondamental. Je soutiendrai également la modification de l’article 2 bis, qui tend à doter chaque conférence territoriale de l’action publique (CTAP) d’une commission thématique dédiée à la culture et maintient l’inscription à l’ordre du jour de toutes les CTAP, au moins une fois par an, d’un débat sur la politique en faveur de la culture. Celle-ci doit, en effet, être au cœur de l’ensemble de nos politiques sur chacun de nos territoires.

Enfin, sur le volet relatif au patrimoine, je pense qu’il est de bon augure de poursuivre notre réflexion sur la dénomination des nouvelles zones de protection du patrimoine qui viendront remplacer les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et les aires de valorisation de l’architecture et de du patrimoine (AVAP). Cité historique, site historique, cité remarquable, site patrimonial protégé ? Nous verrons ce qui sortira de nos échanges.

De beaux débats nous attendent donc. Je nous souhaite à tous de bons travaux. Que le sourire, la joie de vivre et l’enthousiasme de Sophie Dessus nous accompagnent dans les décisions que nous allons prendre ensemble.

M. François de Mazières. Madame la ministre, au nom du groupe Les Républicains, je vous adresse un mot très cordial de bienvenue dans notre commission et vous remercie d’être avec nous ce soir.

Je voudrais également dire toute notre émotion au souvenir de notre collègue Sophie Dessus, une femme généreuse, enthousiaste, qui s’était beaucoup investie sur ce texte. Elle va nous manquer ce soir.

Ce projet de loi « CAP », que nous examinons pour la deuxième fois, porte bien mal son sigle. En effet, s’il y a une chose que l’on pouvait fondamentalement reprocher au texte d’origine, c’est l’absence de cohérence d’ensemble : c’était un texte mal né, touffu, déconcertant, un véritable « catalogue de La Redoute » selon certains, avec quelques avancées, mais aussi de très graves régressions, notamment en matière de patrimoine.

Certes, le travail sérieux qui a été mené en première lecture au sein de cette commission – je salue, à cet égard, l’investissement de notre rapporteur et président, Patrick Bloche – et, plus encore, les judicieuses modifications adoptées par nos collègues du Sénat ont très sensiblement amélioré le texte. Je note, d’ailleurs, qu’un grand nombre de ces modifications – je pense notamment aux articles clefs sur les enseignements artistiques et sur le patrimoine – ont repris l’esprit, si ce n’est les termes mêmes, des amendements que vous aviez refusés en première lecture.

Concernant le volet relatif à la création, nous sommes favorables à la liberté de création, inscrite à l’article 1er, un bel article à valeur de symbole. Même s’il n’a pas de portée juridique, car la liberté d’expression existait déjà, la sobriété de cet article est un bel exemple. À l’inverse, l’article 2 est de plus en plus bavard. Nous sommes très loin de la densité du décret portant organisation du ministère chargé des affaires culturelles, rédigé par Malraux lui-même ! Par ailleurs, il est heureux que le Sénat ait repris, à l’article 2 bis, la proposition, débattue dans le cadre de la loi NOTRe, de créer au sein de chaque CTAP une commission thématique dédiée à la culture.

Concernant la protection des artistes, le Sénat a apporté des améliorations notables, en particulier à l’article 5. La création d’un observatoire de l’économie de la musique, prévue à l’article 6 bis A, est également une bonne chose, de même que la clarification de la composition de la Commission de la copie privée. Le Sénat a introduit bien d’autres précisions intéressantes qui, j’espère, seront conservées. À l’article 10 quinquies, il a ouvert la voie à une amélioration de la définition des quotas et critères de la production indépendante. À nous, sans doute, d’affiner ces propositions.

À l’article 10 nonies, nous souhaitons ouvrir un débat sur la possibilité pour les articles de transmettre leur droit de suite aux fondations, qui nous paraît une avancée très intéressante. À l’article 10 decies, le Sénat a prévu des dispositions permettant aux collectivités territoriales de soutenir le mécénat, ce dont nous nous réjouissons. S’agissant de l’article 11, nombre d’entre nous sont attachés à la défense des chansons françaises. La rédaction proposée par le Sénat, sans doute un peu complexe, devrait être améliorée.

Comme vous le savez, notre groupe s’est beaucoup battu pour préserver les conservatoires, surtout leur financement par l’État. Celui-ci est revenu sur une mauvaise décision qu’il avait prise en la matière. Le Sénat a introduit un article fondamental, l’article 17 AA, qui définit enfin le rôle de l’État et celui des collectivités territoriales en la matière, les régions étant reconnues comme chefs de file. J’ai cru comprendre qu’on allait revenir sur ce point, ce que nous regrettons.

Concernant le volet relatif au patrimoine et à la promotion de l’architecture, les dispositions relatives à l’archéologie introduites par le Sénat nous apparaissent importantes et méritent d’être préservées. Ainsi que l’a très clairement dit Françoise Férat, rapporteure au Sénat, il faut sortir de l’opposition manichéenne entre opérateurs privés et publics. J’espère que vous allez maintenir les avancées notables proposées par le Sénat. À entendre vos interventions, je ne suis pas sûr que tel sera le cas.

À l’article 24, les modifications introduites par le Sénat évitent la création d’un « PLU patrimonial », qui apparaissait comme une véritable catastrophe, car il ne présentait absolument pas les garanties des ZPPAUP et des AVAP. Grâce au Sénat, l’essentiel est sauvé. Mais ne nous leurrons pas : ce texte constituera tout de même une régression par rapport à la protection actuelle, ainsi que j’aurai l’occasion de l’expliquer ultérieurement. Les nouveaux sites patrimoniaux protégés reposent sur l’ancienne distinction entre les secteurs sauvegardés et les ZPPAUP, transformées en AVAP. « Tout ça pour ça ! », pourrait-on dire ; il n’y a pratiquement aucune modification ! En réalité, nous aurions préféré une loi de programmation sur le patrimoine, qui aurait été beaucoup plus utile, compte tenu de la baisse marquée des crédits au cours des deux premières années de ce quinquennat.

Concernant l’architecture, le texte prévoit des améliorations importantes, auxquelles nous souscrivons pour l’essentiel.

Pour ces raisons, nous demandons que le travail que nous nous apprêtons à mener ne fasse pas table rase des amendements adoptés par le Sénat, mais que ces avancées soient, au contraire, amplifiées.

Mme Isabelle Attard. Il y a, en effet, un vide glaçant ce soir, dans cette salle. Sophie Dessus nous manque à nous, élus, mais aussi, je le pense, à tous les fonctionnaires qui travaillent pour notre commission.

Les sénateurs ont adopté la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine le 1er mars. Nous sommes le 15 mars, et la deuxième lecture commence pour nous : nous travaillons une fois de plus au pas de charge. Qu’importe, nous allons tous faire de notre mieux. C’est le minimum pour une loi de cette envergure, que nous avons tous longtemps attendue. Ainsi que je l’ai déjà souligné en première lecture, il est de notre devoir moral, éthique et philosophique de faire en sorte que les créateurs de demain aient accès à toute la création d’hier, sans contrainte. Notre pays est connu grâce à ses artistes, quelle que soit la discipline.

Le texte qui nous revient du Sénat présente quelques avancées. En tant que cheffe de file du groupe Écologiste, je suis particulièrement heureuse que le dépôt légal des livres numériques ait été rendu obligatoire, que la définition des archives ait été complétée par l’intégration des données, que la protection des réserves de biosphère soit inscrite dans le code du patrimoine. Il y a donc eu des progrès, mais il y a encore des manques.

Cette loi, madame la ministre, consacre la liberté de la création. C’est important : la créativité des Français a une valeur inestimable. Certains l’ont bien compris et essaient de l’accaparer, notamment au moyen de contrats qui contournent les lois ou profitent de leurs angles morts liés à l’évolution technologique. C’est pourquoi je proposerai, encore et toujours, une définition positive du domaine public. Si nous protégeons aujourd’hui ce domaine public, nous offrirons demain au plus grand nombre un accès à toutes les œuvres qui fondent notre culture commune.

Et puis, il y a des reculs résultant des décisions des sénateurs : l’article 24 soumet l’utilisation de prises de vues photographiques d’immeubles des domaines nationaux à une autorisation préalable du gestionnaire du domaine national concerné ; les webradios n’ont pas la possibilité d’obtenir une licence globale ; les musiciens accompagnants n’ont pas accès à la rémunération en cas d’exploitation non prévisible ; en termes de copie privée, l’injustice actuelle serait étendue au stockage en ligne...

Déjà, le rapport Lescure, qu’on nous a tant vanté, appelait l’attention sur les limites atteintes par le mécanisme de la copie privée face aux évolutions numériques. Il recommandait d’assouplir la chronologie des médias afin d’accélérer la mise à disposition des œuvres et envisageait la possibilité de mettre en place des régimes de gestion collective obligatoires pour les exploitations numériques des œuvres.

Ce rapport prenait aussi en compte la question des nouveaux usages et comportait une série de mesures de rééquilibrage, que j’énumère à nouveau : la promotion de l’interopérabilité et le contrôle des mesures techniques de protection (DRM – digital rights management), le développement d’offres de ressources numériques en bibliothèques, l’extension des exceptions au droit d’auteur, notamment en faveur des usages pédagogiques et de recherche, mais aussi des usages transformatifs – mashup, remix, et autres –, la consécration positive du domaine public et, enfin, l’utilisation des licences libres, notamment pour les œuvres subventionnées par de l’argent public. Nous souhaitons sincèrement que ces points soient ajoutés à ce projet de loi. Certains de nos amendements vont dans ce sens, et nous en déposerons d’autres en vue de la séance publique.

Chers collègues, depuis plus d’un siècle, chaque bouleversement technologique a été accompagné par le législateur : pianolas, impression de partitions, radio, cassettes, magnétoscopes, CD audio… Or la réponse a toujours été la même : répression, puis constat que la répression ne change pas les usages et, enfin, mise en place d’une gestion collective pour accompagner le mouvement. Nous avons déjà trop tardé à accompagner la révolution numérique ; n’attendons pas dix ans de plus !

J’attends également de cette séance de notre commission une clarification de la situation de l’INRAP dans le secteur de l’archéologie préventive. Dans un contexte où d’autres opérateurs publics et privés se partagent un marché de plus en plus réduit, il est crucial d’éviter que le moins-disant financier sorte le plus souvent gagnant des appels d’offres, et que l’étape de post-fouilles soit trop régulièrement bâclée. Je regrette que l’article excluant l’archéologie préventive du crédit d’impôt recherche ait été supprimé : il rétablissait un équilibre financier indispensable entre acteurs publics et opérateurs privés. À croire que la mort de chaque service public est devenue un objectif à atteindre ! Concernant ce secteur, nous défendrons des amendements de compromis qui permettront de ne pas étouffer les services archéologiques des collectivités territoriales, qui font, elles aussi, un travail remarquable, nécessaire et complémentaire.

Enfin, je demanderai la suppression de l’article 33 bis A, qui impose de recueillir l’avis conforme des architectes des Bâtiments de France pour l’installation d’éoliennes dans un rayon de dix kilomètres autour d’un immeuble classé, d’un monument historique ou d’un site patrimonial protégé.

Madame la ministre, nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions de votre présence ce soir en commission. Nous avons trop souvent eu des débats reportés à la séance publique dans l’attente d’une consultation du ministre concerné.

M. Michel Piron. Je vous remercie à mon tour, madame la ministre, d’être venue ce soir partager avec nous au moins nos interrogations, voire quelques affirmations.

Notre pensée va d’abord à Sophie Dessus.

Quant au texte qui nous est soumis, nonobstant les améliorations bienvenues apportées par le Sénat, il demeure décevant à nos yeux : nous sommes loin de la grande loi d’orientation sur la création qui avait été annoncée !

Certes, nous n’ignorons pas, madame la ministre, les contraintes budgétaires qui pèsent lourdement sur votre ministère et brident la politique culturelle du Gouvernement. Sur chacun de ces bancs, on ne peut que les regretter, tant la culture est la première clef de toutes les lectures en ces périodes incertaines, où bien des repères sont bouleversés.

Ces remarques étant faites, c’est dans un esprit coopératif que nous nous retrouvons ce soir autour de ce projet de loi, après son passage au Sénat.

Les députés du groupe Union des démocrates et indépendants notent tout d’abord l’adoption « conforme » de l’article 1er affirmant ou réaffirmant la liberté de création artistique, ainsi que l’ajout par les sénateurs du principe de la liberté de la diffusion dès l’article 1er bis. Nous sommes, en revanche, plus sceptiques face à l’énumération des objectifs de la politique culturelle, somme de mesures sans doute légitimes, mais aussi disparates qu’inégales. L’article 2, à l’image du texte lui-même, s’apparente à un agrégat de mesures utiles, certes, mais qui ne méritaient pas nécessairement d’être inscrites dans la loi. Citons, par exemple, l’obligation d’un débat annuel sur la politique en faveur de la culture au sein des CTAP.

Nous saluons également l’introduction par le Sénat de nouveaux modes de soutien à la création et au mécénat. Ces mesures, qui paraissent de prime abord techniques, revêtent une réelle importance pour la préservation de notre patrimoine national, notamment celle qui permet à un auteur de léguer son droit de suite à un musée, à une fondation ou à une association reconnue d’utilité publique, chargée de préserver ses œuvres et d’assurer leur rayonnement.

Le titre II du projet de loi comprenant les dispositions relatives au patrimoine et à l’architecture a été largement retravaillé par nos collègues sénateurs, notamment par la rapporteure Françoise Férat. L’enjeu était complexe puisqu’il s’agissait de trouver un équilibre entre une protection équivalente du patrimoine dans l’ensemble du territoire et le rôle singulier des collectivités territoriales. Nous espérons que le compromis trouvé par la chambre haute survivra à la navette parlementaire.

Reste enfin le délicat sujet de l’archéologie préventive. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) souhaite dépasser l’opposition quelque peu archaïque entre des opérateurs publics qui seraient parés de toutes les vertus et des acteurs privés qui n’agiraient qu’au mépris de la qualité des opérations de fouilles. Nous souhaitons que l’INRAP et les services archéologiques des collectivités puissent travailler, si ce n’est de concert, au moins en bonne intelligence.

Lors de l’examen en première lecture, nous avons étudié une somme de mesures, assez éloignées du texte ambitieux que François Hollande avait promis lors des premiers mois de son quinquennat en faveur de la « démocratisation de la culture ». Mais cet écart entre les promesses et les réalités n’est pas nouveau, hélas ! Si l’on ne peut que se réjouir du travail parlementaire et de l’enrichissement du texte par nos deux assemblées, plusieurs interrogations majeures restent en suspens, à l’instar de la question du financement du spectacle vivant ou encore du coût croissant de l’entretien du patrimoine alors que les dotations aux collectivités sont en baisse.

En tout état de cause, nous espérons que les avancées adoptées par le Sénat seront consolidées par l’Assemblée nationale.

Mme Gilda Hobert. Madame la ministre, je vous remercie vivement d’être présente devant notre commission. Soyez la bienvenue.

Je ne peux pas croire que Sophie Dessus ne soit pas là ; elle nous manque.

Monsieur le rapporteur, je salue votre célérité et votre efficacité puisque nous examinons à nouveau ce texte très peu de temps après le vote du Sénat en première lecture. La chambre haute a modifié, parfois en profondeur, le projet de loi après avoir été parcourue de débats aussi passionnés que les nôtres. Nous nous penchons avec enthousiasme sur ce beau texte, très attendu par les créateurs, les diffuseurs et les protecteurs.

Madame la ministre, vous avez repris avec diligence ce projet ambitieux en réaffirmant des principes intangibles comme celui du soutien aux acteurs de la création artistique, réaffirmé à l’article 2. Je regrette certaines modifications apportées par le Sénat, notamment la suppression de la notion du service public en faveur de la création artistique, que notre rapporteur propose heureusement de réintroduire par un amendement.

Le Sénat a modifié l’article 20 portant sur l’archéologie préventive dans un sens limitant le rôle de l’État ; je ne peux que m’étonner de cette position, le rapport rappelant que l’archéologie préventive constitue un service public. J’ai déposé des amendements ayant pour objet de rétablir la rédaction de cet article adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture. Je soutiendrai les amendements qui iront dans le même sens.

Je déplore l’assujettissement à la rémunération pour copie privée de certaines pratiques de copie dans le nuage – je préfère ce terme à celui de cloud, surtout en cette vingt et unième édition de la semaine de la langue française et de la francophonie. Si le législateur doit accompagner les évolutions dues au numérique, celles-ci doivent être soigneusement étudiées ; je souscris ainsi aux cas d’exception lorsqu’une personne physique effectue les copies ou les reproductions au moyen d’un matériel de reproduction dont elle a la garde.

Le traitement réservé aux pratiques d’amateurs, auxquelles nous avions consacré un débat nourri, constitue pour moi un autre regret.

Certains apports du Sénat méritent d’être approfondis. Ainsi, l’article 10 nonies prévoit qu’un auteur peut léguer le droit de suite attaché à son œuvre. J’ai déposé un amendement visant à empêcher toute rétroactivité de ces nouvelles dispositions, afin de n’engendrer aucun coût supplémentaire.

Le Sénat a apporté la preuve de la pertinence de ce projet de loi en votant trente articles conformes. Ces articles couvrent, entre autres, les relations entre les producteurs de phonogrammes et les éditeurs de services de musique en ligne, les conditions d’emploi des artistes du spectacle vivant par les collectivités territoriales ou les fonds régionaux d’art contemporain.

Le Sénat propose avec pertinence d’étendre la définition des métiers d’art aux activités salariées, car, même si cette idée va à l’encontre de l’essence du travail indépendant, elle pose les bonnes questions. En effet, une véritable reconnaissance des salariés des métiers d’art profitera à l’ensemble de la filière, ce qui doit nous inciter à voter l’amendement de M. le rapporteur à ce sujet.

L’article 35 bis permet l’octroi de subventions par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) aux petites salles de cinéma ; il s’agit là d’une très bonne initiative !

Les systèmes hydrauliques sont intégrés au patrimoine culturel de la France : 60 000 moulins, constituant le troisième patrimoine bâti, pourront ainsi être préservés, sans que la directive-cadre sur l’eau et sa disposition sur la gestion équilibrée de la ressource en eau ne soient remises en cause.

Ce texte, dense, couvre un très large spectre – peut-être excessivement étendu – et traite de domaines divers qui se rejoignent tous dans celui de la création, de la diffusion, de la programmation et de la préservation. Je me réjouis de l’intensité de nos débats qui participeront à l’amélioration du texte ; je forme le vœu que nous parvenions à un consensus, dans l’intérêt de la liberté de la création, de l’architecture et du patrimoine.

Mme Marie-George Buffet. Madame la ministre, nous vous souhaitons la bienvenue devant notre commission. J’espère que cette deuxième lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine s’effectuera dans un esprit constructif, comme le souhaite M. le rapporteur. C’est le travail parlementaire qui a donné à ce texte une véritable ossature, le projet de loi initial ne couvrant qu’un champ limité et manquant d’ambition. Les parlementaires ont traduit dans le texte les attentes des acteurs de la culture, que le projet de loi initial ne prenait pas en compte selon eux.

L’article 1er affirmant la liberté de la création artistique a suscité des réticences, alors que la force de ce texte réside dans la reconnaissance de droits qui, pour certains, nous semblaient évidents. Le contexte national et international prouve qu’il convient de les défendre et de les inscrire dans la loi. Je soutiendrai l’amendement de M. le rapporteur sur la liberté de diffusion, car il la proclame sans l’entourer de conditions.

Le texte voté par l’Assemblée nationale pointait à raison la responsabilité des services centraux et déconcentrés de l’État dans le développement d’une politique de service public en faveur de la création artistique, et définissait précisément les objectifs de cette politique. L’égal accès des citoyens et des citoyennes à la culture, l’équité territoriale permettant l’émancipation individuelle et collective partout dans notre pays, la reconnaissance du parcours d’éducation artistique et culturelle, en lien avec la loi de refondation de l’école, et la préservation des droits des auteurs et des artistes figurent parmi les dimensions de cette politique de service public.

Nous devons restaurer certaines avancées du texte remises en cause par le Sénat et poursuivre l’amélioration du projet afin de voter la grande loi à laquelle aspirent tous les professionnels et tous les citoyens qui ont la culture et son développement au cœur.

Je me félicite notamment de l’amendement du rapporteur rétablissant une rédaction de l’article 2 ciblée sur les objectifs de la politique de service public en faveur de la création artistique. Nous présenterons également des amendements concernant les pratiques amateurs, la présomption de salariat et l’archéologie préventive. Sur ce dernier point, il convient de mettre fin à la concurrence déloyale faite à l’INRAP et rétablir l’amendement adopté en première lecture sur le crédit d’impôt recherche.

Il nous faut améliorer le statut des professionnels du spectacle pour agir contre toutes les formes de précarité ; l’inscription du régime des intermittents dans la loi constitue un progrès, mais le texte ne garantit pas assez de droits salariaux à ces professionnels de la culture.

J’espère que nous travaillerons de manière aussi constructive que lors de l’examen en première lecture et que nous aboutirons à la belle loi que nous voulons tous.

M. le rapporteur. Plusieurs d’entre vous ont évoqué la figure si vivante dans nos esprits et dans nos cœurs de Sophie Dessus ; vos attentions et vos témoignages expriment le cœur du fonctionnement collectif de notre belle commission des affaires culturelles et de l’éducation. Nous étions cinq – Martine Martinel, Yves Durand, Régine Povéda, Hervé Féron et moi-même – à Uzerche, le 9 mars dernier, aux côtés du Président de la République pour son enterrement. Ses proches évoquèrent largement la culture lors de cette cérémonie. Le meilleur témoignage de notre fidélité à tout ce que Sophie nous a apporté, avec son enthousiasme et l’attachement qu’elle savait susciter, serait de prendre en compte les positions qu’elle a défendues avec conviction et avec son langage, sinon fleuri du moins illustratif, lors de l’examen du texte en première lecture.

Je souhaite la bienvenue à M. Jacques Dellerie, nouveau député de Seine-Maritime après la nomination de Mme Estelle Grelier au Gouvernement et nouveau membre de notre commission.

Michel Pouzol, je vous remercie d’avoir rappelé l’attachement du groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC) à certains sujets traités par ce projet de loi et d’avoir posé cette question : qui peut avoir peur des architectes ? Dans ce domaine, nous souhaitons rétablir des dispositions modifiées par le Sénat.

François de Mazières, vous avez rappelé les positions connues du groupe Les Républicains, notamment sur l’archéologie préventive concernant laquelle vous rejoignez le Sénat. Nous ne souhaitons pas exacerber les relations entre les opérateurs privés et publics, et nous ne sommes d’ailleurs pas revenus sur les dispositions de la loi sur l’archéologie préventive votée il y a une dizaine d’années. Prenant en compte les évolutions advenues depuis le vote de cette loi, nous n’avons pas voulu interdire les fouilles aux acteurs privés. En revanche, comme l’a dit Marie-George Buffet, nous désirons supprimer des facteurs entretenant une concurrence déloyale entre l’INRAP et les services d’archéologie des collectivités territoriales, opérateur public d’un côté et acteurs privés de l’autre.

Je regrette que vous jugiez bavard l’article 2. J’ai considéré qu’il était de ma responsabilité de rapporteur de faire un travail de synthèse et de mise en cohérence entre les amendements adoptés par l’Assemblée nationale et par le Sénat en première lecture. La rédaction que je propose cherche à donner de la force aux dix-sept axes qui constituent les politiques publiques culturelles dans notre pays. J’ai choisi des verbes traduisant une volonté, car, comme le disait Jean Jaurès, « là où il y a une volonté, il y a un chemin ».

Isabelle Attard, depuis le vote en première lecture de ce texte, nous avons examiné le projet de loi relatif à la République numérique. Nous avons ainsi tranché certaines questions comme celle de la liberté de panorama. Vous pourrez donc photographier votre famille devant le viaduc de Millau !

Michel Piron, comment un parlementaire aussi passionné de culture que vous et ayant autant contribué à l’enrichissement du texte en première lecture peut-il ainsi dévaluer notre travail collectif ? Vous tentez de nous persuader que ce projet de loi ne correspond pas à la grande loi annoncée par François Hollande lors de sa campagne présidentielle, mais le travail parlementaire a considérablement enrichi le texte. Je ne me souviens pas d’une loi d’une telle envergure dans les dernières décennies.

M. François de Mazières. Des lois plus marquantes que celle-ci ont été adoptées, comme celle du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations.

M. le rapporteur. La loi sur le mécénat est importante et permet à notre pays de jouer un rôle essentiel dans ce domaine, mais elle ne traite que d’un sujet. Le texte que nous examinons concerne tous les enjeux culturels, de la création au patrimoine, et je comprends que vous regrettiez de ne pas appartenir à la majorité qui porte ce texte, mais vous avez eu dix ans pour agir.

Gilda Hobert, je vous remercie d’avoir rappelé la richesse de ce texte, dont certaines dispositions ont été insérées à notre initiative, et d’avoir marqué votre attachement à la langue française – je ne parlerai plus de cloud, mais de nuage dans la suite de notre discussion.

Marie-George Buffet, vous avez raison d’affirmer que la proclamation de principes et de droits importe pour les acteurs culturels et pour nos concitoyens. L’accès du plus grand nombre à l’art et le renforcement du service public de la culture contribuent à faire de ce texte une grande loi.

Mme la ministre. Je vous remercie d’avoir enrichi le texte en première lecture et de vouloir encore l’améliorer lors de ce second examen. Le projet de loi est très large et embrasse beaucoup de secteurs, et les apports parlementaires permettent d’en faire d’ores et déjà une grande loi. Les termes de « droits », de « liberté », de « service public », de « création », d’« architecture », d’« équité » et de « diversité » illustrent le haut degré de notre ambition commune. Nous devons appliquer ces principes à un grand nombre de sujets pour effectuer un travail nécessaire qui n’avait pas encore été mené.

La loi de 2003 sur le mécénat est utile et n’a jamais été aussi bien utilisée que pour l’entrée récente de deux tableaux de Rembrandt dans les collections publiques européennes. Il faut savoir appliquer une loi et prendre ses responsabilités lorsque l’occasion se présente.

Le Gouvernement porte des ambitions élevées pour la culture puisque les crédits budgétaires ont augmenté, ce qui fait figure d’exception dans le contexte actuel. Cette progression a commencé en 2015 et, en 2016, elle atteindra 2,7 % ; en 2012 et 2013, le budget de la culture a participé au redressement des finances publiques. Les crédits dédiés aux monuments historiques n’ont jamais baissé depuis 2012 et ceux du patrimoine ont crû de 10 millions d’euros depuis deux ans. Cela contribue à assurer la stabilité et la pérennité de cette politique publique dans l’ensemble du pays.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

TITRE Ier
Dispositions relatives à la liberté de création et à la création artistique

Chapitre Ier
Dispositions relatives à la liberté de création artistique

Article 1er bis (nouveau) : Liberté de la diffusion de la création artistique

La Commission est saisie de l’amendement AC319 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le Sénat a introduit un nouvel article 1er bis relatif à la liberté de la diffusion de la création artistique. Nous avions débattu de ce sujet lors de l’examen du projet de loi en première lecture, et certains d’entre nous avaient souhaité associer la liberté de diffusion de la création artistique à la liberté de création au sein de l’article 1er. Celui-ci – qui dispose que « la création artistique est libre » –, ayant été adopté conforme par le Sénat, le nouvel article 1er bis vise à garantir la même liberté pour la diffusion de la création artistique.

La seconde phrase de cet article affirme que cette liberté s’exerce dans le respect de principes, tels la liberté d’expression et les droits garantis par le code de la propriété intellectuelle, principes qui s’appliquent nécessairement puisque le bloc constitutionnel les reconnaît déjà. En outre, cette énumération oublie d’autres principes garantis par la Constitution, comme le droit de propriété.

Quand la loi veut s’exprimer clairement, elle doit s’énoncer simplement, si bien que je vous propose de supprimer cette phrase de l’article 1er bis. On ne conserverait donc dans celui-ci que l’acquis apporté par le Sénat avec la phrase : « La diffusion de la création artistique est libre ».

Mme la ministre. J’émets un avis favorable à l’adoption de cet amendement. Cette liberté s’exercera dans le respect de l’ensemble des libertés fondamentales, et les énumérer présenterait plutôt le risque d’en oublier.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er bis modifié.

Article 2 : Objectifs de la politique de soutien à la création artistique et liberté de programmation artistique

La Commission étudie l’amendement de suppression AC171 de M. François de Mazières.

M. François de Mazières. Ce qui rend flou ce texte, c’est que l’on ne peut pas dire ce qu’il apporte. Mme Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la communication, avait annoncé l’élaboration d’une loi sur la création et d’une autre sur le patrimoine, ce qui présentait l’avantage de la clarté. On aurait également pu rédiger un texte législatif sur l’archéologie, à la suite du rapport de notre collègue Martine Faure sur l’archéologie préventive. Or, le texte que nous examinons est un pot-pourri dans lequel nous, comme le monde de la culture, nous perdons. La force de l’intelligibilité de la loi a disparu.

Ce reproche s’applique particulièrement à l’article 2, qui traite de l’ensemble des compétences du ministère de la culture. André Malraux avait rédigé un simple décret pour énumérer les missions du ministère des affaires culturelles, et on le cite encore ! Dans dix ans, personne ne se souviendra de la moindre phrase illustrant la teneur du texte que nous examinons. De nombreuses dispositions de ce projet relèvent d’ailleurs du domaine réglementaire.

Madame la ministre, vous ne pouvez pas dire que les crédits consacrés au patrimoine n’ont pas baissé au cours des deux premières années du quinquennat du Président de la République ! Cette réduction est – je cite de mémoire – de l’ordre de 130 millions d’euros et elle s’est poursuivie année après année. Les acteurs du secteur du patrimoine connaissent cette réalité et ils s’en plaignent !

Nous n’avons, bien entendu, rien contre l’affirmation des grands principes, mais cette proclamation doit se situer dans l’exposé des motifs de la loi, et non dans ses articles. Mon amendement vise donc à supprimer l’article 2, le premier article possédant déjà une signification et une valeur symbolique fortes.

M. le rapporteur. Avis défavorable, évidemment. Cet article constitue le cœur de la première partie du projet de loi consacré à la création artistique ; il contient tout ce que nous demandent les acteurs culturels depuis de nombreuses années. En juillet dernier, nous avons ainsi entendu en Avignon l’expression du besoin d’une grande loi d’orientation pour la création artistique donnant une valeur légale aux objectifs poursuivis par l’État, les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics. Nous avons enrichi progressivement ce texte, au terme d’un travail collectif important. Nous respectons tous André Malraux, qui a créé le ministère des affaires culturelles par un simple décret. Oui, on institue les ministères par voie réglementaire mais c’est la loi qui fixe les objectifs d’une politique publique et le décret cité date de cinquante-sept ans ! Ce projet de loi prend en compte les évolutions des objectifs poursuivis par les politiques publiques en matière culturelle, comme, entre autres, la décentralisation théâtrale qui, dans les années 1970, a précédé de dix ans la décentralisation institutionnelle. De grandes personnalités ont apporté leur contribution à la politique culturelle, que l’on pense à André Malraux, Jack Lang ou Jack Ralite, qui m’a beaucoup influencé et à qui je dois beaucoup.

Mme la ministre. Avis défavorable à cet amendement de suppression. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette définition par le Parlement du contenu de la politique culturelle d’aujourd’hui. Cette démarche a du sens dans le débat démocratique, pour les acteurs culturels et pour l’ensemble des acteurs de cette politique – État, collectivités territoriales et les établissements publics.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir pensé à Jack Ralite qui en a bien besoin en ce moment.

Monsieur de Mazières, je ne comprends pas votre conception de la loi qui la réduit à des mesures ; on a également besoin que la loi donne du sens et qu’elle affirme des droits. L’article 2 ne bavarde pas, il énumère des éléments très précis. L’équité territoriale n’est pas un concept abstrait. Je suis élue dans une circonscription regroupant des villes comme Stains ou La Courneuve, où permettre l’accès à la culture demande un engagement très fort des collectivités. Dans ce cadre, l’affirmation par la loi de l’équité territoriale s’avère très importante, car le législateur demande ainsi à l’État d’agir. L’article 2 fixe précisément les objectifs que celui-ci doit se donner pour le développement de la culture et pour l’accès égal de chacun et de chacune aux créations et à la pratique culturelles.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement AC35 du rapporteur, qui fait l’objet des sous-amendements AC381 de M. François de Mazières, AC124 de Mme Isabelle Attard, AC150 de M. Michel Piron, AC187 rectifié de Mme Marie-George Buffet, AC146 de M. Xavier Breton et AC370 de Mme Annie Genevard.

M. le rapporteur. J’ai souhaité réécrire l’article 2 après l’examen par chacune des chambres en première lecture afin de lui donner davantage de force et de cohérence, et d’éviter les répétitions. Pour être comprise et appliquée, la loi doit être claire.

Dans la version que je propose, l’article qualifie à nouveau de politique de « service public » la politique en faveur de la création artistique. L’objectif de favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes apparaît plus tôt dans l’énumération. La nature des droits culturels garantis est précisée par la référence à ceux énoncés par la convention de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005.

Cet article ne se contente pas d’affirmer un soutien à l’offre culturelle et vise à élargir l’accès à la culture en encourageant les pratiques amateurs et en rappelant que l’éducation artistique et culturelle constitue une priorité.

Mme Annie Genevard. Monsieur le rapporteur, j’ai comparé le texte du Sénat au vôtre : peu d’éléments diffèrent, si bien que l’on s’interroge sur la motivation de votre réécriture. Les deux premiers alinéas de votre amendement correspondent au troisième alinéa de l’article voté par le Sénat, et seul un mot, qui ne représente en outre pas un apport significatif, change ! À vos yeux, cet article constitue le cœur du projet de loi, et on peut penser que vous ne vouliez pas que le Sénat l’écrive, ce qui me gêne.

J’ai relu la convention de l’UNESCO à laquelle vous faites référence, et la notion de droits culturels a interpellé l’Association des maires de France (AMF). Proclamer des droits culturels suppose la définition des devoirs permettant d’en garantir le respect, et l’AMF s’interroge sur la nature des exigences que l’on pourrait aussi vouloir imposer aux collectivités locales.

M. Michel Pouzol. Cette nouvelle rédaction de l’article me paraît beaucoup plus précise que la précédente. Surtout, elle comporte deux points particulièrement importants : elle réaffirme le caractère de « service public » de la politique en faveur de la création artistique ; elle supprime la mention ajoutée par le Sénat relative à la « concertation avec les acteurs de la création artistique », qui affaiblissait la responsabilité de l’État et des collectivités territoriales dans la conduite de la politique en faveur de la création artistique, responsabilité qui, précisément, a présidé à la création d’un ministère de la culture.

M. Michel Piron. J’aurais besoin de quelques explications complémentaires de la part de notre rapporteur.

J’ai apprécié la modification qu’il a apportée à l’article 1er bis. En le raccourcissant, il l’a renforcé, car il a supprimé toute ambiguïté à l’affirmation initiale : « la diffusion de la création artistique est libre ».

Avec cet amendement, le rapporteur donne l’impression d’avoir éprouvé des remords. Il introduit un paragraphe où il est question de garantir la liberté de diffusion artistique. Pourquoi est-il besoin de garantir cette diffusion alors qu’à l’article 1er bis, le seul emploi de l’indicatif du verbe « être » suffisait à l’asseoir ? Y a-t-il une différence entre la « diffusion de la création artistique » et la « diffusion artistique » ? Cette nuance justifierait-elle cet ajout ? Je n’en suis pas totalement convaincu.

En tout état de cause, il m’apparaissait que la force dont vous aviez doté l’article 1er bis pouvait nous dispenser de cet ajout.

M. le rapporteur. Je suis tellement déçu par vos réactions que je préfère ne pas y répondre…

M. François de Mazières. Je dois dire que je ne comprends pas très bien, monsieur le rapporteur, pourquoi vous réaffirmez la responsabilité du service public tout en supprimant la référence introduite par le Sénat à la concertation avec les acteurs de la création artistique. S’il a fait cet ajout, c’est pour ne pas oublier que la politique de l’État se fait toujours en concertation avec ceux-ci, c’est le principe même de l’article 1er : c’est là où réside la vraie liberté. Mon sous-amendement AC381 vise à réintroduire cette mention.

Du reste, je note que votre nouvelle rédaction de l’article 2 comporte très peu de transformations. Je n’en vois que deux : le 4° bis A nouveau et la suppression d’un objectif
– « Contribuer à la formation initiale et continue des professionnels de la création artistique ». Était-il vraiment nécessaire de tout réécrire ? J’abonde dans le sens de ma collègue Annie Genevard, tout cela donne l’impression de vouloir effacer le travail du Sénat. Or, c’est une attitude coopérative que nous devons avoir.

Mme Isabelle Attard. Mon sous-amendement AC124 vise à supprimer le mot « française » après les mots « la création d’œuvres d’expression originale ». Votre rédaction pose une restriction qui pourrait aboutir à des situations délicates si, par exemple, une œuvre est le fruit d’une collaboration entre un artiste d’origine française et un artiste étranger.

Mme Marie-George Buffet. Mon sous-amendement AC187 rectifié vise à faire figurer dans l’article 2 la notion d’artiste-interprète.

M. Xavier Breton. Mon sous-amendement AC146 veut insister sur la dimension territoriale. Au 7°, après les mots : « Promouvoir la circulation des œuvres », nous proposons d’ajouter les mots : « sur tous les territoires », afin de prendre en compte l’impératif d’égal accès des territoires à la culture, notamment pour les territoires ruraux.

Mme Annie Genevard. Le sous-amendement AC370 vise à inscrire dans la loi la reconnaissance du rôle des collectivités territoriales et de leurs groupements dans le développement de la culture dans notre pays. Rappelons qu’il s’agit des premiers financeurs de la culture : ils lui apportent près de huit milliards d’euros par an, montant qui mérite à tout le moins que l’on reconnaisse ce rôle considérable. Nous risquons de prendre conscience de ce rôle de manière cruelle, car les enquêtes conduites dans les petites villes montrent que 45 % d’entre elles envisagent de diminuer leurs dépenses culturelles et que 20 % souhaitent réduire le budget qu’elles consacrent aux médiathèques.

S’il était adopté, mon sous-amendement constituerait à la fois une reconnaissance de leur rôle et un rappel de leurs responsabilités en matière culturelle. J’ajoute qu’il prévoit aussi l’organisation d’une « observation précise des politiques culturelles ». Il est, en effet, important de mesurer régulièrement ce qu’apportent les collectivités territoriales et leurs groupements.

M. le rapporteur. Je dois d’abord dire que je suis heureux du dépôt de ces six sous-amendements. Je rappelle que j’ai considéré qu’il était de ma responsabilité de rapporteur de faire la synthèse entre les apports de l’Assemblée nationale et ceux du Sénat en première lecture. Lorsque l’on est rapporteur, on a aussi en tête la perspective d’une possible commission mixte paritaire : le travail que nous faisons sur l’article 2 peut contribuer à ce que nous trouvions plus facilement un accord avec le Sénat ultérieurement. Certains ont souligné que cette réécriture n’introduisait qu’un ou deux changements mineurs. Dans mon exposé sommaire, je détaille précisément la douzaine de points que j’ai été amené à modifier.

Sur le sous-amendement AC381, je donne un avis défavorable. Les acteurs de la création artistique sont très longuement mentionnés tout au long de l’article 2 et je souhaite que l’on réaffirme clairement la responsabilité de l’État et des collectivités territoriales dans la conduite de la politique en faveur de la création artistique.

Je donne également un avis défavorable au sous-amendement AC124 : nous voulons justement soutenir la création d’œuvres d’expression originale française. C’est important, notamment pour les auteurs vivants français auxquels il est fait pour la première fois explicitement référence.

Avis défavorable encore sur le sous-amendement AC150. La redondance que M. Piron évoque ne me paraît pas choquante ; au contraire, elle me semble utile par les précisions qu’elle apporte.

J’aimerais beaucoup, madame Buffet, que vous retiriez votre sous-amendement AC187 rectifié. D’après mes calculs, il est fait référence à trois reprises dans l’article 2 à la nécessité de respecter le droit des auteurs et des artistes. Si vous souhaitez introduire les interprètes, je vous conseille de travailler à la rédaction d’un amendement que vous pourriez déposer en séance et auquel je porterai une attention particulière.

Je vous donne en revanche un avis favorable au sous-amendement AC146 de M. Breton : ajouter les mots « sur tous les territoires » introduit une utile précision.

Enfin, avis défavorable sur l’amendement AC370 de Mme Genevard. D’une part, un amendement analogue a déjà été rejeté en séance publique en première lecture. D’autre part, dès le premier alinéa de l’article 2, la complémentarité de l’action conduite par l’État et les collectivités territoriales est clairement mise en évidence.

Mme la ministre. Je soutiens la clarification de l’article 2 que le rapporteur a apportée à travers cette nouvelle rédaction. Elle me semble améliorer la lisibilité du texte et la visibilité de l’action publique. Je retiens deux notions importantes, mieux mises en avant dans ce réaménagement : d’une part, le caractère de service public de la politique en faveur de la création artistique ; d’autre part, l’éducation artistique et culturelle.

S’agissant des sous-amendements, le Gouvernement est défavorable à celui de M. de Mazières, AC381, satisfait par l’alinéa 17 de l’amendement du rapporteur.

Avis défavorable également au sous-amendement AC124 : il me semble utile de soutenir la création originale d’œuvres d’expression française, ce qui n’empêche pas de promouvoir sur les territoires les auteurs étrangers.

Avis défavorable encore au sous-amendement AC150. M. Piron propose de supprimer la garantie de la liberté de diffusion artistique, posée à l’article 2, dans la mesure où elle serait redondante avec l’article 1er bis. Or l’article 2 énonce des objectifs précis, là où l’article 1er bis a une portée plus générale.

S’agissant du sous-amendement AC187 rectifié, je m’en remets à votre sagesse. La notion d’artiste-interprète est déjà présente dans le texte et la question se pose de savoir s’il est utile de le répéter.

Je m’en remettrai également à la sagesse de votre commission à propos du sous-amendement AC146. Il me semble que la dimension territoriale des objectifs de soutien à la création artistique est également déjà présente dans le texte.

Enfin, avis défavorable au sous-amendement AC370. Je partage le souci de Mme Genevard de voir l’observation du secteur du spectacle vivant améliorée, mais des mesures concrètes vont déjà en ce sens plus loin dans le texte, avec notamment une remontée obligatoire des données de billetterie dans le spectacle vivant afin d’affiner les outils de connaissance du secteur.

Le sous-amendement AC187 rectifié est retiré.

M. Paul Molac. Madame la ministre, il ne faudrait pas que la mention au quatrième alinéa de la « création d’œuvres d’expression originale française » soit interprétée de manière restrictive comme étant de langue française. Je vous donnerai deux exemples.

La Poste a récemment refusé que les publications en langue bretonne bénéficient du même dégrèvement que les publications en langue française. Le problème depuis est réglé mais d’autres cas analogues pourraient se présenter.

Par ailleurs, n’oublions pas que Mireille, qui a valu à Frédéric Mistral le prix Nobel de littérature en 1904, a été écrit en provençal.

Mme la ministre. Le débat est de savoir s’il faut favoriser les œuvres d’expression originale française par rapport aux œuvres étrangères. L’amendement du rapporteur ne nie en rien la diversité des langues de France.

M. le rapporteur. Mme la ministre a tout dit : il ne s’agit bien sûr pas de contester la place des langues de France.

M. Marcel Rogemont. Nous avons le Théâtre de l’Europe. Nous suggérons à nos opérateurs de création d’essayer de faire vivre, non seulement la culture française, mais aussi les cultures européennes. Il serait peut-être utile de préciser que notre pays participe à leur reconnaissance, en même temps qu’il favorise l’essor de la création en langue française.

M. le rapporteur. Je précise qu’il s’agit, à travers ce quatrième alinéa, de répondre à une demande très forte de la part de nombreux auteurs contemporains. À ceux qui s’inquiètent de la limitation que pourrait apporter l’accent mis sur la création en langue française, je rappelle que le 7° invite à « promouvoir la circulation des œuvres, la mobilité des artistes et des auteurs, ainsi que la diversité des expressions culturelles, et favoriser les échanges et les interactions entre les cultures, notamment par la coopération internationale artistique ». Comme vous le voyez, l’article 2 n’encourage nullement un enfermement hexagonal. Il traduit deux préoccupations complémentaires, mais de nature différente.

Successivement, la Commission rejette les sous-amendements AC381, AC124, AC150 et AC370, et adopte le sous-amendement AC146.

Puis elle adopte l’amendement AC35 sous-amendé.

L’article 2 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AC53 de Mme Marie-George Buffet, AC172 de M. François de Mazières, AC152 de M. Michel Piron, AC55 et AC54 de Mme Marie-George Buffet, les amendements identiques AC49 de M. Xavier Breton et AC68 de Mme Gilda Hobert et l’amendement AC75 de Mme Annie Genevard tombent.

Article 2 bis : Inscription annuelle à l’ordre du jour des conférences territoriales de l’action publique d’un débat sur la politique en faveur de la création artistique

La Commission est saisie des amendements identiques AC126 de M. Lionel Tardy et AC151 de M. Michel Piron.

M. Lionel Tardy. Il y a un doublon manifeste dans l’article 2 bis. Sa première partie prévoit la création d’une commission thématique dédiée à la culture dans chaque conférence territoriale de l’action publique, dispositif lourd en lui-même puisque tous les sujets n’appellent pas la création de telles commissions. Quant à sa seconde partie, elle n’apparaît pas nécessaire. Elle prévoit l’obligation de débattre au moins une fois par an de la création artistique au sein de chaque CTAP. Or, rien n’interdit à la conférence de débattre de sujets qu’elle choisit : chacun de ses membres peut proposer l’inscription à l’ordre du jour de questions complémentaires et elle organise librement ses travaux.

Cet amendement vise donc à supprimer la deuxième partie de cet article.

M. Michel Piron. Parce que j’apprécie l’alinéa 3, qui vise à ce que chaque CTAP comprenne au moins une commission thématique dédiée à la culture, je ne comprends pas l’utilité des alinéas 4 et 5 et propose de les supprimer.

M. le rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat en première lecture. Le Sénat, dans sa grande sagesse, n’a pas voulu faire de choix et a préféré le cumul en faisant un ajout à cet article que notre assemblée avait introduit en première lecture. Et pour une fois, je vais dire : « vive le cumul ! ». Je donne donc un avis défavorable à ces deux amendements identiques et vous propose de voter conforme l’article 2 bis.

Mme la ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces deux amendements identiques. Les deux parties de l’article 2 bis nous paraissent se compléter utilement en prévoyant, d’une part, une commission spécifique dédiée à la culture au sein de chaque CTAP pour les élus qui souhaitent débattre des enjeux qui y sont liés dans la durée, et d’autre part, un débat général, au moins une fois par an, sur la politique en faveur de la culture qui impliquera l’ensemble des membres de la CTAP.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 2 bis sans modification.

Article 3 : Labellisation des structures du spectacle vivant et des arts plastiques

La Commission est saisie de l’amendement AC194 du Gouvernement, qui fait l’objet des sous-amendements AC373 de M. Lionel Tardy, AC372 de Mme Annie Genevard et AC374 de M. Lionel Tardy.

Mme la ministre. Il s’agit de reformuler la rédaction du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale sur les labels. L’article 3 a pour objectif de poser un cadre législatif clair à la politique des établissements labellisés. Or, la rédaction adoptée par le Sénat, en introduisant le principe d’un conventionnement et en supprimant l’agrément du dirigeant par le ministre chargé de la culture, a dénaturé la dimension nationale de la politique de labels. Je rappelle, s’il en était besoin, que la politique de labellisation par l’État est toujours menée en concertation avec les collectivités territoriales, lesquelles sont impliquées à tous les stades de la procédure, et qu’il s’agit même de la condition nécessaire à l’attribution d’un label. Cette procédure sera précisément décrite dans un décret d’application prévu par l’article 3, décret en cours de concertation avec les partenaires sociaux et les professionnels. Elle est, en outre, étudiée par un groupe de travail du Conseil des collectivités territoriales pour le développement de la culture.

Il me semble que l’article 3 issu du Sénat déstabiliserait les structures du spectacle vivant et des arts plastiques bénéficiant d’ores et déjà d’un label. Je vous propose donc de rétablir les axes fondamentaux de cette politique publique en reprenant les éléments de la rédaction issue de la première lecture à l’Assemblée nationale, tout en maintenant néanmoins certains ajouts proposés par le Sénat, tels les objectifs de coopération et la mention plus explicite des instances de gouvernance des structures dans les processus de nomination.

Il est important que votre Commission sécurise juridiquement cette politique publique des labels, qui a produit plusieurs générations d’artistes de talent et qui peut continuer à le faire si l’on renforce le cadre actuel.

Je voudrais aussi indiquer – j’ai déjà eu l’occasion de le constater – que, dans la quasi-totalité des cas, les élus locaux sont très satisfaits de cette intervention du ministère, qui permet d’expertiser, aux côtés des collectivités territoriales, les meilleurs profils s’agissant des nominations et aussi de donner une assise nationale à ces mêmes nominations, à travers la procédure d’agrément par le ministre chargé de la culture.

M. Lionel Tardy. Le Sénat a rectifié des dispositions qui posaient problème en matière d’attribution de labels. Le Gouvernement revient à la charge avec cet amendement, en souhaitant réinstaurer une forme d’immixtion dans la nomination des dirigeants de structures labellisées, ce qui n’est pas acceptable s’agissant de structures privées. Certes, la nomination du dirigeant sera validée par l’instance de gouvernance de la structure mais je ne vois pas pourquoi il faudrait en plus un agrément du ministère de la Culture, sachant que l’État intervient dans le processus de sélection, ce qui me paraît amplement suffisant. C’est le sens de mon sous-amendement AC373.

Avec la même argumentation, je maintiens que la procédure de sélection du dirigeant doit être laissée libre et ne doit pas être fixée par l’État. C’est le sens de mon sous-amendement AC374.

Mme Annie Genevard. Le sous-amendement AC372 vise à inscrire dans la loi la mention d’une procédure d’évaluation des activités des structures labellisées ainsi que du respect des missions qui leur sont confiées au titre du cahier des missions et des charges. Il fixe également une périodicité à cette évaluation, qui interviendrait tous les cinq ans.

La labellisation d’un établissement culturel entraîne une forte implication financière. Il paraît normal de l’évaluer régulièrement. Cette possibilité est théoriquement prévue mais, en réalité, le retrait d’un label est une procédure rare, voire rarissime.

M. le rapporteur. Je me réjouis que le Gouvernement ait pris l’initiative de réécrire l’article 3. Ce rôle lui revenait, car la politique de labellisation est portée par le ministère. Vous avez souhaité retrouver les grands équilibres que notre assemblée avait fixés en première lecture. Je rappelle, s’il le fallait, l’importance de cet article : il vise à inscrire dans la loi la politique de labellisation, afin de lui apporter davantage de sécurité juridique. Cette politique est une politique nationale, et vous avez eu raison, madame la ministre, de rétablir l’agrément ministériel que le Sénat avait supprimé.

Cet avis favorable implique un avis défavorable aux sous-amendements de M. Tardy. Si nous étions amenés à supprimer l’agrément du ministre de la culture, cela fragiliserait les structures culturelles déjà labellisées.

Madame Genevard, sachez que je suis sensible à votre démarche. L’évaluation est le corollaire d’une politique de labellisation. J’ai bien compris le souci qui vous anime. Nous nous situons toutefois avec votre sous-amendement dans un cadre réglementaire : c’est au ministère, en application de l’article 3, qu’il appartiendra, par décret en Conseil d’État, de préciser les conditions d’attribution du label et, le cas échéant, les modalités d’évaluation et les sanctions. Peut-être est-il trop tôt pour que Mme la ministre nous donne des précisions sur le contenu de ce futur décret, toujours est-il que je vous suggère de retirer votre sous-amendement.

Mme Annie Genevard. Je vais faire un peu de mauvais esprit. En première lecture, il m’a été demandé de retirer un amendement portant sur la reconnaissance des pratiques amateurs, motivé par le fait qu’il n’y avait pas de mention à ces pratiques dans le projet de loi, si ce n’est à l’article 11 à l’initiative de M. le rapporteur. Celui-ci m’a demandé de le retirer pour le représenter en séance et je me suis ensuite fait « couper l’herbe sous le pied » par un amendement « maison ». Et je dois dire que je n’ai pas encore bien digéré cet épisode.

Je veux bien retirer ce sous-amendement, mais je présenterai un amendement en séance, peut-être moins précis puisqu’un décret viendra définir les modalités de la labellisation : il encadrera les conditions d’attribution et, le cas échéant, de retrait du label.

Le sous-amendement AC372 est retiré.

Mme la ministre. Monsieur Tardy, la procédure menée par la structure labellisée pour recruter son dirigeant est libre. Elle doit faire l’objet d’un vote par le conseil d’administration. Ce n’est qu’ensuite qu’intervient l’agrément par le ministre, dont j’ai déjà souligné l’importance eu égard au caractère national de la politique de labellisation.

S’agissant de l’évaluation, madame Genevard, une procédure existe déjà. Elle aboutit cependant très rarement à des retraits de label, qui ne sont pas intervenus plus de cinq fois en l’espace de vingt ans. Ce qui arrive souvent, et qui me semble intéressant compte tenu de la pluralité des partenaires publics impliqués dans ces structures, ce sont des suspensions de label sous réserve d’un travail sur tel ou tel aspect jugé défaillant. Le cas le plus récent concerne une scène nationale à La Martinique. Enfin, je vous indique que dans le décret d’application de l’article 3 en préparation, toute une section sera consacrée à l’évaluation, avec des sanctions allant de la suspension au retrait du label.

La Commission rejette successivement les sous-amendements AC373 et AC374.

Puis elle adopte l’amendement AC194.

L’article 3 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AC73, AC74 et AC72 de Mme Annie Genevard, AC104 de Mme Isabelle Attard, AC173 de M. François de Mazières, AC87 de Mme Annie Genevard et AC105 de Mme Isabelle Attard tombent.

Article 3 bis (supprimé) : Rapport au Parlement sur la mise en place d’un dispositif de « 1 % travaux publics »

La Commission est saisie de l’amendement AC44 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent amendement a pour objet de rétablir l’article 3 bis supprimé par le Sénat en première lecture. Il s’agit de prévoir, dans les six mois suivant la promulgation de la loi, la remise au Parlement par le Gouvernement d’un rapport consacré à la création d’un nouveau dispositif dit de « 1 % travaux publics » pour la création artistique en espaces publics, à côté du dispositif du « 1 % artistique » créé en 1951.

J’ai souhaité réitérer cette démarche, que vous aviez approuvée en première lecture, car il n’était pas possible de légiférer dès aujourd’hui, notamment parce que la règle relative à la recevabilité financière des initiatives parlementaires nous en empêche. Je nourris l’espoir qu’un jour prochain le Gouvernement prendra cette décision, car lui seul peut le faire. Il s’agit de prendre en compte une évolution très importante, pour ne pas dire essentielle : l’espace public est devenu depuis plusieurs années un lieu déterminant pour l’accès à la culture de nombre de nos concitoyens. Il n’est que de voir le succès des grandes manifestations qui ont lieu dans les rues de nombreuses villes en France.

Il convient de réfléchir à la mise en place d’un dispositif par lequel l’État et les collectivités territoriales consacreraient volontairement 1 % du coût de leurs opérations de travaux publics au soutien d’actions artistiques permettant à l’usager d’être mis en relation avec des manifestations artistiques et culturelles dans l’espace public.

Je ne sais pas si certains d’entre vous ont participé à la manifestation « Rue libre ! » qui se tient chaque année à Paris, Place de la République, à l’initiative de la Fédération nationale des arts de la rue. Néanmoins, je vous indique que des engagements y ont été pris par toutes les formations politiques représentées dans cette commission et leurs candidats aux différents scrutins à venir…

Mme la ministre. Je suis très favorable au rétablissement de cet article, et le Gouvernement se réjouit de produire un rapport sur ce sujet. Le dispositif du « 1 % artistique » est une réussite, les œuvres qui en sont issues font tous les ans l’objet d’un plan de valorisation, notamment lors des journées européennes du patrimoine, qui connaissent un grand succès. Il faut déterminer comment transposer cette expérience très riche à des projets artistiques dans l’espace public, notamment aux arts de la rue.

Une réflexion est actuellement menée par la mission nationale pour l’art et la culture dans l’espace public, dirigée par M. Jean Blaise. Son objet rejoint votre approche et j’espère que cette mission nous rendra prochainement ses travaux. Ce rapport pourra définir les modalités qui permettront de travailler avec les collectivités sur la mise en place de ce « 1 % travaux public ».

La Commission adopte l’amendement.

L’article 3 bis est ainsi rétabli.

Chapitre II
Le partage et la transparence des rémunérations dans les secteurs de la création artistique

Article 4 B (supprimé) : Rapport sur l’amélioration du partage et de la transparence des rémunérations dans le secteur du livre

La Commission est saisie de l’amendement AC320 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement rétablit, là encore, un article supprimé par le Sénat en première lecture. Il prévoit une nouvelle demande de rapport, mais elles ne sont pas nombreuses dans ce projet de loi, et je note que le Sénat lui-même en a introduit quelques-unes…

Ce rapport devrait inciter le Parlement à porter un regard vigilant sur les discussions en cours entre auteurs et éditeurs, qui ont abouti à un accord entre le Syndicat national de l’édition et le Conseil permanent des écrivains sur le contrat d’édition à l’ère numérique, mis en œuvre par une ordonnance du 12 novembre 2014. Ce rapport évaluera les modalités d’application des nouvelles dispositions issues de l’ordonnance et de l’arrêté d’extension. Il devra également présenter les résultats des discussions qui ont repris en septembre 2015 entre organisations représentatives des éditeurs et titulaires de droits d’auteurs, et s’interroger sur l’opportunité de mettre en place une instance de dialogue permanente dans le secteur du livre.

Mme la ministre. Avis favorable. Un travail très important a été réalisé entre les éditeurs et les auteurs, qui a abouti à l’ordonnance du 12 novembre 2014, que le Gouvernement vous proposera de ratifier par une autre disposition de ce projet de loi. Des avancées majeures ont eu lieu, mais tous les sujets n’ont pas encore été abordés dans le cadre de ces discussions, qui se poursuivent. La remise du rapport par le Gouvernement permettra de savoir comment l’ordonnance et l’accord professionnel qui a été étendu à tout le secteur du livre seront concrètement mis en œuvre.

Le présent projet de loi nous donnera aussi l’occasion d’étudier une disposition traduisant les dernières discussions entre auteurs et éditeurs, qui permet à l’auteur de résilier de plein droit le contrat d’édition lorsque les droits qui lui sont dus ne lui ont pas été versés. C’est aussi le résultat de l’avancée des négociations entre auteurs et éditeurs qui progressent très bien, sous l’œil vigilant du ministère, à tel point qu’il est question de créer une instance de dialogue permanent entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national des éditeurs.

M. Michel Piron. J’approuve également cet amendement du rapporteur. Il est vrai que les rapports entre éditeurs et auteurs ne sont pas toujours aisés. Lors de la discussion en première lecture, il suffisait de quelques retours d’information pour comprendre que cette disposition ne peut aller que dans le bon sens en facilitant un meilleur dialogue et en préservant la liberté, non seulement théorique, mais surtout réelle, de la création artistique.

Ce rapport sera particulièrement bienvenu pour aider la démarche en cours et contribuer à améliorer, dans un certain nombre de cas, le dialogue indispensable entre éditeurs et auteurs.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 4 B est ainsi rétabli.

Article 5 : Protection contractuelle des artistes-interprètes

La Commission est saisie de l’amendement AC106 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement tend à revenir à la rédaction proposée par l’Assemblée nationale, afin que les musiciens accompagnants puissent eux aussi être rémunérés pour des exploitations non prévisibles.

M. le rapporteur. La commission de la Culture du Sénat a limité l’application des règles relatives aux formes non prévisibles et non prévues d’exploitation aux seuls artistes principaux, dont nous avions débattu en première lecture à l’Assemblée. J’estime, comme notre collègue Isabelle Attard, qu’il est injustifié de priver ces artistes d’accompagnement d’une possible rémunération pour les exploitations non prévisibles. J’émets donc un avis favorable à cet amendement.

Mme la ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AC99 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Les alinéas 9 et 10 de l’article 5 imposent des rémunérations distinctes pour chaque mode d’exploitation, ce qui contraindra la négociation des contrats. L’amendement AC99 vous propose, au contraire, de donner préférence à la convention collective, qui prend en compte les différents modes d’exploitation. Nous préconisons donc de s’en remettre à la négociation, qui laisse davantage de liberté.

M. le rapporteur. Je donnerai le même avis sur cet amendement et le suivant. Mme Genevard nous propose de revenir sur des dispositions que le Sénat n’a pas jugé utile de modifier. L’inconvénient majeur de ces deux propositions est qu’elles aboutissent à une moindre protection des artistes. C’est la raison pour laquelle j’y suis défavorable.

Mme la ministre. Avis défavorable à l’amendement AC99, nous souhaitons maintenir, au bénéfice de tous les artistes, le principe selon lequel chaque mode d’exploitation donne lieu à une rémunération spécifique.

Quant à l’amendement AC100, qui a pour objet de supprimer la distinction, s’agissant de la rémunération, entre les modes d’exploitation physique et numérique, l’avis est également défavorable. Il faut, au contraire, maintenir cette distinction pour chaque mode d’exploitation.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC100 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Vous affirmez que les droits du créateur sont moins bien garantis par cet amendement, ce point est discutable dans la mesure où le contrat peut prévoir différents supports et englober dans un forfait le recours à ces différents supports. Il n’est donc pas avéré que la rémunération soit moindre, simplement, au lieu d’être fixée par la loi, elle fait l’objet d’une convention entre les parties.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 5, modifié.

Article 6 bis A (nouveau) : Création de l’observatoire de l’économie de la musique

La Commission est saisie de l’amendement de suppression AC127 de M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. L’accord signé en octobre dernier entre le ministère et la filière musicale prévoit plusieurs mesures qui n’ont pas forcément vocation à figurer dans la loi. C’est le cas de la création d’un Observatoire de l’économie de la musique. Quel que soit l’intérêt que présente la création d’un tel observatoire, celle-ci relève du pouvoir réglementaire, comme c’est le cas de tous les comités de ce type. Il convient donc de supprimer cette disposition qui relève du pur affichage.

M. le rapporteur. Je suis désolé de contredire M. Tardy mais, contrairement à ce qu’il vient de dire, la création de l’Observatoire relève bien du domaine de la loi, au moins s’agissant de l’inscription de son adossement au Centre national des variétés et du jazz (CNV) et des dispositions relatives aux données qu’il pourra collecter. Avis défavorable, donc.

Mme la ministre. Le CNV, auquel l’Observatoire sera adossé, a été créé par la loi du 4 janvier 2002, et ses missions figurent dans la loi. Aujourd’hui, pour créer cet Observatoire de l’économie de la musique au sein du CNV, il faut préciser les missions de cet établissement en modifiant l’article 30 de la loi de 2002. On ne peut donc pas utiliser la voie réglementaire, et par conséquent je suis défavorable à votre amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle discute ensuite de l’amendement AC245 du Gouvernement.

Mme la ministre. L’Observatoire de l’économie de la musique, dont la création constitue l’un des engagements du protocole Schwartz signé en octobre 2015, sera géré par le CNV, qui en assurera le fonctionnement logistique. L’objectif recherché par l’ensemble des acteurs et par les pouvoirs publics est que l’observatoire puisse disposer de l’ensemble des données existantes et agisse dans une stricte neutralité.

Cet amendement permet d’améliorer le texte adopté par le Sénat en prévoyant, d’une part, la possibilité que l’Observatoire soit doté de moyens propres, d’autre part que sa gouvernance soit assurée par un comité d’orientation qui reflétera la diversité de la filière musicale.

Cette seconde disposition est jugée préférable à celle qui prévoyait un rattachement direct au directeur du CNV et présente l’avantage d’une meilleure implication de l’ensemble des acteurs de la filière, qui sera garante du bon fonctionnement de cet observatoire.

M. le rapporteur. Avis favorable.

M. François de Mazières. Nous entendons les arguments de la ministre, mais un budget est-il prévu ?

Mme la ministre. Nous en revenons à cette question. En effet, il faudra une contribution spécifique afin d’assurer le bon fonctionnement de l’Observatoire.

M. François de Mazières. De manière générale, il manque des études d’impact à ce projet de loi. Cette disposition est l’une de celles pour lesquelles une telle étude serait nécessaire.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 6 bis A est ainsi rédigé.

Article 6 bis (supprimé) : Application du régime de la licence légale aux services radiophoniques diffusés sur internet

La Commission est saisie des amendements identiques AC195 du Gouvernement et AC107 de Mme Isabelle Attard.

Mme la ministre. Le présent amendement tend à rétablir une disposition du projet de loi adoptée en première lecture pour étendre la licence légale aux services de radio qui diffusent leurs programmes uniquement sur internet. Ainsi nous assurons un strict respect de la neutralité technologique, qui garantit qu’un même régime juridique s’applique à tous les services de radio, quel que soit leur mode de diffusion.

Le périmètre de la licence légale n’est étendu qu’aux radios diffusées sur internet en flux continu, il n’a pas vocation à s’appliquer aux webradios qui offrent aux internautes la possibilité d’accéder au moment voulu à un phonogramme. Il s’agit bien du même usage que celui de la radio par les ondes hertziennes, ce qui justifie l’application du même régime par respect du principe de neutralité technologique.

M. le rapporteur. Je souhaitais que le Gouvernement, qui en avait pris l’initiative lors de la première lecture du projet de loi devant notre assemblée, soit à l’origine du rétablissement de l’extension des licences légales aux webradios.

Je me réjouis donc de ces deux amendements identiques, et je donne un avis favorable au rétablissement de cet article au nom du principe de neutralité technologique.

Mme Annie Genevard. Je partage l’avis exprimé par notre collègue François de Mazières, car une étude d’impact aurait été utile sur cet amendement. La licence légale est un régime dérogatoire au droit d’auteur classique, le tarif est encadré sous l’égide de l’État, qui permet un tarif intéressant pour les radios, généralement corrélé au chiffre d’affaires. Cette contribution reste modeste : ainsi, pour une radio comme NRJ, elle ne représente que 3 % du chiffre d’affaires.

Vous pensez que l’assujettissement à la licence légale des webradios améliorera la rémunération des artistes ; on peut en douter. Les accords de gré à gré, qui ne se font pas sous l’égide d’une commission administrative, aboutissent à ce que les webradios contribuent en moyenne à hauteur de 12 % de leur chiffre d’affaires. Cela permet d’abonder substantiellement le financement de la création. Par conséquent, une étude d’impact aurait été très utile pour prendre une décision éclairée en la matière.

Mme la ministre. La rémunération des artistes n’est pas le seul objet de cette mesure, qui vise aussi à prendre en compte la réalité de l’évolution technologique. Une mesure qui a été accordée pour les radios diffusées par voie hertzienne n’aurait aucune raison de ne pas être accordée à celles qui sont diffusées par flux internet. Il s’agit du même service diffusé différemment.

M. Marcel Rogemont. C’est la simple application du principe de neutralité technologique, que nous retrouverons dans d’autres domaines. Nous devons être attentifs à ce que des modes de diffusion comparables soient traités de la même façon.

M. François de Mazières. Le rapport du Sénat est très clair sur ce point : « Pour autant, il n’est pas certain que le dispositif soit réellement favorable, aussi bien aux artistes qu’aux producteurs. En effet, l’extension de la licence légale au webcasting pourrait entraîner un nivellement par le bas des rémunérations de l’ensemble des ayants droit. […] Dans l’attente d’une véritable étude d’impact qui viendrait infirmer ces chiffres et plaider en faveur de la licence légale au-delà du seul argument de la neutralité technologique, il ne semble pas opportun de légiférer sur ce sujet ». Une nouvelle fois, nous sommes confrontés, avec ce texte touche-à-tout, à un problème de précipitation pour traiter de sujets importants. Notre préoccupation est de protéger prioritairement les artistes, et aussi les producteurs.

M. Michel Pouzol. Je ne reviens pas sur l’argument de la neutralité technologique qui vient d’être développé. Mais, j’aimerais que nos collègues nous disent en quoi rémunérer les artistes pour des diffusions dont ils ne bénéficient pas encore constituerait un frein à leur rémunération et un handicap pour les artistes et les producteurs. Votre raisonnement me paraît pour le moins singulier.

M. le rapporteur. Je ne vois pas de précipitation dans la démarche du Gouvernement, que nous soutenons. Je rappelle que cette disposition avait été votée en première lecture à l’Assemblée nationale il y a plus de six mois. Il est vraiment temps de légiférer en ce domaine, au nom du principe même de neutralité technologique.

J’ai lu les mêmes argumentaires que vous, monsieur de Mazières. On nous dit que cette disposition porterait davantage préjudice aux artistes qu’aux producteurs, mais je crains que ce ne soit les producteurs plutôt que les artistes qui nous invitent à ne pas légiférer et à attendre encore et encore. Il n’est pas besoin d’étude d’impact.

La Commission adopte les amendements identiques.

L’article 6 bis est ainsi rétabli.

Article 7 : Création d’un médiateur de la musique

La Commission examine l’amendement AC45, du rapporteur, qui fait l’objet des sous-amendements AC378 de Mme Virginie Duby-Muller et AC164, AC166 et AC165 de Mme Annie Genevard.

M. le rapporteur. Cet amendement a pour objet de revenir aux dispositions concernant le médiateur de la musique adoptées par l’Assemblée nationale en première lecture. Certaines des modifications apportées par le Sénat peuvent présenter un intérêt, d’autres sont pour le moins contestables. J’ai préféré, à titre conservatoire, un retour au texte adopté en première lecture, sachant que cela vous donnerait l’opportunité de déposer des sous-amendements.

Mme Virginie Duby-Muller. Le sous-amendement AC378 tend à supprimer le quatrième alinéa de l’amendement AC45. Le médiateur de la musique apparaît comme le prolongement naturel des médiateurs du cinéma et du livre. Il est toutefois doté d’un champ de compétences beaucoup plus large, ce qui risque de diluer son efficacité et d’en faire une autorité généraliste sur le secteur, loin de l’objectif affiché. Le médiateur du livre a pour mission exclusive de traiter du prix unique du livre ; le médiateur du cinéma a pour unique domaine de compétence les conditions d’exploitation des films en salles. Par parallélisme, il est proposé de supprimer la compétence de conciliation donnée au médiateur de la musique pour tout litige relatif aux accords entre artistes-interprètes, producteurs et éditeurs qui font déjà l’objet d’accords collectifs négociés avec la totalité de la branche de l’édition phonographique.

Mme Annie Genevard. Le sous-amendement AC164 a pour objet de circonscrire la mission principale du médiateur, afin qu’il ne soit pas l’arbitre des rapports de force qui existent au sein du secteur.

Le sous-amendement AC166 tend à rétablir la rédaction du Sénat afin d’éviter un conflit de compétence entre le médiateur de la musique et la commission paritaire d’interprétation, de conciliation et de validation des accords de l’édition phonographique.

Quant au sous-amendement AC165, il tend à prévenir toute divulgation d’éléments qui pourrait être préjudiciable dans un secteur très concurrentiel.

M. le rapporteur. Le sous-amendement AC378 avait été rejeté en première lecture. Pourquoi supprimer la compétence du médiateur de la musique pour les litiges relatifs aux accords entre les artistes-interprètes, les producteurs et les plateformes ? Mme Duby-Muller fait référence aux médiateurs du livre et du cinéma, mais les trois secteurs en question sont extrêmement différents quant à leurs acteurs et leur modèle économique. Avis défavorable.

Le sous-amendement AC164 avait également été rejeté en première lecture, car il faut à nos yeux, au contraire, ouvrir largement la saisine du médiateur à tous les acteurs impliqués, notamment les organisations professionnelles et syndicales, et les mandataires. Avis défavorable.

Le sous-amendement AC166, qui tend à intégrer des éléments introduits par le Sénat sur l’articulation des compétences entre le médiateur de la musique et la commission paritaire de conciliation, me semble intéressant. J’y suis favorable.

Enfin, le sous-amendement AC165 a pour objet de limiter le niveau de publicité des actes du médiateur à la seule conclusion de la conciliation et à la recommandation, au lieu du procès-verbal. Je ne suis pas convaincu de la nécessité, même dans ce secteur très concurrentiel, de maintenir un secret. Je rends donc un avis défavorable, au nom de la transparence, le secret des affaires étant naturellement respecté.

Mme la ministre. L’amendement AC45 du rapporteur revient sur les modifications introduites par le Sénat, notamment celles portant sur les facultés de publication données au médiateur, et rétablit la rédaction initiale du texte. Le Gouvernement y est favorable, car, à la différence du médiateur du cinéma, le médiateur de la musique n’aura pas de pouvoir d’injonction. Son pouvoir d’influence est donc lié à sa capacité de rendre publique l’ensemble de ses décisions, y compris les procès-verbaux de conciliation.

S’agissant du sous-amendement AC378, il me semble important que les accords collectifs, qui font partie des instruments de régulation du secteur, puissent être interprétés ou soumis à l’avis du médiateur de la musique. Je pense, par exemple, à l’accord pour un développement équitable de la musique en ligne, qui a été signé en octobre 2015. Il faut savoir que, dans ce cadre, le médiateur aura pour mission de favoriser la conclusion du code des usages. Il ne faudrait donc pas restreindre le champ de ses missions ni les modalités de sa saisine. Avis défavorable à ce sous-amendement.

Je ne reviens pas sur les raisons pour lesquelles il est nécessaire d’ouvrir largement les facultés de saisine du médiateur. Avis défavorable, donc, au sous-amendement AC164.

Le sous-amendement AC166 prévoit l’articulation avec les dispositions de la convention collective de l’édition phonographique. Comme le rapporteur, j’ai été sensible à cette clarification, déjà retenue au Sénat. J’y suis donc favorable.

En revanche, je suis défavorable au sous-amendement AC165, car il faut permettre la publication des procès-verbaux. Par ailleurs, il est déjà prévu que la publication des travaux du médiateur sera réalisée sous réserve des informations couvertes par le secret des affaires. La demande est donc déjà satisfaite. Avis défavorable.

Successivement, la Commission rejette les sous-amendements AC378 et AC164, adopte le sous-amendement AC166 et rejette le sous-amendement AC165.

Elle adopte ensuite l’amendement AC45, sous-amendé.

L’article 7 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AC125 de Mme Virginie Duby-Muller et AC88 et AC89 de Mme Annie Genevard tombent.

Article 7 bis AA (nouveau) : Assujettissement à la rémunération pour copie privée de certaines pratiques de copie dans le nuage

La Commission examine les amendements identiques de suppression AC19 de Mme Dominique Nachury et AC128 de M. Lionel Tardy.

Mme Dominique Nachury. Cette commission aurait pu utilement prendre connaissance du rapport d’information de notre collègue Marcel Rogemont sur le bilan et les perspectives de la copie privée. Ledit régime ne peut s’appliquer qu’à condition qu’il y ait une identité de personne entre celui qui réalise la copie et le bénéficiaire de cette copie. Je vous propose donc de supprimer cet article.

M. Lionel Tardy. La tentative d’étendre la redevance pour copie privée au cloud n’avait pas fonctionné à l’Assemblée nationale en première lecture, mais il semble qu’elle ait prospéré au Sénat. Il est inacceptable de vouloir étendre une taxe alors que son fonctionnement est imparfait. La redevance pour copie privée doit se fonder sur des études d’usage, mais pour l’extension ici prévue, de telles études n’ont pas été effectuées. Malgré l’abandon de la notion de garde, introduite l’espace d’un instant au Sénat, les amendements de repli montrent bien que la rédaction reste très imparfaite. La diversité des services visés ne permet pas de proposer une rédaction englobante.

Cette disposition ne fait que complexifier la loi, et toute cette démarche est guidée par la volonté taxatrice au détriment du consommateur. Il faut refuser toute extension de ce mécanisme tant qu’il n’aura pas été réformé pour être équitable et ne se traduise pas par une augmentation des barèmes. On est très loin du compte, et il est urgent de supprimer cet article.

M. le rapporteur. Ce sujet très sensible avait fait l’objet d’une discussion en première lecture qui nous avait amenés à ne pas légiférer en ce domaine.

L’article 7 bis AA a été introduit par la commission de la Culture du Sénat afin d’adapter le cadre législatif de la copie privée au développement des pratiques dites de l’informatique dans le nuage, qui permettent à des particuliers de louer de l’espace de stockage en vue de conserver à distance des œuvres et des objets protégés, de les consulter et de les reproduire sur une pluralité d’appareils.

L’article a ensuite été modifié en séance publique, puis a fait l’objet d’une seconde délibération, ce qui, compte tenu de la rareté de cette procédure, illustre bien la complexité du débat. Un amendement adopté un peu rapidement avait, en effet, pour conséquence malheureuse – c’est un euphémisme ! – de limiter sensiblement le champ de la rémunération pour copie privée, alors que la volonté était de l’étendre.

Ce sujet est éminemment complexe et il est, en effet, fort ennuyeux que nous ne disposions d’aucune étude d’impact. Il nous faut donc légiférer d’une main d’autant plus tremblante que l’excellent rapport de la mission d’information présidée par notre collègue Virginie Duby-Muller, dont Marcel Rogemont était le rapporteur, abordait la question en ses pages 81, 82 et 83 sous forme d’interrogation. Il rappelle que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) lui-même n’avait pas tranché, faute d’unanimité en son sein, et le rapport concluait sur ce point : « D’autres arguments invitent à la prudence. Pour les professeurs de droit spécialistes des droits d’auteurs Pierre-Yves Gautier et Pierre Sirinelli, auditionnés par la mission d’information, il est trop tôt pour assujettir le “nuage” à la rémunération pour copie privée. L’informatique en nuage ne fait, en effet, selon eux, pas encore l’objet d’une utilisation de masse et il est préférable d’attendre de voir comment les utilisateurs vont se servir de cette nouvelle possibilité technique. Il n’existe d’ailleurs pas “un” mais “des” nuages, ce qui rend l’analyse juridique complexe. »

De ce fait, pour être tout à fait honnête avec vous, j’avais abordé cette deuxième lecture en accueillant favorablement les deux amendements de suppression. Or, leur adoption, en entraînant la suppression de l’article 7 bis AA, rendrait impossible la présentation de l’amendement AC285 de Marcel Rogemont, dont le dépôt est intervenu plus tard. Afin que le débat ait pleinement lieu sur cette question – car c’est le plus important –, je suis donc amené à donner un avis défavorable aux amendements de suppression.

Mme la ministre. Il s’agit, en effet, d’une question très délicate, car il nous faut trouver un équilibre entre le système de droits exclusifs et la rémunération pour copie privée, dont je rappelle qu’elle n’est pas une taxe. De fait, les usages se modifient, mais nous devons prendre garde à ne pas étendre cette rémunération à des usages qui n’en seraient pas, sous peine d’en faire le cheval de Troie d’une diminution du système de droits exclusifs, qui pourrait remettre en cause la titularité et la rémunération des droits dans l’audiovisuel. Toutefois, nous devons également prendre en compte l’évolution des usages et être neutres par rapport aux évolutions technologiques.

À cet égard, l’amendement AC285 de M. Marcel Rogemont traduit, me semble-t-il, une approche prudente et équilibrée, puisqu’il vise à étendre le régime de la copie privée aux seuls enregistrements de programmes de radio et de télévision par le biais de services d’enregistrement numérique à distance, lesquels s’apparentent à des magnétoscopes numériques dont les enregistrements sont déposés dans le fameux nuage. Je suis donc défavorable aux amendements de suppression de l’article 7 bis AA et favorable à l’amendement AC285.

M. Marcel Rogemont. Je remercie le rapporteur de la lecture attentive qu’il a faite de mon rapport d’information, dans lequel je souligne combien il est difficile de traiter de la question de la copie privée. Depuis l’arrêt Rannou-Graphie de la Cour de cassation, qui date du 7 mars 1984, les choses ont profondément évolué. Nous devons donc adapter la législation à ces évolutions. Je partage une partie des inquiétudes qui ont été exprimées à propos du texte voté par le Sénat, mais, plutôt que de le supprimer, je souhaiterais qu’on lui substitue une autre rédaction. C’est pourquoi je suggère que nous rejetions ces deux amendements de suppression, de façon à ce que nous puissions avoir une discussion de fond lors de l’examen de mon amendement AC285.

M. Christian Kert. Nous sommes d’accord pour considérer que la rédaction du Sénat est insatisfaisante, car elle peut faire l’objet d’interprétations opposées. Il nous faut donc y mettre de l’ordre. Dès lors que l’on ne supprime pas l’article 7 bis AA, nous estimons que l’amendement AC285 de Marcel Rogemont répond à notre préoccupation.

L’amendement AC19 est retiré.

La Commission rejette l’amendement AC128.

Puis elle discute de l’amendement AC285 de M. Marcel Rogemont.

M. Marcel Rogemont. En première lecture, Mme Martine Martinel et moi-même avions déposé un amendement qui visait à prendre en compte les évolutions technologiques et à adapter le régime de la copie privée. J’avais cependant, à la demande du Gouvernement, retiré cet amendement, au profit d’un travail collaboratif sur une nouvelle rédaction. Depuis, nous avons beaucoup travaillé avec de nombreuses personnes du ministère.

Entre-temps, le Sénat a souhaité faire entrer les services d’enregistrement numérique à distance, les Net personal video recorder (NPVR) – que je préfère dénommer Enregistreurs personnels de vidéo en réseau (EPVR) –, dans le champ de l’exception de copie privée. Cette extension se justifie par la continuité technologique existant entre ces nouveaux services. En effet, si les modes de stockage évoluent, les pratiques de la copie privée des consommateurs, quant à elles, restent les mêmes. Suivant cette logique, mon amendement prend soin de n’assujettir que les services du nuage qui s’inscrivent dans cette continuité technologique. Je tiens donc à rassurer certains acteurs qui ont publiquement exprimé des craintes face à un risque éventuel d’extension de l’exception pour copie privée à d’autres services du nuage : l’amendement ne vise que les services EPVR.

Par ailleurs, il s’attache à répondre à certaines critiques concernant l’impact éventuel des EPVR sur les services audiovisuels à la demande. Ainsi, l’amendement ne vise que les services proposés par les éditeurs et distributeurs de télévision et de radio. Le risque de voir proliférer des services de copie en ligne est donc nul. De même, les services de télévision de rattrapage sont exclus, afin de ne pas leur porter préjudice, non plus qu’aux offres de vidéo à la demande.

En conclusion, cet amendement répond, me semble-t-il, à la question de l’extension de l’exception pour copie privée que j’avais évoquée dans mon rapport d’information. Je propose donc qu’il se substitue au texte du Sénat, qui présente notamment l’inconvénient de subordonner la mise en œuvre de l’exception pour copie privée à une autorisation préalable des éditeurs, ce qui est incompatible avec le principe même de cette exception. Enfin, je le répète, cet amendement est le fruit d’une coproduction entre l’Assemblée nationale et le ministère de la Culture.

M. le rapporteur. Une coproduction, surtout, entre Marcel Rogemont et le cabinet de la ministre. J’émettrai, sur cet amendement, un avis favorable. Néanmoins, puisque j’ai de la constance et que je souhaite que nous préservions une cohérence générale, je rappelle qu’en première lecture, nous avions décidé de ne pas légiférer sur ce point, estimant qu’il était trop tôt et que, faute d’étude d’impact, nous ne pouvions mesurer les effets de la disposition que nous envisagions de voter. Le Gouvernement – mais il ne saurait vous en être fait le reproche, madame la ministre – avait pris, à l’époque, c’est-à-dire au mois de septembre dernier, l’engagement d’organiser, entre les deux lectures à l’Assemblée nationale, une concertation qui, si elle a eu lieu, mériterait de nous être rapportée à ce stade de notre débat.

Par ailleurs, je rappelle qu’une seconde délibération a été nécessaire au Sénat, celui-ci ayant adopté, dans un premier temps, un texte contraire à l’objectif qu’il poursuivait. Je vous le dis très sincèrement, je ne voudrais pas qu’armés des meilleures intentions du monde, nous adoptions un texte qui bénéficierait in fine à de grands groupes étrangers, dont nous estimons tous qu’ils ne contribuent que trop peu, voire pas du tout, à la création des œuvres stockées dans ce fameux nuage.

Je souhaite donc que nous nous prononcions en responsabilité. Votre rapporteur ne saurait contrecarrer une démarche aussi volontaire, mais nous devons être collectivement vigilants quant aux effets de la législation que nous sommes sur le point d’adopter. Ainsi, si nous nous apercevons, dans quelques mois ou quelques années, que nous avons eu tort, je souhaiterais que nous puissions revenir sur ces dispositions, quelle que soit la majorité.

Mme la ministre. En ce qui concerne la possibilité juridique d’étendre l’application du régime de la copie privée à des usages dans lesquels intervient un tiers, je précise que, si une jurisprudence de la Cour de cassation datant des années 1980 semblait l’interdire, tel n’est pas le cas de la directive européenne. En outre, la Cour de justice de l’Union européenne a validé, dans des arrêts rendus entre 2010 et 2015, la possibilité d’étendre le régime de la copie privée, quand bien même la copie serait réalisée par l’intermédiaire d’un tiers.

Quant à la concertation, elle ne s’est pas limitée à un dialogue singulier entre mon cabinet et un parlementaire, puisque des discussions ont eu lieu au ministère jusqu’à ces derniers jours. Des inquiétudes s’étaient en effet exprimées. Les titulaires de droits, notamment, redoutaient que nous n’ouvrions une brèche trop large qui aboutisse à revenir sur le système de droits exclusifs. Des garanties leur ont été apportées – assujettissement des seuls services proposés par des éditeurs et des distributeurs de services de télévision et de radio, exclusion du dispositif de la télévision de rattrapage –, qui ont recueilli l’accord de l’ensemble des acteurs présents à cette concertation : télécoms, chaînes de télévision et ayants droit.

Enfin, il est important de tenir compte du fait que nous freinerions le développement de services innovants si le législateur n’étendait pas ce régime aux services numériques. Telles sont les précisions que je voulais vous apporter avant d’émettre un avis favorable à l’amendement.

M. Lionel Tardy. Nous avons là la parfaite illustration de ce que je disais en défendant mon amendement de suppression de l’article 7 bis AA. On veut étendre la redevance pour copie privée alors que son fonctionnement est imparfait, puisque son rendement augmente chaque année et qu’on ne rembourse pas les professionnels. Dans l’exposé sommaire de son amendement, M. Rogemont écrit que « l’assujettissement des copies réalisées via les services d’enregistrement numérique à distance se justifie au regard des usages de copie puisqu’elles sont destinées à se substituer aux modalités actuelles de la copie effectuée par les particuliers sur les […] “box” ». Comment peut-il affirmer cela ? Les usages le démontrent-ils avec suffisamment d’ampleur et de recul ? À moins qu’il n’ait réalisé une étude d’usage, qu’en tout état de cause nous ne possédons pas, son argumentation est trop légère pour justifier une extension de la redevance pour copie privée. Il est donc urgent d’attendre, d’autant plus que ce système n’est pas en danger, puisque la RCP augmente chaque année de façon substantielle, voire exponentielle.

Mme Isabelle Attard. Je partage le point de vue de notre collègue Lionel Tardy sur ce sujet. J’estime, en effet, que l’extension de la rémunération pour copie privée au cloud, votée par le Sénat, n’est pas recevable. Certes, par son amendement, M. Marcel Rogemont s’efforce d’améliorer la rédaction adoptée par les sénateurs. Il n’en reste pas moins qu’il nous manque une étude d’usage, qu’une telle disposition est dangereuse et qu’elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il serait nettement plus intéressant et plus juste envers les professionnels qui ne se font pas rembourser de créer une licence globale qui financerait l’ensemble des créateurs plutôt que de chercher à taxer les locations d’espaces de stockage, qui se font le plus souvent - et notre rapporteur l’a rappelé – auprès de sociétés étrangères. Je ne comprends donc pas notre discussion ; j’aurais préféré que l’on supprime l’article 7 bis AA.

M. Marcel Rogemont. J’ai pris la précaution, en présentant cet amendement, de préciser que de nombreuses personnes avaient contribué à sa rédaction. Peut-être ai-je eu l’outrecuidance de penser que je représentais à moi seul l’Assemblée nationale ; je veux bien l’admettre. Mais c’est ainsi que nous travaillons dans cette enceinte, et j’ai voulu insister sur la co-élaboration de cet amendement.

Je suis d’accord avec M. Lionel Tardy : le dispositif de la copie privée mérite que nous y portions une grande attention et il doit probablement connaître une évolution. Sur ce point, notre collègue a une position ferme qu’il répète à l’envi, si bien qu’on pourrait le croire atteint de psittacisme : il est contre la copie privée, et donc contre l’amendement que je propose.

Il est vrai que le régime de la copie privée est bousculé par les évolutions technologiques. Le rapport Lescure évoquait même l’éventualité de sa disparition, à terme. Convenons toutefois que, pour l’heure, en Allemagne, en Italie, en Belgique et dans d’autres pays européens, le dispositif de la copie privée présente encore un intérêt puissant pour les artistes et les ayants droit. Ne le détruisons pas aujourd’hui au prétexte que, demain, il sera peut-être remis en cause.

Par ailleurs, nous devons prendre en compte l’évolution des modes de copie privée ; c’est de cela qu’il s’agit, ni plus ni moins. Demain, les « box » physiques disparaîtront mais les services offerts demeureront. Nous avons donc tenté d’élaborer une disposition, certes peu ambitieuse au regard des questions soulevées par le développement du nuage, mais pratique et reposant sur le fondement du principe de neutralité technologique.

M. François de Mazières. Nous sommes tous d’accord sur le principe que la copie privée peut être utile au financement de la culture et des artistes. Mais notre rapporteur a posé une question fondamentale, celle des risques que peut présenter une telle disposition par rapport aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Or nous n’avons pas eu de réponse sur ce point.

Mme la ministre. Il me semble que cela figure dans l’amendement, puisque le périmètre est restreint aux éditeurs et distributeurs de services de télévision visés par la loi de 1986 sur la liberté de communication, qui, à la différence des GAFA, contribuent d’ailleurs au financement de la culture.

M. François de Mazières. Il est important que vous nous rassuriez sur ce point, car il s’agit de la question essentielle.

M. Michel Pouzol. Il ne s’agit pas de savoir si nous sommes pour ou contre la rémunération pour copie privée ; notre commission s’est prononcée sur ce point, et elle a estimé que ce dispositif était important pour le financement de la culture. Cet amendement est excellent, car, de manière équilibrée, il tend à adapter ce dispositif à la réalité technologique actuelle. C’est aussi simple que cela. Les autres débats n’ont pas lieu d’être et, s’ils ont été ouverts par mégarde au Sénat, à nous de les clore aujourd’hui.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 7 bis AA est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AC218 rectifié de Mme Virginie Duby-Muller, AC108 de Mme Isabelle Attard, AC247, AC311 et AC248 de Mme Virginie Duby-Muller tombent.

Article 7 bis A : Publicité du rapport du médiateur du livre

La Commission adopte l’article 7 bis A sans modification.

La séance est levée à zéro heures dix.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mardi 15 mars 2016 à 21 heures

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, Mme Dominique Chauvel, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Pascal Deguilhem, M. Jacques Dellerie, M. Pascal Demarthe, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Annie Genevard, Mme Gilda Hobert, M. Christian Kert, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, Mme Dominique Nachury, M. Michel Piron, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, Mme Julie Sommaruga, Mme Sylvie Tolmont

Excusés. – M. Pouria Amirshahi, Mme Laurence Arribagé, M. Bernard Brochand, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Michel Ménard, M. Christophe Premat

Assistaient également à la réunion. – M. Paul Molac, M. Lionel Tardy