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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 29 juin 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 43

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition de Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), sur le bilan 2015 du CNC

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 29 juin 2016

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’audition de Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), sur le bilan 2015 du CNC.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, j’ai le plaisir d’accueillir ce matin Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), accompagnée de M. Christophe Tardieu, directeur général délégué, de M. Pierre-Emmanuel Lecerf, directeur des affaires européennes et internationales, et de M. Xavier Lardoux, directeur du cinéma. Prenant pour base le bilan 2015 qui vient d’être publié par le Centre, nous échangerons sur la situation et les perspectives du cinéma et de l’audiovisuel en France et à l’étranger et sur les actions engagées par le CNC pour soutenir ces deux secteurs clefs dans notre pays.

« Le cinéma et l’audiovisuel sont les meilleurs ambassadeurs de notre pays, de ses valeurs et de sa culture », affirmez-vous, madame la présidente, en introduction de ce bilan 2015, dont je tiens à la souligner le caractère complet et détaillé – il permet véritablement de connaître tout ce qu’on a toujours voulu savoir sur le cinéma et l’audiovisuel sans jamais oser le demander. (Sourires).

Vous avez salué dans ce document le renforcement des crédits d’impôt en 2015, mesure à laquelle nous avons pris une part décisive. Nous sommes heureux de savoir que nos efforts conjugués commencent déjà à porter leurs fruits : ils se sont traduits par des effets notables dès le début de cette année, notamment dans la filière technique – l’enthousiasme de M. Thierry de Segonzac, président de la Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia, en témoigne, s’il fallait encore s’interroger.

Beaucoup de questions restent toutefois encore en suspens. Et je vous laisse le soin d’aborder tous ces thèmes, madame la présidente, en vous donnant sans plus attendre la parole.

Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Mesdames, messieurs les députés, laissez-moi vous dire comme je suis heureuse de venir vous présenter ce bilan, dont nous avons essayé d’améliorer la présentation par rapport aux années précédentes afin de le rendre plus clair et plus lisible et de mieux mettre en valeur les différentes actions de cette politique publique instaurée après la Seconde Guerre mondiale pour le cinéma, puis élargie à l’audiovisuel.

C’est d’autant plus un honneur d’être devant vous qu’il y a eu une mobilisation formidable des parlementaires à l’occasion de la discussion du projet de loi relatif à liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, adopté par votre assemblée le 21 juin et voté aujourd’hui au Sénat, ainsi que de la discussion du projet de loi de finances pour 2016, marquée par la revalorisation massive des crédits d’impôts en faveur du cinéma et de l’audiovisuel, étape importante pour notre industrie cinématographique et audiovisuelle. Dans les deux cas, les textes du Gouvernement ont été grandement améliorés par les apports des parlementaires. Dans les deux cas, les deux chambres sont parvenues à se mettre d’accord.

Pour bien cerner les enjeux des actions à venir du CNC, il faut remonter dans le temps et mesurer le chemin parcouru.

En 2013, la filière souffrait de multiples fragilités et essuyait de nombreuses critiques. Celles-ci portaient sur le manque notable de transparence et sur la dérive des coûts, entraînée notamment par certains cachets excessifs, dérive dénoncée dans plusieurs rapports du Parlement et de la Cour des comptes et qui a donné lieu à une polémique dans la presse. En outre, une incertitude régnait en matière de TVA applicable aux salles de cinéma, lesquelles n’étaient pas considérées comme relevant du même statut que les autres établissements culturels. Notre pays était aussi en train de perdre sa compétitivité à l’international, du fait notamment d’un système fiscal qui devenait moins favorable que les mécanismes incitatifs mis en place par nos voisins européens ou par les pays d’Amérique du Nord. Enfin, le paysage était assombri par le projet de traité de libre-échange atlantique qui menaçait l’exception culturelle puisqu’il proposait d’inclure les services audiovisuels dans la négociation, ce qui était une manière de revenir en arrière sur les mesures européennes adoptées dans le domaine culturel.

La situation appelait une réaction.

Le CNC s’est fixé trois objectifs pour réformer nos politiques publiques : premièrement, restaurer la confiance dans la filière du cinéma ; deuxièmement, soutenir davantage les projets de qualité et de diversité culturelle ; troisièmement, être à nouveau gagnant dans la bataille de la compétitivité.

S’agissant de la restauration de la confiance, nous avons pris plusieurs mesures avec les professionnels. Elles concernaient d’abord la maîtrise des coûts dans la fabrication et la réalisation des films. Nous avons décidé d’une mesure symbolique, forte et sans précédent, qui consistait à interdire l’accès aux aides publiques du CNC à des films pour lesquels les artistes avaient reçu des cachets disproportionnés. Nous suggérions ainsi aux producteurs et aux artistes concernés de mettre en place des rémunérations, non plus versées en amont, mais calculées en aval par rapport aux recettes des films en salle.

Une deuxième mesure a été décidée après un long travail de concertation effectué lors des Assises du cinéma : il s’agit du renforcement de la transparence des comptes de production et d’exploitation des films. Elle ne pouvait être effective sans traduction législative, laquelle s’est concrétisée à travers la loi relative à la liberté de la création, ce dont nous vous remercions. Les comptes de production et d’exploitation doivent désormais être communiqués aux ayants droit et à tous ceux qui participent à l’économie du film, ce qui est une clef pour sécuriser le financement. La loi prévoit que le CNC procède à des audits systématiques de ces comptes chaque année. Ils ne porteront pas sur la totalité des films mais sur environ 10 % d’entre eux.

Améliorer la transparence était absolument nécessaire : d’une part, pour des raisons évidentes de bonne utilisation des fonds publics ; d’autre part, pour renforcer les financements, en attirant notamment des investissements extérieurs.

Notre deuxième objectif consiste en un soutien renforcé à la qualité et à la diversité. Le cinéma est à la fois une industrie et un art. Cette orientation a été dégagée dans le cadre des Assises : nous avons décidé, là où cela s’avérait nécessaire, d’accentuer nos actions de soutien à la production et à la distribution indépendante.

Notre troisième objectif était de regagner le terrain perdu en matière de compétitivité internationale. Plusieurs rapports de cabinets d’audit ayant établi des comparaisons à l’échelle mondiale nous ont alertés sur la situation : tous tiraient la sonnette d’alarme. Les crédits d’impôt mis en place une dizaine d’années auparavant n’étaient plus à la hauteur pour concurrencer les dispositifs de nos voisins : les délocalisations étaient de plus en plus fréquentes et importantes. Au cours de l’année 2015, 40 % des films dont le budget est compris entre 7 millions et 10 millions – ces films dits « du milieu » – ont été tournés à l’étranger alors même que la France est le premier pays producteur de films en Europe, avec plus de 200 films par an. La proportion a atteint 60 % pour les films à effets spéciaux et 70 % pour les gros films, au budget supérieur à 10 millions d’euros. La situation était donc devenue très préoccupante pour nos emplois et pour les industries techniques.

Le Parlement, par les décisions qu’il a prises en 2015-2016, a permis à la filière de se développer et d’aborder un nouveau cap face à la concurrence internationale. Le taux du crédit d’impôt est désormais fixé à 30 % pour les films français, avec un plafond 30 millions d’euros, et à 20 % pour les films tournés en langue étrangère pour des raisons scénaristiques. Par ailleurs, députés et sénateurs, allant au-delà du projet gouvernemental, ont voulu étendre le crédit d’impôt à l’audiovisuel : celui-ci est fixé à 25 % avec des plafonds considérablement relevés, qu’il s’agisse de fiction ou d’animation. À cela s’ajoute le crédit d’impôt international, de 30 %, destiné à favoriser les tournages de films étrangers en France.

Les effets de ces mesures ont dépassé nos espérances dans un délai extrêmement rapide. En cinq mois, la valeur des activités relocalisées en France a atteint plus de 300 millions d’euros : 180 millions pour le cinéma, 130 millions pour l’audiovisuel. Sur l’ensemble, 217 millions sont imputables au crédit d’impôt national : ce sont autant de films qui ont été tournés en France alors qu’ils auraient sinon été tournés à l’étranger, ce qui se traduit concrètement par l’accroissement du nombre de journées de tournage en France. Par ailleurs, 90 millions d’euros sont imputables au crédit d’impôt international : davantage de films étrangers – chinois et indiens notamment – ont été tournés en France du fait de conditions plus attractives. En un trimestre, il y a eu autant d’investissements en France que sur toute l’année 2015. En cinq mois, nous sommes allés au-delà des objectifs que nous visions pour l’année entière, soit 200 millions d’euros d’activités supplémentaires et 10 000 emplois.

La France peut s’enorgueillir d’un bon bilan cinématographique. Les chiffres sont réjouissants. Notre pays compte le plus grand parc de salles de cinéma d’Europe : plus de 2 000 établissements, 5 700 écrans. L’ensemble des parlementaires a beaucoup œuvré en ce sens, notamment en permettant la numérisation de la totalité des salles de cinéma, niveau qui est loin d’être atteint dans les autres pays européens. Nos salles reçoivent le public le plus cinéphile d’Europe : la fréquentation, bien plus forte qu’au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Espagne, s’est stabilisée au-dessus de 200 millions d’entrées. Compte tenu du bouleversement des usages et de la multiplication des écrans, cela montre que les salles sont encore un lieu de vie sociale, notamment pour les plus jeunes. J’insiste sur cet aspect. La fréquentation des salles obscures par les moins de vingt-cinq ans est de plus en plus élevée. Elle a atteint un niveau sans précédent, notamment pour les moins de quatorze ans.

Cela m’amène à rendre à nouveau hommage au Parlement. De vifs débats ont porté sur le taux de la TVA applicable aux salles de cinéma et tant le Sénat que l’Assemblée nationale ont décidé que celles-ci relèveraient du taux réduit. La profession – décision à souligner – s’est alors engagée à répercuter cette baisse sur le prix des tickets. Les exploitants de salles ont lancé une grande opération à destination des jeunes avec des billets à quatre euros pour les moins de quatorze ans, initiative extrêmement appréciée par les familles qui pouvaient auparavant être rebutées par le coût élevé d’une sortie au cinéma. Cette opération a même été considérée comme l’une des dix meilleures nouvelles de l’année 2014 dans un sondage publié en fin d’année par Paris Match.

En ce qui concerne la part de marché du film national, elle est supérieure en France aux autres pays européens : elle a été de 36 % en 2015 contre 10 % au Royaume-Uni, 27 % en Allemagne, 20 % en Italie, 19 % en Espagne.

Enfin, le cinéma français s’exporte bien – même si je considère que ce n’est pas encore dans des proportions suffisantes. Depuis trois ans, les films français totalisent plus d’entrées à l’international qu’en France, soit 100 millions d’entrées.

Si les chiffres du bilan sont rassurants, il n’en reste pas moins que nous devons nous montrer extrêmement vigilants dans un univers en pleine évolution. Nous nous mobilisons pour être encore plus réactifs et nous mettre à l’affût de ce qui est important pour les relais de croissance et la diversité du cinéma.

À la suite du rapport remis par M. Alain Sussfeld, directeur général du groupe UGC, une réforme de l’agrément va être lancée : elle vise à rendre plus strictes les conditions liées à la localisation des dépenses en France pour bénéficier des aides du CNC. Couplée aux crédits d’impôt, cette réforme aura un impact extrêmement positif sur l’augmentation du nombre de films tournés en France.

Au deuxième semestre, nous mettrons en place un plan de soutien à l’export : il est nécessaire de trouver des relais de croissance à l’étranger, d’autant que notre production cinématographique est importante. Nous allons étendre le dispositif du compte de soutien automatique à l’exportation, qui sera ainsi reconnue comme une filière à part entière du cinéma. C’est une incitation importante au développement d’une ambition internationale pour les films français.

Nous allons également renforcer le soutien à la distribution, notamment la grosse distribution indépendante. Celle-ci reste le maillon faible de notre économie alors que la production et l’exploitation se portent bien. Il faut mettre fin à certaines situations de fragilisation. Nous allons agir en ce sens dans les six mois qui viennent.

Enfin, je terminerai en évoquant les relations contractuelles que nous avons nouées avec les régions et l’Europe.

Vous connaissez tous les conventions par lesquelles nous soutenons les fonds régionaux d’aide à la production de long-métrage : lorsque les régions investissent deux euros, nous investissons automatiquement un euro. Nous nous sommes rapprochés de tous les nouveaux exécutifs régionaux pour leur redire toute l’importance de la filière cinématographique et audiovisuelle en termes d’emplois et avons été très heureux de constater l’écho très favorable que nos propos ont rencontré.

Le CNC veut, à travers l’initiative « Cinéma et Citoyenneté », relancer la tradition des ciné-clubs, avec le soutien des régions – dont dépendent les lycées – et en concertation avec l’Agence du service civique. Nous avons pour ambition de bénéficier de l’aide de mille jeunes volontaires à la rentrée prochaine. D’ores et déjà, trois cents d’entre eux, répartis sur l’ensemble de la France, ont contribué en ce début d’année 2016 à recréer des ciné-clubs – ces ciné-clubs qui ont permis à tant de générations d’apprendre à connaître le cinéma et de découvrir des œuvres merveilleuses... Du premier bilan qu’ils ont tiré de leur expérience ressort une énergie formidable.

Enfin, j’aimerais souligner que les évolutions récentes au niveau européen ont été très positives pour le cinéma et l’audiovisuel français.

La Commission européenne a communiqué en mai dernier le projet de modification de la directive dite « SMA » – services de médias audiovisuels –, retenant bon nombre de positions françaises, et ce grâce à votre travail de conviction et aux efforts que nous avons déployés pour nous rapprocher d’elle afin de lui expliquer les valeurs que nous voulions défendre et le prix que nous attachions à l’exception culturelle. Nous avons encore un an pour la convaincre de nouvelles modifications, car l’on peut toujours considérer que le texte ne va pas assez loin.

Force est toutefois de reconnaître que, sur deux points essentiels, nous avons été entendus. Il s’agit, d’une part, de l’instauration d’une proportion minimum obligatoire de 20 % d’œuvres européennes dans le catalogue des plateformes vidéo, et, d’autre part, de la substitution du principe du pays de destination au principe du pays d’origine pour ce qui concerne les obligations d’investissement et les obligations de contributions financières. Cela vient couronner un combat que nous menons depuis de nombreuses années.

Ce tournant a de multiples implications, qui concernent d’abord la taxe sur les opérateurs de vidéo à la demande (VAD) qui repose sur le principe du pays de destination. Après son adoption par le Parlement en décembre 2013, nous l’avions notifiée aux autorités européennes qui ne nous avaient pas fourni de réponse. Désormais, il est probable que nous obtiendrons une autorisation tout comme l’Allemagne, qui a formulé une demande dans le même sens. Notre souci est d’aller plus loin et de créer une taxe sur les opérateurs de plateformes tirant leurs ressources de la publicité. Elles doivent, comme les acteurs historiques que sont TF1 ou M6, contribuer au financement de la création.

M. le président Patrick Bloche. Ce n’est pas la première fois, madame la présidente, que notre Commission a l’occasion de vous recevoir et nous sommes à chaque fois sensibles à la clarté de vos propos. Nous avons pu saisir les éléments saillants du bilan 2015 et prendre la mesure des chantiers qui s’ouvrent au CNC.

Vous avez évoqué, ce dont je vous remercie, le rôle que nous avons joué pour permettre à notre cinéma national de rester présent et compétitif. Le projet de loi relatif à la liberté de la création, adopté par notre assemblée la semaine dernière, nous a fourni l’occasion d’apporter notre contribution : nous avons ainsi étendu à l’audiovisuel ce qui valait pour le cinéma en matière de transparence. Quelques sujets auraient pu s’avérer délicats – je pense à la diversité de la programmation des films dans les salles, à leur durée d’exposition – mais les professionnels ont finalement trouvé un accord qui garantit un bon point d’équilibre entre producteurs, exploitants et distributeurs – et vous avez eu raison d’insister sur le fait que la distribution est sans doute le maillon le plus fragile de l’industrie cinématographique.

Chaque année, la discussion des projets de loi de finances nous conduit à avoir des débats riches et nourris, notamment avec nos collègues de la commission des Finances. Comme l’a dit un jour son président, l’excellent Gilles Carrez, après avoir rendu les armes, « rien n’est trop beau pour le cinéma ». Les derniers débats budgétaires l’ont montré.

Pour l’audiovisuel, vous l’avez rappelé, il y a eu ce que j’appellerai de manière synthétique, pour ne pas être trop long, un effet « Versailles ».

Dans le cadre de nos débats sur le projet de loi « Égalité et Citoyenneté », nous avons consacré beaucoup de temps au service civique. Vous avez raison d’avancer ce chiffre de mille jeunes volontaires pour la relance des ciné-clubs dans les lycées, objectif ambitieux auquel nous sommes, comme vous pouvez l’imaginer, sensibles.

Enfin, nous vous souhaitons une bonne Fête du cinéma, puisque votre venue coïncide avec cet événement annuel !

Avant de céder la parole aux orateurs des groupes, je tiens à souhaiter la bienvenue, au nom de notre commission, à Mme Stéphanie Pernod Beaudon, nouvelle députée de l’Ain, élue le 12 juin dernier.

M. Christophe Premat. Au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, je vous remercie, madame la présidente, pour votre présentation et pour l’état des lieux général que vous venez d’exposer.

On le sait, le CNC est l’acteur incontournable du cinéma français et plus largement de la création sous toutes ses formes, qu’il s’agisse du cinéma bien sûr, avec les courts et les longs-métrages ou les films d’animation, des programmes audiovisuels et des documentaires, des œuvres numériques mais aussi de la création dans le secteur des industries techniques et du multimédia.

Vous avez fort justement rappelé les enjeux actuels et futurs auxquels est confrontée l’institution que vous présidez.

Le premier sujet sur lequel je souhaiterais vous interroger concerne la place et le rôle du CNC à l’échelle européenne : qu’en est-il de la déterritorialisation des aides au cinéma ?

M. Éric Garandeau, votre prédécesseur à la tête du CNC, se déclarait en 2012 opposé au projet de la Commission européenne visant à créer un marché unique de l’audiovisuel et à instaurer une négociation des aides à l’échelle communautaire, en raison de la menace que cela ferait à ses yeux peser sur l’écosystème du cinéma français. Ce qui était vrai en 2012 ne l’est plus forcément quatre ans plus tard. Quand on observe le nombre croissant de films français qui, pour des raisons fiscales, se tournent dans d’autres pays européens, je pense à la Belgique notamment, on ne peut que se féliciter du relèvement à 30 % du taux du crédit d’impôt, mécanisme qui n’a cessé d’être réadapté sans parvenir à un modèle parfaitement opérationnel.

La question de la territorialité se pose également à travers l’accès aux plateformes numériques de films et d’œuvres audiovisuelles. Le projet de marché unique numérique a pour objectif d’éliminer les barrières qui résultent souvent de législations ou de pratiques dépassées. Pensons à la limitation de l’accès à des biens ou à des services selon le pays de résidence de la personne à travers le blocage géographique. J’aimerais avoir votre réponse à une question que j’ai eu l’occasion de poser aux différents dirigeants de groupes de médias audiovisuels reçus par cette commission : pourquoi n’est-il pas possible d’accéder depuis un autre pays aux contenus, films ou autres subventionnés par le CNC sur les plateformes nécessitant un abonnement comme CanalPlay ou Netflix ? Comment le CNC compte-t-il contribuer à abattre les frontières du numérique ?

S’agissant de Canal +, la politique pour le moins téméraire menée par les nouveaux dirigeants de ce groupe assure-t-elle au CNC un partenariat stable ? Que penser des propos de son président qui s’est voulu rassurant en renouvelant les engagements de la chaîne sur cinq ans, jusqu’en 2020 ? Quelle conséquence aura, selon vous, l’opposition de l’Autorité de la concurrence au projet de distribution exclusive passé entre beIN Sport et Canal +, accord auquel le Bureau de liaison des organisations du cinéma (BLOC), qui rassemble quatorze organisations représentant les indépendants de l’industrie, s’était déclaré favorable ? L’enjeu est d’importance sachant que la chaîne, qui devient de plus en plus cryptée, est soumise à l’obligation d’investir 12,5 % de ses revenus dans des films européens, dont 10 % de films français ? N’y a-t-il pas là un risque que l’assiette sur laquelle reposent ces taux soit modifiée, se limitant au seul chiffre d’affaires lié au cinéma au lieu de comprendre également les revenus tirés du sport ? Que penser de la volonté du nouveau président de Canal + de concentrer ses investissements sur les films à succès au lieu de les disperser sur une centaine d’œuvres chaque année ?

Un autre point que je voulais évoquer rapidement est le lien entre le CNC et l’Institut français, via IFcinéma, plateforme de diffusion non commerciale de l’Institut français destinée au réseau culturel français dans le monde, à ses partenaires et aux enseignants de français, qui propose, sur son catalogue en ligne, environ six cents titres français ou en co-production française. Quel regard portez-vous sur le programme « Éducation au cinéma » mis en œuvre par l’Institut français en partenariat avec le CNC, qui s’inscrit dans le cadre de la convention signée à Cannes en mai 2014 ? Quel est selon vous l’avenir de ce dispositif ?

Enfin, je terminerai mon propos en me réjouissant de l’accord trouvé entre le CNC et les distributeurs pour défendre les « petits films », ces longs-métrages d’art et d’essai ou entrant dans la catégorie du cinéma de recherche qui sortent avec moins de dix copies. J’ai cru comprendre que c’était l’une des annonces que vous aviez faites lors du dernier Festival Cannes et souhaitais souligner cette bonne nouvelle.

M. Michel Herbillon. Nous voulons vous remercier, madame la présidente, de votre présentation et de la publication extrêmement complète et détaillée qui dresse le bilan de l’activité du CNC pour 2015.

Vous avez beaucoup tressé de louanges à l’action du Parlement dans le domaine du cinéma, singulièrement à notre commission, de longue date impliquée dans la défense du cinéma. Nous sommes nous-mêmes très attachés à la politique unique en son genre menée par le CNC, qui a permis à la France d’avoir une industrie du cinéma parmi les meilleures au monde. Certains cinémas nationaux ne sont plus ce qu’ils étaient, pour des raisons diverses
– pensons au cinéma italien, notamment. Notre cinéma contribue au rayonnement de la France : c’est un art qui relève de l’exception culturelle, mais il occupe aussi une place toute spéciale dans les industries culturelles. Le Festival de Cannes reste le plus grand festival de cinéma au monde. Je le dis car nous avons toujours tendance à souligner les choses qui ne vont pas dans notre pays – et Dieu sait comme leur liste est longue et renouvelée quasi-quotidiennement.

Autre chose que je tiens à souligner : les mesures qui relèvent du soutien au cinéma dépassent les clivages politiques au sein de notre assemblée et sont votées à l’unanimité
– c’est un fait suffisamment rare pour le mettre en relief. La proposition de loi sur la numérisation des salles du cinéma, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, a été ainsi votée lors de la précédente législature sans soulever d’opposition. Et nous pouvons nous féliciter des résultats auxquels elle a abouti – je le dis sans coquetterie aucune. Aujourd’hui, 100 % des salles sont numérisées, et c’est un fait unique en Europe. J’aimerais avoir votre position sur la contribution numérique que cette loi a créée. Certains exploitants de salles de cinéma et distributeurs se posent la question de l’après, compte tenu de l’amortissement du matériel nécessaire aux projections numériques et des évolutions technologiques attendues. Ils souhaiteraient qu’il y ait une deuxième loi de numérisation des salles de cinéma. Quelle est votre position à ce sujet ?

J’aimerais que vous nous apportiez des précisions sur l’accord interprofessionnel sur les engagements de programmation et de diffusion qui a été signé récemment avec toute la profession, sous l’égide du CNC. Il doit permettre de favoriser la diversité cinématographique, d’éviter une trop grande concentration dans la diffusion des œuvres, notamment dans les multiplexes, et de contribuer à un meilleur accès des salles aux films et des films aux salles.

Vous avez évoqué le rapport de M. Alain Sussfeld, qui a formulé des propositions pour simplifier le dispositif actuel d’agrément, tout en le rendant plus efficace. Quelles suites entendez-vous lui donner ? Dans quels délais ?

Je termine en vous faisant part de nos inquiétudes pour l’avenir du financement de la production cinématographique française eu égard aux changements en cours à Canal +. Certes, les accords actuels assurent au moins jusqu’en 2019 un niveau de financement stable dans sa globalité. Mais l’incertitude, vous le savez, madame la présidente, n’est jamais une bonne source de confiance dans l’avenir. Quelle est la position du CNC à ce sujet ? Disposez-vous d’éléments de nature à rassurer le monde cinématographique ?

Vous avez parlé des bonnes nouvelles, avec le ticket à 4 euros pour les moins de quatorze ans. Quelles sont les autres bonnes nouvelles que vous attendez pour la fin de l’année 2016 et, puisque vous anticipez toujours, pour l’année 2017 ?

M. Michel Piron. Depuis le XIXe siècle, le cinéma ne cesse de fasciner et de susciter réflexions et critiques. La France entretient un rapport particulier avec ce qu’elle perçoit comme un art avant même de l’envisager comme une industrie et nous ne pouvons que nous réjouir d’accueillir ce matin Mme Bredin devant notre commission.

Je veux d’abord saluer les résultats obtenus pour l’année 2015. Les chiffres sont encourageants puisque la France se situe à la cinquième place mondiale en termes de production, à la troisième en termes de parts de marché et qu’elle a la deuxième cinématographie la plus récompensée au monde. Les crédits d’impôt ne sont pas étrangers à ces bons résultats : ils ont joué un rôle décisif pour la localisation des tournages dans l’Hexagone. Ce dispositif a permis à la France de redevenir l’un des pays les plus attractifs et nous ne pouvons que nous en féliciter.

Permettez-moi à présent de revenir sur certains points de votre rapport, à commencer par les films indépendants français.

J’ai noté que le nombre d’entrées a légèrement baissé entre 2014 à 2015, avec une diminution de 1,8 %. Elle a surtout touché, semble-t-il, les films français, pour lesquels on enregistre une baisse sensible : les entrées sont passées de 91,4 millions à 71,8 millions, soit une baisse de 21,4 %. Les films américains ont, à l’inverse, gagné en fréquentation avec une augmentation de près de 14 % des entrées. Comment expliquez-vous ces tendances ? Constituent-elles pour vous un avertissement pour le cinéma français indépendant ? Quels sont vos projets pour inciter les spectateurs à se tourner davantage vers les films d’auteurs et stabiliser le nombre d’entrées qu’ils enregistrent ?

Notre inquiétude à propos du cinéma indépendant français nous semble justifiée, compte tenu de sa contribution à une offre équilibrée sur le territoire. Pour un développement harmonieux, à côté des multiplexes qui répondent à un besoin du public et au dynamisme du cinéma, il faut préserver les artisans du cinéma, les indépendants qui ont un parti pris, au bon sens du terme, une passion du métier qui assurent une diversité culturelle à l’échelle du territoire.

Nous sommes tous ici attachés à ce que soit privilégiée une politique culturelle à même de garantir la diversité des lieux de diffusion des œuvres cinématographiques. Il nous paraît important de mieux tenir compte des salles indépendantes et des salles d’art et essai. Quelle est votre position sur les pistes proposées par M. Serge Lagauche dans son rapport de juin 2013 sur la réforme de la procédure d’aménagement cinématographique ? Que pensez-vous en particulier de sa suggestion de renforcer les critères strictement cinématographiques pour autoriser l’implantation de nouvelles salles ?

Mon autre interrogation concerne le numérique. Depuis plusieurs années, le marché de la vidéo physique est en baisse. Les ventes de DVD ont diminué de 13,2 % entre 2014 et 2015 : le chiffre d’affaires qu’elles génèrent est passé de 618,2 millions d’euros à 536,4 millions d’euros. De la même manière, le marché du Blu-Ray a connu une baisse de son chiffre d’affaires de près de 10 % entre 2014 et 2015. Dans le même temps, le téléchargement a considérablement augmenté : le nombre de références de films téléchargés au moins une fois est passé de 12 811 en 2014 à 14 827 en 2015.

Malheureusement, en dépit ces chiffres, la disparition programmée de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) est en marche : le Gouvernement l’asphyxie progressivement en tarissant son budget.

Le choc de la révolution numérique doit nous conduire à nous interroger et à poursuivre notre réflexion sur les réformes à envisager, dont certaines sont préconisées par le rapport Lescure, le rapport Bonnell ou encore le rapport de la Cour des comptes. On avait évoqué, lors des Assises pour la diversité du cinéma, une réforme de la chronologie des médias : une commission déciderait chaque semaine de dérogations pour les films ne rencontrant pas de succès en salles afin qu’ils puissent faire l’objet d’une diffusion plus rapide en vidéo. Avez-vous avancé sur ce dossier ?

M. Pascal Demarthe. Créé en 1946, le CNC, établissement public français dont les missions principales sont de réglementer, soutenir et promouvoir l’économie du cinéma en France et à l’étranger, assure la réglementation et la gestion des aides au cinéma et à l’image animée. Il participe également à la régulation du secteur, en alliant efficacité et réactivité.

Alors que notre univers cinématographique et audiovisuel traverse sa plus grande révolution depuis son invention, le CNC se doit de préserver et d’adapter les principes fondateurs du fonds de soutien pour que la France continue à jouer son rôle précurseur dans la création et l’industrie de l’image, du cinéma aux jeux vidéo, en prenant en compte tant l’audiovisuel qu’internet.

Pour la septième année consécutive, le CNC consacre une étude au documentaire en France. Ce rapport est intéressant et enrichissant pour nous tous. En progression de 2,7 %, le montant total des interventions du CNC dans le secteur du documentaire s’élève à 96 millions d’euros en 2015. Dans votre rapport que j’ai lu attentivement, vous parlez d’un nouveau dispositif qui s’articule autour du fonds « Nouveaux médias » qui accompagne les projets les plus innovants portés par des auteurs et des producteurs souhaitant intégrer les spécificités de l’internet et des écrans mobiles dans leur démarche artistique. Une démarche qui va dans le bon sens puisqu’il s’agit d’encourager l’exploration de nouvelles écritures et de changer le rapport à l’image, avec un seul objectif, impliquer davantage le spectateur dans le déroulement de la narration. Sur le plan économique, le rapport incite les nouveaux diffuseurs à investir dans les projets en amont et il permet d’imaginer de nouveaux modes de financement et de nouveaux modes de diffusion en adéquation avec les nouveaux usages des médias numériques.

Le CNC se modernise, avance et s’inspire des nouvelles technologies, défend notre patrimoine cinématographique français et permet le rayonnement international de notre industrie. Pouvez-vous, madame la présidente, nous préciser quels sont les différents fonds auxquels peuvent accéder producteurs et auteurs ?

Mme Dominique Nachury. J’aurais, à titre liminaire, une question en lien avec l’actualité : sachant qu’aujourd’hui beaucoup de films sont produits dans les studios britanniques, le « Brexit » peut-il constituer une opportunité pour le cinéma français ?

La fréquentation des salles obscures évolue beaucoup selon les années. Est-ce seulement dû aux caractéristiques des sorties de films, ou observe-t-on une tendance de fond liée notamment à la concurrence des nouvelles technologies ? Je pense aux films à la demande et aux équipements qui permettent de regarder les films à la maison avec des images d’une qualité proche de celle des salles de cinéma.

Le CNC donne un avis au ministre de la Culture sur la classification des films. Après que plusieurs décisions de justice récentes ont annulé des visas d’exploitation pour mauvaise classification, le ministère a demandé au président de la commission de classification de lui faire des propositions. Que pensez-vous de celle visant à modifier les textes en vigueur ? L’éventuelle possibilité d’argumenter contre l’interdiction aux mineurs de moins de dix-huit ans sur le fondement de la « justification de caractère esthétique » d’une scène ne laisse-t-elle pas place à une interprétation très large ?

Les règles très strictes relatives à la diffusion des œuvres cinématographiques à la télévision sont fixées de façon précise par un décret de 1990. Sont-elles encore adaptées, aujourd’hui, à l’heure d’internet et de la vidéo à la demande ?

M. Michel Pouzol. Le bilan très complet que vous nous présentez prouve au moins une chose : en France, le cinéma se consomme toujours dans les salles. C’est une bonne nouvelle, car l’on a longtemps prédit que les technologies émergentes et les nouvelles façons de consommer les images finiraient par tuer les salles.

La diversité du cinéma est une préoccupation essentielle de notre commission, mais j’ai compris que c’était également le cas pour le CNC. Si cette diversité est aujourd’hui bon an mal an préservée en termes de production, les questions de la distribution et de la surface d’affichage se posent.

Les annonces faites cette année à Cannes s’agissant des films ne bénéficiant pas d’un nombre de copies suffisant pour une bonne exposition vont dans le bon sens, mais l’on voit bien que la diffusion hors salle, notamment à la télévision, fait de moins en moins cas de ces films, alors que nous savons tous que la diversité fait la richesse et la force de notre système.

Comment abordez-vous la question de la définition et du périmètre des documentaires de création ? De plus en plus d’émissions télévisées proches des émissions de flux lorgnent, au moins de façon formelle, vers cette qualification, alors même que les documentaires de création produits pour être exposés en salle proposent une très grande diversité, et qu’ils rencontrent de plus en plus souvent un public large.

M. Paul Salen. En 2015, la production de films français a atteint son niveau le plus élevé, avec trois cents films, soit quarante-deux de plus qu’en 2014. Pourtant, cette même année, la fréquentation des salles pour les films français recule, après une année 2014 exceptionnelle – ils avaient atteint 44 % des entrées. En un an, le cinéma français perd quasiment 9 % de parts de marché dans notre pays : il cumule environ 72 millions d’entrées en 2015, soit un niveau inférieur à la moyenne des dix dernières années. Les films américains connaissent, dans le même temps, une fréquentation historique avec une progression de plus de sept points et 105 millions d’entrées, ce qui est largement supérieur à la moyenne observée sur les dix dernières années. Comment expliquez-vous ce faible intérêt du public pour les films français ? Quelles seraient selon vous les évolutions qui permettraient au cinéma français de concurrencer durablement le cinéma américain ?

Les entrées dans les salles de cinéma connaissent de fortes progressions dans de nombreux pays européens – environ +14 % en Allemagne, +9 % au Royaume-Uni et en Italie, +8 % en Espagne –, alors qu’elles diminuent de 1,8 % en France, même si notre pays demeure le premier marché européen. Madame la présidente, comment expliquez-vous cette tendance ?

Mme Brigitte Bourguignon. Le CNC soutient plusieurs actions destinées à aller à la rencontre des publics qui, pour diverses raisons, ne profitent pas de l’offre cinématographique et audiovisuelle, en particulier dans le monde rural. Je peux mesurer dans ma propre circonscription cette disparité de l’offre. Vous travaillez sur ce sujet dans le cadre de conventions interministérielles, notamment avec le ministère de la Culture. Ce développement du cinéma en milieu rural présente de multiples facettes, je pense par exemple au cinéma itinérant. Au-delà de sa dimension culturelle, il contribue à la cohésion sociale en suscitant des rencontres et en créant des moments de socialisation. Face aux discriminations de toutes sortes et au sentiment qu’il existe parfois une inégalité territoriale, la diffusion et la défense d’un cinéma de proximité, l’animation d’un lieu culturel proche des populations sont constitutifs un projet de société qu’il est nécessaire de développer. Je salue à cet égard le travail des associations culturelles et d’éducation populaire.

Pour autant, il reste nécessaire d’accompagner et de soutenir cette offre culturelle particulière qui passe de plus en plus souvent par l’intercommunalité. J’ai entendu que vous vous impliquiez dans les régions. J’ai également entendu votre annonce relative au développement des ciné-clubs. Ces initiatives restent à encourager en milieu rural.

Pouvez-vous nous présenter la nature des aides qu’apporte le CNC dans ce domaine, les freins que vous identifiez, ainsi que les mesures qui, à votre sens, seraient à même d’assurer une meilleure promotion de ces initiatives ?

M. Bernard Debré. Au vu de la multiplication des supports, que prévoit le CNC pour garantir une coexistence positive entre le cinéma en salle et les vecteurs de diffusion alternatifs des œuvres cinématographique, tels la VOD ou le streaming légal, avec par exemple Netflix ? Ces derniers ont connu un essor considérable depuis deux ans tandis que l’évolution de la fréquentation des salles semble atteindre un plateau.

La VOD et le streaming légal compromettent-ils aujourd’hui l’avenir du support physique sachant qu’un abonnement mensuel à un service de streaming HD en illimité coûte deux à trois fois moins cher qu’un disque Blu-ray ? Si le support physique venait à disparaître, que prévoit le CNC pour promouvoir la création et la diffusion de la VOD et du streaming français face à des acteurs internationaux ?

Mme Colette Langlade. Comme vous le disiez, madame la présidente, le film français s’exporte. Dans le cadre de la Fête du cinéma, les instituts français de plus de vingt pays ont pu programmer une cinquantaine de films récents ou de patrimoine, organiser des projections originales, par exemple en plein air, mais aussi des animations dans les musées, ou des ateliers pour enfants. Pourrions-nous disposer dans les mois à venir d’un bilan de ces actions ? Seront-elles renouvelées ?

Vous avez évoqué le soutien financier des régions, mais les départements participaient aussi activement sur certains territoires grâce aux fonds d’aide à la production. La mise en application de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », permettra-t-elle que cette politique se poursuive et que des entreprises privées soient directement subventionnées par une collectivité locale ? Une note de la direction générale des collectivités locales semble indiquer que cela ne sera plus possible. Pouvez-vous clarifier ce point ?

M. Guénhaël Huet. La question du maintien des salles de cinéma dans les centres-villes ou en zones rurales a déjà été posée. Elle mérite que l’on y revienne car nous sommes très souvent interpellés sur la difficulté d’accéder aux salles de cinéma en dehors des grandes villes et de leur périphérie. Le CNC estime-t-il qu’il faut mener en la matière une politique réglementaire ou plutôt en passer par l’incitation financière ?

M. Hervé Féron. Depuis 1989, le CNC propose différents dispositifs d’éducation à l’image comme « Collège au cinéma » et « Lycéens et apprentis au cinéma ». Ces opérations visent à faire visionner des œuvres cinématographiques à des adolescents et à leur fournir ainsi, grâce à l’accompagnement pédagogique de leurs enseignants, les bases d’une culture cinématographique. En étudiant le bilan de « Collège au cinéma » pour l’année 2012-2013, on constate que c’est une réussite mais vous n’évoquez pas véritablement les éléments qui pourraient être améliorés. Or la sélection des films reste insuffisamment transparente et démocratique. Des comités de pilotage départementaux ou régionaux choisissent les films visionnés sur une liste établie par une commission nationale. Lorsqu’on les consulte, les professeurs demandent des films bien différents de ceux choisis. Ils préféreraient que soient diffusés des films exploitables dans la matière qu’ils enseignent. Le cinéma compte énormément de classiques et de chefs-d’œuvre, et nombre d’entre eux seraient plébiscités par les enseignants et leurs élèves. Pourquoi ne pas laisser les professeurs choisir eux-mêmes les films qu’ils étudieront en classe ?

Pour la première fois, les instituts français s’associent à la Fête du cinéma pour multiplier les diffusions de films français à l’étranger. Ce partenariat nouveau entre le CNC et les instituts français est logique et nécessaire pour renforcer la place du cinéma français et le rayonnement de la France dans le monde, et l’on peut se demander pourquoi il n’a pas été mis en place plus tôt. Cependant, à peine vingt-neuf instituts sur la centaine d’établissements installés dans le monde ont participé cette année à l’opération. Ne pensez-vous pas que la prochaine édition devrait en mobiliser davantage ? Selon quelles modalités un institut français peut-il participer à la Fête du cinéma ? Des contraintes ont-elles pu empêcher une meilleure participation des instituts, et si oui, comment les surmonter ?

À la lecture du bilan du CNC, on apprend que ce sont toujours les films les plus chers, avec les moyens les plus considérables, qui sont les plus rentables. Cela étant, les films les plus chers sont aussi ceux qui occasionnent le plus de pertes. Pour les vingt-cinq films les plus chers, les dépenses non recouvrées s’élèvent à 182 millions d’euros, alors qu’elles sont de 11 millions d’euros pour les dix-neuf films les moins chers. Si les pertes sont mutualisées, les bénéfices restent privés. Par conséquent, les films qui sont, en moyenne, les plus susceptibles de générer des pertes, sont les plus aidés, et les films à plus petit budget sortent perdants. Ne faudrait-il pas revoir le système d’attribution des aides, afin que les producteurs les mieux intégrés aux réseaux d’exploitation de salles ne soient pas ceux qui profitent le plus des succès et de la mutualisation des aides ?

M. Lionel Tardy. La loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine qui devrait être prochainement promulguée alourdira les obligations des exploitants de salles dans le but de contrôler le recouvrement de la taxe sur les billets (TSA). Ne faudrait-il pas dématérialiser le plus possible ces opérations ? Les déclarations de recettes se font obligatoirement par voie électronique ; pourquoi ne pas faire de même s’agissant de la transmission des données extraites des journaux de fonctionnement ? Est-ce déjà le cas ?

Vous travaillez sur une réforme du dispositif d’aide à partir d’un rapport remis au mois de juin. Se fera-t-elle à budget constant ?

Selon les documents budgétaires, votre fonds de roulement s’élevait à 872 millions d’euros en 2012, 751 millions en 2013, et 620 millions en 2014. Quel est son montant au 31 décembre 2015 ?

M. Jacques Cresta. Madame la présidente, le bilan 2015 du CNC que vous venez de nous présenter met en lumière plusieurs points positifs qui me réjouissent tout particulièrement. Nous pouvons être satisfaits que la fréquentation des salles de cinéma demeure depuis plusieurs années à un niveau historiquement élevé. L’intérêt des Français pour le cinéma illustre pleinement la vitalité culturelle de notre pays.

Comme l’ont souligné mes collègues, ce bilan 2015 ne lève toutefois pas les nombreuses incertitudes qui pèsent sur le secteur, notamment pour les salles de cinéma indépendantes, confrontées cette année encore à la pénétration toujours plus grande des multiplexes. C’est là une préoccupation majeure en termes de préservation de la diversité de notre offre cinématographique.

De mon côté, je souhaite vous interroger sur un point qui n’est pas sans lien avec les sujets précédents. Ainsi, le bilan que vous nous avez transmis indique que la part des entrées pour les films diffusés en version originale (VO) a stagné : en 2015, elle représente, comme en 2014, 16 % du total des entrées annuelles. Plus alarmant peut-être, cette part de la VO est en diminution importante depuis 2009 – elle s’élevait à l’époque à 20 % du total –, et elle se situe aujourd’hui au même niveau qu’en 2005.

Alors que le fait de regarder régulièrement des films en version originale constitue un atout reconnu pour l’apprentissage des langues étrangères, ne s’agit-il pas d’un rendez-vous manqué avec le public, en particulier le plus jeune ? Pensez-vous que la stagnation du nombre des entrées en VO est liée à un recul de l’offre de séances en VO ? L’affaiblissement des salles indépendantes et l’augmentation du nombre des multiplexes, qui proposent extrêmement peu de films en version originale, expliquent-ils cette tendance ? Madame la présidente, à l’heure où la construction européenne et les échanges interculturels ont plus que jamais besoin d’un nouveau souffle, quel rôle peut jouer le CNC pour favoriser la diffusion de films en langue originale ?

M. Stéphane Travert. Les aides que verse le CNC en faveur du documentaire sont en hausse, en 2015, de 2,7 % par rapport à 2014. Elles s’élèvent à 96 millions d’euros, consacrés en majeure partie, soit 82,1 millions, à l’aide à la production. Le documentaire est le premier genre de programme audiovisuel financé par le CNC. On peut citer l’exemple de l’émission Infrarouge diffusée sur France 2. Je souligne le fait que le CNC consacre également des aides à l’écriture.

Madame la présidente, comme Mme Brigitte Bourguignon, je souhaite en savoir plus sur l’aide au cinéma en milieu rural.

Par ailleurs, quel est votre sentiment sur la politique actuelle du groupe Canal + en faveur du cinéma ? N’est-elle pas susceptible de fragiliser le cinéma et la création française ?

Enfin, pouvez-vous nous dire quels sont les critères de sélection pour les aides à la production ? Combien de sociétés de production en bénéficient ? Qu’est-ce que le fonds d’aide à l’innovation ?

M. Christian Paul. L’industrie du cinéma en France s’est beaucoup inquiétée depuis dix à quinze ans des conséquences de la transformation numérique de notre société, qui touche la création et la diffusion des œuvres audiovisuelles. Comment voyez-vous l’évolution des modèles économiques de l’industrie cinématographique dans les cinq ou dix prochaines années ? Comment le CNC accompagne-t-il ces mutations ?

De nombreux membres de cette commission, dont son président, se sont battus pour que la musique et le cinéma soient soutenus en France par des redevances mutualisées sur les réseaux numériques. Le CNC aurait pu avoir un rôle à jouer en la matière. Qu’en pensez-vous ?

Mme Frédérique Bredin. Beaucoup d’entre vous ont parlé de l’accord passé en mai dernier entre, d’un côté, les producteurs et les distributeurs, et, de l’autre, les exploitants de salles. J’aurais dû aborder le sujet dès mon propos liminaire.

Nous avions été tentés de passer par le Parlement ou par une ordonnance pour essayer de mieux réguler un secteur qui subit les difficultés liées à la numérisation. Nous souhaitions faciliter l’accès des films aux salles et l’accès des salles aux films. Il est très difficile de mettre d’accord toute la filière sur ces questions car les intérêts des uns et des autres sont contradictoires. Les choses n’ayant pas pu se faire par la voie législative, nous avons pris la décision de réunir l’ensemble des professionnels et de travailler à marche forcée, avant le Festival de Cannes, pour obtenir un accord interprofessionnel. Avec M. Christophe Tardieu et M. Xavier Lardoux, qui ont participé à toutes les réunions, nous avons réussi à obtenir la signature de cet accord, ce qui était loin d’être acquis.

Pour faciliter l’accès des films aux salles, il est nécessaire d’assurer la transparence des relations contractuelles entre les acteurs. Il a donc été décidé qu’il y aurait de véritables contrats écrits entre les producteurs et les distributeurs, d’un côté, et les exploitants de salles, de l’autre. Cela permettra d’établir des relations beaucoup plus transparentes, sous la surveillance, en cas de difficulté, du Médiateur du cinéma. Il est également prévu que le contrat relatif à un film devra être signé quinze jours avant sa diffusion – ce qui ne correspond pas du tout à la pratique actuelle. Sauf exceptions, le film devra aussi rester quinze jours à l’affiche. Il s’agit de permettre à un film de s’installer et de trouver son public. Il faut que les spectateurs aient le temps de venir le voir. Certains se plaignaient beaucoup des déprogrammations sauvages. Si les pratiques sont beaucoup moins rudes que celles qui existent, par exemple, en Asie du Sud-Est ou en Chine, où les choses se passent en deux jours, elles n’en sont pas moins bien réelles. La règle des quinze jours a donné lieu à de nombreuses discussions, mais elle est désormais acquise.

Concernant l’accès des salles aux films, les distributeurs ont signé l’engagement applicable à partir du 1er janvier 2017 de mettre davantage de copies à la disposition des communes rurales ou des communes moyennes – les agglomérations de moins de 50 000 habitants. Cette démarche interprofessionnelle va donc très loin, et elle répond à un grand nombre des questions qui ont été posées.

Monsieur Premat, les objectifs attendus des modifications du crédit d’impôt ont été atteints. Un véritable retour sur investissement bénéficie aux industries techniques et aux emplois sur nos territoires. Nous avons obtenu des résultats qui dépassent nos espérances. Ils se traduisent par des recettes fiscales et sociales supplémentaires pour l’État, au-delà même des questions de relocalisation et d’emploi.

De nombreuses questions m’ont également été posées au sujet de Canal +. J’avoue qu’il m’arrive de me les poser aussi. Un point est très rassurant : le cinéma a conclu un accord pour cinq ans avec Canal +, juste avant le changement intervenu à la tête de Vivendi et de Canal +. Cela donne au cinéma et à Canal + le temps de voir les choses venir sans être forcément dans l’urgence. Il n’en demeure pas moins que la situation de Canal + suscite un certain nombre d’inquiétudes. Nous savons que les résultats du groupe ne sont pas à la hauteur des espérances des actionnaires et que la baisse du nombre d’abonnés fait courir des risques à l’entreprise.

Pour notre part, un autre sujet nous inquiète : l’éventuelle séparation des offres sport et cinéma. Nous sommes évidemment extrêmement attachés à ce que les engagements pris par Canal + en 1984 en faveur du cinéma soient fondés sur le chiffre d’affaires global du groupe, et pas seulement sur une part cinéma, ce qui aurait pour effet de diminuer sa participation au financement du secteur. Nous serons particulièrement vigilants afin que les engagements pris par Canal + à ses origines soient respectés, quelle que soit l’offre présentée au téléspectateur.

Nous sommes toutefois conscients des nombreuses évolutions de la filière et de l’arrivée de nouveaux acteurs. Les points négatifs sont bien là, et Canal + doit évidemment adapter son modèle, mais il ne faut pas oublier les points positifs : Canal + et Vivendi réfléchissent par exemple à la création d’une grande plateforme vidéo européenne dont le succès pourrait venir concurrencer les plateformes américaines.

M. Christophe Tardieu, directeur général délégué du CNC. Monsieur Herbillon, vous nous avez interrogés sur le calendrier des suites que nous comptons donner au rapport de M. Alain Sussfeld sur la réforme de l’agrément. L’agrément est en quelque sorte le volet qualitatif du crédit d’impôt. Ce dernier permet de définir les masses financières, tandis que l’agrément vise à accroître la relocalisation des films en France grâce à un barème de points qui incite à situer dans notre pays le plus grand nombre possible d’activités de fabrication. Les concertations avec les professionnels ont commencé. L’objectif est de parvenir, d’ici à la fin de cette année, à une réforme de l’agrément. Elle devra être notifiée à la Commission européenne puisqu’il s’agit d’un changement assez fondamental de nos règles, mais les contacts que nous avons avec cette dernière sur ce sujet nous rendent plutôt optimistes.

Les exploitants de salles souhaitent que le versement de la contribution numérique se poursuive. Le CNC est assez prudent sur ces frais de copies virtuels – ou VPF pour Virtual Print Fee –, car il n’a pas le sentiment de se trouver aujourd’hui face à des sauts technologiques majeurs, comparables au défi que constituait la numérisation des salles. Les VPF pèsent principalement sur les distributeurs dont Mme Bredin a souligné la fragilité économique actuelle, et nous ne pensons pas que la prolongation du système en l’état puisse leur être bénéfique.

Les évolutions technologiques sont cependant une réalité. Aujourd’hui, il est vrai que la qualité des images à domicile, grâce à la télévision ou au home cinéma, est devenue extraordinaire. Les salles de cinéma s’adaptent à l’ultra-haute définition, mais les matériels nécessaires sont compatibles avec les projecteurs numériques, ce qui permet de ne pas exiger d’investissements massifs. Pour cette raison, nous pouvons parler d’une présomption de fin de VPF. Il n’y aura sans doute pas lieu de les renouveler.

Mme Frédérique Bredin. Vous vous demandiez aussi, monsieur Herbillon, quelles bonnes nouvelles nous attendions.

Je me suis déjà exprimée sur les réformes essentielles du soutien à l’exportation. Même si elles ne porteront leurs fruits qu’à long terme, il est absolument majeur de prendre aujourd’hui le tournant du relais de croissance à l’international, et de mieux soutenir la distribution qui est le maillon fragile de notre filière cinéma.

À plus long terme, face aux changements mondiaux et à l’irruption d’internet, il nous faut intégrer les géants du numérique dans notre système de soutien à la création et à l’exposition des œuvres européennes. Jusqu’à aujourd’hui, ils ont essayé de passer au travers des mailles du filet fiscal et réglementaire européen ; désormais, grâce à l’évolution de la position de la Commission européenne et à la vigilance de l’Allemagne et de la France, nous pourrons mieux les intégrer dans notre système. Selon moi, il s’agit du défi de demain. La Commission n’a pas encore donné sa réponse à la solution que vous avez proposée il y a deux ans s’agissant des plateformes de vidéos à la demande. Je crois qu’elle le fera. Nous devons également agir concernant les plateformes qui vivent de recettes publicitaires. L’adoption du principe du pays de destination constitue un changement fondamental qui permet de mettre en place une régulation européenne, et qui porte haut et fort l’exception culturelle à l’égard des nouveaux intervenants.

Je n’ai pas évoqué le développement de la TNT. Il s’agit pourtant d’une question importante. Des mesures avaient été prises lors de son démarrage pour alléger les effets que le système de soutien à la création aurait pu avoir sur les nouveaux entrants. Bien des années plus tard, ces chaînes détiennent 27 % de l’audience et perçoivent 36 % des recettes publicitaires, alors qu’elles n’apportent que 5 % des aides des diffuseurs à la production audiovisuelle globale, et quasiment rien au cinéma. La TNT, qui s’est considérablement développée, se retrouve donc aujourd’hui en concurrence avec les chaînes historiques comme TF1, sans contribuer suffisamment à la création. Cette question est importante pour l’évolution et l’adaptation du paysage audiovisuel français.

Le soutien aux salles des communes rurales et des petites villes est un sujet qui m’est personnellement très cher, sur lequel M. Xavier Lardoux pourra vous répondre. Dans une autre vie, j’ai été maire d’une commune de moins de 50 000 habitants, et je sais ce que signifie pour une agglomération la présence d’un cinéma vivant qui attire du public. Lors de notre « tour » des exécutifs régionaux, en réponse à une forte demande, nous avons décidé que les contrats entre le CNC et les régions pourront prendre en compte les postes de médiateur des salles art et essai des petites ou moyennes communes. Ces dernières ont souvent du mal à financer seules cette démarche indispensable qui permet d’aller chercher un public. Au-delà du soutien à la production dans lequel s’engage la région, cette aide à la personne devrait être particulièrement utile.

M. Xavier Lardoux, directeur du cinéma du CNC. L’accord évoqué par Mme Bredin entre les producteurs et les distributeurs, d’un côté, et, les exploitants de salles, de l’autre, devrait avoir un effet bénéfique et donner aux salles art et essai des petites agglomérations et des zones rurales un accès aux films art et essai dits « porteurs », c’est-à-dire à ceux qui attirent du public.

Nous travaillons par ailleurs à une réforme du système de l’art et essai. Aujourd’hui, 1 200 établissements sont concernés en France par ce classement. Ils représentent 2 380 écrans, soit plus de 40 % de la totalité des quelque 5 700 écrans français. L’art et essai reçoit aujourd’hui 15 millions d’euros de soutien annuel de la part du CNC. Une mission avait été confiée en octobre dernier à M. Patrick Raude sur le soutien aux salles art et essai. Son rapport a été publié au lendemain du Festival de Cannes, en mai dernier, et nous appliquerons dès l’année prochaine une bonne partie des propositions émises afin de renforcer le soutien aux salles art et essai – le conseil d’administration du CNC devrait se prononcer à la fin du mois de novembre 2016.

Le CNC accompagne le cinéma itinérant. Nous profitons de l’été 2016 pour avoir une vision d’ensemble du secteur et des circuits concernés, et pour mener une politique plus forte et dynamique s’agissant notamment des projections en plein air. La plupart du temps, elles sont organisées par les exploitants eux-mêmes, souvent gestionnaires de salles art et essai.

M. Christophe Tardieu. Après que plusieurs recours relatifs à la classification des films ont été déposés devant le tribunal administratif ou devant le Conseil d’État, Mme Fleur Pellerin, alors ministre de la Culture, avait confié une mission au président de la commission de classification, M. Jean-François Mary, afin de moderniser le dispositif actuel. Ces travaux ont donné lieu à deux propositions. L’une visant à ne plus interdire systématiquement aux mineurs de seize à dix-huit ans, comme cela est prévu aujourd’hui, les films présentant des scènes de sexe non simulées ou de grande violence. Cette automaticité posait des problèmes pour certains films comme ceux de Lars von Trier par exemple – on peut aussi penser au cas de La Vie d’Adèle. L’autre visait à raccourcir les délais d’instance devant les juridictions administratives et à faire en sorte que la cour administrative d’appel soit juge en premier et dernier ressort – en conservant évidemment la possibilité d’un recours devant le Conseil d’État en tant que de besoin. Quelles que soient les décisions de la commission de classification, le juge administratif contrôlera toujours l’application correcte par cette dernière des textes en vigueur.

Les discussions sur la chronologie des médias ont repris tout récemment avec les professionnels concernés. À ce stade, une mesure fait plutôt consensus, qui permettrait d’exploiter en VAD après trois mois – et non quatre – les films qui ont réalisé moins de 20 000 entrées en quatre semaines ou moins de 1 000 entrées durant leur quatrième semaine d’exploitation. D’autres sujets restent en discussion dans un contexte quelque peu tendu en raison de la situation assez préoccupante de Canal + qu’évoquait Mme Bredin.

Une grande réforme du soutien au documentaire a été menée à bien par le CNC il y a maintenant un peu plus d’un an. Elle a connu quelques difficultés au démarrage, en particulier en matière de délais administratifs de traitement, mais ces problèmes sont aujourd’hui réglés. Nous soutenons davantage les documentaires de création et nous réfléchissons à l’amélioration de notre action en faveur des documentaires « hybrides », qui empruntent à la fois aux nouveaux médias et à l’écriture des magazines et des reportages. Nous voulons surtout mieux accompagner les documentaires qui nous paraissent porteurs d’une véritable valeur ajoutée artistique et culturelle. Nous augmenterons aussi considérablement notre soutien en faveur des documentaires tournés en région, commandés par des télévisions locales. Nous constatons en effet que ces œuvres moins formatées permettent l’émergence de nouveaux talents et irriguent le tissu de producteurs locaux.

Nous devons rester très vigilants sur la question de la territorialité des droits. Cette dernière est liée à des phénomènes d’exclusivité des diffusions qui expliquent que des chaînes à péage, comme Canal +, investissent plus ou moins massivement dans le cinéma français ou européen. Il faut donc protéger la territorialité tout en réfléchissant à la meilleure circulation des œuvres dans les pays avec lesquels aucun contrat de distribution en exclusivité n’a été conclu. Nous travaillons sur ce sujet avec les services de la Commission européenne, avec laquelle la coopération est excellente.

Mme Dominique Bredin. Le dispositif « École et cinéma » concerne environ 10 % des élèves, que ce soit à l’école primaire, au collège, ou au lycée. Il fonctionne donc bien, mais les choses sont plus difficiles lorsque les départements se désengagent. Ainsi, lorsque le transport scolaire n’est plus assuré, il est clair qu’il y a un risque pour le maintien du dispositif.

Nous souhaitons toucher davantage d’élèves, mais l’opération se fonde avant tout sur le volontariat des professeurs et des écoles. Dans le contexte actuel, nous voudrions que l’éducation à l’image et au cinéma soit largement répandue au-delà de ceux qui en bénéficient déjà. Nous réfléchissons aussi à la façon dont nous pourrions atteindre toute une classe d’âge, mais il s’agit d’un chantier à plus long terme.

C’est avec cette même préoccupation que nous avons lancé notre programme en faveur des ciné-clubs. Nous pensons qu’il s’agit de lieux de vie pour les lycéens. Ce sont aussi des lieux de débat et de découverte du cinéma, où il sera possible de comprendre l’image et la façon dont elle est peut être fabriquée – pour le meilleur s’agissant du cinéma, mais aussi parfois pour le pire, sur internet.

La Fête du cinéma a été créée en 1985 par le ministre Jack Lang, après celle de la musique. Elle visait en particulier à faire découvrir le cinéma aux plus jeunes et à leur en montrer les métiers et les coulisses. Avec le temps, cette dernière dimension s’est un peu perdue, même si l’événement est resté une opération commerciale très intéressante pour les salles – bien que parfois, comme cette année, l’offre de films ne soit pas au rendez-vous, ce qui explique une petite baisse de fréquentation. Cette saison, nous avons toutefois voulu redonner du sens à cette fête : des manifestations permettent de découvrir les métiers du cinéma, les décors, les lieux de tournage… De plus, pour la première fois depuis les années 1990, nous avons voulu lui permettre de retrouver un élan international. À l’époque, de nombreux instituts français participaient à l’événement, mais ce n’était plus le cas jusqu’à récemment. Nous avons voulu reprendre cette coopération, et les instituts ont très bien réagi. Une trentaine d’entre eux sont déjà partenaires, et nous voulons en associer encore davantage l’an prochain.

M. Pierre-Emmanuel Lecerf, directeur des affaires européennes et internationales du CNC. Notre coopération avec les instituts français et avec l’Institut français est très forte. Le CNC participe au projet européen d’éducation au cinéma, tant au sein des commissions de sélection des films que pour la communication et pour la réalisation des documents pédagogiques. Nous sommes très heureux que l’Institut français fasse partie des lauréats d’un appel d’offres de la Commission européenne. Nous incitons les programmes français d’éducation à l’image à diffuser davantage de films européens et même internationaux.

Un axe essentiel de la coopération avec les instituts français dans les ambassades est lié à la numérisation de leur salle de cinéma. On compte un peu plus de quatre-vingts salles dans les instituts français à l’étranger. Il s’agit d’un vecteur de la diffusion du cinéma français à l’étranger. Nous avons monté un programme afin de soutenir le passage de ces salles au numérique : dix-sept salles ont été numérisées à ce jour, et trois autres sont en passe de l’être. Grâce à la numérisation, elles peuvent diffuser plus de films français récents. Dans certains cas, comme à Cuba, nous avons même numérisé une salle dont la France n’est pas propriétaire – nous possédons des actions dans des salles détenues par l’État cubain –, en échange d’engagement sur la programmation de films français et européens. De façon générale, nous sommes donc allés très loin, en lien avec les alliances et les instituts français.

Une question nous a été posée sur le fonds de roulement du CNC. Au 31 décembre 2015, il s’établit à 585 millions d’euros. Il est constitué de trois éléments. Il y a tout d’abord les provisions pour les soutiens automatiques du CNC, qui engagent ce dernier sur plusieurs années sous la forme de droits de tirage qui courent durant trois à huit ans pour les professionnels. Il s’agit de la catégorie la plus importante selon la Cour des comptes qui nous l’a encore rappelé en 2014. Ensuite, le plan pour la numérisation des salles en France concerne maintenant l’outre-mer, mais aussi les œuvres du patrimoine. Ce plan étant pluriannuel, son financement se trouve dans le fonds de roulement, et non dans le budget annuel. Enfin, tout ce qui est relatif aux projets immobiliers du CNC se trouve également dans le fonds de roulement. Des amortissements sont prévus pour réinvestir dans le cadre d’un futur déménagement du siège du CNC. Ce plan d’investissement a vocation à disparaître du fonds de roulement une fois le déménagement effectué.

Mme Dominique Bredin. M. Christian Paul se demandait comment le CNC allait réagir au bouleversement du monde. La force du CNC est d’avoir su s’adapter en permanence de façon extrêmement pragmatique, et en concertation avec les professionnels, à l’évolution de l’environnement audiovisuel. À la Libération, il y a eu l’arrivée des films américains qui ont mis gravement en danger la filière de production du cinéma français. L’organisation et la régulation du secteur ont permis de relever les défis lancés aux salles. L’irruption de la télévision dans tous les foyers, immense révolution technologique, a ensuite constitué une incroyable concurrence pour le cinéma. Le CNC s’est adapté à ce changement en l’accompagnant et en élargissant le champ de son action – il s’est même orienté vers le soutien à la production audiovisuelle. Il y a eu les DVD, qui se sont « transformés » en services de vidéos à la demande, et qui deviennent aujourd’hui les nouvelles plateformes. Face à ces évolutions permanentes, nous avons affaire à l’une des politiques publiques les plus performantes, qui s’est adaptée avec la volonté de toujours investir dans l’avenir et d’anticiper. Je reconnais que la partie n’est pas très facile aujourd’hui car les géants du numériques sont de nouveaux acteurs d’une puissance fabuleuse. Je pense cependant qu’une nouvelle fois, nous trouverons les moyens, non plus au niveau national mais au niveau européen, de répondre aux évolutions en cours.

M. le président Patrick Bloche. Madame la présidente, messieurs, nous vous remercions vivement de votre présence et des informations riches et denses que vous nous avez livrées avec une passion et un intérêt pour le cinéma que partage la représentation nationale. Nous continuerons à nous montrer à la hauteur des enjeux et à anticiper avec vous.

La séance est levée à onze heures trente.

——fpfp——

Présences en réunion

Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Réunion du mercredi 29 juin 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Pouria Amirshahi, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, Mme Véronique Besse, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, M. Jean-Noël Carpentier, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Pascal Demarthe, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, M. Michel Herbillon, M. Guénhaël Huet, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, M. François de Mazières, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, Mme Stéphanie Pernod Beaudon, M. Michel Piron, M. Michel Pouzol, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal

Excusés. – M. Ary Chalus, M. Jean-François Copé, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Claude Greff, M. Romain Joron, Mme Sonia Lagarde, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Martine Martinel, M. Michel Ménard, M. Marcel Rogemont

Assistaient également à la réunion. – M. Lionel Tardy, M. François Vannson