Accueil > Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France > > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Jeudi 22 mai 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Luc Chatel, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Ramanantsoa, président de la commission Aval de la Conférence des grandes écoles (CGE), et directeur général d’HEC Paris

–  Présence en réunion

La Commission d’enquête entend M. Bernard Ramanantsoa, président de la commission Aval de la Conférence des grandes écoles, directeur général d’HEC Paris.

M. le président Luc Chatel. Bienvenue, monsieur le directeur général, devant notre commission d’enquête. Veuillez excuser l’absence de notre rapporteur, empêché.

Nous nous intéressons à la question de l’exil de nos forces vives, c’est-à-dire au mouvement qui semble conduire au départ un certain nombre de jeunes, d’entreprises ou de centres de décision. Nous voudrions savoir si ce phénomène peut être observé à HEC, et plus généralement au sein des grandes écoles. Bien entendu, nous faisons la part des choses entre, d’une part, l’ouverture naturelle à l’international qui caractérise les grandes écoles et les carrières de leurs étudiants, et, de l’autre, la tendance qui semble apparaître et même s’accélérer depuis quelques années, faisant de l’expatriation une décision plus subie que réellement choisie. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Avant de vous donner la parole, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Ramanantsoa prête serment.)

M. Bernard Ramanantsoa, président de la commission Aval de la Conférence des grandes écoles, directeur général d’HEC Paris. Vous posez une question majeure à laquelle s’intéressent tant la Conférence des grandes écoles – CGE – que HEC Paris. Dans la mesure du possible, je tenterai de séparer, dans mes propos, ce que je sais ou perçois en tant que représentant de la Conférence, et ce que je sais ou perçois en tant que directeur général d’HEC.

Chaque année, et depuis longtemps, la conférence mène une enquête auprès de la dernière et de l’avant-dernière promotion des diplômés de toutes les grandes écoles. L’enquête 2014, qui porte donc sur les promotions 2013 et 2012, n’est pas encore terminée : nous effectuons une relance afin d’améliorer le plus possible le taux de réponse. Je peux cependant vous en présenter d’ores et déjà certains résultats.

S’agissant de la promotion 2013, 20 % des diplômés de commerce et de gestion sont partis à l’étranger, contre 22 % pour la promotion précédente – si toutefois il est possible de comparer les résultats d’une enquête en cours avec ceux d’une enquête terminée. Quant aux diplômés des écoles d’ingénieurs, 13 % d’entre eux ont obtenu un premier emploi à l’étranger. On observe donc cette année une stabilisation du taux de départ des diplômés, faisant suite à une hausse l’année précédente.

Pour ce qui concerne la promotion 2012, la proportion des diplômés de gestion ayant trouvé un premier emploi à l’étranger est plus forte chez les hommes que chez les femmes : respectivement 25 et 21 %. L’écart statistique me semble significatif, même si je n’ai pas vraiment les compétences pour en juger.

Notons que les principaux pays de destination sont le Royaume-Uni et la Suisse : le premier accueille 15 % des partants – 13,6 % des ingénieurs et 16,1 % des diplômés d’école de gestion –, et la seconde 12 %.

De son côté, l’école HEC organise chaque année un sondage de type déclaratif pour connaître le destin de ses diplômés. Ses résultats s’apprécient toutefois différemment selon la période considérée. Entre 2000 et 2013, le nombre d’étudiants exerçant leur premier job à l’étranger a doublé, passant de 16 à 33 %. Mais si on s’intéresse à une période plus brève, on s’aperçoit que, depuis quelques années, ce taux oscille légèrement autour de 30 % : il était ainsi de 30,5 % en 2008 et de 26,9 % en 2010.

Il ne faut pas s’étonner de la différence entre les chiffres d’HEC et ceux de la Conférence des grandes écoles, liée à la nature même de notre école : les élèves de gestion partent, en effet, plus souvent à l’étranger que ceux des écoles d’ingénieurs. En outre, les chiffres que je viens de vous livrer prennent également en compte les élèves étrangers qui repartent dans leur pays d’origine une fois leur diplôme obtenu.

Bien entendu, les résultats varient aussi de façon importante selon la spécialité des élèves. Par exemple, 55 % de ceux qui ont suivi la  majeure Finance au cours de la dernière année de leur scolarité trouvent un premier emploi à l’étranger, essentiellement à Londres et à New York. En revanche, 80 % des étudiants de la majeure Entrepreneurs, dont la vocation essentielle, même si elle n’est pas unique, est de préparer les futurs diplômés désireux de créer leur entreprise, obtiennent leur premier emploi en France.

Nous avons également réalisé, en février, un sondage auprès des élèves de première année d’HEC, qui ne feront donc leur choix professionnel que trois ans plus tard. À la question de savoir s’ils aimeraient démarrer leur carrière à l’étranger, 60 % ont répondu positivement : 31 % parce qu’ils imaginent y trouver de meilleures opportunités de carrière, et 9 % parce qu’ils ont une image négative de la France.

Les enquêtes, qu’elles concernent la Conférence ou HEC, font apparaître un écart de salaire significatif entre les diplômés restés en France et ceux qui s’installent à l’étranger. Selon la Conférence des grandes écoles, le premier salaire, brut et hors primes, est en moyenne de 34 500 euros en Île-de-France, de 31 000 euros en province et de 40 300 euros à l’étranger. J’ignore s’il existe une relation de cause à effet entre cet écart de salaire et le taux de départs, mais ces chiffres – qui ne tiennent pas compte des signing bonus, par définition plus élevés pour les expatriés – me semblent significatifs.

M. le président. Votre école est membre du réseau CEMS, the Global Alliance in Management Education, ce qui rend possible les comparaisons entre différents pays. Que penser des 33 % d’anciens étudiants d’HEC qui entament leur carrière à l’international ? Les étudiants de vos partenaires de la CEMS sont-ils plus nombreux à partir à l’étranger ?

M. Bernard Ramanantsoa. Non.

M. le président. Par ailleurs, il nous intéresse de pouvoir mesurer l’attractivité, le rayonnement de la France, sa capacité à attirer des talents. Je suppose qu’HEC n’a aucun mal à remplir son quota de places réservées aux échanges entre écoles internationales. Mais quel rang votre établissement occupe-t-il dans le choix des étudiants qui participent à ces échanges ?

M. Bernard Ramanantsoa. Je me dois de préciser que les chiffres indiqués ne concernent que les diplômés de la grande école, et pas les étudiants des autres programmes d’HEC, comme ceux du Master of Business Administration – MBA. Le MBA full-time proposé par notre école comprend, en effet, selon les années, entre 85 et 87 % d’étudiants étrangers, ce qui est une façon de répondre à votre question sur l’attractivité de notre pays. Certes, HEC n’est pas la France, mais il n’est pas neutre qu’une telle proportion d’étudiants étrangers soit prête à suivre, pendant seize mois, des études à plein-temps à Jouy-en-Josas, qui n’est pas vraiment Paris.

M. le président. Un tel résultat ne me surprend pas. Mais ma question est plutôt de savoir si HEC, ou plus généralement la France, était le premier choix de ces étudiants.

M. Bernard Ramanantsoa. En moyenne, les étudiants du MBA ont déjà un premier diplôme et quatre ans d’expérience professionnelle. Les étrangers en général, et les Asiatiques en particulier, font d’abord un choix par continent : à l’exception, peut-être, de ceux qui sont pris à Harvard, ils décident de faire un MBA soit aux États-Unis, soit en Europe. Pour nous, la vraie concurrence se joue donc entre grandes business schools européennes. Parmi ceux qui choisissent l’Europe, certains ont très envie d’effectuer leur scolarité à HEC – on peut le mesurer en observant dans quels établissements les élèves envoient leurs résultats au test GMAT (Graduate Management Admission Test) –, d’autres sont plus indifférents.

Une des raisons pour lesquelles certains privilégient la France est la bonne image de son enseignement supérieur – même si elle est moins bonne que celle du Royaume-Uni pour ce qui est de l’enseignement des affaires. Un autre avantage de notre pays, sur lequel nous ne communiquons pas assez, est la densité impressionnante de sièges sociaux qui y sont installés, en particulier à Paris et à La Défense. Les étudiants de MBA en tiennent compte lors de leur choix, car ce sont autant de possibilités de travailler dans la zone où ils auront étudié. Enfin, une particularité d’HEC est de compter plusieurs anciens élèves à la tête de grands groupes internationaux, tels L’Oréal ou Lafarge.

Quant à ceux qui sont a priori indifférents à la destination et mettent HEC en concurrence avec d’autres écoles, ils préféreront, s’ils ont le choix, obtenir leur MBA à l’Institut européen d’administration des affaires – INSEAD – ou à la London Business School. De son côté, HEC est à peu près au même niveau que des écoles dont on entend peu parler mais qui n’en sont pas moins des concurrentes redoutables, les espagnoles IESE et Instituto de Empresa. En termes de parts de marché, nous avons un peu d’avance sur les autres grandes business schools que sont l’université Bocconi en Italie et la Rotterdam School of Management. Je ne parle pas du MBA de l’IMD, en Suisse, dont les élèves ont une plus grande expérience professionnelle.

En tant que grande école, HEC est, avec la London School of Economics – LSE –, l’établissement le plus demandé du réseau CEMS. Cela tient en partie à sa place dans les rankings internationaux et à sa notoriété. Sur ce dernier plan, toutefois, la LSE dispose d’un net avantage, car elle est bien plus connue, même si nous tentons de combler l’écart. Cela étant, il existe des biais : ainsi, l’attrait de l’école espagnole ESADE tient en partie au climat de Barcelone. Symétriquement, les étudiants sont moins nombreux à vouloir se rendre en Norvège.

M. le président. Qu’en est-il des enseignants ? Quelle est la part d’étrangers dans le corps professoral ?

M. Bernard Ramanantsoa. À HEC, ils représentent les deux tiers des enseignants-chercheurs, c’est-à-dire des professeurs permanents. Dans les dernières années, la part des étrangers dans le recrutement est même montée jusqu’à 80 %. D’ailleurs, même les professeurs français ont souvent obtenu leur doctorat à l’étranger.

Si nous examinons de près les nationalités d’origine de nos étudiants, ne serait-ce que pour assurer un certain équilibre au sein des classes, l’approche est différente pour le recrutement du personnel enseignant. Pour ce qui les concerne, l’important est d’avoir publié ou d’être en mesure de publier dans les prochaines années dans les revues classées « A ». À cet égard, les personnes ayant passé leur doctorat dans le monde anglo-saxon sont mieux préparées à publier dans ces revues, elles-mêmes anglo-saxonnes.

Pour les enseignants, l’attrait d’HEC a beaucoup progressé au cours des cinq ou six dernières années, même si nous restons globalement derrière la London Business School
– laquelle, à proposition équivalente, sera préférée par le candidat – et l’INSEAD. Mais il est compliqué de répondre à votre question, car le choix d’enseigner dans telle ou telle école dépend d’un grand nombre de critères.

Le premier est l’environnement scientifique. Il est ainsi plus facile de recruter quelqu’un dans un département jouissant déjà d’une notoriété mondiale, comme le département Finances d’HEC. Les jeunes docteurs préfèrent intégrer une équipe efficace et créditée d’un certain rayonnement.

Quant aux critères matériels, ils sont très divers : il y a la rémunération, bien entendu, mais aussi des aspects liés aux à-côtés. Ainsi, une école en mesure de recruter un couple de chercheurs sera avantagée.

M. Régis Juanico. Vous avez dit que 80 % des élèves de la majeure Entrepreneurs choisissaient de créer leur entreprise sur le sol français : un chiffre impressionnant. S’agissant des élèves connaissant leur première expérience professionnelle à l’étranger, réalisez-vous des enquêtes dans la durée afin de savoir combien d’entre eux rentrent finalement en France, et au bout de combien de temps ?

M. Alain Rodet. Les élèves qui partent à l’étranger choisissent plus volontiers le Royaume-Uni et la Suisse, mais qu’en est-il de l’Asie ? Observe-t-on un engouement plus marqué pour des destinations telles que la Chine, le Japon ou Singapour, ou bien la part des anciens étudiants s’installant dans ces pays est-elle constante ?

Mme Monique Rabin. L’écart de salaire dont bénéficient les élèves qui trouvent un premier emploi à l’étranger atteint environ 30 %, ce qui, au fond, équivaut à ce que la France accorde à ses fonctionnaires expatriés. Rien de plus normal, donc. Avez-vous cependant l’impression que cet écart constitue un critère déterminant ? Cet aspect occupera sans doute une place importante dans les conclusions de notre commission d’enquête.

Je trouve intéressante la question du recrutement des couples. En tant que membre de la Conférence des grandes écoles, observez-vous, sur ce point, des disparités entre les régions ? Certaines d’entre elles ouvrent des maisons d’accueil pour les chercheurs et étudiants étrangers ou leur offrent des conditions matérielles spécifiques, en particulier aux couples. Existe-t-il des études permettant de vérifier que cette politique, qui engage des fonds publics, porte ses fruits ?

Enfin, je suis heureuse d’apprendre que la densité de sièges sociaux était un facteur d’attractivité de la France. Cet argument fait-il l’objet d’une communication de la Conférence des grandes écoles lorsqu’elle participe à des salons internationaux pour promouvoir ses écoles ?

M. le président. Pour ma part, j’avais compris que les anciens élèves travaillant à l’étranger faisaient l’objet d’un recrutement local et n’avaient donc pas le statut d’expatriés.

M. Bernard Ramanantsoa. L’enquête se contente de demander au jeune diplômé combien il gagne.

Je dois préciser que les étudiants de la majeure Entrepreneurs ne sont pas tous destinés à créer leur entreprise. C’est d’ailleurs un phénomène contre lequel nous luttons : alors qu’ils ont souvent choisi cette spécialisation parce qu’ils avaient un projet de création d’entreprise, nombre de ces élèves sont ensuite recrutés par des grands groupes – banques ou entreprises industrielles et de services.

Nous savons qu’environ 17 % des élèves d’une promotion d’HEC créent une entreprise dans les trois ans après l’obtention du diplôme, ce qui est un résultat plutôt bon. Je ne dispose pas de chiffres précis les concernant, mais j’ai souvent l’occasion de les rencontrer, au sein de l’école puis quelques mois après qu’ils l’ont quittée. Beaucoup ne se posent pas la question de leur départ à l’étranger ; leur réflexe est plutôt de s’implanter en France, afin de bénéficier d’un environnement dans lequel ils sont plus à l’aise et pourront plus facilement activer leurs réseaux. En revanche, ils ont tous, dès le début, l’idée qu’il faudra un jour développer leur entreprise à l’international. Cela fait partie de leur premier business plan, celui qui leur permettra de lever des fonds. En outre, et ce ne sera sans doute pas une surprise pour vous, ils se posent assez vite la question de déménager, pour des raisons liées aux charges, fiscales et surtout sociales. Ils se sentent moins libres en France qu’à Londres, par exemple.

À leur sortie, les élèves sont suivis par l’école, puis par l’association des diplômés. Bien sûr, nous travaillons ensemble, mais nos données ne sont pas tout à fait homogènes. Je suis toutefois en mesure de vous indiquer, par promotion, le nombre d’élèves vivant à l’étranger. Ils sont, par exemple, 92 sur les 359 élèves sortis en 1995, 94 sur les 367 que comptait la promotion 2000, et 76 sur 463 pour la promotion 2010. Pour l’instant, il est donc probable que les anciens élèves ayant une première expérience à l’étranger finissent par revenir. Une question plus compliquée est de savoir si cette tendance va perdurer à l’avenir.

Cela me conduit à répondre au sujet de l’Asie : de plus en plus de jeunes diplômés d’HEC sont attirés notamment par les villes de Singapour et de Shanghai. Hong Kong est en perte de vitesse, tandis que l’Inde et le Japon restent des destinations minoritaires.

L’année dernière, au sein de la Conférence des grandes écoles, nous avons été frappés par l’augmentation du nombre d’étudiants partant à l’étranger – même si, comme je vous l’ai dit, les premiers chiffres dont nous disposons cette année montrent que leur part se stabilise. Les salaires sont-ils un critère déterminant ? Oui. Est-ce le seul ? Non. Pour un étudiant, en tout cas un étudiant d’HEC, une première expérience à l’international est considérée comme une très jolie ligne sur un CV. Si, en plus, le salaire est intéressant, c’est encore mieux. C’est ainsi que certains grands groupes s’intéressant aux diplômés de l’école ne parviennent pas à recruter, malgré des salaires attractifs, parce qu’ils ne proposent pas un premier poste hors de nos frontières. C’est ce que je dis à nos partenaires, notamment au sein de la Fondation HEC : s’ils veulent recruter plus d’anciens élèves de l’école, il faut leur proposer de partir très vite à l’étranger, non pas tant pour le salaire que pour l’expérience.

En ce qui concerne les couples, je ne suis pas en mesure de vous répondre. C’est une question compliquée : soit il s’agit d’un couple de professeurs souhaitant chacun être recruté par l’école, soit il s’agit d’un enseignant vivant en couple, auquel cas on peut être amené, quand on veut le recruter, à rechercher un emploi pour le conjoint. Je ne sais pas comment les choses se passent dans les régions, mais nous allons nous y intéresser.

À ce sujet, et pour illustrer les différences culturelles d’un pays à l’autre, je remarque qu’une candidate à un poste d’enseignant à HEC, mère célibataire, a posé comme condition de son recrutement le financement de la scolarité de sa fille, comme si cela était parfaitement habituel.

Enfin, s’agissant de la densité des sièges sociaux, cet aspect ne fait pas l’objet d’une communication par la Conférence des grandes écoles, mais est mis en avant par certaines des écoles qui en sont membres, notamment de commerce.

Mme Claudine Schmid. Si les anciens élèves partent plus volontiers en Grande-Bretagne et en Suisse, c’est peut-être parce que ces pays accueillent de grands laboratoires et offrent de nombreux emplois. Je pense, par exemple, à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, aux laboratoires de recherche de Google et d’IBM, qui emploient de nombreux Français, ou aux industries pharmaceutiques de Bâle. Si nous voulons retenir ces jeunes, ne faudrait-il pas adopter une autre politique à l’égard des entreprises ?

Par ailleurs, n’avez-vous pas le sentiment que les sièges sociaux tendent à être moins nombreux en France, et que les jeunes diplômés qui travaillent à l’étranger ne font que suivre un mouvement général de départ des centres de décision ?

M. Alain Rodet. Lorsqu’ils discutent avec le personnel de l’école, les étudiants qui envisagent de s’installer à l’étranger évoquent-ils les questions relatives à la couverture sociale, à l’assurance-maladie ou aux régimes de retraites, ou s’agit-il de préoccupations qu’ils ne jugent pas de leur âge ?

Mme Monique Rabin. Le ministre Arnaud Montebourg a décidé cette semaine d’augmenter le montant des frais de scolarité pour les étudiants étrangers, estimant que des droits d’inscription trop faibles nuisaient à la réputation de certaines grandes écoles. Qu’en pensez-vous ?

Je reviens sur la question des couples. Malgré mes efforts pour l’y aider, l’École des mines de Nantes n’est pas parvenue à faire venir le spécialiste de haute qualité qu’elle souhaitait recruter, faute d’avoir pu trouver un emploi convenant à son épouse. Outre l’emploi, le régime de retraite et la couverture sociale comptaient d’ailleurs aussi dans le choix du candidat. Il serait peut-être intéressant pour la Conférence des grandes écoles et pour notre commission d’interroger les régions sur les conditions qu’elles offrent aux enseignants étrangers. Ce sont elles, en effet, qui ouvrent des maisons d’accueil, accompagnent les enseignants dans leurs démarches administratives, notamment auprès du préfet, ou les guident dans l’environnement social et salarial.

M. Bernard Ramanantsoa. Je le répète, ce qu’attendent les diplômés qui partent à l’étranger, en particulier en Grande-Bretagne et en Suisse, c’est une ligne sur un CV. Un ingénieur va privilégier un laboratoire qui porte la marque d’une recherche de haut niveau. Et pour un manager, pouvoir justifier d’une expérience à l’étranger dans un grand groupe comme L’Oréal, c’est faire d’une pierre deux coups. Non seulement c’est formateur, mais c’est une référence en termes de marketing, au sens large de l’expression.

Que les étudiants français aient envie de partir à l’étranger, je trouve personnellement que c’est une très bonne chose : cela prouve qu’ils sont ouverts sur le monde et que nos formations sont de qualité. Mais il faut aussi se poser la question de la réciprocité : les étudiants étrangers sont-ils prêts à venir en France ? À cet égard, il faut saluer toute mesure visant à faciliter leur accueil, et au minimum s’étonner de toute initiative susceptible d’y faire obstacle. Selon les périodes, le mouvement est encouragé ou au contraire freiné. Certes, nous ne sommes pas le seul pays à adopter cette attitude, mais c’est une mince consolation.

Non seulement nous devons être capables d’accueillir les étudiants étrangers dans nos établissements, mais nous devons aussi parvenir à les retenir lors de leur première expérience professionnelle. Ce sont des aspects que prend en compte un jeune s’apprêtant à étudier en France, et le fait de pouvoir lui promettre un emploi constitue un atout. D’après mon expérience, la France a une bonne image du point de vue de son enseignement supérieur et de ses formations, mais elle doit aussi être capable d’insérer ses jeunes diplômés dans le tissu économique français ou européen.

Le départ des centres de décision constitue une vraie question. Lorsque le patron des ressources humaines de Schneider s’installe en Asie, il devient plus compliqué de lui « vendre » la marque des institutions françaises, d’autant qu’il n’est pas lui-même français. Il est plus aisé, pour un diplômé d’HEC ou de Polytechnique, de se présenter à un siège social implanté en France que d’avoir la même démarche à Hong Kong auprès d’un directeur des ressources humaines américain : nous n’avons pas la notoriété d’Harvard. Je suis donc inquiet du mouvement de délocalisation des centres de décision, mais surtout des centres de recrutement. C’est pourquoi HEC doit suivre le mouvement et se doter de correspondants à l’étranger afin de mieux faire connaître l’école.

La couverture sociale n’est pas un sujet de préoccupation pour les élèves. En revanche, elle l’est pour les professeurs. À cet égard, nous devons adopter un discours bien plus clair à l’égard des candidats qui observent que les salaires sont plus élevés à Londres, par exemple. Nous commençons à disposer d’algorithmes capables de prendre en compte tous les facteurs, dont la protection sociale et la scolarité des enfants. Il reste que pour faire valoir de tels arguments, nous ne sommes pas encore très bons, d’autant que nous ne sommes pas aidés, tant ces questions sont complexes.

Pour le recrutement des professeurs, les conditions d’accueil sont, en effet, très importantes. Le statut d’enseignant-chercheur étranger est en soi une très bonne chose, et la fluidité des démarches administratives un atout colossal. Ne soyons pas dupes : d’autres pays sont aussi rigoureux ou bureaucratiques que le nôtre, mais une personne victime de tracasseries ne se livre pas à des études comparatives. Notons qu’HEC est sur le point d’ouvrir un bureau avec la préfecture des Yvelines pour faciliter les formalités administratives et régler les problèmes de visa, qui peuvent constituer des points de blocage. Il est destiné aux étudiants, mais les professeurs pourront aussi en bénéficier.

M. le président. Vous avez évoqué l’environnement fiscal et social dans lequel évoluent les créateurs d’entreprise. Disposez-vous de données plus précises ? La France est attractive quand il s’agit de faire des études supérieures, mais, à vous entendre, elle l’est peut-être moins par la suite. Quelles mesures faudrait-il prendre pour retenir les talents sur notre sol ?

Un ancien élève d’HEC est sûr de trouver un emploi ; son éventuel départ ne sera donc pas lié au problème du chômage des jeunes. Qu’en est-il des autres grandes écoles ? Peut-on imaginer qu’un ancien étudiant soit contraint au départ faute de perspectives d’emploi, même après avoir fait des études supérieures ?

M. Bernard Ramanantsoa. D’une façon générale, la variable d’ajustement n’est pas le chômage, mais le nombre d’offres. Les diplômés d’HEC se voient proposer moins d’offres qu’il y a dix ans et, de ce fait, ils sont moins exigeants. Au risque de caricaturer, il fut un temps où ils attendaient d’avoir dix propositions avant de choisir ; aujourd’hui, ils se contentent de trois.

Il en est de même pour les élèves des autres grandes écoles, dont le taux net d’emploi reste très bon. L’ensemble des diplômés finit par trouver un emploi au bout de quelques mois, mais l’ajustement se fait par les salaires. L’année dernière, nous avons publié une courbe qui a eu beaucoup de retentissement : elle montrait qu’en euro constant, le salaire moyen des jeunes diplômés dégringolait depuis dix ans. C’est le simple effet de la loi de l’offre et de la demande.

L’enseignement supérieur est, selon moi, un très beau produit d’exportation, mais on oublie de l’appréhender en ces termes. Il permet de faire rentrer des devises presque sans bouger – il faut tout de même aller chercher les étudiants. Le problème est de déterminer le juste prix pour l’enseignement. Il est vrai que l’argument de la gratuité, aussi sympathique soit-il, a de quoi faire sourire si on est en concurrence avec le monde anglo-saxon : lorsque l’on ignore tout de la tradition universitaire française, on risque d’en déduire que l’enseignement ne vaut pas grand-chose. Cela ne signifie pas, toutefois, que les tarifs peuvent être augmentés sans limite : il existe un prix de marché, déterminé par la concurrence. Par exemple, en comparaison avec leurs concurrentes britanniques, les écoles françaises sont moins chères qu’on ne le croit, même si elles le sont suffisamment pour ne pas paraître « cheap ».

M. le président. Vous n’appliquez pas de tarifs différenciés ?

M. Bernard Ramanantsoa. Si. Selon qu’ils sont ou non européens, les élèves de la grande école paient 12 000 ou 16 000 euros par an.

En ce qui concerne l’environnement dans lequel évoluent les jeunes créateurs d’entreprise, vous êtes sûrement plus qualifiés que moi pour en juger, d’autant que vous bénéficiez d’une vision globale. Ce qui ressort de mes entretiens avec les jeunes diplômés, c’est qu’ils sont stressés par l’instabilité fiscale et sociale et redoutent d’être contrôlés s’ils adoptent une stratégie d’optimisation, sans parler du montant des prélèvements lui-même. Il faudrait sans doute adopter une politique fiscale plus attractive, mais, une fois encore, vos responsabilités vous rendent plus compétents que moi sur ce sujet.

M. le président. Je vous remercie, monsieur le directeur général. Vos propos seront très utiles pour l’élaboration de notre rapport.

La réunion se termine à onze heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du jeudi 22 mai 2014 à 10 heures

Présents. - M. Luc Chatel, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, Mme Claudine Schmid

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Frédéric Lefebvre, M. Claude Sturni

——fpfp——