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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mercredi 11 juin 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 12

Vice-Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Loup SALZTMANN, président, et M. Khaled BOUABDALLAH, vice-président, de la Conférence des présidents d’université

–  Présences en réunion

Présidence
de Mme Claudine Schmid,

L’audition commence à seize heures trente.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous prie d’excuser M. Luc Chatel, président de la commission d’enquête, retenu par d’autres obligations.

Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d’université, et M. Khaled Bouabdallah, vice-président, chargé des questions internationales au sein du bureau de la Conférence. Leur audition est la dernière d’une série au cours de laquelle nous avons entendu les responsables des organismes représentatifs de nos établissements d’enseignement supérieur – grandes écoles, écoles d’ingénieurs, IUT –, ainsi que ceux du programme Erasmus et de l’agence Campus France.

Quelle est, messieurs, votre perception du mouvement d’expatriation des jeunes diplômés français ? Au-delà des évolutions quantitatives, constatez-vous des évolutions d’ordre qualitatif tenant à la motivation des intéressés, à la durée de leur séjour à l’étranger et au choix des pays de destination ? Nous souhaiterions également savoir comment nos universités accompagnent l’ouverture à l’international des étudiants français, et quelle politique elles mènent pour attirer les étudiants étrangers.

Avant d’aller plus loin, il me revient de vous indiquer que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Loup Salzmann et M. Khaled Bouabdallah prêtent serment.)

M. Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d’université. La circulation des talents est une spécificité de l’université : au Moyen Âge, étudiants et enseignants effectuaient un circuit entre la Sorbonne, les universités italiennes, espagnoles et du Maghreb afin de se former ou de former. Cette tradition a perduré jusqu’à nos jours, où la France est le troisième pays d’accueil des étudiants étrangers – alors même que certaines tracasseries administratives sont de nature à limiter le pouvoir d’attraction de nos universités.

Les voyages formant la jeunesse, nous poussons nos étudiants à partir à l’étranger durant un semestre ou plus, que ce soit en Europe, comme ils peuvent le faire avec Erasmus, ou ailleurs dans le monde. Nous estimons en effet qu’il est bon pour eux de s’ouvrir aux autres cultures – tout comme nous pensons que notre pays doit accueillir, dans la mesure du possible, les jeunes étrangers qui souhaitent s’y former, car cela contribue au rayonnement culturel et scientifique de la France. Les étudiants venus du monde entier pour se former chez nous deviennent, une fois rentrés dans leur pays d’origine, des ambassadeurs et des clients du nôtre. De même, les jeunes Français qui partent se former à l’étranger connaissent mieux le monde, et cette expérience les aide à devenir des cadres responsables au sein d’entreprises ayant de plus en plus vocation à être internationales.

À nos yeux, si la situation actuelle pose un problème, c’est celui du taux de jeunes Français allant se former à l’étranger, beaucoup trop faible en comparaison de celui d’autres pays tels que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, et nous espérons que des efforts résolus nous permettront de combler notre retard dans ce domaine. Je précise qu’il ne s’agit pas seulement de la formation de nos élites : tout étudiant a intérêt à vaincre son éventuelle appréhension pour devenir, à l’issue du temps passé hors de nos frontières, un citoyen responsable.

M. Khaled Bouabdallah, vice-président de la Conférence des présidents d’université. Je dois vous dire que nous ne nous sentons pas en phase avec l’intitulé de votre commission d’enquête, qui fait référence à l’« exil des forces vives de France ». En effet, le solde entre accueil et départs est pour nous fortement positif. Au classement des pays les plus attractifs pour les étudiants étrangers, la France occupe comme on l’a dit la troisième place, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, et elle reçoit beaucoup plus d’étudiants qu’elle n’en envoie à l’étranger. Il en est de même si l’on considère, plus spécifiquement, les seuls diplômés hautement qualifiés – dans ce domaine, la France occupe le quatrième rang mondial derrière des pays d’immigration connus pour pratiquer de vraies politiques d’attraction, à savoir les États-Unis, le Canada et l’Australie.

Au demeurant, nous ne voyons pas en quoi le fait que les étudiants français aillent se former à l’étranger constituerait un problème : nous n’y voyons pas une forme d’exil, mais plutôt de circulation des talents, qui contribue à l’élévation des connaissances, des qualifications et du niveau de bien-être général. Il est très positif que les individus soient mobiles, a fortiori quand il s’agit des plus qualifiés d’entre eux. Quant aux étudiants, avoir un parcours international fait partie des motivations à la base de leur projet professionnel, et nous les poussons évidemment à pratiquer la mobilité, qu’il s’agisse de se former à l’étranger ou d’y travailler. Nous pouvons être amenés à nous poser certaines questions portant, par exemple, sur le taux de retour des étudiants dans leur pays d’origine, mais certainement pas à remettre en cause le principe même de ce qui contribue à la formation des talents, à l’enrichissement mutuel des cultures et à la compétitivité des entreprises françaises.

Les universités françaises développent, depuis quelques années, la pratique du guichet unique. Grâce à des dispositifs mutualisés – entre les établissements, mais aussi avec les différents services de l’État, notamment les services préfectoraux, qui collaborent de manière efficace et dans un esprit de confiance réciproque –, nous facilitons les premiers pas en France des étudiants étrangers en simplifiant les démarches administratives qu’ils ont à effectuer. M. Manuel Valls, avec qui nous avions évoqué ce point lorsqu’il était encore ministre de l’Intérieur, nous avait fait part de sa volonté d’aller encore plus loin dans ce travail conjoint des préfectures et des établissements universitaires, à l’exemple de ce qui se fait déjà dans d’autres pays européens.

M. Jean-Loup Salzmann. Dans la plupart des disciplines, lorsque nous recrutons un jeune maître de conférences, il est quasiment obligatoire qu’il ait fait un « post-doc » à l’étranger, faute de quoi nous considérons qu’il n’a pas le niveau international requis pour être enseignant-chercheur. Le nombre d’enseignants-chercheurs étrangers recrutés constitue d’ailleurs l’un des indicateurs que la représentation nationale nous demande de lui fournir ; bien évidemment, le fait qu’il soit élevé est considéré comme positif, et nous tenons beaucoup à ce qu’il en soit ainsi.

Mme Claudine Schmid, présidente. Effectuez-vous un suivi du retour des jeunes Français partis étudier à l’étranger ?

M. Jean-Loup Salzmann. Nous disposons effectivement d’études à ce sujet. L’une d’elles émane d’un laboratoire de recherches de Sciences Po, membre de la Conférence des présidents d'université, et s’intitule Y a-t-il un exode des qualifiés français ? Nous vous la communiquerons, ainsi que les enquêtes réalisées par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France et par l’Institut Montaigne, en accompagnant ces documents d’une note de synthèse.

Mme Claudine Schmid, présidente. Avez-vous l’impression que certains de vos étudiants entreprennent un master faute d’avoir trouvé un emploi en France ?

M. Jean-Loup Salzmann. C’est là une question qui nous intéresse beaucoup. Toutes les statistiques montrent que plus le niveau d’études est élevé, plus les chances de trouver un emploi sont importantes, et plus le salaire proposé est élevé – ce dont les étudiants sont parfaitement conscients. Alors que les IUT ont été conçus il y a quarante ans pour délivrer un diplôme d’insertion professionnelle – le DUT –, aujourd’hui moins de 20 % des étudiants titulaires d’un DUT parviennent à trouver un emploi, ce qui les pousse à continuer leurs études. Il en est de même pour les étudiants titulaires d’une licence, qui s’aperçoivent qu’il serait préférable d’obtenir un master, c’est-à-dire de passer du cycle L au cycle M – et pour les étudiants en général, qui ont tendance à aller de plus en plus loin dans leur cursus afin d’accroître leurs chances d’accéder à un emploi plus qualifié et mieux rémunéré.

M. Khaled Bouabdallah. La tendance qui vient d’être évoquée, que je confirme, est également liée à la conjoncture : un contexte économique morose et un taux de chômage élevé vont naturellement avoir pour effet d’inciter les étudiants à prolonger leur parcours universitaire d’une ou plusieurs années. Certes, faire des études a un coût, mais il suffit aux étudiants de se livrer à une analyse comparée des coûts et bénéfices pour se rendre compte qu’il est plus avantageux pour eux de poursuivre leur cursus, ce à quoi nous les encourageons.

M. Yann Galut, rapporteur. Plusieurs des intervenants que nous avons auditionnés précédemment ont appelé notre attention sur les effets de la circulaire Guéant. Quel est votre sentiment sur ce point ? Que pensez-vous de la politique pratiquée par le Gouvernement en matière de visas étudiants depuis 2012 ? Estimez-vous que cette politique va assez loin, ou auriez-vous des préconisations à formuler en termes d’objectifs ou d’un point de vue technique ? Des présidents d’université nous ont dit avoir fait en sorte d’aider les étudiants dans leurs démarches : êtes-vous favorables à de telles initiatives ? Enfin, quelle est votre position dans le débat relatif aux droits d’inscription : estimez-vous qu’il conviendrait de supprimer ou de réduire ces frais pour les étudiants étrangers – sachant qu’à l’heure actuelle, certains pays les augmentent ?

M. Jean-Loup Salzmann. Si nous n’avons pas évoqué la circulaire Guéant dans notre introduction, c’est que nous espérons qu’elle appartient définitivement au passé. Elle a en effet eu des effets extrêmement négatifs pour l’image de la France à l’étranger et la plupart des préfectures ont d’ailleurs travaillé conjointement avec les présidents d’université afin de régulariser la situation d’étudiants diplômés en butte à ces dispositions, tant il était clair qu’interdire, en raison de leur origine, l’accès de notre pays à des personnes qualifiées nuisait à l’intérêt national en nous privant de compétences utiles à notre économie.

Les mesures prises par l’actuel Gouvernement ont commencé à restaurer l’image de la France auprès de nos partenaires étrangers, qu’il s’agisse de l’abrogation de cette circulaire, de la mise en place de visas pluriannuels ou de la décision de donner au visa valeur de carte de séjour pour la première année. Si vous le souhaitez, nous pourrons vous communiquer une note que nous avions rédigée sur ce point en vue du débat qui devait avoir lieu devant la représentation nationale au sujet de l’attractivité de la France, et qui a été repoussé. Nombre de dispositions vexatoires vis-à-vis des étrangers désireux d’étudier dans notre pays subsistent ; nous en avons dressé la liste et avons émis des propositions en vue de leur suppression.

M. le rapporteur. Si je comprends bien, vous avez établi une liste des barrières administratives s’opposant à la venue d’étudiants étrangers en France, et émis des propositions visant à y remédier ?

M. Jean-Loup Salzmann. En effet, et nous avons communiqué ces propositions au ministère de l’Intérieur et au ministère des Affaires étrangères.

M. le rapporteur. À quel moment l’avez-vous fait ?

M. Jean-Loup Salzmann. Il y a quelques mois, quand le sujet a été évoqué en conseil des ministres.

M. le rapporteur. Cette communication a-t-elle été publique ?

M. Jean-Loup Salzmann. Oui, elle a donné lieu à une conférence de presse ainsi qu’à la parution de plusieurs articles dans la presse, notamment dans Les Échos, ainsi que sur le site Educpros.fr. Nous avons alors défendu l’idée selon laquelle les étudiants étrangers doivent être considérés comme les futurs ambassadeurs de notre pays, et non comme des immigrés clandestins.

Pour ce qui est des droits d’inscription, il y a débat. La solution réglementaire actuelle autorise les universités à percevoir des frais supplémentaires lors de l’inscription d’étudiants non-ressortissants de la Communauté européenne, mais le débat n’est pas tranché pour autant. Nous avons été interrogés sur ce point par le ministre des Affaires étrangères, et un rapport sur la stratégie nationale de l’enseignement supérieur va être prochainement remis au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Je ne peux m’avancer sur cette question, dans la mesure où il ne me semble pas qu’elle fasse l’objet d’une position unanime de la Conférence des présidents d’université. Si, dans certains pays – je pense notamment à la Chine –, la quasi-gratuité de l’inscription en France est un signe de mauvaise qualité de l’enseignement, il me semble que le principe d’égalité républicaine s’accorderait mal avec le fait que deux personnes suivant le même cursus se voient réclamer des droits de montants différents.

Mme Claudine Schmid, présidente. Une telle pratique a-t-elle déjà été mise en œuvre par certaines universités ?

M. Jean-Loup Salzmann. Oui.

Mme Claudine Schmid, présidente. Vous serait-il possible de nous communiquer le rapport que vous avez remis au Gouvernement ?

M. Jean-Loup Salzmann. Il ne s’agit que d’une note assortie de propositions, mais nous vous la remettrons.

M. Philip Cordery. Je vous remercie d’avoir souligné l’importance pour les jeunes d’une mobilité qui leur permet d’être mieux armés pour s’insérer dans le monde du travail, en France ou à l’étranger, sans compter qu’elle contribue au brassage des cultures, utile pour affronter la mondialisation.

Au-delà des chiffres, disposez-vous d’informations qualitatives ? Par exemple, quelle est la motivation des jeunes qui partent étudier à l’étranger ? Est-ce l’envie d’acquérir une expérience grâce à cette mobilité, ou plutôt celle de quitter un pays qu’ils estiment insuffisamment attractif du fait de la situation de l’emploi ou du cadre fiscal ? Cependant, à l’inverse, dans un secteur où la mobilité n’est pas toujours choisie du fait du numerus clausus, le taux élevé des retours de Français partis faire leurs études médicales à l’étranger laisse penser que la France est un pays où il peut faire bon exercer…

M. Jean-Loup Salzmann. Étant moi-même professeur de médecine, donc particulièrement concerné par votre question, je vais vous faire une réponse polémique : pour moi, la politique malthusienne pratiquée par l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé au cours des quarante dernières années a pour effet d’inciter les futurs médecins français à effectuer leurs études à l’étranger, avant de revenir s’installer dans notre pays. Ainsi 20 % des médecins nouvellement inscrits à l’Ordre ont obtenu leur diplôme hors de France – et on sait qu’ils seront 30 % dans dix ans. Je n’hésite donc pas à dire que, de ce point de vue, nous avons failli à notre devoir. C’est un problème qu’il conviendra de régler, mais auquel la récente loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche a commencé d’apporter des solutions.

Pour ce qui est des motifs de départ des étudiants français, le premier d’entre eux est que nous les y poussons au moyen de divers dispositifs – encore insuffisamment incitatifs –, tels Erasmus ou les conventions d’échanges avec les universités étrangères. Cela étant, les étudiants eux-mêmes sont conscients de l’importance d’acquérir une expérience internationale pour trouver un emploi hautement qualifié. Certains d’entre eux trouvent cet emploi à l’étranger, ce dont je me réjouis. Le phénomène n’est pas nouveau : certains de mes anciens camarades d’université ont monté des sociétés aux États-Unis, où ils ont fait souche ; de même, de tout temps, des étrangers sont venus s’installer en France, ce qui fait que nombre de nos compatriotes sont des descendants d’immigrés – c’est le cas de notre Premier ministre ou de moi-même.

M. Khaled Bouabdallah. Le fait d’aller étudier à l’étranger est souvent le moyen de réaliser un projet personnel, qu’il s’agisse d’acquérir un complément de formation ou une expérience internationale, ou de s’installer ultérieurement dans un autre pays. Nous faisons tout pour favoriser la circulation des étudiants, donc de la connaissance, car cela nous semble une très bonne chose. La semaine dernière, j’ai dîné à Londres avec le directeur général de l’investissement de la banque Morgan Stanley, qui est français. Quand je lui ai demandé s’il avait constaté une augmentation du nombre de jeunes Français s’installant en Angleterre, parfois décrite par la presse comme un exode, il m’a répondu que, s’il avait remarqué l’installation de quelques Français plus âgés – voire inactifs–, les arrivées de jeunes hautement qualifiés ne lui paraissaient, elles, pas plus nombreuses qu’auparavant. Quant à l’effet du contexte économique, il est réel mais n’a rien de nouveau : une personne ne trouvant pas de travail dans sa région a forcément tendance à en chercher dans une autre région, voire à l’étranger.

Le titre de votre commission d’enquête me paraît anxiogène en ce qu’il laisse supposer une fuite de tous nos talents. En réalité, ils ne partent pas tous, et d’autres viennent de l’étranger : la situation n’a donc rien d’inquiétant, bien au contraire.

M. Jean-Loup Salzmann. Si le brain drain peut constituer un risque, c’est plutôt pour les pays peu développés économiquement. Ainsi, on peut comprendre que les étudiants africains francophones soient tentés de rester en France après y avoir fait leurs études, s’ils peuvent y trouver un emploi qu’ils ne trouveraient pas dans leur pays d’origine. Afin de ne pas dépeupler ces pays de leurs élites intellectuelles, il est de notre devoir de travailler avec leurs universités en mettant en place des échanges d’enseignants et des cours à distance – ce qui est aujourd’hui possible grâce aux nouvelles technologies –, afin de former sur place les étudiants concernés.

M. Claude Sturni. S’il est vrai que son intitulé peut donner lieu à plusieurs interprétations, notre commission d’enquête a pour objectif de déterminer si le phénomène d’exil en question est ou non une réalité et, le cas échéant, d’en cerner les causes en vue d’y remédier.

Pour ma part, je me demande si le moment auquel un étudiant effectue une partie de ses études à l’étranger est susceptible d’influer sur sa décision d’y rester ou non. Pouvez-vous nous indiquer si les étudiants français effectuent de préférence leur mobilité à un stade précis de leur cursus, et ce que font en la matière les étudiants étrangers ?

M. Jean-Loup Salzmann. Historiquement, le flux principal a d’abord été constitué par les doctorants et les « post-doc », avant que la création du programme Erasmus ne le reporte sur les masters et, aujourd’hui, le mouvement gagne les étudiants de licence qui, dans certaines universités, se sentent de plus en plus obligés d’effectuer un semestre d’études à l’étranger.

Pour ce qui est des étudiants étrangers venant en France, le plus gros contingent est du niveau doctorat et « post-doc ». Actuellement, près de la moitié des doctorants étudiant dans notre pays sont étrangers et cette proportion tend à croître alors que le nombre de docteurs reste à peu près stable. Les flux ne sont donc pas similaires.

M. Khaled Bouabdallah. Les mobilités intra-européennes encadrées par une convention, qui représentent environ 30 % des mouvements, sont à peu près équivalentes d’un pays à l’autre dans la mesure où elles sont négociées sur la base d’un principe de réciprocité. Pour ce qui est de la mobilité non encadrée, c’est-à-dire des étudiants arrivant en France à titre individuel, la situation est très variable : on en voit qui viennent dès leur première année de licence – essentiellement d’Afrique –, mais on trouve aussi des étudiants en master avec, dans ce cas, une ouverture internationale beaucoup plus large. Nous avons ainsi beaucoup d’étudiants chinois en France – mais très peu de Français en Chine, les flux entre les deux pays étant asymétriques. À l’inverse, nombre de Français partent étudier au Canada – essentiellement au Québec –, tandis que nous n’attirons que peu d’étudiants canadiens : le rapport entre les deux flux est de l’ordre d’un à huit. Sur ce dernier point, la situation peut toutefois changer, car le Québec vient de supprimer une disposition particulièrement favorable aux étudiants français, qui voulait que ceux-ci règlent des droits d’inscription identiques à ceux demandés aux Québécois, donc moins chers que ceux demandés aux étudiants provenant des autres provinces canadiennes et des pays étrangers – le Canada ne pratique pas l’égalité républicaine. Nous devrons nous interroger sur la conduite à tenir en termes de réciprocité.

Mme Claudine Schmid, présidente. Avez-vous une idée de la proportion d’étudiants français partant de manière encadrée par rapport à ceux qui partent à titre individuel ?

M. Khaled Bouabdallah. Je ne connais pas le chiffre précis, mais j’estime qu’au moins 80 % des étudiants français partent dans le cadre d’une convention.

Mme Sandrine Doucet. Quand vous avez parlé d’économie, j’ai immédiatement pensé à l’une de nos plus brillantes économistes, à savoir Mme Esther Duflo, actuellement professeur au Massachusetts Institute of Technology. L’année dernière, au moment de l’examen de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, et plus particulièrement alors que nous débattions de l’article 2 de cette loi, qui introduisait les cours en langue étrangère à l’université, elle avait évoqué dans une interview la capacité de notre pays à rayonner à l’étranger. Sa présence au MIT constitue un brillant exemple de ce que vous désignez par l’expression « circulation des talents » – étant précisé qu’elle fait partie de l’élite de notre village planétaire.

Pensez-vous que l’on puisse imaginer de créer des liens entre les personnalités d’élite, telle Esther Duflo, et les étudiants de niveau master ou licence, afin de décupler l’effet positif de la mobilité ? En d’autres termes, certains talents prestigieux ne pourraient-il pas jouer le rôle d’ambassadeurs, qui fourniraient à nos étudiants une incitation supplémentaire ?

M. Khaled Bouabdallah. Mme Esther Duflo, qui enseigne également au Collège de France, est effectivement une économiste très brillante. Le domaine dans lequel elle exerce présente cependant une particularité en termes de mobilité des étudiants, du fait de l’existence d’un job market, c’est-à-dire d’un marché du travail institutionnalisé des chercheurs en économie. Nombre d’économistes français occupent d’ailleurs des postes prestigieux au sein de grandes universités américaines, certains d’entre eux conseillant même le Président des États-Unis. Reste que de telles personnalités contribuent effectivement au rayonnement de la culture et de la science françaises et, par le symbole qu’elles représentent, ont un rôle d’attraction très important sur lequel nous pourrions nous appuyer.

Au demeurant, les chiffres montrent que la mobilité ne se cantonne pas à un élitisme très étroit, puisque 100 000 étudiants français partent chaque année à l’étranger, tandis que nous en accueillons environ 300 000 venus du monde entier.

La circulaire Guéant restreignait la possibilité de passer du statut d'étudiant à celui de salarié. Il est bon qu’elle ait été abrogée, car le fait que les étudiants étrangers restent un certain temps en France après l’obtention de leur diplôme constitue un enjeu très important. D’une part, on peut considérer que l’expérience professionnelle acquise juste après le diplôme fait encore partie de la formation ; d’autre part, ces jeunes diplômés contribuent par leur présence à accroître la compétitivité des entreprises françaises.

M. Jean-Loup Salzmann. Au sujet de l’attractivité et de la possibilité qu’ont les universités françaises de faire venir des enseignants étrangers, je voudrais évoquer un point, d’ordre réglementaire plutôt que législatif, qui concerne le concours d’agrégation dans les disciplines juridiques, économiques et de gestion – que nous appelons les sections 01 à 06. Alors que, dans d’autres disciplines, on peut facilement obtenir qu’un enseignant étranger vienne occuper un poste en France, cette pratique était jusqu’à présent très compliquée à mettre en œuvre dans ces trois sections, obligeant certains de nos collègues à se livrer à diverses acrobaties réglementaires pour contourner le problème. J’espère que le nouveau décret statutaire relatif aux enseignants-chercheurs, qui doit sortir prochainement, permettra de recourir à la voie normale, à savoir le cadre défini par l’article 46-1 du décret du 6 juin 1984, pour recruter des enseignants-chercheurs étrangers sur ces marchés compétitifs du droit, de l’économie et de la gestion – étant précisé que la filière des juristes a souhaité qu’un contingentement soit maintenu. Cela répondrait à une demande très forte du monde universitaire, relayée notamment par M. Bruno Sire, président de l’université de Toulouse 1. Outre l’expérience apportée par ces enseignants-chercheurs étrangers, il est évidemment préférable pour nos étudiants qu’un cours dispensé dans une autre langue que le français le soit par un professeur dont c’est la langue maternelle.

M. Khaled Bouabdallah. Au CNRS, 30 % des recrutements annuels de chercheurs et d’enseignants-chercheurs sont des recrutements d’étrangers, ce qui est très positif quand on sait que ce marché est caractérisé par une forte concurrence, à la fois nationale et internationale – à l’université, la proportion est de l’ordre de 10 %. En raison du montant des salaires offerts pour ce type de postes aux États-Unis, nous avons du mal à être compétitifs dans ce domaine mais, fort heureusement, la France possède d’autres atouts lui permettant tout de même d’attirer certains profils de grand talent.

M. Jean-Loup Salzmann. J’ai eu dans mon université un professeur extrêmement brillant, M. Didier Fassin. Recruté par l’université de Princeton pour occuper une chaire internationale, ce qui était alors une première pour un Français, il commence à s’ennuyer un peu dans le New Jersey et envisage de revenir en France. Cela montre bien que les écarts de salaire ou les avantages fiscaux ne font pas tout !

M. Régis Juanico. Je veux d’abord dire au président Salzmann et au vice-président Bouabdallah que nous sommes nombreux, au sein de la commission d’enquête, à partager la réserve qu’ils ont exprimée sur son intitulé, en particulier sur le terme « exil », qui fait penser à un départ contraint et ne reflète donc pas tout à fait les motivations pour lesquelles un certain nombre de nos jeunes diplômés effectuent une mobilité en Europe ou ailleurs dans le monde.

Les chiffres que vous avez donnés tout à l’heure, corroborés par une étude réalisée l’an dernier par le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), montrent que l’émigration de nos diplômés est relativement faible par rapport à celle d’autres pays – vous avez cité l’Allemagne, mais je pense aussi au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, où cette émigration est jusqu’à trois ou quatre fois plus importante. La même étude montre également que la moitié des jeunes Français s’expatriant déclarent avoir l’intention de revenir dans notre pays dans les cinq ans. Enfin, comme vous l’avez rappelé, les étudiants français partant chaque année à l’étranger ne sont qu’environ 100 000, alors que nous en accueillons quelque 300 000.

En ce qui concerne les opérateurs de la mobilité internationale, nous avons auditionné Mme Béatrice Khaiat, directrice générale adjointe de Campus France qui, à notre grand étonnement, nous a déclaré qu’aucun travail de coordination n’était effectué entre, d’une part, Erasmus Agence Europe-Éducation-Formation (2E2F) et Erasmus+ Jeunesse et Sport et, d’autre part, Campus France. Nous confirmez-vous ce point et, le cas échéant, pouvez-vous nous indiquer de quelle manière on pourrait parvenir à un réel partenariat entre eux ? Enfin, estimez-vous que les conditions de ressources – 615 euros – et d’hébergement exigées des étudiants étrangers pour obtenir un visa sont de nature à permettre leur venue en France dans des conditions satisfaisantes ?

M. Jean-Loup Salzmann. Les conditions posées pour l’octroi de ces visas font partie des tracasseries administratives que nous dénonçons. Elles sont au demeurant parfaitement inutiles, puisque chacun sait qu’il est possible de les contourner par certains moyens – ainsi, les étudiants ne disposant pas des conditions de ressources exigées recourent-ils à des comptes bancaires créés à cet effet, qu’ils se partagent. Il vaut mieux laisser aux universités le choix de la qualité des étudiants qu’elles souhaitent faire venir, plutôt que de s’essayer à de pseudo-sélections sans aucun intérêt.

M. Khaled Bouabdallah. Pour ce qui est du manque de coordination que vous avez évoqué, je ne suis pas certain d’avoir bien compris la fin de votre question, relative à Erasmus. Après sa fusion avec l’association Egide et sa reprise des activités internationales du CNOUS, l’agence Campus France est devenue un établissement public à caractère industriel et commercial – un EPIC. Nous n’étions pas favorables à une telle évolution, mais nous en avons pris acte et travaillons aujourd’hui avec notre opérateur national en matière de mobilité.

Il nous semble cependant que d’importants progrès restent à faire en matière d’accueil des étudiants. Alors que les CROUS, grâce à un maillage extrêmement dense du territoire et au fait qu’ils géraient à la fois les bourses et l’accueil des étudiants, constituaient le premier guichet auquel les étudiants étrangers pouvaient s’adresser, la reprise des activités internationales du CNOUS par Campus France, qui ne dispose pas du même maillage, a rendu les choses plus difficiles, surtout la première année – d’autant que celle-ci a coïncidé avec l’entrée en vigueur de la circulaire Guéant ! Depuis, les relations entre le CNOUS et Campus France se sont un peu améliorées et des progrès dans l’accueil des étudiants étrangers ont été constatés. Nous considérons pour notre part que la qualité de cet accueil se joue au niveau des services dispensés aux étudiants : il faut que des personnes les prennent en charge et les accompagnent. À cet effet, nous développons des services de type « guichet unique » en collaboration avec les préfectures et les CROUS, et nous efforçons de mobiliser encore davantage ces derniers dans la gestion de l’accueil des étudiants étrangers.

Pour ce qui est d’Erasmus Jeunesse et Sport, pouvez-vous me préciser le sens de votre question ?

M. Régis Juanico. Mme Khaiat nous a dit qu’il n’y avait pas de travail effectué en commun par l’opérateur de la mobilité entrante – l’agence Erasmus – et par celui de la mobilité sortante – Campus France.

M. Khaled Bouabdallah. Je vous confirme cette absence de coordination, que nous déplorons. En ce qui nous concerne, nous travaillons aussi bien avec l’agence Erasmus qu’avec Campus France.

M. Jean-Loup Salzmann. Nous estimons qu’il faudrait un guichet unique, à l’image des guichets « accueil Erasmus » et « sortie Erasmus » mis en place dans nos universités et des guichets uniques mis en place avec les CROUS et avec les préfectures. Campus France est, pour sa part, un très bon organisateur de conventions internationales – à chacun son métier.

M. Khaled Bouabdallah. Pour vous donner une idée de la difficulté et de la complexité des choses, je dois préciser que les services du ministère des Affaires étrangères se substituent souvent aux établissements d’enseignement supérieur dans le choix des étudiants étrangers accueillis en France, en intervenant non seulement en matière de visas, mais aussi en délivrant des bourses à certains étudiants. Depuis des années, nous demandons que ces bourses soient pilotées par les établissements d’enseignement, afin d’arriver à une stratégie véritablement concertée entre eux et l’État.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie tous deux pour cet échange constructif et fructueux.

L’audition se termine à dix-sept heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mercredi 11 juin 2014 à 16 h 15

Présents. - M. Philip Cordery, Mme Sandrine Doucet, M. Yann Galut, M. Régis Juanico, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Étienne Blanc, M. Luc Chatel, M. Sergio Coronado, M. Marc Goua, Mme Monique Rabin

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