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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mardi 17 juin 2014

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 14

Vice-présidente

–  Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des responsables de sites Internet dédiés aux Français expatriés : Mme Florence TROUILLOT (expatunited.com), et M. Hervé HEYRAUD (lepetitjournal.com)

–  Présences en réunion 10

Présidence
de Mme Monique Rabin,

La table ronde commence à dix-sept heures.

Mme Monique Rabin, présidente. Mes chers collègues, je voudrais d’abord excuser le président Luc Chatel, retenu par d’autres obligations.

Nous recevons aujourd’hui des responsables de sites et de médias dédiés aux Français expatriés : Mme Florence Trouillot, directrice de la publication et responsable de la rédaction du site expatunited.com, lequel se définit comme « un site d’entraide et de réseau pour les expatriés et futurs expatriés français/francophones dans le monde entier » ; et M. Hervé Heyraud, président et fondateur de lepetitjournal.com, média en ligne présentant à la fois des informations générales et des informations locales dans 43 villes du monde à l’intention de nos compatriotes expatriés.

Cette table ronde devait également réunir M. Henri Bazerque et Mme Sandrine Chauvet, représentants du site mondissimo.com, mais ils ont fait savoir ce matin auprès du secrétariat qu’ils ne pourraient malheureusement pas être présents en raison de la grève à la SNCF.

L’objet de cette commission d’enquête est de s’interroger sur le phénomène de l’expatriation de nos concitoyens – beaucoup d’entre nous ne sont pas très satisfaits du terme « exil » utilisé dans son intitulé. Il s’agit, comme le répète le président Chatel, de déterminer si ce phénomène et son évolution ne font que témoigner de l’insertion grandissante et souhaitable de la France dans la mondialisation ou si, au contraire, il résulte d’une perte d’attractivité ou de compétitivité de notre pays conduisant nos compatriotes à privilégier un déroulement de leur carrière professionnelle à l’étranger.

Madame, monsieur, il nous a semblé que vos sites Internet respectifs faisaient de vous des observateurs privilégiés de la situation et de l’état d’esprit de nos compatriotes installés à l’étranger. Vous saurez évoquer les raisons de leur départ, l’appréciation qu’ils portent sur leur séjour à l’étranger et leurs intentions quant à un éventuel retour en France. Vous nous direz ainsi quelle photographie on peut faire de la communauté des Français de l’étranger et comment elle a évolué au cours des dernières années.

Il me revient de vous préciser que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Florence Trouillot et M. Hervé Heyraud prêtent serment.)

M. Hervé Heyraud, président et fondateur du site lepetitjournal.com. Je suis président et fondateur du site lepetitjournal.com, journal quotidien en ligne dédié aux Français qui vivent à l’étranger, mais aussi aux francophones locaux, qui sont entre 25 % et 30 % à nous lire. J’ai créé ce site en 2001, à l’époque où j’étais expatrié au Mexique.

L’originalité de notre journal est de présenter à la fois des informations générales, notamment via les dépêches de l’Agence France Presse, et des informations sur les thématiques de l’expatriation, touchant aussi bien à la sphère personnelle, qu’à l’emploi, la carrière à l’étranger, la représentation politique des Français de l’étranger au travers des députés, sénateurs, ministres et conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger.

Notre site propose donc des éditions locales, grâce à des partenaires situés dans 43 villes du monde qui exploitent notre marque. Au contact de notre public, ces derniers font de notre site un vrai journal de proximité, qui peut ainsi donner à la fois des informations générales – politiques, sociales, culturelles, économiques – sur le pays où l’on vit, des informations communautaires – sur les Français dans le pays –, et des informations pratiques, visant à faciliter la vie quotidienne des Français installés sur place et confrontés à la barrière culturelle et linguistique.

Initiative privée, indépendante et apolitique, notre journal est gratuit et financé par la publicité.

Aujourd’hui, notre poids sur le marché de l’expatriation est assez important : plus de 350 000 personnes nous lisent chaque mois et un peu plus de 20 millions d’articles seront lus cette année – chiffres appréciables pour un média de niche. Notre public continue de croître : le journal existe depuis treize ans, le réseau de partenaires depuis environ sept ans – nous sommes passés de 3 villes partenaires en 2005 à 43 aujourd’hui –, et il reste de nombreuses zones où, nous l’espérons, les expatriés nous connaîtront à l’avenir.

Je suis rentré en France après avoir passé treize ans à l’étranger. Dans notre bureau à Paris, nous produisons une partie des contenus, relisons et validons l’intégralité des contenus des éditions. Nous apportons tous les supports – informatiques, promotionnels, marketing, référencement par les réseaux sociaux, communication interne – à nos différents partenaires. Nous commercialisons de la publicité auprès d’annonceurs internationaux, qui peuvent ainsi toucher aussi bien un expatrié à Mexico qu’un expatrié à Shanghai.

Ainsi, notre modèle repose à la fois sur la transmission de savoir-faire – nous expliquons à nos différents partenaires comment exploiter notre marque – et sur la mutualisation de moyens. Ce modèle fonctionne bien, puisqu’il permet de partager les charges et les revenus, y compris l’inventaire publicitaire.

Comme je l’ai souligné, notre public grandit. Sachant que 2,5 millions de Français vivent hors de l’Hexagone et que nous avons 350 000 visiteurs uniques chaque mois, nous estimons notre part de marché à environ 15 % – mais des Argentins, des Roumains, des Chinois nous lisent également. Selon nous, la progression du nombre de Français de l’étranger va aller croissant, ce qui laisse augurer de beaux jours pour notre journal.

Mme Florence Trouillot, directrice de la publication et responsable de la rédaction du site expatunited.com. Le site expatunited.com, que j’ai fondé il y a quatre ans, est un réseau social gratuit destiné aux expatriés et futurs expatriés du monde entier. Il permet à ses membres de rechercher des Français par pays, par ville, mais aussi – et c’était l’objectif premier du site – par loisir afin de rencontrer des partenaires de tennis, de football, de peinture, etc. Il s’agit donc d’un réseau social, mais également d’un site d’entraide, notamment entre futurs expatriés et expatriés sur place.

Organisé par pays, le site compte à ce jour 8 500 membres et est présent dans environ 135 pays.

Notre réseau social permet également à la communauté de s’entraider au travers de questions-réponses et de « bons plans », mais aussi d’organiser des événements pour des rencontres sur place.

Expatunited.com a aussi créé il y a quatre ans les « Rendez-vous de l’expatriation », des webconférences destinées aux expatriés et futurs expatriés. Animées environ une fois par mois par des experts, ces vidéoconférences interactives visent à donner des informations à la communauté et surtout de répondre en direct à des questions sur des thèmes liés à l’expatriation, tels que « comment réussir son expatriation », « comment réussir son retour d’expatriation », « la santé sur place ». Le prochain rendez-vous sera organisé le 3 juillet prochain avec l’ambassade du Canada à Paris sur le thème « Toutes les clés pour travailler au Canada ». Ces webconférences – que j’organise depuis un an en partenariat avec lepetitjournal.com – ont beaucoup de succès, car elles permettent aux futurs expatriés ou aux personnes déjà sur place de trouver des réponses à leurs questions.

M. Christophe Premat. Député des Français établis hors de France pour la troisième circonscription – Europe du Nord –, je sais à quel point le petitjournal.com contribue à faire « réseauter » à la fois les Français de l’étranger et les francophones locaux. Ce journal valorise depuis treize ans la dimension d’expatriation, et le réseau social expatunited.com contribue aussi à l’intégration de ces Français. C’est une force pour notre pays et notre diplomatie économique, si bien que je m’étonne de l’intitulé – « exil des forces vives » – de cette Commission d’enquête.

J’ai participé à l’émission « 24 heures chrono de l’international », organisée en partenariat avec mondissimo.com. Des événements intéressants émergent, comme les « Trophées des Français de l’étranger », dont lepetitjournal.com est organisateur. Pensez-vous qu’une étude plus approfondie du profil socioprofessionnel des Français de l’étranger nous aiderait à mieux connaître ces réseaux, en particulier leur participation à notre diplomatie économique ? Les outils de connaissance actuels de ces communautés ne semblent en effet pas adaptés.

M. Yann Galut, rapporteur. Nous nous interrogeons sur l’intitulé de notre Commission – « exil des forces vives » –, mais aussi sur l’idée qui circule depuis quelques mois dans notre pays selon laquelle l’expatriation serait due à la situation économique et politique de la France, que fuiraient de plus en plus de nos concitoyens pour ne pas y trouver les opportunités souhaitées.

Quel regard portez-vous sur l’expatriation de nos concitoyens ? Faites-vous la distinction entre l’expatriation volontaire, liée à un désir de découverte ou à une opportunité professionnelle, et l’expatriation subie, notamment par les jeunes créateurs et les personnes victimes du fisc pour lesquels la France serait devenue un enfer ? Pratiquement toutes les personnes auditionnées dans le cadre de cette Commission nous ont indiqué ne pas observer une forte accélération de l’expatriation – ce que certains médias, davantage tournés vers le sensationnalisme que le journalisme, décrivent pourtant comme un « phénomène ».

Il nous a également été dit lors de nos premières auditions que nos concitoyens expatriés pratiqueraient énormément le french bashing, autrement dit qu’ils seraient les premiers à dénigrer la France – contrairement aux Anglais ou aux Allemands expatriés, par exemple, volontiers porte-parole de leur pays. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Nous réfléchissons sur « l’exil des forces vives » ; or l’enquête de mondissimo. com montre que les expatriés seraient de plus en plus âgés. Avez-vous des éléments sur ce point ?

Pouvez-vous nous parler de votre expérience personnelle ? Quelle image nos expatriés ont-ils de la France ?

Enfin, que nous suggérez-vous pour améliorer l’expatriation et le retour d’expatriation ?

M. Hervé Heyraud. Monsieur Premat, merci d’avoir souligné le rôle du petitjournal.com à l’étranger – je suppose que c’est à Londres que vous nous avez connus.

Nous avons organisé ces deux dernières années les « Trophées des Français de l’étranger » au Quai d’Orsay, sous le parrainage de Mme Hélène Conway-Mouret, alors ministre déléguée des Français de l’étranger. L’idée est de mettre en avant des parcours de Français à l’étranger qui ont réussi dans différents domaines – entrepreneurial, social, humanitaire, environnement, art de vivre, enseignement. Cela nous a permis de récompenser des gens extrêmement brillants dont l’engagement est très fort. Sur 415 candidatures cette année, plus d’une centaine étaient particulièrement intéressantes, preuve que ces personnes ont un incroyable talent.

Pour avoir vécu treize ans à l’étranger, j’ai une vision très positive de l’expatriation. Cette expérience a été une grande chance pour moi. En permettant de porter un autre regard sur son pays, de découvrir d’autres cultures, d’autres langues, mais aussi de s’adapter, de se découvrir soi-même, elle est une grande force et une grande richesse.

Les termes employés notamment par la presse – « exil », « fuite » – renvoient effectivement à l’idée d’une expatriation subie – et non choisie. Certes, on peut considérer les départs comme une perte pour la France. Mais ils sont aussi une chance car, comme j’ai pu le constater, les Français de l’étranger restent dans leur très grande majorité attachés à leur pays, ils en sont les premiers ambassadeurs et contribuent ainsi à son rayonnement.

Selon les statistiques, l’expatriation enregistre une augmentation annuelle d’environ 4 % à 5 %. On ne peut donc parler d’exode, même si ces chiffres ne sont pas anodins. Au demeurant, notre pays n’a pas une tradition d’émigration, comme l’Irlande, le Portugal ou encore l’Italie. Et la population française à l’étranger par rapport à la population totale est proportionnellement inférieure à celle de bon nombre de nos voisins européens. Aussi « exil » et « fuite » sont-ils peut-être des mots un peu forts. N’oublions pas non plus qu’une bonne part de binationaux figure parmi les 2,5 millions de Français de l’étranger.

Nous avons le sentiment que la population expatriée traditionnelle – diplomates, professeurs, cadres de grandes entreprises – évolue peu, et ce en dépit de la crise. En revanche, l’attrait de l’étranger chez les jeunes semble évoluer assez fortement. Aussi deux tendances peuvent-elles être observées.

La première est l’attrait de l’étranger lié à la mondialisation de l’emploi. En effet, la plupart des étudiants à l’université ou en grandes écoles passent plusieurs mois à l’étranger dans le cadre de leur cursus – je reçois moi-même plusieurs CV par jour de jeunes souhaitant travailler au petitjournal.com dans les villes où nous sommes présents, notamment Londres, Sydney et Auckland. Cette tendance de départs dans le cadre du cursus éducatif est observée depuis une quinzaine d’années. Pour ces jeunes, l’expatriation ouvre des portes et incite certains d’entre eux à repartir à l’étranger quelques années plus tard.

Deuxième tendance – ce serait une erreur de ne pas le reconnaître – : le départ de jeunes à l’étranger en raison de la situation du marché de l’emploi en France. Nous savons en effet à quel point il est difficile aujourd’hui pour un jeune de trouver un travail dans notre pays. L’important est que ces départs deviennent une chance pour la France et que ces personnes ne coupent pas les ponts avec elle, ce qui suppose qu’elles puissent bénéficier à l’étranger d’une couverture sociale et scolariser leurs enfants dans des établissements français ou bilingues. Nous constatons en effet que les durées d’expatriation ont tendance à s’allonger.

En outre, on retrouve un public qui ne part pas forcément en famille, mais qui va plutôt construire sa vie à l’étranger. Sans doute pourra-t-on mieux mesurer ce phénomène dans dix ou quinze ans. J’ai moi-même constaté que de jeunes stagiaires de Sciences Po ou de Sup de Co se sont installés au Mexique à la fois pour des opportunités de travail, mais aussi parce qu’ils y ont rencontré leur compagne ou leur compagnon.

Ainsi, la population française à l’étranger augmente. Mais elle évolue également dans la mesure où les départs ne sont pas forcément contraints et que les passages peuvent se transformer en installation durable si les gens y rencontrent leur conjoint et commencent à faire leur vie là-bas.

Mme Florence Trouillot. J’ai un peu moins de recul que M. Heyraud, puisque le réseau social expatunited.com existe depuis quatre ans seulement.

Néanmoins, je pense comme lui que l’expatriation n’augmente pas, et que celle des jeunes est davantage valorisée et facilitée. Le programme vacances travail – PVT –, par exemple, permet aux jeunes de partir dans certains pays. De nos jours, une expérience à l’étranger durant ses études est devenue courante.

Beaucoup de jeunes, mais aussi de retraités consultent le site expatunited.com. Le niveau de vie étant relativement élevé en France, sans doute l’expatriation des retraités est-elle en augmentation.

Enfin, il me semble aussi qu’il y a un peu moins de départs dans le cadre d’une expatriation d’entreprise, et davantage dans le cadre d’un projet personnel d’expatriation.

M. Claude Sturni. Je vous remercie de votre contribution.

La semaine dernière, notre rapporteur a dû partir avant l’issue de la réunion, si bien qu’il n’a pu entendre des spécialistes de la fiscalité expliquer que des considérations fiscales ont un impact grandissant sur les expatriations.

Les résultats de l’enquête réalisée dans le cadre de la cinquième convention Mondissimo montrent que le revenu moyen des Français de l’étranger augmente, que leur projet s’inscrit dans la durée et qu’un nombre croissant de Français fondent leur famille à l’étranger. Une part croissante des personnes interrogées semble ainsi trouver à l’étranger les conditions d’un épanouissement et d’une réussite, y compris sur le plan financier. Pouvez-vous faire des recoupements entre cette augmentation et le profil des personnes qui vous consultent – en termes d’âge et de loisirs ? Est-ce que ce sont des talents, des forces vives que nous perdons ? En tout cas, le recoupement de ces trois éléments de l’enquête m’interpelle.

M. Régis Juanico. Monsieur Sturni, les fiscalistes auditionnés la semaine dernière se sont basés sur des impressions ou sur le constat d’un certain nombre d’expatriations fiscales – plus que sur des analyses chiffrées.

En tant que responsables de sites Internet dédiés aux Français de l’étranger, comment jugez-vous la communication sur les réseaux sociaux des institutions françaises chargées d’informer nos compatriotes expatriés ? Comment pourrait-elle être améliorée ?

Mme Sandrine Doucet. Je suis députée de la Gironde. Depuis des dizaines d’années, nous avons vu se constituer dans le Sud-Ouest – Dordogne, Lot-et-Garonne, Gers – des communautés nord européennes. Ces Européens ont réussi à s’implanter durablement – bien avant l’émergence des réseaux sociaux – et ont aujourd’hui une vie communautaire très organisée.

Les Français de l’étranger constituent-ils eux-mêmes des noyaux durables dans les pays où ils sont installés ? Investissent-ils votre réseau immédiatement après leur expatriation ? Les jeunes le font-ils spontanément dans le cadre de leur mobilité ?

M. Christophe Premat. La moyenne d’âge de la communauté française au Royaume-Uni, par exemple, évaluée à 300 000 personnes, est de 35 ans. Aussi la question de la fiscalité ne touche-t-elle pas vraiment les jeunes qui s’expatrient.

Par contre, il serait intéressant pour la commission de s’interroger sur l’éducation, le décrochage scolaire, la valorisation des compétences. J’ai rencontré beaucoup de jeunes qui, après avoir eu du mal à s’intégrer dans le système éducatif français, ont progressivement repris confiance en eux à l’étranger en y menant un projet, avant de revenir en France. Les nombreux CV qui vous sont envoyés témoignent certainement, non seulement d’une nouvelle culture d’expatriation, mais aussi d’une volonté de compléter sa trajectoire.

Nous aurions également intérêt à valoriser les trajectoires professionnelles, y compris à l’égard des jeunes en lycées professionnels – je pense en particulier aux conventions Leonardo. Cela nous permettrait de dépasser la thématique de l’exil des forces vives, liée à une surreprésentation de diplômés, et de mettre en avant l’apport général de l’expatriation.

Nous devons donc privilégier selon moi la question du système éducatif et du décrochage scolaire – et non celles relatives à la fiscalité et à l’emploi. La jeunesse est la priorité de ce quinquennat. Comment favoriser l’ouverture de notre système éducatif grâce à ces expériences d’expatriation ? Et, à l’inverse, comment valoriser le retour de nos jeunes en France ?

M. Hervé Heyraud. L’exil fiscal est marginal – il concerne une faible part des 2,5 millions de Français à l’étranger. Néanmoins, ce phénomène ne peut être nié car, même si les chiffres exacts ne sont pas connus, il touche des forces vives, des talents, des gens qui auraient pu continuer à exercer en France.

Selon l’étude Mondissimo, la population française à l’étranger est plus âgée. La raison tient peut-être au poids des retraités, plus nombreux aujourd’hui à prendre leur retraite au soleil ou à passer une partie de l’année au Maroc ou en Asie du Sud-Est. Je pense plutôt que la population française à l’étranger rajeunit.

Cela m’amène à la problématique des outils d’évaluation. En effet, les données dont nous disposons, grâce à l’étude Mondissimo et à notre propre sondage réalisé l’année dernière, sont très partielles. Aujourd’hui, je vous fais part de mon ressenti, n’ayant pas beaucoup de chiffres à vous livrer. Nous publions près de 30 000 articles par an, mais ce sont des données qualitatives. Certes, le sondage réalisé chaque année par la Maison des Français de l’étranger est représentatif. Néanmoins, si l’on veut que l’expatriation soit une force, une chance pour notre pays, un important travail de recensement et de qualification de cette population est nécessaire. Une meilleure connaissance des Français de l’étranger est un enjeu majeur pour les pouvoirs publics, car elle permettrait de comprendre comment évolue cette population. La création de cette Commission d’enquête, l’existence d’un secrétariat d’État aux Français de l’étranger et de députés des Français de l’étranger témoignent de l’importance de l’expatriation aujourd’hui, d’autant que le nombre d’expatriés ne va certainement pas diminuer dans les années à venir.

Les Anglais dans le Sud-Ouest vivent en communauté et en réseau ; les Français font de même à Bangkok, à Mexico que je connais bien, ou dans d’autres villes. En arrivant à Bangkok, il suffit de se connecter sur nos sites ou sur celui de l’ambassade ou de la chambre de commerce pour trouver une baby-sitter, un job, ou encore pour rencontrer un partenaire de tennis ou aller voir un match de foot le soir dans un bar. Se connecter aujourd’hui est plus naturel est plus facile qu’auparavant.

Les expatriés commencent souvent par dire qu’ils ne sont pas à l’étranger pour rencontrer d’autres Français ; néanmoins, ils sont très vite ravis de se retrouver en communauté. Pour autant, ils s’intéressent au pays où ils se trouvent. Si le french bashing est une réalité, critiquer la France est un sport national en France aussi.

Je pense que le sentiment d’appartenance à la communauté française, lié à un socle commun de valeurs, de culture et d’éducation, est très fort chez les expatriés. Au vu de l’augmentation du nombre de Français à l’étranger et surtout de l’évolution de cette population – jeunes et retraités –, la vraie question est celle de leur accompagnement par les pouvoirs publics, afin de maintenir le lien avec ces personnes. Faute de quoi, on pourrait se retrouver dans deux ou trois générations avec des gens qui auront des passeports français, mais ne parleront pas français et n’auront aucune idée de l’histoire de notre pays.

M. Florence Trouillot. Pour répondre à la question sur les institutions françaises, je pense que le manque d’information est une réalité. Les « Rendez-vous de l’expatriation » rencontrent un important succès, car les gens sont contents d’avoir un expert à leur disposition pour répondre à leurs questions. Le thème de la santé a beaucoup intéressé les expatriés et futurs expatriés, et notre rendez-vous avec l’ambassade du Canada a mobilisé plus de 1 200 personnes.

Une information me semble donc nécessaire sur toutes les problématiques liées à l’expatriation, mais aussi sur le retour d’expatriation. En effet, le retour d’expatriation est vécu comme une nouvelle expatriation pour ceux qui ont quitté la France depuis de nombreuses années – ils doivent se « réacclimater » à leur pays. Les choses sont particulièrement compliquées pour les femmes d’expatriés lorsqu’elles doivent expliquer à un nouvel employeur français le « trou » qui apparaît dans leur CV. D’où, encore une fois, l’intérêt de valoriser l’expérience à l’international. Cela est valable aussi bien pour les femmes d’expatriés, que pour les jeunes diplômés pour lesquels l’expérience à l’étranger est un réel atout.

Comme M. Heyraud, je pense qu’une vraie entraide existe entre les expatriés français et entre les futurs expatriés – expatunited.com apporte aussi une aide avant le départ. Je ressens un réel besoin chez les Français à l’étranger de se retrouver, notamment pour discuter de la France, de la politique française, car certains d’entre eux m’ont expliqué ne pas pouvoir discuter de tout avec les étrangers.

M. Hervé Heyraud. Pour se rassurer sur le sentiment des Français de l’étranger, il suffit de les voir sortir le maillot tricolore ! Ils sont derrière leur équipe : c’est un signe important.

Mme Monique Rabin, présidente. J’ai travaillé pendant longtemps au sein d’une région dans le domaine du commerce extérieur et de la mobilité internationale ; pourtant, je n’avais pas entendu parler de vos sites respectifs. Menez-vous une action offensive vis-à-vis des chambres de commerce et d’industrie pour vous faire connaître auprès des entreprises ? Ou bien les entreprises, les jeunes volontaires internationaux en entreprises – VIE –, les stagiaires dans le cadre de l’Alliance française, par exemple, vous découvrent-ils à l’occasion de leur expatriation ? L’organisation des « Trophées de l’expatriation » au Quai d’Orsay témoigne de votre lien avec les pouvoirs publics. Votre image est donc reconnue, mais pas suffisamment du côté des grandes collectivités locales qui traitent également de l’expatriation et du commerce extérieur.

M. Hervé Heyraud. Votre remarque est très pertinente. Notre philosophie est d’être le journal des Français de l’étranger : nous avons donc tendance à ne pas communiquer pour nous faire connaître en France et sommes très peu en amont de l’expatriation. Le lepetitjournal.com est le site des expatriés, pas celui des personnes préparant leur expatriation. Les gens peuvent nous trouver via les moteurs de recherche, mais nous n’avons pas entrepris de démarches en lien avec les régions. Notre site est peu tourné vers le commerce extérieur, même si cet aspect renvoie à la mobilité internationale. Par contre, nous travaillons beaucoup avec l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger – UCCIFE.

Certes, il me semble intéressant de réfléchir aux moyens de mieux nous faire connaître en amont, mais tout en segmentant bien notre public au regard de l’impact commercial de nos annonceurs.

M. Florence Trouillot. J’aimerais que mon site soit davantage connu. Mais je l’ai créé avec mes propres moyens et suis seule à m’en m’occuper. L’UCCIFE me connaît également. Pour autant, se faire connaître nécessite sinon un budget, du moins beaucoup de temps. Je fais donc comme je peux avec mes petits moyens.

Mme Monique Rabin, présidente. Vous avez répondu à notre souhait en présentant l’expatriation comme une chance pour notre pays, pour les relations humaines et notre économie. Merci de votre contribution.

La table ronde se termine à dix-huit heures.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mardi 17 juin 2014 à 17 heures

Présents. - Mme Sandrine Doucet, M. Yann Galut, M. Régis Juanico, Mme Monique Rabin, Mme Sophie Rohfritsch, M. Claude Sturni, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Étienne Blanc, M. Luc Chatel, M. Sergio Coronado, M. Marc Goua

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Premat

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