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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mardi 24 juin 2014

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 16

Vice-présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Denis COLOMBI, doctorant au Centre de sociologie des organisations, sur « La mondialisation abordée d’un point de vue sociologique »

–  Présences en réunion

Présidence
de Mme Claudine Schmid,

Mme Claudine Schmid, présidente. Mes chers collègues. Je vous prie d’abord d’excuser le président Luc Chatel, retenu par d’autres obligations impromptues. Nous recevons aujourd’hui M. Denis Colombi, enseignant qui mène actuellement une thèse sur la mondialisation abordée d’un point de vue sociologique.

Ce qui a attiré notre attention sur vos travaux, c’est que ceux-ci s’appuient sur l’étude des parcours professionnels des Français partis à l’étranger, avec une attention toute particulière pour ceux qui reviennent ou sont revenus en France. Votre objectif est de saisir comment une telle mobilité s’inscrit dans un parcours professionnel et la façon dont elle peut recomposer certains marchés du travail.

Vous le savez, l’objet de cette commission d’enquête est de s’interroger sur le phénomène de l’expatriation de nos concitoyens. Il s’agit, comme le répète le président Chatel, de déterminer si ce phénomène et son évolution ne font que témoigner de l’insertion grandissante et souhaitable de la France dans la mondialisation ou si, au contraire, il résulte d’une perte d’attractivité ou de compétitivité de notre pays contraignant nos compatriotes à privilégier un déroulement à l’étranger de leur carrière professionnelle.

Vous nous direz dans quelle mesure vos travaux vous permettent de faire la part entre une « expatriation voulue » et une « expatriation subie ».

Mais auparavant, cette audition ayant lieu dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Denis Colombi prête serment.)

M. Denis Colombi. Merci, Madame la présidente. Mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs, je vous remercie de me donner cette occasion de présenter devant vous mon travail de recherche. Je vais commencer par présenter ma démarche, l’objet de mon enquête et ce que je crois être l’originalité de mon travail.

Je présenterais ensuite deux des résultats auxquels je suis parvenu, lesquels, je l’espère, pourront servir à vos réflexions et à votre travail. Ma thèse porte sur l’articulation entre les marchés du travail et la mobilité professionnelle internationale. C’est un point important : mon objectif est la compréhension des marchés du travail au travers de la mobilité internationale, et l’une des premières questions qui s’est posée à moi a été de savoir de quels marchés il s’agissait. La question dont je suis parti, relativement simple, était la suivante : existe-t-il un ou plusieurs marchés du travail international ? Où les marchés du travail restent-ils nationaux ?

Ma démarche a consisté à m’intéresser aux Français expatriés mais, parce que je voulais analyser des marchés du travail, il m’a fallu adopter un point de vue doublement différent de celui qui est le plus souvent retenu, que ce soit dans le débat public ou dans la recherche. Je vais présenter rapidement ces deux différences.

Premièrement, lorsqu’il est question des expatriés, l’attention se concentre souvent sur ce que l’on peut appeler les « élites de la mondialisation » – terme plus ou moins consacré dans la recherche –, c’est-à-dire les dirigeants d’entreprise, les membres des conseils d’administration des grandes entreprises et le top management des firmes multinationales ainsi que les très riches, au travers de l’attention particulière portée aux exilés fiscaux. Or, ils ne sont pas les seuls, loin s’en faut, à partir à l’étranger : pour ma part, j’intègre à mon terrain d’enquête des parcours plus modestes, même s’ils sont loin d’être défavorisés. Je me suis ainsi intéressé aux cadres et aux diplômés qui, s’ils occupent des positions importantes dans les entreprises, ne sont pas nécessairement destinés à en devenir les dirigeants ou les membres des conseils d’administrations : traders, responsables marketing, responsables pays, chefs de projets, et, également, un bon nombre de personnes passées par le volontariat international à l’étranger.

Certains font partie, ou feront peut-être partie, de ces fameuses élites internationales, mais même pour comprendre celles-ci, il me semble nécessaire de les saisir en contexte, c’est-à-dire en tenant compte de l’ensemble des situations possibles. Ainsi, en complément d’un travail statistique sur les grandes enquêtes biographiques de l’Insee, que je ne présenterais pas ici, car il porte exclusivement sur des populations qui sont déjà revenues en France, j’ai effectué soixante entretiens biographiques avec des expatriés ou d’anciens expatriés, en me concentrant, pour les quarante derniers, et après une première phase exploratoire, sur deux secteurs particuliers : la finance et l’industrie, l’objectif étant de pouvoir faire des comparaisons entre les deux secteurs. J’ai complété cela par vingt entretiens avec des responsables de mobilité internationale dans des grandes entreprises installées en France, afin de disposer du côté « organisation » de la mobilité. Cet échantillon ne prétend pas, bien évidemment, avoir une représentativité statistique : il ne s’agit pas pour moi de dire des choses comme « les expatriés ont en moyenne telle ou telle caractéristique, sont majoritairement des hommes ou des femmes, ont majoritairement tel diplôme », etc.

Ma démarche est différente : il s’agit d’utiliser ces parcours particuliers pour reconstruire les principes généraux de fonctionnement de certains marchés du travail. De la même façon qu’un archéologue peut, à partir de quelques fragments de squelette, reconstituer l’ensemble d’un animal, j’essaye, à partir de parcours particuliers diversifiés, de reconstituer des marchés en essayant de comprendre ce qui a été nécessaire pour que chacun des parcours analysés soit possible.

J’en viens à la deuxième spécificité de ma démarche : comme je viens de l’évoquer, j’ai procédé à des entretiens biographiques : cela signifie que j’ai demandé à mes enquêtés de me raconter leurs carrières professionnelles, depuis la fin de leurs études ou même avant, ainsi que tous les éléments qui auraient pu l’influencer, les choix qu’ils ont effectués, les différentes étapes ou séquences qu’ils ont traversées. C’est une rupture importante avec la façon dont on se centre souvent sur le seul moment du départ vers l’étranger : la vie des Français de l’étranger ne s’arrête pas, et c’est heureux, au moment où ils passent la frontière. Certains restent définitivement à l’étranger, d’autres reviennent, d’autres encore s’installent dans des vies mobiles, dans différents pays et différents statuts. C’est quelque chose qu’il faut à la fois prendre en compte pour la comprendre, et ensuite expliquer : pourquoi les carrières prennent telles ou telles formes ? Pourquoi les individus sont-ils mobiles, pourquoi reviennent-ils ou restent-ils, etc.

Ce choix de travailler sur des parcours dans leur ensemble plutôt que sur des mouvements ponctuels de population conduit, à mon sens, à changer de façon importante le regard que l’on porte sur ces problématiques : se limiter à la question de « pourquoi partent-ils ? » ne rend pas justice à la complexité des carrières des Français à l’étranger.

Pour comprendre celles-ci, il faut arriver à reconstituer l’espace où elles se déploient : sur quels marchés, dans quels lieux et à quelle échelle ? C’est ce que je m’efforce de faire. C’est à ce changement de regard que je voudrais ici vous intéresser, en présentant deux résultats : le fait d’aller travailler à l’étranger ne signifie pas nécessairement que l’on sort du marché du travail français ; ensuite, les parcours des expatriés ne sont pas le simple produit de forces d’attraction et de répulsion entre les pays.

Le changement de regard que j’évoquais m’a d’abord amené à reformuler certaines perspectives dans mon enquête. Je pensais, lorsque j’ai commencé à travailler sur ce thème, mettre à jour des marchés du travail internationaux. C’était d’ailleurs le but. L’enquête, et c’est l’un des bonheurs de la recherche, a balayé cette première formulation : au fur et à mesure que j’essayais de reconstituer des marchés, je trouvais en fait continuellement le marché du travail français. C’est ce premier résultat que je voudrais ici vous présenter, et on peut le résumer ainsi : il ne suffit pas d’être à l’étranger pour être sorti du marché du travail français.

Sans rentrer dans les détails, je voudrais vous rendre cette proposition parlante au travers d’un exemple, un des parcours que j’étudie, celui de Catherine, nom anonymisé, qui a l’avantage d’être assez représentatif de ce que l’on pourrait appeler une mobilité internationale ordinaire.

Catherine est diplômée d’une grande école de communication. Elle commence sa carrière dans une petite entreprise vietnamienne installée en France, laquelle fait faillite assez rapidement. À ce moment-là, Catherine se demande « qu’est-ce je veux faire, qu’est-ce qui m’intéresse ? C’est l’international ». Elle veut partir pour l’Asie, région pour laquelle elle éprouve une certaine fascination culturelle. Ne parvenant pas à trouver une entreprise en France disposée à l’envoyer là-bas, elle décide de partir par elle-même pour le Vietnam. Elle y passe quelques mois à chercher un emploi, avant d’y trouver un poste dans une entreprise dirigée par un Français qu’elle avait rencontré précédemment en France. Au bout de quelques années, elle décide de changer : elle a l’impression de ne plus rien d’apprendre de nouveau, ni sur son travail, ni sur le pays. Elle envisage d’aller en Birmanie, mais abandonne parce qu’elle trouve que ce pays est trop proche du Vietnam, un petit pays en développement dit-elle, sans nouveaux défis professionnels.

Elle revient donc en France forte de ce qu’elle appelle une « compétence de traduction » : elle peut faire dialoguer entreprises françaises et partenaires asiatiques, c’est-à-dire expliquer à des ingénieurs français qu’elles sont les attentes, pas toujours explicites, de leurs partenaires et clients asiatiques. Cela lui permettra facilement de se faire embaucher par un grand groupe français, qui, après quelques années, l’enverra pour une nouvelle expatriation en Chine, où elle rencontrera son futur mari, un Français de Lyon. Lorsque l’entité où elle travaille se retire du marché chinois, elle revient en France, et trouve sans difficulté un poste à vocation internationale dans une grande entreprise pharmaceutique, à Lyon. Au moment où je la rencontre, elle réfléchit à une troisième expatriation, mais sait que celle-ci sera plus difficile : plus avancée dans sa carrière, elle n’est pas sûre que son entreprise y trouve son compte, et elle doit tenir compte de ses enfants qu’il sera plus difficile de faire bouger lorsqu’ils arriveront à l’adolescence.

Que peut-on retenir de ce parcours ? Au moins deux choses : la motivation de Catherine à partir à l’étranger est guidée par le marché du travail français : elle veut acquérir une expérience internationale parce qu’elle pense que c’est ce qui est attendu sur le marché du travail français, que c’est un avantage et même une exigence. C’est d’ailleurs ce que des responsables d’entreprises que j’ai rencontrés m’ont confirmé. Cela guide très concrètement ses choix : si elle ne va pas en Birmanie, c’est parce qu’elle pense que ce pays ne lui apportera pas un avantage supplémentaire lors de son retour en France. Ainsi, même à l’étranger, ses choix restent guidés par les attentes du marché du travail français.

Ensuite, deuxième enseignement, les ressources ou le capital humain – je dis parfois « capital international » – qu’elle a acquis lors de cette expérience, cette « compétence de traduction » qui, selon ses propres mots, est son « cœur de métier », sont d’abord valorisables en France : le retour lui est presque indispensable pour en profiter pleinement. Si elle s’était installée définitivement à l’étranger, elle aurait perdu tous les avantages de sa mobilité internationale. Elle reste donc attachée à la France, non pas par une simple question d’identité, mais bien par la dynamique proprement économique de son parcours et de sa carrière.

Autrement dit, la carrière de Catherine, bien que se déployant à l’étranger, est une carrière française. Je pourrais donner d’autres exemples. Son départ n’est ni le produit de ce que les économistes appellent des push factors, des facteurs de répulsion comme le chômage, ni de pull factors, des facteurs d’attraction comme les salaires plus élevés à l’étranger, mais plutôt d’une certaine recomposition des marchés du travail en France qui accordent de plus en plus d’importance à l’expérience internationale, où cette dernière constitue un avantage concurrentiel. Cette analyse est également valable pour comprendre le départ de bon nombre de jeunes, qu’ils partent en VIE ou non : ils le font parce que c’est ce que le marché du travail français attend d’eux. Le marché du travail français déborde ainsi très largement les frontières nationales, et c’est quelque chose qu’il me semble important de garder en tête lorsque l’on s’intéresse aux Français à l’étranger.

Si certains Français sont poussés par le marché du travail français à aller à l’étranger, il est inévitable que parmi eux, certains finissent par faire le choix de rester. Ne serait-ce que parce que, et ce n’est pas le moindre des mécanismes, certains vont rencontrer l’âme sœur à l’étranger, et qu’il faut bien, alors, choisir le pays où l’on vit... Mais d’autres mécanismes sont à l’œuvre et l’un des enjeux de mon travail est d’étudier la diversité des mécanismes qui attachent les individus à un pays et ceux qui, parfois, l’en détachent. C’est là que réside le deuxième résultat que je voudrais vous présenter : il ne faut pas interpréter, comme on le fait trop souvent, le choix de rester vivre à l’étranger comme une façon de « voter avec ses pieds » contre la France et son système. Penser que les expatriés restent à l’étranger parce qu’ils préfèrent, par exemple, le système anglo-saxon est une erreur d’interprétation : cela peut être vrai occasionnellement, quoique cette préférence se révèle plutôt après le départ qu’avant
– mais ce n’est en rien nécessaire.

Considérons ainsi un autre parcours, celui de Gaston : trader, diplômé de l’ENS et d’HEC. On pourrait le penser extrêmement mobile, libre de choisir où il veut travailler dans le monde, et donc d’aller dans le pays qui lui semblera le plus attractif. Et un survol rapide de sa carrière, de Paris à Londres puis de Londres à New-York, pourrait donner cette impression. Pourtant, lorsque je lui demande s’il envisage de partir à nouveau ailleurs – comme un pays tourné vers la finance : Taiwan, Singapour… –, il répond sans hésiter par la négative, et ce n’est pas parce qu’il a une préférence nette pour le système américain. À chacune de ses migrations, dit-il, il a dû redémarrer une nouvelle carrière : retrouver des contacts sur place, se refaire une réputation sur des marchés du travail finalement très locaux, et qui fonctionnent en réseau. En arrivant à New-York, personne ne le connaissait malgré ses succès à Londres : il a dû faire à nouveau ses preuves, cela a été difficile, pour lui et sa famille, et il n’envisage tout simplement pas de recommencer. Les marchés du travail de la finance ne sont donc pas si transnationaux que cela, et en fait, beaucoup de traders se déplacent au sein des grandes banques plutôt qu’entre elles lorsqu’il s’agit de passer une frontière – c’est d’ailleurs le cas de Gaston, qui est parti à Londres avec un contrat d’expatriation d’une grande banque française et ne l’a quittée pour une banque américaine qu’une fois sur place, sans que cela n’ait été planifié. Il faut ajouter que, dans le cas de Gaston, sa situation conjugale l’oblige à faire des choix : son épouse est américaine et travaille aux États-Unis, il préfère donc y rester.

Dans son parcours, comme dans bien d’autres, l’attractivité d’un pays est bien difficile à identifier comme une simple somme d’atouts nationaux. Gaston est ici attachée aux États-Unis de la même façon qu’il est désormais difficile pour Catherine de quitter à nouveau la France : c’est là que ses atouts professionnels sont les plus forts, et c’est là que sa vie familiale et sociale l’attache. La différence de localisation entre les deux – l’une en France, l’autre à l’étranger – provient en fait des propriétés spécifiques des marchés du travail sur lesquels ils s’insèrent : l’industrie et la finance.

Je finirais cette présentation en soulignant un point : vous avez voulu, par cette commission, réfléchir à l’attractivité de la France et des autres pays. Pour les personnes que j’étudie, je crois qu’il faut dire que l’un des facteurs essentiels de l’attractivité des pays autres que la France est que, justement, ils ne sont pas la France. Je ne veux pas dire par là que la France aurait à leurs yeux des défauts tels qu’ils la rejetteraient, pas plus que les pays étrangers n’auraient des qualités si séduisantes qu’ils seraient irrésistiblement attirés par eux : au contraire, ils se montrent plus souvent critiques à l’égard de l’une comme des autres, profitant de leur position d’expatrié pour faire la part des choses.

Non : la mobilité elle-même, le fait de pouvoir montrer que l’on est capable de s’adapter à un autre contexte que celui dans lequel on a grandi, la possibilité d’accumuler une connaissance et une maîtrise professionnelle de la mondialisation, voilà des raisons suffisantes d’être attiré par l’étranger en tant qu’étranger. Et cela parce que ces qualités, ce goût de l’étranger, ces compétences sont valorisées et attendues en France. Ce n’est ni le niveau d’imposition, ni la place de l’État et de son administration, ni même la peur du chômage, toutes ces choses sur lesquelles on a tendance à rabattre la question des expatriés, qui font les carrières à l’étranger : c’est, en quelque sorte, l’ouverture de la France vers l’étranger. J’espère que cela sera utile à vos réflexions.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie de ce regard différent apporté à notre commission.

Vous avez réalisé une soixantaine d’entretiens pour l’avancée de vos recherches. Sont-ils confidentiels ou pourrait-on obtenir copie de certains d’entre eux ?

M. Denis Colombi. Je peux vous transmettre quatre ou cinq entretiens, pour lesquels l’anonymisation de mes interlocuteurs est suffisante et qui ont été remis en forme.

Mme Claudine Schmid, présidente. Avez-vous l’impression que les départs des expatriés, notamment dans les deux cas que vous nous avez exposés, sont plutôt subis ou plutôt volontaires ?

Ensuite, vous avez évoqué les relations d’une de vos enquêtées avec la France, et notamment sa volonté de conserver les avantages liés à la France. Desquels parle-t-elle ? Est-ce par intérêt, notamment pour conserver le statut d’expatrié, qu’elle y revient souvent ?

Enfin, comment évaluez-vous, au moment du retour, le bénéfice de l’expérience à l’étranger des expatriés.

M. Denis Colombi. Sur le caractère volontaire ou subi du départ, lorsqu’on observe, comme je le fais, ces parcours professionnels de manière dynamique, la réponse est délicate. Aucune personne, sur les soixante que j’ai rencontrées, n’a choisi de partir par impossibilité de s’en sortir en France. La plupart ont conçu leur départ de manière beaucoup plus positive, soit pour le bénéfice tiré d’une carrière internationale, soit, pour les jeunes surtout, pour vivre une expérience à l’étranger, notamment lorsque ces personnes n’ont pas pu profiter d’un séjour Erasmus pendant leurs études.

En revanche, une fois sur place, ces personnes peuvent se rendre compte qu’en effet, il est souvent plus facile de trouver un emploi attractif sur place, ce qui encourage à rester.

D’une manière générale, le départ est donc plutôt d’abord volontaire. Après, pour certains profils sociologiques bien définis, notamment des diplômés de l’université ou de petites écoles de commerce ou d’ingénieur, le choix de l’international peut être dicté par la possibilité d’y être mieux valorisé professionnellement, du fait de la concurrence sur le marché du travail en France. C’est le cas d’un diplômé de l’université de Lyon qui, après plusieurs années de vie professionnelle à l’étranger, souhaitait rentrer en France pour se rapprocher de sa famille, a échoué à trouver un emploi qui lui convenait parce que son diplôme ne faisait pas le poids face aux polytechniciens, aux normaliens ou aux diplômés d’écoles d’ingénieur. À l’étranger, un master est un master, peu importe son origine. Ici, le caractère subi de l’exil peut être avéré, mais on peut aussi le considérer comme une opportunité saisie et exploitée. Donc, ce que j’ai vu, ce sont plutôt des personnes qui sont parties à l’étranger dans le cadre d’une démarche positive. D’ailleurs, elles insistent souvent pour que je rappelle qu’elles ne sont pas parties fâchées avec la France. Certains sont même assez blessés par une sorte de stigmate qu’ils subissent au moment du retour, par exemple le soupçon d’être partie pour payer moins d’impôts.

Sur l’ambivalence du côté subi ou volontaire du départ, j’ai un autre exemple : dans l’industrie minière et extractive, la progression d’une carrière de manager doit impérativement passer par la direction d’une unité opérationnelle, or il n’en existe pas en France : c’est à la fois une contrainte qui pousse à partir à l’étranger, et un choix assumé de carrière plutôt que de rester au même niveau hiérarchique.

Sur le sujet des relations avec la France, les personnes que j’ai rencontrées conservent tous un lien avec la France, ne serait-ce qu’avec son actualité. Ce lien peut être plus ou moins fort : le lien familial est le plus important, et certains retours sont dictés par le vieillissement des parents et par la volonté de passer plus de temps en famille, par exemple quand les grands-parents ne connaissent pas leurs petits-enfants nés à l’étranger.

Le lien avec la France se manifeste aussi dans l’idée, que j’ai évoquée dans le cas de Catherine lors de son expatriation au Vietnam, que l’expatriation n’est vraiment utile que dans la perspective de sa valorisation en France, au moment du retour. Ainsi, au Vietnam, ses relations professionnelles étaient essentiellement des Français ou des entreprises françaises. C’est le cas de beaucoup d’autres situations que j’ai rencontrées. Même à l’étranger, même travaillant pour une entreprise étrangère, les liens avec la France perdurent et c’est leur principal avantage de carrière que de savoir faire le lien entre la France et l’étranger. C’est ce dont les entreprises françaises ont besoin. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elles envoient des personnes à l’étranger : pouvoir disposer de personnes de confiance pour les aider à développer leur activité à l’étranger. Couper complètement les ponts avec la France et le marché du travail français, notamment professionnellement, serait alors dramatique pour ces expatriés, qui perdraient entièrement le bénéfice de leur expatriation.

La question des bénéfices lors du retour s’inscrit dans ces développements : les expatriés partent effectuer une carrière internationale dans la perspective de la valoriser sur le marché du travail français. Or, beaucoup sont déçus lors de leur retour, éprouvant le sentiment que leur expérience internationale n’intéressait pas tellement les entreprises et organisations françaises.

Certaines grandes entreprises françaises évoquent cette même question sous l’angle, cette fois, des ressources humaines. Les responsables de la mobilité internationale que j’ai rencontrés m’expliquent qu’ils ne parviennent pas toujours à valoriser l’expérience internationale des salariés partis à l’étranger et revenus en France. Ces difficultés sont d’ordre organisationnel. Il est parfois difficile de trouver immédiatement le poste le plus adéquat, s’il n’est pas libre ou si cette affectation suscite des jalousies dans les services, où bien souvent la personne qui revient ne connaît plus personne. C’est une vraie difficulté. Malgré tout, les personnes concernées parviennent à valoriser leur carrière à l’étranger.

Au niveau statistique, à partir des enquêtes de l’INSEE, il apparaît que les personnes qui ont connu une mobilité à l’international disposent d’avantages, en matière de positions hiérarchiques ou de salaires perçus. Cela reste positif, même s’il y a parfois des moments difficiles ou certaines frustrations. Les entreprises que j’ai rencontrées me disent qu’un retour d’expatriation était trop souvent suivi par un changement d’entreprise, ce qui est d’ailleurs dramatique pour l’entreprise quittée : envoyer un salarié en expatriation coûte excessivement cher, jusqu’à deux ou trois fois le coût « local » du salarié. C’est alors un investissement perdu. Cette situation est un réel problème, même s’il n’est pas facile à régler.

M. Yann Galut, rapporteur. Merci pour votre intervention. J’aurai deux questions brèves. Le nombre de Français qui s’expatrie va-t-il, selon vous, continuer à augmenter ? Il résulte de nos entretiens que cette expatriation n’est pas si massive qu’on le dit. Mais quelle est votre impression ?

Avez-vous pu observer des communautés d’expatriés dans les pays où vous vous êtes rendu ? Comment se construit le lien social, dans le rapport à la France, dans le rapport au statut d’expatrié, dans le métier exercé ?

M. Denis Colombi. Sur l’évolution du nombre de Français à l’étranger, faire de la prospective n’est pas vraiment mon métier, mais ce qu’on observe sur les dix dernières années, c’est bien une augmentation. Sur une période encore plus longue, le nombre d’incitations à partir a aussi beaucoup augmenté, par exemple dans l’ouverture à l’international des écoles de commerce et d’ingénieurs, ou dans la multiplication des dispositifs qui facilitent la mobilité du travail : le statut de VIE, certaines dispositions migratoires favorables dans les pays étrangers, qui combinent travail de courte durée et tourisme pendant six mois ou un an, etc.

Je ne vois donc pas de raison que le nombre de Français à l’étranger baisse dans les années à venir, et une poursuite de la hausse ne me surprendrait pas. Mais on ne peut pas véritablement parler d’explosion : les parcours que j’ai observés ne sont pas des parcours de fuite, d’exil, de départs forcés vers l’étranger. Ce sont des personnes qui suivent un mouvement, celui de la mondialisation et des entreprises qui mobilisent leurs effectifs à l’international. Une entreprise qui se conçoit comme groupe international va ainsi chercher à disposer d’une main-d’œuvre internationale, à publier ses offres d’emploi en interne à l’échelle mondiale et à inciter à la mobilité de ses salariés.

De plus, la France valorise, professionnellement et culturellement, l’étranger, qui signifie le voyage, la découverte, la mobilité, la flexibilité également, et cela va naturellement jouer sur le nombre de Français qui s’expatrient.

Sur l’organisation des communautés d’expatriés, je ne les ai pas observées directement, je peux avancer qu’il y a un rôle prédominant du statut d’expatrié, mais pas forcément d’expatrié français. Ce qui plaît aux personnes que j’ai rencontrées, c’est de pouvoir rencontrer des personnes de nationalités variées, en plus des « locaux ». Par parenthèse, pas n’importe quels « locaux » : j’ai l’exemple d’une interlocutrice en Indonésie qui était parvenu à avoir pour dîner l’ambassadeur de France en Indonésie en compagnie d’une quinzaine d’Indonésiens, qui avaient la particularité d’avoir voyagé en France et de parler couramment le français ! Cela aboutit à un milieu très international, qui se définit justement par le rapport à la mobilité internationale de ses membres, par la capacité à se déplacer, avec ses propres codes – bref, une sorte de sous-culture commune. Des solidarités s’en dégagent : des travaux comme ceux d’Anne-Catherine Wagner abordent ce thème de la communauté internationale. Les entreprises en profitent. Cela leur permet de disposer de personnes qui ont la même expérience et qui peuvent porter les mêmes idées ou les mêmes points de vue.

M. Claude Sturni. Pouvez-vous m’éclairer sur le phénomène d’expatriation dont vous parlez ? Dans le contexte actuel, le statut d’expatrié me semble être devenu minoritaire parmi les flux de départs, presque un statut de luxe. Les entreprises, aujourd’hui, limitent le recours à l’expatriation, coûteuse par définition, la réservant à des emplois ciblés, à haute valeur ajoutée, pour attirer les meilleurs profils. Avez-vous des éléments sur les pays et les types d’emplois de nature à bénéficier de ce statut ?

Quant aux communautés de Français à l’étranger, on peut penser qu’ils sont susceptibles de se retrouver, dans un pays ou une agglomération, autour d’enjeux communs, notamment éducatifs. J’étais sensible aux déclarations récentes sur le nombre de Français à Londres et sur le besoin d’y ouvrir un troisième lycée français – ce qui prouve l’augmentation du nombre de familles et de jeunes à scolariser. Il y a peut-être là une autre forme de communauté qui crée un lien avec le pays d’origine et favorise, le cas échéant, le retour.

M. Denis Colombi. Je dois d’abord préciser que j’utilise le terme d’« expatrié » en partie par facilité, car il ne recouvre pas que des personnes ayant ce statut juridique. Il est, en fait, assez compliqué de trouver un terme générique facile à manipuler. On parle de Français installés à l’étranger, mais certains se déplacent ; on pourrait parler de migrants ou d’immigrés mais je préfère le terme de skilled migrants – migrants qualifiés – plus proches de ceux que j’ai observés. En outre, le terme d’expatrié est parfois utilisé par les personnes elles-mêmes sans qu’elles en aient le statut. C’est une facilité de langage.

Quant aux profils qui seraient concernés par le statut au sens strict, ce peut être des personnes diplômées ou occupant des positions à haute valeur ajoutée. S’agissant des emplois, vous avez raison de rappeler que les entreprises ont tendance à réduire de plus en plus leur recours à l’expatriation. Les entreprises françaises ont même tendance à réduire le « package » d’avantages associés, du moins à en rationaliser les différents éléments. Les emplois ciblés sont généralement liés, d’abord, à des contraintes de production : certaines activités industrielles, notamment, n’existent plus ou ne peuvent exister en France – comme une plateforme pétrolière. Il est alors nécessaire d’envoyer des employés à l’étranger. Il peut s’agir aussi d’envoyer des compétences rares. Je pense par exemple à une entreprise ayant besoin, pour son activité, d’un ingénieur spécialisé dans les boulons. Elle ne l’a trouvé qu’en France. Dans ces cas, il faut parfois offrir des packages plus larges, ces experts n’ayant pas forcément envie de se déplacer. Cela peut être aussi pour conquérir des marchés, développer une activité dans un pays où l’entreprise n’est pas encore installée. Ce sont alors des personnes dans lesquelles l’entreprise peut avoir confiance, qui connaissent ses processus
– process –, ses façons de travailler et sa culture. Une dernière raison d’envoyer un expatrié - la plus rare mais qui s’avère fondamentale – est la volonté de construire la carrière de certaines personnes à haut potentiel en les mettant en contact avec l’international. Cela peut se réaliser par leur affectation sur un poste les obligeant à traiter avec d’autres pays, mais cela passe souvent par une expatriation.

Comme je l’ai dit, on a des entreprises ayant vocation à être internationales et qui ont besoin de personnes qui sont internationales. Elles les forment ainsi. C’est aussi pour elles l’occasion d’avoir des employés qui, ayant vu comment les choses se passent à l’étranger, ayant vu d’autres façons de travailler, sont capables de porter le changement, d’introduire de meilleures solutions et de légitimer des transformations. Ce qui fait que les emplois à l’étranger restent séduisants et que sur les marchés du travail français, les salariés gardent l’envie de partir car ils voient que le passage par l’international est la clé pour les carrières les plus belles. Aussi, même si la population des expatriés, au sens précis du terme, est relativement peu nombreuse, elle exerce un effet d’entraînement fondamental sur l’ensemble des travailleurs et sur l’ensemble des carrières.

S’agissant des enjeux éducatifs, il est clair que pour les personnes que j’ai rencontrées, les lycées français à l’étranger sont une institution très importante, pour l’éducation de leurs enfants, parfois aussi pour trouver de l’aide à l’installation – faute de communautés de français sur place –, mais également pour rencontrer d’autres personnes, pas seulement françaises. Dans ces lycées, on rencontre en effet des personnes d’autres nationalités. Cette dernière dimension peut représenter un véritable atout pour un certain nombre d’expatriés. Une spécialiste des ressources humaines m’indiquait que ce qui avait changé dans les motivations de ces départs, c’est le fait qu’ils sont ne sont plus seulement motivés par la carrière d’un des parents, mais aussi par le désir de faire bénéficier ses enfants d’une éducation internationale. Cela peut être un élément d’attractivité des emplois à l’étranger. Dès lors, les lycées français à l’étranger sont importants autant par leur fonctionnement que par les opportunités qu’ils offrent.

M. Christophe Prémat. Je suis heureux que la sociologie des organisations s’intéresse aux mobilités. Sur votre méthodologie, vous avez mené une série d’entretiens biographiques. Quelle est la représentativité de vos échantillons ? Sans entrer dans une discussion sur les méthodes qualitative et quantitative, il est intéressant, dans la perspective de la représentation politique des Français à l’étranger, d’avoir une aide de la recherche, des outils de prospective. Nos consulats disposent de listes de nos compatriotes installés à l’étranger, mais nous aurions besoin d’instruments plus fins pour comprendre les mécanismes de ces mobilités – notamment avec les variables dont vous disposez : les variables d’attraction et de répulsion, classiques en sociologie des migrations.

Par ailleurs, j’entends vos termes de « compétences », « expériences », « maîtrise professionnelle », votre insistance sur la dynamique du retour. Il est vrai que nos compatriotes croisés à l’étranger s’inquiètent de la validation et de la valorisation de leurs diplômes acquis à l’étranger et de leurs expériences internationales quand ils reviendront en France. Certes, il existe des outils, notamment au niveau européen ; les grilles d’analyse NARIC – pour la reconnaissance de diplômes obtenus dans un pays étranger – participent à ce processus. Cependant, pour citer un ouvrage qui vous est familier, L’acteur et le système, les acteurs à l’étranger peuvent aussi faire évoluer le système de reconnaissance des diplômes étrangers en France.

Je vous confirme enfin que la première pierre du Lycée français de Wembley a été posée le 17 juin dernier. Quand on parle d’expatriation, au-delà de son seul sens juridique, la diversification des communautés représente un vrai défi. La diversification de nos réseaux constitue dès lors un enjeu, notamment pour nos écoles bilingues car elles s’adressent à des familles diverses, bilingues, binationales ou simplement souhaitant une ouverture à l’international. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

M. Alain Rodet. Dans votre échantillon, les diplômés de l’enseignement supérieur me semblent très majoritaires. Pourtant, on sait bien qu’aujourd’hui, ces départs concernent aussi les filières de l’hôtellerie et de la restauration par exemple. Avec l’explosion des grandes chaînes internationales, les Français sont très sollicités. Les avez-vous approchés pour comprendre comment cela se passe pour ce type d’expatriés ? Il y a aussi l’appel de la grande distribution, en particulier dans les branches bricolage et textiles, qui a besoin, en permanence, de personnes sur place pour chercher des produits pour les centrales d’achat…

M. Denis Colombi. Je dois répondre négativement à cette dernière question. Pour des raisons scientifiques, j’ai décidé de ne pas explorer le secteur de l’hôtellerie comme celui de la grande distribution, même si j’ai interviewé une ou deux personnes y évoluant. Ces marchés présentent évidemment certaines spécificités, comme le fait que venir d’une école d’hôtellerie française et être Français y constituent un véritable avantage, une carte de visite dont il faut tenir compte. Mais je n’ai pas poussé dans cette voie d’étude faute de temps dans ma thèse.

En termes de méthodologie, avec mes soixante entretiens je ne peux prétendre à une représentativité statistique. Je ne peux en tirer des conclusions sur la situation moyenne des Français à l’étranger. Mon échantillon est trop faible. Mais surtout je l’ai constitué en cherchant la plus grande diversité de situations. C’est une méthode venue de la micro-histoire, l’idée étant de reconstituer des mécanismes par un raisonnement un peu différent. En revanche, je confirme que l’on rencontre un certain nombre de difficultés pour connaître ces populations. Les sources dont nous disposons se résument aux travaux des consulats et ambassades – mais ils offrent peu d’informations, car on ne peut demander de raconter leur vie aux visiteurs de ces antennes ; en outre, tous ne s’inscrivent pas sur ces listes ; c’est très variable selon les pays et les situations… L’INSEE et le ministère des Affaires étrangères font là-dessus un très beau travail pour essayer de rendre les choses les plus claires possible. J’ai par ailleurs utilisé les enquêtes de l’INSEE « Trajectoires, origines et histoires de vie », qui sont fondées sur des entretiens biographiques annuels où les personnes racontent ce qu’elles ont fait. Cela me permet d’identifier celles qui sont parties à l’étranger à un moment donné. Mais cela ne concerne que des personnes qui sont revenues en France – raison pour laquelle je n’en ai pas parlé ; et parce que je n’ai pas fini d’exploiter ces sources. Elles n’intègrent donc pas les personnes restant à l’étranger. Enfin, on dispose des enquêtes réalisées par la Maison des Français à l’étranger pour le ministère des Affaires étrangères, par questionnaire généralement proposé sur son site ; mais ces enquêtes posent des problèmes d’auto-sélection des répondants : ce sont ceux qui fréquentent le plus internet – il y a donc une surreprésentation des jeunes –, et aussi ceux qui ont quelque chose à dire. L’avant-dernière enquête du ministère laissait un champ d’expression libre ; il en est ressorti une forte tendance critique vis-à-vis de la France. Mais on peut faire l’hypothèse que ceux qui choisissent de répondre et de s’exprimer avaient un message à faire passer. Cela ne retire pas l’intérêt de leurs réponses, mais cela crée un biais qu’il faut garder à l’esprit.

On manque véritablement d’un outil. Cependant, il est très difficile à mettre en place car la statistique aime les choses immobiles alors que la mobilité ne l’est pas par définition. Il faudrait des enquêtes plus larges et un outil statistique dédié. Je serais heureux d’y participer. Mais cela n’existe pas aujourd’hui et c’est problématique.

Concernant la validation et la valorisation des acquis de l’expérience, j’ai relevé deux choses me semblant intéressantes : d’abord, les personnes qui sont revenues ne sont pas toujours satisfaites, sur le moment, de la façon dont leur expérience internationale est considérée. C’est en partie lié au fait qu’elles appartenaient auparavant à une communauté internationale avec une culture particulière où ce type de parcours intéresse tout le monde, et quand elles rentrent et se retrouvent seules dans leur entreprise ou leur service à avoir voyagé, elles rencontrent moins de questions et de curiosité et en sont un peu déçues. Les entreprises ne savent pas toujours elles-mêmes comment les valoriser ou ont du mal à le faire. Il y aurait une réflexion à mener sur cette question.

L’autre constat intéressant que j’ai fait dans cette enquête est qu’on accorde à certains diplômes français plus de valeur à l’étranger qu’en France. Ce sont ceux de l’université. En tant qu’universitaire et enseignant, cela me déçoit un peu de voir combien ces titres intéressent les entreprises et les personnes rencontrées à l’étranger, qu’ils permettent de belles carrières à l’extérieur, mais pas en France, moins en tous cas que des diplômes de Polytechnique ou d’autres écoles d’ingénieurs. J’ai rencontré des exemples de diplômés français qui préfèrent rester à l’étranger pour cette raison. Il y a un décalage problématique entre la valorisation des diplômes français à l’étranger et leur valorisation en France.

M. Christophe Prémat. Il y a un point qui devrait intéresser la commission d’enquête : les mobilités post-doctorales. Il est souvent difficile de faire revenir ces personnes qui, encouragées par les stratégies européennes, par les anciennes bourses Marie Curie etc., font deux-trois ans d’études post-doctorales. Certains pays sont particulièrement attractifs, comme les Pays-Bas, l’Angleterre, la Suisse ou les États-Unis. On peut effectivement se questionner sur le suivi des trajectoires de très bons étudiants qui partent et, finalement, restent à l’étranger parce qu’ils n’ont pas trouvé en France un aboutissement professionnel à leur niveau.

M. Denis Colombi. Je suis moi-même doctorant et je me pose la question de poursuivre. Je peux rapporter ce qui se dit parfois parmi les diplômés : il vaut mieux ne pas faire de post-doctorat à l’étranger si l’objectif est de travailler ensuite en France car le retour sera difficile. En étant à l’étranger, on ne sera plus connu en France, nos travaux n’y seront pas forcément diffusés, on ne sera pas présents dans les colloques ou dans les laboratoires… On peut trouver des solutions, mais cela suppose de revenir régulièrement et de maintenir les contacts. En sciences humaines au moins, le post-doctorat est à la fois une solution séduisante, car il s’agit d’un travail intéressant et qui offre des débouchés professionnels à l’étranger, et, en même temps, il présente un risque, exigeant un vrai travail pour entretenir sa réputation en France, afin de ne pas être oublié, et pour revenir régulièrement participer au marché du travail académique car les auditions se tiennent à certains moments ; il s’agit de processus longs… Cela étant, je ne suis pas un spécialiste du marché académique. Je vous renvoie par exemple à Mme Christine Musselin.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie pour votre contribution à nos travaux et ces réponses très complètes.

L’audition prend fin à dix-huit heures vingt.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mardi 24 juin 2014 à 16 h 45

Présents. - M. Sergio Coronado, Mme Sandrine Doucet, M. Yann Galut, M. Régis Juanico, M. Gilbert Le Bris, M. Christophe Premat, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Luc Chatel, M. Philip Cordery, M. Marc Goua

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