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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mercredi 2 juillet 2014

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 19

Président

–  Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des professionnels de la relocation et de la mobilité internationale : M. Maxime Boisnard, directeur de la société MRS Management, Mme Audrey Goutille, directrice générale France de la société Helma International, Mme Corinne Johansson, directrice du bureau parisien du groupe Nova Relocation, M. Jorge Prieto Martin, dirigeant-fondateur de la société RH Expat, Mme Martina Meinhold, fondatrice et gérante de la société Management Mobility Consulting, et M. Thierry Schimpff, délégué général du syndicat national des professionnels de la relocation et de la mobilité (SNPRM)

–  Présences en réunion 11

Présidence
de M. Luc Chatel,

La table ronde commence à dix-sept heures vingt-cinq.

M. le président Luc Chatel. Nous recevons aujourd’hui M. Maxime Boisnard, directeur de la société MRS Management, Mme Audrey Goutille, directrice générale France de la société Helma International, Mme Corinne Johansson, directrice du bureau parisien du groupe Nova Relocation, M. Jorge Prieto Martin, dirigeant-fondateur de la société RH Expat, Mme Martina Meinhold, fondatrice et gérante de la société Management Mobility Consulting, et M. Thierry Schimpff, délégué général du syndicat national des professionnels de la relocation et de la mobilité – SNPRM.

Mesdames, messieurs, votre profession fait de vous des observateurs privilégiés d’un phénomène qui intéresse particulièrement notre commission d’enquête. Si, de façon générale, l’expatriation d’un certain nombre de nos concitoyens témoigne de l’insertion de notre pays dans la mondialisation et contribue au rayonnement de la France, les « départs subis » sont en revanche préjudiciables à notre économie. Votre expérience vous permet-elle de constater une évolution en la matière et l’émergence de nouveaux comportements ? Quels changements majeurs se dessinent sur le marché de la relocation ?

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Maxime Boisnard, Mme Audrey Goutille, Mme Corinne Johansson, M. Jorge Prieto Martin, Mme Martina Meinhold et M. Thierry Schimpff prêtent serment.)

M. Maxime Boisnard, directeur de la société MRS Management. MRS Management accompagne les salariés en mobilité de vingt-huit multinationales, principalement originaires de Suisse, de France, d’Angleterre ou de Scandinavie. Notre entreprise, créée en 2010, compte dix personnes. Elle est installée à Genève et a ouvert une filiale à Paris au début de l’année 2013. Moving ressources and services Management offre à ses clients une gestion complète de prestations liées au déménagement et à l’assurance de leurs salariés expatriés. Nous enregistrons actuellement une croissance annuelle à deux chiffres, et nous comptons nous développer à l’international. Nous souhaitons également ouvrir une seconde structure sur le territoire français.

M. le président. Le nombre d’expatriés a-t-il augmenté ces dernières années ? Si tel est le cas, cette évolution est-elle due à la mondialisation et à une mobilité accrue des ressources humaines comparable à celle des capitaux, ou s’explique-t-elle par une moindre attractivité de notre pays qui perdrait ses forces vives ?

M. Maxime Boisnard. Les expatriés accompagnés par nos sociétés sont des salariés qui quittent la France pour une période de vingt-quatre à quarante-huit mois. Un constat majeur s’impose, si je compare mes dix premières années d’expérience dans mon métier, entre 1997 et 2007, et la période récente : les personnes de moins de 30 ans tentées aujourd’hui par l’expatriation n’ont plus nécessairement à l’esprit l’idée d’un retour. Les salariés en mobilité partaient autrefois pour trois ou six ans, dans l’espoir de revenir et de faire ainsi progresser leur carrière en France. Ce n’est plus le cas. Lorsqu’on demande à ceux qui s’expatrient s’ils comptent rentrer un jour, ils répondent de plus en plus souvent : « Pour quoi faire ? » La gestion des salariés qui reviennent de l’étranger constitue depuis toujours une question particulièrement épineuse pour les entreprises : il leur faut trouver le moment idéal pour le retour et proposer à l’ancien expatrié un poste qui le convaincra de rester en France.

Les jeunes, beaucoup mieux formés qu’hier pour travailler à l’international, sont attirés par une expérience qu’il est facile de mener dans presque tous les pays du monde. Les compétences des diplômés français sont d’autant plus appréciées que ces derniers sont prêts à partir pour des salaires moins élevés que ceux des expatriés d’hier. L’attachement au drapeau et à la nation n’est plus tel que l’envie de revenir soit une évidence.

Mme Audrey Goutille, directrice générale France de la société Helma International. Helma International exerce en France, en Allemagne, en Chine, en Inde et en Malaisie l’ensemble des métiers de la mobilité internationale, du conseil aux entreprises en matière de politique d’expatriation jusqu’à la relocation des salariés, en passant par la mise en œuvre de l’immigration ou de l’émigration.

Nous observons moins une évolution du volume des départs de France ou des arrivées qu’une modification de la typologie des salariés concernés. Contrairement à ce qui se produisait encore hier, ces derniers sont désormais prêts à s’expatrier sans que soit proposée une rémunération particulièrement avantageuse – dans certains pays, il est aujourd’hui possible de signer des contrats s’apparentant aux contrats locaux.

Par ailleurs, les sociétés françaises pratiquent de plus en plus fréquemment des échanges entre pays tiers – un ressortissant de Singapour est envoyé dans la branche japonaise d’une société française – qui n’existaient pas auparavant.

Enfin, M. Boisnard a eu raison d’évoquer la question du retour. Il nous est désormais souvent demandé de réfléchir en termes de salaire international, d’avantages sociaux internationaux et de retraite internationale, pour accompagner des expatriés qui n’envisagent plus systématiquement de revenir en France.

Mme Corinne Johansson, directrice du bureau parisien du groupe Nova Relocation. Nova Relocation, groupe belge dont le siège se trouve à Bruxelles, dispose de bureaux au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en France, et a signé des accords avec des partenaires dans de nombreux pays.

Quand j’ai commencé à travailler dans le secteur de la relocation, il y a vingt ans, les entreprises spécialisées étaient très peu nombreuses. Aujourd’hui, le traitement de la mobilité a fortement évolué – les packages proposés sont aujourd’hui très différents – de même que les motivations des expatriés qui acceptent de partir à l’étranger sans bénéficier des avantages proposés autrefois.

Je confirme qu’une réelle incertitude existe désormais concernant le retour en France des expatriés. Elle est liée aux postes qui leur sont proposés, au marché de l’immobilier, au niveau des taxes et au problème de l’inscription des enfants à l’école.

Mme Martina Meinhold, fondatrice et gérante de la société Management Mobility Consulting. Expatriée allemande en France où j’avais suivi mon mari, j’ai fondé Management Mobility Consulting il y a quinze ans. Après Paris, nous avons ouvert des bureaux à Francfort et au Luxembourg. Nous proposons des services de relocation aux grandes entreprises – recherche de logement, formalités administratives, inscription des enfants à l’école, formation interculturelle… Nous répondons également à une demande en augmentation venant de particuliers, mais cette activité reste marginale – moins de 5 % de notre chiffre d’affaires. Nous travaillons dans quatre-vingt-dix pays grâce à divers partenariats et correspondants locaux.

Depuis nos débuts, la demande s’est considérablement diversifiée. Il y a quelques années, nous traitions par exemple essentiellement de « l’impatriation » de cadres supérieurs âgés de 35 à 50 ans bénéficiant de contrats « tapis rouge », très favorables pour eux et leur famille. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les entreprises font appel à nous pour des profils très divers, parfois pour des débutants, ce qui n’est pas sans effet sur les services qui nous sont demandés.

Une autre évolution concerne les contrats de travail qui ne sont plus nécessairement signés dans le pays de destination des expatriés. Afin de réduire leurs coûts, pour passer ces contrats, les grands groupes mettent en place des hubs dans certains pays comme la Suisse, le Luxembourg ou Singapour.

M. Jorge Prieto Martin, dirigeant-fondateur de la société RH Expat. RH Expat, société fondée il y a deux ans, conseille des grands groupes, des PME, et de plus en plus de particuliers, pour la mise en œuvre de la mobilité internationale des salariés. Nous les aidons à analyser les diverses étapes d’une procédure assez complexe mais également à réfléchir à des stratégies : construction des rémunérations, forme et durée de la mobilité…

Je travaille depuis quatorze dans le secteur, mais, depuis la création de mon entreprise, je constate que de plus en plus de PME souhaitent se développer à l’international, en particulier au Brésil et en Chine, et cherchent à envoyer pour la première fois l’un de leurs salariés à l’étranger. De leur côté, dans un souci d’économie, les grands groupes entendent ne pas augmenter le nombre de leurs salariés expatriés et privilégient les missions à l’international de moyenne durée – entre trois et douze mois. Selon diverses estimations, un salarié expatrié coûte environ deux fois et demie plus cher qu’un salarié en France. Un tel coût explique la stagnation du nombre d’expatriés et la tendance à l’allégement des packages. Pour se développer, mais aussi parfois pour des raisons économiques, les grands groupes français favorisent l’évolution de talents étrangers dans des mobilités croisées : un Marocain sera employé en Indonésie, un Américain en Chine… L’expatriation des Français n’est plus la solution unique.

J’ai par ailleurs constaté une diminution progressive du nombre « d’impatriés ». Pour des raisons de coût, malgré le régime fiscal spécifique qui leur est applicable, les sociétés françaises hésitent avant de faire venir dans notre pays un salarié étranger. Cela peut causer certains préjudices, car, s’il est souhaitable de recruter en France, il est sain de faciliter la présence dans nos entreprises de talents venant du monde entier.

M. Thierry Schimpff, délégué général du Syndicat national des professionnels de la relocation et de la mobilité – SNPRM. Le SNPRM a été créé en 1995. Il ne compte aujourd’hui qu’une petite centaine de membres d’une profession moins développée en France que dans de nombreux pays d’Europe et du monde. Ces sociétés accompagnent environ 16 000 familles par an et dégagent 35 à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires.

La question de l’exil des forces vives de notre pays se pose dès le baccalauréat. En effet, parce que les détenteurs de ce diplôme ne sont pas suffisamment formés en anglais et qu’ils savent que la maîtrise de cette langue est indispensable pour faire carrière, ils cherchent à s’améliorer en poursuivant leurs études à l’étranger. De façon générale, la génération actuelle, familière d’internet et des réseaux sociaux, n’hésite pas à s’expatrier. Les jeunes diplômés prennent conscience au fur et à mesure de leurs études que, dans certains pays, les entreprises sont disposées à leur verser des salaires beaucoup plus élevés que ceux qu’ils percevraient en France.

Ces jeunes sont aussi beaucoup plus ouverts sur le monde que ceux des générations précédentes et leur horizon s’élargit. Ils ne s’orientent même plus aujourd’hui vers l’Inde, la Chine ou le Canada, mais plutôt vers d’autres zones du monde qui enregistrent des taux de croissance à deux chiffres, comme certaines régions d’Europe de l’Est ou d’Afrique. Continuellement à la recherche d’un épanouissement professionnel où qu’ils le trouvent dans le monde, ils savent parfaitement dénicher par leurs propres moyens les sociétés qui recrutent dans des pays qui, contrairement à la France, ne connaissent pas la crise, où il est plus simple de se faire embaucher ou de créer une entreprise, et où les lourdeurs administratives sont moindres – songez que, dans certains États, il faut seulement vingt minutes pour s’enregistrer auprès de l’administration fiscale !

Ces jeunes ont envie de réussir et, même si « l’amour du drapeau » n’est plus leur seul guide, ils seraient prêts à rester dans leur pays s’il consentait à quelques évolutions que votre commission d’enquête pourrait proposer. En tout état de cause, il était temps que le sujet soit traité, et vous avez raison de vous en préoccuper.

Pour conclure, je souligne que la formule du volontariat international en entreprise – VIE – mériterait d’être développée. Elle permet aux jeunes de concilier leur désir d’expatriation en restant au service d’entreprises françaises.

M. le président. La création récente de vos entreprises témoigne d’une accélération du phénomène d’expatriation. Notre commission d’enquête s’intéresse uniquement à ce que j’ai appelé « l’expatriation subie ». Quelle part des expatriés que vous traitez quitte-t-elle la France en raison de la délocalisation d’une activité professionnelle ? Certains de vos clients s’adressent-ils à vous pour que vous les aidiez à délocaliser leurs salariés ?

Mme Corinne Johansson. Non !

M. le président. Monsieur Schimpff, vos propos laissent entendre que certains départs de jeunes sont effectivement subis. Quelles sont les évolutions que vous appeliez de vos vœux qui permettraient d’éviter qu’ils ne se tournent vers un eldorado ?

M. Thierry Schimpff. Il faudrait se pencher sur les formalités administratives nécessaires pour créer une entreprise ou la développer, ou encore sur la fiscalité. L’inadéquation entre les salaires versés aux jeunes professionnels en contrat à durée indéterminée et les prix du marché de l’immobilier, en particulier à Paris, pose également un problème. Les entreprises françaises ont beaucoup de réticences à récompenser les compétences acquises aux cours des études, y compris à l’international.

M. le président. Quel écart constatez-vous entre les salaires offerts en France à un jeune diplômé et ceux proposés dans des pays concurrents ?

M. Thierry Schimpff. Un étudiant à Dauphine me disait hier soir que les salaires des jeunes diplômés d’une grande banque où il travaille en alternance étaient deux fois moins élevés que ceux de leurs homologues en Angleterre. Les personnes concernées ont beau avoir conscience qu’elles ne bénéficieraient pas à Londres de la sécurité de l’emploi que procure notre droit du travail ni de règles favorables concernant le temps de travail, elles s’intéressent d’abord au bénéfice qu’elles pourraient retirer d’un niveau de vie supérieur.

Mme Corinne Johansson. Les jeunes expatriés ne gagnent pas toujours beaucoup d’argent. L’un de mes fils travaille aujourd’hui soixante-dix heures par semaine dans la production cinématographique à Shanghai pour 1 200 euros nets. Il dépense très peu et bénéficie de conditions de vie favorables. Il ne cherche pas à rentrer en France.

M. Jorge Prieto Martin. Il faut en effet prendre garde aux comparaisons internationales et ne pas oublier la différence entre le salaire brut et le salaire net, d’autant que nos concitoyens croient souvent qu’ils paient plus d’impôt sur le revenu que partout ailleurs, ce qui n’est pas vrai. Je dois très fréquemment rappeler aux jeunes Français qui espèrent mieux gagner leur vie aux États-Unis et ne pas y payer d’impôt sur le revenu qu’ils se trompent. Les divers impôts sur le revenu à New York sont plus élevés qu’en France et les loyers y sont plus chers. Par manque d’information, nos jeunes ont trop tendance à penser que l’herbe est plus verte ailleurs. Il faut dire que l’extrême complexité des bulletins de paie ne facilite pas les choses et ne permet pas de combattre l’idée reçue selon laquelle nous croulons sous les charges.

Le départ des jeunes est d’abord lié à un problème d’emploi : quand ils ne trouvent pas de travail en France, ils en cherchent ailleurs. La culture française du diplôme constitue aussi une spécificité qui ne pousse pas les talents à rester dans notre pays : sans le bon diplôme de la bonne école, les recruteurs ne regardent même pas les curriculum vitae.

Mme Corinne Johansson. Le développement des stages constitue également un véritable frein à l’emploi des jeunes. Pourquoi recruter quand on peut demander à un grand nombre de stagiaires d’effectuer pour une indemnité très faible des tâches qui auraient dû revenir à des salariés ? L’idée se répand que le jeune diplômé est gratuit !

Mme Audrey Goutille. Lorsque je m’occupais de reclassement, des entreprises me demandaient très fréquemment de travailler à la délocalisation de leurs salariés ; ce n’est plus le cas depuis que je travaille sur la mobilité internationale.

En revanche, j’ai rencontré plusieurs cas de tentative d’installation en France de cadres dirigeants ou de sièges sociaux d’entreprises étrangères qui, au bout de quelques mois, se soldent par une délocalisation. Les sociétés concernées se justifient en invoquant le niveau des charges…

M. Jorge Prieto Martin. La rigidité de notre droit du travail fait également peur !

Mme Corinne Johansson. Tout comme les 35 heures !

M. Maxime Boisnard. Nous travaillons tous très majoritairement pour de grands groupes qui ont besoin d’accompagner leur personnel en mobilité. Les entrepreneurs qui cherchent à délocaliser ne viennent pas nous voir pour la simple et bonne raison que nous sommes en bout de chaîne. Les fiscalistes français ou internationaux sont en revanche en mesure de leur fournir des solutions clefs en main.

Toutefois, en tant qu’entrepreneurs, et parce que nous avons des contacts avec beaucoup de nos pairs intéressés par la mobilité internationale, qu’il s’agisse d’étrangers installés en France ou de Français souhaitant s’installer à l’étranger, nous sommes à même de vous faire part des préoccupations de nombreux acteurs individuels qui se trouvent à la tête d’entreprises très petites – TPE –, petites et moyennes – PME – ou de taille intermédiaire
– ETI. En s’interrogeant sur le contexte dans lequel ils accompagneront la croissance de leur société sur dix ou vingt ans, ces entrepreneurs, avant même de parler de fiscalité, prennent en considération le temps qu’ils doivent consacrer au traitement des questions administratives. Sachant que le patron d’une structure de moins de dix salariés passe, en France, plus de 20 % de son temps sur ces sujets, et que ce ratio, à Genève, ne dépasse pas 7 ou 8 %, je reste perplexe. Comment l’entrepreneur français trouve-t-il le temps nécessaire à la mise en place de stratégies de croissance ? Comment, dans de telles conditions, peut-il concilier vie professionnelle et vie personnelle et familiale ? N’oublions pas que l’équilibre personnel du capitaine influe sur la vie du navire et de l’équipage, et qu’un sinistre familial émotionnel peut couler une entreprise !

Pour en revenir aux rigidités administratives propres à notre pays, je peux témoigner que, alors que dix jours ouvrés ont été nécessaires pour créer mon entreprise à Genève, il nous a fallu quatre mois et demi pour mettre en place notre filiale à Paris. Je n’évoque même pas le cas de cette salariée embauchée en France et que l’administration française m’a demandé de licencier séance tenante pour des raisons juridiques avant qu’elle ne m’écrive, trois mois plus tard, pour m’informer que la situation était en cours de régularisation – fort heureusement, je n’avais pas renvoyé la personne en question ! Afin que nous puissions développer en France, à la demande de certains de nos clients, des activités réglementées en courtage d’assurance en France, notre avocat a déposé une demande en ce sens auprès du parquet de Paris en janvier dernier ; nous n’avons toujours pas reçu de réponse… Tout cela est décourageant quand on sait que quarante-huit heures sont nécessaires pour créer une structure en Grande-Bretagne, et une dizaine de jours en Suisse, en Espagne ou en Allemagne – je ne parle même pas des cas de Singapour ou de Hong Kong.

M. Yann Galut, rapporteur. Je suis heureux d’avoir entendu M. Jorge Prieto Martin rappeler que la France n’est ni la championne de l’impôt sur le revenu ni l’enfer fiscal que j’entends trop souvent dénoncer dans notre assemblée.

Qu’en est-il selon vous de « l’exil des forces vives de la France » ? Constatez-vous une accélération en la matière, notamment depuis deux ans ? Les avocats fiscalistes nous ont confié que le nombre de consultations sur ce sujet avait augmenté, mais que cela ne se traduisait pas toujours par des passages à l’acte. Les mouvements actuels ne témoignent-ils pas plutôt d’une insertion de notre pays, et en particulier de nos jeunes, dans la mondialisation ? J’ai été très frappé de constater le retard de la jeunesse française en la matière. Globalement, les Allemands, les Anglais, les Espagnols ou les Italiens sont beaucoup plus présents à l’international que les Français. Sommes-nous confrontés à un phénomène de rattrapage et d’intégration internationale ou à une fuite massive hors de notre pays devenu un enfer administratif et fiscal ?

Il me semble avoir entendu que vos métiers se développent depuis quinze à vingt ans et ne sont pas si récents, comme l’a indiqué notre président. Qu’en est-il ?

Mme Martina Meinhold. Je partage mon temps entre notre bureau de Paris et celui de Metz. Depuis deux ans, et en particulier cette année, je constate que de très nombreux chefs d’entreprises de PME lorraines délocalisent leurs sociétés, intégralement ou non, vers le Luxembourg voisin. Il s’agit d’un phénomène de départs massifs, à telle enseigne que l’on peut désormais trouver des maisons qui restent à la vente dans des quartiers huppés de Metz où, naguère, les acheteurs n’avaient d’autres choix que de compter sur le bouche à oreille.

Je connais trois chefs d’entreprise, allemands comme moi, qui, après s’être installés en France, l’ont quittée pour l’Allemagne, la Suisse ou le Luxembourg, en raison du niveau des charges sociales et de la fiscalité. L’art de vivre demeure toutefois le grand avantage concurrentiel de la France. Il attire les étrangers et les incite à rester : pour ma part, je n’ai pas l’intention de partir.

M. Jorge Prieto Martin. Certaines mesures fiscales ont fait très peur aux entrepreneurs. Les médias n’ont d’ailleurs pas manqué de s’en faire l’écho, même si le travail d’information n’a pas été mené à son terme sur ces sujets que peu de gens maîtrisent. L’exit tax agitée comme un chiffon rouge ne concerne qu’un très petit nombre d’entrepreneurs. Ce type de mesure mal comprise et mal expliquée a suscité un vent de panique et créé une atmosphère propice au départ, y compris chez les plus jeunes qui ont entendu répéter à la télévision par les grands patrons qu’il fallait partir. L’un de mes amis, gestionnaire de fonds de pension, m’a dit récemment, sans avoir vraiment étudié ni compris le fonctionnement de l’exit tax : « Je quitte la France pour l’Espagne. »

Les métiers de la mobilité internationale se développent depuis plusieurs années. Pour ma part, j’ai commencé il y a quatorze ans dans un grand cabinet d’avocats américain qui travaillait déjà sur la question depuis dix ans.

Mme Corinne Johansson. Monsieur le rapporteur, les Français avaient bien un retard à rattraper à l’international. Les plus jeunes générations, bercées par internet, ont évolué en termes de pratique des langues étrangères et d’ouverture sur le monde : elles sont désormais très attirées par l’expatriation.

Les lourdeurs administratives ne sont pas le propre de la France. Nous organisons actuellement l’expatriation de quatre-vingts salariés d’un groupe international vers Singapour ; sachez que les formalités d’immigration et d’installation sont extrêmement complexes – un acte de mariage doit être présenté pour la location d’un appartement par un couple ! Sur ce dernier point, il n’y a d’ailleurs pas besoin d’aller si loin pour trouver plus compliqué qu’en France : en Belgique, les nouveaux résidents doivent se déclarer auprès de leur commune de résidence. Cela n’existe pas en France. Il faut donc faire attention à ce que nous disons.

Nos sociétés de relocation ne participent en aucun cas à « l’exil des forces vives ». D’ailleurs, ce terme d’ «exil » me gêne. Ce sont les groupes pour lesquels nous travaillons qui prennent la décision d’expatrier des salariés et nous ne jouons qu’un rôle d’organisateur et de coordinateur.

Mme Monique Rabin. Vos entreprises ont-elles été reçues par M. Thierry Mandon, dans sa fonction actuelle de secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, ou dans celle qu’il occupait précédemment comme coprésident du Conseil de la simplification pour les entreprises avec M. Guillaume Poitrinal ?

Madame Johansson, nul ne pense ici que vous êtes les artisans de l’exil ; votre position particulière vous permet en revanche d’adopter une approche comparative et de connaître les véritables causes des expatriations que vous traitez.

Monsieur Schimpff, vous avez à juste titre évoqué les volontaires internationaux en entreprise – VIE. Les grandes collectivités territoriales ont consenti des investissements considérables pour financer la mondialisation de l’éducation ; nous en recueillons aujourd’hui les fruits, et les jeunes sont très nombreux à souhaiter faire l’expérience du volontariat international en entreprise. Plus de 44 000 d’entre eux attendent d’être recrutés. Les entreprises avec lesquelles vous êtes en contact ont-elles bien conscience des avantages dont elles bénéficieraient en utilisant cette formule, notamment l’exonération de toutes charges sociales ?

Mme Claudine Schmid. Confirmez-vous que votre regard sur l’expatriation, s’il reste plein d’enseignements, est d’autant plus partiel que se développent les contrats locaux pour lesquels il n’est pas fait appel à vos services ?

Vous nous avez signalé que certains groupes faisaient signer le contrat de travail de salariés expatriés dans des hubs en Suisse ou au Luxembourg. Ces salariés se retrouvent-ils en France sans être soumis à notre droit du travail ?

M. Jean-Marie Tetart. La mobilité internationale a évolué de l’expatriation dans le cadre de l’entreprise à une mobilité plus individuelle. Si la première était « sécurisée », la seconde connaît sans doute un taux d’échec plus important. Pouvez-vous fournir une estimation en la matière ? Quelles sont, selon vous, les causes de ces échecs ?

M. Thierry Schimpff. Madame Rabin, je crains que les jeunes en attente d’un VIE ne soient plus nombreux que vous ne l’imaginez. Selon des responsables d’Ubifrance, l’agence qui gère les VIE, 80 000 demandes sont enregistrées pour 8 000 postes à pourvoir. Ces chiffres laissent penser que les entreprises sont très mal informées sur le sujet.

Mme Audrey Goutille. Dans certains cas, les barrières proviennent des pays d’accueil. En Inde, par exemple, seuls cinquante postes de VIE permettent aux entreprises de bénéficier d’exonérations de charges.

Mme Monique Rabin. Le cas de l’Inde est très particulier. Ce pays s’est ouvert très récemment à cette formule en proposant un montage spécifique avec un quota. En fait, il ne s’agit pas de véritables VIE.

Mme Martina Meinhold. Madame Schmid, malgré la signature de contrats locaux, il arrive fréquemment que les entreprises fassent appel à nos services même si les packages proposés sont réduits. Cela dit, il est incontestable qu’une partie du marché nous échappe.

Monsieur Tetart, nous ne disposons pas de statistiques sur le taux d’échec de la mobilité. Il faut espérer qu’il est plus bas pour les salariés que nous assistons que pour ceux qui ne bénéficient pas de nos services. L’échec peut avoir deux causes principales liées soit aux difficultés d’adaptation du conjoint, soit aux problèmes du retour qui, parce qu’il risque de se traduire par une baisse générale du niveau de vie et une perte d’autonomie professionnelle, incite de nombreux expatriés à rester sur place.

M. Jorge Prieto Martin. Le « retour » constitue la principale difficulté rencontrée par les groupes dans la mobilité internationale. Les entreprises ne savent plus reclasser en leur sein un salarié qui a passé quelques années à l’étranger. Cet état de fait favorise « l’exil des forces vives » car les expatriés auxquels rien de satisfaisant n’est proposé en France par une entreprise à laquelle ils ont parfois consacré une part importante de leur carrière décident souvent de rester dans un pays où le marché de l’emploi est plus ouvert. On constate donc un taux d’échec assez élevé, non pas en cours d’expatriation mais au retour.

M. Maxime Boisnard. Contrairement à leurs aînés, les jeunes qui s’expatrient ont aujourd’hui conscience de ce qui les attend sur place et au retour. Ils ne se perçoivent sans doute pas comme des « exilés » et n’ont pas nécessairement l’intention de revenir.

Je ne suis pas certain que le dispositif des VIE soit aujourd’hui le plus adapté. Au début des années 2000, nous sommes passés de l’internationalisation à la mondialisation des entreprises. Des comités de direction au niveau opérationnel, les groupes souhaitent désormais mettre en avant des ressources humaines multinationales et multiculturelles. Malgré les dispositifs d’exonération, je ne crois pas que les entreprises françaises trouvent aujourd’hui autant d’intérêt qu’autrefois à envoyer des VIE à l’étranger.

M. le président. Mesdames, messieurs, je vous remercie pour votre participation au travail de notre commission d’enquête.

La table ronde se termine à dix-huit heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mercredi 2 juillet 2014 à 17 h 15

Présents. - M. Luc Chatel, M. Sergio Coronado, M. Charles de Courson, M. Yann Galut, M. Régis Juanico, M. Jean-François Mancel, Mme Monique Rabin, Mme Claudine Schmid

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Étienne Blanc, M. Marc Goua

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