Accueil > Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France > > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mardi 8 juillet 2014

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 21

Vice-Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Leboyer, président-directeur général de GSX Solutions

–  Présences en réunion 11

Présidence
de Mme Claudine Schmid,

L’audition débute à quinze heures cinquante.

Mme Claudine Schmid, présidente. Nous recevons aujourd’hui M. Antoine Leboyer, PDG de société GSX Solutions, entreprise fondée à Genève en 1995, qu’il a rejointe en 2007 pour en prendre la présidence l’année suivante.

Monsieur, c’est à la suite de notre rencontre à Genève que j’ai suggéré à M. Chatel de vous inviter à venir témoigner devant cette commission d’enquête. Comme vous le savez, l’objet de celle-ci est de s’interroger sur l’expatriation de nos concitoyens. Il s’agit de déterminer si ce phénomène et son évolution ne font que témoigner de l’insertion grandissante et souhaitable de la France dans la mondialisation, ou s’il résulte d’une perte d’attractivité ou de compétitivité de notre pays, contraignant nos compatriotes à privilégier une carrière professionnelle à l’étranger, ou à y chercher des lieux plus favorables pour investir leur patrimoine.

Votre parcours professionnel, d’abord au sein d’un grand groupe international, IBM, puis au sein d’une plus petite structure, et votre expérience de chef d’entreprise en Suisse font de vous un témoin précieux, susceptible d’éclairer vos travaux.

Mais avant de vous entendre, je vais vous demander, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Antoine Leboyer prête serment.)

M. Antoine Leboyer, président-directeur général de GSX Solutions. Madame la vice-présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir. Je vous remercie surtout de donner la parole au dirigeant d’une entreprise de 40 personnes, qui sont des personnes qui ne sont pas suffisamment entendues.

Mon objectif est double : présenter le cas concret de quelqu’un qui n’avait aucun a priori à l’encontre de la France et qui, à la suite d’une expérience que je vais vous décrire, a été amené à prendre beaucoup de recul. Mais plus généralement, à partir de ce cas concret, je voudrais vous montrer pourquoi il me semble absolument indispensable que soit revu en profondeur le fonctionnement du contrôle fiscal en France.

Ma présentation portera sur trois points : le contexte ; le contrôle fiscal que mon groupe et moi-même avons vécu ; les solutions très concrètes que je vous encouragerai à mettre en pratique.

Premièrement, le contexte.

Mon entreprise a été, en effet, créée en 1995. Son fondateur, un Français, était en mission à Zürich auprès d’une grande entreprise d’assurances. Ayant identifié un problème et imaginé une solution, il a créé à Nice une entité destinée à prendre en charge la réalisation de son projet. Mais ayant rencontré une Suissesse, il a décidé de rester en Suisse. De mon côté, en 2007, j’ai voulu faire l’acquisition d’une entreprise dans un domaine que je connaissais, celui des logiciels ; voilà pourquoi j’ai choisi de racheter GSX sans que sa localisation en Suisse ait eu une quelconque influence sur ce choix. Nous ne correspondons donc, ni l’un ni l’autre, à la définition classique des exilés fiscaux et nous n’avons, ni l’un ni l’autre, de préjugés négatifs vis-à-vis de notre pays. La meilleure illustration en est que nous avons embauché une quarantaine de Français.

Une quarantaine de personnes travaillent donc actuellement chez GSX. Notre chiffre d’affaires n’est que de 6 millions d’euros, ce qui est très peu, mais s’explique par la modestie du marché auquel nous nous adressons. En revanche, nous sommes les leaders de ce marché, s’agissant de la mise à disposition de solutions pour aider les entreprises à gérer leur système de messagerie. Nous sommes présents dans quarante pays. Nous avons six cents clients fidèles et prestigieux, et nos produits ont reçu de nombreuses accolades techniques. Et je me permets de préciser que la Harvard Business School, dont je suis un ancien, enseigne en deuxième année un cas « Antoine Leboyer and GSX » sur les stratégies que j’ai mises en place. Je ne dis pas cela pour vanter mes mérites ou ceux de mon groupe, mais pour montrer le contraste avec l’opinion que l’administration française peut avoir de nous.

Deuxièmement, le contrôle fiscal.

En janvier 2010 ; GSX a fait l’objet d’une vérification de comptabilité. Les conclusions ont été que GSX a un établissement stable en France. On considère qu’il y a établissement stable quand une filiale possède, en fait, les capacités d’engager la maison-mère – ce qui n’est pas conforme à l’organisation mise en place. Un redressement pour établissement stable permet à l’administration fiscale d’un pays d’« envahir » le pays de la maison-mère et, en l’occurrence, de récupérer des impôts sur une base taxable qui n’était pas la base taxable française stricto sensu. Mais on ne peut établir qu’il y a établissement stable que par une étude fonctionnelle, précise et rigoureuse pour comprendre, de façon détaillée, qui fait quoi ; cela demande du travail et des compétences.

Il est tout à fait normal que l’administration fasse des vérifications de comptabilité sur établissement stable ou sur tout autre sujet. Il est tout aussi normal que l’administration se fasse une opinion et que je puisse ne pas être d’accord.

Alors qu’un tel contrôle requiert un travail sérieux, ce qui m’a surpris est que j’ai eu quatre niveaux d’interlocuteurs : les interlocuteurs locaux à Nice ; la direction régionale à Marseille ; sur ma demande, le service du contrôle fiscal du ministère des finances à Bercy ; enfin, de façon un peu exceptionnelle, une autre équipe de Bercy a examiné mon dossier. Or, à tous les niveaux, j’avoue avoir été déçu : les faits n’ont pas été appréciés comme ils auraient dû l’être, et l’analyse fonctionnelle a été, je le pense, inexistante.

Des erreurs, portant sur les faits, ont été commises, avant d’être progressivement reconnues. Il pouvait s’agir des faits les plus simples, comme la date de mon arrivée en Suisse. Après que mes dossiers ont été regardés par une douzaine de personnes et cinq niveaux hiérarchiques différents, trois ans et demi après que le contrôle a commencé, des erreurs de ce type subsistaient. Mais d’autres erreurs portaient sur des éléments bien plus importants. Par exemple, l’ancien directeur du contrôle fiscal a écrit que c’était le gérant de la France qui pouvait faire des opérations sur les comptes bancaires en Suisse. Pourtant, nous avions produit une attestation, signée de tiers, montrant que ce n’était pas le cas. De façon générale, les faits les plus élémentaires ont mal été appréciés à tous les niveaux.

Par ailleurs, l’analyse fonctionnelle m’a paru très indigente. Sur l’ensemble de la période visée par le contrôle fiscal, nous avons fourni des centaines de documents probants : emails, attestations de tiers, prouvant que c’était le fondateur, puis moi-même, qui avions la mainmise sur les décisions fondamentales de l’entreprise : fixation des prix, approbation des conditions juridiques, définition du plan produit, suivi des clients lors des phases techniques, approbation des processus budgétaires, embauches et renvois. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de discuter de façon approfondie à propos de cette masse de documents.

Que ce soit à Nice, à Marseille ou à Bercy, l’administration a estimé que l’entrepreneur principal était la gérante de l’entité française, c'est-à-dire la mère du fondateur, ancienne pâtissière ne parlant pas l’anglais, et non pas son fils, le fondateur, qui sort de Polytechnique et moi-même, qui sort de Supélec et de Harvard. Sans doute existe-t-il un cours à l’ENA où l’on explique aux élèves que les pâtissières françaises peuvent diriger des groupes informatiques ? Quoi qu’il en soit, on ne m’a jamais opposé de documents de qualité prouvant que cette dame, au demeurant fort sympathique, avait pu créer un groupe informatique qui a aujourd’hui six cents clients et qui est présent dans quarante pays.

Malgré tout, depuis 2010, les montants du redressement qui ont été notifiés à mon groupe ont fondu.

L’analyse locale, qui avait été basée sur une perquisition – davantage de gendarmes armés et d’employés du contrôle fiscal que d’employés de GSX – a conclu, au bout de deux ans qu’il y avait établissement stable. J’ai été redressé sur un montant de 18 millions d’euros, soit trois fois notre chiffre d’affaires – 6 millions, l’équivalent d’une grosse pharmacie ou d’une grosse boulangerie. Cela revenait à me mettre en faillite.

Je suis allé à Marseille, sans obtenir de modification. Je suis allé à Bercy. Dans un premier temps, l’administration a conclu, sans le justifier, qu’il n’y avait rien sur la partie américaine et que mon redressement ne serait plus « que » de 15 millions d’euros, soit encore 2,5 fois notre chiffre d’affaires.

J’ai contacté Mme Schmid et le député de Villeneuve-Loubet, qui ont eu la grande gentillesse de demander que le dossier soit regardé par le ministre du redressement productif et l’ancien ministre du budget. Je crois, madame, que vous avez reçu confirmation, de la part du staff de ces ministres, que le dossier allait en effet être étudié.

Mme Claude Schmid, présidente. J’ai simplement demandé qu’ils étudient eux-mêmes le dossier. Je ne peux pas aller au-delà et intervenir dans une affaire fiscale entre l’administration et un contribuable.

M. Antoine Leboyer. Je crains malheureusement que cela n’ait pas eu d’effet. Ni vous ni votre collègue de Villeneuve-Loubet ne semblent avoir eu de retour.

J’ai inscrit GSX au MEDEF et j’ai rencontré la directrice de la fiscalité, Mme Marie-Pascale Antoni, que je voudrais remercier ici personnellement. Elle a passé une vingtaine de minutes à me poser des questions techniques très précises pour savoir s’il y avait ou non établissement stable. Elle a contacté le nouveau directeur du contrôle fiscal qui a eu la gentillesse, et je voudrais également le remercier, de rouvrir le dossier.

Notre dossier a donc été réétudié. Même si je n’ai pas eu la possibilité de discuter sur les faits, sur les pièces, dans l’esprit de loyauté qui ressort des différents documents qu’on m’a envoyés, on m’a proposé de me redresser sur un montant d’environ 4 millions d’euros et, surtout, de me donner le quitus complet sur mon entreprise depuis que j’y suis arrivé. Cela signifie que les montants redressés correspondent à l’activité de mon prédécesseur.

J’ai accepté cette proposition, bien que je conteste le montant qui m’a finalement été notifié. Car je n’avais pas d’autre choix. En effet, il eût été logique, à la suite d’une telle procédure, d’aller au contentieux. Or, pour aller au contentieux et faire intervenir un juge administratif indépendant, il faut pouvoir déposer des garanties, dont le montant correspond à celui des droits. Une entreprise de 40 personnes, dont le redressement atteint 2,5 fois son chiffre d’affaires, en est incapable. Ces décisions successives de redressement sont de véritables condamnations à mort. Accepter cette proposition de 4 millions était pour moi la seule façon de survivre.

L’autre raison est que j’ai vécu quatre ans et demi de pur cauchemar.

Au niveau de mon entreprise, j’ai dû consacrer 50 % de mon temps à répondre à l’administration, soit deux ans sur les quatre ans de la procédure, alors que j’aurais dû les passer à développer mon entreprise. Et je n’ai même pas eu l’impression que les centaines de documents que j’ai transmis à l’administration aient été correctement appréciés. Quoi qu’il en soit, je suis très reconnaissant à la nouvelle équipe d’avoir réétudié mon dossier et de m’avoir permis de ne payer « que » 4 millions, même si je considère que ce n’est pas justifié.

Nous avons calculé, avec mes équipes, les produits que nous aurions pu développer si l’on n’avait pas dû acquitter autant de frais d’avocat. Nous en avons conclu que l’entreprise aurait doublé, et qu’il y aurait aujourd’hui deux fois plus de personnes chez GSX en Suisse, aux États-Unis, en France et en Chine – où nous venons de nous installer. En conséquence de quoi, les rentrées fiscales nettes que l’État percevrait si j’avais pu passer mon temps et mes ressources à travailler seraient infiniment supérieures aux misérables 4 millions d’euros qu’il va récupérer.

Au niveau personnel, ces années ont été terribles. Et je voudrais, puisque je pense qu’ils visionneront cette audition, m’excuser auprès de mon épouse et de mes enfants de ne pas avoir eu la disponibilité et l’égalité d’humeur dont j’avais l’habitude, et qu’ils sont en droit d’attendre.

Je voudrais également insister sur le fait que, selon moi, les pouvoirs des inspecteurs du contrôle fiscal – qui sont conformes aux lois que vous-mêmes, mesdames et messieurs les députés, avez votées depuis vingt ans – sont disproportionnés. Non seulement ils ont pu procéder à un redressement qui s’apparentait à une condamnation à mort, mais, au cours de l’année 2011, par deux fois, ils ont eu une attitude que je considère comme particulièrement inadmissible.

En mai, alors que j’étais en discussion avec les interlocuteurs du contrôle fiscal de Nice, que les premières conclusions n’avaient pas encore été consignées par écrit et que je n’avais pas eu la possibilité d’y répondre, des saisies conservatoires ont été faites. Le service du contrôle fiscal a envoyé à une dizaine de mes clients des constats ou des lettres d’huissier, demandant de ne pas me régler parce que GSX avait manifestement un comportement fiscal douteux et avait tenté d’éluder l’impôt. D’une part, cela n’avait aucun sens de prétendre que GSX avait eu « manifestement » un comportement fiscal douteux, alors même que la détermination de l’établissement stable, qui demande beaucoup de travail, ne peut être quelque chose de manifeste. D’autre part et surtout, ma réputation auprès de ces clients a été perdue. Je vends sur un microcosme. Envoyer de telles lettres à une dizaine de clients ne pouvait qu’avoir de très lourdes répercussions. Nous avons demandé l’accord du médiateur du ministère des finances pour que cela s’arrête. Nous l’avons obtenu mais en octobre, une dizaine de ces lettres sont reparties. Les services de Nice ne se sont pas excusés et se sont contentés de me dire qu’il s’agissait d’une erreur. Les pouvoirs et le cadre juridique dans lequel travaillent les inspecteurs sont totalement disproportionnés.

Troisièmement, les solutions.

On pourrait se demander ce qu’il faut penser du contrôle fiscal français. Cela nous amènerait deux réponses : la première, assez simpliste, consisterait à diaboliser les services ; la seconde, tout aussi simpliste, consisterait à dire que ce sont des gens très bien et que je n’ai pas eu de chance. Selon moi, il faut se poser d’autres questions : d’abord, que vaut le système de gouvernance ? Ensuite, y a-t-il suffisamment de contrôleurs capables de suivre les dossiers de façon efficace ? Enfin et surtout, sont-ils suffisamment formés ? Ce dernier point est en effet particulièrement important. Les personnes que j’ai eues en face de moi ne connaissaient pas suffisamment, ni la technique fiscale, ni le fonctionnement des entreprises. Je peux vous en donner des exemples précis.

Les premiers calculs de notification qui m’ont été transmis, qu’il s’agisse de la partie TVA, de la partie pénalités ou de la partie retards, étaient faux. Mon avocat et moi avons dû les appeler pour les amener à corriger leur copie, alors même que quatre niveaux hiérarchiques avaient probablement revu les calculs. Il a fallu que mon avocat explique à quelqu’un de l’équipe de Bercy ce qu’était un contentieux international, car il ne le savait pas. Le plus surprenant sans doute est que le directeur du contrôle régional de Marseille ait « mouché » devant moi ses équipes parce qu’elles s’étaient trompées dans les calculs de TVA sur la partie américaine. Donc, même sur la partie technique qu’ils devraient connaître, les services n’avaient pas le niveau de formation nécessaire.

Et ce n’est pas tout. En dehors du fait qu’ils pensaient qu’une pâtissière pouvait diriger une entreprise d’informatique, ils ont fait sur mon groupe des commentaires qui n’avaient pas lieu d’être, s’étonnant que je n’aie pas de patrimoine immobilier, contrairement à l’hôtel qu’il venait de contrôler, alors que je crée des logiciels, ou que je n’ai pas de stocks, comme un garage, alors même que je travaille sur de l’immatériel. En conclusion, ils ne savaient pas ce qu’était une entreprise.

Qu’avez-vous donc fait pour vérifier les connaissances de ceux qui ont la possibilité de demander une perquisition et de faire des saisies conservatoires ? Voilà ce que vous devez faire – et je suis tout à fait sérieux :

Je travaille avec de nombreuses entreprises de services en informatique, qui disposent de modèles de compétences très précis pour leurs ingénieurs, qu’ils affectent aux différents projets sur lesquels ils travaillent. Je vous conseille donc – reprenant ma casquette d’entrepreneur – de charger une commission, ou un groupe formé de gens venant du public et du privé, par exemple des cabinets d’audit, de dresser des référentiels de compétences minimales pour établir une grille et une cartographie des compétences de vos agents. Cela vous conduira à écarter les agents du contrôle fiscal qui n’ont pas les compétences nécessaires, car leur capacité de nuisance est trop importante, et à mettre en place une formation pour ceux qui en tireraient profit. Mais surtout, vous ne devez plus jamais lancer un seul contrôle sans avoir vérifié que vous pouvez y affecter les bonnes personnes disponibles en temps et en heure. C’est bien ainsi que procèdent que les sociétés de services informatiques avec qui nous travaillons comme partenaires. Inspirez-vous donc de leurs pratiques pour les adapter au contrôle fiscal.

Par ailleurs, et je reprends cette fois ma casquette de dirigeant de PME, vous devez être conscients que les processus de contrôle fiscal ne sont absolument pas adaptés aux groupes de quarante personnes évoqués par M. Gérard Pélisson – qui est probablement la référence pour de très nombreux entrepreneurs français – devant cette commission.

D’abord, quand un grand groupe fait l’objet d’un contrôle fiscal, le service juridique travaille plus un peu plus tard, on rajoute un juriste, mais les opérations ne sont pas affectées. Quand c’est le cas d’une PME, son dirigeant doit y consacrer 50 % de son temps. L’impact de ce contrôle fiscal est tout simplement énorme.

Ensuite, un grand groupe adore les contentieux. Il sait qu’au bout de dix ans, il va gagner et récupérer les droits qu’il aura déposés, assortis d’importants intérêts moratoires. Mais moi, je ne peux pas aller au contentieux. Imaginez que j’aille voir un banquier pour lui demander une ligne de crédit, que je lui précise que j’ai un contentieux qui va durer dix ans, pour lequel j’ai dû déposer des droits très élevés, mais que je vais gagner. Pensez-vous que je serai entendu ? 

Enfin, le soutien de la classe politique n’est pas le même, selon qu’il s’agit d’un grand groupe ou d’une PME. Par exemple, on ne peut pas savoir si les ministres d’État qui ont promis de regarder mon dossier ont ou non fait quelque chose. En revanche, je doute que Bill Gates, qui est reçu par le Premier ministre lorsqu’il vient à Paris, n’ait pas parlé avec lui de la perquisition très médiatisée dont Microsoft a fait l’objet. Et moi, quand je viens à Paris, je parle devant un petit nombre de députés, et je ne suis pas reçu par le Premier ministre.

Vous pouvez agir tout de suite.

Il faut séparer les équipes – et donc les procédures – entre celles qui s’occupent de grands groupes et celles qui s’occupent de PME. Il faut restreindre les risques sur les saisies conservatoires.

Il faut limiter la capacité des inspecteurs de fixer des montants de redressement faramineux qui vont fondre par la suite, parce qu’ils pensent que les contentieux vont durer dix ans. Il faut adapter les recours à la taille des PME, le plus important étant de limiter la durée totale du contrôle fiscal à six mois – et pas deux ans, comme pour GSX. Si, au bout de six mois, les inspecteurs n’ont rien trouvé dans une PME, c’est qu’il n’y a rien à trouver.

Je discute régulièrement avec des patrons de PME installés à Genève. Certains ont vécu une expérience équivalente à la mienne, suffisamment douloureuse en tout cas pour décider de se déplacer en Suisse. Vous devez le prendre en considération.

Cependant, je ne voudrais pas rester sur une note trop négative. Il est en effet très encourageant que tous les talents qui sont dans cette commission travaillent sur ce sujet – même s’ils ont été peu nombreux aujourd’hui à venir écouter un patron de PME qui a pris le temps de venir leur parler.

Vous essayez de comprendre ce qui se passe, à partir de cas concrets, sans limiter vos auditions à des présidents d’université ou à des personnes plus généralistes. Mais ne faites pas un énième rapport, mettez en place sans attendre ce que je vous ai conseillé. Faites-le et faites-le savoir. C’est ce qui permettra de faire revenir la confiance. Et croyez-moi, je connais les entrepreneurs qui se sont déplacés et les entreprises qui doivent investir en France, tout se remettra en place.

Mme Claudine Schmid, présidente. Merci, monsieur Leboyer, pour votre témoignage concret. Vous avez suivi nos travaux et vous avez donc remarqué que nous avions commencé par les écoles, les présidents des grandes écoles et des universités. Nous sommes maintenant passés au monde de l’entreprise. Vous ne serez donc pas le seul à être entendu. La semaine dernière, nous avons reçu le président Gérard Pélisson.

M. Antoine Leboyer. J’espère que vous entendrez beaucoup de dirigeants de PME de 40 personnes, ainsi qu’il vous l’a conseillé.

Mme Claudine Schmid, présidente. Au fur et à mesure de votre intervention, vous avez déjà répondu, au moins partiellement, à plusieurs de mes questions.

Vous travaillez, notamment, avec les États-Unis et l’Angleterre. Maintenant que votre dossier personnel est clos, allez-vous continuer à vous développer en France ? Hésitez-vous, en raison de votre vécu ? Vous avez cité le cas d’autres entrepreneurs, avec lesquels vous avez discuté. Hésitent-ils à se développer en France ? Vont-ils rester à l’étranger, en l’occurrence en Suisse ? Vous-même avez-vous l’intention, dans l’avenir, de retourner en France ?

M. Antoine Leboyer. Je vais répondre tout de suite à votre dernière question. À la différence des grands groupes, comme Microsoft, il n’est pas facile, pour une PME de 40 personnes, de déplacer ses opérations d’un pays à un autre. Malgré tout, nous sommes en train d’étudier, pour le processus d’exécution budgétaire de l’an prochain, la mise en place, hors de France, d’une entité de nearshoring. Aujourd’hui, je fais développer en France les produits que l’on commercialise ; c’est la mission de GSX France. Mais je pourrais les faire développer en Inde. En effet, même si je n’ai pas envie, je me dis que je vais peut-être devoir me protéger et partir d’un pays où ce genre de mésaventure peut arriver. Les coûts ne sont pas en cause, mais si cela devait se reproduire, je n’aurais plus qu’à fermer l’entreprise.

Je suis fier de mon équipe d’ingénieurs en France, et je ne veux pas les traiter comme des chiffres sur une feuille de papier. Nous avons donné beaucoup de responsabilités à des jeunes parce qu’ils en avaient la capacité. Les produits qu’ils développent sont remarquables. Mais regardez ce qui m’est arrivé : j’ai été à deux doigts de la mort. La situation n’est donc pas facile.

Vous vous êtes interrogée sur les intentions des autres entrepreneurs que je connais. Ceux-ci ne sont pas venus en Suisse pour jouer au golf, mais pour pouvoir redémarrer quelque chose. Et il est clair qu’ils ne le feront pas en France.

Mme Claudine Schmid, présidente. Nous allons sortir de votre cadre personnel. D’une part, quelle est votre appréciation sur l’environnement juridique, fiscal, économique de la Suisse ? D’autre part, quelle est votre appréciation sur l’attractivité de la France et son évolution au cours de la dernière décennie ?

M. Antoine Leboyer. Je crois que votre commission d’enquête a déjà entendu de nombreuses personnes. Dans les autres pays où nous sommes installés – États-Unis, Suisse, Angleterre et surtout en Asie – les procédures administratives sont infiniment plus simples qu’en France, que ce soit au niveau du droit du travail ou du reporting demandé.

Je voudrais préciser qu’aux États-Unis, notre filiale a eu droit à un sales tax audit, et qu’en Suisse, j’ai eu droit à un audit de TVA et sur l’AVS. Je sais donc ce que c’est que de faire l’objet d’un contrôle fiscal dans ces pays-là : les services nous ont envoyé la liste des documents qu’ils souhaitaient ; les personnes qui se sont déplacées connaissaient très bien la technicité des domaines sur lesquels elles sont intervenues, et elles sont reparties au bout de deux jours.

Je ne peux pas vous dire si, en France, la situation s’est dégradée dans les dernières années. Mais il est clair que lorsque l’on voit ce qui se passe dans d’autres pays, on n’est plus à même d’accepter ce qui peut se passer en France. Et n’oubliez pas qu’aujourd’hui, les marchés et les clients sont internationaux, que la compétitivité d’un pays passe aussi par la compétitivité de ses structures administratives et l’efficacité de son contrôle fiscal.

M. Jean-Marie Tetart. Pensez-vous avoir été victime d’un mauvais échantillon, s’agissant des intervenants qui se sont penchés sur votre situation ? Pensez-vous plutôt avoir été victime de l’inadéquation des formations des services fiscaux et de leur organisation ? En un mot, votre exemple vaut-il généralité ?

M. Antoine Leboyer. J’ai juré de dire la vérité, toute la vérité, et je n’ai donc aucun avis sur ce sujet. Je ne peux parler que de mon cas.

Il faudrait que vous demandiez à ceux qui s’occupent du contrôle fiscal s’ils ont des grilles de compétences. Tout ce que je peux vous dire, c’est que les dernières équipes que j’ai rencontrées à Bercy me semblaient avoir la capacité à comprendre ce que je faisais. Je ne réalise pas l’effort que représente le fait de rouvrir un dossier qui a fait l’objet de tant de signatures et j’oserais dire, d’acharnement. Je ne suis pas sûr, malheureusement, que la personne que j’ai eue en face de moi m’ait consacré tout son temps. Mais elle m’a semblé compétente.

Je ne peux pas, hélas, dire la même chose de mes interlocuteurs à Nice ou à Marseille. Ils ne me semblent pas avoir la technicité fiscale nécessaire, ni savoir ce qu’est une entreprise, ou même ce que c’est que la comptabilité.

M. Jean-Marie Tetart. Vous échangez avec d’autres chefs d’entreprises, de patrons de PME, en Suisse ou ailleurs. Que pensent-ils de l’organisation des contrôles fiscaux dans notre pays ?

M. Antoine Leboyer. La dizaine d’amis avec lesquels je discute pensent que j’ai vraiment tiré le mauvais numéro. Mais nous avons tous eu une expérience qui nous a pris un temps considérable, avec l’impression que nous ne pouvions plus nous consacrer à nos affaires. Nous nous sentions méprisés par les équipes que nous avions en face de nous – à l’exception de la deuxième équipe que j’ai rencontrée à Bercy. Nous avons tous eu le sentiment que nos interlocuteurs ne connaissaient pas le mode de fonctionnement d’une entreprise, ni les règles élémentaires de gestion, et faisaient des analyses à charge plutôt que des analyses de fond. Enfin, la durée des contrôles fiscaux nous a semblé particulièrement exagérée.

N’oubliez pas que votre commission porte sur l’exil des forces vives hors de France. Or, durant la période où elles ont justement la capacité à déployer des forces vives, ces personnes ont mieux à faire que de perdre la moitié de leur temps en expliquant, par exemple, à un contrôleur fiscal que dans l’informatique, il n’y a pas de patrimoine immobilier.

Voilà pourquoi, un mois après le contrôle fiscal, ces entrepreneurs se sont installés à Genève. Ils n’y sont pas allés parce que le chocolat est bon ou parce que l’on y paie moins d’impôts, ce qui est d’ailleurs complètement faux, mais parce qu’ils veulent continuer à travailler et à développer des entreprises sans passer leur temps à répondre à des gens qui n’y comprennent rien. Je les comprends.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je voudrais vous interroger sur la mobilité internationale. Est-ce un passage obligé dans une carrière professionnelle ? Une entreprise peut-elle se développer entièrement en France ?

M. Antoine Leboyer. Vous avez évoqué la question avec des directeurs d’université. Vous l’avez fait avec M. Julien Roitman, président des Ingénieurs et scientifiques de France, qui m’a fait l’amitié d’être administrateur indépendant de mon entreprise. J’ai trouvé que ses remarques étaient très justes : aujourd’hui, les entreprises sont internationales, les concurrents sont internationaux. Si l’on veut se développer, il faut aller sur des marchés difficiles à appréhender, et l’expérience que des jeunes peuvent acquérir en se déplaçant à l’étranger bénéficie, à terme, aux entreprises.

Je vais vous donner un exemple : nous avons engagé un stagiaire d’une petite école de Grenoble, qui s’est avéré extrêmement dynamique. Au bout de quelque temps, il nous a dit qu’il voulait aller en Chine. Nous lui avons donné la responsabilité d’ouvrir le bureau qui couvre maintenant l’Asie. Deux ans après son diplôme, il a acquis une expérience personnelle et professionnelle probablement équivalente à celle qu’il aurait eue en restant en France pendant quinze ans.

Encore une fois, en France, sauf exception, les marchés et les concurrents sont internationaux. La France représente environ 4 % du PIB mondial : il faut donc aller là où sont les autres 96 %. Vous avez tous les talents. Je vous ai dit tout ce que je pense que vous devriez faire. Mais c’est à vous de faire en sorte de les faire revenir.

Mme Claudine Schmid, présidente. Merci pour votre intervention.

M. Antoine Leboyer. Merci encore de m’avoir fait venir. Je ne peux que vous encourager à étudier des cas concrets de dirigeants d’entreprises de 40 personnes, et à ne pas limiter vos auditions à des fiscalistes, des directeurs d’établissements ou des dirigeants de grands groupes, aussi prestigieux soient-ils.

L’audition prend fin à seize heures cinquante.

*

* *

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mardi 8 juillet 2014 à 15 h 30

Présents. - M. Christian Franqueville, Mme Monique Rabin, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Luc Chatel, M. Yann Galut, M. Marc Goua

——fpfp——