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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Jeudi 10 juillet 2014

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 25

Vice-Président

–  – Audition, ouverte à la presse, de M. Alban Schmutz, Senior vice-président de OVH. com group

–  Présences en réunion

Présidence
de Mme Claudine Schmid,

L’audition débute à neuf heures dix.

Mme Claudine Schmid, présidente. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui M. Alban Schmutz, Senior vice-président du développement et des affaires publiques de la société OVH. com, laquelle est aujourd’hui le troisième hébergeur internet mondial, et le premier hébergeur internet en Europe.

Monsieur Schmutz, votre société est installée en France, à Roubaix, mais compte plusieurs implantations dans le monde. Outre le phénomène de l’expatriation de nos concitoyens, l’objet de cette commission d’enquête est de s’interroger sur l’attractivité ou la compétitivité de notre pays, notamment au travers des délocalisations et relocalisations des entreprises ou d’un phénomène plus subreptice, à savoir le transfert vers l’étranger des centres de décision de nos entreprises, de certaines de leurs divisions opérationnelles ou de certains de leurs cadres dirigeants. L’activité d’OVH. com et sa forte dimension internationale, ainsi que votre parcours professionnel font de vous un témoin précieux susceptible d’éclairer vos travaux.

Mais avant de vous entendre, il me revient de vous préciser que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire « Je le jure ».

(M. Alban Schmutz prête serment.)

M. Alban Schmutz. Je vous remercie de m’avoir convié à venir donner le point de vue d’une entreprise comme OVH. com, qui exerce sur le territoire français.

OVH. com est le premier hébergeur de sites web en Europe – un site sur 6 en Europe et un sur 3 en France. C’est une entreprise de taille intermédiaire (ETI) qui exerce son activité à partir de son siège de Roubaix. Elle a été créée en France et l’essentiel de ses salariés y travaillent. Elle a connu une croissance assez rapide : il y a cinq ans, elle employait moins de 100 personnes ; elle en emploie aujourd’hui à peu près 750 et l’effectif devrait atteindre 1 000 salariés à la fin de l’année. Nous sommes présents dans seize pays, ce qui donne à notre groupe une forte dimension internationale. Malgré tout, l’essentiel de nos effectifs – 450 à 500 personnes – se trouve sur le territoire national.

Notre problématique de recrutement rejoint celle de la présente commission d’enquête. Doit-on embaucher sur le territoire national, ou potentiellement ailleurs, les 300 personnes qui nous rejoignent chaque année ?

Il me semble important de préciser que notre recherche et développement est essentiellement située en France, mais également en Pologne et au Canada. Le choix de la Pologne n’est pas lié à des considérations financières. Il se trouve seulement que OVH a été créée par une famille d’origine polonaise installée dans le nord de la France au début du XXème siècle. Pendant la guerre froide, elle est revenue en Pologne, en est ressortie après la chute du Mur et s’est réinstallée dans notre pays. Il s’agit donc d’une famille française et polonaise, ce qui explique des liens forts avec la Pologne.

Mais venons-en au sujet de cette commission d’enquête. Faut-il se réjouir que des Français aillent à l’étranger ? De mon point de vue d’entrepreneur qui a créé des entreprises pendant quinze ans et en tant que représentant d’OVH, je pense que c’est une excellente chose. Notre société, en se déployant à l’international, crée des emplois en France : notre R & D est localisée essentiellement en France, nous avons des data centers, des supports et de l’ingénierie en France. Comme vous le disiez en introduction, nous sommes le premier hébergeur européen. Il est donc possible de devenir le premier hébergeur européen en opérant à partir de la France. Cela n’exclut pas que, demain, nous installions des infrastructures informatiques en Allemagne, en Angleterre ou dans un autre pays. Mais cela veut dire que l’on peut développer une entreprise à partir du territoire national.

Pour nous, la question n’est pas de savoir s’il est bon que des Français partent à l’étranger, dans la mesure où c’est le moyen de créer, par ricochet, des emplois en France. La question est ailleurs. Pour l’illustrer, je vais vous raconter un épisode de la vie d’OVH.

Son fondateur, M. Octave Klaba, a voulu partir au Canada pour s’y installer et développer des opérations en Amérique du Nord, le marché nord-américain étant, en valeur, le premier marché mondial de notre industrie. Mais en tant qu’entrepreneur et actionnaire, il a été soumis à l’époque à l’exit tax. On lui demanda donc de payer une taxe pour sortir, alors même qu’il allait développer son entreprise et créer, par voie de conséquence, des emplois sur le territoire national et qu’il n’avait pas les liquidités nécessaires pour le faire, puisque son seul patrimoine était celui de l’entreprise. L’exit tax peut amener un entrepreneur à vendre une partie de son entreprise pour financer son départ, destiné, précisément, à développer cette entreprise. C’est ubuesque ! Heureusement, OVH a obtenu la caution des banques qui la finançaient. On peut comprendre que l’on veuille faire payer les gens avant qu’ils ne quittent le territoire, mais dans une logique entrepreneuriale, c’est un non-sens.

La question est donc plutôt de favoriser le développement à l’international des sociétés françaises. Sinon, et je reprends cet exemple, celui qui voudra aller développer son entreprise hors de France la créera directement là-bas pour ne pas avoir de problème. Et nous n’y gagnerons pas, bien au contraire.

Par ailleurs, partir à la conquête des marchés étrangers peut être un vrai choix positif. Mais ce peut être aussi un choix subi.

Premièrement, et la représentation nationale doit le comprendre, nous avons besoin que le marché national et le marché européen soient suffisamment dynamiques pour permettre aux entrepreneurs de se développer – et de créer de l’emploi en France, etc. Sinon, les entrepreneurs iront ailleurs. Prenons comme exemple le domaine du traitement des données personnelles hébergées dans le cloud. L’important, pour le citoyen, est de pouvoir accéder à ces données quand il en a besoin. Si la législation nationale ou européenne est très protectrice, mais aussi trop restrictive, elle ne permettra pas à des entreprises de développer sur le territoire ce type de services, qui apportent de la valeur ajoutée. Mais d’autres législations permettent de développer plus facilement des services de ce type. Le citoyen y mettra spontanément et volontairement ses données – sans bénéficier, en fin de compte, d’une vraie protection. D’où cette question de fond : comment faire pour rendre effective, et la valeur ajoutée économique et la protection des individus ? Quoi qu’il en soit, les entrepreneurs risquent d’aller ailleurs, ce qui sera dommageable pour le territoire national.

Deuxièmement, pourquoi opérer en France alors que l’on peut opérer à l’étranger où les conditions de concurrence ne sont pas les mêmes ? Nos data centers sont en France, où nous payons nos impôts. Nous sommes donc soumis à l’impôt sur les sociétés, dont le taux est d’à peu près 34 %. Nos compétiteurs, qui opèrent des services à partir d’Irlande ou d’autres pays, sont imposés à des taux différents. Si, à la fin de l’année, une société paie 100 millions d’euros d’impôts de plus que son concurrent, l’année d’après, elle investira 100 millions d’euros de moins que lui, et créera donc moins de valeur ajoutée. D’où une vraie distorsion de concurrence. Cela se traduira également par de moindres rentrées pour l’État qui ne pourra pas, éventuellement, réinvestir une partie de cet argent pour développer l’économie et le tissu entrepreneurial local. Comment faire ? Nous avons formulé un certain nombre de propositions dans le cadre du plan cloud sur la Nouvelle France industrielle, pour tenter de limiter ce type d’effets et faire que nos compétiteurs viennent s’installer sur le territoire national pour y jouer avec les mêmes règles que nous.

Il faut donc que le marché existe en France, et que les entrepreneurs puissent avoir des conditions de concurrence équivalentes à leurs compétiteurs internationaux. Il n’est pas difficile de créer des entreprises en France. La difficulté, c’est de les y développer. Il faut donc créer des conditions favorables à ce développement.

Aujourd’hui, le crédit d’impôt recherche (CIR) est un outil formidable mis au service des PME et des entreprises de taille intermédiaire. OVH n’y a pas eu recours jusqu’à présent, en raison de la lourdeur de la procédure – ce qui prouve que l’on peut créer et développer une entreprise en France sans le CIR. Pour autant, c’est un moyen de dynamiser le tissu national.

Par ailleurs, nos écoles d’ingénieurs et nos universités forment des gens compétents, au point que OVH, pourtant implanté dans seize pays européens, en Amérique du Nord et en Afrique, n’a aucunement l’intention d’installer ses centres de R & D ailleurs qu’en France. Bien sûr, cela ne nous dispense pas de veiller à la qualité du recrutement.

Mais la situation a changé depuis quinze ou vingt ans. Il ne s’agit plus de se demander s’il est bien que des Français partent, ou non, à l’étranger. Aujourd’hui, dans les écoles de commerce, d’ingénieurs, etc. partir à l’étranger fait partie du cursus et cela ne pose plus de problèmes à qui que ce soit. Il s’agit de faire venir en France des cadres, des chercheurs étrangers, qui s’installeront sur le territoire national et y créeront de la valeur ajoutée. Or les conditions que j’ai citées préalablement restent valables. Si le marché n’est pas attractif, si le secteur public qui représente une masse colossale des investissements en France ne s’intéresse pas suffisamment à tel ou tel domaine, personne ne viendra en France capter le marché. Nous devons décider d’aller vite, de dynamiser le marché et d’accueillir avec le sourire ceux qui viennent vers nous – ce qui n’est pas toujours le cas, notamment à Paris. C’est vraiment très important, et nous devons y travailler tous ensemble. Cela relève de notre responsabilité collective.

Mme Catherine Schmid, présidente. Merci, monsieur Schmutz. J’aimerais revenir sur les questions fiscales. Il me semble que le problème majeur n’est pas le taux de la fiscalité, mais les différences de taux qui créent une distorsion avec nos concurrents étrangers. Seriez-vous favorable à une harmonisation de la fiscalité en Europe ? Préféreriez-vous que la France conserve son taux d’imposition mais aide certaines entreprises à se développer, quitte à récupérer l’impôt à un autre moment de leur vie ? Selon vous, l’exit tax pénalise les entreprises qui envisagent de se développer à l’étranger. Comment faire, d’après vous ?

M. Alban Schmutz. La question est complexe. Dans l’idéal, et c’est ma conviction personnelle, pour ne pas avoir de distorsions de concurrence, il faudrait un même cadre fiscal pour tous. Mais je sais que c’est très compliqué, en raison du système d’imposition français, de l’existence de conventions fiscales bilatérales avec les autres pays et de la nécessité de mener des négociations multilatérales au niveau de l’OCDE.

En attendant, il faut activer tous les leviers pour sortir de certaines situations. Le monde a changé. Dans l’industrie des nouvelles technologies, par exemple, il n’y a plus de barrières. Il conviendrait de mettre en place des mécanismes permettant de taxer les opérations sur la base du lieu où se trouvent les gens qui en bénéficient. Aujourd’hui la taxation se fait sur la base du lieu d’opération, en France, en Irlande, au Luxembourg ou aux États-Unis. Or la taxation devrait être la même, que l’on opère à partir de la France ou d’un autre pays. Ce n’est pas le cas, ce qui crée une distorsion de concurrence.

Au fond, il m’est un peu égal de savoir si les conditions sont les mêmes dans tous les pays européens – bien que ce soit pour moi l’idéal. Mais il faudrait que, sur chaque lieu où l’on va chercher des clients, où l’on apporte de la valeur ajoutée, tout le monde joue avec les mêmes cartes. C’est à ce problème de fond qu’il faut répondre. La taxation et le crédit d’impôt ne sont que des éléments palliatifs.

Mme Claudine Schmid, présidente. Lors d’auditions précédentes, on nous a dit que des jeunes quittaient la France parce qu’il était difficile de créer leur entreprise dans notre pays, et notamment d’y trouver des fonds. De votre côté, vous nous avez dit que créer une entreprise ne posait pas de problème en France. Avez-vous l’impression que certains jeunes partent à l’étranger parce qu’il est plus facile d’y créer une start-up ou, plus généralement, une entreprise ?

M. Alban Schmutz. Clairement oui. Il m’arrive même de conseiller à certains de partir à l’étranger, parce que, compte tenu de ce qu’ils veulent faire, ils ne peuvent pas réussir en France.

Je vais vous en donner un exemple : une société, dont je connais bien les fondateurs, s’est développée en France, au bord du périphérique, du côté de la porte d’Italie. Pendant trois ans, elle a cumulé à peu près 20 000 euros de chiffres d’affaires, malgré une technologie très intéressante. De nombreuses personnes du secteur public, qui s’étaient déclaré très intéressées, leur ont fait perdre énormément de temps. Ils ont fini par partir à San Francisco. Et ils ont eu raison parce que, aujourd’hui, c’est l’une des sociétés les plus en vue dans le monde dans le domaine des nouvelles technologies. On pense que c’est une société américaine, mais c’est simplement une société qui n’a pas réussi à se développer en France. Il faut dire qu’aux États-Unis, en trois ou quatre semaines, ces entrepreneurs ont levé un million de dollars et en six mois, ils en ont levé dix.

Cette société, dont la technologie va sans doute modifier le fonctionnement de l’industrie du cloud computing, se développe aux États-Unis parce que ses fondateurs n’ont pu trouver de fonds en France, dans la mesure où il n’y avait pas de marché sur place : nous sommes trop frileux. Cela signifie qu’il faut mettre tout le monde en mouvement : entreprises privées, PME, ETI et secteur public. Celui-ci joue en effet un rôle de premier plan en raison, notamment, de son poids dans l’économie.

En France, nous disposons d’assez nombreux leviers de financement – par exemple, des fonds d’amorçage – à l’intention des entreprises. On crée beaucoup d’entreprises, mais beaucoup meurent. Mieux vaudrait en créer moins, mais qu’elles soient viables, se développent et soient capables de vendre à l’étranger, etc. Ce n’est pas tant sur la création que l’on manque de fonds, que sur le capital développement. On trouve plus facilement et plus rapidement plusieurs millions ou plusieurs dizaines de millions d’euros de l’autre côté de l’Atlantique qu’en France. Voilà pourquoi, effectivement, certains entrepreneurs partent. D’autres gardent leur R & D en France parce qu’elle y est de grande qualité, mais préfèrent développer ailleurs leur activité commerciale.

Malgré nos atouts, nous ne sommes pas bons en ce domaine. Et ce n’est pas tant une question de montants que de mentalité.

Mme Claudine Schmid, présidente. Quelles propositions concrètes feriez-vous pour favoriser l’attractivité de la France ?

M. Alban Schmutz. Premièrement, il faut que l’on ait une vraie politique de facilitation de l’installation de cadres internationaux en France. Venir à Paris, c’est sympathique, mais cela ne suffit pas. Il faut y trouver les bonnes conditions, du dynamisme, et pas de contraintes administratives. Nous avons besoin de mener une réflexion sur l’attractivité de la France pour les cadres et les entrepreneurs internationaux. La France a des atouts, mais elle doit les valoriser.

Deuxièmement, la France a une image internationale assez fluctuante. Alors que j’étais à l’étranger il y a quelques années, j’ai vu à la télévision des images de manifestations qui avaient lieu alors en France, et j’ai cru que le pays était en guerre, alors que je venais de le quitter ! Nous devons vraiment travailler sur notre image. Nous avons aussi besoin d’un cadre social apaisé, ce qui suppose que nous soyons dans la « co-construction collective ». Or ce n’est pas dans notre culture. Il faudra nous y mettre. Ce n’est pas une proposition très concrète, mais tout le monde doit en prendre conscience. Sinon, la seule attractivité de la France tiendra aux beautés de ses paysages. Mais je ne pense pas que notre destin soit de devenir le « Disneyland du monde ».

Troisièmement, il faut développer la formation liée à l’entrepreneuriat et aux langues.

Dans le premier cas, c’est une question culturelle : il faut avoir le goût du risque. Notre monde évolue très vite. La feuille de route de la plupart des entreprises porte sur trois ou cinq ans. Dans une société comme OVH, elle se limite à trois semaines ou à trois mois. Même si nous avons des idées, nous ne savons pas ce qui va se passer au-delà, ni ce que vont faire nos compétiteurs. Aujourd’hui, la principale force d’une entreprise réside dans sa capacité d’adaptation rapide. La peur de l’inconnu est un frein. Il faut donc développer cette capacité d’adaptation à tous les niveaux, sans attendre le module de formation à l’entreprenariat en dernière année d’école d’ingénieurs, de commerce ou en master 2 à l’université. Cela n’aurait pas de sens.

Dans le deuxième cas, les langues font partie des conditions d’adaptation. Si on n’est pas capable de parler avec ses interlocuteurs quels qu’ils soient, cela crée une distance et on a davantage peur du changement. Il vaut mieux être dans le mouvement et à l’origine du changement plutôt que de le subir.

Pour moi, ce sont trois éléments de fond. Mais on peut parler également parler de façon plus concrète. C’est ainsi que dans le cadre du plan cloud, nous avons défini dix axes de propositions.

J’ai entendu ce matin qu’il fallait trouver 18 milliards d’euros d’économies budgétaires. Dans le cadre de ce plan, nous avons indiqué comment faire pour être plus efficaces et économiser 3,5 milliards d’euros par an. Nous attendons maintenant que l’État s’implique dans la déclinaison de chacune des mesures opérationnelles. Elles ne sont pas toutes très compliquées à mettre en place, mais il faut faire vite. Le temps que l’on perd maintenant ne se rattrapera pas.

S’agissant de la fiscalité, une collectivité territoriale qui investit récupère la TVA. Si elle utilise un service dans le cloud, elle ne le récupère pas. C’est un frein au développement de l’industrie française du cloud, parce qu’il y a une distorsion de concurrence à l’intérieur même de la sphère publique.

S’agissant du traitement des données personnelles, si le secteur public préfère que ses données soient traitées sur le territoire national et passe des commandes pour moderniser son infrastructure et apporter davantage de services aux citoyens, non seulement il économise 3,5 milliards d’euros, mais il met le marché en mouvement Une entreprise réagit rationnellement. S’il y a un marché à prendre, elle vient. Une grande entreprise internationale, peut-être même un compétiteur d’OVH, viendra s’installer en France pour capter ce marché. Eh bien, tant mieux. Cela signifie que cette entreprise, parce qu’elle sera installée en France, aura un établissement stable et donc une base fiscale taxable, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ainsi, en mettant en mouvement le marché dans le sens direct des intérêts de l’État – économiser de l’argent et offrir davantage de services aux citoyens – on participe à la résolution des problèmes de distorsion de concurrence qui existent dans notre industrie. Tout le monde y gagne.

Au mois de janvier, nous avons remis des propositions concrètes à M. Montebourg. Nous attendons leur traduction. En tant qu’acteurs de l’industrie, nous sommes prêts à faire notre part du travail. Nous mettons en musique l’ensemble de l’écosystème industriel dans le domaine du cloud computing. Il n’empêche que les administrations centrales, les collectivités territoriales et l’ensemble du secteur public de santé et hospitalier ont aussi un rôle à jouer.

De nombreuses mesures concrètes, opérationnelles, peuvent favoriser l’installation d’activités économiques en France, valoriser le territoire économique, renforcer les acteurs français sur ce territoire, leur donner la capacité d’être plus forts chez eux, donc de mieux exporter et de créer davantage de valeur ajoutée dans notre pays. Il faut rentrer dans un cercle vertueux et créer une dynamique sur laquelle on doit pouvoir jouer collectivement.

Mme Claudine Schmid, présidente. Dans des auditions précédentes, nos interlocuteurs nous ont parlé de la lourdeur administrative, et du temps administratif qui ne correspond pas à celui des entreprises. Pour vous, est-ce une véritable difficulté susceptible d’entraver la marche des entreprises, ou est-ce que cela fait partie de leur quotidien ?

M. Alban Schmutz. La lourdeur administrative n’est pas l’élément principal qui fait qu’une entreprise marche ou ne marche pas. Il faut d’abord être bon sur le marché. Après, cela dépend des structures des entreprises. Une entreprise comme OVH, qui va dépasser les 1 000 salariés d’ici à la fin de l’année, a une organisation administrative qui lui permet d’encaisser cette lourdeur. Dans une entreprise de 10 salariés, pendant que l’entrepreneur fait de la paperasse, 10 % de l’entreprise au moins ne travaille pas. C’est mathématique ! Et pendant qu’il cherche à régler certains problèmes opérationnels, il ne crée pas de valeur.

Il y a évidemment des améliorations à apporter. Il est nécessaire de dématérialiser. Il faut que l’administration se mette au rythme de la vie réelle des entreprises. Celles-ci ont besoin d’un interlocuteur qui les connaisse et qui ne soit pas là pour les sanctionner mais pour les aider. Je ne parle pas seulement des contrôles fiscaux, mais du soutien qu’elle peut leur accorder en leur expliquant ce qu’elles ont à faire, ou ce qu’elles auraient dû faire.

Je vais faire un parallèle avec la vie de l’entreprise. Aujourd’hui, OVH a décidé de faire évoluer la fonction de support clients – les clients appellent quand ils ne peuvent accéder à un support – en une fonction de customer advocate – nous sommes là pour les aider et nous devons nous débrouiller pour y parvenir. Il serait très important de faire la même chose dans l’administration : être là pour aider les entreprises et pas uniquement pour voir ce qui ne va pas.

Tout à l’heure, nous avons parlé du CIR. De nombreuses personnes m’ont dit qu’à partir du moment où elles en avaient déclaré, elles avaient fait l’objet d’un contrôle. Je ne sais pas si c’est une réalité ou si ce n’est qu’une perception. Il n’empêche que ces personnes pensent que si elles rentrent dans un nouveau dispositif, elles seront contrôlées. Et ce n’est pas le contrôle lui-même qui pose problème, dans la mesure où à peu près tout le monde essaie de faire correctement son travail, c’est le fait qu’il n’est pas toujours facile de répondre aux questions posées. Je considère, pour ma part, que ce n’est pas le rôle de l’entrepreneur de comprendre toutes les questions dans le détail – pas plus que ce n’est celui du citoyen. Il faut expliquer à l’intéressé de quoi il s’agit, et faire en sorte de simplifier le vocabulaire administratif.

Je ne remets pas en cause le principe du contrôle, mais il faut que les procédures soient logiques et que l’on avance en terrain connu. Il faut éviter que ceux qui entrent dans de nouveaux dispositifs soient systématiquement contrôlés alors qu’on leur avait annoncé le contraire, ou que l’administration interprète les règles différemment de ce que les politiques ou les médias avaient annoncé. Finalement, le chef d’entreprise consacre beaucoup de temps au contrôle, pendant lequel il ne développe pas ses produits et perd en compétitivité.

Le temps perdu à cause d’un contrôle amène certains à s’interrogent sur l’intérêt d’entrer dans certains dispositifs. Il m’arrive même de le déconseiller : le dispositif est peut-être adapté, mais personne n’est sûr de la manière dont les textes seront interprétés. Il n’y a aucune sécurité juridique et l’entreprise risque d’y perdre du temps. Une société assez importante peut l’encaisser, mais pas une petite société. C’est là-dessus qu’il faut travailler. Quand on pose un nouveau cadre, il doit être pérenne sur plusieurs années, on doit savoir que tel ou tel point sera apprécié de telle ou telle manière, et que l’on ne reviendra pas en arrière. Il en va parfois de la vie des entreprises.

Mme Claudine Schmid, présidente. Le code du travail est-il un problème ou non ?

M. Alban Schmutz. Aujourd’hui, OVH cherche à recruter et n’a pas de problème d’embauche. Il n’empêche qu’il faut trouver les bonnes personnes, que cela prend du temps et que c’est coûteux. Dans certaines entreprises, les conditions de sortie étant compliquées et potentiellement très coûteuses, l’entrée s’en trouve limitée. À titre personnel, je pense qu’il faudrait fluidifier l’entrée comme la sortie dans les entreprises. Cela ne veut pas dire casser le code du travail ni mettre fin aux CDI, mais permettre à celles-ci de s’adapter. J’en reviens à ce que je disais tout à l’heure sur la capacité d’adaptation, qui permet de ne plus avoir peur de l’inconnu. Mais c’est aussi une question de culture. Il n’est pas possible de changer le code du travail tout de suite sans que les gens aient été préparés. Pour autant, il convient de s’en préoccuper sans attendre.

Mme Claudine Schmid, présidente. Je vous remercie.

L’audition se termine à neuf heures cinquante cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du jeudi 10 juillet 2014 à 9 h 15

Présent. - Mme Claudine Schmid

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Luc Chatel, Mme Monique Rabin

——fpfp——