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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mercredi 16 juillet 2014

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 27

Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Vaissié, président d’International SOS, groupe dirigé depuis Londres, Singapour et Paris, et président des Chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (CCI France International)

–  Présences en réunion

Présidence
de M. Luc Chatel,

L’audition commence à dix-sept heures vingt.

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui M. Arnaud Vaissié. En tant que fondateur et président d’International SOS, groupe dirigé depuis Londres, Singapour et Paris, et en tant que président des Chambres de commerce et d’industries françaises à l’international, il connaît bien les questions liées à l’expatriation et pourra nous parler de l’exil de nos forces vives.

Monsieur le président, nous avons évoqué ce matin le phénomène de l’exil fiscal avec le directeur général des finances publiques. Nous aimerions nous entretenir avec vous de la délocalisation des centres de décision et du départ à l’étranger des dirigeants de groupes internationaux, de PME ou des créateurs d’entreprises. Quitter notre territoire pour conquérir le monde est bénéfique, mais devient préoccupant lorsque ce départ est subi et contraint.

Avant de vous donner la parole, et en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, vous devez prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Arnaud Vaissié prête serment.)

M. Arnaud Vaissié, président d’International SOS et de CCI France International. Monsieur le président, mesdames et messieurs, je suis heureux de participer aux travaux de votre commission d’enquête et vous remercie de votre invitation.

J’ai passé en effet plus de vingt-cinq ans à l’étranger : d’abord aux États-Unis, en travaillant pour le compte d’un groupe français puis d’un groupe allemand, ensuite en créant mon propre groupe International SOS, à Singapour, en 1985. Ce dernier est devenu aujourd’hui le leader mondial de l’assistance médicale et de la sécurité. Je suis resté trois ans aux États-Unis, puis treize à Singapour et dix en Grande-Bretagne, avant de revenir en France il y a quatre ans. Mais je continue à travailler, au moins la moitié de mon temps, à l’étranger, surtout en Grande-Bretagne.

Je me suis beaucoup investi dans les activités françaises à l’étranger : l’Alliance française que je dirigeais à Singapour, j’ai été conseiller du commerce extérieur de la France, et j’ai présidé la chambre de commerce et d’industrie française de Londres. Je dirige maintenant le réseau des Chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger. Il s’agit d’un réseau de 113 chambres de commerce, implanté dans 83 pays, extrêmement influent dans le monde, avec 32 000 entreprises adhérentes, dont la moitié est française et l’autre moitié locale. Sa vocation est de représenter les intérêts économiques français à l’étranger et d’aider les PME à l’exportation. C’est un excellent poste d’observation de ce qui se passe à l’étranger, et en particulier en Grande-Bretagne, où j’ai dirigé la chambre de commerce pendant six ans.

Par ailleurs, les écoles y sont maintenant sous la responsabilité de la chambre de commerce, qui en nomme le président et c’est moi-même, en tant que représentant de la chambre de commerce française, qui dirige le collège français bilingue ainsi que le nouveau lycée qui va s’ouvrir à Londres. Les écoles sont un point de focalisation et de passage
– souvent obligé – pour tous les Français qui bougent.

Mais venons-en à International SOS, dont le métier est de gérer la santé et la sécurité pour les multinationales et les gouvernements en dehors des pays d’origine. Notre plus grand client est le département de la défense américain, pour lequel nous gérons la santé de tous les soldats américains dans le monde. En France, nous gérons la santé et la sécurité de 80 % des groupes du CAC 40. Nous sommes présents nous-mêmes dans 75 pays.

Ce groupe, avec 11 000 cadres, emploie un millier de Français, répartis entre notre filiale française et le reste du monde. Le personnel du groupe est composé pour moitié de médecins, et pour moitié de cadres sortis de grandes écoles ou universités du monde entier. Nous réalisons chaque année une dizaine de milliers d’entretiens d’embauche avec des Français.

D’un autre côté, nous avons constaté que nos chambres étaient de plus en plus souvent sollicitées par des jeunes, mais aussi par des seniors, qualifiés et non qualifiés, qui venaient frapper à nos portes pour trouver un travail. Si le nombre de ces personnes a augmenté considérablement, c’est parce qu’elles ont le sentiment que le marché du travail à l’étranger, en Europe – en particulier en Europe du Nord – est infiniment plus favorable que le marché du travail en France. Nous essayons de répondre le mieux possible à cette demande, au travers des services de recrutement que les chambres de commerce ont mis en place dans 48 pays – d’ailleurs souvent en délégation de service public de l’État français et des services consulaires du ministère des Affaires étrangères.

Par tradition, la population française est beaucoup moins ouverte à l’étranger que, par exemple, la population britannique. Pendant très longtemps, les Français n’aimaient pas partir à l’international, non seulement parce que le mode de vie est plus agréable en France, mais aussi par manque de connaissance de l’étranger, en raison d’une vraie crispation vis-à-vis de la mondialisation et d’une insuffisante maîtrise de l’anglais. Cette dernière semble d’ailleurs perdurer. Il ressort en effet d’une enquête publiée en décembre 2013 par le journal Le Monde que nous soyons les derniers de tous les pays européens en ce domaine, et même que notre niveau d’anglais baisse d’année en année.

Malgré tout, la situation change, du fait de la globalisation et de l’accroissement des échanges. Le monde s’internationalise et partout, les gens sont de plus nombreux à sortir de leur pays d’origine, ce qui est une bonne chose. On note en France une augmentation régulière d’environ 2 % par an. Aujourd’hui, il y a 2,5 millions de Français à l’étranger
– 1,6 million d’immatriculés, et environ 900 000 de non immatriculés. En Grande-Bretagne, il y aurait au moins 350 000 Français – dont un peu moins de la moitié sont immatriculés.

Ces départs étaient jusqu’à présent motivés par des raisons professionnelles et d’éducation. Maintenant, ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, si l’on y trouve du travail, il est plus facile de s’installer à Londres qu’à Lyon – il y a moins de papiers à remplir. Il n’y a plus aucun barrage à la mobilité. C’est ce que nous avons tous voulu, à travers l’Union européenne. Mais ce qui est préoccupant, c’est que cette expatriation touche maintenant toutes les tranches d’âge et toutes les catégories socioprofessionnelles. Historiquement, les expatriés étaient des cadres d’entreprise ou des fonctionnaires envoyés à l’étranger. Ce sont maintenant surtout des gens qui sont venus trouver un emploi local à l’étranger. À Londres, les Français qui travaillent pour des entreprises françaises constituent aujourd’hui une petite minorité.

Parmi les Français qui s’installent à l’étranger, toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées, depuis les non qualifiés qui ne trouvent pas de travail en France – en partie en raison de la concurrence des personnes qualifiées et du haut niveau du SMIC – jusqu’aux cadres dirigeants de grands groupes. De plus en plus souvent, les membres des comités exécutifs de grands groupes français ne rentrent plus en France – en partie pour des raisons fiscales. Cela a un aspect positif pour les groupes, qui sont de plus en plus internationaux, mais un aspect négatif pour notre pays, qui n’est plus leur centre d’intérêt. À partir du moment où l’on ne vit pas en France, on a tendance à privilégier les investissements dans les pays où les conditions d’investissement sont les meilleures ; or aujourd’hui, la France n’est clairement pas la mieux placée de ce point de vue. Si le centre des décisions n’est plus à Paris ou en France, la probabilité que les décisions se fassent en faveur de la France diminue. Et ce risque est réel.

Il en est de même parmi nos jeunes. Dans 23 % des cas, le premier emploi occupé par les diplômés d’écoles de commerce membres de la Conférence des grandes écoles est basé à l’étranger – soit une accélération extraordinairement rapide. De la même façon, les élèves de terminale du lycée français de Londres, qui est réputé comme étant un des meilleurs, si ce n’est le meilleur lycée français à l’étranger, partent à 80 % dans l’enseignement britannique ou international. Ils ne rentrent plus en France pour intégrer, comme c’était traditionnellement le cas, des classes préparatoires ou les meilleures universités.

Quelles sont les raisons de ces expatriations ? Pour les jeunes, le job et les perspectives de carrière. Pour ceux qui ont des salaires élevés, des responsabilités importantes ou de la fortune, essentiellement la fiscalité. Aujourd’hui, l’écart de fiscalité est devenu si grand entre la France et n’importe quel autre pays de l’Union européenne que la proportion de ceux qui décident de partir ne cesse d’augmenter. Et le phénomène ne va pas s’arrêter là.

Prenons l’exemple des stock-options et des actions. Aujourd’hui, mon groupe distribue gratuitement des actions aux salariés. Entre la même action distribuée à un salarié basé en Belgique, en Grande-Bretagne, en Allemagne et à un salarié basé en France, l’écart de fiscalité est de un à quatre. Cela signifie, plus généralement, qu’une action gratuite ou une stock-option accordée à un cadre français a relativement peu d’intérêt pour lui, alors que c’est un élément essentiel pour un cadre basé dans les autres pays de l’Union européenne – et je ne parle même pas du reste du monde. C’est extraordinairement préoccupant, dans la mesure où cet écart touche des cadres à haute responsabilité, dont le déplacement s’accélère vers les pays proches, comme la Suisse, la Belgique ou la Grande-Bretagne, mais aussi maintenant vers le grand international. C’est clairement l’indication d’une baisse d’attractivité et de compétitivité du territoire national.

La France se vante, à juste titre, du crédit impôt recherche – CIR – qui a permis que de nombreux centres de recherche étrangers soient présents en France. Ces derniers ont été attirés par un avantage fiscal – d’ailleurs très coûteux pour nos finances publiques. Mais ce qui est valable dans un sens est valable dans l’autre sens : si l’on impose à nos dirigeants et nos cadres supérieurs une fiscalité beaucoup plus lourde en France qu’à l’étranger, on les pousse à quitter notre territoire.

Le cas des jeunes me semble moins préoccupant. L’internationalisation de notre jeunesse est un plus. En revanche, il faut créer les conditions de leur retour, pour éviter qu’ils ne se détachent du pays. Comment ?

D’abord, il est absolument essentiel de continuer à développer le réseau des écoles françaises à l’étranger, qui coûte extrêmement peu aux finances publiques et a pour avantage de garder les familles dans la sphère culturelle française. Les enfants qui ne sont plus dans un système scolaire français parlent notre langue avec un accent et on peut dire que, culturellement, ils ne sont plus là. La France est souvent pour eux le pays des vacances, mais ce n’est plus le pays au centre de leur vie. Les enfants qui sont allés dans les lycées français se sont créé des valeurs françaises, des amis français, et nous avons une chance de les récupérer. Voilà pourquoi il faut faire vivre le réseau des écoles françaises à l’étranger, alors que ce n’est pas la tendance du moment. Par exemple, il est très difficile d’obtenir des détachements de professeurs français pour partir à l’étranger.

Ensuite, il faut davantage valoriser les expériences acquises à l’étranger, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, notamment dans les entreprises. Et si le retour ne se fait pas dans de bonnes conditions, le risque est qu’il n’y ait pas de retour.

Le départ des élites est préoccupant quand il est lié à des raisons fiscales que l’on pourrait éviter. En revanche, c’est une bonne chose dans la mesure où il permet d’internationaliser le pays. Mais alors, il faut créer des conditions de fluidité : accepter que les gens partent et qu’ils reviennent. Aujourd’hui, le risque est que les gens partent et restent à l’étranger.

Enfin, la France crée beaucoup de sociétés nouvelles, de start-ups. Mais il y a un vrai risque de flipping : dès que la société est de bonne qualité, elle installe sa maison mère en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. C’est de plus en plus fréquent, et aucun texte réglementaire ne pourra l’empêcher. La seule façon de l’empêcher est d’augmenter l’attractivité et la compétitivité françaises.

Vous devez réaliser que ce qui s’est passé au cours des trois dernières années sur le plan fiscal a créé un tel décalage entre la France et ses voisins qu’aujourd’hui les conditions de ces départs sont réunies, et qu’il n’y a aucune raison qu’ils se ralentissent.

M. le président Luc Chatel. Vous avez bien résumé la situation. L’internationalisation de la France renforce notre compétitivité dans un contexte de concurrence mondiale, et il est bon que nos jeunes aillent davantage étudier à l’étranger pour se préparer au monde de demain. Mais s’ils y restent, ce sera pour notre pays un manque à gagner en termes d’investissements, de croissance, de valeur ajoutée, d’innovation, etc.

Vous avez fait à plusieurs reprises référence à notre fiscalité. Quelles seraient donc les mesures fortes à prendre dans le domaine fiscal, pour que la France redevienne un pays attractif ?

Vous avez ensuite remarqué que la proportion des gens qui s’adressaient aux chambres de commerce françaises à l’étranger augmentait. Le phénomène est-il récent ? Je vous précise que, pour éviter toute polémique, notre travail porte sur la période 2004-2014. L’exit tax a été instaurée sous le quinquennat précédent ; quant au renforcement de la fiscalité, il a commencé sous le quinquennat précédent, pour s’accélérer sous celui-ci. Nous souhaitons nous faire une idée précise de la situation réelle pour y apporter les remèdes nécessaires. Avez-vous des éléments à nous fournir ?

M. Arnaud Vaissié. Le problème est que l’écart fiscal existe pour toutes les catégories d’impôt mais il ne touche pas les contribuables avec un salaire intermédiaire. Il concerne donc essentiellement les salaires relativement élevés, ceux qui ont du capital et les start-ups.

Aujourd’hui, celui qui a du capital et veut vendre son entreprise a intérêt à quitter la France avant de le faire. La fiscalité applicable en France est sans commune mesure avec celle qui est applicable en Grande-Bretagne ou dans les autres pays de l’Union européenne. L’écart est fort, au point que l’on peut dire que la fiscalité française sur le capital est décorrélée de celle de l’Union européenne. Or nous avons instauré la libre circulation des hommes et des biens au sein l’Union européenne, et le bon sens voudrait qu’en matière de fiscalité sur le capital, l’écart n’excède pas 20 % par rapport aux Allemands, aux Britanniques ou à la moyenne des pays européens. Dans le cas particulier de la fiscalité des actions distribuées aux salariés, l’écart atteint même 80 % ! Il faut revenir sur les textes, qui ont extrêmement peu d’impact fiscal en France, mais un impact absolument déplorable sur l’attractivité du territoire.

Le raisonnement est le même, s’agissant de l’impôt sur les sociétés. Celui-ci est maintenant décorrélé de celui des Britanniques. Le taux français est de 37 % et atteint presque le double du taux britannique, qui est de 20 %. Un tel écart fait qu’un chef d’entreprise responsable doit réfléchir à la localisation de son groupe. Je le dis d’autant plus facilement que j’ai fait rentrer mon groupe en France – ce qui n’est peut-être pas la meilleure décision que j’ai prise.

Enfin, les charges sociales représentent en France 50 %. La seule chose que regarde une entreprise qui embauche un grand cadre est son coût total pour l’entreprise. 50 % de son salaire partira en charges sociales, ce qui n’existe ni en Allemagne, ni Grande-Bretagne, ni dans les autres pays.

On peut se permettre d’avoir un écart sur un de ces impôts, mais pas sur tous. Or, aujourd’hui, l’écart nous est à chaque fois défavorable. Il faut donc s’attaquer à la fiscalité du capital et à celle des hauts salaires. Je sais que ce n’est pas populaire en ce moment, mais il faut savoir que tous nos grands groupes sont en train de réfléchir à propos de leur implantation. En outre, lorsqu’un départ a eu lieu, le retour est extraordinairement improbable. Il faut donc réagir avant que les groupes ne soient partis. Aujourd’hui, la situation est très préoccupante.

Peu de gens réalisent que depuis trois ans – les douze derniers mois du précédent quinquennat et les deux premières années de celui-ci – l’accroissement de la fiscalité a touché les mêmes catégories, à savoir les entreprises et les hauts salaires, et que ces augmentations cumulées ont abouti à créer l’écart que je viens de dénoncer. Le problème est que le départ des entreprises et des hauts responsables ne peut avoir que deux conséquences : une diminution de l’investissement et une augmentation du chômage.

Le Cercle d’outre-Manche vient de sortir un rapport intitulé « la France et le Royaume-Uni face à la crise ». Il en ressort que la Grande-Bretagne – qui connaissait la crise la plus sévère – a engagé une politique faite de mesures en faveur de l’investissement, de réduction des dépenses publiques, et très prudente face à l’impôt. Les résultats sont aujourd’hui spectaculaires : une croissance de plus de 3,5 % et un taux de chômage de 6 %. Nous avons adopté exactement la politique inverse, pour les résultats que nous connaissons. Je précise que la période étudiée couvre les années 2008-2014.

M. le président Luc Chatel. S’agissant des grands groupes, vous avez décrit un mécanisme consistant à maintenir des directions presque « fantoches » en France, pendant que les dirigeants sont basés en Grande-Bretagne.

M. Arnaud Vaissié. Je ne disais pas « fantoches ». J’ai dit que le fait qu’un certain nombre des postes du comité exécutif ne sont plus basés en France était une tendance forte.

M. le président Luc Chatel. Sans que cela se justifie par des responsabilités opérationnelles dans le pays d’accueil ?

M. Arnaud Vaissié. Absolument. Aujourd’hui, tout membre du comité exécutif d’une entreprise multinationale voyage plus de 50 % de son temps. Il peut donc être basé où il veut ; traditionnellement, il l’était en France. L’internationalisation explique que ces cadres soient de plus en plus nombreux à se baser à l’étranger. Mais cela ne suffit pas à expliquer l’accélération du phénomène. La plupart des groupes sont en train de délocaliser un certain nombre de leurs fonctions dans les pays limitrophes ou au grand international.

M. le président Luc Chatel. Avez-vous des exemples de groupes, de sièges, de directions importantes, de cadres importants de grandes entreprises qui se soient déplacés à Londres ?

M. Arnaud Vaissié. Je ne peux pas vous en donner, mais on en entend parler régulièrement, notamment dans la presse. Leur nombre est extrêmement important. Une grande partie de nos plus grands groupes sont concernés.

M. le président Luc Chatel. Vous avez noté une accélération du phénomène.

M. Arnaud Vaissié. Une accélération remarquable, et pas uniquement à Londres. On peut s’attendre à ce que de plus en plus de présidents de nos groupes se fixent en Asie, dans le continent nord-américain, en Europe en dehors de France, un peu partout. La proportion devient forte. Elle est totalement justifiée par le business, mais accélérée par la fiscalité.

M. le président Luc Chatel. A contrario, la Grande-Bretagne est-elle un modèle d’attractivité ? A-t-elle mis en œuvre une stratégie d’accueil des centres de décision et des cadres dirigeants des grandes multinationales ?

M. Arnaud Vaissié. Je passe ma vie à voyager et je peux vous répondre que tous les grands pays sont obsédés par leur attractivité, que ce soit Singapour, les États-Unis, la Grande-Bretagne ou les pays d’Europe du Nord. C’est le problème numéro 1 des dirigeants de ces pays. La France est en vrai décalage, dans la mesure où l’attractivité du territoire n’est pour elle qu’un problème parmi d’autres.

Ce fut l’obsession des gouvernements britanniques successifs depuis Margaret Thatcher, suivie par M. Tony Blair qui a passé dix ans à transformer la Grande-Bretagne en un pays attractif, lui-même suivi par M. David Cameron. Aujourd’hui, par exemple, l’impôt sur les entreprises n’est qu’à 20 %, et il est possible d’investir dans les entreprises innovantes jusqu’à hauteur de 1,2 million d’euros par an, avec 75 % de déduction fiscale. Mais la Grande-Bretagne n’est pas un cas unique. De façon systématique, tous les grands pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, etc. mènent des politiques publiques favorables à l’innovation ou à la fiscalité des entreprises.

Nous avons subi, entre 2004 et 2014, un terrible effet de ciseau. En 2004, nous n’étions pas si loin des autres pays, mais au cours des dix dernières années, les politiques fiscales en faveur des entreprises ont été massives chez tous nos pays amis et concurrents, pendant que la France poursuivait la stratégie exactement inverse. D’où cet écart qui est devenu dangereux, et qui explique la création même de votre commission d’enquête.

Mme Monique Rabin. Je n’ai pas de question particulière à vous poser, mais je tiens à vous remercier pour votre intervention, qui a bien fait ressortir les défis auxquels nous sommes confrontés, en termes de mobilité, de fiscalité des entreprises et de financement de l’innovation.

M. le président Luc Chatel. Vous avez dit tout à l’heure que, pour un citoyen qui venait de trouver du travail, les procédures administratives étaient plus simples à Londres qu’à Lyon. Il se trouve que le Gouvernement vient de lancer un chantier sur la simplification, et que l’Assemblée nationale est en train de discuter d’un projet de loi portant sur le sujet. Selon vous, la France est-elle handicapée en ce domaine par rapport à la Grande-Bretagne ou à l’Union européenne ?

Par ailleurs, j’ai cru comprendre que certaines banques d’affaires, certains avocats fiscalistes ou conseillers harcelaient les grandes entreprises et leurs dirigeants pour faire en sorte qu’ils se localisent ailleurs qu’en France. Avez-vous des informations à ce propos ?

M. Arnaud Vaissié. En matière de simplification, nous avons beaucoup de travail à faire. Pour établir une entreprise en Grande-Bretagne, en Suisse ou en Allemagne, la plupart du temps on ne vous demande rien, pas même un papier.

M. le président Luc Chatel. Nous avons fait beaucoup de progrès en France. Il est possible d’y créer une entreprise en huit jours, sans quasiment de formalités ni d’argent.

M. Arnaud Vaissié. Absolument.

Une étude américaine, qui est passionnante, tend à prouver que l’emploi net créé aux États-Unis au cours des dix dernières années l’a été exclusivement par les entreprises de moins de cinq ans. L’augmentation de l’emploi n’est plus assurée, comme on le dit souvent, par les PME, ni par les grands groupes, comme on le dit toujours, mais par les entreprises qui se créent et grandissent. Pendant les cinq premières années, leur rythme de croissance est souvent très rapide, c’est là où la création nette d’emplois a lieu.

Certes, nous avons fait des progrès considérables mais, en même temps, les autres pays ont couru encore plus vite. Par exemple, les pépinières d’entreprises de Grande-Bretagne, dans le grand Londres, à Manchester ou à Cambridge, font preuve d’une créativité tout à fait remarquable. En France, en matière de création, la liaison université-entreprises s’est améliorée, mais est encore à des années lumière de ce qui se fait dans beaucoup d’autres pays. Or c’est elle qui permet la création et l’innovation.

En matière de simplification, nous avons encore beaucoup à faire. Mais au-delà, nous devons revoir l’attitude de l’administration. En dix ans, M. Tony Blair est parvenu à faire qu’aujourd’hui, l’administration britannique se soit mise au service des entreprises. Aucun fonctionnaire britannique n’ignore qu’il sera jugé à l’aune de sa capacité à aider celles-ci. L’administration a procédé à la digitalisation de nombreuses fonctions, plus rapidement qu’en France et en y consacrant des investissements bien plus conséquents.

Ainsi l’écart de simplification est-il très fort entre la Grande-Bretagne et la France. Cela explique qu’aujourd’hui l’investissement étranger est au moins deux fois plus important en Grande-Bretagne qu’en France, et que, là encore, l’écart augmente. Le fait que la Grande-Bretagne n’ait pas adopté l’euro aurait pu constituer un risque pour elle en matière d’investissements étrangers. Mais son cadre juridique, administratif et fiscal est tellement favorable qu’elle a réussi à les attirer de façon remarquable et qu’elle continue à le faire.

Le problème n’est pas que nous soyons ou non dans la bonne direction ; je pense que nous y sommes. Il est dans la rapidité à laquelle nous procédons. Tous les pays sans exception sont en train de simplifier. Nous participons à cette course à la simplification, mais je pense que nous pourrions courir encore plus vite.

L’autre point que vous avez abordé est plus délicat : le métier des banques d’affaires est de proposer à leurs clients ou à leurs prospects d’optimiser leurs opérations à travers des fusions, des acquisitions, etc. On l’a vu tout récemment avec l’immense tentative d’OPA – au-delà de 100 milliards de dollars – portant sur une entreprise pharmaceutique britannique. Un Américain voulait racheter une entreprise britannique pour avoir son siège fiscal en Grande-Bretagne, où la fiscalité est plus favorable qu’aux États-Unis. Dans la pratique, les banquiers d’affaires expliquent à leurs clients quelle est la fiscalité des différents pays et leur proposent des solutions. In fine, les entreprises décident. Mais il est certain qu’aujourd’hui toutes les présentations qui nous sont faites expliquent en quoi une implantation dans un pays tiers serait plus favorable qu’en France.

Enfin, je tiens à terminer sur un sujet que nous avons peu évoqué : le réseau des écoles et lycées français à l’étranger, une chance française, que n’ont pas les autres pays. C’est une très belle réussite, obtenue avec consensus de l’ensemble des acteurs. Il faut la préserver, malgré les restrictions financières actuelles.

M. le président Luc Chatel. Merci beaucoup.

L’audition prend fin à dix-huit heures dix.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mercredi 16 juillet 2014 à 17 h 30

Présents. - M. Luc Chatel, Mme Monique Rabin

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Yann Galut, M. Marc Goua

——fpfp——