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Commission d’enquête sur la fibromyalgie

Mardi 21 juin 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 05

Présidence de Mme Sylviane Bulteau, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Benoit Vallet, directeur général de la Santé au Ministère des affaires sociales et de la santé et de Mme Elisabeth Gaillard, adjointe au chef du bureau des maladies chroniques non transmissibles

– Audition, ouverte à la presse, de M. François Godineau, chef de service, adjoint au directeur de la Sécurité sociale au Ministère des affaires sociales et de la santé, de Mme Marine Jean-Baptiste, interne de santé publique et de Mme Marie Seval, conseiller médical

– Audition, ouverte à la presse, du docteur François-Xavier Brouck, directeur à la direction des Assurés à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, et du professeur Luc Barret, médecin-conseil national

– Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA FIBROMYALGIE

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

——fpfp——

La commission d’enquête sur la fibromyalgie procède à l’audition de M. Benoit Vallet, directeur général de la Santé au Ministère des affaires sociales et de la santé et de Mme Elisabeth Gaillard, adjointe au chef du bureau des maladies chroniques non transmissibles.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je souhaite la bienvenue à M. Benoît Vallet, directeur général de la santé, et à Mme Élisabeth Gaillard, adjointe au chef du bureau des maladies chroniques non transmissibles.

Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions, qui sont donc ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Benoît Vallet et Mme Élisabeth Gaillard prêtent serment.)

M. Benoît Vallet, directeur général de la santé. La fibromyalgie est une pathologie aujourd’hui mal identifiable. Pour la décrire, je me fonderai ce matin sur deux sources documentaires : le rapport de l’Académie nationale de médecine publié en 2007 et le rapport d’orientation publié par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2010. Je m’appuierai également sur d’autres publications et sur la fiche disponible sur « Orpha.net », site consacré aux maladies rares.

À vrai dire, la fibromyalgie n’est pas une maladie rare. Une maladie rare a, en effet, une prévalence – puisqu’il s’agit d’une affection de longue durée, nous parlons en effet de l’ensemble des cas que l’on peut rencontrer chaque année, et non seulement des nouveaux cas – qui oscille entre un, ou moins de un, à cinq individus pour 10 000 personnes. Or la fibromyalgie touche aujourd’hui entre 2 et 5 % de la population. Il ne saurait donc s’agir d’une maladie rare.

Outre ces éléments d’information, je dispose de mon expérience de médecin anesthésiste-réanimateur, d’ancien responsable – jusqu’en 2012 – d’un centre anti- douleur, de président de la commission médicale d’établissement et de chef du pôle d’anesthésie-réanimation du centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille. Sur les 5 000 à 8 000 patients accueillis chaque année dans le centre anti-douleur dont j’avais la charge, quelque 10 % étaient atteints de fibromyalgie. J’ai donc une expérience de la prise en charge de cette maladie et de son accompagnement thérapeutique. Je suis également titulaire d’un diplôme universitaire ayant pour objet la douleur : à l’époque, il ne s’agissait pas encore de diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC). Ce sujet a été pour moi une préoccupation personnelle.

Si nous retenons d’abord l’approche clinique, nous dirons que la fibromyalgie touche d’abord les femmes. À Lille, elles représentent 90 % des consultations. Celles-ci font apparaître les notions d’épuisement, de surmenage et d’intensité de la vie, qu’elle soit professionnelle ou conjugale. L’anamnèse révèle parfois une histoire personnelle marquée par la maltraitance et la violence, la notion de viol n’étant pas absente des antécédents de ces patientes. On a le sentiment que, pour elles, l’épuisement physique et les douleurs musculaires vont au-delà du tolérable : la notion de surmenage professionnel (burn-out) est très présente.

Cela se retrouve dans la description de la pathologie. Elle associe un syndrome, c’est-à-dire une entité clinique qui n’est pas rattachée à une maladie, en l’occurrence un syndrome polyalgique, soit au niveau des articulations, soit au niveau des masses musculaires elles-mêmes, à des troubles fonctionnels variés, qu’il s’agisse de troubles du transit ou du sommeil, à des difficultés de concentration, à une incapacité à trouver le repos, en un mot à des difficultés de se régénérer.

Sur le plan du diagnostic en tant que tel, les médecins évoquent, en suivant la description et la reconnaissance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), puis de la nosologie classique, dix-huit points de douleur musculaire ou articulaire spécifiques à rechercher. Dans la pratique clinique courante, il apparaît assez illusoire de vouloir retrouver une douleur systématisée sur tous ces points, faute de quoi l’on considérerait que la fibromyalgie n’est pas caractérisée. On ne retient donc guère la notion de seuils à analyser.

En réalité, ce qui est très important, c’est que le tableau dont j’ai parlé coïncide avec l’absence d’autres signes. Il s’agit d’une pathologie ou d’une situation syndromique où sont éliminées d’autres responsabilités, marquées, par exemple, par la notion d’inflammation. Dans la fibromyalgie, il n’y a pas d’inflammation. On ne retrouve pas d’éléments biologiques laissant penser que la personne concernée peut avoir une affection rhumatoïde.

J’évoque la phase initiale de prise en charge, car on considère qu’il faut de trois à six mois de syndromes polyalgiques continus pour reconnaître une fibromyalgie. Mais ils peuvent apparaître dans un contexte inflammatoire ou dans un contexte de maladie relevant de la médecine interne, dans la direction des polyarthrites rhumatoïdes ou des anticorps lupus. Le diagnostic de la fibromyalgie est donc aussi un diagnostic d’élimination des pathologies qui peuvent se présenter avec leurs classiques signes polyalgiques. Car l’hyperthyroïdie ou l’hypercalcémie peuvent aussi donner des anomalies de ce type-là. Le diagnostic peut donc être établi à partir de la recherche de marqueurs dont on considère qu’ils ne doivent pas être présents.

La prise en charge reprend les éléments essentiels de l’approche diagnostique et suit trois grandes orientations : vient d’abord la prise en charge pharmacologique, qui ne doit pas être isolée – il ne s’agit pas seulement de prescrire des antiépileptiques ou des antidépresseurs – ; ensuite, l’axe thérapeutique psychologique est très important, étant donné les traumatismes qui peuvent être à l’origine de la fibromyalgie, ou en tout cas présents dans son contexte d’expression ; enfin, la prise en charge physique peut passer par la balnéothérapie ou un accompagnement au retour à l’activité physique pour les personnes qui ont cessé d’en faire, voire qui se trouvent sérieusement handicapées – certaines viennent consulter en fauteuil roulant. La nomenclature de la prise en charge par l’assurance maladie ne reconnaît que des actes très classiques, mais ce n’est pas la kinésithérapie qui est nécessaire à ces patients. De même, la prise en charge psychologique n’est pas non plus remboursée, alors qu’elle apporte une importante contributive à l’action thérapeutique.

Si l’on revient à la pharmacologie, deux grands types de prise en charge existent aujourd’hui, soit par des antiépileptiques, tels que le Neurontin ou le Lyrica, spécialités qui n’ont pas nécessairement été développées pour ce type de prise en charge, soit par des antidépresseurs, la dépression faisant partie du tableau symptomatique ou du tableau réactionnel à cette symptomatologie polyalgique : on imagine assez aisément que le contexte dans lequel apparaît la fibromyalgie, associé ou alternant avec les conséquences d’une situation handicapante, amène à un tableau où l’anxiodépression est présente. Des molécules qui inhibent le recaptage de la sérotonine ou de la noradrénaline peuvent alors fournir un apport intéressant. Des antidépresseurs classiques comme l’Effexor, le Cymbalta ou l’Ixel sont donc proposés.

Il est très important que la patiente ou le patient adhère au traitement proposé. L’effet placebo est très important. Dans ce contexte, le fait d’adhérer à un traitement est essentiel pour que la thérapeutique fonctionne. Voilà quelques éléments de la prise en charge classique, tant sur le plan du diagnostic que sur le plan thérapeutique.

Mais il y a eu aussi des tentatives thérapeutiques, comme nous en avons testé à Lille. Dans ma spécialité, l’anesthésie-réanimation, on dispose d’antalgiques puissants. Laissons de côté la morphine qui, dans ce contexte, n’est pas vraiment adaptée ni très efficace. En revanche, la kétamine est un anesthésique de contact qui est à la fois sédatif, quoique pas trop fortement, et actif sur le plan périphérique. Des travaux ont montré qu’elle pouvait avoir un intérêt dans les douleurs dites neuropathiques, c’est-à-dire dans des douleurs qui ne sont pas des douleurs essentielles, telles que celles que l’on peut avoir à l’occasion d’un choc ou d’un traumatisme, mais qui sont des douleurs auto-entretenues. Il y a donc eu des tentatives de prise en charge par la kétamine. Mais elles ne sont pas très simples, car ces médicaments s’administrent par la voie parentérale, c’est-à-dire soit par une injection intraveineuse, soit par une injection intramusculaire. Ce n’est donc pas un traitement que l’on peut prendre de manière régulière. En revanche, lorsque l’efficacité a été constatée, elle l’est sur plusieurs mois : cette administration unique a des effets rémanents sur plusieurs mois.

Tels sont les éléments cliniques, biologiques et thérapeutiques relatifs à la fibromyalgie. Elle ne reste plus aussi marquée en termes d’errance de diagnostic qu’elle a pu l’être par le passé. Grâce aux centres anti-douleur, les personnes concernées trouvent plus vite une prise en charge. Ce mal comporte en effet un élément de stigmatisation et de non-reconnaissance. C’est un élément très clair de la souffrance de ces personnes, comme le revendiquent les associations que nous rencontrons régulièrement à la direction générale de la santé.

Sur cette pathologie, beaucoup de connaissances restent à recueillir. À ce titre, la direction générale de la santé a passé une convention avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pour réaliser une expertise collective, c’est-à-dire une synthèse des connaissances sur le sujet. Le rapport devrait être remis en décembre 2017. Vous connaissez sans doute le mécanisme de ces expertises collectives : des experts du domaine, dans différents champs disciplinaires, font une analyse de la littérature scientifique disponible. Nous avons demandé que leur champ d’exploration couvre les années 2010 à 2015, pour disposer des données les plus récentes. L’une de nos questions porte en particulier sur des éléments de diagnostic qui pourraient être renforcés, certains chercheurs fondant quelques espoirs sur l’imagerie neuro-fonctionnelle.

Le rapport de la Haute Autorité de santé date de 2010, mais, au regard des connaissances que nous possédons aujourd’hui, il reste d’actualité. Il n’est cependant pas impossible que, au vu des résultats de l’expertise collective de l’INSERM, nous soyons amenés à solliciter à nouveau la HAS, pour qu’elle mette à jour des éléments de prise en charge et d’accompagnement thérapeutique.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Qu’entendez-vous par « solliciter à nouveau la HAS » ?

M. Benoît Vallet. Si jamais l’expertise collective de l’INSERM devait faire apparaître des points de désaccord entre ce qui est disponible dans le champ des connaissances et ce que la HAS a produit en 2010, il serait légitime de la solliciter à nouveau pour de nouveaux référentiels et de nouvelles recommandations de prise en charge.

M. le rapporteur. Quel est le nombre de personnes diagnostiquées fibromyalgiques en France et dans les pays occidentaux ? Avez-vous constaté une augmentation de la prévalence depuis une dizaine d’années ? Des études épidémiologiques ont-elles été menées ?

M. Benoît Vallet. L’identification des fibromyalgies est sans doute plus importante aujourd’hui. La prévalence de la pathologie augmente à tout le moins en apparence. Peut-être cela est-il dû au fait que l’errance diagnostique s’est réduite et que le temps de repérage diagnostique s’est raccourci de plusieurs années à quelques mois. La meilleure identification de la pathologie peut ainsi amener à une augmentation de la prévalence. Mais il peut aussi y avoir des facteurs extérieurs qui expliqueraient cette augmentation.

Toujours est-il que, en France, entre 2 % et 5 % de la population sont concernés. Ces données sont cohérentes avec celles qui sont disponibles pour d’autres pays européens. En Espagne, en Italie, cette proportion avoisine les 2 % à 3 %. Nous sommes donc assez proches de ces pays en termes d’observation, avec une part principale qui est féminine. Dans la mesure où entre 600 000 et 700 000 personnes sont touchées en France, la fibromyalgie est autre chose qu’une maladie rare, étant entendu qu’une maladie rare atteint, à l’échelle de notre pays, 50 000 personnes au maximum.

M. le rapporteur. Dans le rapport de la Haute Autorité de santé, il est écrit qu’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Qu’en pensez-vous ?

M. Benoît Vallet. En termes de remontée de l’information et d’identification de besoins, il y a toujours plusieurs possibilités. Dès qu’un besoin pharmacologique nouveau s’exprime, les industriels travaillent à l’identification de la nouvelle pathologie pour satisfaire une nouvelle demande. On pourrait dire la même chose des associations, mais elles ne sont pas mues par l’intérêt économique, à moins d’imaginer qu’elles soient armées par le monde industriel. Je pense toutefois que le nombre de personnes concernées permet d’écarter cette hypothèse. Cependant, dans le contexte d’une pathologie qui n’est pas une maladie avec un déterminant connu et une symptomatologie clairement identifiée, l’extension à des symptomatologies de voisinage intercurrentes de ce que pourrait être la réalité de la fibromyalgie reste une préoccupation importante.

La précaution essentielle est de ne pas passer à côté d’une pathologie rattachable à une situation clinique différente, d’origine inflammatoire ou métabolique, et qui mérite immédiatement le traitement qui lui est propre et permet de régler la question plus ou moins rapidement – les pathologies rhumatoïdes n’étant pas si simples à régler, quoique l’évolution de l’arsenal thérapeutique des anticorps monoclonaux ait tout de même permis de régler plus d’une situation compliquée. Ce n’est malheureusement pas le cas de la fibromyalgie, pour laquelle les traitements sont moins immédiatement adaptés à une source pathologique qui n’est pas identifiée aujourd’hui.

En outre, il n’y a pas de médicament spécifique. Cela ne signifie cependant pas que les industriels ne sont pas assez habiles pour imposer leurs vues. Mais convenons qu’il n’y a pas eu d’arsenal thérapeutique spécialement développé pour cela.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Vous dites que seules 600 000 à 700 000 personnes sont touchées en France. Nous avons entendu qu’il y en aurait plutôt 2 millions, ce qui correspond mieux aux 2 à 5 % de la population que vous annoncez aussi. Le chiffre est important, car il conditionne le degré d’intérêt que les pouvoirs publics peuvent porter à la fibromyalgie.

Nous avons également recueilli des témoignages sur l’errance médicale, du fait des nombreuses réticences du corps médical à rechercher en direction de ces syndromes ou symptômes. Tous ces témoignages allaient dans le même sens. Les gens concernés étaient presque rejetés par la médecine de premier recours. Aussi votre rôle est-il bien de faire admettre cette pathologie.

Les témoignages que nous avons recueillis étaient chargés d’émotion. Rejetés par leur médecin, par la société, voire par leur famille, les gens s’enferment et sombrent dans la dépression. Une vraie douleur, une vraie souffrance se fait jour. Les centres anti-douleur ne constituent d’ailleurs pas la panacée : ils ne sont pas équitablement répartis sur le territoire, de sorte que ces personnes ont des difficultés pour s’y rendre. Elles ne peuvent parfois pas se déplacer seules, conduire un véhicule ou simplement être accompagnées.

M. Benoît Vallet. L’errance de diagnostic contribue aux approximations sur la prévalence exacte de la pathologie. Nous avons demandé à l’expertise d’approfondir les éléments de prévalence, ce qui pourrait nous aider, quitte à nous orienter vers une recherche épidémiologique plus construite, en nous appuyant à la fois sur la caractérisation de ce qui est recherché et sur une méthodologie permettant d’établir les chiffres les plus exacts et les plus conformes à la réalité relativement au nombre de personnes présentant le tableau de fibromyalgie.

Une fois réalisée cette expertise, il faudra introduire dans les éléments d’identification la contribution des médecins de l’ambulatoire. En fait, la stratégie de dépistage passe par eux. Les personnes ne viennent à la consultation de la douleur qu’après avoir été orientées vers elle par des médecins généralistes qui ont analysé que ces douleurs sont anormalement persistantes, qu’elles ne s’inscrivent pas dans un contexte expliqué par des symptômes se rencontrant dans des pathologies identifiables. Elles s’orientent alors progressivement vers la consultation de la douleur. Mais une partie échappe encore à la filière de diagnostic.

Il y a donc un important travail à faire, que l’on pourrait d’ailleurs rattacher au travail plus large de dépistage et de santé populationnelle des médecins généralistes. De ce point de vue, notre pays a quelques progrès à accomplir. La direction générale de la santé œuvre pour que la médecine de premier recours porte une attention plus marquée à la santé populationnelle et au dépistage des troubles psychoaffectifs, qui sont nombreux.

La notion de santé populationnelle repose sur l’idée que, au-delà de la relation classique médecin-malade, le praticien a aussi une responsabilité vis-à-vis d’un territoire et de sa population. Il doit ainsi se préoccuper de la qualité de la couverture vaccinale ou du dépistage de divers désordres psychoaffectifs – par exemple des anomalies d’apprentissage chez l’enfant, qui peuvent être signe d’autisme –, qu’il est important de déceler précocement. On voit, dans ce contexte, l’intérêt que représente le développement de l’exercice en maison pluridisciplinaire.

Dans le cas de la fibromyalgie, il serait tout aussi souhaitable que le dépistage soit plus précoce. L’expertise collective nous apportera sans doute des informations plus précises sur la prévalence de la maladie et sur les moyens de conduire une épidémiologie plus ferme.

M. le rapporteur. Vous utilisez beaucoup le mot de « maladie ». Ce n’est pas toujours le cas chez les personnes que nous entendons.

M. Benoît Vallet. En vérité, ce n’est pas forcément une maladie, mais plutôt un syndrome. Une maladie a une source identifiable sur le plan de la pathologie, comme une thyroïde qui, fonctionnant anormalement, démultiplie une production hormonale source d’anomalies fonctionnelles et de symptômes. On peut éventuellement la corriger en ralentissant le problème d’origine, en l’occurrence l’hyperthyroïdie. Dans le cas de la fibromyalgie, il n’y a pas de déclencheur connu ni de cible identifiable. C’est pour cette raison qu’Élisabeth Gaillard me soufflait tout à l’heure qu’il n’y a pas de médicament spécifique. Nous sommes en face d’un cortège ou concours de symptômes, ce que l’on appelle un syndrome. Disons que la fibromyalgie est une pathologie syndromique.

La fibromyalgie s’inscrit dans la lignée des syndromes polyalgiques. Le patient peut y entrer par deux portes. Soit il y entre par le biais d’une pathologie associée, lorsqu’une pathologie rhumatoïde amène un conflit immunitaire au niveau des articulations qui se traduit par des inflammations ou de la douleur. La recherche diagnostique permet alors d’identifier les éléments qui caractérisent la maladie en question, peut-être par exemple la polyarthrite rhumatoïde, quoique le cortège de symptômes apparente ce que vous observez initialement à un syndrome polyalgique. Soit vous rencontrez ces polyalgies indépendamment de toute cause identifiable, comme c’est le cas pour la fibromyalgie, qui n’est ni maladie de médecine interne ni pathologie de la lignée rhumatoïde. Vous vous trouvez alors devant un syndrome fibromyalgique. Cela reste un syndrome, car ce n’est pas une maladie ou une pathologie en tant que telle.

Mme Annie Le Houerou. Qu’il s’agisse d’un syndrome ou d’une maladie, peu importe en fait au patient. Ce qui compte pour lui, c’est la prise en compte de son état et sa prise en charge. Chacun convient, pour le reste, qu’un faisceau d’indices conduit à caractériser la fibromyalgie comme syndrome.

Indépendamment de la méthode diagnostique, comment les patients peuvent-ils être pris en charge ? Envisage-t-on de considérer la fibromyalgie comme une affection de longue durée (ALD) ? Serait-il possible que des médecines qui soulagent, telles que l’acupuncture ou l’ostéopathie, puissent être reconnues et remboursées ? Les patients se heurtent en effet souvent à des difficultés pour faire face à leurs dépenses de santé.

Sachant que l’exercice physique et la vie professionnelle sont de nature à équilibrer la vie de ces patients, comment concilier leurs douleurs avec la pratique d’un métier ? Une reconnaissance de cette maladie rendrait plus aisés des aménagements du temps de travail tels que le mi-temps thérapeutique. Nous réfléchissons à une évolution de statut qui permette une meilleure prise en compte de la fibromyalgie.

M. Benoît Vallet. Affecté par un mal handicapant dans sa vie personnelle et professionnelle, le patient est écarté de fait de ce qui serait pourtant indispensable à son bien-être et à sa pleine réalisation. Si, en outre, il s’entend dire que ce mal n’existe pas, il vit un véritable drame. Il est donc très important de l’amener dans un centre anti- douleur. Dans ce contexte de prise en charge, l’analyse des différents éléments contributifs au traitement est conduite de manière très rationnelle, grâce à une consultation pluridisciplinaire. Cela donne au patient un élément de reconnaissance de la symptomatologie et des moyens de traitement.

C’est un point important pour préparer le retour à une activité physique normale, qui offre une partie de la réponse. J’indiquais tout à l’heure que ce n’est pas tellement de kinésithérapie qu’ont besoin ces patients, mais plutôt du retour à une activité physique douce et plus régulière, par exemple la balnéothérapie. Mais cela n’est pas pris en charge ; la kinésithérapie est d’ailleurs prescrite pour cette raison même.

Nous nous trouvons ainsi dans un paradoxe de remboursement et de prise en charge. C’est plutôt la direction de la sécurité sociale que vous devrez interroger sur le sujet. De notre côté, nous menons un travail important pour la reconnaissance de certaines prises en charge. Je parlais tout à l’heure de la psychologie, qui n’est pas plus reconnue pour la fibromyalgie que pour d’autres pathologies. Elle éviterait pourtant le recours à des médicaments de la lignée des neuroleptiques ou des psychotropes. Nous nous préparons d’ailleurs à limiter le recours aux benzodiazépines, qui représente un fléau dans notre pays.

Vous avez également évoqué la question de l’affection de longue durée. À la suite de l’adoption d’un amendement de Mme Valérie Fourneyron à la loi de modernisation du système de santé, l’accompagnement à une activité physique prescrite dans le cadre des ALD pourra avoir lieu. Il serait intéressant de voir si l’on peut donner le statut d’ALD à la fibromyalgie, pour que les patients atteints de cette maladie puissent bénéficier du dispositif.

Nous-mêmes sommes assez favorables à la prise en compte d’actes thérapeutiques qui ne relèvent pas strictement de la pharmacopée. Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra pas les utiliser tout au début : même si les personnes ne sont pas déprimées, la situation peut conduire à des manifestations qui appartiennent à la lignée anxio-dépressive, nécessitant une thérapeutique de quelques semaines ou de quelques mois, par ce type de traitement. Mais cela ne suffit pas à leur prise en charge.

Vous avez évoqué l’acupuncture. Comme d’autres formes de prise en charge, elle est valable pour autant qu’elle est rendue acceptable pour le patient, qu’il l’ait choisie et qu’elle marche. Dans ce contexte, ce qui est surtout important est l’adhésion de la personne à une forme de prise en charge thérapeutique.

Les centres anti-douleur, et l’approche pluridisciplinaire des prises en charge qui en est la marque distinctive, doivent être au centre du dispositif. L’accompagnement psychologique et l’accompagnement de l’activité physique sont essentiels. Ils doivent donc pouvoir faire partie d’une prise en charge globale et, pourquoi pas, d’un remboursement.

Mme Florence Delaunay. Le choix entre la dénomination de maladie ou de syndrome peut n’avoir pas d’importance pour les personnes qui souffrent, mais il a beaucoup d’intérêt pour nous. Je crois que la reconnaissance du syndrome d’Ehlers-Danlos connaît les mêmes difficultés que celle de la fibromyalgie. Vous avez évoqué les errances en matière de diagnostic. On peut s’interroger sur le nombre exact de personnes atteintes.

Comment bien traiter la fibromyalgie si elle n’est pas reconnue comme maladie ou qu’elle est mise au nombre des maladies rares ? Quelle est la différence entre une maladie et un syndrome au niveau des moyens accordés, au niveau de la recherche et au niveau de la prise en charge ? Le flou profite à des actions des associations de patients qui ne clarifient pas le débat, mais poussent en faveur d’une thérapeutique qui colle aux syndromes.

M. le rapporteur. Dans le domaine de la formation des médecins, qu’est-il prévu relativement à la fibromyalgie ?

M. Benoît Vallet. Ce n’est pas parce que nous ne savons pas aujourd’hui que nous ne saurons pas demain ce qu’est cette entité que nous peinons à définir en termes d’origine physiopathologique : ce qui fait toute la différence entre la fibromyalgie et les pathologies qui se présentent comme des syndromes polyalgiques, c’est en effet qu’on n’a pas compris, physiopathologiquement, ce que cela voulait dire, c’est-à-dire que l’on ne sait pas quelle lésion est responsable de cette douleur et, le cas échéant, comment la dépister. Mais ce n’est pas parce que l’on n’a pas compris que cela n’existe pas. Au XIXe siècle, l’épilepsie était définie comme une maladie psychiatrique. De quoi parle-t-on, aujourd’hui, lorsque l’on parle de psychiatrie ? De problèmes de neurosciences ou de la vision de certaines écoles qui s’intéressent au langage et à la représentation ? Il faut donc poursuivre l’effort de recherche. L’expertise collective s’attachera à voir quelles lignes de recherche promouvoir, qu’il s’agisse d’une recherche appliquée pour une meilleure prise en charge ou d’une recherche sur la physiopathologie de la fibromyalgie. Il ne faut donc pas méconnaître les efforts accomplis et céder à l’idée que l’on serait passé à côté d’un problème que l’on n’identifie pas correctement.

La formation peut être initiale ou continue. Dans le cadre du développement professionnel continu (DPC), il convient de distinguer la fibromyalgie des syndromes polyalgiques dont la cause est identifiable, traitable et curable rapidement, de manière radicale ou non. La formation est toujours à parfaire sur le plan de l’identification diagnostique.

Pour les médecins généralistes, il y a sans doute un besoin de renforcer et d’améliorer la prise en charge ambulatoire de la douleur, sur la lignée des pathologies à composante psychoaffective lourde, voire de renforcer le repérage d’un certain nombre d’éléments de la lignée autistique ou d’autres. Un gros renforcement doit avoir lieu sur les orientations de formation. La direction générale de la santé s’y consacre depuis un an et demi aux côtés de la conférence des doyens et de Benoît Schlemmer, responsable de la réforme du troisième cycle des études médicales.

En matière de santé populationnelle, l’accent devrait être plus marqué en médecine ambulatoire pour le repérage. La direction générale de la santé n’a pas la responsabilité de la formation, qui incombe à la direction générale de l’offre de soins, en liaison avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais nous pouvons donner des éléments d’orientation sur les enjeux de formation.

Cela nous ramène à la question posée à l’expertise collective relativement à la prévalence exacte de la fibromyalgie. La réponse passera par une meilleure identification des personnes qui ne vont pas consulter au-delà d’une première visite chez un médecin n’ayant pas su diagnostiquer leur pathologie et qui restent ignorées du tableau général de la prévalence de la fibromyalgie. Sans pouvoir répondre plus précisément, j’abonde cependant dans votre sens, mais il ne faut pas négliger deux précautions : il faut continuer à accompagner la recherche pour éviter de passer à côté d’une pathologie qui serait identifiable comme syndrome polyalgique et relèverait donc d’un traitement ciblé ; il faut renforcer la formation pour permettre un dépistage plus précoce.

M. Arnaud Viala. On ne peut exclure, dites-vous, que la fibromyalgie ait des causes psychologiques ou psychiatriques, mais la recherche prend-elle en compte les paramètres environnementaux, au sens large, en étudiant des éléments récurrents qui pourraient représenter autant de facteurs d’apparition des troubles ? Au lieu d’énumérer des symptômes, ne peut-on se pencher sur des causes ?

M. Benoît Vallet. Vous m’interrogez sur l’environnement comme déterminant sous-jacent de la fibromyalgie, et sur la relation entre santé et environnement. C’est revenir à l’idée d’une médecine davantage tournée vers la santé populationnelle. Il faut rechercher les analogies entre plusieurs cas relevés par un médecin de l’ambulatoire lorsqu’ils peuvent avoir un déterminant purement environnemental : il peut s’agir d’un produit libéré dans l’environnement, d’une source de contamination exogène… Ce point n’est pas encore bien inscrit aujourd’hui dans le programme de formation. La conférence des doyens est en train de réformer aussi le deuxième cycle pour y introduire des connaissances en santé et environnement qui ne sont pas enseignées pour l’instant. Elles devront amener le médecin à s’interroger, lorsqu’il se trouve face à une pathologie présentée par plusieurs de ses patients, sur une éventuelle source environnementale.

Ainsi, quand on étudie la potabilité de l’eau dans des régions de France assez isolées sur le plan géographique, comme le Massif central, on constate que, plus on s’approche de zones dépeuplées, moins les techniques de contrôle de la potabilité sont industrialisées. Les sources captantes peuvent même ne pas être protégées. Le contrôle de l’eau y est organisé grâce à l’action d’élus de terrain très méritants, mais ses normes ne sont pas celles en vigueur à Paris. Les risques sont certes différents, mais la proximité d’un élevage favorise parfois l’apparition de troubles digestifs épars. Un médecin généraliste qui constate cinq ou six intoxications alimentaires apparentes doit se poser la question de l’implication de l’eau de la commune dans les symptômes qu’il observe. Cette préoccupation environnementale n’entre pas dans le domaine classique des responsabilités d’un médecin généraliste. Il n’en reste pas moins – cet exemple concret le prouve – qu’elle doit être plus présente dans la formation des futurs médecins. Certes, il n’y a pas de spécialité environnementale en troisième cycle. Il paraît cependant indispensable que tous les professionnels du soin y reçoivent une formation en santé publique et en identification des déterminants populationnels.

On ne peut en tout cas exclure que des causes environnementales – qui resteraient à déterminer – soient à l’origine de la fibromyalgie. Dans ce même ordre d’idées, d’autres préoccupations se font jour. Par exemple, certaines malformations congénitales ne sont-elles pas rattachables à des causes environnementales ? Nous étudions le sujet en dépouillant les registres nationaux disponibles. Certaines malformations progressent chaque année. On explique le phénomène par l’augmentation de l’âge à la procréation, mais il peut y avoir d’autres raisons. Cela relève de la surveillance nationale : nous devons être vigilants, et prudents dans l’interprétation de divers syndromes qui peuvent sembler liés à des éléments de la vie psychoaffective, mais qui peuvent aussi être liés à des sources plus conventionnelles, telles que des déterminants environnementaux. Nous devons rester toujours en alerte.

M. le rapporteur. Je reste néanmoins sur ma faim, s’agissant de la question de notre collègue Florence Delaunay. Il me semble qu’un certain flou est entretenu sur ce syndrome et sur son origine. N’y aurait-il pas un dysfonctionnement de l’organisme que nous n’aurions pas encore découvert et qui provoquerait cette maladie ? Si l’on ne cherche pas plus profondément, on risque de tourner en rond.

Par ailleurs, les programmes nationaux de lutte contre la douleur présentent-ils un intérêt pour la prise en charge des patients atteints de fibromyalgie ? Quelles sont les raisons pour lesquelles le programme national de lutte contre la douleur 2013-2017 n’a pu être mis en place ?

M. Benoît Vallet. Je crois en effet que nous devons rester humbles et continuer à chercher. Je vous renvoie sur ce point aux orientations de recherche qui seront issues de l’expertise collective commandée à l’INSERM. Il faudra les suivre de très près. Car, vous avez raison de le souligner, des éléments nous échappent peut-être encore aujourd’hui.

Les voies thérapeutiques les plus appropriées pour une prise en charge quotidienne doivent également être explorées. Il y a aussi, sans doute, des éléments de la lignée sociologique à faire évoluer : les recherches que nous menons ne sont pas assez marquées des sciences humaines et sociales. S’agissant tant des déterminants que du ressenti de la fibromyalgie, il y a du travail à faire, par exemple, sur la notion de stigmatisation. La fibromyalgie n’est reconnue que depuis quelques années.

En ce qui concerne le plan de lutte contre la douleur, le ministère a souhaité marquer un temps d’arrêt, dans le contexte de la stratégie nationale de santé qui englobe les différents plans. Mais il ne faut pas exclure qu’il puisse être repris avec quelques axes prioritaires, dont la fibromyalgie. Ce n’est cependant pas l’orientation actuelle. Le programme national de lutte contre la douleur n’est pas mort, mais il est en suspens.

J’évoquais tout à l’heure le diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) de la douleur. Dans le cadre de l’évolution des diplômes, un certain nombre de spécialités ont été confirmées, tandis que d’autres sont désormais appréhendées comme des compétences transverses faisant l’objet de formations spécifiques transversales (FST). Le traitement de la douleur doit en effet joindre des spécialités variées – médecine générale, orthopédie, rhumatologie –, voire des disciplines plus éloignées comme l’anesthésie-réanimation ou la cancérologie, qui ont vocation à prendre en charge au quotidien des douleurs importantes.

Mme Élisabeth Gaillard, adjointe au chef du bureau des maladies chroniques non transmissibles. Des travaux sont en effet en cours sur un futur plan de lutte contre la douleur ; ils sont pilotés par la direction générale des soins.

Notre bureau est concerné par cette thématique dans la mesure où nous travaillons sur la prévention des maladies chroniques, en poussant notre attention jusqu’à la question de la qualité de vie. Il est naturel que nous travaillions avec les associations qui font remonter les problèmes. Les médecins font ce qu’ils peuvent également. Notre bureau a donc demandé une expertise collective à l’INSERM. Mais nous comptons aller plus loin, en cherchant comment influer sur la recherche et sur la formation, ainsi qu’en nouant le dialogue avec la direction générale de la sécurité sociale relativement à la reconnaissance de la fibromyalgie comme affection de longue durée. Aujourd’hui, elle peut du moins déjà être prise en charge à 100 % en tant que traitement coûteux.

Dans la loi de modernisation du système de santé, des éléments relatifs à la douleur sont inclus. Le médecin traitant est placé au cœur de l’organisation des soins sur le territoire. Le « coupe-file de la douleur », même si le plan national de lutte contre la douleur est en suspens, est un sujet sur lequel les services continuent à travailler. La Société française d’étude et de traitement de la douleur est subventionnée pour établir un questionnaire destiné aux médecins qui sauront ainsi mieux diriger un patient vers un centre anti-douleur. La prise en charge qui a lieu dans ce type de centre ne relève d’ailleurs pas d’une médecine spécifique. On y apprend aussi aux patients à anticiper l’apparition de la douleur ou à pratiquer une activité qui les soulage. L’idée est d’aider les patients à gérer au mieux leur pathologie.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Madame, monsieur, je vous remercie.

Puis la Commission entend M. François Godineau, chef de service adjoint au directeur de la sécurité sociale (DSS) au ministère des affaires sociales et de la santé.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous allons maintenant procéder à l’audition, ouverte à la presse, de M. François Godineau, chef de service adjoint au directeur de la sécurité sociale. Il est accompagné de Mme Marine Jean-Baptiste, interne de santé publique, et de Mme Marie Seval, conseiller médical, à la direction de la sécurité sociale.

Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. François Godineau, Mme Marine Jean-Baptiste et Mme Marie Seval prêtent serment.)

M. François Godineau, chef de service adjoint au directeur de la sécurité sociale (DSS) au ministère des affaires sociales et de la santé. Parce que nous sommes souvent confrontés à la détresse des personnes souffrant de fibromyalgie, qui peuvent avoir le sentiment que la direction de la sécurité sociale ne fait pas preuve d’une ouverture d’esprit suffisante à leur égard, je veux d’emblée souligner que nous abordons sans aucun a priori la situation de ces personnes. La DSS suit le dossier de la fibromyalgie dans le cadre d’une problématique plus vaste incluant l’évolution du système de santé, les difficultés que suscitent les nouvelles prises en charge et la nécessité de maîtriser les dépenses de santé.

Les personnes souffrant de fibromyalgie expriment deux attentes principales : d’une part, la reconnaissance des retentissements de cette affection sur leur état de santé et leur vie quotidienne et professionnelle, et d’autre part, la demande d’une meilleure prise en charge, en se voyant appliquer le statut de l’affection de longue durée (ALD), voire la reconnaissance d’une invalidité.

Nous recevons des demandes émanant de particuliers, mais aussi des questions écrites posées à l’Assemblée nationale ou au Sénat, ainsi que des courriers que nous adressent directement les parlementaires. Je crois savoir que M. le rapporteur a reçu récemment copie d’une lettre qui avait été adressée à Mme la ministre de la santé au sujet d’une situation particulière, et dont nous avons également été destinataires.

La DSS aborde la question de la fibromyalgie comme celle de l’ensemble des pathologies, c’est-à-dire en ayant à l’esprit une double préoccupation : garantir des soins de qualité et une prise en charge adaptée, coordonnée et efficiente, mais aussi et surtout permettre une limitation de la charge financière de l’assuré lorsqu’il est exposé à des dépenses coûteuses – ce qui est le cas des personnes atteintes d’une maladie chronique ou d’une maladie grave.

Il n’est pas aisé de procéder à un état des lieux s’agissant de la fibromyalgie, ce qui complique la prise de décisions en matière sociale : si le syndrome est désormais reconnu, il reste difficile à caractériser. La prévalence est documentée, mais avec d’assez fortes variations. Le Haut Comité médical de la sécurité sociale (HCMSS) avait estimé, il y a quelques années, que 600 000 personnes étaient touchées en France, et l’on retient plutôt le chiffre de 680 000 actuellement, pour une prévalence allant de 1 % à 5 % de la population – le chiffre de 2 % étant celui cité le plus fréquemment lorsqu’on applique certains critères.

Les rapports de l’Académie nationale de médecine et de la Haute Autorité de santé (HAS), publiés respectivement en 2007 et 2010, ne nous ont pas permis de nous prononcer sur le coût des soins auxquels une personne atteinte de ce syndrome devrait faire face. Les consommations de soins de ces personnes ne sont pas documentées et, s’agissant du traitement des symptômes, il est souvent fait le constat que la dépense mise à la charge de l’assuré ne se caractérise pas, avant un certain terme, par un coût élevé pour la personne.

Reconnaître le syndrome de la fibromyalgie en l’inscrivant sur la liste des affections de longue durée implique d’objectiver le parcours de soins de la personne, l’évolutivité de sa situation, ainsi que les coûts engendrés. La mise en œuvre du mécanisme de l’ALD a un enjeu, consistant à permettre de limiter le « reste à charge » de l’assuré face à des dépenses coûteuses – c’est une caractéristique définie par le législateur, que l’on se réfère à la liste des trente affections de longue durée (ALD 30) ou au mécanisme dit « de la trente et unième maladie » (ALD 31). Le bénéfice de l’ALD implique de définir des critères qui, pour ce qui est de la liste des trente affections comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, sont définis en annexe au code de la sécurité sociale en fonction d’un avis de la Haute Autorité de santé, et mis à jour périodiquement.

La fibromyalgie ne figurant pas sur la liste des ALD 30, sa prise en charge se fait, dans certains cas et sous certaines conditions, au titre de la trente et unième maladie, qui implique également des soins coûteux.

Je précise que la liste des ALD 30 n’est pas figée, en dépit de son appellation. J’en veux pour preuve que le décret qui en fixait la liste en 1974 ne comportait que vingt-cinq affections de longue durée, avec des libellés qui ne sont aujourd’hui plus usités, et que des mises à jour ont été régulièrement effectuées, notamment lorsqu’il s’est agi d’y inclure le traitement de la maladie d’Alzheimer. Si l’on devait considérer que le syndrome de la fibromyalgie constitue une pathologie justifiant, en raison de sa gravité et du coût de ses soins, d’être intégrée à la liste des ALD, cela impliquerait des modifications de niveau réglementaire de la liste, qui devraient être soumises à l’analyse de la HAS.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Les systèmes d’information vous permettent-ils d’estimer le coût de la fibromyalgie pour la protection sociale ?

Disposez-vous de données chiffrées relatives à la prescription de médicaments, aux consultations de généralistes et spécialistes, aux examens médicaux, aux transports sanitaires, aux séjours en centres antidouleur et structures hospitalières ou aux arrêts de travail ?

Quelles évolutions faut-il envisager pour parvenir à estimer le coût de la fibromyalgie ?

Enfin, avez-vous constaté que les personnes souffrant de fibromyalgie ont tendance à multiplier les consultations et les examens médicaux – IRM, scanners, analyses sanguines à répétition – et, le cas échéant, pensez-vous que, s’il pouvait être économisé, le coût de ce qu’il est convenu d’appeler l’« errance médicale » pourrait être plus utilement consacré à la recherche ?

M. François Godineau. L’état des lieux des systèmes d’information, ou du moins de leur utilisation, n’est pas satisfaisant. Le système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM) est l’une des composantes du système national des données de santé, créé par l’article 193 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Les passages dans les établissements de santé donnent lieu à une collecte de données dans le cadre du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et, à la rubrique « diagnostic », il est possible de saisir un code correspondant à la fibromyalgie dans la classification internationale des maladies.

Cela dit, la réussite de cette opération suppose un codage de bonne qualité par le corps médical, donc une bonne connaissance de la fibromyalgie, mais aussi et surtout une exhaustivité qui, il faut bien le reconnaître, est loin d’être atteinte – dans de nombreux établissements hospitaliers, de grands progrès restent à accomplir en la matière. Par ailleurs, la médecine de ville ne donne pas lieu à un codage des pathologies. En effet, si la loi Teulade de 1993, relative aux relations entre les professions de santé et l’assurance maladie, a institué l’obligation de coder les pathologies, celle-ci n’est pas mise en œuvre en raison de difficultés d’ordre pratique : en ville, il n’est donc pratiqué qu’un codage des actes. La délivrance de tous les produits de santé donne lieu à un codage actif, de même que les analyses de biologie médicale, mais ces informations ne permettent pas à elles seules d’établir des données statistiques fiables sur la fibromyalgie, la complexité de l’approche de ce syndrome nécessitant que les données brutes soient confirmées par un véritable diagnostic.

Le système d’information permet de réaliser, à partir du repérage des patients ayant été enregistrés en milieu hospitalier comme diagnostiqués fibromyalgiques, un suivi de leurs dépenses médicales. En revanche, si certaines pathologies telles que le diabète ou l’hypertension permettent de caractériser, par des consommations spécifiques et documentées, des parcours de soins révélateurs, même en ville, il n’en est malheureusement pas de même de la fibromyalgie. Pour être complet, donc efficace, le système d’information devrait également se nourrir d’un codage des pathologies en ville, mais il est très difficile d’imposer aux professionnels de santé exerçant en dehors du cadre hospitalier de mettre en œuvre cette pratique de manière systématique lorsqu’ils codent leur facturation.

L’errance médicale est une thématique délicate, cette notion n’ayant jamais été démontrée, faute d’avoir été documentée. N’étant pas médecin moi-même, je m’en tiendrai à une observation : dans la mesure où l’approche du syndrome de la fibromyalgie se caractérise par la nécessité de faire établir des diagnostics d’élimination, il me semble qu’une personne pour laquelle on commence à évoquer ce syndrome va forcément être amenée à effectuer un parcours de soins destiné à permettre d’éliminer l’ensemble des causes qui pourraient être celles d’une autre pathologie. Dans ce sens, je ne pense pas que l’on puisse parler d’errance médicale – reste à savoir si les personnes atteintes de fibromyalgie ont, ou non, tendance à multiplier les consultations et les examens faute de pouvoir être diagnostiquées rapidement par leur médecin traitant, ce que je ne saurais dire.

Enfin, compte tenu de ce que je viens de vous dire au sujet de l’impossibilité de tracer avec précision les personnes souffrant de fibromyalgie, vous comprendrez que je ne sois pas en mesure de vous fournir une estimation du coût économique de cette pathologie.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Les témoignages de patients qui ont été portés à notre connaissance mettent en évidence des comportements s’apparentant à l’errance médicale, d’ailleurs à l’origine d’un sentiment de culpabilité chez les personnes concernées, qui se reprochent à elles-mêmes le coût pour la société, en particulier pour l’assurance maladie, de leur parcours médical : j’ai même entendu l’une de ces personnes faire la réflexion qu’un diagnostic plus rapide et précis permettrait de réaliser de sérieuses économies. Selon certains des médecins que nous avons auditionnés, il serait pourtant possible de procéder à un diagnostic rapide en soumettant les patients à un questionnaire – une méthode qui paraît si simple que l’on se demande pourquoi elle n’est pas mise en œuvre à grande échelle dans le cadre de la médecine de premier recours.

Nous sommes un peu étonnés d’apprendre que la médecine de ville ne donne pas lieu à un codage des pathologies. Pourriez-vous nous préciser ce qui s’y oppose ? S’agit-il de contraintes administratives ? En tout état de cause, la mise en œuvre d’un tel codage nous semblerait présenter un grand intérêt pour le budget de la sécurité sociale, mais aussi dans le cadre de la médecine populationnelle – un concept que vient de nous exposer le directeur général de la santé – qui, si elle était mise en œuvre, pourrait mettre en évidence que certains territoires sont plus concernés que d’autres par telle ou telle maladie.

M. François Godineau. Si le codage des actes s’est mis en place assez facilement – étant précisé que l’établissement de la classification commune des actes médicaux a tout de même pris quelques années –, ce qui s’explique en partie par le fait que la facturation des soins dépendait de sa bonne application, le principe du codage des pathologies dans le cadre de la médecine de ville, qui figure à l’article L. 161-29 du code de la sécurité sociale, se heurte effectivement à des difficultés d’application d’ordre pratique. D’une part, les généralistes sont confrontés à la difficulté d’établir un diagnostic avec certitude, d’autre part le codage implique le recours à une classification connue, dont le maniement est loin d’être aisé.

Sur un plan pratique, le codage des pathologies se traduirait par une augmentation du temps consacré à chaque patient venant en consultation. Cela dit, il est permis de penser que l’évolution de l’environnement technologique des cabinets médicaux pourrait faciliter sa mise en application : les logiciels médicaux peuvent aujourd’hui documenter les dossiers des patients, ce qui n’était pas le cas en 1993. Le partage avec l’assurance maladie des informations susceptibles d’être recueillies soulève d’autres questions, et il convient de rappeler que les données collectées ne pourraient être transmises qu’aux médecins-conseils, conformément aux dispositions légales. En tout état de cause, c’est sans doute par le biais de cet appui technologique qu’il pourrait être envisagé de mettre en application le principe, déjà existant sur le plan légal, du codage généralisé des pathologies – sous réserve de procéder à une clarification de la nomenclature utilisée, et étant rappelée la difficulté pour un généraliste de poser un diagnostic avec certitude, surtout quand il n’a vu le patient qu’une ou deux fois.

M. Arnaud Viala. Nous abordons la question se trouvant au cœur de la problématique explorée par notre commission, consistant à déterminer si la société doit, ou non, mieux reconnaître et mieux prendre en charge la fibromyalgie. Considérez-vous que la société et l’assurance maladie refusent de reconnaître la maladie de peur d’avoir à assumer les coûts qu’elle engendrerait – des coûts qui n’ont pas été quantifiés, puisqu’on ne s’est pas donné les moyens de le faire –, ou que c’est faute de connaître suffisamment bien la maladie que l’on ne va pas au bout du chiffrage de son coût ? Cette question, qui n’est pas sans évoquer celle de l’œuf et de la poule, est fondamentale pour les personnes atteintes par cette maladie puisqu’il ne peut y avoir de prise en charge sans reconnaissance ni de reconnaissance sans prise en charge.

M. François Godineau. Le dialogue régulier que j’entretiens avec l’assurance maladie me permet de dire qu’il n’y a pas, à mon sens, de refus de reconnaître la fibromyalgie, tout au plus une difficulté portant sur le statut qu’il convient de lui accorder. L’OMS l’a qualifiée de maladie, et nous faisons de même dans le cadre de nos mécanismes de prise en charge. Le souhait de reconnaissance d’un statut au sens sociétal est un peu différent de la question consistant à se demander si la fibromyalgie doit être systématiquement prise en charge au titre des affections de longue durée. Au vu des textes régissant ces affections et les exonérations y afférant, il faut être en présence d’une maladie présentant une certaine gravité, ou une chronicité ou une évolutivité telle qu’elle nécessite des soins particulièrement coûteux, justifiant que la personne qui les reçoit soit exonérée de sa participation, qui représenterait une charge à laquelle elle ne pourrait faire face.

D’après les renseignements qui nous sont fournis par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), environ 1 000 demandes par an sont formulées en vue de la prise en charge d’un syndrome de fibromyalgie au titre d’une affection de longue durée hors liste (ALD 31), et 50 % de ces demandes font l’objet d’un refus – ce qui constitue un taux nettement supérieur à celui d’autres affections de longue durée. Dans une circulaire de 2009, la DSS avait proposé un arbre de décision permettant au médecin-conseil, pour les personnes atteintes d’une pathologie non avérée, mais devant tout de même suivre un parcours de soins long et onéreux, de prendre une décision la plus objective possible.

Malheureusement, en dépit de l’existence de cet outil d’aide à la décision, on constate aujourd’hui une hétérogénéité dans la pratique – fréquemment soulignée par les personnes concernées, qui déplorent que la reconnaissance de leur maladie ne se fasse pas de manière uniforme sur le territoire par l’assurance maladie. Je répète cependant qu’il ne s’agit là que des conséquences du fonctionnement insatisfaisant du mécanisme de critères dont nous disposons, et non d’un refus délibéré de la CNAMTS de reconnaître la fibromyalgie. Comme les travaux de l’Académie nationale de médecine et de la Haute Autorité de santé l’ont montré, la solution à ce problème passe essentiellement par une amélioration de l’objectivation des critères ; pour ce qui est de la situation économique des patients à l’issue de leur parcours de soins, je rappelle que le traitement des symptômes actuellement proposé relève de soins courants, dont le coût n’est pas particulièrement élevé – étant précisé que l’aggravation de l’état de certaines personnes peut cependant conduire à engager des dépenses plus importantes.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Il semble que tout le monde se trouve un peu démuni devant la fibromyalgie, qu’il s’agisse des médecins, de l’administration ou des élus. L’intérêt pour le patient de se voir reconnaître le bénéfice du statut de l’ALD est de ne pas avoir à faire l’avance du coût des soins, et de ne pas avoir de reste à charge. Or la fibromyalgie ne nécessite pas la prescription d’examens ni de médicaments coûteux et, en l’état actuel, ne peut donner lieu à une prise en charge au titre des ALD – peut-être faudrait-il envisager un nouveau statut prévoyant l’application d’un forfait, par exemple.

En tout état de cause, avant même d’évoquer la prise en charge de la fibromyalgie, le fond du problème réside bien dans sa reconnaissance. Celle-ci ne paraît pas près d’être acquise au vu de l’état des connaissances scientifiques, ce qui est plutôt inquiétant, car nous tournons en rond…

M. François Godineau. N’étant pas médecin, je me garderai bien d’émettre le moindre avis sur les perspectives de voir la fibromyalgie reconnue comme une maladie à part entière à plus ou moins long terme – en tout état de cause, on ne peut que souhaiter que la recherche scientifique permette de mieux cerner ses causes et ses mécanismes.

Le fait de pouvoir bénéficier du statut d’ALD constitue une demande très explicite de la part des personnes souffrant de fibromyalgie. Ce statut n’est probablement pas tout à fait adapté, mais, conformément à ce que nous souhaitons, le processus visant à l’objectivation des critères qui permettraient de conférer à la fibromyalgie le statut d’ALD est engagé – la Haute Autorité de santé vient à nouveau d’être saisie de recommandations sur ce point par la CNAMTS. Nous estimons qu’il conviendrait de ne pas se focaliser sur le parcours de soins, mais de prendre également en compte les difficultés sociales et professionnelles auxquelles sont confrontés les patients – à l’instar de ce qui se fait dans le cadre de la prise en charge globale des personnes en perte d’autonomie, actuellement mise en œuvre à titre expérimental. Le panier de soins de la médecine de ville ne permet pas forcément une prise en charge complète des personnes concernées, ce qui nécessitera d’engager une réflexion sur ce point.

Cela dit, l’objectivation des critères et la définition d’un parcours de soins standardisé me paraissent constituer une première étape indispensable dans l’objectif d’une meilleure prise en charge par l’assurance maladie des patients atteints de fibromyalgie – une prise en charge qui pourrait d’ailleurs impliquer l’intervention d’autres acteurs, par exemple la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Je rappelle également que, à l’heure actuelle, 500 personnes par an sont prises en charge au titre de l’ALD, sur la base d’un protocole de soins établi par le médecin traitant.

M. Arnaud Viala. La plupart des personnes souffrant d’un syndrome fibromyalgique font état de souffrances physiques, mais aussi morales, sociales et professionnelles – puisque leur état les empêche parfois de travailler de manière régulière. Ces personnes, déjà confrontées à la difficulté d’obtenir un diagnostic définitif et fiable, à l’absence de traitement adapté et à la non-reconnaissance de leur maladie par l’assurance maladie et la société, se voient souvent accusées par leur employeur, et par la société dans son ensemble, d’être des simulateurs : de ce point de vue, elles subissent une double, voire une triple peine. J’insiste donc sur le fait que la reconnaissance de leur état constitue un point essentiel dans les attentes qu’elles expriment.

M. François Godineau. Je ne peux que partager le constat que vous venez de faire, et vous répéter que nous souhaitons entreprendre une démarche d’ensemble qui nous permette d’accompagner le mieux possible les personnes concernées, ce qui suppose que les critères de définition de la maladie soient objectivés. Cela dit, si la fibromyalgie doit bénéficier d’un statut, peut-être celui-ci ne doit-il pas se limiter à celui de l’ALD tel qu’il est actuellement défini. Dans certains cas, il arrive d’ores et déjà que l’assurance maladie prenne en charge à 100 % les frais exposés par un patient, lorsque certains motifs le justifient. En tout état de cause, si la situation actuelle n’est pas satisfaisante, elle n’est pas bloquée pour autant, et nous avons à cœur de trouver une solution afin que les personnes touchées par la fibromyalgie bénéficient de la meilleure prise en charge possible.

M. le rapporteur. Vous avez dit que 500 personnes souffrant de fibromyalgie se voyaient accorder chaque année le statut d’ALD. Or il y aurait actuellement entre 1,2 et 2 millions de personnes concernées par cette affection… autant dire qu’aucune solution n’est proposée à l’immense majorité de celles-ci ! Si l’on peut dire aux personnes souffrant d’arthrose que leur affection est douloureuse, mais pas mortelle, tout au plus conseille-t-on à celles atteintes par un syndrome fibromyalgique de s’occuper en jardinant, en voyageant, ou en pratiquant toute autre activité de nature à apaiser le stress, ce qui, étant sans véritable rapport avec ce dont elles souffrent et ne leur apportant aucune information, ne fait qu’entretenir la confusion et peut conduire ces personnes à penser qu’elles sont atteintes d’une maladie grave.

Pour moi, il ne fait pas de doute que nous accomplirions un grand progrès en reconnaissant leurs souffrances physiques et morales plutôt que de mettre en doute leur santé mentale, en leur disant clairement qu’elles sont atteintes d’une maladie appelée fibromyalgie, en les rassurant sur le fait que celle-ci n’a pas un caractère mortel, et qu’elles vont pouvoir être prises en charge au titre d’une ALD.

M. François Godineau. Encore une fois, je partage le constat que vous faites, et je regrette de ne pouvoir vous apporter une autre réponse que celle que je vous ai déjà faite, même si celle-ci peut sembler un peu technocratique. Les critères de l’ALD tels qu’ils ont été définis par le législateur pourraient éventuellement être revus : une telle démarche n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel pour l’assurance maladie, qui a ainsi créé le suivi post-ALD afin d’étudier la mise au point de dispositifs de sortie d’ALD.

Comme vous l’avez dit, le fond du problème réside bien dans l’insuffisance de connaissances médicales sur la fibromyalgie, ainsi que dans la complexité de l’approche de cette pathologie pour le médecin traitant. Notre souhait consiste à être en mesure de tirer les conséquences, en termes de prise en charge, du diagnostic établi par le médecin : il s’agit, d’une part, d’évaluer aussi précisément que possible la gravité de la maladie et les conséquences sociales auxquelles elle expose la personne concernée, d’autre part, de définir un parcours de soins prévisionnel, comme nous le faisons actuellement pour les patients atteints de diabète, par exemple.

Cela dit, je suis conscient du fait que la solution que nous proposons n’est pas de nature à répondre à l’ensemble des situations de détresse que vous décrivez, produites par notre système institutionnel. On compte actuellement environ 10 millions de personnes ayant le statut d’ALD, et les chiffres que l’on avance au sujet des personnes souffrant de fibromyalgie – 600 000 personnes selon mes chiffres, plus de 1 million selon les vôtres – sont forcément préoccupants en termes de croissance potentielle de la dépense, mais croyez bien que nous nous employons à faire en sorte que tous les patients, quelle que soit l’affection dont ils souffrent, puissent bénéficier de la meilleure prise en charge possible.

M. le rapporteur. Nous vous avions transmis, préalablement à cette audition, un certain nombre de questions que nous n’avons pu évoquer ce matin, faute de temps. Pourrez-vous y répondre par écrit ?

M. François Godineau. Nous n’y manquerons pas.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous vous remercions d’avoir répondu à l’invitation de notre commission et d’avoir enrichi nos travaux de votre intervention.

La Commission procède enfin à l’audition du professeur Luc Barret, médecin-conseil national de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), accompagné du docteur François-Xavier Brouck, directeur à la direction des assurés, de Mme Véronika Levendof, responsable du département juridique, et du docteur Geneviève Motyka, médecin-conseil.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous allons entendre le professeur Luc Barret, médecin-conseil national de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, accompagné du docteur François-Xavier Brouck, directeur à la direction des assurés, de Mme Véronika Levendof, responsable du département juridique et du docteur Geneviève Motyka. Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Je vous rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Luc Barret, M. François-Xavier Brouck, Mme Véronika Levendof et Mme Geneviève Motyka prêtent serment.)

M. Luc Barret, médecin-conseil national de la CNAMTS. Si je suis professeur de médecine, c’est en tant que médecin-conseil national que je vais intervenir sur la fibromyalgie, question relativement complexe, non seulement pour l’assurance maladie, mais pour le monde scientifique en général.

La trame de notre intervention sera constituée à partir des questions que vous avez bien voulu nous faire parvenir. Je laisse au docteur François-Xavier Brouck le soin de vous expliquer comment l’assurance maladie peut actuellement prendre en charge la fibromyalgie, notamment en cas de demandes de reconnaissance comme affection de longue durée (ALD). Nous vous donnerons ensuite les quelques chiffres dont nous disposons.

M. François-Xavier Brouck, directeur à la direction des assurés. La fibromyalgie ne fait pas partie de la liste des affections exonérantes, d’ailleurs actualisée par le décret du 19 janvier 2011 qui fixe la liste des affections dites ALD 29 – et non plus ALD 30, puisque l’hypertension artérielle n’en fait plus partie. Son inscription dans la liste nécessiterait une saisine par le ministère de la santé et un avis de la Haute Autorité en santé – HAS.

Aujourd’hui, l’article L. 174-4 du code de sécurité sociale définit des affections « hors liste », pouvant bénéficier de l’exonération du ticket modérateur, sur deux critères cumulatifs : l’affection doit être à la fois grave et caractérisée hors de la liste ; elle doit nécessiter un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse.

La circulaire ministérielle du 8 octobre 2009 relative à l’admission et au renouvellement des affections « hors liste » a précisé ces critères. « Ainsi, il peut être considéré qu’un avis favorable est justifié pour une admission en ALD hors liste, si les critères cumulatifs suivants sont vérifiés :

Au moins trois des cinq critères du panier de soins doivent être validés, dont un obligatoirement, c’est-à-dire : un traitement médicamenteux régulier et/ou un appareillage régulier ; des hospitalisations ; des actes techniques médicaux répétés ; des actes biologiques ; des soins paramédicaux.

Dans la plupart des cas, la durée de la prise en charge de la fibromyalgie est supérieure à six mois, et la qualité de vie est dégradée. On peut considérer que les deux premiers critères sont remplis. Le troisième critère fait l’objet de situations beaucoup plus disparates puisque, en réalité, seules les affections les plus évolutives et les plus sévères, c’est-à-dire celles qui font l’objet d’actes techniques répétés, d’hospitalisations et d’un traitement lourd, peuvent être reconnues coûteuses selon le troisième critère.

En réalité, nous sommes confrontés, à l’assurance maladie, à la grande hétérogénéité des demandes qui nous parviennent : leur nombre est très disparate d’une région à l’autre ; il en est de même des critères de prise en charge et du diagnostic établi par le médecin traitant. Certaines de ces demandes nous arrivent avec des qualificatifs différents. Bien qu’un code de la classification internationale des maladies ait été attribué à la fibromyalgie, les demandes ne sont pas systématiquement formulées sous ce libellé – parfois pour des syndromes dépressifs, des affections de type articulaire ou de l’appareil locomoteur.

Nous avons fait un recensement des demandes de fibromyalgie, dont le professeur Luc Barret va vous parler.

M. Luc Barret. Pour expliquer une partie des difficultés que l’on a à tracer la fibromyalgie, il faut rappeler que, sur le Système d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), qui est la base dont nous extrayons la plupart des données que délivre l’assurance maladie sur la question des remboursements de soins de ville, nous n’avons pas les diagnostics en clair. Nous procédons donc à l’aide d’algorithmes en recoupant divers éléments dans la grille de remboursement : types d’examens radiologiques, biologiques ou autres, pour parvenir à un diagnostic. C’est particulièrement difficile pour la fibromyalgie, car il n’y a pas vraiment d’acte traceur ou de recoupement d’actes permettant de faire cette analyse.

En revanche, nous avons des chiffres sur les demandes d’ALD. En 2012, 2013 et 2014, nous avons recensé 2 649 demandes s’agissant du syndrome fibromyalgique, ce qui est relativement peu sur trois ans, par rapport aux 2 millions d’avis qui nous sont demandés sur une année.

L’incidence de ces demandes est donc relativement faible, même si elles sont en nombre croissant – de 692 demandes en 2012 à 1 955 en 2014. Rappelons que nous travaillons uniquement sur celles qui émanent des médecins traitants. Si nous n’avons que peu de demandes, c’est peut-être que l’attention portée par les médecins est moindre qu’elle ne le devrait.

Cela étant, l’augmentation du nombre des demandes s’accompagne d’une stabilisation globale du nombre d’avis favorables donnés à ces demandes, toujours sur trois ans : 493 demandes avec avis favorable en 2012, contre 508 en 2014. Et a contrario, puisque le nombre des demandes a augmenté, celui des avis défavorables a connu une relative augmentation.

Ensuite, François-Xavier Brouck a parlé d’hétérogénéité. Quand on examine la situation région par région, on fait en effet plusieurs constatations. Le faible nombre de demandes n’est pas associé à une homogénéité ou à une stabilité du nombre d’accords ou d’avis favorables. Ainsi, la région Bourgogne représente 2,57 % des demandes totales, pour 23 % des avis favorables. L’Auvergne, dont le taux des demandes est équivalent, soit 2,08 %, présente un taux d’avis favorables de 78 %.

À l’inverse, s’il y a une forte demande, il n’y a pas forcément d’égalité dans le taux d’avis favorables. Ainsi, en PACA, qui représente 15,4 % des demandes, il y a 64 % des avis favorables. En Nord-Picardie, avec 11,4 % des demandes, il y a 47 % d’avis favorables.

Une forte population n’est pas forcément corrélée à la demande. Nous avons l’exemple de l’Île-de-France, qui ne représente que 9,36 % des demandes. On ne peut donc qu’observer l’hétérogénéité des réponses.

Enfin, sur la période 2010-2015, on a eu à donner 20 388 arrêts de travail, soit environ 3 400 par an. Sur la même période, nous avons donné 8 934 avis pour des arrêts de travail supérieurs à six mois, et seulement 1 500 concernaient la fibromyalgie, avec 45 % d’avis favorables. Toujours sur cette période, un dernier chiffre reprend les admissions en invalidité « sécurité sociale » : 3 883 admissions au titre de la fibromyalgie, soit environ 650 par an.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Les systèmes d’information vous permettent-ils d’estimer le coût de la fibromyalgie pour l’assurance maladie ?

Disposez-vous de données chiffrées relatives à la prescription de médicaments, aux consultations de généralistes et de spécialistes, aux examens médicaux, aux transports sanitaires, aux séjours en centres antidouleur, en structures hospitalières ou en cures thermales, et aux arrêts de travail ?

Quelles évolutions faut-il envisager pour parvenir à estimer le coût de la fibromyalgie ?

M. Luc Barret. Malheureusement, comme je vous l’ai indiqué, nous ne connaissons pas le coût de la fibromyalgie, principalement parce que nous n’avons pas, dans le SNIIRAM, qui est la base de remboursements, les diagnostics en clair. Il nous faut donc procéder par des algorithmes, et la construction d’algorithmes « fibromyalgie » est particulièrement compliquée. En tout état de cause, nous ne l’avons pas faite – sans que ce soit insurmontable.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Le codage se fait-il en milieu hospitalier ?

M. Luc Barret. Oui, sur le programme de médicalisation des systèmes d’informations – PMSI.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. A-t-on fait ce travail en milieu hospitalier ?

M. Luc Barret. Si le codage « fibromyalgie » a été fait soigneusement, c’est possible. Mais nous n’avons pas réalisé de regroupement. En outre, nous avons le PMSI avec retard ; on ne peut l’analyser qu’avec une année de décalage.

Cela ne fait que peu d’années que l’on peut chaîner le SNIIRAM avec le PMSI. Pour nous, ce fut un grand progrès. Mais il faut bien reconnaître que ce n’était pas possible il y a trois ou quatre ans. Le grand progrès sera de pouvoir aussi chaîner les causes de décès, dont on ne dispose pas actuellement. Le dispositif d’évaluation des données de l’assurance maladie va se compléter au cours des prochaines années de façon très efficace. Mais il restera limité par l’absence, en dehors du PMSI, des diagnostics sur les questions de remboursement des soins de ville.

M. François-Xavier Brouck. En ce qui concerne les fibromyalgies, l’approche est essentiellement clinique et nous n’avons pas d’acte traceur pour les suivre, ce qui pose problème pour évaluer, comme on peut le faire dans d’autres situations, le panier de soins et le reste à charge pour les assurés. Nous approchons la fibromyalgie au travers des demandes d’admission en ALD et du suivi des arrêts de travail.

La HAS évalue la prévalence de l’affection à 2,2 % de la population. Ainsi, les 20 000 arrêts de travail pour fibromyalgie représentent très peu de chose au regard des 2 millions d’arrêts de travail que nous accordons chaque année. En outre, les situations sont très disparates, qu’il s’agisse de leur niveau de gravité ou de la prise en charge.

La HAS s’est prononcée en 2009 au travers d’un rapport d’orientation, mais, cela a été dit tout à l’heure à propos de la demande d’admission en ALD, elle n’a pas fixé ce qui relève vraiment des critères de gravité justifiant l’exonération du ticket modérateur. Dès lors que nous disposerons de ses recommandations, nous aurons davantage de possibilités d’évaluation.

Au travers des séjours hospitaliers, il faut vérifier quel est le sujet des diagnostics principaux et des diagnostics secondaires. Mais les patients fibromyalgiques hospitalisés ne représentent qu’une petite part de la population globale des fibromyalgiques, et avec des spécificités liées au codage. Pour nous, il est assez difficile de constituer aujourd’hui ce type de situations.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Vous nous avez dit que le nombre des arrêts de travail pour fibromyalgie était peu important par rapport à l’ensemble. Mais nous ne savons pas si les personnes atteintes de fibromyalgie ont un travail. Celles qui n’en ont pas n’ont pas besoin d’arrêt de travail. N’oublions pas que cette maladie touche principalement des femmes, lesquelles ont plus de mal à trouver du travail et sont plus souvent au chômage que les hommes, et qu’elles peuvent renoncer à chercher du travail en raison de leur état de santé. Par ailleurs, les personnes atteintes de fibromyalgie nous ont dit qu’elles s’efforçaient de continuer à travailler – dans la mesure où leur état de souffrance le leur permet. Voilà pourquoi il faut manipuler ce chiffre avec précaution.

Il serait très intéressant de disposer d’une étude expliquant pourquoi cette maladie touche principalement des femmes, dans quelles conditions elle survient, etc. Nous manquons de données médicales, mais aussi de données « sociétales ».

M. le rapporteur. En l’absence d’autres traceurs, peut-on envisager d’autres moyens d’évaluation, par exemple par le biais du dossier médical personnel (DMP) ? Il faudra bien un jour trouver un traceur quelque part.

M. Luc Barret. Il nous sera toujours difficile de connaître les éléments qui tracent la fibromyalgie. Vous avez sûrement auditionné d’éminents spécialistes de la question, qui ont dû vous expliquer que, ce qui trace, c’est l’absence de traces en dehors des symptômes polyalgiques ! Nous n’avons pas véritablement de critères diagnostiques.

Comme le rappelait François-Xavier Brouck, nous avons saisi la HAS, à qui, par une lettre du 16 juin 2016, j’ai demandé d’aller au-delà de son rapport d’orientation et d’édicter des recommandations concernant aussi la sphère du diagnostic. Dès que nous en disposerons, nous pourrons bien mieux appréhender la réalité de cette affection, dont la prévalence est probablement sous-estimée. Les malades, les pouvoirs publics et l’assurance maladie ne peuvent que trouver avantage au fait que l’on cerne mieux dans quelles conditions le diagnostic doit être porté, et sur quelles bases.

Avant d’intégrer l’assurance maladie en 2014, j’étais professeur de médecine légale : je peux donc vous dire que la question de la fibromyalgie est prise en compte lorsqu’il s’agit de réparer des dommages corporels. En effet, c’est souvent à la suite d’un traumatisme, quelle qu’en soit la nature, que l’on développe une fibromyalgie, et on peut s’interroger sur l’imputabilité de ce dommage au traumatisme initial.

Il conviendrait en effet d’étudier les aspects sociétaux de la maladie, en évitant de tomber dans le piège qui consiste à ne pas la considérer comme telle. Son suivi est d’autant plus compliqué qu’il faut à la fois amener les fibromyalgiques à reconnaître qu’ils souffrent d’une maladie et les aider à en sortir – car on peut sortir de la fibromyalgie, mais ce n’est certainement pas en la niant et en multipliant les examens. Les médecins traitants doivent donc parvenir à un équilibre très subtil. C’est d’ailleurs peut-être ce qui explique qu’ils répugnent à se lancer dans des demandes d’invalidité – mais peut-être moins dans des demandes d’ALD. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec vous : tout le monde gagnerait à ce qu’on l’on approfondisse ces questions, et pas seulement sous un angle purement médical.

M. le rapporteur. Avez-vous entendu parler des tests FIRST (Fibromyalgia Rapid Screening Tool) et FIQ (Fibromyalgia Impact Questionnaire) ? C’est peut-être un des moyens d’éviter l’errance médicale.

M. Luc Barret. Ces questionnaires, comme bien d’autres dans nombre d’affections, sont réalisés à titre de reconnaissance diagnostique. Le premier est un questionnaire d’évaluation de la douleur, et le second un questionnaire d’impact. Je ne suis pas certain qu’ils soient totalement spécifiques à ce syndrome, bien qu’ils aient été recommandés par les rhumatologues. Mais ils existent : autant les utiliser. Nous disposons d’instruments pour les diffuser : nous pourrions les mettre en ligne sur l’espace professionnel du site Ameli ; nous pourrions également établir une fiche « diagnostic » sur la question de la fibromyalgie.

M. François-Xavier Brouck. Le FIRST est un outil de dépistage intéressant : il est facile d’utilisation, il a une bonne sensibilité et une bonne spécificité. Il est d’ailleurs recommandé par la Société française de rhumatologie. Les médecins auraient intérêt à y recourir.

Je précise que la base des documents dont l’assurance maladie fait la promotion auprès des médecins est essentiellement constituée de questionnaires, de fiches, de synthèses, qui ont été labellisés par la HAS. Si la HAS considère effectivement que c’est un élément à prendre en compte, peut-être le mentionnera-t-elle dans les conclusions qu’elle soumettra à la demande que nous avons faite. Dans ces conditions, il sera possible d’en faire la promotion.

M. le rapporteur. Participez-vous à des actions de formation sur la fibromyalgie ?

M. Luc Barret. Non.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Partageons-nous nos interrogations et nos connaissances avec les autres pays européens ? On nous a dit, par exemple, que la maladie serait reconnue en Belgique. Qu’est-ce que cela signifie ? Le système belge n’est peut-être pas le même que le système français. On sait aussi que des parlementaires travaillent sur la santé au niveau européen. Au niveau mondial, l’OMS reconnaît la fibromyalgie. Avez-vous discuté de ce syndrome qui interroge certainement tous les médecins, voire tous les responsables politiques européens ?

M. Luc Barret. Non, nous n’avons pas de contacts spécifiques sur cette question au niveau européen.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Les médecins non plus ?

M. Luc Barret. Il est probable que les rhumatologues, les spécialistes de la prise en charge de la douleur échangent sur ce thème. Mais je n’ai pas d’informations à ce propos.

M. François-Xavier Brouck. Il est difficile de s’exprimer à la place de confrères qui auraient été amenés à en discuter. De notre côté, nous travaillons souvent avec les études internationales, pour faire le point. Mais ce n’est pas l’assurance maladie qui décide de prendre en charge telle ou telle pathologie. Pour qu’il y ait une suite, il faut une saisine ministérielle et un avis de la Haute Autorité en santé.

M. le rapporteur. Quelles sont les modalités de prise en charge de ce syndrome par l’assurance maladie ? Avez-vous édicté des recommandations de prise en charge auprès des caisses primaires ?

Les médecins-conseils sont-ils formés et sensibilisés au diagnostic de ce syndrome ? Pouvez-vous nous présenter le guide de procédure établi par les médecins-conseils de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) ? Vous avez dit que vous visitiez les gens qui étaient en arrêt de travail : cela suppose un minimum de formation.

La prise en charge par les caisses primaires des patients atteints de fibromyalgie est-elle harmonisée sur l’ensemble du territoire ? Comment assurer cette prise en charge équilibrée ?

Les malades chroniques atteints de fibromyalgie sont-ils pris en charge au titre des affections de longue durée ? Comment une maladie est-elle inscrite sur la liste des ALD 30 ? Avez-vous chiffré le coût d’une éventuelle prise en charge ?

La prise en charge de la fibromyalgie au titre de l’ALD 31 est-elle répandue ? À partir de quels critères ?

Je n’ai fait que reprendre les questions que vous aviez reçues auparavant.

M. François-Xavier Brouck. Nous avons en effet déjà répondu à certaines de ces questions – mais pas à celles relatives à la formation et aux actions menées.

Sur une pathologie donnée, nous sommes limités par la problématique du secret médical. Lorsque des actions sont menées vis-à-vis de patients et de professionnels de santé, dès lors qu’il faut recourir au dossier des patients, c’est le service médical de l’assurance maladie qui les assure.

Ensuite, les médecins-conseils prennent en compte un certain nombre de critères, comme je l’évoquais tout à l’heure à propos de l’exonération du ticket modérateur et de la prise en charge au titre de l’affection hors liste. De la même façon, nous avons un outil d’aide à la mise en invalidité, mais qui ne s’adresse pas seulement à la fibromyalgie. Dans de nombreuses situations, le médecin-conseil dispose en effet d’un référentiel pour comparer sa pratique, se poser l’ensemble des questions utiles, et décider de la façon la plus équitable possible. On souhaite en effet harmoniser les décisions – tout en étant conscient que chaque cas est propre. Il faut que, à situation identique, tous les assurés soient pris en charge de la même façon. Ces référentiels permettent d’harmoniser les décisions. Et nous travaillons notamment avec des revues de dossiers, pour faire le point sur le sujet.

Dans le cadre du développement professionnel continu, la fibromyalgie pourrait constituer un thème de formation pour l’ensemble des praticiens-conseils.

Reste que, aujourd’hui, nous rencontrons de grosses difficultés : d’une part, nous manquons de référentiels ; d’autre part, nous avons du mal à repérer l’immense majorité des malades, comme vous l’avez d’ailleurs souligné. Les chiffres montrent que nous ne suivons qu’une toute petite frange de la population atteinte de cette affection.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Messieurs, merci pour votre contribution.

La séance est levée à douze heures cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 21 juin 2016 à 9 heures 30

Présents. – Mme Sylviane Bulteau, M. Patrice Carvalho, Mme Florence Delaunay, M. Renaud Gauquelin, Mme Annie Le Houerou, M. Gilles Lurton, M. Arnaud Viala

Excusés. – M. Jean-Pierre Decool, M. Frédéric Reiss