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Commission d’enquête
sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive
du temps de travail

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Françoise Bouygard, directrice de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social, accompagnée de M. Patrick Pommier, chef du département relations professionnelles et temps de travail

Présences en réunion

Mercredi
23 juillet 2014

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 5

Présidence de
Mme Isabelle Le Callennec,
Vice-présidente

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à douze heures dix.

——fpfp——

Présidence de Mme Isabelle Le Callennec, vice-présidente de la commission d’enquête

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Françoise Bouygard, directrice de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social, accompagnée de M. Patrick Pommier, chef du département relations professionnelles et temps de travail.

Mme Isabelle Le Callennec, présidente. Je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser le président Thierry Benoit, retenu par la réunion de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

Mme la rapporteure et moi-même vous remercions, madame la directrice, d’avoir répondu à la convocation de notre commission d’enquête, et ce dans des délais extrêmement courts.

Je vous rappelle qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué, et les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu dudit article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Françoise Bouygard et M. Patrick Pommier prêtent serment.)

Votre audition, je vous le rappelle, fait l’objet d’un enregistrement et d’une retransmission vidéo.

Mme Françoise Bouygard, directrice de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social. J’évoquerai tout d’abord les études que la DARES et d’autres organismes ont réalisées sur les thèmes visés par votre commission d’enquête, avant d’en venir aux travaux plus récents conduits dans ma direction et aux conséquences des évolutions récentes du temps de travail.

La DARES suit le coût des politiques d’emploi et de formation professionnelle via une publication annuelle également disponible sur internet. Tous régimes confondus, le montant total des allégements de charges sociales s’élève, sur la période 1998-2011, à 234,6 milliards d’euros, dont 193,9 milliards de 2002 à 2011. Cependant, l’intégralité de ces exonérations n’est pas imputable à la réduction du temps de travail, puisque les entreprises passant aux 35 heures n’avaient plus droit aux exonérations sur les bas salaires. En faisant l’hypothèse que le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), sans la mise en place de la réduction du temps de travail (RTT), aurait crû de 1998 à 2007 à la même vitesse que le salaire moyen, en faisant également l’hypothèse que les allégements, sans changement de barème, auraient augmenté au même rythme que la masse salariale et que cette dernière aurait elle-même suivi la même progression que la valeur ajoutée, des chercheurs ayant travaillé pour le Conseil d’analyse économique ont estimé que le montant des allégements de charges liés à la RTT représentait, en 2007, 55 % du total des allégements. Avant 2007, je le rappelle, les allégements liés à la RTT faisaient l’objet d’un suivi dédié, ce qui n’est plus le cas depuis la réforme « Fillon ».

Ce bilan ne prend en compte que le coût des allégements généraux de cotisations sociales liées aux 35 heures, sans inclure l’accroissement des recettes sociales et fiscales que celles-ci auraient pu induire, par exemple via les effets sur l’emploi de la réduction du temps de travail, qui constituent mon deuxième point. Ces effets ont donné lieu à plusieurs évaluations ex post, de la part de la DARES et de beaucoup d’autres organismes, à commencer par l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE. Je veux rappeler les difficultés qui s’attachent au chiffrage considéré. La politique de réduction du temps de travail a associé un abaissement de la durée légale du travail à une diminution du coût du travail. On en attendait aussi une modération salariale et des gains de productivité. Décomposer, ex post, les effets économiques de la politique de réduction du temps de travail entre chacune des composantes que j’indiquais est donc complexe, comme le rappelle un article d’Alain Gubian, Stéphane Jugnot, Frédéric Lerais et Vladimir Passeron paru dans la revue Économie et statistique en 2004.

En termes de méthode, l’évaluation des 35 heures se heurte par ailleurs à la difficulté d’élaborer un contrefactuel permettant de comparer leurs effets dans les entreprises qui les ont mises en place et dans les autres. Des méthodologues et des économistes ont analysé les biais statistiques susceptibles d’affecter les études. Le premier de ces biais, lié aux caractéristiques observables des entreprises, est le plus facile à corriger, contrairement au deuxième, dit d’« hétérogénéité inobservée » : certaines variables nous échappent en effet, soit parce qu’elles ne figurent pas dans les systèmes d’information, soit parce que nous ne les avons pas identifiées. Le biais d’« hétérogénéité des effets du traitement » tient quant à lui à ce que les entreprises diffèrent dans leur tendance générale d’emploi, indépendamment de la RTT, mais aussi dans leurs capacités d’adaptation à celle-ci. On peut d’ailleurs penser que les entreprises ayant anticipé le passage aux 35 heures sont précisément celles pour qui la mesure était a priori la plus profitable. Enfin, le biais d’« effet de bouclage » s’explique par notre ignorance des effets de la RTT sur les entreprises restées aux 39 heures. Au fur et à mesure de la mise en œuvre des 35 heures, la taille du groupe formé par les entreprises qui ne les appliquaient pas est allée s’amenuisant, rendant ainsi les comparaisons difficiles.

Ces problèmes de méthode expliquent en grande partie les différences observées dans les travaux consacrés aux effets des 35 heures sur l’emploi. En 2000, la DARES a mené une étude sur la base de l’enquête trimestrielle relative à l’activité et aux conditions d’emploi de la main-d’œuvre, dite « ACEMO », réalisée auprès des entreprises de dix salariés et plus qui avaient eu recours au dispositif « Robien ». D’après cette enquête, la RTT avait eu, dans les deux années suivant sa mise en œuvre, un effet net sur la création d’emplois de 6 à 7 % ; une autre étude de la DARES, réalisée en 2002 par M. Bunel – qui s’était fondé sur l’enquête « Passages » – avait conclu à un effet net de 6,6 % pour la loi « Aubry I », et de 4 % pour les entreprises du dispositif « Aubry II » qui avaient anticipé la loi. Enfin, l’étude de l’INSEE menée par MM. Crépon, Leclair et Roux en 2004 faisait apparaître des effets nets sur l’emploi de près de 5 % pour les entreprises visées par le dispositif « Aubry II ». Le fait que cette étude n’ait pas pris en compte la dynamique antérieure des effectifs dans les entreprises concernées explique sans doute la différence avec les chiffres de la DARES. Quelle que soit la source retenue, cependant, on constate un effet positif sur le niveau de l’emploi.

J’en viens à l’effet sur les salaires. Sur ce point, les analyses empiriques mettent en évidence une contribution de la RTT à la modération des évolutions salariales. Si, dans la plupart des accords, le niveau des salaires mensuels de base a été maintenu, les études de la DARES montrent qu’une majorité des entreprises a également engagé des accords de modération ou de gel des salaires. Ainsi, les trois quarts des salariés passés aux 35 heures avant 2000 ont été concernés par une modération salariale, tandis que la moitié de ceux qui y sont passés après 2000 travaillaient dans une entreprise où une telle modération était prévue, pour une durée moyenne de 23 mois.

L’effet positif de la RTT sur l’emploi est lié essentiellement à la modération du coût du travail, mais aussi aux gains de productivité induits par la flexibilité accrue du temps de travail. De ce point de vue, la question qui se pose est celle de l’impact sur les conditions de travail des salariés, sujet que la DARES suit de façon continue. Deux enquêtes de la DARES ont été conjointement réalisées à l’occasion de la mise en œuvre des lois « Aubry I et II », en 2001 : la première auprès des salariés, l’autre auprès des chefs d’entreprise. Ces deux enquêtes convergent dans leurs constats. La moitié des salariés interrogés estime que leurs conditions de travail sont restées stables, sans amélioration ni dégradation, et 28 % – parmi lesquels majoritairement des ouvriers, des employés, des femmes et des personnes travaillant dans des entreprises de moins de cinquante salariés – jugent qu’elles se sont dégradées. Les salariés non consultés, au sein de leur entreprise, sur les conditions de mise en œuvre de la RTT, étaient plus nombreux à se plaindre d’une dégradation de leurs conditions de travail.

La RTT s’est, par ailleurs, accompagnée de réorganisations du travail plus ou moins profondes, dont il est difficile de dire si elles sont directement liées à cette réforme ; pour ma part, je serais encline à ne pas établir de lien de causalité. On peut en effet penser que l’ouverture de négociations a permis une réflexion globale sur l’organisation du travail.

Les résultats des enquêtes de 2001 convergent avec ceux d’une nouvelle enquête menée en 2003 : le temps de travail des salariés ayant bénéficié de la RTT est nettement plus flexible que pour les autres salariés. Leurs horaires sont également plus prévisibles : seuls 12 % des salariés dont la durée du travail avait été réduite connaissaient leurs horaires moins d’une semaine à l’avance, contre 18 % des autres salariés. Selon cette même enquête, les salariés estiment que la RTT a diminué la pression temporelle exercée sur eux. La part de ceux qui déclarent être « toujours obligés de se dépêcher » ou de « travailler très vite » était moins élevée dans les entreprises ayant mis en place la RTT, mais l’organisation du travail y était alors vécue comme plus contraignante : les salariés estimaient qu’ils avaient un peu moins souvent que les autres la faculté de « régler personnellement la plupart des incidents », et que leur travail était organisé de façon un peu plus rigide qu’auparavant.

Ces constats convergent avec des travaux monographiques de la DARES, qui montraient que la RTT a contribué à développer la polyvalence et la formalisation du travail. L’obligation de polyvalence – système de « bouche-trou », comme l’appellent un certain nombre de salariés – explique aussi que l’organisation du travail soit vécue comme plus contraignante.

Les salariés estimaient aussi que la RTT avait favorisé le soutien collectif dans l’organisation du travail : quand la RTT a été mise en place, ils étaient plus nombreux – 89 % contre 83 % – à déclarer qu’ils pouvaient « discuter facilement avec leurs collègues en cas de problème », et que leurs collègues leur manifestaient « de l’intérêt ». Enfin, dans les petites entreprises, les marges de manœuvre s’avéraient accrues pour les salariés dont le temps de travail a été réduit.

Je le répète, ces enquêtes de 2001 et de 2003 doivent être interprétées avec précaution : les jugements des salariés tenaient sans doute davantage aux négociations sur la réorganisation du travail qu’à la RTT proprement dite.

Sur les effets sociétaux, la DARES a contribué à des travaux, s’agissant en particulier de la conciliation entre vie familiale et professionnelle, à travers l’enquête « RTT et modes de vie » réalisée en 2001 – c’est-à-dire auprès de personnes ayant connu les lois « Robien » et « Aubry I ». Selon cette enquête, six salariés sur dix estimaient que la RTT avait eu un effet positif sur leur vie quotidienne, 13 % qu’elle l’avait dégradée et 29 % qu’elle n’y avait rien changé. Par « vie quotidienne » il faut entendre la vie au travail, mais aussi et surtout hors travail. Les femmes sont plus nombreuses à penser que la RTT a amélioré leur vie quotidienne, notamment celles ayant au moins un enfant de moins de douze ans à charge. Les autres facteurs influençant significativement la satisfaction des salariés sont la situation sociale – le jugement étant d’autant plus favorable que celle-ci est élevée –, ainsi que l’amélioration de la visibilité des horaires.

Les travaux que je viens d’énumérer ont été réalisés à une époque où l’on pouvait essayer d’établir, sous réserve des limites que j’ai rappelées, des corrélations, voire des liens de causalité, entre différents phénomènes et la RTT qui entrait alors en œuvre. La DARES continue cependant d’étudier les questions relatives à la durée et à l’organisation du travail : je vais m’efforcer de synthétiser l’état de nos connaissances en la matière.

Pour les salariés à temps complet des entreprises de dix salariés et plus, la durée hebdomadaire moyenne du travail est de 35,6 heures. Cette durée est restée stable depuis 2003 puisque la législation, dont elle suit largement les inflexions, n’a pas subi d’évolution majeure depuis cette date. En incluant les heures supplémentaires, la durée moyenne du travail hebdomadaire atteint, pour ces mêmes salariés, 39 heures, contre 40 heures pour l’ensemble des actifs à temps complet. Pour les salariés à temps partiel, la durée moyenne hebdomadaire s’établit à 23 heures.

Quant à la durée annuelle effective déclarée – l’annualisation du temps de travail ayant été l’un des objets des différentes lois –, elle atteint, en 2012, 1 682 heures pour les personnes de quinze ans ou plus ayant un emploi à temps complet – à rapporter aux 1 607 heures théoriques de la durée légale – et 981 heures pour les salariés à temps partiel, soit 1 552 heures en moyenne pour l’ensemble des salariés.

En 2013, un peu plus de 18 % des salariés travaillent à temps partiel – 30 % chez les femmes et 7 % chez les hommes –, pour une durée hebdomadaire moyenne remarquablement stable depuis 1998 : 23 heures, soit les deux tiers de la durée légale à temps complet. Les caractéristiques des emplois – plus précaires et moins qualifiés – et le profil des salariés qui les occupent – des femmes, pour 83 % d’entre eux – demeurent tout aussi stables. La DARES a publié en janvier 2013 un panorama complet sur cette question : nous pourrons bien entendu vous le communiquer. Le temps partiel, rappelons-le, s’était fortement développé dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, avant de se stabiliser entre 1998 et 2003, période de mise en œuvre de la RTT : une partie des salariés avait alors pu le convertir en temps complet puisque sa durée s’en était rapprochée. On peut aussi rappeler que le recours au temps partiel est très variable selon les branches. Par ailleurs, la proportion de salariés à temps partiel subi avait sensiblement reculé entre 1998 et 2002 – à hauteur de 5 % chez les femmes et de plus de 10 % chez les hommes –, avant de repartir à la hausse à partir de 2003.

Sur les comparaisons internationales, les médias se sont récemment fait l’écho d’une étude de Coe-Rexecode. Depuis l’entrée en vigueur des 35 heures, la France se distingue effectivement par une faible durée légale du travail. Selon Eurostat, la durée annuelle effective déclarée par les salariés français à temps complet s’établit en 2013 à 1 661 heures ; si bien que la France est, à l’exception de la Finlande, le pays de l’Union européenne où la durée du travail est la plus faible. Sur l’ensemble des salariés – à temps complet et à temps partiel –, la durée annuelle effective atteint cependant, toujours d’après Eurostat, 1 536 heures la même année, ce qui situe la France dans une position intermédiaire au sein de l’Union. En termes d’évolution, c’est en France que, de 1998 à 2013, les salariés à temps complet ont connu la plus forte baisse de la durée du travail : avec une baisse de plus de 10 %, notre pays se situe aux côtés de la République tchèque, de la Pologne et de la Lettonie. Mais si l’on considère l’ensemble des salariés – à temps complet et à temps partiel –, la France se situe en compagnie d’un plus grand nombre de pays, parmi lesquels l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne – la baisse de la durée du travail pour l’ensemble des salariés a ainsi été comparable en France et en Allemagne.

Ces comparaisons sont néanmoins très difficiles à établir, notamment parce que la façon dont les questionnaires sont administrés entraîne des biais importants. Sur ce point, la DARES publiera, au début de 2015, une étude d’après laquelle, s’agissant des salariés à temps complet, les écarts entre la France et l’Allemagne seraient majorés d’environ 40 %.

Par ailleurs, le nombre de salariés concernés par les horaires atypiques – travail de nuit ou le week-end, par exemple – a faiblement évolué entre 1998 et 2010 ; mais cette stabilité globale masque des disparités entre les hommes et les femmes, puisque l’on constate un léger accroissement des horaires atypiques pour les femmes : 9 % d’entre elles travaillent la nuit en 2010 – contre 7 % en 1998 – et 27 % le dimanche – contre 23 % en 1998.

Nous avons mené une analyse très fine sur les organisations atypiques du travail à partir de l’enquête « Emploi du temps » de l’INSEE, qui repose sur l’établissement d’un semainier précis par les personnes interrogées : en 2010, comme en 1998, un tiers des salariés ont travaillé en permanence selon un modèle de semaine standard, qui commence le lundi et s’achève le vendredi, avec des horaires quotidiens s’étendant du matin jusqu’en fin de journée. Cette proportion, restée stable, signifie donc que les deux autres tiers connaissent des organisations atypiques – pour peu que cette appellation ait encore un sens au vu du nombre de salariés concernés.

Notre enquête « Conditions de travail » couvre une période large puisqu’elle est menée tous les sept ans : elle permet ainsi de voir si la RTT a produit ou non des changements profonds et durables. Entre 1998 et 2005, la détermination des horaires est restée stable : la part des salariés ayant des horaires variables n’a pas évolué. Comme je le rappelais, la prévisibilité des horaires à un mois s’est même un peu améliorée et la pression a décru. On constate cependant une rupture depuis 2005, avec une intensification continue du travail : je vous renvoie sur ce point à l’une de nos publications, disponible depuis juillet 2014, relative aux conditions de travail de 1984 à 2013. Entre 1998 et 2005, les évolutions ne sont pas forcément imputables à la RTT, souvent précédée par des tendances historiques – par exemple celle du juste-à-temps, dont les effets s’observaient depuis 1978 –, et elles ne vont pas toujours dans le sens d’une dégradation des conditions de travail. Une telle dégradation est en revanche ressentie par les salariés depuis 2005.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Merci pour cet exposé très complet, qui a balayé de nombreuses questions que nous nous posons – coûts et gains en termes de pouvoir d’achat et de création d’emplois, conséquences sur la vie au travail et hors travail, organisation au sein des entreprises ou dialogue social.

Avez-vous une opinion sur les hypothèses qui conditionnent l’enquête relative aux allégements de cotisations ? Cette opinion pourrait-elle vous conduire à porter des jugements différenciés sur les résultats ?

On ne conteste plus guère le fait que la RTT a créé des emplois, à hauteur de 4 à 6 % supplémentaires ; en revanche, l’impact sur la compétitivité fait débat : avez-vous un éclairage sur ce point ?

Avez-vous bien voulu dire que la RTT avait été une occasion, et non une cause, de la réorganisation du travail ?

Votre exposé suggère aussi quelques paradoxes. Les salariés disent à la fois que la pression horaire s’est allégée et que l’organisation du travail est devenue plus contraignante : comment concilier ces deux sentiments ?

La RTT a favorisé, dites-vous, le dialogue, voire la solidarité entre les salariés ; or une flexibilité accrue tend à diminuer le travail effectué en commun, donc à réduire les contacts : avez-vous des éléments sur cette question ?

Le temps partiel subi aurait diminué jusqu’à 2003, date à laquelle il serait reparti à la hausse. Peut-on établir un lien entre cette évolution et l’augmentation du contingent des heures supplémentaires constatée à partir de 2004 ?

Le degré de satisfaction sur la RTT croît visiblement, sous toutes les réserves requises, avec la situation sociale ; or, d’après vos études, il est plus élevé chez les femmes, qui pourtant ont en moyenne des situations professionnelles moins favorables. Est-ce à dire que l’on se réjouit d’avoir du temps supplémentaire à consacrer à sa vie privée, à ses proches, comme en témoigne aussi, parfois, le choix du temps partiel ?

Nous vous adresserons peut-être d’autres questions par écrit.

M. Christophe Cavard. Compte tenu du contexte économique, de plus en plus de gens veulent accéder au marché du travail ; d’aucuns, dont je fais partie, estiment que des gains de productivité permettraient de partager le gâteau, ce que contestent des responsables politiques mais aussi les chefs d’entreprise. Quel est votre sentiment sur cette question ? La création de 4 à 6 % d’emplois supplémentaires s’explique-t-elle par le partage du temps de travail ?

La RTT a-t-elle participé à la remise en question du calcul hebdomadaire de la durée du travail ? On s’interroge en effet sur une comptabilisation annuelle, et de nombreuses branches ont négocié des volumes horaires autres qu’hebdomadaires.

De même, la RTT a-t-elle eu un impact sur la forme des contrats ? A-t-elle contribué à la hausse du nombre de contrats à durée déterminée (CDD) ?

Le rehaussement du seuil minimal du temps partiel de 20 à 24 heures, décidé avec l’adoption du projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, a fait débat ; cependant, dans les faits, la moyenne du temps partiel hebdomadaire atteignait déjà, selon vos explications, 23 heures avant le vote de ce texte. Faut-il en déduire que celui-ci fera disparaître les trois heures complémentaires ainsi gagnées ? Sur ce sujet sensible, il faut éviter les faux débats.

M. Denys Robiliard. Si j’ai bien noté, la durée hebdomadaire moyenne du travail à temps complet atteint, dans les entreprises de plus de dix salariés, 35,6 heures et 40 heures en incluant les heures supplémentaires, pour une durée annuelle de 1 682 heures en 2012. Je m’explique d’autant moins ces chiffres que 40 heures multipliées par 47 semaines font, sauf erreur, 1 880 heures. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

La distinction entre temps partiel subi et choisi est sujette à polémique : quels sont les outils de mesure qui vous permettent d’opérer cette distinction ?

Enfin, peut-on établir un lien entre l’évolution du temps de travail et l’évolution de la productivité ? Avez-vous des données à ce sujet ?

M. Gérard Sebaoun. Si je vous ai bien suivie, vous avez indiqué que la RTT avait eu un effet positif sur l’emploi, et que, si l’on associe temps plein et temps partiel, notre pays suivait une évolution comparable à celle de l’Allemagne.

Les salariés, avez-vous dit, se montraient globalement satisfaits des évolutions en termes d’organisation et de relations au travail dans les années qui ont suivi l’instauration de la RTT, laquelle a donc peut-être joué un rôle à cet égard ; or cette satisfaction semble s’être dégradée depuis 2005. De cette dernière date jusqu’à 2008, la période économique a pourtant été relativement favorable comparée à celle qui a suivi : comment expliquer que le sentiment de la dégradation des conditions de travail soit resté le même au cours de ces deux périodes ?

Mme Isabelle Le Callennec, présidente. Vous avez évoqué les enquêtes consacrées aux entreprises de plus de dix salariés : est-ce à dire que l’on ne mesure pas les effets de la RTT sur les entreprises de moins de dix salariés ?

A-t-on par ailleurs rapproché les données relatives aux créations nettes d’emplois de la courbe du chômage ?

Enfin, quelle est la durée hebdomadaire du travail à temps complet dans les entreprises de moins de dix salariés ?

Compte tenu de l’heure je vous invite à compléter, le cas échéant, vos réponses par écrit.

M. Patrick Pommier, chef du département relations professionnelles et temps de travail de la DARES. La question du temps partiel subi ou choisi est abordée à travers l’enquête de l’INSEE sur l’emploi, réalisée chaque trimestre sur un échantillon de plus de 100 000 personnes. L’une des façons d’opérer cette distinction consiste à demander aux salariés à temps partiel s’ils le sont faute d’avoir pu obtenir un emploi à temps complet. Cette enquête, désormais appelée « Enquête Emploi en continu », n’était qu’annuelle avant 2002-2003, qui constituent des années-charnières : la proportion des personnes se disant à temps partiel subi a plutôt diminué entre 1998 et 2002 et augmenté après cette date.

Il se trouve que le seuil de 24 heures dont vous parliez, monsieur Cavard, correspond à peu près à la médiane des contrats à temps partiel, si bien que la nouvelle loi a pour effet de hisser le volume horaire de la moitié des contrats à ce niveau. Cela fera sans doute évoluer la médiane et la moyenne, que par définition nous ne connaissons pas encore.

M. Christophe Cavard. Au vu de la moyenne, certains employés à temps partiel effectuent des heures « complémentaires » : celles-ci seront-elles annulées par l’augmentation du seuil minimal, aux dépens du pouvoir d’achat des intéressés ?

M. Patrick Pommier. En principe, les heures dites « complémentaires » revêtent un caractère exceptionnel.

Mme Françoise Bouygard. Nous n’avons pas fait d’évaluation ex ante sur les effets possibles de la nouvelle loi en ce domaine.

La durée du travail, pour les salariés à temps complet comme pour l’ensemble des salariés reste supérieure en Allemagne, monsieur Sebaoun ; mais l’écart est moindre si l’on considère l’ensemble des salariés : en 2010, ceux-ci ont effectué 1 542 heures en France et 1 621 heures en Allemagne, soit un écart de 79 heures. Malgré des problèmes méthodologiques que nous expliciterons début 2015, cette comparaison a du sens. En tout état de cause, je ne parlais que de l’évolution, qui a en effet suivi le même rythme dans les deux pays sur la période considérée.

M. Gérard Sebaoun. Vous venez de donner les chiffres de 2010 mais, dans votre exposé liminaire, vous évoquiez la période de 1998 à 2013…

Mme Françoise Bouygard. Nous sommes bien obligés de nous fonder sur les données que nous avons. Les comparaisons internationales ont deux limites : les données sur lesquelles elles s’appuient sont disponibles plus tard que les nationales, et elles sont entachées de problèmes méthodologiques importants.

M. Denys Robiliard. N’y a-t-il pas d’homogénéisation des données fournies par Eurostat ?

Mme Françoise Bouygard. Les concepts sont homogénéisés autant que possible, mais les modalités de réalisation des enquêtes ne le sont pas. Les résultats peuvent varier, par exemple, selon que le questionnaire est renseigné seul ou au côté de l’enquêteur, pendant une période de travail ou à une autre période. Nos premiers travaux, non encore publiés, nous conduisent à penser que, s’agissant des salariés à temps complet, une partie de l’écart mesuré entre la France et l’Allemagne tiendrait à des effets de méthode.

Quant aux autres questions, je vous propose d’y répondre par écrit.

Mme Isabelle Le Callennec, présidente. Je vous en remercie.

L’audition s’achève à treize heures dix.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 23 juillet 2014 à 12 heures

Présents. – M. Joël Aviragnet, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Christophe Cavard, M. Henri Guaino, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Jacqueline Maquet, M. Bernard Perrut, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun

Excusé. – M. Thierry Benoit