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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Jeudi 2 octobre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Thierry Benoit, Président,

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Christiane Charbonnier, directrice de la direction « Droit du travail », de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), accompagnée de Mme Delphine Assal, cheffe du service « Temps et revenus du travail », de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM)

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à neuf heures trente.

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Christiane Charbonnier, directrice de la direction « Droit du travail », accompagnée de Mme Delphine Assal, cheffe du service « Temps et revenus du travail », de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM)

M. Thierry Benoit, président de la Commission. Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir Mme Christiane Charbonnier, directrice du service « Droit du travail », qui est accompagnée de Mme Delphine Assal, chef du service « Temps et revenus du travail », de l’Union des industries et métiers de la métallurgie « UIMM ».

Nous avons entendu le 11 septembre dernier M. Jean-François Pilliard, qui ne nous avait pas fait part de toutes les propositions du MEDEF concernant la durée légale du travail. Celles-ci ont été rendues publiques par la suite.

C’est un sujet que vous connaissez bien. Après la fermeture des mines dans les années quatre-vingt, la métallurgie française a pâti dans les années 2000 de la concurrence internationale. Le rachat de diverses entreprises sidérurgiques par des groupes internationaux et la délocalisation de la production nationale d’automobiles vers des pays à bas coût de main-d’œuvre nous l’ont récemment rappelé.

Nous entendons de nombreux appels tendant à aligner les conditions de travail des salariés français sur celles de nos concurrents émergents, quand le modèle allemand semble, pour sa part, pouvoir se perpétuer. Cet alignement se traduirait juridiquement par la substitution d’un pur contractualisme à la législation et à la réglementation du travail établies progressivement en Europe de l’Ouest depuis plus d’un siècle. Ce faisant, ce contractualisme ne reconnaît plus l’inégalité des parties au contrat individuel de travail, que l’on qualifie traditionnellement de subordination du salarié à l’employeur.

Vous nous ferez sans doute part de votre point de vue sur cette évolution juridique et sur la manière dont la jurisprudence l’accompagne ou la ralentit. Votre appréciation du cadre juridique du temps de travail des salariés de votre secteur économique et des situations respectives des salariés à temps partiel, des cadres au forfait et des femmes, quoi que peu nombreuses dans la métallurgie, nous intéresse également.

Avant de vous entendre, je dois vous informer des droits et obligations qui vous reviennent dans le cadre formel de votre audition, tel qu’il est défini par la loi puisque nos travaux s’inscrivent dans les règles des commissions d’enquête.

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d’enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre témoignage. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu du même article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous serment, sans toutefois enfreindre le secret professionnel. Ces personnes doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc, chacune à votre tour, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Christiane Charbonnier et Mme Delphine Assal prêtent successivement serment.)

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l’objet d’un enregistrement et d’une retransmission télévisée.

Mme Christiane Charbonnier, directrice de la direction « Droit du travail » de l’UIMM. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de nous donner l’occasion de nous exprimer sur cette question de la réduction progressive du temps de travail.

Celle-ci a été amorcée au XIXe siècle avec la réduction de la journée de travail des femmes et des enfants, dans un souci de protection de la santé publique. La réduction du volume de l’horaire de travail s’est poursuivie au cours du XXe siècle et au tout début du XXIe siècle, avec la dernière réduction de la durée légale du travail à 35 heures.

Ces réductions, dont les motivations ont été différentes selon les époques, ont été plus ou moins difficiles à mettre en œuvre dans les entreprises et ont souvent conduit à des retours en arrière pour des raisons économiques et financières, lorsqu’elles n’étaient pas complètement justifiées, comme la première d’entre elles, par la préservation de l’intégrité physique des travailleurs.

J’évoquerai donc brièvement les différentes étapes de la réduction du temps de travail et aborderai, compte des enseignements que nous pouvons en tirer, les suggestions que nous pourrions faire pour l’avenir.

La première réduction importante du temps de travail du XXe siècle est apparue en 1919, couplée avec la fixation, le dimanche, de la journée hebdomadaire de repos. La journée de travail a été limitée à huit heures sur six jours, ce qui faisait 48 heures de travail au plus sur la semaine. Cette première réduction ne sera pas tout de suite réellement effective puisque dès le vote de la loi, des décrets ont été adoptés pour autoriser des heures au-delà de ces huit heures par jour. Le volume de ces heures qualifiées d’heures supplémentaires pouvait aller jusqu’à 300 par an. Ce n’est qu’en avril 1935 que l’autorisation de faire des heures supplémentaires fut supprimée. Ce n’est donc qu’à cette date que la réduction du temps de travail à 48 heures deviendra effective.

La deuxième réduction importante du volume du temps de travail fut prévue par une loi de 1936 qui, d’une part, consacra le décompte du temps de travail sur la semaine, et non plus sur la journée et, d’autre part, fixa une durée hebdomadaire de 40 heures par semaine, avec deux semaines de congés payés. Conçue de manière autoritaire et générale pour toutes les entreprises, la semaine de 40 heures ne pourra pas réellement être mise en œuvre. En effet, deux ans après, des décrets furent adoptés pour autoriser à nouveau des heures supplémentaires afin de permettre aux entreprises de dépasser cette durée de 40 heures, faute de main d’œuvre disponible pour faire face au travail correspondant aux heures libérées par cette réduction d’horaire.

Ce n’est qu’à partir de 1968, en même temps que l’instauration de la quatrième semaine de congés payés en 1969, que seront mises en œuvre des réductions conventionnelles, progressives, du temps de travail des salariés. Ainsi, dans la métallurgie, quatre accords ont été adoptés entre 1968 et 1973 pour réduire progressivement la semaine de travail de 48 heures à 40 heures. À cette date seulement, et progressivement dans le courant des années soixante-dix, la durée du travail va effectivement passer à 40 heures de façon pérenne.

En 1956, le passage de deux à trois semaines de congés payés n’a pas connu le même sort que ces réductions d’horaires. Cette troisième semaine de congés payés a été tout de suite effective parce qu’elle ne faisait que consacrer par la loi ce qui existait déjà dans les accords collectifs des entreprises.

On commence à s’apercevoir qu’en fait, la réduction du temps de travail ne devient effective et pérenne que si elle est consacrée par des dispositions conventionnelles prévues par les entreprises, et au rythme de celles-ci.

En 1982, est programmée, avec le passage de quatre à cinq semaines de congés payés, une réduction importante de la durée légale du temps de travail, de 40 à 35 heures par semaine. Toutefois, pour tenir compte des enseignements précédents, cette réduction ne devait être que progressive, c’est-à-dire ne rentrer en vigueur que par palier, entre 1982 et le 1er janvier 1986.

Dans la métallurgie, nous avions négocié à cette époque un accord qui amorçait la réduction effective de la durée du travail de 40 à 35 heures. Il prévoyait une réduction de la durée collective des salariés à 38 heures 30, et même à 38 heures pour les salariés travaillant en équipe de nuit. Par ailleurs, une annexe à cet accord ramena à 33 heures 36 le temps de travail des salariés travaillant en continu dans les entreprises sidérurgiques – équipes se succédant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour des raisons techniques.

La crise économique de 1983 contraindra les pouvoirs publics à renoncer au projet de ramener la durée légale du travail à 35 heures, Seule la cinquième semaine de congés payés et la semaine de 39 heures seront consacrées par la loi. De la même façon, dans la métallurgie, nous n’avons pas poursuivi les réductions progressives du temps de travail entamées en 1982. Nous nous sommes arrêtés à 38 heures 30, et à 38 heures, et à 33 heures 36 pour les salariés travaillant en continu.

En 1998, le taux de chômage est de 10 %. La situation économique n’est donc pas favorable à une nouvelle réduction générale du temps de travail pour améliorer les conditions de travail des salariés en vue d’un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle, comme le prévoyaient les réductions antérieures. La priorité est plutôt de donner du travail à tous ceux qui n’en ont pas. L’idée qui prévaut alors est de réduire à nouveau la durée du travail, mais pour partager le volume du travail existant, et créer des emplois avec le volume d’heures libérées par le temps supplémentaire de repos des salariés qui ont un emploi.

Cet objectif est louable, mais malheureusement très difficile à atteindre. L’idée que le travail a un volume donné et qu’il faut le partager pour en donner à tous est erronée, surtout lorsque la réduction d’horaire s’accompagne d’une compensation salariale. En effet, la loi du 19 janvier 2000 imposait une compensation des salaires au niveau du SMIC, qu’il était socialement, mais aussi juridiquement impossible de ne pas appliquer à l’ensemble des salaires. La baisse de salaire, même décidée par accord collectif consécutif à une réduction d’horaire, constitue une modification du contrat de travail que le salarié peut refuser.

Face à cette situation, l’UIMM n’a pas procédé à une baisse de l’horaire collectif de référence de tous les salariés de la métallurgie.

Nous avons négocié, uniquement au niveau de la branche, les modalités d’application des 35 heures, afin que les entreprises puissent organiser la répartition du volume de l’horaire avec l’ensemble des outils de flexibilité autorisés par la loi mais en perdant le moins possible d’heures productives. Nous y sommes plus ou moins parvenus, compte tenu de ce que permettait la loi.

Nous avons négocié sur la définition du temps de travail effectif, afin d’écarter au maximum les temps improductifs dans la comptabilisation des 35 heures, et sur le volume du contingent d’heures supplémentaires. En effet, la durée légale du travail n’est pas une durée obligatoire mais seulement le point de départ des heures supplémentaires. Certaines entreprises peuvent se mettre à une durée supérieure, et d’autres à une durée inférieure, sauf si un accord de branche impose à toutes les entreprises de la branche de se mettre à cette durée légale.

Nous avons négocié pour faire en sorte que cette durée légale soit calculée non plus sur la semaine comme le prévoyait la loi de 1936, mais sur l’année, les heures supplémentaires ne se décomptant qu’à la fin de l’année. Cela permet aux entreprises de faire varier les horaires pour tenir compte de leur charge de travail – dans les limites des durées maximales du travail.

Nous avons enfin négocié les forfaits en heures ou en jours sur l’année pour les salariés qui ont une autonomie dans la gestion de la répartition du volume horaire de travail qu’ils sont tenus de réaliser en application de leur contrat de travail.

Cet accord a été vivement critiqué, car il n’imposait pas à toutes les entreprises de ramener leur horaire de travail à 35 heures – ou en dessous. Néanmoins, il fournissait des outils de flexibilité à toutes celles qui souhaitaient le faire pour y procéder dans les meilleures conditions.

De fait, il a conduit à des mises en œuvre très diversifiées de la réduction du temps de travail.

Certaines entreprises, notamment les plus petites, n’ont pas réduit l’horaire à 35 heures. Elles ont utilisé le contingent, soit pour maintenir les horaires auxquels elles étaient, soit pour le réduire légèrement en dessous de l’horaire collectif, qui était généralement, dans la métallurgie, de 38 heures 30. Si elles ne l’ont pas fait, c’est qu’il leur était difficile, compte tenu de leur petite taille, de partager les emplois, c’est-à-dire d’en recréer à partir du volume d’heures libérées par la réduction d’horaires. Il était impossible de recruter, sur ces heures libérées, des personnes suffisamment polyvalentes. Comment auraient-elles pu remplacer à la fois les salariés qui faisaient de l’administratif, ceux qui faisaient de la recherche, ceux qui faisaient de la production, ceux qui faisaient de la maintenance, ceux qui faisaient du commercial, etc. Il était totalement impossible de partager vraiment les emplois dans les petites entreprises.

Certaines ont réduit les horaires de travail sur la journée, ou sur la semaine – environ 3 heures 30 dans les entreprises de la branche. D’autres ont préféré regrouper les heures de repos que les salariés auraient dû avoir en plus sur la semaine, et ont formé des journées supplémentaires de repos. Cela les a conduites à augmenter le nombre de jours non travaillés dans l’année de 4 ou 5 semaines – 21 jours si elles étaient à 38 heures 30, 24 jours si elles étaient restées à 39 heures, Ces quatre ou cinq semaines supplémentaires de congés payés étaient très difficiles à absorber par les entreprises, d’autant plus que la compensation était intégrale. Les entreprises devaient en effet payer les salariés exactement de la même façon.

Parmi les entreprises qui ont choisi d’apprécier le temps de travail sur l’année au lieu de la semaine, certaines ont retenu la formule que je vous ai décrite tout à l’heure : une modulation d’horaire permettant de faire varier l’horaire entre 48 heures sur une semaine, voire 0 heure sur d’autres semaines, en fonction de la charge de travail.

Enfin, les forfaits en heures et en jours sur l’année ont été largement utilisés par les entreprises, pour les salariés ayant une autonomie dans la répartition de leur volume horaire de travail – autonomie dans les limites des contraintes imposées par la fonction, c’est-à-dire par les rendez-vous de la clientèle ou les réunions avec la direction ou les collègues, pour organiser leur travail.

Finalement, l’avenir a donné raison à cet accord qui avait pourtant été très critiqué. En effet, dès 2003, soit juste un an après l’entrée en application de la durée légale des 35 heures, le chômage a commencé à remonter. La situation des entreprises ne s’améliorant pas malgré les allègements de charges, plusieurs lois sont intervenues pour assouplir les modalités d’application de cette nouvelle durée légale. Ces modalités d’application aboutissaient toutes à trouver des solutions pour permettre aux entreprises qui le pouvaient de relever leurs horaires de travail : augmentation du contingent ; élargissement du nombre de jours de repos pouvant être affectés au compte épargne temps ; système des heures choisies et des jours choisis pour les salariés qui souhaitaient travailler au-delà des durées de référence ; rachat des jours de RTT, possibilités ouvertes aux accords d’entreprise de déroger aux accords de branche, même si ces derniers étaient plus favorables.

Voilà ce qui s’est passé au XXe siècle. Passons maintenant aux perspectives d’avenir. Faut-il continuer à réduire le temps de travail, ou faut-il penser les choses autrement ?

On s’aperçoit que les assouplissements résultant des lois adoptées postérieurement à 2003 ont été finalement très peu utilisés par les entreprises. On peut invoquer plusieurs raisons à cela : d’abord, le manque d’activité : la croissance n’étant pas au rendez-vous, les entreprises n’ont pas eu l’opportunité d’utiliser ces assouplissements ; ensuite, la résistance du corps social, organisations syndicales et salariés ; enfin et surtout, et c’est pour nous la vraie raison, la complexité des textes et le coût de ces assouplissements.

Étant donné que la durée légale constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, on ne peut augmenter le volume horaire en utilisant les assouplissements que dans le cadre de la réglementation relative aux heures supplémentaires : il faut d’abord négocier un contingent d’heures supplémentaires suffisant pour permettre la remontée des horaires ; ensuite, négocier les conditions de rémunération de ces heures supplémentaires, la majoration ne pouvant pas être inférieure à 25 % pour les huit premières heures, et à 50 % au-delà ; enfin, attribuer, pour les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent négocié, une contrepartie en repos obligatoire – de 50 % pour les entreprises de 20 salariés au moins, et de 100 % pour les autres.

Par ailleurs, si l’on envisage de relever les horaires au niveau de l’ancienne durée légale de 39 heures, ce qui ne peut se faire sans une augmentation proportionnelle du salaire, cela conduit, en prenant en compte la majoration des heures supplémentaires entre 35 et 39 heures, à une augmentation de salaire de 14,4 %. Je précise que le passage à 35 heures avait déjà conduit, avec la compensation salariale, à une première augmentation de salaire de 11,4 %.

J’ajoute qu’en raison de l’insécurité juridique de tous les textes qui ont été adoptés, de nombreux contentieux se sont développés : sur les forfaits jours ; sur le décompte des heures dans le cadre de la modulation d’horaires sur l’année ; sur l’utilisation des comptes épargne temps pour rémunérer les temps non travaillés par les salariés lors des baisses d’activité à la place de la mise des salariés en situation de chômage partiel.

Nous pensons donc qu’il serait nécessaire, au-delà des efforts déjà entamés dans la loi de 2008, de simplifier de façon radicale les règles régissant le temps de travail tout en allégeant les coûts de l’heure de travail pour donner une vraie flexibilité aux entreprises, laquelle serait, à notre avis, profitable à l’activité économique. Comment procéder ?

On peut se demander si la voie la plus efficace ne pourrait pas être, puisque la durée légale n’est pas une durée obligatoire, de supprimer purement et simplement la durée légale.

La suppression de la durée légale entraînerait celle du seuil de déclenchement des heures supplémentaires pour ne laisser substituer que les durées maximales du travail : 10 heures par jour, 48 heures sur une semaine et 44 heures sur douze semaines – durée qui a été réduite à 42 heures dans la métallurgie. Dans ces limites-là, les entreprises pourraient alors fixer leur durée de travail de référence, en concertation avec les représentants des salariés. Cette durée de référence serait la durée de travail des salariés à temps plein.

Les conditions de dépassement de cette durée de référence devraient nécessairement être prévues par les accords fixant cette durée de référence, et les modifications de la répartition de ce temps devraient être arrêtées de la même façon, afin que les salariés connaissent avec précision les périodes de temps qu’ils doivent consacrer à l’exécution de leur contrat de travail.

Que feraient les entreprises après une telle modification législative ? Elles n’auraient plus, à chaque fois qu’elles voudraient modifier leurs horaires, à se demander si elles ont bien appliqué toutes les règles sur les heures supplémentaires.

Les entreprises qui le souhaiteraient pourraient, soit maintenir leur système actuel, ce que feraient sans doute la plupart des entreprises, soit revoir leur système actuel de temps de travail pour le rendre plus performant : à la hausse ou à la baisse en fonction de la situation dans laquelle elles se trouvent, et pour un coût un peu moindre. En effet, la suppression du seuil de déclenchement des heures supplémentaires entraînerait bien sûr automatiquement la suppression de l’obligation de négocier un contingent d’heures supplémentaires et de majorer les heures effectivement travaillées au-delà de la durée légale, et d’octroyer des contreparties en cas de dépassement de ce contingent.

Cette suppression aurait aussi l’avantage de simplifier la réglementation relative au temps partiel, qui se définit par rapport à la durée légale et qui est encore plus complexe, voire plus rigide que celle du temps plein.

Cette simplification devrait s’accompagner d’une plus grande portée de l’accord collectif par rapport au contrat de travail. Le volume et la répartition de l’horaire déterminés par l’accord collectif ne devraient pas pouvoir être refusés par les salariés si l’on ne veut plus continuer à sacrifier, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, l’intérêt collectif au profit d’intérêts individuels souvent contradictoires.

Quoi qu’il en soit, et quelles que soient les options choisies, une erreur est certainement à éviter : celle qui consisterait à imposer des réductions importantes et identiques pour toutes les entreprises. En effet, toutes les réductions identiques pour toutes les entreprises, auxquelles on a procédé en France, n’ont pas pu être appliquées au moment où elles ont été décidées.

La réduction d’horaire, à notre avis, ne peut se faire que de façon individualisée et progressive, en fonction de la situation particulière de l’entreprise concernée, après concertation avec ses partenaires sociaux, dont la légitimité devrait être renforcée par la négociation qui va s’engager la semaine prochaine au niveau interprofessionnel.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Madame, merci pour votre intervention.

Vous avez insisté, au début et à la fin de votre intervention, sur le fait que la réduction du temps de travail n’était effective que dans la mesure où elle était validée par les entreprises. Vous avez précisé que parfois les entreprises avaient anticipé la loi et que, dans les autres cas, quand la loi avait été votée, il avait fallu qu’elle soit actée par les entreprises pour entrer dans les faits. Je voudrais néanmoins modérer votre propos. On peut aussi penser que la loi envoie, à un moment, un signal, et que parfois, il faut du temps pour que ce qui a été voté entre dans les faits. Bien sûr, la participation des entreprises est nécessaire. Mais cela ne signifie pas qu’il était inutile, à un certain moment, d’adopter la loi.

Ensuite, vous nous avez dit quand et comment vous aviez vous-mêmes, avant l’heure, prévu une réduction du temps de travail. Mais pourquoi avoir choisi un temps de travail inférieur à celui de la durée légale, alors que vous semblez favorable à son augmentation, voire à sa suppression ?

Selon vous, l’idée que l’on puisse partager le travail pour en donner à tous est louable, mais impossible à réaliser. Certes, sans être très informée sur les métiers de la métallurgie, je conçois qu’il soit difficile de découper le travail autrement pour le partager autrement. C’est sûrement plus compliqué pour les cadres, qui ont d’ailleurs nécessité des dispositions particulière, et pour les petites entreprises, comme vous nous l’avez expliqué. Mais je ne vois pas en quoi ce serait impossible, en tout cas dans les grandes entreprises comptant de très nombreux salariés.

Vous avez également remarqué que la mise en œuvre de la réduction du temps de travail avait été extrêmement diversifiée en fonction des entreprises. On peut se dire que cela pose un problème d’égalité. Mais on peut se dire aussi que, finalement, cette loi n’a pas empêché les entreprises de s’adapter.

Vous avez mis en avant la compensation salariale de l’augmentation du nombre de jours non travaillés. J’observe tout de même que la loi permettait une certaine flexibilité, et surtout, que la réduction du temps de travail s’est accompagnée, pour les entreprises, d’une baisse de cotisations.

Vous nous avez dit que l’accord de l’UIMM sur les modalités d’application des 35 heures avait été beaucoup critiqué, mais que l’avenir vous avait donné raison parce que le chômage avait continué à augmenter dès 2003. Ne pourrait-on pas plutôt dire que la période de mise en place des 35 heures est la seule des ces quarante dernières années où le chômage n’a pas augmenté et où les comptes publics étaient à peu près équilibrés ? On me rétorquera que c’était grâce à la croissance européenne. Il me semble pourtant – conformément à certaines études, et notamment de celles de la DARES – qu’à défaut de créer beaucoup d’emplois, la réforme à contribuer à réduire le chômage. Vous nous avez dit aussi qu’un certain nombre de mesures pertinentes avaient été prises à partir de 2003. Je vous répondrai que pour autant, le chômage n’a pas baissé. Voilà pourquoi l’observation des faits m’inciterait plutôt à tirer des conclusions inverses des vôtres.

Par ailleurs, vous avez déclaré en conclusion qu’il vous paraîtrait opportun que l’on supprime la durée légale et que les entreprises fixent elles-mêmes leur durée de référence. Mais vous avez ajouté que vous pensiez que la plupart des entreprises maintiendraient le système actuel. Alors, à quoi bon supprimer la durée légale ?

Enfin, vous avez constaté que la possibilité d’augmenter les contingents d’heures supplémentaires avait été peu utilisée. Cela ne signifie-t-il pas, là encore, que cette augmentation présentait un intérêt limité ? Cela a permis une amélioration du pouvoir d’achat, mais pas d’augmentation des heures supplémentaires travaillées. Je ne vois donc pas en quoi cela a pu répondre aux difficultés que vous avez rencontrées.

M. Jean-Pierre Gorges. Madame Charbonnier, votre synthèse était brillante.

Je vous remercie d’avoir rappelé la chronologie des évènements. Il est incroyable que les gens ne connaissent pas l’historique de la durée du temps de travail et aient oublié la loi d’août 2008, qui a modifié complètement la donne.

La réduction du temps de travail à 35 heures était une promesse purement électorale de 1981. De fait, on a commencé à réduire doucement le temps de travail. Mais on s’est arrêté aux 39 heures parce que l’on voyait bien que ce n’est pas possible d’aller en dessous. En 1998, la dissolution de l’Assemblée nationale est tombée du ciel, et la gauche s’est demandé quel programme proposer aux Français : elle leur a proposé les 35 heures.

Madame, vous nous avez montré comment on avait réduit le temps de travail entre 1919 et 1982. Il fallait le faire parce que l’on travaillait 48 heures, six jours par semaine. Mais si on a pu le faire, c’est parce que l’on était dans un contexte de croissance et que la technologie avait modifié les process de fabrication. Sauf qu’à un moment donné, la situation s’est renversée : la croissance n’est plus là, la technologie progresse mais la concurrence s’accélère.

Bien sûr, on pourrait continuer à diminuer le temps de travail. D’ailleurs, partager le temps de travail est facile à faire si l’on partage les salaires. Mais le problème apparaît quand on souhaite, en même temps, que les gens continuent à gagner le même salaire. Allez dans un restaurant au Mexique : il y a huit personnes qui servent autour de la table, mais ils sont payés 90 euros par mois. En France, vous en avez deux, qui sont payés 1 000 euros.

Et ce qui était le problème des 35 heures pèse encore aujourd’hui sur le budget : la facture atteint 22 milliards d’euros par an, sur un déficit estimé à 75 milliards d’euros. En effet, on a compensé le fait que les gens travaillent 35 heures au lieu de 39. Que ce soit payé par l’entreprise ou par l’État, tout cela se retrouve à un moment donné et il faut bien le financer par l’impôt.

La situation s’est donc retournée en 1982. J’approuve qu’en 1983, les socialistes aient arrêté le processus. Mais je reproche à tous ceux qui sont venus après, de gauche comme de droite, d’avoir aggravé le problème. Je l’ai constaté comme co-rapporteur de l’évaluation de l’article 1er de la loi dite « TEPA », au nom de notre Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), qui a conduit à bonifier des heures supplémentaires qu’effectuaient déjà 9,5 millions de personnes qui avaient continué à travailler 39 heures. En payant ces quatre heures comme des heures supplémentaires, on a dépensé de l’argent sans créer une heure supplémentaire de plus. À partir de 2008, les choses se sont encore dégradées. Il faudrait s’adapter au contexte et arrêter le dispositif comme cela a été fait en 1983.

Si l’on veut partager le temps de travail, il faut partager les salaires. On a d’autant plus de chances d’avoir du travail que l’on est plus compétitif. En fait, c’est le travail qui amène le travail. Les 35 heures nous l’ont démontré.

La proposition que vous faites est celle qui résulte du travail que nous avons mené avec M. Jean Mallot sur l’article 1er de la loi TEPA pour le CEC. Nous y avons mis en évidence que les 35 heures n’existaient plus depuis août 2008, et que ce n’était plus que le seuil à partir duquel on calculait les heures supplémentaires.

Nous avions toutefois une divergence de vue : mon ancien collègue pensait qu’il faut discuter branche par branche, et moi qu’il faut discuter entreprise par entreprise, voire secteur par secteur à l’intérieur d’une même entreprise.

Ce n’est pas la même chose de travailler à la production ou dans les bureaux. Peut-être que celui qui est devant des hauts fourneaux ne doit travailler que 32 heures et que celui qui est dans les bureaux, pour compenser, doit en travailler 42 ? Mais de toute façon, l’organisation des horaires de travail doit être décidée au niveau de l’entreprise. On ne peut pas mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Dans un pays, il y a une grande variété d’entreprises, et dans l’entreprise, il y a une grande variété de métiers.

À l’intérieur d’un cadre donné défini par le législateur – par exemple pas plus de 48 heures dans une semaine et pas plus de 10 heures par jour – il faut tout revoir dans un esprit de liberté. Dans les entreprises, les patrons, comme les partenaires sociaux et les employés, sont des gens responsables.

Les entreprises sauront quoi faire en fonction de leur activité. Ce n’est pas au législateur de s’en préoccuper. Comme les entreprises sont en compétition les unes par rapport aux autres, elles sauront attirer les meilleurs chez elles parce qu’elles paieront mieux ou offriront de meilleures conditions de travail.

Madame, je suis donc tout à fait en phase avec votre proposition. Mais de grâce, il faut qu’à l’Assemblée nationale on réagisse. La situation est grave.

Mme Isabelle Le Callennec. Madame, par vos propos, vous avez répondu à une question qui nous est souvent posée, à savoir pourquoi, en 2007, nous n’étions pas revenus sur la durée légale des 35 heures. Vous nous avez dit en effet que sa mise en place dans les entreprises avait été tellement difficile que l’on ne souhaitait pas forcément, en tout cas à l’UIMM, rouvrir le débat. Par ailleurs, vous avez pris acte des assouplissements, remarquant qu’ils avaient été très peu utilisés, sans doute par manque d’activité et en raison de la résistance du corps social. Je pense donc qu’il y a une coresponsabilité, des entreprises mais aussi du gouvernement de l’époque, qui n’a pas souhaité revenir sur un dossier emblématique.

Vous proposez aujourd’hui de supprimer la durée légale des 35 heures. Vous souhaitez une simplification du système du temps de travail et un allègement des coûts du travail. Nous vous rejoignons complètement.

Vous suggérez de travailler entreprise par entreprise, dans la mesure où l’activité de chacune peut varier d’un secteur d’activité à l’autre, d’un moment de l’année à l’autre et en fonction des carnets de commande. Pour nous, cela va de soi. C’est à ce niveau qu’il faut discuter – avec les chefs d’entreprise, les organisations syndicales ou les représentants du personnel – si l’on veut progresser.

Vous avez évoqué des négociations à venir et la résistance du corps social. Pensez-vous qu’aujourd’hui, le corps social soit suffisamment mûr pour avancer sur ces questions-là ? Personnellement, je me place du côté des jeunes : ils veulent travailler, gagner de l’argent, s’insérer professionnellement et peut-être fonder une famille. Quels arguments mettez-vous en avant pour faire bouger les lignes ? Comme le disait notre collègue, c’est vraiment nécessaire.

M. Gérard Sebaoun. Madame, je vous remercie pour la clarté de vos propos, avec lesquels je suis « moyennement » d’accord, et je vais vous dire pourquoi.

D’abord, vos propositions représentent un recul de plusieurs dizaines d’années, ne serait-ce que par rapport à l’accord que vous avez signé en 1982, et qui avait abouti à une réduction du temps de travail à 38 heures 30, encore effective aujourd’hui.

Ensuite, je ne connais pas la structure actuelle de l’UIMM et les différentes entreprises que vous représentez, mais je tiens à rappeler quelques points.

Premièrement, les 35 heures ont permis une modération salariale réelle, que personne ne conteste.

Deuxièmement, la productivité, selon les calculs de certains instituts, a augmenté de 4 à 5 %, ce qui est probablement vrai aussi dans la métallurgie. Ce qui signifie que les 11 % d’augmentation des salaires que vous attribuez au passage aux 35 heures ont été compensés en tout ou partie.

Troisièmement, vous nous avez indiqué que malgré les possibilités offertes par la loi, de nombreuses entreprises ne tenaient absolument pas à renégocier quoi que ce soit. Vous avez dégagé quatre raisons à cela : le manque d’activité, la résistance des syndicats et celles des salariés, la complexité des textes et les coûts.

Je comprends la résistance des salariés. Ceux que je rencontre sont assez favorables à l’idée que l’on ne touche pas à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle acquis – parfois difficilement – grâce aux 35 heures. Mais je m’étonne que vous ayez insisté sur la complexité des textes : vous avez négocié les heures supplémentaires et le repos obligatoire. Après tout, c’est votre métier et je ne vois pas en quoi ce serait si compliqué.

Enfin, vous avez invoqué des raisons de coût. Il est évident que le fait de passer de 35 à 39 heures diminuerait le déclenchement des heures supplémentaires, ce qui vous permettrait de faire des économies. Mais, sans connaître l’échelle des salaires dans votre branche, je m’interroge : que voudriez-vous de plus ? Déjà, les cotisations sociales ont été allégées au moment du passage aux 35 heures, puis elles ont été supprimées jusqu’à 1,6 SMIC environ. Je m’étonne de ce vous demandez, d’autant plus que les salariés vont résister et que les entreprises ne tiennent pas à renégocier.

En conclusion, je comprends le discours du MEDEF que vous représentez. Mais ce discours, qui est malheureusement repris par nos adversaires politiques, ne se nourrit d’aucun élément qui permette de penser que vous pourriez ainsi créer un nombre considérable d’emplois.

M. Denys Robiliard. Merci, madame, pour votre exposé. J’ai apprécié que vous ayez situé la question dans une période de temps suffisamment longue. J’observe, pour ma part que la productivité est un élément qui explique que l’on puisse – et de mon point de vue, que l’on doive – réduire le temps de travail. Aujourd’hui, une heure de travail, particulièrement en France, permet de produire beaucoup plus qu’en 1935, pour reprendre une des dates que vous avez citées. Cela dit, j’aimerais vous interroger sur la proposition que vous nous avez faite.

Vous nous dites qu’il faudrait supprimer la durée légale du temps de travail, envisagée comme seuil de déclenchement des heures supplémentaires et comme durée de référence pour le calcul du temps plein et du temps partiel. Cette durée de référence serait fixée soit par la branche, soit par l’entreprise – ce qui a votre préférence.

Premièrement, y aurait-il toujours un seuil de déclenchement des heures supplémentaires ? Car si on va au bout des choses, il n’y en aurait plus et tout disparaîtrait : le contingent et la rémunération complémentaire. Évidemment, en termes de coût, cela change tout : l’heure que l’on qualifie aujourd’hui d’heure supplémentaire deviendrait une heure comme une autre. Mais peut-être paiera-t-on tout de même plus cher les heures dépassant le plafond des 44, voire 48 heures ?

M. Gorges a évoqué la possibilité d’attirer les meilleurs salariés en les payant plus cher. Mais vous savez aussi que, compte tenu de l’importance du chômage, il sera possible d’exercer une contrainte pour que les salaires soient négociés à la baisse. De ce fait, la réforme que vous envisagez risque bien de se traduire par une baisse des salaires effectivement payés. Il y a de quoi s’interroger. Bien sûr, cela dépend de la conception que l’on a de l’économie : le fordisme n’est pas le taylorisme. Mais le fordisme vise aussi à favoriser l’accès de chacun à la consommation. Or, à terme, c’est aussi cela qui est en jeu.

Donc, jusqu’où souhaitez-vous aller ? Voulez-vous abolir ou pas le concept même d’heures supplémentaires ? Celles-ci seront-elles à la discrétion des entreprises qui les maintiendraient et les négocieraient dans le cadre d’accords collectifs à passer entreprise par entreprise ; ou qui ne les maintiendraient pas ?

Deuxièmement, parmi les États européens qui nous sont les plus proches, et donc principalement en Allemagne, quel type d’organisation retiendriez-vous pour la France ? On connaît la capacité d’adaptation dans la métallurgie allemande qui a introduit la notion de Kurzarbeit, et donc de flexibilité en fonction de l’importance de l’activité et des heures concrètement travaillées. Qu’en pensez-vous ? Est-ce transposable et à quelles conditions ?

M. le président Thierry Benoit. Je vous remercie moi aussi pour votre intervention.

Depuis une trentaine d’années, certains des secteurs que vous représentez – les mines dans les années quatre-vingts, puis la métallurgie, la sidérurgie et l’automobile – ont subi des à-coups. Selon vous, y a-t-il une connexion à établir entre ces évènements, la durée du temps de travail, les coûts de production et la perte de notre production industrielle ?

Par ailleurs, faites-vous un rapprochement entre le volume de travail possible pour une entreprise ou pour un secteur d’activité, et l’enveloppe de rémunération possible ? Selon moi, il faudrait désacraliser le débat que nous avons autour de la durée légale du temps de travail. En effet, au fil des auditions, il apparaît que les 35 heures sont finalement surtout un seuil théorique de déclenchement des heures supplémentaires.

Enfin, j’observe que vous avez beaucoup insisté sur les difficultés liées à l’insécurité juridique et à la complexité du système. De fait, le forfait annuel, le compte épargne temps, etc. toutes ces dispositions spécifiques font qu’à l’intérieur d’un même secteur ou d’une même filière, les entreprises peuvent être soumises à des cadres juridiques tout à fait différents.

Mme Christiane Charbonnier. Je ne vais peut-être pas répondre à toutes vos questions. Mais je pense que vous souhaitez que je m’exprime un peu plus clairement sur la proposition que nous faisons, sur le problème du coût du travail, et sur la possibilité d’augmenter la production si nous arrivons à baisser le coût du travail, ou du moins à éviter qu’il ne progresse.

Le temps de travail permet de déterminer la rémunération du salarié. Il a une conséquence directe sur le coût du travail. Si le temps de travail diminue et que cette diminution est compensée, le coût du travail horaire augmente nécessairement. C’est ce qui s’est passé à l’occasion de toutes les réductions d’horaires.

On pouvait l’absorber par des gains de productivité, ce qui permettait aux entreprises de pouvoir continuer à produire à des coûts raisonnables pour elles. Maintenant si les gains de productivité n’étaient pas suffisants ou s’il fallait les consacrer à d’autres choses, les entreprises se trouvaient handicapées. C’est vraisemblablement ce qui s’est passé pour les dernières réductions d’horaires. En effet, les entreprises se trouvent particulièrement en difficulté par rapport à leurs concurrents européens et en particulier par rapport à l’Allemagne.

On peut continuer à réduire le temps de travail et à perdre en compétitivité par rapport à l’Allemagne. Mais je ne sais pas si c’est la bonne solution.

Mme la rapporteure. On ne travaille pas plus en Allemagne qu’en France.

Mme Christiane Charbonnier. En moyenne ! Mais il y a des possibilités de travail supérieures en Allemagne qu’en France.

Mme la rapporteure. Vous constatez vous-même que, même lorsque l’on peut utiliser plus facilement les heures supplémentaires, on ne les utilise pas ici.

Mme Christiane Charbonnier. Je vais y revenir. Quoi qu’il en soit, en Allemagne, on peut travailler plus qu’en France, mais surtout on a plus de flexibilité sur le volume de travail possible.

Maintenant, je reviens sur notre proposition.

Vous me demandez si nous souhaitons supprimer la durée légale. Oui, notre proposition est qu’il n’y ait plus de référence à une durée légale et plus de système d’heures supplémentaires. Pour autant, les entreprises seront bien obligées d’avoir une durée de référence, pour savoir à quel horaire elles engageront leurs salariés à temps plein – ce qui permet ensuite de positionner les postes à temps partiel. Les entreprises devront continuer à s’organiser.

Si l’on supprime la durée légale, on supprime toutes les règles complexes qui s’appliquent lorsque l’on veut la dépasser – ou d’ailleurs descendre en dessous. Effectivement, il n’y aura plus de contingent à négocier, ni de majoration pour heures supplémentaires. Et s’il n’y a plus de contingent, il n’y a plus de conditions de dépassement de ce contingent à respecter.

Restent toutes les durées maximales, qui sont des durées protectrices de la santé des salariés. On ne pourra pas dépasser 48 heures sur une semaine – et dans la métallurgie, 42 heures sur 12 semaines. Cela ne fait pas plus de 42 heures sur l’année, en moyenne.

Mais toutes les entreprises n’ont sûrement pas besoin de cette durée. Elles se situeront à la durée dont elles auront besoin. Or celle-ci varie énormément en fonction des entreprises, des secteurs d’activité de l’entreprise, et même des salariés de l’entreprise, dans la mesure où les postes ne sont pas identiques, et les horaires non plus.

Au début du XXe siècle, l’horaire était collectif, tous les salariés devaient venir à la même heure pour effectuer le même nombre d’heures de travail. Au fur et à mesure, les postes se sont individualisés et les horaires varient, dans les entreprises, en fonction des activités. Dans la métallurgie, les commerciaux ne travaillent pas autant que les salariés de la production, ceux qui travaillent en équipe n’ont pas les mêmes horaires que ceux qui travaillent de jour, etc.

Cela dit, la suppression de la durée légale que j’appelle de mes voeux répond à une nécessité de simplification. On peut introduire autant de souplesse que l’on veut, si on complique les textes, les entreprises ne peuvent pas s’approprier les systèmes et ne les utilisent pas.

Pour autant, pensez-vous que toutes les entreprises de la métallurgie iront jusqu’à 42 heures si l’on supprime la durée légale ? Non, ne serait-ce que parce que les négociations qui ont eu lieu à partir de 1998 et en 2000-2002 ont été difficiles et traumatisantes. Les entreprises n’ont pas du tout envie de remettre sur la table les aménagements auxquels elles avaient abouti. Voilà pourquoi la plupart d’entre elles, c’est-à-dire celles qui n’ont pas vraiment besoin de revoir leur temps de travail, ne changeront rien.

En revanche, celles qui ont vraiment besoin d’adapter leur volume horaire et qui aujourd’hui ne savent pas trop comment s’y prendre, compte tenu du fait qu’elles n’arrivent pas à s’approprier les aménagements existants, le feront si elles peuvent suivre des règles beaucoup plus simples.

Cette adaptation pourrait se faire à la baisse si elles subissent une diminution d’activité, et à la hausse si elles ont besoin de travailler davantage. Si elles ont des commandes supplémentaires qu’elles ne peuvent pas honorer parce que le coût de leur travail est trop élevé, elles pourraient éventuellement imaginer augmenter les horaires en négociant avec leurs salariés les conditions de cette augmentation, voire, si cela est nécessaire, les conditions de dépassement du volume horaire de référence auquel elles ont abouti.

Dans ce cadre-là, on pourrait envisager une baisse du coût du travail qui permettrait d’honorer des commandes qu’aujourd’hui on ne peut pas honorer et que l’on est obligé de laisser aux concurrents.

C’est ce qui se passe en Allemagne, où l’entreprise peut moduler les horaires en fonction de ses besoins. Si elle diminue ses horaires, elle diminue en même temps ses salaires. Cela dit, la plupart du temps, elle ne les diminue pas de façon exactement proportionnelle, mais en fonction de ses possibilités. À l’inverse, si elle a des commandes et donc des besoins de production supplémentaires, elle augmente ses horaires et ses salaires. Là encore, elle n’augmente pas forcément ses salaires en proportion des horaires. Elle adapte ses coûts en fonction des commandes, de la concurrence et de ce qui lui sera possible d’assumer.

M. le président Thierry Benoit. Je vous remercie. Il y a là matière à faire évoluer, dans notre pays, le consensus autour de cette question de la durée du temps de travail.

Je voudrais toutefois faire une rectification : il a été dit que l’Allemagne travaillait moins que la France. C’est faux. En effet, la durée effective annuelle du travail – celle des salariés à temps plein tous secteurs confondus – est en France inférieure de 186 heures à celle de l’Allemagne. C’est une réalité dont on doit tenir compte dans cette commission. En effet, le travail crée la richesse. Bien sûr, on peut penser que l’on peut impunément réduire le temps de travail. Mais force est de constater que depuis trente ans, la compétitivité de certains secteurs, et notamment des secteurs de la production, a été mise à mal, et que cela nous a coûté de nombreux emplois industriels.

Mme la rapporteure. Je voudrais atténuer ces propos. On ne peut pas prendre en compte uniquement la moyenne du travail à temps plein. Il faut prendre en compte la moyenne du temps travaillé, ce qui inclut le temps partiel. C’est la raison pour laquelle, en Allemagne, on ne travaille pas plus qu’en France. La moyenne du temps plein est peut-être plus élevée mais, globalement, les Allemands ne travaillent pas davantage que les Français.

M. le président Thierry Benoit. Il faut comparer ce qui est comparable.

L’audition prend fin à dix heures quarante.

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Présences en réunion

Présents. - M. Thierry Benoit, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Isabelle Le Callennec, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun

Excusés. - Mme Catherine Coutelle, Mme Jacqueline Maquet