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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Jeudi 9 octobre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Thierry Benoit, Président,

– Audition, ouverte à la presse, de M. Lionel Jospin, ancien Premier ministre

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Lionel Jospin, ancien Premier ministre

M. le président Thierry Benoit. Monsieur le Premier ministre, nous sommes très heureux que vous ayez accepté notre invitation, car il nous a semblé qu’il était indispensable de vous entendre.

Notre Commission a pour but de dresser un bilan des 35 heures et d’évaluer leurs conséquences sur la société, l’économie, les finances publiques, le droit du travail… Nous voulons comprendre et analyser cette réforme et ses conséquences, alors qu’aujourd’hui, quand on parle des 35 heures, on a parfois l’impression de manipuler un bâton de dynamite.

Vous avez été Premier ministre de 1997 à 2002, et la mise en place des 35 heures constitue sans conteste la mesure la plus emblématique du Gouvernement que vous avez dirigé. Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à promouvoir la réduction du temps de travail ? Dans quel contexte cette mesure a-t-elle été adoptée et comment a-t-elle été mise en œuvre ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d’enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre témoignage. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué, et les observations que vous pourriez faire seront soumises à la Commission.

En vertu du même article 6, les personnes auditionnées sont tenues, sans toutefois enfreindre le secret professionnel, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Lionel Jospin prête serment.)

M. Lionel Jospin, ancien Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, cette audition s’imposait à moi mais c’est avec grand plaisir que je réponds à votre sollicitation.

J’ai apprécié votre choix d’un champ d’enquête très large. Mais c’est bien le chef du Gouvernement qui a mis en place les 35 heures que vous avez souhaité entendre : je m’en tiendrai donc à ce que fut notre action à l’époque.

Dans l’opposition, entre 1995 et 1997, nous avions beaucoup réfléchi et travaillé, en particulier à la question de la réduction du temps de travail. Le passage aux 35 heures était l’un des principaux points du programme que nous avons proposé aux Français pour les élections législatives de 1997 : une fois élus, nous devions tenir nos promesses.

Le chômage était alors une obsession, puisqu’il y avait à l’époque 3,25 millions de chômeurs, soit 12,6 % de la population active. Il se disait que, contre ce fléau, tout avait été essayé : nous avons décidé de rompre avec ce fatalisme et de mettre l’emploi au cœur de notre action.

Si l’évolution historique de la productivité faisait de la réduction du temps de travail un instrument précieux, ce n’est pas le seul que nous ayons utilisé. Nous n’étions pas non plus adeptes de la philosophie passive du partage d’une masse de travail constante. Nous considérions que la réduction du temps de travail devait s’inscrire dans une dynamique.

Avec le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et la ministre de l’emploi et de la solidarité, puis avec l’ensemble du Gouvernement, nous avons donc cherché un chemin de politique économique qui nous permettrait à la fois d’amorcer le redressement des comptes publics et de retrouver la croissance. Nous devions nous qualifier pour l’euro : pour cela, il nous fallait diminuer notre déficit budgétaire, alors supérieur à 4 % du PIB, et maîtriser notre dette publique, qui venait de franchir le seuil de 60 % du PIB.

Nous voulions renouer avec la croissance économique, d’abord pour créer des emplois, mais aussi parce que nous pensions que cela nous aiderait à diminuer le déficit budgétaire comme celui de la sécurité sociale.

Nous ne négligions pas les effets possibles pour la société de la réduction du temps de travail, mais, je le redis, elle ne constituait pour nous ni une fin en soi, ni un remède miracle. Elle s’inscrivait dans une politique d’ensemble, avec la mise en place des emplois-jeunes, la création de postes dans le secteur public et la recherche du retour de la croissance. La détermination du Gouvernement à faire massivement reculer le chômage était absolue.

Nous voulions aussi faire revenir la confiance dans le pays : la confiance est presque un facteur de production. D’ailleurs, elle est effectivement revenue.

C’est seulement quand la croissance a redémarré que nous avons lancé le processus et adopté la première loi sur les 35 heures, promulguée le 13 juin 1998 : nous voulions en effet lier la réduction du temps de travail et la dynamique de l’économie. Devions-nous d’entrée de jeu procéder par la loi ? N’aurait-il pas fallu commencer par la négociation ? Si, sur la base des contacts pris par la ministre en charge du dossier, il était apparu que des négociations entre le patronat et les syndicats pouvaient s’ouvrir, dans la perspective de conclure un accord interprofessionnel, alors nous aurions pu en faire la première étape de notre démarche. La loi serait intervenue plus tard. Mais à aucun moment le MEDEF – qui venait de succéder au CNPF – n’a laissé entendre qu’il était prêt à envisager un tel accord. Dès lors, le Gouvernement devait soit renoncer à un engagement majeur pris devant les Français, soit commencer le processus par la loi – nous choisîmes cette seconde solution.

La loi de 1998 fixait un cap, et le passage aux 35 heures n’était pas immédiat – il ne devait intervenir qu’un an et demi plus tard, au 1er janvier 2000. C’était donc bien là le début d’un processus. Cette première loi était conçue comme un encouragement à la négociation collective ; la seconde devait ensuite tirer les conséquences de ces discussions engagées dans les branches et dans les entreprises. Ainsi, si la négociation n’avait pas pu avoir lieu avant l’adoption de la première loi, elle avait lieu après ; des allègements de cotisations patronales étaient prévus pour la faciliter. Cette première loi fut accompagnée de 101 accords de branches et de 16 000 accords d’entreprise.

La seconde loi fut promulguée le 19 janvier 2000. Elle a fixé la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures et son équivalent annuel à 1 600 heures. Elle ne s’appliquait qu’aux entreprises de plus de vingt salariés ; pour celles de moins de vingt salariés, la décision était renvoyée à 2002. L’aide incitative était remplacée par un allègement de charges pérenne, mais naturellement lié à des créations effectives d’emplois.

Durant la législature, 212 accords de branche et 100 000 accords d’entreprise sur la réduction du temps de travail ont été conclus. Un nombre considérable de négociations entre les responsables d’entreprises et les syndicats ont donc eu lieu. Quelle qu’ait été la position du MEDEF au départ, les entreprises ont joué le jeu, même les petites : l’UPA (Union professionnelle artisanale) s’est engagée très positivement et très vigoureusement dans le processus. La taille des entreprises n’est donc pas forcément un obstacle.

Les accords ont porté, vous le savez, sur la durée du travail, mais aussi sur l’organisation de l’appareil productif et l’amélioration de la productivité. Au bout du compte, on a rarement négocié dans les entreprises autant que durant cette période.

Il n’est pas aisé d’isoler les effets des 35 heures sur les performances économiques de notre pays entre 1997 et 2002. Au moment où j’ai quitté les responsabilités, nous manquions de recul pour dresser un bilan ; de plus, les entreprises de moins de vingt salariés n’étaient pas – et ne sont toujours pas – passées aux 35 heures.

Les travaux de la DARES et de l’INSEE montrent que les 35 heures ont permis la création de 350 000 à 400 000 emplois, dans le seul secteur concurrentiel. Il faudrait d’ailleurs y ajouter de nombreux emplois indirects, dans le secteur du tourisme et des loisirs par exemple, et même l’effet de croissance produit par le retour à l’emploi d’hommes et de femmes nombreux jusqu’alors improductifs.

La logique des lois sur les 35 heures était qu’elles ne coûtaient à l’État que pour autant que des emplois étaient créés ; les allègements de charge représentaient certes une dépense pour l’État, mais cette perte étaient en grande partie compensée, pour l’État et surtout pour la sécurité sociale, par la baisse des dépenses d’indemnisation du chômage et la hausse des recettes sociales et fiscales. En termes financiers, le coût des 35 heures a été évalué à 7,7 milliards d’euros par la direction du budget, après 2002. Les effets de ces retours à l’emploi massif ont été évalués par la DARES et l’UNEDIC à 6,5 milliards d’euros : autrement dit, l’effet de compensation global a été important. Le coût net des 35 heures serait donc de 1,5 milliards d’euros pour la collectivité.

Notre intention était que la réduction du temps de travail n’affecte pas la compétitivité de nos entreprises. Les gains de productivité obtenus par une meilleure organisation du processus productif, négociée avec les syndicats, l’effet des exonérations de charges et une certaine modération devaient y pourvoir : ce fut le cas.

Regardons en effet quelques indicateurs économiques de notre pays entre 1997 et 2002, au moment où l’effet des 35 heures jouait à plein. Notre croissance économique a été supérieure d’un point à la moyenne européenne ; 2 millions d’emplois nets ont été créés, ce qui est le record absolu pour cinq années dans l’histoire économique de la France, y compris pendant les Trente Glorieuses, durant lesquelles le taux de croissance était pourtant supérieur. Le nombre des heures travaillées en France a atteint un record ; le chômage a été réduit de 900 000 personnes, et le taux de chômage est passé de 12,6 % de la population active à 9 %.

Pendant le même temps, le déficit budgétaire et l’endettement ont été réduits, en proportion de la richesse nationale ; notre balance commerciale a été largement excédentaire. Enfin, les comptes de la sécurité sociale ont été à l’équilibre. Le pouvoir d’achat moyen par ménage a progressé plus que pendant les législatures précédente et suivante.

J’indique là des faits incontestables. Les 35 heures n’ont pas empêché ces résultats macroéconomiques positifs ; elles ne les ont certes pas produits à elles seules, mais elles y ont contribué.

Aujourd’hui, les 35 heures sont passées dans les mœurs et l’on dit volontiers que l’on « prend ses RTT ». Elles sont toujours critiquées par certains, pour des raisons qui m’apparaissent souvent plus idéologiques ou politiques que fondées sur l’examen raisonnable et équilibré de leur impact réel – jusqu’à présent en tout cas. Je constate que, si les Gouvernements qui ont succédé au mien ont parfois contrarié ou contourné les 35 heures, sans d’ailleurs en obtenir d’effets probants pour la croissance, l’emploi ou la compétitivité de nos entreprises, aucun n’a abrogé les lois qui les instauraient.

La réduction du temps de travail a été à mon époque l’un des instruments d’une grande et, je crois, efficace politique pour l’emploi : c’est pourquoi je reste fier d’avoir dirigé le gouvernement qui l’a conduite.

M. Bernard Accoyer. Merci de cet exposé, monsieur le Premier ministre. Les choses que je vais vous dire ne sont pas agréables, mais j’ai plaisir à vous retrouver : vous êtes un homme sincère, honnête, convaincu, et c’est au fond l’essentiel.

Alors que l’abaissement de 40 à 39 heures de la durée du travail hebdomadaire, au début des années 1980, puis l’abaissement en 1983 de 65 à 60 ans de l’âge de la retraite, n’avaient eu aucun effet sur le chômage, bien au contraire, pourquoi moins de vingt ans plus tard avez-vous conservé la même logique, d’après laquelle le partage du travail résoudrait le chômage, d’après laquelle moins on travaille, mieux se porte la société ? Beaucoup savent très bien pourtant que plus on travaille, plus il y a de travail, pour soi-même et pour les autres.

Pourquoi avoir étendu les 35 heures aux trois fonctions publiques, alors que vous disiez qu’il s’agissait pour vous de redresser les comptes de la Nation ? Pourquoi avoir ainsi délibérément augmenté la dépense publique de l’État, des collectivités locales et des hôpitaux qui, de surcroît, se sont trouvés désorganisés, ce que personne ne conteste ? Les solutions qui ont suivi n’ont été que des palliatifs, comme le compte épargne-temps, dont les hôpitaux ne savent pas eux-mêmes comment le gérer. Pourquoi avoir ainsi aggravé la situation des comptes de l’assurance maladie ?

Vous avez évoqué le grand nombre de négociations dans les entreprises. Mais elles y étaient contraintes ! La loi a été votée avant toute concertation avec les partenaires sociaux, ce qui a entraîné un blocage des salaires et une désorganisation – puis une réorganisation, devenue inévitable – de nos entreprises.

Les faits sont têtus. Les deux missions parlementaires consacrées à la compétitivité de l’économie française et aux coûts de la production en France ont clairement démontré que c’est à partir du début des années 2000 que la compétitivité de notre pays a décroché. Peut-être trouverez-vous une autre explication. Mais ce fait n’est pas contesté.

Vous avez évoqué les congés RTT, et vous en faisiez une chose extraordinaire. Êtes-vous conscient que, dans le monde entier, les 35 heures font rire ? Savez-vous que, dans le monde entier, le salarié français est considéré comme n’attendant que ses RTT ? Vous rendez-vous compte de la pression qui a ainsi été exercée sur les cadres ? Le salarié n’a plus le temps de souffler, car il doit produire davantage dans un temps plus restreint ; il n’a plus le temps de réfléchir, de prendre de la hauteur pour voir comment il peut améliorer le process et rendre son entreprise plus compétitive. Pensez-vous que l’on puisse négliger ces aspects au point de célébrer – comme vous le faites – les RTT comme une avancée globale pour notre pays ?

Votre jugement sur le coût des RTT, si je le respecte, n’est pas partagé. Les compensations mises en place par votre Gouvernement – qui avait bien reconnu que la réduction du temps de travail allait alourdir le coût du travail – sont d’environ 15 milliards d’euros par an. Le coût des RTT dans les fonctions publiques – dépense publique directe – est énorme. Si le chômage a baissé, si vous évoquez des performances économiques globalement bonnes durant cette période, vous ne pouvez pas nier qu’il y avait alors une reprise extrêmement puissante de l’économie mondiale, et en particulier de l’économie européenne.

Qu’avez-vous fait de cette croissance ? Pourquoi avoir préféré les 35 heures à des réformes de structure, qui auraient préparé notre pays aux défis de l’avenir ? Pourquoi ne pas avoir réformé nos régimes de retraite, alors que plusieurs rapports, alors sur la table, indiquaient clairement ce qui allait advenir ?

M. Gérard Sebaoun. Je partage votre diagnostic, monsieur le Premier ministre. Je considère pour ma part cette réforme comme fondamentale, et très positive. J’ai toutefois le sentiment que les 35 heures suscitent encore aujourd’hui un discours très passionné, très irrationnel, de ceux que l’on devait entendre il y a un siècle à propos de la Tour Eiffel.

Pourtant, la réalité est connue : les chiffres d’Eurostat montrent que les Français travaillent à peu près autant que les Allemands et les autres Européens. Des emplois ont été créés, et le chiffre de 350 000 est celui généralement admis par les personnes que nous avons entendues ici. Pourquoi, selon vous, cette irrationalité persiste-t-elle dans notre débat public ?

Un chercheur nous avait toutefois dit qu’entre 1996 et 2002, c’est-à-dire en englobant la réforme Robien, l’on s’attendait plutôt à 700 000 créations d’emplois. Espériez-vous créer une dynamique encore plus forte ?

Je reviens enfin sur la question des fonctions publiques, car ce qui a été dit par M. Accoyer n’est pas juste. Le passage aux 35 heures n’a entraîné quasiment aucune création d’emplois dans la fonction publique d’État, si ce n’est dans le domaine de la sécurité, et notamment dans l’administration pénitentiaire. Dans la fonction publique territoriale, il y a eu des créations d’emplois, mais les travaux qui ont été faits ne savent pas estimer leur nombre. Enfin, à l’hôpital, les deux premières années ont effectivement été difficiles bien que près de 50 000 emplois aient été créés ; mais d’autres éléments étaient en cause, à commencer par le numerus clausus. Quelle est votre appréciation sur les 35 heures dans la fonction publique ?

M. Pierre-Alain Muet. Il est toujours agréable d’entendre parler d’une période où la France réduisait sa dette, réduisait ses déficits, réalisait un point de croissance de plus que le reste de l’Europe et créait deux millions d’emplois, quand dans le siècle et demi précédent elle n’en avait jamais créé que trois millions. Ces données sont vraies, monsieur Accoyer, elles sont connues.

Elles nous obligent à appréhender les 35 heures d’une façon un peu différente qu’on ne le fait habituellement. J’ai toujours trouvé le débat autour de cette réforme quelque peu surréaliste, profondément idéologique : la France est aujourd’hui l’un des pays européens où la durée hebdomadaire du travail est la plus longue. Pendant des années, je répondais aux récriminations de la droite que les 35 heures, c’était en Allemagne qu’il fallait les chercher : la France est à 38 heures !

On nous dit que la France a bénéficié à cette époque d’une croissance exceptionnelle. Mais la croissance mondiale était plus forte dans les quatre années qui ont précédé le Gouvernement de M. Jospin, c’est-à-dire les années Balladur et Juppé ; elle était plus forte dans les années qui ont suivi. La seule différence, c’est qu’avant 1997 et après 2002, la croissance française était inférieure à la croissance mondiale, et très inférieure à la croissance européenne.

Il faut aussi se rappeler que, lorsque M. Jospin était Premier ministre, la France avait 1 à 2 points de PIB d’excédent extérieur, lequel est devenu un déficit à partir de 2004. Je pense pour ma part que ce déficit est dû à des politiques d’une grande imprudence qui ont laissé la compétitivité se dégrader.

Monsieur le Premier ministre, vous avez dit que la confiance était presque un facteur de production. De fait, le retour de la confiance a, je crois, été décisif pour faire sortir la France d’une situation où sa dette avait, pour la première fois de son histoire, dépassé le seuil de 60 % du PIB. De telles créations d’emplois ne s’étaient jamais vues : au cours de la seule année 2000, la France a créé 600 000 emplois. Regardez les données annuelles depuis que l’on a des statistiques, c’est-à-dire depuis un siècle : cela ne s’était jamais produit. Or c’est bien l’année où les 35 heures ont produit un effet maximal.

M. Jean-Pierre Gorges. Durant la période du passage aux 35 heures, je n’étais pas élu, mais salarié d’une grande entreprise. Je fais partie des rares députés qui un jour ont fréquenté l’entreprise, et j’ai eu à mettre en place les 35 heures – certes dans une très grande entreprise, donc sans les difficultés majeures qu’ont pu connaître les PME.

La période d’observation ne s’arrête pas à 2002. Il faut se demander si cette réforme était tenable dans la durée. Si l’on crée des emplois-jeunes, le lendemain, des emplois sont créés ! C’est très facile. Mais est-ce durable ?

Y a-t-il eu une étude d’impact ? Vous avez été surpris, je crois, par la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997. Or vous incluez la réduction du temps de travail à votre programme pour les élections législatives, et c’est certainement ce qui vous a permis de les remporter – 35 heures payées 39, c’est plutôt attrayant.

Chacun peut refaire l’histoire comme il veut et comparer des choses qui ne sont pas comparables. Aujourd’hui, d’ailleurs, le Président de la République nous dit que la situation est idyllique, mais les chiffres nous disent le contraire ! Mais si tout allait si bien, comment avez-vous pu perdre l’élection présidentielle de 2002 ? Les électeurs n’auraient-ils pas bien compris quelque chose ?

À partir de 2002, la balance commerciale de l’Allemagne est de plus en plus positive, et celle de la France se dégrade continûment : aujourd’hui, les Allemands ont un excédent de 170 milliards quand nous avons un déficit de 60 milliards. Ainsi, nos routes se séparent à partir de 2002, qui est aussi l’année de la création de l’euro : jusque-là, il était possible de dévaluer le franc ; cette variable d’ajustement disparaît. L’entrée dans l’euro a-t-elle été prise en considération lors de la mise en place des 35 heures ? La monnaie européenne est aujourd’hui au centre des débats économiques ; je ne voudrais surtout pas que cet argument soit repris par le Front national, mais certains disent, de façon trop simple, qu’il suffirait de revenir au franc et de dévaluer pour redevenir compétitifs.

Enfin, vous avez raison de dire que, si tout le monde critique les 35 heures, elles n’ont pas été remises en cause au cours des deux législatures suivantes. Néanmoins, la loi du 4 août 2008 supprime effectivement les 35 heures : on peut travailler plus longtemps ; c’est désormais simplement le seuil à partir duquel sont calculées les heures supplémentaires. C’est un grand changement.

J’avais consacré un rapport, lors de la législature précédente, avec notre collègue socialiste d’alors Jean Mallot, aux dispositifs de promotion des heures supplémentaires prévus par l’article premier de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA. Nous avions constaté que la défiscalisation des heures supplémentaires n’avait pas eu pour effet d’augmenter le nombre d’heures travaillées : de ce point de vue, la mesure prise par le Gouvernement Fillon a échoué. La conclusion de notre rapport était que qu’un seuil généralisé de 35 heures n’avait pas de sens, et qu’il faudrait négocier, branche par branche selon M. Mallot, entreprise par entreprise selon moi. Il n’y a pas deux entreprises qui ont les mêmes contraintes ! Ne faudrait-il pas laisser la fixation de la durée de travail à la négociation des partenaires sociaux ?

Si, demain, vous étiez à nouveau Premier ministre, quelles modifications apporteriez-vous à cette réforme, ne serait-ce que pour que l’on cesse d’attribuer tout ce qui ne va pas aux 35 heures ?

Mme Jacqueline Maquet. Je voudrais apporter un témoignage : les 35 heures ont permis la réorganisation du travail dans les entreprises, sur la base du gagnant-gagnant. C’est, dans une carrière, un moment dont on se souvient.

Dans le contexte d’aujourd’hui, avec les indicateurs économiques actuels, referiez-vous les 35 heures ? Si oui, les referiez-vous de la même manière ?

M. Romain Colas. Monsieur le Premier ministre, vous avez insisté sur le fait qu’après la deuxième loi Aubry, les Français n’avaient jamais effectué autant d’heures de travail. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Certains font un lien, à mon sens trop rapidement, entre la mise en place des 35 heures et la dégradation de la compétitivité des entreprises françaises. Quel est votre sentiment ? Quels éléments ont, selon vous, conduit au décrochage d’une partie importante du tissu économique français ces dernières années ?

Pourquoi les Gouvernements qui ont succédé au vôtre ne sont-ils, selon vous, pas revenus sur cette réforme qu’ils critiquaient pourtant durement ?

Quel est votre regard sur la situation actuelle ? Faut-il aller plus loin dans la réduction du temps de travail ?

Enfin, je voudrais dire, aussi brutalement que je le pense, mon ras-le-bol d’entendre dénigrer systématiquement les salariés de ce pays. Ils sont plus que capables d’être compétitifs. Notre pays accueille beaucoup d’investissements étrangers. Que l’opposition critique la politique menée, c’est son rôle ; qu’elle dénigre sans cesse notre pays et nos concitoyens, c’est insupportable !

M. Philippe Noguès. La réduction du temps de travail, monsieur Accoyer, n’a pas toujours été rejetée par la droite : c’est bien la loi Robien qui avait commencé à instaurer la réduction du temps de travail dans notre pays.

Monsieur le Premier ministre, vous avez rappelé le contexte de 1997 et les effets importants sur le chômage de votre politique. Non seulement le nombre d’heures travaillées n’a pas chuté, mais la productivité horaire a augmenté.

J’étais moi aussi salarié d’une grande entreprise à l’époque, et j’ai eu la sensation qu’assez rapidement, les négociations n’ont plus porté que sur la réduction du temps de travail, en laissant de côté la question des créations d’emplois. La durée du travail a diminué, mais les embauches n’ont pas suivi. Nous aurions donc pu faire beaucoup plus, avec des négociations plus rigoureuses peut-être.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Monsieur le Premier ministre, merci de votre exposé.

Lénine – cité ce matin par M. Accoyer – a dit que les faits étaient têtus. Autant je comprends que l’on n’attribue pas à la seule instauration des 35 heures le rééquilibrage des comptes publics et l’ensemble des créations d’emplois de la législature 1997-2002, autant le fait qu’on les rende responsables d’une situation dégradée quand les chiffres disent le contraire m’étonne toujours beaucoup. Quant à notre image dans le monde, il ne me semble pas scandaleux qu’un salarié attende ses journées de RTT ! Cela ne veut dire ni que l’on n’aime pas travailler, ni que l’on travaille mal, mais qu’il existe d’autres choses dans la vie que le travail. Et les 35 heures ont surtout permis à des gens qui n’avaient pas de travail d’en avoir enfin. Ils ont pu ainsi subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille de façon digne ; cela me semble une bonne chose. Il ne me semble pas que la fin des années 1990 ait été la période durant laquelle la France était le plus moquée de par le monde.

Monsieur le Premier ministre, nous vous entendons aujourd’hui pour dresser un bilan de cette réforme afin, éventuellement, de réutiliser cet outil qu’a été la réduction du temps de travail. La limite la plus souvent soulignée des 35 heures est la façon dont elles ont été mises en œuvre à l’hôpital. Celui-ci vit une situation difficile aujourd’hui, pour des raisons bien plus vastes, mais il est aujourd’hui reconnu, je crois, que les recrutements n’ont pas été assez nombreux. Quel est votre regard sur cet aspect ?

Vous vouliez respecter, avez-vous dit, un engagement de campagne, mais aussi mettre la lutte contre le chômage au cœur de votre politique et réduire le déficit public. Nos objectifs sont les mêmes aujourd’hui. Toutefois, vous avez dit n’avoir entamé la réduction du temps de travail que parce que le retour de la croissance vous le permettait : ce lien était-il nécessaire ? À mon sens, il ne l’est pas : on pourrait même penser que le taux de chômage élevé est une raison supplémentaire pour partager le travail, et pour que chacun puisse vivre de son activité.

M. le président Thierry Benoit. Monsieur le Premier ministre, faites-vous un lien entre temps de travail, productivité et compétitivité des entreprises ? Pour vous, le partage du travail crée-t-il de la richesse et de l’emploi ?

Il y a toujours un débat sur le coût du passage aux 35 heures. Certains l’évaluent globalement à 20 milliards d’euros pour les finances publiques. Quelle est votre position, notamment sur la compensation des hausses du SMIC par les allègements de charges ?

Quelle est votre appréciation sur la modération salariale qui a accompagné pendant une dizaine d’années la réduction du temps de travail ?

Quel est votre point de vue sur la façon dont les entreprises, industrielles en particulier, se sont adaptées, notamment par le cadencement et le travail de nuit ?

La réduction du temps de travail dans la sphère publique pose-t-elle selon vous problème ? Une réforme doit-elle être menée ?

Quinze ans après, pensez-vous que, dans le prolongement du récent accord national interprofessionnel, on pourrait arriver en France à un consensus sur le temps de travail ?

M. Lionel Jospin. Merci de vos nombreuses questions.

C’est aux réalités objectives qu’il faut faire référence. Monsieur Accoyer, vous dites que, parce que le passage de la durée du travail de 40 à 39 heures et le passage de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans n’ont pas eu d’effets majeurs sur le chômage, nous aurions dû abandonner l’idée de réduire la durée du travail. J’ai envie d’inverser votre raisonnement : la réduction du temps de travail que nous avons menée, et qui n’était, je le rappelle, que l’un des multiples aspects de notre politique de lutte contre le chômage, a été une période de chute du nombre de demandeurs d’emploi ! Ce sont les faits qui doivent trancher, et non l’opinion subjective de tel ou tel.

S’agissant de l’idée de partage du travail, j’ai précisé tout à l’heure que notre idée n’était pas de partager un nombre d’heures constant, mais de créer une dynamique. Moins de travail hebdomadaire pour certains, mais globalement dans le pays beaucoup plus d’heures travaillées et beaucoup plus d’hommes et de femmes au travail : voilà le résultat de cette réforme. Faut-il regarder les choses du point de vue global, ou bien du point de vue d’un seul individu ?

Ni la ministre de l’emploi et de la solidarité ni moi-même n’avons dit à l’époque que les 35 heures devaient s’appliquer automatiquement dans la fonction publique ; pour nous, elles concernaient le secteur concurrentiel. Il y a eu une exception, et sur ce point j’admettrai les critiques de M. Accoyer : l’hôpital. Il nous a semblé que les conditions de travail à l’hôpital, à certains égards et au moins pour certains personnels, se rapprochaient des conditions de travail dans les entreprises. C’est pourquoi nous avons fait cette distinction. Je ne la regrette pas : le passage aux 35 heures à l’hôpital était une décision de principe, que je continue de juger juste. Je suis néanmoins obligé d’admettre que nous aurions dû attendre deux ans de plus : n’oublions pas qu’il y avait eu des suppressions de postes massives, notamment d’infirmières ; quand nous sommes arrivés aux responsabilités, et surtout quand nous avons commencé d’imaginer appliquer les 35 heures à l’hôpital public, nous avons relevé le numerus clausus pour les médecins, afin de pouvoir en recruter davantage, et nous avons massivement recruté des infirmières. Mais il faut trois ans pour former une infirmière, bien plus pour former un médecin : d’une certaine façon, il aurait mieux valu retarder la réforme pour que les recrutements pussent être plus importants encore.

Souvenons-nous néanmoins que la pression des personnels hospitaliers, notamment, était très forte. Nous y avons cédé, et c’est mon principal regret.

Vous dites, monsieur Accoyer, que les entreprises étaient contraintes de négocier. Mais nous avions nous aussi des contraintes, puisque nous avions été élus par les Français, devant lesquels nous avions pris des engagements. Un Gouvernement est-il fondé à respecter ses promesses malgré les protestations de corporations ? Je le crois. Après le vote de la première loi, nous avons laissé aux entreprises la possibilité de négocier ; si les représentants des chefs d’entreprise, et notamment le MEDEF, avaient voulu entrer tout de suite dans un processus de négociation, la chronologie, je l’ai dit, aurait pu être différente.

Il me semble étrange de rendre les 35 heures responsables de la baisse de compétitivité des entreprises françaises. Vous semblez considérer que les coûts de production sont les seuls éléments de la compétitivité : mais il n’est que de regarder les publicités de certaines entreprises de certain pays que je ne citerai pas pour se rendre compte qu’elles vantent la qualité du produit et non son prix bas… Peut-être faudrait-il regarder de ce côté-là. En tout cas, je note que c’est au moment où les 35 heures sont détricotées, voire annulées, que la compétitivité s’affaisse. Voilà une contradiction logique que je vous laisserai lever.

Les salariés français ont surtout la réputation auprès des chefs d’entreprises étrangers d’être des hommes et des femmes de qualité, qualifiés et faisant bien leur travail. Je n’irai pas plus loin dans cette direction : je ne veux pas polémiquer avec M. Accoyer, qui m’a si courtoisement reçu à Châlons-en-Champagne il y a peu.

Sur le pouvoir d’achat des salariés, on ne peut pas faire aux 35 heures des reproches contradictoires : elles auraient abaissé les rémunérations et donc le coût du travail, et en même temps elles auraient dégradé la compétitivité-prix des entreprises françaises. En bonne logique, ces procès s’annulent les uns les autres. Si les 35 heures avaient vraiment tous les défauts que veut bien leur prêter M. Accoyer, si elles étaient vraiment le mal français, alors ceux qui étaient au pouvoir devaient les supprimer. Mais ce n’est pas la réalité.

Sur les régimes de retraite, je concéderai un deuxième regret au président Accoyer. C’est mon Gouvernement qui avait demandé les rapports dont vous parlez et qui avait mis en place le Comité d’orientation des retraites. Nous étions parvenus, à la veille de 2002, à des diagnostics partagés entre les représentants du patronat, les syndicats et les grands organismes de retraite. Nous avons finalement pensé que nous aborderions ce sujet dans un deuxième mandat donné par le peuple. Cette période nouvelle ne s’est pas ouverte.

On attendait 700 000 créations d’emplois, et il n’y en eut que 350 000 à 400 000 : les experts que vous accueillerez pourront sans doute répondre mieux que moi, mais il me semble que le fait que seuls 10 millions de salariés – ceux des entreprises de plus de vingt salariés – aient été concernés par les 35 heures n’est pas indifférent.

Monsieur Gorges, en revenant sur la dissolution de 1997, vous abordez des sujets plus politiques qui m’embarrassent terriblement ! Je ne veux pas faire parler ceux qui ne sont pas là. Mais je peux raconter qu’Alain Juppé m’a remis, au moment de notre passation de pouvoir, une note de conjoncture qui lui venait du ministère de l’économie et des finances et avec laquelle il espérait me dicter la politique économique que devait suivre mon Gouvernement – sur ce point, il a été déçu, bien sûr. Le Président de la République d’alors avait fait campagne sur le thème de la fracture sociale ; mais lui et ses conseillers savaient aussi quelle politique menait alors le Gouvernement. Ils ont pensé – sur la base sans doute de la note que je citais – que la période qui allait s’ouvrir serait très mauvaise ; ils ont jugé qu’il valait mieux, surprenant l’opposition, provoquer des élections, les gagner, et se donner un peu de temps. Ils se sont trompés sur le pronostic politique, mais aussi sur le pronostic économique – non pas que la conjoncture économique ait formidablement changé : la croissance mondiale pendant les années Balladur et Juppé a été de 3,7 % par an en moyenne, de 4,5 % pendant les années Raffarin et Villepin, et de 3,4 % à mon époque. Mais mon Gouvernement a mené une autre politique économique, ce qui a changé la donne.

Vous posez ensuite une question plus difficile encore : comment ai-je pu perdre en 2002 ? Peut-être y a-t-il eu chez certains un excès de confiance ; cette question pourrait aussi être posée à deux personnes qui ne sont pas membres de la commission.

À partir de 2002, les routes de la France et de l’Allemagne divergent, dites-vous. C’est vrai, mais à partir de 2002, il y a un autre Gouvernement, qui mène une autre politique : il faudrait introduire ce facteur dans votre raisonnement. Je trouve un peu étonnant, en bonne logique, que des hommes politiques attribuent une détérioration qui se produit alors qu’ils sont aux responsabilités à l’action du Gouvernement précédent. Pourquoi donc la situation ne s’est-elle pas miraculeusement améliorée quand le venin des 35 heures a perdu sa force ? Voilà une question qu’il faudrait poser.

Je ne répondrai pas aux questions de politique fiction. Je ne suis pas aux responsabilités. J’ai décidé de ne pas m’exprimer dans la vie publique française, sauf lorsque je dois corriger des erreurs faites sur la politique menée lorsque j’ai gouverné, ou bien lorsque tel ou tel problème me tient à cœur. Il revient aux acteurs aujourd’hui de faire des choix. Il y a au moins une question qui se pose : 10 millions de salariés sont aux 35 heures, 7 millions n’y sont pas. On ne résoudra pas forcément ce problème par un passage général aux 35 heures, car les conditions ont changé, et nous n’avons plus de croissance. Or, je l’ai dit, c’est aussi la croissance qui nous avait conduits à nous engager dans ce mouvement. Mais je ne peux pas répondre à ces questions aujourd’hui.

Monsieur Colas, la question de la compétitivité a été prise en considération et c’est la raison pour laquelle il y a eu ces négociations, qui ont porté sur une meilleure organisation du travail, ces allègements de charge et aussi une certaine modération salariale – qui ne signifiait nullement à l’époque baisse des salaires, mais ralentissement des espérances d’augmentation de salaire pour les salariés des entreprises qui passaient aux 35 heures. Théoriquement, cela ne devait pas concerner les salariés des entreprises de moins de 20 salariés, et je rappelle qu’entre 1997 et 2002 le pouvoir d’achat moyen des ménages a augmenté, ce qui n’était pas toujours le cas auparavant.

Si les 35 heures n’ont pas été supprimées, c’est, je crois, parce qu’une grande partie de la polémique menée contre elles était de nature idéologique et politique. Une fois aux responsabilités, rien de tout cela ne tenait plus. De plus, les chefs d’entreprise qui s’étaient engagés dans ces négociations – qui n’ont pas été simples – n’avaient pas envie de voir mis à bas le résultat de ces efforts.

Monsieur Noguès, vous avez raison de rappeler la loi Robien. Vous demandez pourquoi il y a eu trop peu d’embauches : je crois que c’est lié à une politique d’ensemble, car la croissance mondiale a été plutôt plus favorable après 2002.

Madame la rapporteure, pardonnez-moi : je vous laisserai tirer les leçons de cette expérience. Ne jouissant pas des supposés privilèges du pouvoir, pourquoi devrais-je en avoir les contraintes ?

Vous me demandez quelles erreurs ont été faites. La distinction entre entreprises de plus de vingt salariés et de moins de vingt salariés demeure aujourd’hui encore ; j’ai aussi reconnu que les choses avaient été difficiles à l’hôpital.

Monsieur le président, vous m’interrogez sur les liens entre le temps de travail et la productivité : c’est l’augmentation de la productivité qui a permis, historiquement, la diminution du temps de travail dans le monde ; la question de la réduction du temps de travail comme politique volontariste est une question qui peut être posée et parfois même résolue.

Je l’ai dit, nous ne voulions pas partager une richesse constante, mais une richesse croissante. En matière de salaires, nous avons fait un choix, qu’une partie du monde salarial a d’ailleurs pu avoir du mal à comprendre : nous avons préféré à des augmentations de salaire potentielles pour des salariés déjà au travail la perspective de rendre du travail à des centaines de milliers de personnes. Nous avons choisi de favoriser le retour à l’emploi, et cru que le vieux thème de la solidarité entre les salariés ne devait pas être considéré comme obsolète.

Vous évoquez, Monsieur le président, un coût de 20 milliards d’euros : avec tout le respect que je vous dois, ce chiffre est de pures fantasmagories. Même si l’ensemble des entreprises étaient passées aux 35 heures, le coût se serait élevé, d’après des estimations certes délicates, au plus à 15 milliards d’euros !

Nous n’avions pas décidé, je l’ai dit, que le passage de la sphère publique aux 35 heures se ferait automatiquement. Si vous vous intéressez à ce qui s’est passé dans les collectivités territoriales, vous constaterez qu’un certain nombre d’entre elles avaient anticipé, depuis plusieurs années, le mouvement de réduction du temps de travail.

Vous espérez, monsieur le président, que notre pays parvienne à un consensus sur la question du temps de travail. Ce serait évidemment souhaitable. J’ai compris en tout cas que c’était sans doute l’esprit dans lequel travaille cette commission d’enquête. Croyez bien que j’y suis extrêmement sensible.

M. le président Thierry Benoit. Si vous me permettez une dernière question, j’aimerais savoir si vous pensez qu’une simplification du code du travail doit être engagée, afin de favoriser la recherche du consensus autour du temps de travail.

M. Lionel Jospin. Simplifier le code du travail, ou d’autres codes, ne peut pas être inutile s’il y a un consensus, si les partenaires sociaux s’accordent. Mais cela ne doit pas signifier aggravation de la situation des travailleurs.

M. le président Thierry Benoit. Nous sommes bien d’accord.

Merci encore, monsieur le Premier ministre.

L’audition se termine à dix heures cinquante-cinq.

Présences en réunion

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Thierry Benoit, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Romain Colas, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Jacqueline Maquet, M. Pierre-Alain Muet, M. Philippe Noguès, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun