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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Jeudi 16 octobre 2014

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Jean-Pierre Gorges, Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Boris Karthaus, représentant d’IG Metall

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Boris Karthaus, représentant d’IG Metall

M. Jean-Pierre Gorges, président. Je vous remercie d’avoir répondu à la convocation de notre commission d’enquête. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Votre point de vue sur la réduction du temps de travail dans une industrie exposée à la concurrence internationale est très attendu. Votre syndicat a négocié depuis de longues années des accords de réduction de la durée hebdomadaire du travail. Il ne semble pas que l’emploi et les bénéfices économiques de votre secteur d’activité en aient souffert. Peut-être en va-t-il différemment des salaires horaires.

Dans la mesure où vous venez nous parler de la situation en Allemagne, je ne crois pas nécessaire de vous faire prêter serment comme la loi l’exige pour les auditions habituelles de la commission.

M. Boris Karthaus, représentant d’IG Metall. Je vous remercie de me délier de cette obligation, mon propos n’en sera que plus libre, et je pourrai notamment me permettre de citer des statistiques...

Le syndicat IG Metall est organisé par branches et compte 2,2 millions d’adhérents, dont 8 000 Français. Il couvre notamment l’industrie sidérurgique, l’automobile, mais aussi le textile. Grâce à la retransmission des débats, j’ai pu suivre l’intervention de mes collègues français, qui mettaient en garde contre les comparaisons d’un pays à l’autre. La curiosité intellectuelle a persisté toutefois, certainement à juste titre, car l’Europe s’enrichit précisément de sa diversité.

En Allemagne, nous ne connaissons pas de durée hebdomadaire légale du travail. La loi se contente de fixer à 48 heures par semaine le nombre maximum d’heures travaillées, mais inclut pour ce décompte le samedi parmi les jours ouvrables. Or, depuis 1967, à travers les conventions collectives, le samedi s’est peu à peu imposé comme n’étant plus un jour ouvrable. Les conventions collectives jouent donc en fait un rôle plus important que la loi en matière de durée du travail.

À partir des années 1980, plusieurs raisons ont poussé à ramener la semaine de travail de 40 à 35 heures, parmi lesquelles l’intensification du travail due à l’emploi de nouvelles technologies ou au travail à la chaîne, ou encore la volonté de lutter contre le chômage. Une grève de six semaines s’est ainsi engagée, à partir de Noël 1979, dans l’industrie sidérurgique de la Ruhr. Elle n’a pas eu pour résultat le passage de la durée hebdomadaire de 40 à 35 heures, mais l’obtention de jours supplémentaires de congé payé. Sur un sujet aussi symbolique, la différence mérite d’être soulignée.

En 1984, une grève dans la métallurgie a touché un demi-million de salariés, soit qu’ils aient été activement engagés dans le mouvement, soit qu’ils aient été empêchés de travailler. Elle a causé 12 milliards de deutschemarks de pertes, et a abouti au compromis suivant : instauration progressive de la semaine de 35 heures en contrepartie d’une plus grande flexibilité dans l’aménagement des horaires de travail au sein de l’entreprise. En 2003, ces dispositions n’ont pu être étendues aux Länder issus de l’ex-République démocratique allemande (RDA). Les conventions collectives y fixent donc la durée hebdomadaire du travail à 38 heures.

Dans les entreprises allemandes, le Betriebsrat, souvent assimilé au comité d’entreprise français mais largement différent en vérité, exerce un droit de codétermination en matière sociale, en matière de fixation des horaires comme d’aménagement du temps de travail. Son consentement est indispensable pour toute modification opérée dans ce domaine. Il se prononce également sur les postes d’alternants ou sur l’épargne-temps. En cas de désaccord entre lui et l’employeur, un arbitrage judiciaire est possible, mais il fait courir le risque aux deux parties de subir une décision qui privilégierait totalement l’un ou l’autre point de vue, plutôt que de bénéficier d’une solution de compromis.

Je souligne que le Betriebsrat ne détermine pas la durée, mais l’aménagement des horaires de travail. Ce sont les conventions collectives qui fixent le cadre de celle-ci. Elles permettent à une proportion de salariés variant entre 13 % et 18 % selon les régions de travailler 40 heures par semaine, sur une base volontaire, par conséquent, on pourrait dire que la durée conventionnelle moyenne du travail hebdomadaire s’établit à 35,9 heures. Les règles de flexibilité interne prévoient que les 35 heures hebdomadaires peuvent être aménagées de manière souple, dès lors que la durée moyenne calculée sur douze mois s’établit à 35 heures. Cela laisse beaucoup de flexibilité aux entreprises, comme vous pourrez vous en rendre compte en consultant des conventions collectives.

Après ce panorama général, je voudrais formuler trois observations.

Premièrement, depuis 2004, si une entreprise connaît des difficultés et dans un souci de sauvegarder l’emploi, des conventions à caractère dérogatoire peuvent prévoir que la durée des heures de travail sera relevée. Cela arrive souvent.

Dans ces accords, des clauses peuvent stipuler une augmentation des heures de travail sans que celles-ci soient payées. Ces clauses sont, « entre nous » souvent appelées « clauses-morphine », car elles font diminuer le coût du travail et soulagent momentanément la douleur économique, mais n’incitent guère à traiter les problèmes structurels de l’entreprise, tels que l’absence de produit innovant, la faible productivité ou encore la mauvaise adaptation de l’entreprise au marché. Elles ne procurent donc à celle-ci qu’un avantage temporaire, et lorsqu’elles cessent ou ne sont pas prolongées, l’entreprise meurt et les salariés perdent leur emploi. Aussi IG Metall s’attache-t-il à ce que ces accords prévoient aussi le retour progressif aux 35 heures et la recherche de solutions aux problèmes structurels de l’entreprise, en y insérant des clauses qui étendent la codétermination au champ économique. L’augmentation des heures de travail s’effectue alors en contrepartie d’une codétermination étendue aux questions économiques dans une perspective de sauvegarde de l’emploi à moyen terme.

Deuxièmement, je vous ai dit que la semaine de travail de 35 heures s’entendait souvent en moyenne annualisée. Je dois souligner que 70 % des entreprises font recours à cette flexibilité en ouvrant aux salariés des comptes épargne-temps. En 2008 et 2009, au plus fort de la crise, ce ne sont pas moins de 1,4 million de salariés qui ont été touchés par le chômage partiel, que nous appelons Kurzarbeit. Or, le régime allemand du chômage partiel prévoit que des indemnités ne sont accordées aux salariés en chômage partiel que si leur compte épargne-temps est presque vide. Cela semble donc indiquer que les comptes épargne-temps étaient à un niveau proche de zéro en 2009.

Étant donné que la moyenne se calcule sur 12 mois, on aurait pu s’attendre à un rééquilibrage en 2010. Cela n’a pas été le cas, avec une durée moyenne de 39,5 heures de travail par semaine observée cette année-là, le rééquilibrage n’a pas eu lieu. Ce constat doit être tempéré par le fait que les heures supplémentaires payées ne sont pas exclues de ces statistiques, et les statistiques incluent aussi des entreprises qui ne sont pas soumises ni à des conventions de branche ni à des conventions collectives ni à des accords dérogatoires. Mais il y a le soupçon que « la réalité ne respecte pas la convention collective ».

Il n’en demeure pas moins que, selon les observations faites par nos adhérents sur le terrain, un grand nombre d’heures se sont accumulées sur les comptes épargne-temps des salariés sans que ces heures soient payées. Les conventions collectives prévoient pourtant qu’un compte épargne-temps plein doit faire l’objet d’une réduction. En pratique, cela rendrait cependant nécessaire un arrêt de la production, ce qui est toujours source de difficultés. Chez les salariés, le maintien de leur compte épargne-temps à un niveau élevé laisse d’ailleurs l’impression que ces heures surnuméraires ne sont pas perdues. Un « effet-écureuil » s’observe, chacun se disant qu’il aura, grâce à un compte largement garni, la possibilité de prendre des congés quand il le souhaite. En fait, le régime des comptes épargne-temps est prévu dans l’entreprise au niveau local et peut même être, comme c’est le cas chez Bosch, très différent d’un site à l’autre.

Troisièmement, IG Metall a conduit en 2013 auprès de ses adhérents une enquête qui portait notamment sur le temps de travail. Pas moins de 500 000 réponses ont été recueillies. Il en ressort que 63 % des salariés estiment, malgré les 35 heures, travailler en réalité plus longtemps. Ils sont d’ailleurs 29,7 % à vouloir travailler au-delà de 35 heures, et même 2,1 % à souhaiter travailler plus de 40 heures. C’est dans les entreprises de moins de 200 salariés que la volonté de travailler plus de 35 heures est la plus répandue. En outre, 22 % des salariés interrogés affirmaient travailler en dehors des horaires réguliers, par exemple le week-end, et 12 % le faire grâce à des ordinateurs ou téléphones portables.

L’enseignement le plus intéressant, qui a suscité l’étonnement jusqu’au sein du syndicat, est que 80 % des salariés interrogés estiment que cette flexibilité ne constitue pas un problème grave, dès lors que l’aménagement repose sur la réciprocité, c’est-à-dire prend aussi bien en considération les besoins de l’entreprise que ceux des salariés.

Je pourrais donc me résumer en trois points. D’abord, la semaine de 35 heures constitue, dans le secteur de la sidérurgie et de la métallurgie, la norme, mais non la réalité. Ensuite, la flexibilité des horaires est relativement grande ; elle est également bien acceptée s’il y a réciprocité, mais cette dernière est généralement insuffisante. Enfin, la mise en œuvre de la flexibilité va de pair avec des comptes épargne-temps, qui ont tendance à se gonfler, leur gestion n’excluant pas alors certains abus.

IG Metall est favorable à une flexibilité basée sur la réciprocité, et demande notamment que le retour au temps plein soit possible après le recours au temps partiel, ce qui n’est pas garanti actuellement par la loi, ou encore à l’issue de formations externes de longue durée.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Toutes les personnes que nous avons auditionnées ont évoqué le cas allemand, et la question du temps de travail en Allemagne nous a paru assez importante pour que nous effectuions bientôt un déplacement de deux jours à Berlin. Nous sommes impressionnés par la force du syndicalisme et du dialogue social en Allemagne. Faut-il y voir la cause de l’acceptation par les salariés d’une baisse temporaire de leurs ressources lorsque l’existence même de leur entreprise est en jeu ? Ont-ils, après le climax de la crise en 2008-2009, continué à travailler davantage pour le même salaire, dans l’industrie comme dans d’autres secteurs, peut-être moins prospères, où IG Metall est également représenté ?

En matière de temps de travail, quel est à vos yeux le bon niveau de négociation ? Celui de l’entreprise, ou celui de la branche ? Le niveau législatif vous semble-t-il pertinent ? Si l’aménagement du temps de travail au niveau de l’entreprise peut permettre de mieux prendre en considération les besoins des salariés, je m’inquiète néanmoins des inégalités qui peuvent apparaître entre salariés du fait d’une réglementation aussi fragmentée. Comment faut-il apprécier, dans ce contexte, l’instauration du salaire minimum, qui peut sembler paradoxale de la part d’un gouvernement dirigé par une chancelière membre de la CDU ?

M. Denys Robiliard. Je vous remercie d’avoir fait le déplacement jusqu’à nous, et vous félicite pour la qualité de votre français ! Dans quelles proportions les entreprises recourent-elles au Kurzarbeit ? Quelle évaluation IG Metall fait-il de ce système : quels sont ses avantages, ses limites ?

M. Jean-Pierre Gorges, président. En cas de réduction du temps de travail, y a-t-il perte de salaire effective ? Ou bien trouve-t-elle entièrement sa contrepartie dans une flexibilité accrue, à salaire constant ? Quel regard portez-vous d’ailleurs sur la loi française des 35 heures ? Un dispositif applicable sur tout le territoire ne présente-t-il pas des faiblesses ? Enfin, la vraie différence entre l’Allemagne et la France ne porte-t-elle pas moins sur le temps de travail que sur le coût du travail ?

M. Boris Karthaus. L’acceptation du Kurzarbeit est due au fait qu’une partie des salaires est remboursée sous forme d’allocations chômage, à hauteur des deux tiers. En 2008-2009, l’envolée des coûts des entreprises concernait d’ailleurs moins le Kurzarbeit que les frais fixes tels que les cotisations sociales ou l’électricité. Dans le souci de leur venir en aide, et sur l’insistance des syndicats, le gouvernement a amélioré le régime de façon à prendre également pris en charge certains coûts comme les cotisations sociales.

Si les salariés acceptent une baisse de leur salaire, c’est qu’ils voient la situation économique de leur entreprise, notamment quand ils appartiennent au secteur de la production. En outre, le Kurzarbeit doit être négocié avec le Betriebsrat en ce qui concerne l’étendue et le choix des personnes qui seront en chômage partiel. Cela permet d’arriver à un bon équilibre entre des intérêts divergents. La codétermination est donc un moyen de faire accepter des mesures graves et difficiles.

Quant à l’acceptation d’horaires dérogatoires, il faut savoir qu’elle est précédée d’une enquête conduite par le syndicat sur la situation économique de l’employeur. Les conclusions en sont rendues publiques, de telle sorte que les salariés peuvent décider de manière éclairée s’ils veulent maintenir la convention de branche, le cas échéant en courant le risque de licenciements de masse, ou s’ils préfèrent signer un accord avec l’employeur portant, par exemple, de 35 à 37 ou 38 heures la durée hebdomadaire du travail. Un accord de ce type prévoit naturellement que tout licenciement économique est exclu durant la période où les horaires de travail sont augmentés, et même au-delà.

De manière négative, l’acceptation naît aussi d’une sorte de chantage. Placés devant la menace de perdre tout à fait leur emploi, les salariés prennent la décision difficile de gagner moins pour éviter le chômage. Les négociations mettent d’ailleurs au jour des phénomènes paradoxaux d’un point de vue économique. Ainsi, les salariés tendent à accepter plus volontiers de travailler deux heures de plus par semaine sans être payés davantage que de perdre leur prime de Noël, alors que ces deux heures supplémentaires ont, en tant que telles, une valeur monétaire plus grande que la prime de Noël. De toute évidence, cela est dû à ce que les salariés évaluent la situation en privilégiant leur revenu par rapport à leur temps disponible.

La situation est légèrement différente dans les autres branches où IG Metall est présente, comme les métiers artisanaux. Les garagistes, par exemple, travaillent plus longtemps : entre 37 et 38 heures par semaine. Dans des métiers plus folkloriques, comme celui des fondeurs de cloche, qui sont seulement une centaine, la durée hebdomadaire du travail est fixée à 38 heures. Les 35 heures sont plus souvent appliquées dans l’industrie que dans les services, où la durée hebdomadaire moyenne du travail fixée par les conventions collectives s’établit à 37,7 heures. Encore faut-il souligner que tous les employeurs ne sont pas soumis à des conventions de branche.

Quant au niveau des salaires, il convient d’avoir en tête que le salaire mensuel est calculé sur la base d’une durée hebdomadaire de 35 heures. Chaque heure supplémentaire est, en tant que telle, susceptible de déclencher le versement d’une prime au salarié. Elle coûte plus cher à l’entreprise, mais est plus intéressante pour le salarié. En réalité, les comptes épargne-temps évitent cependant à l’employeur le paiement des heures supplémentaires, tandis que cette pratique entretient le salarié dans l’idée qu’il dispose d’une certaine liberté.

L’instauration du salaire minimum n’est pas si étonnante, dans la mesure où le gouvernement fédéral repose sur une grande coalition incluant la participation des sociaux-démocrates. Il joue un rôle moins important dans le secteur industriel que dans celui des services, où un nombre croissant de branches n’étaient plus couvertes par des conventions collectives, et où une telle disposition s’imposait donc. Il touche d’ailleurs indirectement le secteur industriel, dans la mesure où les travailleurs intérimaires sont également concernés. Auparavant, un travailleur temporaire gagnait 30 % à 40 % de moins qu’un salarié permanent dans la branche où il était employé, faisant naître ainsi des poches de précarité. L’introduction d’un salaire minimal a mis fin à ces évolutions qui pesaient par ailleurs de manière négative sur les caisses sociales.

La perception en Allemagne de la loi française sur les 35 heures est difficile à définir, dans la mesure où la question est peu suivie, l’opinion publique peinant à comprendre le système. Que la réduction du temps de travail ait fait l’objet d’une loi paraît néanmoins étrange aux yeux des Allemands, qui se souviennent des conflits collectifs importants des années 1980 et de l’objectif de réduction du chômage avancé comme motif des revendications, objectif dont il apparaît maintenant avec évidence qu’il n’a pas été atteint. La réduction du temps de travail ayant stimulé la productivité horaire, les entreprises n’ont en effet pas eu besoin de salariés supplémentaires.

Pour prendre un exemple simple, produire des casseroles bas de gamme ne semble plus possible ni en France ni en Allemagne, car ces casseroles ne seraient pas compétitives sur le marché mondial. La question qui habite les esprits est plutôt : quel produit innovant justifierait un prix de marché permettant de maintenir l’emploi ? Rappelons que, dans la sidérurgie, la masse salariale ne représente que 7 % des coûts de production. Dans le secteur automobile, elle en représente 15 % à 20 %.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Je retiens de votre propos que vous n’avez pas de doute quant au fait que les salariés sont pleinement conscients de la situation économique de l’entreprise et de sa stratégie. Comment parvenez-vous à ce résultat ? Des experts du syndicat sont-ils en contact permanent avec la direction ?

Pour le salaire minimum, je comprends que cette disposition législative n’entre pas en concurrence avec la négociation, puisqu’elle ne concerne précisément que les salariés non couverts par une convention collective. Vous nous avez dit également que la baisse du temps de travail n’avait pas fait naître de besoin nouveau en salariés. Pourrais-je compléter votre propos en ajoutant que, dans ce cas, une loi n’était donc pas nécessaire ?

Alors que la baisse des salaires est parfois présentée comme le seul moyen de rester compétitif, je retiens de votre exemple des casseroles que seule la qualité du produit garantit à la fois le maintien de l’emploi et celui du niveau des salaires. Est-ce bien votre analyse ?

M. Boris Karthaus. Oui, vous avez parfaitement raison sur tous ces points.

M. Jean-Pierre Gorges, président. Dans la démarche allemande, s’adapter au marché paraît donc le principal moteur de la réduction du temps de travail, dans la mesure où celle-ci permet d’être plus flexible et, partant, plus réactif. La création d’emplois nouveaux ne semble au contraire pas jouer de rôle.

M. Denys Robiliard. J’observe que votre analyse laisse toutefois ouverte la possibilité de produire des casseroles de qualité, en Allemagne comme en France. L’Allemagne fabrique ainsi des voitures de très grande qualité, mais votre industrie automobile n’a-t-elle pas tendance à se délocaliser en partie? Les pièces des voitures Porsche sont, paraît-il, produites en République Tchèque et ne sont qu’assemblées à Stuttgart. Comme syndicaliste, quel regard portez-vous sur cette situation ? Quelle position adoptez-vous sur ces questions au sein des conseils d’administration, où vous participez avec voix délibérative ?

Nous avons parfois en France une vision duale de l’économie allemande. D’un côté, un secteur protégé serait couvert par les conventions collectives grâce à des syndicats puissants qui, tel IG Metall, sont capables de négocier avec le patronat. De l’autre, une main-d’œuvre précaire reçoit des salaires parfois inférieurs à 800 euros par mois, pour des horaires très flexibles et sans que soient toujours versées les cotisations de retraite afférentes. Qu’advient-il de ces salariés lorsqu’ils ont 65 ans ?

M. Boris Karthaus. Sur les 35 heures, la voie française a été en effet la voie législative, et la voie allemande la négociation. J’ai cependant souligné que les grèves en faveur des 35 heures ont duré six semaines et touché un demi-million de salariés. Durant ces périodes, IG Metall verse des allocations de grève qui permettent à ses adhérents de continuer à vivre. Son trésor de guerre souffre donc énormément en cas de conflit. La grève n’est pas une manifestation à caractère politique, mais un conflit économique très dur, qui cause d’importants dommages de part et d’autre. Ainsi s’explique la préférence pour la négociation, qui ne s’explique pas seulement du fait de la tradition ou d’une « culture » du dialogue social.

Au sujet de l’égalité entre travailleurs, il faut constater que les salariés de la métallurgie gagnent davantage, en ayant une formation d’une durée égale à celle des infirmières. Est-ce vraiment juste, en effet ?

Quant au salaire minimum, il a été fixé à un niveau si bas qu’il est inférieur au salaire minimum dans la métallurgie. Mais je dois reconnaître que la loi a produit un effet chez les sous-traitants, dans les petites entreprises non couvertes par des conventions collectives.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Ne sont-ce pas précisément les femmes qui travaillent le plus dans les services ou comme employées à temps partiel ?

M. Boris Karthaus. Si, c’est une inégalité structurelle.

La réduction du temps de travail avait pour motif la lutte contre le chômage de masse ; elle a eu pour résultat une flexibilité accrue, répondant à une préoccupation patronale. Car le chômage de masse est toujours là. Les employeurs se sont servis de la flexibilité pour contourner le besoin d’embauches nouvelles. Elle peut même être utilisée désormais de manière abusive.

Quant à la sous-traitance et à la délocalisation, elles sont au cœur des préoccupations d’IG Metall. Il n’est en effet guère admissible que de bonnes conditions de travail soient garanties chez Porsche, Volkswagen ou Daimler, mais non chez leurs prestataires en Hongrie ou en Roumanie. Je ne connais pas exactement la situation chez Porsche, mais je sais que les phares arrière des BMW sont achetés en Chine et livrés à Munich en « juste-à-temps ».

Le maintien de l’emploi n’est possible qu’à travers de nouvelles technologies, grâce auxquelles il sera également possible de lutter contre le recours à la sous-traitance échappant aux conventions collectives. IG Metall est en faveur d’une politique d’innovation dans les entreprises.

Au sujet de la précarité, il est vrai que dix années de travail comme intérimaire, même dans le secteur automobile, ne permettent pas d’accumuler suffisamment de cotisations pour pouvoir prétendre à une retraite. Notre politique syndicale s’est d’abord concentrée sur le secteur sidérurgique pour y imposer, par un accord signé en 2010, que les travailleurs intérimaires y soient rémunérés de la même manière que les salariés de droit commun. La convention collective a ainsi transposé le principe d’égalité des rémunérations consacré par la directive européenne sur les travailleurs intérimaires.

Dans la métallurgie, la situation est différente. Au terme d’une période de deux ans, les salariés acquièrent le droit à une embauche durable. Dans le même temps, IG Metall a lancé un vaste mouvement de négociations en vue d’obtenir des accords locaux garantissant aux intérimaires un accès privilégié aux offres d’emploi internes à l’entreprise ou limitant la durée du recours à l’intérim. La lutte contre le recours à une main-d’œuvre bon marché a coûté beaucoup d’énergie au syndicat.

M. Jean-Pierre Gorges, président. Votre présentation est à la fois complète et intéressante. Nous verrons sur place les choses d’un peu plus près et tenterons d’établir la vérité objective pour conclure à ces comparaisons. Mais il apparaît d’ores et déjà que la forte organisation syndicale a permis en Allemagne d’arriver par la voie de la négociation à ce qui n’était sans doute possible en France que par la voie législative, même si le débat continue chez nous sur ce sujet.

L’audition se termine à quinze heures trente.

Présences en réunion

Présents. - Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Pierre Gorges, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun