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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Mardi 25 novembre 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 35

Présidence de M. Thierry Benoit, Président,

– Audition, ouverte à la presse, de M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à seize heures vingt.

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social

M. le président Thierry Benoit. Monsieur le ministre, nous vous accueillons avec grand plaisir et vous remercions d’avoir accepté l’invitation de notre commission d’enquête, créée il y a cinq mois à l’unanimité des groupes de l’Assemblée nationale. Nous souhaitions vous entendre pour connaître vos appréciations sur la réduction du temps de travail, afin de nourrir le rapport de la commission qui adressera au Gouvernement actuel – mais aussi à ses successeurs – des propositions sur ce sujet.

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d’enquête pourra citer dans son rapport le compte rendu de votre témoignage qui fait l’objet d’un enregistrement et d’une retransmission télévisée. Vous pourrez adresser des observations à la commission sur le compte rendu qui vous aura été communiqué au préalable.

Le même article de l’ordonnance de 1958 impose aux personnes auditionnées de déposer sous serment, sans toutefois enfreindre le secret professionnel. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite, monsieur le ministre, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. François Rebsamen prête serment).

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Sur les 35 heures, beaucoup a été dit mais on finit par perdre de vue l'idée de départ de cette réforme. Celle-ci a d'abord eu comme but de créer de l'emploi, non pas en le partageant comme s'il était un gâteau fixé pour l'éternité, mais en insufflant une dynamique créatrice d'emplois par la négociation et la réflexion sur l'organisation du travail et l'efficacité de l'entreprise. Ensuite, il s’agissait d’accompagner les évolutions de la société et de l'économie en repensant les temps de vie, et là réside sans doute l'apport le plus durable des 35 heures. En effet, la productivité ne cesse de progresser sur le long terme, ce qui permet d'organiser différemment l'économie. Au terme d'un cycle de gains de productivité et de transformation sociale, les 35 heures ont permis de faire coïncider le cadre réglementaire avec les façons de travailler en donnant aux entreprises de quoi s'adapter en modulant le temps de travail et en offrant aux salariés de quoi individualiser leur temps de travail dans un cadre protecteur. La loi permet aujourd'hui de s'ajuster, par la négociation, à des situations hétérogènes vécues par des entreprises elles-mêmes diverses qui font face à des attentes nouvelles des salariés. Et l'on voit à travers de multiples exemples que le temps de travail évolue et se discute dans les entreprises, où il est le deuxième sujet de discussion.

Les 35 heures ont satisfait ces deux demandes sociales que sont l’emploi et l’évolution des manières de travailler et elles ont ouvert un vrai espace de discussion. S'agissant de l'emploi, même si les évaluations divergent, on s’accorde généralement à estimer à 6 ou 7 % l'augmentation du nombre d'emplois induite par les 35 heures ; concernant l'évolution des organisations du travail, la vivacité des négociations parle aussi en chiffres : ainsi, en près de deux ans – entre 1998 et 2000 –, 26 000 accords d'entreprise, concernant 2,9 millions de salariés, ont été signés sur la gestion des temps, mais aussi l'organisation même du travail.

La réforme des 35 heures se situe dans une tendance historique et elle est aujourd'hui profondément ancrée dans la société. Le mouvement qui les a fait naître dépasse largement celui d'une loi et s’inscrit dans la tendance séculaire de la diminution du temps de travail : la journée des 8 heures, puis la semaine de 40, de 39, et enfin de 35 heures.

Le temps n'est pas venu d'une nouvelle étape, mais il n'est pas non plus celui d'un retour en arrière. Les 35 heures sont entrées dans les mœurs des entreprises et des salariés, et elles constituent aujourd'hui la référence incontournable à partir de laquelle on négocie les temps de travail, on déclenche les heures supplémentaires et on définit les organisations. La remise en cause des 35 heures est un propos de tribune qui se situe très loin du vécu de tous. Et je tiens à redire, après le Premier ministre, qu'il n'y aura pas de remise en cause par le Gouvernement des 35 heures comme référence légale du temps de travail.

C'est dans le registre de l'appropriation qu'il y a encore des progrès à faire pour que les entreprises et les individus saisissent toutes les opportunités offertes par les 35 heures.

On a pu dire que les 35 heures introduisaient de la rigidité ; je crois au contraire qu'elles ont créé des opportunités pour de nouvelles formes d'organisation du travail. La possibilité d'organiser le travail de manière non uniforme vient des lois Auroux de 1982 qui ont instauré un dispositif de modulation permettant de s'affranchir du cadre hebdomadaire de calcul des heures supplémentaires. De plus, les lois de 1982 ont offert aux entreprises la capacité de disposer, sans autorisation de l'administration, d'un volume d'heures supplémentaires dont la quotité est fixée par la négociation. Le mécanisme est original, puisqu’il autorise les partenaires sociaux à déterminer un seuil par un accord collectif et leur laisse ainsi une grande autonomie. Les lois Aubry s’inscrivent dans la continuité des lois Auroux : elles poursuivent le dépassement du cadre hebdomadaire de la durée du travail en mettant en place un décompte pluriannuel ou annuel, à partir non de l'heure mais de la journée de travail. Elles créent un nouveau cadre de référence et elles accompagnent le besoin de « sur mesure » dans l'organisation du travail, même si celui-ci n’est pas l'anarchie. D'ailleurs, personne n'a jugé opportun de revenir sur ce socle : la loi de 2008 maintient le seuil de déclenchement des heures supplémentaires à 35 heures, parce qu'il est bon pour le pouvoir d'achat des salariés, et qu’il correspond à la réalité de leur vie et au fonctionnement des entreprises. Le mouvement dépasse, contrairement à ce que l’on peut entendre, les grandes et les moyennes entreprises puisque dans les petites entreprises, qui sont dépourvues de délégués syndicaux, les lois Aubry ont permis la négociation d'accords relatifs à la durée et à l'aménagement du temps avec des salariés mandatés par les syndicats. Là encore, la possibilité de choisir et la réactivité ont été favorisées.

Les 35 heures définissent en réalité un temps de travail annuel de 1 600 heures dans le cadre duquel des formules de forfait ou de modulation annualisée sont permises et largement utilisées. D'ailleurs, la réalité moyenne du temps de travail s’élève à 39 heures, même si cette moyenne cache une grande diversité de formules.

Les 35 heures s’avèrent donc à la fois protectrices et souples ; elles sont favorables aux entreprises qui ont su se réorganiser pour affronter les fluctuations de l'activité, et aux salariés qui ont profité du temps gagné ou redéployé pour organiser leur vie.

Ce faisant, la souplesse se retrouve sur le fond de l'organisation du travail, mais également dans la méthode. Les 35 heures ont contribué à étendre le dialogue social à de nouveaux sujets : l'organisation du travail, le vivre ensemble dans l'entreprise, la conciliation de la vie personnelle et professionnelle. En flux annuel, on constate une augmentation de 10 000 à 30 000 du nombre d'accords d'entreprise depuis l’entrée en vigueur des lois Aubry.

Au total, les 35 heures ont constitué un temps fort de l'histoire du dialogue social, où la négociation à tous les niveaux, notamment en entreprise, a trouvé une nouvelle vigueur et s’est emparée de sujets parfois délaissés, comme l'organisation du travail et, derrière celle-ci, l'articulation des temps de vie dans le travail.

Contrairement à l'idée véhiculée par certains, les 35 heures n'ont pas modifié l'engagement des Français dans leur travail ; c’est même le constat inverse que nous pouvons dresser. Les salariés français sont particulièrement productifs, et l’ensemble des études conduites sur le sujet montrent que la majorité d’entre eux se déclare satisfaite de cette réforme. Il n'y a donc pas de décrochage de ce côté-là, pas plus que sur l'attractivité de notre pays pour les entreprises et les investisseurs étrangers : ainsi, par rapport à la richesse nationale, la France attire deux fois plus d'investissements étrangers que l'Allemagne, l'Italie et même l’Irlande.

Les 35 heures ont été l’occasion d’augmenter l'intensité du travail : il ne faut pas le cacher, mais il convient de sortir d'une vision manichéenne de ce phénomène. Les 35 heures ont en effet davantage accompagné que suscité la hausse de la productivité et l’amélioration de la compétitivité de nos entreprises. J’y vois la conséquence de l'efficacité des nouvelles organisations de travail mises en place, de manière négociée, dans les entreprises. Les études montrent qu'à la suite des 35 heures, les salariés ont bénéficié d'une meilleure définition de leurs tâches et d'une meilleure anticipation de leur charge de travail, et ils ont
– paradoxalement, diront certains – moins souffert de l'accélération des rythmes de travail.

Plutôt que de ressasser un vieux débat tranché par la réalité économique et sociale, je propose que nous nous intéressions aux conditions de la qualité de vie au travail  et, plus particulièrement, aux attentes des personnes en matière de réalisation personnelle, d'organisation collective du travail et d'articulation des vies professionnelle et personnelle, ainsi qu’aux risques inhérents au travail. Là se trouve le sujet d'aujourd'hui et de demain.

La question de société que nous devons collectivement traiter touche à ce que l'on fait et à la façon dont on vit au travail ou, pour le dire autrement, à la qualité de vie au travail. On le sait, les temps de travail et de la vie personnelle se sont imbriqués : on travaille pendant ses études, on se forme pendant son travail, on étudie ou on reprend une activité à la retraite. La question du temps de travail se déplace du seul moment de l'emploi à toute la trajectoire de la vie professionnelle et personnelle. En outre, il y a lieu de prendre en compte le numérique, qui brouille les frontières de l'entreprise et de la vie privée.

Les questions sont ainsi reformulées : celle de l'autonomie, qui se joue de moins en moins entre un temps de travail supposé contraint et un temps de repos supposé libéré, et celle des transitions, thème sur lequel un colloque était organisé ce matin. Il faudra se pencher sur ce qui régit le contrat de travail – comme sa durée légale –, mais également sur ce qui permet de passer d'un emploi à un autre – et on touche là aux droits portables et aux transitions. À ce titre, le compte personnel de formation et celui de prévention de la pénibilité représentent deux véritables avancées qui montrent que le rapport au temps de travail se construit sur une vie entière.

Voilà les enjeux du présent dont nous devrions discuter. Sincèrement, poser la question des 35 heures, c'est penser de manière trop étroite le temps de travail et le travail dans son entier. Mon engagement, dans une organisation du travail qui sait se donner des marges et des souplesses, c'est de porter la qualité de vie au travail, et, plus exactement, la qualité du travail – ce thème fait d’ailleurs souvent l’objet d’échanges avec mes homologues européens. Après avoir construit le cadre, il faut maintenant entrer dans la réalité du dialogue avec les partenaires sociaux. 

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Monsieur le ministre, vous avez affirmé que les 35 heures ne visaient pas à créer de l’emploi en partageant un gâteau existant, mais en insufflant une dynamique augmentant la taille du gâteau. Plutôt que de conditionner la réduction du temps de travail à la croissance du gâteau, on pourrait considérer que l’on peut partager celui qui existe aujourd’hui – le temps de travail étant déjà réparti entre les chômeurs, de plus en plus nombreux, qui ne travaillent pas la moindre heure, ceux qui travaillent à temps plein et subissent parfois une charge trop importante, et ceux – surtout celles – qui n’ont qu’un contrat à temps partiel. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Au cours des auditions, personne ou presque n’a remis en cause les 35 heures. Cette réforme, à défaut d’être appréciée, est acceptée par tous – si tel n’était pas le cas, elle aurait été remise en cause de façon bien plus fondamentale.

Au moment de la réforme des 35 heures, le contingent des heures supplémentaires se trouvait limité à 130 heures ; entre 2004 et 2008, il est passé à 180 heures – ce qui correspond à 39 heures par semaine –, et il s’élève aujourd’hui à 220 heures, sans compter les dérogations. Dans un contexte de chômage massif et croissant, ne pourrait-on pas envisager de revenir à un contingent d’heures supplémentaires plus raisonnable afin de créer davantage d’emplois ?

Vous avez cité l’augmentation de l’intensité du travail comme point négatif du bilan des 35 heures et avez affirmé que la réduction du temps de travail avait davantage accompagné que suscité la hausse de la productivité – bien que le temps d’utilisation des machines ait augmenté de 10 % dans l’industrie sans aucun investissement supplémentaire grâce à la réduction du temps de travail. La croissance de la productivité ne provient-elle pas de l’intensification du travail ?

M. Christophe Cavard. Monsieur le ministre, êtes-vous favorable à ce que les 35 heures puissent être renégociées dans le cadre d’accords d’entreprise ou de branche ?

La plupart d’entre nous se retrouvent dans le bilan économique des 35 heures que vous avez dressé, mais, sur le plan social, on pourrait maintenir l’ambition politique de continuer à réduire le temps de travail, même si vous l’excluez aujourd’hui pour des raisons de conjoncture. Quelle place devons-nous accorder à la formation dans le temps de travail ? Nous venons de voter une loi sur la formation professionnelle, et l’on peut se demander s’il serait possible, dans certaines branches ou certaines entreprises, d’intégrer des périodes de formation qualifiante dans le temps de travail.

La baisse du temps de travail a permis de dégager des moments libres pour le citoyen, notamment pour le bénévolat associatif – l’Assemblée nationale a d’ailleurs créé une commission d’enquête sur ce sujet. Il est important de pouvoir consacrer du temps pour le vivre ensemble, la question des associations s’avérant prégnante comme l’ont montré les débats sur la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire.

M. Bernard Perrut. Le champ d’étude de cette commission d’enquête est large, puisqu’il englobe les aspects sociétal, social, économique et financier de l’impact de la réduction progressive du temps de travail. On peut d’ailleurs porter un avis différent sur chacun de ces sujets. En effet, on peut comprendre que l’on veuille moins travailler pour organiser sa vie autrement et donner plus d’importance aux loisirs et à sa famille. En revanche, dans les domaines économique et financier, le bilan s’avère plus négatif ; les 35 heures ont créé des difficultés dans l’organisation de services, notamment à l’hôpital public ou dans de grandes structures.

Il n’est pas possible de diminuer une nouvelle fois le temps de travail et, à l’inverse, on devrait adapter le nombre d’heures travaillées aux situations hétérogènes dans lesquelles évoluent nos entreprises. Il faut faire en sorte que le dialogue social et le lien entre les chefs d’entreprises et les employés s’accordent davantage aux réalités économiques. La croissance de la production générée par le travail augmente en retour la demande de travail. Ne pourrait-on pas insuffler davantage de souplesse dans les années qui viennent ? Êtes-vous favorable à un retour à 39 heures ? Certaines voix à l’intérieur du Gouvernement se sont élevées pour demander que l’on ouvre une réflexion sur la question.

M. le président Thierry Benoit. Monsieur le ministre, vous avez déclaré ce matin qu’il n’y avait pas de tabou pour donner plus de souplesse, à la condition que les 35 heures restent la référence légale. Quel équilibre souhaitez-vous trouver entre rigidité et flexibilité, vos réflexions se situant dans le droit fil de celles de M. Manuel Valls, Premier ministre, et de M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique ?

M. Lionel Jospin a indiqué à cette commission qu’il n’avait jamais été question d’étendre les 35 heures aux fonctions publiques. Qu’en pensez-vous ?

M. Emmanuel Macron recevra dans quelques jours le commissaire général à la stratégie et à la prospective, M. Jean Pisani-Ferry, et le directeur de l’Institut Jacques Delors à Berlin, M. Henrik Enderlein, qui proposent dans un rapport conjoint d’augmenter le temps de travail tout en bloquant les salaires pendant trois ans, afin que les entreprises baissent leurs prix et regagnent des parts de marché. Soutenez-vous une telle orientation ?

La réduction du temps de travail en France n’a-t-elle pas créé des disparités d’attractivité entre les métiers, au détriment de filières comme le bâtiment, l’artisanat, les métiers de bouche, l’industrie et les travaux publics ? Ne devrait-on pas procéder à certains ajustements pour les secteurs qui ont le plus perdu en termes d’attrait à cause des 35 heures ?

Mme la rapporteure. Que recouvrerait l’octroi de davantage de flexibilité, alors que vous avez affirmé que les 35 heures avaient déjà permis son accroissement ?

M. le ministre. Par rapport à une base 100 en 1999, le niveau d’emplois atteint près de 115 en France – malgré un plafonnement depuis 2007 et le début de la crise – et seulement 109 en Allemagne : notre pays a donc créé plus d’emplois que l’Allemagne malgré les 35 heures, et le même constat peut être dressé en comparant le nombre d’heures travaillées.

Les étapes de diminution du temps de travail ont marqué l’histoire de notre pays, et je pourrais vous répondre avec facilité que les 35 heures constituent un bon compromis entre ceux qui veulent poursuivre le mouvement et passer à 32 heures et ceux qui veulent revenir à 39 heures. M. John Maynard Keynes disait que les idées ne cessent d’avancer, et la baisse du temps de travail reprendra peut-être à l’avenir grâce au dialogue social même si, aujourd’hui, la durée légale doit rester à 35 heures.

Certaines entreprises ont profité du passage légal aux 35 heures pour mettre en place de manière négociée les 32 heures – et parmi elles des sociétés importantes et bénéficiaires – grâce à l’utilisation constante des machines. Ce modèle ne peut être généralisé actuellement.

M. Xavier Bertrand, alors ministre du travail, déclarait en 2012 son opposition à la remise en cause des 35 heures car les salariés en pâtiraient ; il affirmait que les salariés ont subi une modération salariale au moment des 35 heures et verraient leur salaire horaire diminuer si l’on augmentait le temps de travail légal. Pour ces raisons, je ne souhaite pas changer la loi pour accroître la norme du temps de travail.

La loi sur la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, transcription de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, offre déjà de la flexibilité en prévoyant la possibilité, dans des circonstances particulières, de déroger à la loi par un accord d’entreprise ou de branche ; ainsi, les employés de la métallurgie travaillent 39 heures, mais le cadre légal oblige l’employeur à mieux rémunérer les quatre heures supplémentaires.

Le passage aux 35 heures a donné lieu à une vaste discussion collective, dans la société et dans les entreprises, sur la vie professionnelle et personnelle des salariés. Il faut laisser aux entreprises le temps de s’adapter – dix ans représentent une courte période –, et on peut permettre des souplesses supplémentaires pour les aider tout en conservant la durée légale de 35 heures.

Certains métiers s’avèrent en tension, malgré la crise économique et le niveau du taux de chômage, et les chefs d’entreprises de ces filières utilisent les heures supplémentaires, ce qui ne nuit pas à l’embauche, celle-ci pâtissant d’une offre de travail inadaptée aux besoins. Cette situation ne crée pas de distorsion d’attractivité aux dépens de ces secteurs, et le volume d’heures supplémentaires, porté à 220 heures, permet aux entreprises de s’ajuster à la conjoncture. En outre, la loi sur la sécurisation de l’emploi ouvre la possibilité de négocier une modulation du temps de travail si l’entreprise rencontre des difficultés. S’il reste encore des verrous, levons-les !

Mme la rapporteure. Monsieur le ministre, vous avez rappelé avec justesse que les lois sur les 35 heures avaient permis de la souplesse – ne serait-ce que par l’annualisation du temps de travail –, que l’ANI la favorisait à nouveau et que les heures supplémentaires étaient en nombre suffisant – on peut même se demander s’il ne faudrait pas diminuer leur contingent en période de chômage massif. Une fois que l’on établit ces constats, quels sont les verrous restant à lever ?

Les droits portables et les comptes particuliers peuvent représenter un moyen de réduire le temps de travail sans utiliser le slogan peu heureux des 32 heures. Si un salarié se forme pendant six mois ou décide de faire autre chose pendant quelques mois, cela conduit à une réduction du temps de travail et devrait faire partie de nos réflexions.

Vous avez affirmé que plus d’emplois avaient été créés en France qu’en Allemagne depuis 1999 « malgré » les 35 heures. On pourrait dire que notre pays a connu un dynamisme de la création d’emplois « grâce » aux 35 heures, la période ayant suivi leur mise en place s’étant avérée la plus faste en termes d’emplois créés par point de croissance. En période de chômage massif et croissant, pourquoi ne pas reprendre la politique qui a créé le plus d’emplois – et sans grand dommage pour les finances publiques ? Pourquoi est-elle exclue de la réflexion ? Il n’est certes pas aisé de réorganiser les entreprises et de diminuer à nouveau le temps de travail, mais il n’est pas plus facile de faire tenir une société dans laquelle le chômage atteint un niveau si élevé.

Vous avez souligné que le temps moyen travaillé dépassait 39 heures par semaine, mais il s’agit des emplois à temps plein et il convient de ne pas oublier le travail à temps partiel, très largement féminin.

Mme Kheira Bouziane. Un rapport franco-allemand sera remis prochainement à M. Emmanuel Macron et à son homologue allemand M. Sigmar Gabriel, les deux ministres souhaitant élaborer un plan de réformes commun pour les deux pays. D’après Der Spiegel, le rapport proposerait d’accroître la flexibilité du marché du travail français et d’assouplir les 35 heures dans de nombreux secteurs ; ce document plaiderait également pour un gel des salaires pendant trois ans, afin de rendre les entreprises françaises plus compétitives, et pour une hausse de 20 milliards d’euros de l’investissement en Allemagne. Ce travail conjoint répond à la volonté du Président de la République de déployer un plan de relance pour la croissance : pourriez-vous nous préciser, monsieur le ministre, quelles mesures préconisées par ce rapport seront mises en œuvre ? Lors de votre présentation, vous avez beaucoup insisté sur la souplesse : quel rôle accordez-vous encore aux 35 heures ?

M. Christophe Cavard. Même si j’appartiens à un parti qui défend les 32 heures, je n’ai jamais affirmé qu’il était souhaitable de les généraliser. Ce sont les accords entre les partenaires sociaux qui peuvent décider, pour des branches comme la métallurgie ou des entreprises, de mettre en place les 32 heures, à l’intérieur du cadre légal fixant la norme à 35 heures. Certains membres du Gouvernement se sont déclarés favorables à l’accroissement de la flexibilité et à la possibilité d’augmenter le temps de travail par un accord social. Un doute subsiste et nous vous demandons, monsieur le ministre, de le dissiper.

La formation qualifiante pendant le temps de travail est un volet important de certains accords entre partenaires sociaux, et elle constitue un bon élément de substitution à la réduction du temps de travail.

Les questions du temps de travail et de la rémunération sont étroitement liées ; si les salaires sont suffisants à 32 heures de travail hebdomadaire, je ne connais pas beaucoup de personnes qui demanderont à travailler 35 heures.

Mme Isabelle Le Callennec. Monsieur le ministre, vous avez dit que les 35 heures s’étaient accompagnées d’une augmentation de la productivité et d’une amélioration de la compétitivité des entreprises. Certes, mais ce mouvement s’est parfois opéré au détriment des salariés, notamment ceux travaillant dans des entreprises agroalimentaires où les cadences se sont accélérées, les conditions de travail dégradées et les troubles musculo-squelettiques (TMS) développés. Le Gouvernement compte-t-il lutter contre les TMS, qui représentent l’une des conséquences de la mise en place des 35 heures dans les entreprises industrielles du secteur agroalimentaire ?

Vous avez également affirmé que le moment de modifier la durée légale du travail n’était pas venu et que vous vous engagiez à défendre la qualité de vie au travail. Quel est l’état actuel du dialogue entre les partenaires sociaux sur la question de la durée légale du travail ? Quelles sont les souplesses acceptables de votre point de vue ?

M. le président Thierry Benoit. Je me permets de vous reposer la question, monsieur le ministre, de l’application des 35 heures dans les fonctions publiques.

Les 35 heures représentent une durée théorique du travail, la durée réelle s’établissant à 39 heures pour les salariés à temps plein, si bien que l’on peut se demander quelle est la difficulté empêchant un assouplissement de la législation.

Vu de votre ministère, à combien s’élève le coût des 35 heures pour notre pays ? La charge est à la fois financière – la compensation des allègements de cotisations sociales – et organisationnelle dans les trois fonctions publiques.

Puisque plusieurs membres du Gouvernement plaident pour un assouplissement des 35 heures, ne pensez-vous pas que l’on pourrait élaborer un cadre se contentant de définir les interdits et les limites, et qui, pour le reste, laisserait les partenaires sociaux libres de fixer le temps de temps de travail ?

M. le ministre. Je ne connais pas la teneur du rapport commandé par MM. Macron et Gabriel à MM. Pisani-Ferry et Enderlein, et peux simplement vous indiquer qu’il est impossible que l’État décrète un gel des salaires de trois ans.

Je me souviens en effet qu’il n’avait pas été question d’étendre les 35 heures aux fonctions publiques ; lors des débats internes au Parti socialiste, M. Pierre Mauroy, s’appuyant sur l’exemple de la mairie de Bordeaux qui les avait mises en place, avait proposé que les 35 heures soient appliquées dans la fonction publique territoriale. Dans la fonction publique hospitalière, les 35 heures ont été mises en œuvre à marche forcée, et on a manqué de temps pour former des infirmières et des personnels, ce qui a désorganisé le travail.

La loi actuelle permet à chaque entreprise de s’ajuster à la situation qu’elle connaît. Nous ne modifierons pas la durée légale de 35 heures, mais les partenaires sociaux peuvent signer des accords de maintien de l’emploi (dits « AME ») qui peuvent prévoir des modulations du temps de travail. Les partenaires sociaux souhaitent dresser le bilan de ces accords, qui n’ont pas été nombreux malgré la crise économique ; peut-être existe-t-il des verrous qu’il faudrait identifier puis lever. L’un d’entre eux réside dans le faible écart entre le long temps de la négociation – six mois – et la brièveté de la période de deux ans pendant laquelle l’accord reste en vigueur. Les organisations représentatives pourraient peut-être décider de réduire le temps de la négociation et accroître celui de l’application de l’accord.

Mme la rapporteure. Ce verrou n’est pas lié aux 35 heures.

M. le ministre. On peut imaginer que les négociations permettent de moduler le temps du travail, en déclenchant les heures supplémentaires à partir de 36 heures, par exemple ; mais cela ne doit pas mettre en cause la norme légale des 35 heures.

L’accroissement de la productivité découlant des 35 heures a peut-être induit des tensions supplémentaires, et je compte donc sur vous, madame Le Callennec, pour soutenir notre réforme du compte de pénibilité. Nous cherchons à développer la prévention pour améliorer la santé au travail. Dans certaines professions, les salariés d’un certain âge souffrent dans leur chair. La qualité de vie au travail va devenir l’un des sujets majeurs des prochaines années, même si le bon angle pour l’appréhender ne réside pas dans le fait de savoir si l’on travaille 35 ou 36 heures, car la différence entre les deux s’avère minime.

Le compte personnel de formation et les droits rechargeables ouvrent la perspective d’un compte personnel social qui regroupera tous les droits et qui responsabilisera son titulaire. Les grandes avancées collectives du droit du travail – la fin du travail de nuit des enfants, l’établissement d’une durée légale pour la journée de travail ou les congés payés – ont déjà été réalisées, et il reste à construire des protections individuelles qui reposeront sur la responsabilité de chacun et qui prendront la forme de comptes personnels.

 

L’audition s’achève à dix-sept heures trente.

Présences en réunion

Présents. - M. Thierry Benoit, Mme Kheira Bouziane, M. Christophe Cavard, M. Jean-Patrick Gille, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Jacqueline Maquet, M. Philippe Noguès, M. Bernard Perrut, Mme Barbara Romagnan

Excusé. - M. Damien Abad