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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Mercredi 26 novembre 2014

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 36

Présidence de M. Thierry Benoit, Président,

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Godet, économiste, membre de l’Académie des technologies

Présences en réunion 10

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à quatorze heures

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Michel Godet, économiste, membre de l’Académie des technologies

M. le président Thierry Benoit. Je suis heureux d’accueillir M. Michel Godet, Docteur en sciences économiques et en sciences statistiques et mathématiques, Professeur honoraire au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), fondateur du Cercle des entrepreneurs du futur, et membre de l’Académie des technologies et de l’Institut Montaigne. À cet égard, je signale que nous auditionnerons demain matin les représentants de l’Institut Montaigne lors de notre dernière séance d’audition : ils nous présenteront le rapport que vient de publier cet organisme de réflexion sur le sujet qui nous occupe.

Monsieur Godet, vous avez exploré, dans vos nombreuses publications, différentes facettes du modèle français et étudié les liens entre croissance, innovation, emploi et démographie. Il s’agit de déterminants majeurs pour l’avenir économique de la France, sur lesquels pourrait peser la réduction du temps de travail qu’a connue notre pays au cours des vingt dernières années.

Pour cette raison, il nous a semblé intéressant de procéder à votre audition, pour que vous puissiez partager avec nous le fruit de vos travaux et de vos réflexions et nous exposer les conclusions qu’il conviendrait, selon vous, d’en tirer en termes d’action politique et de réformes.

Cette audition a également vocation, de manière plus large, à nous aider à dresser un bilan des 35 heures, près de quinze ans après leur mise en place, pour en évaluer l’impact sur la société, l’économie et les finances publiques.

Avant de vous entendre, je dois vous informer que cette audition est publique et qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d’enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre témoignage. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission. J’insiste cependant sur le fait que nous sommes à la fin de nos travaux, que le secrétariat de la commission vous fera parvenir le compte rendu de votre audition dès que possible, sans doute le 1er ou le 2 décembre, et que nous aurons besoin de vos éventuelles observations au plus tard le jeudi 4, faute de quoi nous ne pourrons pas les prendre en compte.

Par ailleurs, en vertu du même article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous serment, sans toutefois enfreindre le secret professionnel. Ces personnes doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Michel Godet prête serment.)

Votre audition fait l’objet d’un enregistrement et d’une retransmission vidéo.

M. Michel Godet, économiste, membre de l’Académie des technologies. Lorsque vous m’avez invité, je me suis dit : pourquoi s’interroger encore sur les 35 heures après tant de rapports, y compris ceux auxquels j’ai participé dans le cadre du Conseil d’analyse économique (CAE). En fait, après avoir lu le compte rendu de certaines de vos auditions, je vous félicite de cette initiative car il y a en effet un grand besoin de pédagogie sur ce sujet.

Je vous ai remis un document, que je vais commenter.

Vous y trouverez un extrait de l’audition à laquelle on m’avait invité ici même en 2003 sur le même thème. On se rend compte que les problèmes demeurent et qu’on se pose les mêmes questions aujourd’hui, avec cependant des progrès : à l’époque, on s’interrogeait sur le fait de savoir si les 35 heures, dont le coût était estimé entre 10 et 20 milliards d’euros, avaient créé 300 000 emplois – au lieu des 700 000 prévus –, alors qu’aujourd’hui peut-être conclurez-vous qu’elles n’en ont pas créé, voire qu’elles en ont détruit.

En 1997, je faisais déjà partie des deux ou trois économistes à être résolument hostiles à cette mesure, et ce, non par idéologie, car je suis et reste pour le partage du travail quand une entreprise est en difficulté. En 2003, constatant dans notre pays des inégalités fortes et croissantes en termes de temps libre, j’avais pensé à l’idée d’un impôt sur ce dernier pour les corriger. Si cela était naturellement ubuesque, je m’étais dit qu’on pourrait au moins encourager les fourmis, l’intérêt bien compris des cigales étant qu’il y ait le maximum de fourmis qui s’activent. Or cette vision n’a pas changé, car si tout le monde devenait des cigales, elles mourraient.

Je suis d’ailleurs passé pour un farfelu quand je disais en 2002 qu’il fallait rendre les heures supplémentaires non imposables. L’idée est ensuite venue à l’oreille du président Sarkozy par l’intermédiaire d’Hervé Novelli, mais je n’ai pu obtenir que l’Elysée ne commette pas la bêtise de supprimer les charges afférentes, qui relèvent de la solidarité.

Aujourd’hui, je constate que les 35 heures n’ont pas créé d’emplois, voire qu’elles en ont supprimé, ce qu’il serait important d’acter.

De même, on observe un recul du PIB par habitant depuis 1980. Le document distribué rappelle que si Rexecode a montré à la fois que les statistiques de l’OCDE sur lesquelles je m’appuyais n’étaient pas comparables et que, quelles que soient les données retenues – celles d’Eurostat ou celles, retraitées, de l’OCDE –, si on travaille plus ou moins, selon les calculs, par actif occupé, en Allemagne qu’en France, le travail par habitant, qui est le critère le plus important, est nettement plus élevé outre-Rhin alors qu’il est un des plus faibles des pays développés en France. L’écart entre les deux pays est de trois à quatre semaines. Ma conclusion de 2003 est donc confirmée par des chiffres : ce n’est pas en ramant moins qu’on avance plus vite !

Depuis 1980, en taux de croissance du PIB par habitant exprimée en parité de pouvoir d’achat sur une base de 2008, nous sommes systématiquement en dessous de la moyenne européenne. Le résultat est que le PIB de la France qui, en 1980, était comparable à celui de l’Allemagne par habitant et de 20 % au-dessus du Royaume-Uni, est en 2013 20 % en dessous de celui de l’Allemagne et rattrapé par celui du Royaume-Uni. Il faut donc remettre la France au travail.

En termes de compétitivité, depuis 2001, nos parts de marché baissent, en raison d’une augmentation du coût du travail. Dans l’industrie manufacturière, on avait en 2000 un coût du travail 10 % inférieur à celui de l’Allemagne, alors qu’aujourd’hui celui-ci est de même niveau. Et, en intégrant les services, on était 10 % moins cher et on est devenu 10 % plus cher.

C’est d’ailleurs une erreur d’opposer les services à l’industrie en matière de compétitivité, car les deux sont inséparables. Je rappelle que les régions les plus industrielles sont les plus affectées par la crise, en raison de notre manque de compétitivité. Or l’avenir n’est ni au secondaire, ni au tertiaire, mais au quaternaire, c’est-à-dire l’activité consistant à vendre un service incorporant des biens. Ainsi, lorsque Michelin loue des pneus aux transporteurs, il a intérêt à ce que ses services de location soient efficaces et compétitifs. Bref, si on n’est pas compétitif sur les services, on ne l’est pas sur les biens.

En tout cas, il est évident que les industries qui ont dû payer 39 heures des personnes travaillant 35 ont – sous réserve d’éventuels gains de productivité dans certains cas – perdu en parts de marché et en compétitivité. Ce faisant, on a aussi perdu en emplois car des entreprises sont allées produire ailleurs ce qu’elles ne pouvaient plus produire dans des conditions compétitives chez nous.

Les économistes ont une lourde responsabilité dans l’incompréhension d’un certain nombre de problèmes par le grand public ou les médias. Ainsi, la définition de la pauvreté n’est qu’un indicateur d’inégalité : si vous doublez le revenu de tous les Français, vous ne diminuez pas le nombre de pauvres, car ceux-ci correspondent à ceux qui gagnent moins que la moitié du revenu médian. Il en est de même de la productivité, qui est un concept difficile à définir. D’où la notion de productivité apparente du travail, qui n’est plus guère utilisée en tant que telle et correspond au PIB par actif occupé et par heure de travail. Or nous enregistrons dans ce domaine le taux le plus élevé d’Europe, ce qui a laissé certains penser qu’on pourrait moins travailler que les autres. Mais il s’agit d’un indicateur d’exclusion. Pour donner une image, quand vous faites courir les 50 % des élèves d’une classe courant le plus vite – correspondant à la productivité apparente du travail –, la moyenne de vitesse est plus élevée que celle de toute la classe. Reste que ce qui compte, en termes de richesses créées, c’est que tout le monde coure.

De la même manière, en termes d’insertion des chômeurs, on sait que lorsqu’on remet les gens au travail, si, dans un premier temps, ils ne sont pas très productifs, ils reprennent ensuite confiance et peuvent redevenir compétitifs. Mieux vaut donc insérer les chômeurs que leur donner une formation ou les indemniser dans des stages parking.

Sous le gouvernement Jospin, on a créé 2 millions d’emplois marchands, beaucoup plus que sous le gouvernement Rocard, qui a connu pourtant une croissance très forte de plus de 4 % par an, niveau qu’on ne reconnaîtra pas – ce serait déjà bien d’avoir un taux de 1 % et il faut arrêter de penser qu’on va financer la dette par le retour de la croissance. Mais ces créations d’emplois sont moins dues aux 35 heures – on créait d’ailleurs plus d’emplois sans elles, comme l’a montré Rexecode – qu’à la réduction du coût du travail non qualifié instaurée par M. Balladur en 1993. De fait, personne n’oserait revenir sur cette mesure, car on sait que certaines personnes ne sont pas embauchées parce qu’elles coûtent trop cher.

Cela pose la question du SMIC, qui est devenu un des salaires minimums les plus élevés des pays de l’OCDE. Je pense qu’il faudrait distinguer plusieurs niveaux de SMIC suivant les territoires car on ne vit pas correctement avec le SMIC en Île-de-France alors que c’est le cas dans le Cantal ou le Loir-et-Cher. Je suis pour un revenu minimum d’activité
– qu’il faut distinguer du salaire minimum –, qui vienne par un impôt négatif compenser les revenus bas. Ce qui compte, c’est que les gens soient employés.

Un mot sur ce que j’appelle les « oubliés de la réduction du temps de travail (RTT) ». Dans certaines professions, libérales notamment, plus vous augmentez les charges, plus on doit travailler pour compenser… et permettre aux autres d’en profiter. Or, dans certaines mutuelles d’assurance, le problème n’est pas les 35 heures, puisque les salariés sont déjà à 31 heures, mais de revenir progressivement à une durée de travail plus longue. Et à l’INSEE, j’ai appris que l’on pouvait avoir jusqu’à trois mois de congés par an, soit une semaine par mois.

Avec des services publics – auxquels je suis très attaché – fonctionnant ainsi à mi-temps, c’est l’ensemble de l’économie française qui ne fonctionne pas bien. J’observe par exemple qu’il ne se passe plus rien en France dans ce domaine dans les périodes scolaires, sans compter les journées de grève, qui ont lieu en dehors de ces périodes. On ne peut continuer d’avoir une France à plusieurs vitesses. Je rappelle qu’un fonctionnaire qui, comme moi, a travaillé pendant 32 ans dans la fonction publique sur 48 ans de vie professionnelle, touche davantage à la retraite qu’en activité.

À cet égard, si je suis pour une prime de pénibilité, c’est à condition qu’il y ait une prime de moindre pénibilité pour ceux ayant des métiers peu fatigants. On pourrait donc supprimer la barrière de départ à la retraite à 65 ans pour les fonctionnaires, alors qu’elle est de 70 ans dans le privé.

Sur l’arithmétique du temps de travail, je ne résiste pas à rappeler les propos d’Alfred Sauvy dans son livre La Machine et le chômage, qui sont toujours très actuels : « Il y a toujours un compromis possible entre une rémunération et une réduction du temps de travail, mais il est vain de prétendre consommer deux fois le même progrès (…). En tout cas, l’erreur majeure à ne pas commettre est l’uniformité et la rigidité ».

Il faut à cet égard dénoncer le fait que les 35 heures aient « cassé » le temps partiel, qui progressait d’un point par an en part de travail. Comment peut-on demander aux gens de travailler moins dans la semaine et plus dans la vie ? Cette réforme a procédé d’une vision trop mécanique et idéologique des choses : les individus ne sont pas des petits soldats qu’on peut régler comme des machines !

J’en ai longuement discuté avec Pierre Larrouturou : sur le papier, en instaurant une année sabbatique, on pourrait libérer 15 % des emplois et résoudre la question du chômage. Mais la société ne fonctionne pas comme une chaudière qu’on pourrait régler de façon centralisée : c’est une somme d’ajustements individuels de comportements, dépendant des circonstances.

De même, dans une préface à un livre de Jérémy Rifkin, Michel Rocard avait dit qu’il fallait partager le travail puisqu’il y avait moins d’emplois. Or c’est à ce moment qu’on n’a jamais autant créé d’emplois marchands dans le monde, y compris en France.

Avec 1 milliard d’euros, on crée en effet sur le papier 50 000 emplois. Reste qu’il fallait éviter de subventionner la RTT avec les 35 heures, puis de subventionner, avec les heures supplémentaires non imposables, le fait de travailler un peu plus, ce qui revient presque à payer des gens pour creuser des trous et d’autres pour les remplir ! Beaucoup d’amis de gauche me disent d’ailleurs que j’ai raison sur les 35 heures, mais qu’ils ne peuvent le dire à la télévision…

En 2007, dans un article du Monde, je pensais qu’on avait définitivement enterré le problème. Mais aujourd’hui, dans l’administration territoriale et les hôpitaux, on se pose la question d’un retour à 37 heures payées 35. Je rappelle que l’absentéisme dans les collectivités territoriales est de 26 jours, soit presque une semaine par an.

Par ailleurs, il faut des temps morts pour vivre le lien social, ce sur quoi la CFDT m’a approuvé. Quand les salariés font grève à la SNCF, c’est moins parce qu’ils sont malheureux que parce que c’est le seul moment qu’ils ont pour se voir. Une grève est aussi un moyen pour recréer du lien qu’on a perdu du fait des 35 heures.

En fin de compte, quand on a une idée, qu’on la croit bonne et qu’on est les seuls à l’avoir, c’est qu’elle n’est pas si bonne que cela. Comme aucun pays ne nous a suivis sur les 35 heures, on ferait mieux de faire marche arrière.

M. Gérard Sebaoun. Quand vous parlez de travail par habitant, la démonstration est discutable car l’Allemagne a beaucoup moins d’enfants que nous. Qu’en pensez-vous ?

Deuxièmement, les statistiques d’Eurostat ont été mises en cause par un représentant de l’INSEE, qui a indiqué que la manière de calculer des Allemands était contestable et qu’il y avait au niveau européen des réunions pour essayer d’unifier la façon dont on interrogeait les gens sur leur temps de travail.

Troisièmement, la compétitivité aurait selon vous chuté avec les 35 heures. Or c’est à peu près le contraire de ce qu’a dit le ministre du travail, François Rebsamen, hier. Pouvez-vous préciser votre argumentation ?

S’agissant du PIB, pour augmenter le volume de travail, il faut bien avoir des acheteurs. Le directeur de l’INSEE a invoqué un effet négatif sur le PIB de 1 à 2 points, mais en termes de PIB potentiel, c’est-à-dire avec une capacité de plein emploi.

Je ne suis pas certain d’être d’accord avec vous lorsque vous dites qu’on crée des emplois non marchands avec de la dette. Toujours est-il que les emplois d’avenir par exemple redonnent du travail aux individus et de l’espoir aux familles.

Enfin, je ne crois pas que l’administration travaille à mi-temps et je pense que ceux qui y sont employés ne seraient probablement pas d’accord avec vous. Pouvez-vous étayer cette affirmation provocatrice ?

Mme Isabelle Le Callennec. Vous côtoyez les gouvernements depuis de nombreuses années et fréquentez les partenaires sociaux. Hier, le ministre du travail nous disait qu’il n’était pas nécessaire de faire évoluer la durée légale du temps de travail, alors que deux économistes, un Français et un Allemand, viennent de rendre des conclusions montrant au contraire la nécessité de son assouplissement. Pourquoi cet assouplissement n’est-il pas mis en place ?

M. Michel Godet. Les statistiques sont évidemment toujours discutables, mais on a avancé dans ce domaine. Celles de l’OCDE semblent difficiles à interpréter, sauf sur les tendances de long terme.

Il faut bien sûr tenir compte de la structure d’âge dans les comparaisons. Avoir beaucoup d’enfants est un atout pour autant qu’on les éduque bien : or les résultats de PISA laissent à désirer. Personne n’établit de lien entre le fait qu’on ait 25 % de naissances d’origine immigrée et 25 % de jeunes au chômage : or ceux qui sont en échec scolaire sont plus souvent au chômage et issus de quartiers où l’on concentre les handicaps au lieu de les diluer. Il faut à cet égard un État fort avec des services publics qui ne soient pas à mi-temps !

Cela dit, je n’ai pas voulu dire que les fonctionnaires étaient à mi-temps en tant que tels ! Reste qu’une personne de ma famille, qui est médecin dans une agence régionale de santé (ARS), n’arrive pas, sur les quinze personnes qu’il dirige, à en avoir deux de permanence à la Toussaint, certains se mettant même en arrêt de travail. J’ai tous les jours des exemples de ce type, avec pour instruction de la hiérarchie de ne pas faire de vagues.

Si les crèches privées sont par exemple deux fois moins chères que les crèches publiques, c’est parce qu’elles ont moins d’absentéisme et que les secondes fonctionnent aux deux tiers de leur capacité.

Cela ne me dérange pas qu’il y ait un statut des fonctionnaires, mais à condition de pouvoir les manager. On pourrait tout à fait avoir à la place, comme en Suède, un contrat à durée indéterminée, au nom de l’égalité de traitement de tous les citoyens. Il y a trop de gens intouchables dans notre pays.

La Grande-Bretagne, qui a une population aussi jeune que la nôtre, avec un taux de 2,2 enfants par femme comme chez nous, a 4 millions de travailleurs occupés en plus et 2 points de taux de chômage en moins. Elle a d’ailleurs réduit de 500 000 le nombre de fonctionnaires.

Il y a donc sans doute du « gras » dans le mammouth, mais personne n’ose s’y attaquer et on ne peut réduire la dépense publique sans le faire. Dans les collectivités territoriales, le nombre de fonctionnaires est ainsi passé d’1 million à 1,8 million depuis 1980. Or seuls 20 % d’entre eux seraient dus, selon la Cour des comptes, au transfert de compétences de l’État – le reste étant lié au clientélisme.

Madame Le Callennec, on va attribuer le Grand prix des bonnes nouvelles à la communauté du pays de Vitré, qui a 5 % de chômeurs et 42 % d’emplois industriels. Notre pays est trop jacobin. Je l’ai dit à M. Ayrault : arrêtez d’imaginer d’en haut des choses qui ne marchent pas, comme les emplois d’avenir, sans avenir ! Des rapports de la DARES ont montré que ces emplois dans le public ne débouchaient pas sur l’acquisition d’une véritable compétence. D’ailleurs, plus on a de contrats d’avenir, plus les titulaires se permettent d’être absents puisqu’il y a des remplaçants.

À Dijon, le groupe ID’EES prend des personnes envoyées par Pôle emploi qui sont inemployables, pour 6 000 euros par personne, et il les remet en selle dans l’emploi marchand en neuf mois ; au bout d’un an, cela rapporte deux fois plus à la collectivité en termes de charges. Mais on n’a pas la modestie de regarder ce qui marche dans la France d’en bas et de le reproduire, plutôt que d’imposer d’en haut un système qui ne marche pas, comme les 35 heures.

De même, les hôpitaux et cliniques privés représentent 25 % de la capacité d’accueil, 40 % des personnes traitées et 17 % des coûts. Cela est encore une fois lié à l’absentéisme, qui est du simple au double entre le privé et le public. Il s’agit d’une question de motivation au travail et de management.

M. le président Thierry Benoit. Tout le monde est conscient qu’il est nécessaire d’assurer le financement de notre protection sociale et on a vu la difficulté qu’il y a eue à instaurer une journée de solidarité : comment expliquer que les 35 heures, que les Français n’ont pas particulièrement demandées au départ, soient devenues un totem, voire un tabou, alors qu’elles correspondent à une durée légale et théorique de travail, au-delà de laquelle se déclenchent les heures supplémentaires ?

Le Premier ministre s’est d’ailleurs montré favorable à un assouplissement, de même que M. Macron et M. Rebsamen hier matin, avant de rectifier un peu le tir ensuite lors d’une réunion de la commission d’enquête. On a l’impression que tout propos allant dans ce sens est tabou.

Pierre Larrouturou, que nous avons auditionné, a exposé la thèse du partage du temps de travail, dont l’hypothèse d’un passage aux 32 heures. Mais on n’évoque peu le coût que représente la compensation d’allégement des cotisations sociales et celui de la mise en œuvre des 35 heures dans la sphère publique, alors que le Premier ministre Lionel Jospin a indiqué qu’il n’avait jamais été question initialement de les instaurer dans ce secteur. Le Gouvernement pourrait proposer un cadre précisant à la fois les interdits et les conditions auxquelles l’employeur et ses collaborateurs peuvent, dans le prolongement de l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013, engager un dialogue approfondi en faveur d’un assouplissement permettant de travailler 35, 37, 38, 39 ou 40 heures, en ouvrant des droits à la retraite à un âge plus acceptable.

M. Michel Godet. S’agissant des retraites, je suis pour non seulement un système à point, mais à horloge. Cela poserait cependant d’énormes problèmes car il y a de fortes inégalités de temps de travail. Je rappelle que la durée de travail à la RATP est par exemple de 24 heures et que, dans la police municipale de Royan, on part à la retraite à 52 ans, les RTT étant comptées en années de retraite. En général, seules sont injustes les inégalités dont on ne profite pas et beaucoup de choses ne sont pas dites.

Pour retrouver la croissance, il faut retrouver la compétitivité dans les pays vieillissants : l’Allemagne exporte la moitié de sa production vers les pays émergents. Si on distribue de l’argent aux salariés, cela se traduit en écrans plats, c’est-à-dire en déficit extérieur. Il faut informer l’opinion et adopter des mesures d’urgence pour faire machine arrière. Il convient de revenir aux heures supplémentaires non imposables, même si cela n’a pas augmenté le nombre global d’heures supplémentaires, car cela a au moins encouragé le travail.

M. Gérard Sebaoun. Cette mesure a quand même coûté 4,5 milliards d’euros par an.

Par ailleurs, le directeur du budget et le ministre de l’économie nous ont dit que les 35 heures coûtaient environ 10 milliards d’euros, sachant qu’on n’est guère capable de calculer le coût net, estimé selon Éric Heyer de l’OFCE à 3 ou 3,5 milliards.

M. Michel Godet. C’est l’OFCE qui a montré qu’on créerait 700 000 emplois avec les 35 heures !

M. Gérard Sebaoun. Les échanges que j’ai eus avec Pierre-Alain Muet, qui était près de Lionel Jospin à l’époque de la mise en place des 35 heures, de même que les propos de ce dernier indiquent que nous avons alors été champions en termes de création d’emplois par comparaison avec les autres pays, même si cette mesure n’a pas été la seule cause. En effet, elle a, dans un contexte de croissance et combinée à la baisse des cotisations, fortement stimulé l’emploi. À part une seule personne pensant que son effet a été nul, la plupart des personnes auditionnées a estimé qu’elle a créé entre 300 000 et 350 000 emplois. Cette mesure n’a-t-elle donc pas été moins négative que vous le dites ?

M. Michel Godet. Ce n’est pas si simple. On dépense tous les ans 4 % du PIB pour les dépenses pour l’emploi, alors que, sur le papier, ce montant pourrait nous conduire à créer 4 millions d’emplois. On met beaucoup d’argent pour régler le problème du chômage qu’on n’arrive pas à résoudre. Ce faisant, le travail a été vécu comme une valeur négative et la retraite comme une libération, ce qui nous handicape lourdement et fait rire à l’étranger.

Il faut donc expliquer cela aux Français sans pénaliser ceux qui veulent vivre à mi-temps et en revalorisant le plaisir de travailler.

Reste que si on voulait revenir en arrière sur les 35 heures, les grandes entreprises n’y seraient pas favorables. On pourrait donc faciliter le recours aux heures supplémentaires.

M. le président Thierry Benoit. Je vous remercie.

La séance est levée à quinze heures cinq.

Présences en réunion

Présents. - M. Thierry Benoit, Mme Isabelle Le Callennec, M. Gérard Sebaoun

Excusé. - Mme Jacqueline Maquet