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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Jeudi 27 novembre 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 38

Présidence de M. Thierry Benoit, Président puis M. Gérard Sebaoun

– Audition, ouverte à la presse, de M. Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée (FHP), accompagné de Mme Elisabeth Tomé-Gertheinrichs, déléguée générale et de Mme Katya Corbineau, directrice des affaires sociales

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée (FHP), accompagné de Mme Elisabeth Tomé-Gertheinrichs, déléguée générale et de Mme Katya Corbineau, directrice des affaires sociales

M. le président Thierry Benoit. Nous sommes heureux d’accueillir M. Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée, Mme Elisabeth Tomé-Gerteinrichs, déléguée générale, et Mme Katya Corbineau, directrice des affaires sociales.

Avant de vous entendre, je dois vous informer des droits et obligations qui vous reviennent dans le cadre formel de votre audition, tel qu’il est défini par la loi puisque nos travaux s’inscrivent dans les règles des commissions d’enquête.

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d’enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre témoignage. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

J’insiste cependant sur le fait que nous sommes à la fin de nos travaux ; le secrétariat de la commission vous fera parvenir le compte rendu de votre audition dès que possible, et nous aurons besoin de vos éventuelles observations au plus tard le jeudi 4 décembre, faute de quoi nous ne pourrons pas les prendre en compte.

Par ailleurs, en vertu du même article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous serment, sans toutefois enfreindre le secret professionnel.

Ces personnes doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Gharbi, Mme Tomé-Gertheinrichs et Mme Corbineau prêtent serment.)

La commission va procéder maintenant à votre audition, qui fait l’objet d’un enregistrement et d’une retransmission télévisée.

M. Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée. Ces quinze dernières années, peu de lois auront impacté de manière aussi significative notre société que celles relatives à la réduction du temps de travail. Ces bouleversements, pour le meilleur comme pour le pire, ont affecté la sphère professionnelle comme la sphère personnelle. Ils ont aussi modifié nos représentations collectives et nos modes de fonctionnement. C’est pourquoi la démarche de cette commission d’enquête n’est pas seulement une heureuse initiative, mais un arrêt sur images indispensable sur un sujet majeur, y compris pour préparer l’avenir.

Cette commission contribuera aussi à lever des tabous. Combien les 35 heures coûtent-elles à la nation, de manière directe et indirecte ? Quel est le lien entre les 35 heures et la paupérisation des classes moyennes ? Nous ne savons pas collectivement répondre à ces questions, mais il est grand temps qu’on se les pose. C’est pourquoi je vous remercie de recevoir la Fédération hospitalière privée (FHP). Au regard des contraintes spécifiques du secteur, le sujet de la santé a très souvent été au cœur des débats quand on parle de réduction du temps de travail.

La FHP représente les 1 100 cliniques et hôpitaux privés. Nous soignons chaque année huit millions de patients, partout sur le territoire. Nous assurons 54 % de la chirurgie en France, 66 % de la chirurgie ambulatoire et 50 % de la cancérologie. 130 de nos services d’urgence accueillent chaque année 2 300 000 patients et nous faisons naître un bébé sur quatre. Nous assurons également près d’un tiers des soins de suite et de réadaptation et plus de 17 % des hospitalisations psychiatriques. Près de 42 000 médecins exercent dans le secteur hospitalier, dont 90 % sont des médecins libéraux.

Le secteur emploie 150 000 salariés, dont 78 % de personnels soignants : 45 000 infirmières, 35 000 aides-soignantes, 3 000 sages-femmes et 2 000 masseurs kinésithérapeutes. Nous sommes, avec nos amis du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA), la quinzième branche sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), avec plus de 250 000 collaborateurs. Dans un contexte économique difficile, l’hospitalisation privée demeure une branche créatrice d’emplois non délocalisables ; 3 300 emplois y sont créés chaque année.

J’en viens à la question des 35 heures dans l’hospitalisation privée.

Le secteur de la santé privé est soumis à toutes les contraintes liées à l’activité de soins. Garant de la continuité des soins, les établissements de santé offrent une prise en charge sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les salariés, et plus particulièrement le personnel soignant, travaillent la nuit, les dimanches, les jours fériés, et sont assujettis aux astreintes. Les établissements de santé privés ont donc un fonctionnement atypique et exigeant, encadré par une législation sanitaire et sociale.

Ces contraintes impactent largement l’organisation du travail et demandent des aménagements dans nos établissements. À titre d’exemple, les transmissions entre le personnel de jour et le personnel de nuit relèvent à la fois du droit du travail, du fait de la réglementation en matière de durée quotidienne maximale du travail, et du droit sanitaire, en raison de la continuité des soins, qui est primordiale.

Les cliniques se sont trouvées confrontées à l’extrême complexité de la mise en œuvre des 35 heures supposant de revoir toute l’organisation du temps de travail, tout en respectant la continuité des soins et en faisant face à des pénuries de personnels soignants. Il est en effet logique, pour garantir la continuité des soins sur vingt-quatre heures, de programmer l’intervention de trois salariés, avec une durée de travail de huit heures chacun. Une application de la durée du travail fondée sur sept heures ne permet pas et ne permettra jamais de résoudre cette équation.

Si l’on ajoute à cela un environnement de santé en perpétuelle mutation – pathologies chroniques, vieillissement de la population, nouvelles relations avec les patients, nouvelles technologies –, on mesure le décalage entre une contrainte qui arrive par le haut et la réalité du monde de la santé d’aujourd’hui, qui doit s’adapter, innover, être souple et réactif. Pour ce faire, les cliniques ont dû s’adapter à ces contraintes, en utilisant toutes les possibilités d’aménagement du temps de travail permettant au mieux l’adaptation de la durée du travail à l’activité.

Pour la filière soignante, il ressort de notre rapport de branche que 3 % du personnel bénéficie d’un système de jours de réduction du temps de travail, les RTT. 4 % du personnel travaille sur une base hebdomadaire de 35 heures et 93 % dans un cadre pluri-hebdomadaire, les cycles de travail. Ce mode de travail implique l'alternance de périodes courtes et longues de travail, par exemple, deux jours travaillés la première semaine, cinq jours la deuxième. C’est donc l’option d’un aménagement de la durée du travail dans un cadre supérieur à la semaine – cycles, annualisation – qui prévaut aujourd’hui dans les cliniques. Si, aujourd’hui, les modes d’aménagement de la durée du temps de travail répondent au mieux à la prise en charge des patients, il n’en demeure pas moins que la référence aux 35 heures hebdomadaires reste contraignante pour les cliniques et représente, souvent, une réelle difficulté concernant le service rendu aux malades.

J’en viens aux difficultés rencontrées par nos établissements.

Il s’agit d’abord de difficultés dans l’organisation des plannings et la gestion du personnel. Du fait du passage aux 35 heures, des journées de repos sont octroyées, soit sous la forme de journées de réduction du temps de travail, soit sous la forme de repos de remplacement ou de repos compensateurs obligatoires. Cela soulève automatiquement des difficultés de gestion de la permanence des soins. Dans un contexte de pénurie du personnel soignant, ces difficultés sont susceptibles de désorganiser profondément nos structures. Elles mettent la continuité des soins en contradiction avec la réglementation de la durée du travail.

Par ailleurs, nombreux sont les établissements où le personnel soignant travaille en douze heures. Or cette organisation du travail n’est en soi pas compatible avec les 35 heures. Dans les cliniques, l’activité est fluctuante, avec des pics et des creux. On ne peut pas organiser le temps de travail de façon linéaire. Là aussi, il y a un décalage flagrant entre la théorie et la réalité du terrain.

Pour ce qui est des solutions, vous l’aurez compris, je ne parlerai pas de 39 heures, mais de 40 heures.

Le premier scénario consiste, à législation constante, à permettre une durée légale du travail effectif pouvant varier entre 35 et 40 heures afin de s’adapter à un volume d’activité fluctuant. À la différence de la situation actuelle, les heures accomplies entre 35 et 40 heures ne seraient pas des heures supplémentaires. Elles seraient donc rémunérées au taux normal et ne relèveraient pas d’un contingent annuel. Par compenser la suppression de la majoration, ces heures ne seraient pas soumises à la part salariale de cotisations sociales. Au-delà de 40 heures s’appliquerait le régime actuel des heures supplémentaires, à savoir la majoration de 25 %. Le mode opératoire serait donc simple : il relèverait de la décision de l’employeur, après consultation des instances représentatives du personnel.

Le deuxième scénario consisterait à avoir une position claire qui s’applique de manière homogène sur tout le territoire et à toutes les entreprises, autrement dit, à rétablir la durée légale du temps de travail à 40 heures. Apparemment plus radicale, cette solution n’empêcherait pas que, par accord d’entreprise, on puisse déroger à cette durée légale pour prendre en compte les situations particulières, mais elle simplifierait considérablement le paysage normatif.

En tant que président de la FHP, j’ai la responsabilité du dialogue social de la branche de l’hospitalisation privée. Je considère que cette proposition respecte parfaitement les intérêts de nos salariés et permet d’ajuster le dialogue social aux situations. Elle permet notamment de répondre aux préoccupations suivantes.

Tout d’abord, il s’agit de réduire les situations de précarité, en recentrant sur nos salariés les activités jusqu’ici externalisées par nécessité : les contrats à durée déterminée (CDD) de courte durée, les intérims et ceux que l’on appelle vulgairement les « mercenaires ».

Cette proposition constitue également une opportunité de redynamiser le dialogue social afin que l’organisation du temps de travail se situe au croisement des attentes de l’entreprise et des salariés.

Enfin, notre proposition collective vise avant tout à garantir la qualité des soins prodigués aux patients. Elle se trouvera confortée par ces nouveaux modes d’organisation.

Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, je défends le second scénario.

Soyons lucides. Du MEDEF à la Fédération hospitalière de France (FHF), on demande de reposer la question des 35 heures. J’ai également entendu les propos du ministre Emmanuel Macron lui-même, qui veut « faire respirer les 35 heures ». Il faut croire à l’intelligence des acteurs et faire des propositions ambitieuses sur ce sujet. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.

Présidence de M. Gérard Sebaoun

M. Gérard Sebaoun, président. Mesdames, monsieur le président Gharbi, chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser le président Benoit, qui a dû retourner dans sa circonscription pour signer d’importants contrats.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Monsieur Gharbi, je vous remercie pour la clarté de votre propos, ainsi que pour vos propositions, qui nous seront très utiles dans nos travaux.

Il me semble que les 35 heures ont déjà largement contribué à l’assouplissement puisqu’elles ont permis une annualisation plus grande, même si, à l’hôpital, vous êtes habitués à travailler sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. De la même façon, ce que vous suggérez à propos des heures supplémentaires est déjà possible dans le cadre de l’annualisation. Si les personnels travaillent plus de 35 heures pendant une semaine, vous ne paierez pas forcément les heures au-delà de 35 heures en heures supplémentaires puisqu’on est dans le cadre de l’annualisation. Il me semble qu’il y a déjà de la souplesse, même si vous la jugez insuffisante.

Je m’interroge aussi lorsque vous proposez que l’employeur prenne sa décision après consultation des salariés. Ce n’est pas exactement la même chose que le dialogue social. Certes, il s’agit d’informer, mais c’est tout de même l’employeur qui prendrait la décision. Cela contribuerait, selon vous, à redynamiser le dialogue social. Je n’en suis pas convaincue.

M. Lamine Gharbi. Les heures supplémentaires se calculent par cycles de quinzaines. L’annualisation est un paramètre, mais nous faisons le calcul chaque mois sur des cycles de deux ou trois semaines. Nous avons même, selon la fonction du collaborateur, des cycles de cinq à six semaines. Les heures supplémentaires ont donc un coût social important.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Certes, mais vous avez tout de même de la marge. Il y des semaines où les gens peuvent travailler plus de 40 heures, dans la mesure où ces heures sont compensées dans les autres semaines du cycle. Dans ce cas, ce ne sont plus des heures supplémentaires.

Mme Katya Corbineau, directrice des affaires sociales. En effet, les cycles permettent cette compensation. Mais il peut y avoir des absences au cours d’un cycle et, pour satisfaire à la notion de cycle, il doit y avoir répétition à l’identique des séquences du cycle. S’il y a trop d’absences, et donc, trop de modifications des plannings, la notion de cycle disparaît. Par conséquent, les heures supplémentaires, dans le cycle, doivent se calculer à la semaine.

Ensuite, il y a les maxima hebdomadaires de 48 heures, et de 44 heures sur plusieurs semaines. Mais si vous recrutez quelqu’un en CDD pour un remplacement d’une semaine, vous êtes obligé de l’engager sur la base de 35 heures, même si c’est pour remplacer, par exemple, une personne qui travaillait, cette semaine-là, 40 heures. Ce qui pose problème, ce sont les cinq heures qui vont manquer dans cette semaine du cycle ou de l’annualisation. Cette semaine-là, en revanche, vous avez un delta pour les remplacements. Quoi qu’il en soit, c’est toujours un casse-tête pour élaborer les plannings au niveau des équipes.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Vous dites que les 35 heures ont créé des difficultés, qui s’ajoutent à celles inhérentes à votre activité. Cela étant, les 35 heures ont aussi introduit une souplesse qui n’existait pas auparavant.

M. Lamine Gharbi. Je partage votre sentiment sur la question de la souplesse. Il n’en demeure pas moins que nous ne travaillons pas assez. La durée de 40 heures est pour nous une logique, car avec trois collaborateurs, nous assurons une permanence des soins pendant vingt-quatre heures. Avec un cycle des 35 heures, et donc, trois fois sept heures, vingt et une heures seulement sont assurées. Il reste trois heures à combler sur un cycle de continuité des soins, et ce sont ces trois heures qui, depuis le début, nous compliquent la tâche et nous posent des problèmes majeurs pour l’élaboration des plannings et la fluidité des remplacements.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Vous pourriez recruter, même si j’entends bien que les recrutements coûtent.

Par ailleurs, vous dites que 93 % des salariés travaillent dans un cadre pluri-hebdomadaire. Même s’il est plus simple de faire trois fois huit heures, soit vingt-quatre heures, que trois fois sept heures, soit vingt et une heures, plus trois heures, la plupart des gens travaillant dans un cadre pluri-hebdomadaire, cela se gère un peu moins sur la journée.

Mme Katya Corbineau. Les cycles de travail existaient déjà et sont prévus par le code du travail. Ce ne sont ni les 35 heures ni les souplesses apportées ensuite qui ont permis de travailler en cycles. Nous le faisions déjà.

Quant à l’annualisation, elle est, chez nous, très compliquée à mettre en œuvre parce qu’il faudrait pouvoir programmer à l’année. Mais nous ne vendons pas des chocolats ! On sait, pour les chocolats qu’il y a un pic à Noël et à Pâques. Dans notre secteur, il n’y a pas de pics. L’activité est fluctuante tout au long de l’année, s’agissant notamment des blocs opératoires. Il y a des pics et des creux, et il faut s’adapter constamment et rapidement. Il est donc impossible de programmer l’activité à l’avance, a fortiori à long terme. Nous sommes obligés de programmer des séquences de travail sur des périodes assez courtes.

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, déléguée générale. On peut considérer qu’il est plus simple, pour compenser, de recruter davantage. C’était l’objet même de la loi sur les 35 heures. Vous avez sans doute noté que le président Gharbi a centré son propos sur la filière soignante, au sein de laquelle nous connaissons des difficultés de recrutement majeures. Recruter un infirmier ou une infirmière est compliqué, voire impossible, avec un mode d’organisation aléatoire et temporaire. Cela nous condamne à bricoler sur le terrain. C’est la raison pour laquelle le président parlait d’intérim.

Pour combler les absences, faire appel à de l’emploi temporaire est une solution, à supposer qu’on trouve la ressource humaine sur le marché du travail, ce qui, dans notre secteur, ne va pas de soi. Mais il n’y a pas que la loi sur les 35 heures ; il y a tout son environnement, à savoir toute une série de dispositions contraignantes, que nous comprenons puisqu’il s’agit de lutter contre la précarisation et les travailleurs pauvres, mais qui imposent un minimum de temps de travail obligatoire dans le cas d’un recrutement pour une période temporaire. Ce qui pose des problèmes d’organisation.

Quand la loi sur les 35 heures a été mise en place, il a paru majoritairement impossible de remettre à plat toutes les organisations. Les salariés bénéficiaient, bien sûr, des 35 heures et avaient organisé leur vie en conséquence. Aussi, dans chaque entreprise, chaque hôpital public, chaque établissement de santé, il a fallu trouver un moyen terme entre les bénéfices liés à des compromis organisationnels avec les salariés, d’une part, et l’impact « désorganisationnel » de la loi sur les 35 heures.

Aujourd’hui, dans chaque entreprise, dans chaque hôpital, il s’agit de parvenir à ce compromis. S’il avait été possible de tout remettre à plat, de repenser entièrement le système et l’organisation, cela aurait peut-être été moins compliqué, mais sans doute plus difficile sur le plan social. Il y aurait eu un coût social, une forme d’insoutenabilité sociale presque incompréhensible pour les salariés au moment où on leur accordait les 35 heures. Sur le terrain, ce sont des choses qui comptent.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. D’où l’intérêt, pour nous, de rencontrer les gens qui sont sur le terrain.

M. Gérard Sebaoun, président. Dans sa présentation, M. Gharbi a parlé de la pénurie au moment de la mise en place des 35 heures dans le secteur privé, en 1999, et vous avez parlé de la pénurie qui existe aujourd’hui. La pénurie de 1999 était une pénurie majeure, qui a touché, dans un premier temps, les établissements privés, et dans un deuxième temps, les établissements publics, même si le secteur public a mis en place un recrutement important sur deux ou trois ans pour les personnels soignants et non soignants. Établissez-vous un lien entre les deux périodes ? Il me semble qu’il n’y en a pas, car on peut difficilement comparer la pénurie, qui avait atteint à cette époque un niveau critique, s’agissant notamment des écoles d’infirmières, et la pénurie que nous connaissons aujourd’hui.

J’ai le sentiment, même si le recrutement de personnels spécialisés, dans vos métiers, est complexe, qu’il y a eu un basculement avec les 35 heures, ce qui vous a contraint à une organisation tenant compte à la fois des spécificités telles que le travail en trois huit pour répondre à la demande des patients, et d’un nouveau mode d’organisation de la société, qui ne touchait pas simplement le secteur hospitalier privé.

Par ailleurs, j’ai bien entendu votre réquisitoire contre les 35 heures, qui semble indiquer que vous n’avez trouvé aucun avantage à cette nouvelle organisation contrainte.

M. Lamine Gharbi. S’agissant de la pénurie, la période n’est indéniablement pas la même et les tensions sont moindres. Elles sont toutefois inégales sur l’ensemble du territoire. Cela étant, j’ai connu une époque où nos services étaient à 80 % constitués d’intérimaires. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Dans une équipe, nous avons 20 à 30 % d’intérimaires. Il n’en est pas moins extraordinaire qu’avec le chômage que nous connaissons actuellement, nous n’arrivions pas à trouver les infirmières, les aides-soignantes et les sages-femmes qui nous font cruellement défaut, ainsi que les médecins. Car si nous avons 90 % de médecins libéraux, nous avons aussi des médecins salariés.

Pour répondre à votre question, il y a moins de difficultés, mais celles qui existent posent toujours problème.

M. Gérard Sebaoun, président. Je vous demandais également si vous n’aviez trouvé vraiment aucun avantage aux 35 heures. Parmi les intervenants que nous avons reçus ici, à savoir des économistes ou des gens « de terrain » qui rapportent leur expérience de branche, beaucoup y ont trouvé, avec le temps, des avantages en termes d’organisation. Pour vous, en revanche, c’est une catastrophe. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

M. Lamine Gharbi. Nous n’arrivons pas à résoudre l’équation pour parvenir à des plannings satisfaisants et nous sommes parfois contraints à des aménagements ridicules, avec des temps horaires calculés à la minute pour pouvoir nous caler sur les 35 heures. Avec les 3/8, c’était logique, mathématique. Si nous ne revenons pas aux 40 heures, nous aurons toujours des difficultés en termes d’organisation, de planification et de continuité des soins.

Nous avons des pics d’activité dans la journée et dans la semaine, avec une réduction d’activité le samedi et le dimanche. En médecine, en chirurgie et en obstétrique, l’activité est concentrée sur les cinq premiers jours de la semaine, du lundi au vendredi. Je ne parle même pas du développement de la chirurgie ambulatoire où nous avons un pic d’activité majeur et contraint, sur une durée de douze heures, de huit heures à vingt heures.

Aujourd’hui, en effet, je ne trouve aucune grâce aux 35 heures, absolument aucune.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. J’ai entendu ce que vous avez dit sur la question des recrutements, mais vous pouvez faire travailler les personnes que vous recrutez plus de 35 heures. La loi n’oblige pas à travailler sur cette seule durée. Elle impose de payer des heures supplémentaires, et donc, cela coûte plus cher. Vous dites que cela pose des difficultés d’ordre financier. Je pense toutefois que la situation financière de l’hôpital privé n’est pas la même que celle de l’hôpital public.

M. Gérard Sebaoun, président. Monsieur Gharbi, voulez-vous dire que les difficultés de recrutement et d’organisation font que vous êtes dans l’impossibilité de proposer des heures supplémentaires à ceux qui travaillent chez vous ? Ou bien considérez-vous que puisqu’ils travaillent 35 heures, il faut faire avec ? Pour notre part, nous pensons que si vous les faites travailler davantage, vous devez leur payer des heures supplémentaires, comme la loi vous y contraint. Je ne vois pas où est la difficulté.

Mme Katya Corbineau. Je vous rassure, nous le faisons déjà ! Les personnels travaillent plus de 35 heures et ils ont un quota d’heures supplémentaires qui va bien au-delà, du fait des assouplissements intervenus au niveau des contingents d’heures supplémentaires. Toutes les entreprises ont négocié des contingents au-delà du contingent conventionnel parce que les salariés sont, eux aussi, demandeurs. Ils veulent travailler plus de 35 heures, y compris dans notre secteur.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Ils veulent avant tout être mieux payés.

Mme Katya Corbineau. En effet, ils veulent améliorer leur pouvoir d’achat grâce aux heures supplémentaires qu’ils effectuent. Nos personnels font des heures supplémentaires et nous les leur payons. Cela étant, nous sommes souvent obligés de compléter avec de l’intérim, ce qui a un coût. Car les 35 heures ont un coût. Mais ce n’est pas la question. Le problème, c’est l’organisation. La continuité des soins, chez nous, c’est sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec des pics d’activité.

Si, pour une raison ou pour une autre, une personne ne vient pas un soir, il faut appeler l’une de ses collègues. Elle va faire des heures supplémentaires et nous allons changer son planning. Mais parfois, cela ne suffit pas, c’est-à-dire que nous sommes toujours en train de jongler. Si vous pouviez voir comment s’organisent les plannings dans les établissements, vous comprendriez que c’est un casse-tête chinois ! On est sans cesse en train de jongler avec les taquets maxima, avec les maxima hebdomadaires, en essayant de ne pas dépasser 44 heures sur plusieurs semaines consécutives etc. La question n’est pas simplement celle du coût des heures supplémentaires, c’est l’organisation qui est plus compliquée.

M. Lamine Gharbi. Madame la rapporteure, vous avez fait allusion à la santé économique des cliniques et hôpitaux privés. Je tiens à rappeler qu’à ce jour, 30 % des établissements sont en déficit. Lorsqu’un établissement privé est en déficit, soit l’actionnaire renfloue la trésorerie et le déficit, soit c’est le dépôt de bilan. En vingt ans, 1 000 cliniques et hôpitaux privés ont fermé ou se sont regroupés. Il y a vingt ans, nous étions 2 000. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 1 000.

M. Gérard Sebaoun, président. Avec reprise de lits dans les établissements qui ont grossi. Les petits établissements ne répondent plus aux normes en matière d’organisation et de rapport à la patientèle, pour ne pas dire à la clientèle. Le regroupement n’a pas été que néfaste.

M. Lamine Gharbi. Nous avons vécu le drame des seuils en obstétrique. Cela fait dix ans que nous alertons les gouvernements successifs sur les difficultés de l’obstétrique en matière de seuils et de tarification de l’obstétrique. À ce jour, trente départements n’ont plus de maternité privée.

Aujourd’hui, les patients n’ont plus le choix entre le public et le privé. Tout monopole, qu’il soit public ou privé, entraîne une baisse de la qualité. Et surtout, dans la mesure où il s’agit d’un transfert d’activité du privé vers le public, ce sont 400 euros de plus par accouchement. Je ne veux pas entrer dans un débat public-privé, mais il a été acté par les agences techniques de l’information sur l’hospitalisation, qui sont une sorte de Bible économique de notre monde public privé, qu’un séjour dans le secteur public revenait pour la collectivité à 2 200 euros, contre 1 200 pour le même séjour dans le secteur privé. Globalement, nous sommes 30 % moins cher que l’hôpital public.

Il faut se méfier de l’expression « statut privé à but lucratif ». Nous sommes une entreprise de santé, nous devons donc rendre des comptes et équilibrer nos budgets pour continuer à investir. Lorsque j’explique que nous sommes en pleine réorganisation, j’entends que nous sommes dans une réorganisation de « taille », mais certains établissements, n’ayant pas été repris, ont purement et simplement fermé. À ce jour, ce n’est pas le cas dans les hôpitaux publics. Peut-être que la future loi y pourvoira.

M. Gérard Sebaoun, président. Monsieur le président, je ne veux pas rentrer avec vous dans un débat public-privé.

M. Lamine Gharbi. Moi non plus.

M. Gérard Sebaoun, président. Ce n’est pas l’objet de notre commission, bien qu’il y ait beaucoup à dire sur cette question.

M. Lamine Gharbi. Je suis à votre disposition…

M. Gérard Sebaoun, président. J’en suis persuadé !

Pour en revenir aux 35 heures, vous avez dit que, du MEDEF à la Fédération hospitalière privée et à la FHF, tout le monde souhaite revenir à une durée plus longue du travail. Vous avez même cité le ministre Macron, qui a seulement parlé d’assouplissement. Nous sommes dans un grand questionnement sur ce que veut dire « assouplissement ». Pour votre part, vous avez tranché, en affirmant qu’il fallait revenir à 40 heures par dérogation d’entreprise. C’est grosso modo ce que nous ont dit les représentants du MEDEF : il faut revenir à 39 heures et supprimer le seuil des heures supplémentaires à 35 heures.

Je ne méconnais pas vos difficultés d’organisation. Vous avez raison d’insister sur la complexité des plannings, dans un monde de soignants où il y a une demande très forte de qualité, ainsi que des règles et des contraintes, légitimes, qui se sont élaborés au fil du temps. Mais la question ne peut se résumer à débloquer la durée légale du travail…

Dans votre premier scénario, monsieur le président, vous avez dit : « à législation constante, nous serions entre 35 et 40 heures ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Il faut bien fixer un seuil.

M. Lamine Gharbi. Il s’agit de permettre une durée légale du travail pouvant aller jusqu’à 40 heures. Pour ne pas pénaliser les personnels, qui ne bénéficieraient plus de la majoration des heures supplémentaires entre 35 et 40 heures, celles-ci ne seraient plus soumises à la part salariale de cotisations sociales.

En ce qui concerne les plannings, nous n’avons pas évoqué le temps de transmission. J’ai dit que la continuité des soins se faisait sur trois fois huit heures, mais cela va au-delà. Malgré les progrès de l’informatique, malgré les progrès en matière de protocoles de soins, les équipes soignantes doivent avoir un temps de relève. Ce temps de relève pose également des problèmes parce qu’on est tenté, malheureusement, au regard des difficultés, de le réduire de plus en plus. Cette contrainte ne va pas dans le sens de la qualité des soins.

Quant à M. Macron, il évoque bien, selon le quotidien Les Echos du 20 novembre 2014, « un progrès qu’il faut faire respirer aujourd’hui vers plus de flexibilité ». Il est toujours gênant de faire parler les absents, mais il s’agit d’un journal qui fait référence.

M. Gérard Sebaoun, président. Je vous en donne acte, la transmission est un vrai sujet. Les études que nous avons pu lire sur le monde de la santé montrent que la réduction du temps de transmission rend difficile l’exercice d’un métier où ce temps d’échange, oral ou écrit, quelle que soit la méthode d’écriture, est essentiel pour les soignants. Et ce, indépendamment des temps de respiration qui seraient nécessaires pour les agents à certains moments, qu’il s’agisse des agents soignants ou non soignants. Je pense au brancardier, à l’aide-soignante, à tous ceux qui ont des contraintes et qui, de temps en temps, ont trois minutes pour respirer ou simplement prendre le temps d’un café pour discuter ensemble d’un patient. Ces temps ont été réduits, particulièrement dans les établissements de soins. C’est une critique que nous émettons nous-mêmes.

Quant à Emmanuel Macron, nous l’avons auditionné ici même. Nous avons donc la bande vidéo, que vous pourrez regarder si vous le souhaitez ! (Sourires.)

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Nous avons rencontré, pour le secteur public, des représentants de la Fédération hospitalière de France, et nous avons effectué des visites dans des hôpitaux, où l’on nous a fait part de la demande croissante, s’agissant notamment du personnel féminin, de journées de douze heures – demande à laquelle, bien sûr, les organisations syndicales ne sont pas favorables. Cela permet, surtout en région parisienne et en Île-de-France, de réduire les temps de transport.

M. Lamine Gharbi. Les journées de douze heures sont un véritable serpent de mer. Je l’ai vu resurgir à différentes époques, avec une volonté forte des équipes de passer en douze heures. Mais le temps passant, ces douze heures engendrent une fatigue importante.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Personnellement, je n’y suis pas favorable.

M. Lamine Gharbi. Nous laissons le choix aux équipes. Il n’y a pas de cycles immuables dans la profession. Ils évoluent avec le temps, les équipes, et surtout, la charge de travail en matière de soins, car les services ne sont pas tous identiques.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Avez-vous constaté une augmentation de ces demandes ? Y a-t-il plus de demandes émanant des femmes ?

Mme Katya Corbineau. Je n’ai pas constaté une augmentation des demandes pour travailler en douze heures. En revanche, la demande est forte, et pas uniquement en région parisienne. Elle l’est également en province, dans des régions rurales où le temps de transport est important. Dans la période de crise que nous connaissons, les salariés demandent à venir moins souvent, pour faire moins souvent le plein d’essence.

Le personnel soignant est majoritairement composé de femmes, dans le privé comme dans le public. Mais les jeunes femmes qui font cette demande sont moins demandeuses lorsqu’elles avancent en âge. Elles préfèrent demander une diminution de leur temps de travail. Les demandes émanent plutôt des populations jeunes. C’est sans doute une question d’organisation par rapport au temps de trajet et à la garde des enfants.

M. Gérard Sebaoun, président. J’aimerais vous interroger sur deux sujets complémentaires : le compte épargne-temps et l’absentéisme puisqu’il y a eu une enquête, à mon avis contestable, de la FHF sur l’absentéisme. Quelle est la situation dans les établissements privés ?

Mme Katya Corbineau. Il y a chez nous des comptes épargne-temps, mais tous les établissements n’en ont pas systématiquement. Globalement, il y en a très peu. Cette possibilité a été ouverte grâce à l’accord de branche que nous avons signé en 2 000. Nous pourrons vous envoyer ce qui ressort du rapport de branche sur les comptes épargne-temps et le pourcentage, minime, d’établissements qui en ont mis en place. Car du fait de l’organisation des cycles et du peu de jours de RTT, les comptes épargne-temps sont très peu alimentés.

En ce qui concerne l’absentéisme, je n’ai pas en tête le chiffre exact. Il est plus important que dans les autres entreprises, mais moindre qu’à l’hôpital public. Si vous le souhaitez, nous pourrons également vous transmettre les chiffres exacts.

M. Gérard Sebaoun, président. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Nous nous reverrons très certainement pour d’autres questions.

L’audition s’achève à onze heures quinze.

Présences en réunion

Présents. - M. Thierry Benoit, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun

Excusé. - M. Damien Abad