Accueil > Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Jeudi 27 novembre 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 39

Présidence de M. Gérard Sebaoun

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Pébereau, Président d’honneur de BNP Paribas, de M. Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, de Mme Angèle Malâtre-Lansac, directrice des études, et de M. Charles Nicolas, responsable des affaires publiques

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Michel Pébereau, Président d’honneur de BNP Paribas, de M. Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, de Mme Angèle Malâtre-Lansac, directrice des études, et de M. Charles Nicolas, responsable des affaires publiques

M. Gérard Sebaoun, président. Mes chers collègues, nous accueillons maintenant M. Michel Pébereau, président d’honneur de BNP Paribas et porte-parole du groupe sur le temps de travail créé par l’Institut Montaigne, M. Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, M. Charles Nicolas, responsable des affaires publiques et Mme Angèle Malâtre-Lansac, directrice des études.

L’Institut Montaigne a publié récemment un opuscule explosif sur le temps de travail. Votre audition est la dernière de notre commission d’enquête, qui va bientôt clore ses travaux.

Madame, messieurs, avant de vous entendre, je dois vous informer des droits et obligations qui vous reviennent dans le cadre formel de votre audition.

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d’enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre témoignage. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission. J’insiste sur le fait que nous sommes à la fin de nos travaux ; le secrétariat de la commission vous fera parvenir le compte rendu de votre audition dès que possible, et nous aurons besoin de vos éventuelles observations au plus tard le jeudi 4 décembre, faute de quoi nous ne pourrons pas les prendre en compte.

Par ailleurs, en vertu de ce même article 6, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous serment, sans toutefois enfreindre le secret professionnel. Ces personnes doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite, chacun à votre tour, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Michel Pébereau, M. Laurent Bigorgne, Mme Angèle Malâtre-Lansac et M. Charles Nicolas prêtent successivement serment.)

M. Michel Pébereau, président d’honneur de BNP Paribas. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous sommes très honorés d’être reçus par votre commission. Nos travaux présentent la particularité d’être ceux d’un think tank, c’est-à-dire d’un organisme de réflexion. La vérité que nous traduisons est induite, non par notre expérience personnelle mais par des documents dont nous avons eu connaissance. Nous allons citer des documents relatifs à la question du temps de travail telle qu’elle est analysée par des organismes officiels. C’est la seule vérité dont nous disposons, c’est-à-dire que nous n’avons pas la capacité de la corriger.

Le travail auquel nous avons procédé nous a permis de constater que la durée effective annuelle de travail des salariés à temps plein en France est la plus faible de tous les pays européens, avec la Finlande. Elle représente 1661 heures, soit 186 heures de moins que l’Allemagne et 239 heures de moins que le Royaume-Uni. Les données publiées par Eurostat, qui concernent l’année 2013, ont été retraitées par l’institut Coe-Rexecode. La durée annuelle moyenne de travail des salariés du secteur public est inférieure à celle des salariés du secteur privé. D’après une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) parue en 2006, elle était de 1 580 heures dans le secteur public, contre 1 670 dans le secteur privé. L’information est plus ancienne car les analyses relatives aux salariés du secteur public sont faites plus rarement que celles qui concernent le secteur privé. Nous avons constaté qu’aucun rapport n’a été produit sur la question du temps de travail dans les fonctions publiques depuis le rapport sur le temps de travail dans les trois fonctions publiques réalisé par M. Jacques Roché, en 1999. Bien entendu, il existe de nombreuses limites méthodologiques à la mesure du temps de travail : l’absence d’homogénéité et l’obsolescence des données, le maquis des statuts, les pratiques particulières, notamment dans la fonction publique territoriale.

Nous vous avons remis un document que nous allons nous efforcer de commenter devant vous. Ce document est composé de tableaux qui permettent de suivre la présentation que nous allons faire.

Pour ma part, j’évoquerai la question générale du travail des salariés à temps plein. Puis, mes collègues aborderont les problèmes spécifiques de la fonction publique.

À partir de ce document, on constate qu’en matière de travail à temps partiel des salariés, la France est dans une situation moyenne par rapport aux autres pays membres de l’Union européenne et non plus dans une situation exceptionnelle comme c’est le cas pour le travail à temps plein des salariés. Le tableau qui figure en bas de la page, issu de l’enquête « Forces de travail » d’Eurostat retraitée par Coe-Rexecode en 2014 montre qu’en matière de durée effective moyenne de travail des non-salariés à temps plein, la France est, pour 2013, au quatrième rang des pays de l’Union européenne qui travaillent le plus, derrière la Belgique, l’Autriche et l’Allemagne.

M. Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne. Le nombre annuel moyen d’heures de travail des fonctionnaires des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est de 1 742 heures, contre 1 573 heures en France. Cette situation est assez préoccupante pour notre pays. La mission interministérielle sur le temps de travail dans les trois fonctions publiques qui avait été confiée à M. Jacques Roché en 1999 a montré une grande diversité des régimes et une durée effective de travail souvent inférieure aux obligations de service. Il n’en reste pas moins que l’on note un manque très préoccupant de données – c’est une question budgétaire mais également démocratique – sur la durée effective du travail des 5,5 millions d’agents publics, c’est-à-dire 20 % de l’emploi total de notre pays. Par exemple, les dernières données disponibles de manière agrégée sur l’absentéisme dans la fonction publique datent de 2003. Or vous savez qu’il existe, pour le secteur privé, une obligation légale annuelle de publication d’un bilan social comportant ces données.

M. Michel Pébereau. L’un des progrès envisageable serait de pouvoir établir des bilans sociaux annuels dans le secteur public.

M. Laurent Bigorgne. Le rapport de M. Bernard Pêcheur de 2013 préconisait, comme la mission Roché il y a quinze ans, un suivi des pratiques au sein des trois fonctions publiques.

Le coût des 35 heures est difficile à isoler. Nous avons tenté, sur la base de travaux du Conseil d’analyse économique (CAE) placé auprès du Premier ministre comme de la Cour des comptes, d’arrêter des ordres de grandeur. En 2008, le CAE a évalué que le coût des allégements de charges sur les bas salaires et la convergence vers le haut des SMIC et des garanties mensuelles de rémunération qui s’en est suivi correspondant à la mise en place de la réduction du temps de travail était de 12 milliards d’euros pour le secteur privé. Aujourd’hui, les finances publiques ne comptabilisent pas précisément le poids des 35 heures dans le budget de l’État. Le coût total des 35 heures dans les trois fonctions publiques a été évalué à près de 2,7 milliards d’euros de manière cumulée de 2002 à 2005.

On estime qu’un allongement du temps de travail permettrait probablement aussi de dégager des économies à travers la baisse du nombre d’heures supplémentaires effectuées dont le coût s’élevait, en 2012, à 1,4 milliard d’euros pour les seuls fonctionnaires de l’État ou le moindre rachat de jours de congés épargnés qui représente à ce stade un stock d’environ 1,5 milliard d’euros pour les trois fonctions publiques.

Enfin, selon un rapport de la Cour des comptes de 2014, une augmentation de 10 % de la durée effective de travail dans la fonction publique engendrerait une économie globale de 7 milliards d’euros via la baisse des besoins en emploi.

Notre rapport s’est efforcé de souligner deux points : la question démocratique qui consiste à savoir quelle est la situation réelle du temps de travail dans les trois fonctions publiques dont on vient de dire qu’elle était extrêmement difficile à apprécier ; la question du coût budgétaire et économique s’agissant des moyens publics mobilisés au service de cette politique.

Il existe de fortes disparités en fonction des métiers, y compris dans le secteur privé – ce n’est pas une singularité du secteur public – entre petites et grandes entreprises. On note également de fortes disparités suivant les professions, tous secteurs confondus. À la page 11 du document que nous vous avons transmis, le tableau de l’INSEE sur l’année 2006 resitue bien la situation d’un certain nombre de professions qui sont très en deçà des durées effectives constatées et objectivées au début de cette page.

Mme Angèle Malâtre-Lansac, directrice des études. Le nombre de congés annuel est très supérieur dans le secteur public. Le tableau page 12 indique le nombre de congés par type d’employeur en 2010, d’après l’enquête de l’INSEE « Emploi en continu sur l’année 2010 ». L’État accorde en moyenne 48 jours de congés, les collectivités locales 45 jours et les hôpitaux publics 44 jours. En ce qui concerne le secteur privé, on note de grandes divergences en la matière, les entreprises de plus de 1 000 salariés accordant en moyenne 40 jours de congés, contre 29 pour les entreprises de 1 à 9 salariés.

M. Michel Pébereau. Là aussi, vous noterez que les informations sont fort anciennes. C’est un inconvénient qu’il nous paraîtrait souhaitable de corriger.

Mme Angèle Malâtre-Lansac. Nous avons noté également que certaines collectivités locales avaient des durées effectives du travail inférieures à la durée légale de travail. Nous nous sommes appuyés sur des rapports de la Cour des comptes, notamment celui de 2013.

Un autre thème relevé au cours de notre étude concerne celui des cadres au forfait dans la fonction publique, comparé au secteur privé. Seuls 5,3 % des agents des trois fonctions publiques travaillent au forfait alors que près de 30 % des agents sont des fonctionnaires de catégorie A. Même si tous ne pourraient pas être au forfait, on peut imaginer que davantage d’agents pourraient bénéficier de ce régime. D’ailleurs, le secteur privé compte 13 % de cadres au forfait pour 18 % de cadres. Ainsi, une part importante de cadres du secteur public sont aux 35 heures et accumulent de ce fait des jours de récupération.

Une incitation financière au temps partiel existe dans la fonction publique avec un surplus de rémunération accordé aux travailleurs à 80 % et 90 %. Comme vous le savez, les agents publics travaillant à 80 % sont payés l’équivalent de 85,7 % et les agents publics à 90 % sont payés l’équivalent de 91,6 %. Ce surplus de rémunération représente un montant de 600 millions d’euros net pour les agents des trois fonctions publiques, soit un coût pour les finances publiques évalué à 1,1 milliard d’euros par an.

J’en viens à la question de l’absentéisme. Pour comparer les trois versants de la fonction publique, on est obligé de se référer à l’enquête INSEE de 2003. On a constaté un taux d’absentéisme plus élevé dans le secteur public mais variable en fonction des versants de la fonction publique.

La question de l’absentéisme des salariés pour des raisons de santé selon la catégorie socioprofessionnelle et le statut dans l’emploi a été abordée par la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) en 2003. On constate, là aussi, des écarts assez marqués selon que vous êtes en contrat à durée indéterminée (CDI), en contrat à durée déterminée (CDD) ou titulaire de la fonction publique et selon que vous êtes cadre, profession intermédiaire, employé ou ouvrier.

Enfin, l’absentéisme dans le secteur public est plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE. Nous sommes en effet en quatrième position en ce qui concerne le nombre annuel moyen de jours de travail pendant lesquels les fonctionnaires sont en congé maladie. Les données qui vous sont présentées remontent à 2009.

On remarquera que les titulaires de la fonction publique sont davantage absents que les non-titulaires. La Cour des comptes a évalué à 1,2 milliard d’euros le coût direct des absences pour maladie ordinaire dans la fonction publique territoriale en 2013. Quand on regarde le tableau relatif au nombre moyen annuel de jours d’absence par agent pour raison de santé, on constate une hausse entre 2005 et 2011. Par exemple, dans les régions, les titulaires étaient absents 13,3 jours en 2005, contre 28,1 jours en 2009 et 29,9 jours en 2011, soit une hausse très marquée. Le tableau présenté est extrait des bilans sociaux dans les collectivités territoriales. Il montre une différence très marquée entre le type de collectivité territoriale et le statut d’emploi de la personne qui s’absente. Le total d’absence des titulaires dans les collectivités territoriales était de 21,1 jours en 2005, contre 23,6 jours en 2011. Cette hausse est moins marquée qu’au niveau des régions, mais elle est notable. Quant aux non-titulaires sur emplois permanents, ils ont été absents 8,8 jours pour raison de santé en 2005, contre 9,6 jours en 2011, soit une légère hausse, avec des divergences fortes entre régions, départements et communes.

Nous avons également étudié la question du jour de carence qui avait été mis en place pour les fonctionnaires le 1er janvier 2012 et abrogé dans la loi de finances pour 2014. Au sein du secteur privé, il existe théoriquement trois jours de carence, mais entre 50 et 80 % des salariés du privé sont en fait indemnisés dès le premier jour d’absence. Nous avons noté également que le contrôle des arrêts maladie est plus rigoureux dans le privé, notamment avec l’envoi des arrêts maladie dans les quarante-huit heures.

Les conséquences de la fin du jour de carence dans le secteur public n’ont pas été étudiées totalement. Elles pourraient l’être au vu des données dont nous disposons dans l’enquête Emploi de l’INSEE. Mais selon une enquête de la Fédération hospitalière de France (FHF) réalisée auprès de dix-sept établissements de santé, le jour de carence aurait permis une baisse du taux d’absentéisme de 7 % et une économie de 0,17 % de la masse salariale. Le projet de loi de finances pour 2014 évalue le coût de la suppression du jour de carence à 157 millions d’euros dans les trois fonctions publiques.

M. Michel Pébereau. Nous avons pensé que la situation méritait un examen alors que notre pays s’efforce d’accélérer sa croissance économique. Celle-ci est liée, en effet, à la quantité de travail effectuée et à la productivité de ce travail. Dans la mesure où nous savons que les progrès de productivité sont beaucoup plus lents aujourd’hui qu’ils n’ont pu l’être dans un passé plus lointain, il va de soi que l’augmentation du temps de travail est de nature à permettre de donner un moteur à la croissance économique. C’est la raison pour laquelle il nous a semblé que ce sujet méritait aujourd’hui un examen particulier. Le document qui a été établi par l’Institut Montaigne explicite assez bien ce problème. Nous avons là une différence par rapport à ceux des centres de réflexion qui considèrent que la réduction du temps de travail serait un facteur de croissance.

M. Gérard Sebaoun, président. Votre présentation était extrêmement claire.

Je tiens à vous donner quitus en ce qui concerne la question démocratique et les bilans sociaux. Il me paraît nécessaire en effet que nous disposions de données objectives au fil du temps pour pouvoir nous prononcer.

Vous n’avez pas parlé de la compétitivité versus les 35 heures. Certains mettent en avant ce sujet tandis que d’autres ne le font pas. J’aimerais connaître votre sentiment sur ce point. Je ne sais pas comment on peut augmenter le volume d’heures travaillées alors que la demande intérieure est relativement faible, voire à l’arrêt.

Vous avez retenu le chiffre de 12 milliards d’euros – M. Emmanuel Macron, le ministre de l’économie, retient celui de 10 milliards. M. Éric Heyer, directeur adjoint du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), nous a indiqué que le coût net était plutôt de 3,5 milliards d’euros et non de 10 milliards, que l’on retrouve dans nos différentes auditions et dans les textes budgétaires.

Pour votre part, vous avez agrégé des données en ce qui concerne les collectivités locales. Effectivement, les administrations nous ont dit rencontrer des difficultés pour nous répondre. Certaines collectivités étaient déjà en deçà des 35 heures avant même leur mise en place.

La directrice générale de l’administration et de la fonction publique, Mme Marie-Anne Lévêque, nous a indiqué que la mise en place des 35 heures avait répondu à la nécessité d’organiser le secteur public, à effectifs relativement constants. Si les effectifs ont augmenté dans la fonction publique territoriale, ceux de la fonction publique d’État sont restés plutôt stables avec une décrue.

Madame Malâtre-Lansac, vous avez eu l’honnêteté de rappeler qu’entre 50 et 80 % des entreprises qui le peuvent couvrent la carence de leurs salariés absents. Pour sortir par le bas de ce problème, si je puis dire, il faudrait rétablir les jours de carence pour tout le monde, et pour sortir par le haut, créer une carence dans le secteur public qui serait couverte par l’employeur public. Je crois que Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, était allée jusqu’à oser le chiffre de 1 milliard d’euros, c’est-à-dire un coût tout à fait significatif. Il faut donc trouver un juste milieu. Certains ont fait du jour de carence une question éminemment politique. On peut aussi l’envisager sous l’angle d’une équivalence de traitement, même si, je le reconnais volontiers, les petites entreprises n’ont pas la capacité de répondre aux trois jours de carence, comme le font les grandes entreprises.

En 2012, c’est-à-dire quand il existait un jour de carence dans la fonction publique hospitalière, les arrêts maladie courts ont nettement reculé et l’on a constaté qu’au fil des ans ce sont les arrêts plus longs qui ont augmenté. L’association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) qui s’était réunie en 2013 estimait que l’on était globalement à l’équilibre, et qu’il s’agissait donc d’un faux problème qu’elle n’avait pas très envie d’aborder.

Lors d’une audition dans un groupe d’études, un intervenant nous a dit que ce qui augmentait significativement dans les pays anglo-saxons et en France, c’était le « présentéisme », c’est-à-dire que des salariés se rendent sur leur lieu de travail alors qu’ils sont malades. Cela pose la question du mode de fonctionnement de nos sociétés.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. À mon tour, je tiens à vous remercier d’avoir accepté de venir rendre compte du travail que vous avez réalisé.

Je prends acte de ce que vous avez dit s’agissant de la disponibilité des données et de leur existence même.

Vous travaillez à partir de données existantes. Mais nous n’en tirons pas tous les mêmes conclusions.

Vous avez retenu le chiffre de 12 milliards d’euros. Ce qui m’étonne toujours, c’est que l’on ne cherche pas à connaître le retour sur investissement, si je puis dire, même si je peux convenir qu’il soit difficile de l’évaluer. Dans une entreprise, si l’on ne fait pas d’investissements parce qu’ils ont un coût et que l’on n’essaie pas d’anticiper ce que cela peut rapporter, alors on ne fait jamais rien. À mon sens, on ne peut pas se contenter de dire que les 35 heures ont coûté 12 milliards d’euros. Mais le fait que davantage de gens travaillent a généré des cotisations supplémentaires et moins de chômeurs à payer. Lors de la mise en place des 35 heures, on a constaté également une hausse de la consommation qui a permis des rentrées de TVA.

Nous avons constaté nous aussi que, même si l’on manque de données, nombre de collectivités territoriales avaient baissé le temps de travail de leurs employés avant la mise en place de la loi.

À la page 6 de votre document, vous comparez la durée effective moyenne de travail des salariés à temps plein dans les pays de l’Union européenne en 2013. Elle serait de 1 650 heures en France, c’est-à-dire inférieure à 39 heures par semaine. Or, selon l’INSEE, le temps de travail d’un salarié à temps plein est supérieur à 39 heures. Comment aboutissez-vous à ce chiffre ? Il est noté en effet que ces données ont été retraitées par Coe-Rexecode.

On met toujours en avant le travail à temps plein. Or ce qui compte, à mon sens, c’est l’ensemble du temps qui est travaillé. On ne peut pas faire comme si le temps partiel était un élément secondaire. Dans tous les pays, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel. En France, le nombre d’heures travaillées par les femmes à temps partiel est supérieur à la moyenne des autres pays et elles sont moins nombreuses à être à temps partiel qu’en Allemagne ou aux Pays-Bas par exemple. Si l’on ne prend pas en compte le temps partiel, on obtient un résultat qui peut donner l’impression que les Français travaillent moins que les autres, ce qui n’est pas vrai, y compris lorsque l’on se compare à l’Allemagne. Et l’on pourrait même penser que si les hommes peuvent travailler à temps plein, et largement au-delà de 39 heures, c’est aussi parce que leurs femmes travaillent à temps partiel et s’occupent de la maison. Une étude réalisée dans la fonction publique montre que si des hommes font des carrières longues et consacrent beaucoup de temps à leur travail, c’est très largement parce que leurs femmes, qui sont aussi diplômées qu’eux, passent moins de temps à leur travail pour s’occuper du reste.

Vous nous avez surtout parlé de la fonction publique. Or la loi s’est surtout appliquée au secteur privé. Vous dites les choses clairement, et c’est très agréable. Si j’ai bien compris, selon vous les 35 heures n’auraient pas induit de progrès quels qu’ils soient. Mais peut-être que je sur-interprète vos propos.

M. Michel Pébereau. Effectivement, vous les sur-interprétez !

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. J’aimerais savoir quels progrès ont été constatés.

En ce qui concerne l’absentéisme, je n’arrive pas à comprendre si vous incluez dans votre réflexion les congés maladie ainsi que les congés maternité, car cela change la donne
− d’autant que l’OCDE indique qu’elle n’harmonise pas forcément les données que transmettent les pays. Du coup, on compare des éléments qui ne sont pas vraiment comparables. On constate que l’Allemagne aurait le taux d’absentéisme le plus élevé, ce qui peut surprendre. Mais cela ne signifie pas que c’est faux.

M. Michel Péberau. Nous allons nous répartir les réponses à vos questions. Je répondrai aux questions les plus générales. Puis Mme Malâtre-Lansac et M. Bigorgne compléteront ou corrigeront mes réponses qui ne sont pas aussi bien fondées que les leurs puisque ce sont eux qui ont étudié ces sujets.

Soyons clairs : nous ne sommes pas en train d’évoquer la question des 35 heures, qui ne fait pas partie de notre réflexion. Nous travaillons sur la façon dont notre pays se situe par rapport aux autres, compte tenu de l’ensemble des réglementations existantes. Il ne s’agit pas de critiquer ce qui a été fait par le passé. D’ailleurs, nous avons réfléchi en termes de temps de travail annuel pour éviter d’avoir à poser des questions qui peuvent diviser. Nous nous efforçons de faire un travail aussi objectif que possible.

La raison pour laquelle il nous paraît très important de nous attacher au temps de travail tient au fait que nos principaux concurrents sont les autres pays de la zone euro et, au-delà, les pays de l’OCDE. Nous avons l’impression que dans la répartition internationale du travail, ces pays sont concurrents les uns par rapport aux autres. L’idée que l’un de ces pays pourrait d’une certaine façon faire exister sur son territoire des emplois qui seraient beaucoup plus productifs sur le territoire d’un pays en développement ou d’un pays émergent paraît assez théorique. La question est donc bien de savoir comment la France peut se situer en termes de compétitivité par rapport à ses concurrents pour capter le maximum de travail, d’emplois et de création de richesse pour l’avenir.

Nous sommes dans une approche dynamique ; il s’agit de savoir si l’évolution de la question du temps de travail est de nature à être un facteur de croissance économique. La réponse à cette question est incontestablement oui. Si nous travaillons davantage, nous produirons davantage. Actuellement, la productivité évolue lentement. Dans l’arbitrage entre une réduction du temps de travail qui améliorerait la productivité et une augmentation du temps de travail qui se ferait à productivité à peu près constante, c’est l’augmentation du temps de travail qui présente de l’intérêt. Voilà le fond de notre raisonnement. C’est une façon de répondre à votre question, monsieur le président. L’Institut Montaigne a le sentiment, après y avoir mûrement réfléchi, que l’une des solutions qui nous permettrait d’améliorer notre position relative, si je puis dire, consiste à nous rapprocher du temps de travail de nos grands concurrents, notamment l’Allemagne, mais aussi d’autres pays industrialisés, pour produire davantage.

M. Gérard Sebaoun, président. Nous sommes au cœur de l’un des problèmes que nous ne parvenons pas à résoudre. Vous considérez qu’il faut augmenter le volume d’heures travaillées. On pourrait être d’accord avec cette analyse si notre économie fonctionnait à plein régime. Il me semble que le problème c’est moins le volume d’heures travaillées que notre capacité à produire quelque chose qui se vend. Depuis ces dernières années, on assiste à une désindustrialisation massive avec des pertes d’emplois assez considérables et une tertiarisation de notre modèle. Comment augmenter le volume d’heures travaillées si l’on n’a pas de capacité d’innovation et de recherche, même si certaines entreprises sont performantes, et comment faire pour trouver quelqu’un qui va acheter nos produits s’il n’y a pas de demande ?

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. À vous entendre, les salariés français travaillent moins que ceux de nos pays concurrents. Or ce n’est pas du tout ce que montrent les données. Si vous ne prenez que le temps complet, vous omettez une immense part des salariés, surtout pour la France.

M. Michel Pébereau. La population active de la France se décompose en trois : les travailleurs à temps plein, les travailleurs à temps partiel et les chômeurs. Il se trouve que la proportion de chômeurs est très élevée dans notre pays, non par rapport à la moyenne de la zone euro mais par rapport aux principaux pays européens, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Il est nécessaire d’analyser les trois populations de façon séparée. Si l’on voulait une analyse globale, comme celle que vous évoquez, il faudrait prendre en compte les chômeurs dont, par définition, la production est égale à zéro et l’on aboutirait à un nombre d’heures travaillées par Français encore plus faible par rapport à ces deux pays puisqu’ils comptent beaucoup moins de chômeurs que nous. C’est la raison pour laquelle il nous semble très important de faire une analyse séparée des trois populations. Il faut réduire le nombre de chômeurs et faire en sorte que le travail à temps partiel soit aussi élevé que possible. En matière de travail à temps partiel, comme nous sommes dans la moyenne européenne le problème ne se pose pas. Quant aux travailleurs à temps plein, ce sont à la fois les salariés et les non-salariés. Et nous avons bien souligné que la durée moyenne de travail des non-salariés à temps plein était élevée. Si nous voulons davantage de croissance, il faut réduire le nombre de chômeurs, au moins maintenir le temps de travail des travailleurs qui ne sont qu’à temps partiel et essayer d’augmenter le temps de travail des travailleurs à temps plein. C’est ainsi que l’on créera la possibilité d’avoir une force de travail supplémentaire. D’une certaine façon, la production, la croissance sont fortement coordonnées au temps de travail.

Vous demandez si les informations en provenance de Coe-Rexecode sont fiables. Cet organisme a été créé à la fin des années 1970, en même temps que l’OFCE et avec le même objectif, c’est-à-dire apporter à l’opinion publique et aux responsables politiques et économiques français des informations et des réflexions d’organismes indépendants sur la situation économique. Nous considérons donc que c’est un organisme fiable dans ses analyses. Nous n’avons pas réexaminé ses méthodes et, à ma connaissance, la décomposition qu’il a faite n’a pas été contestée par les autres organismes. Il n’y a donc pas de raison de la mettre en cause. La seule critique qui a pu être faite est celle que vous venez d’émettre. À cette critique, je répondrai que si l’on prend en compte l’ensemble de la population française, l’on aboutit à un temps de travail plus faible car il y a davantage de chômeurs en France qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne.

Nous sommes convaincus que l’on crée de la croissance à partir de l’offre. Mon expérience, aussi bien dans le secteur public – bien lointaine – que dans le secteur privé – plus longue et plus récente – montre qu’un emploi supplémentaire est de nature à créer de la croissance dans le secteur privé à partir du moment où il est fondé sur l’idée que s’il est créé c’est qu’il crée une valeur ajoutée. Or vous savez que le produit intérieur brut est la somme des valeurs ajoutées. La valeur ajoutée d’un emploi dans le secteur privé ou d’une heure de plus de travail dans le secteur privé se traduit directement, si je puis dire, dans la croissance économique. Est-il possible de créer des emplois supplémentaires dès lors que l’on travaille davantage ? Notre réponse est oui. L’interruption de travail d’un travailleur dans une entreprise n’est pas un moyen de créer un emploi supplémentaire, c’est la disparition d’une force de travail qui existe. L’emploi supplémentaire viendra de la nécessité d’une force de travail supplémentaire. Elle sera d’ailleurs bien différente de celle qui disparaît car les personnes âgées ont une grande expérience, donc une force qui par construction n’est pas remplaçable en tant que telle, et parce que les jeunes ont de très grandes connaissances et une très grande adaptation au monde moderne et donc répondent mieux à toute une série de besoins contemporains. La force de travail crée en quelque sorte une offre qui va susciter la demande.

Monsieur le président, je partage votre sentiment selon lequel il est nécessaire, en matière de formation initiale des jeunes et de formation professionnelle continue, de consentir des efforts importants pour améliorer la capacité créatrice et productrice des uns et des autres. Il est incontestable que notre capacité créatrice et productrice repose sur notre niveau culturel et sur la formation professionnelle qui vient s’accrocher à ce niveau culturel. De même, il est indispensable que les entreprises et le secteur public fassent des efforts de recherche et d’innovation considérables. La recherche et l’innovation sont en effet des facteurs fondamentaux de la création de richesses. Mais c’est un autre problème auquel nous n’avons pas consacré cette étude.

Le bon sens conduit à cette idée que si l’on travaille davantage, la chance que l’on a de produire plus est très élevée. Et en disant cela, j’utilise des termes raisonnables. Mon expérience personnelle m’a montré que c’est ainsi que les choses se passent. Le groupe de travail que nous avions rassemblé et dont vous avez vu qu’il était d’origine assez diverse a conclu dans le même sens.

Je le répète, notre objectif doit être de trouver des moyens pour relancer la machine économique française, et l’un de ces moyens consiste à travailler davantage. Les informations globales ont l’inconvénient d’être globales. Elles sont injustes par rapport à toute situation individuelle puisque ce sont des moyennes et qu’il y a des extrêmes dans les deux sens. La moyenne reflète donc seulement une tendance intermédiaire. L’insuffisance des informations sur le secteur public est facteur d'injustice. Je suis convaincu que le temps de travail dans certaines collectivités est beaucoup plus important que dans d’autres, parce que c’est la vie. C’est la même chose dans les entreprises. Nous devons analyser le problème entreprise par entreprise, ce que nous faisons. Le fait que l’État nous ait demandé de produire des bilans sociaux nous a permis d’objectiver cette analyse-là que nous faisons dans les entreprises avec les partenaires sociaux et qui est extrêmement féconde. C’est la raison pour laquelle il serait utile de procéder de la même façon pour les collectivités. Nous faisons l’objet, dans les entreprises, d’une analyse de nos performances par l’intermédiaire de nos actionnaires, et s’agissant des collectivités, les électeurs ont la capacité de faire de même. Il ne faudrait donc pas s’imaginer que notre analyse a pour conséquence de faire une comparaison globale entre le secteur public et le secteur privé. Ce serait injustice. Il existe certainement des entreprises du secteur privé qui travaillent moins que d’autres et des collectivités qui travaillent beaucoup plus que d’autres. Sachons que nous sommes toujours en train de raisonner sur des moyennes et que celles-ci ne rendent pas compte de la situation effective de chacune des collectivités.

M. Laurent Bigorgne. En tant que directeur de l’Institut Montaigne, je tiens à rappeler quelle est notre posture. Nous sommes pour un service public de qualité. Nous sommes convaincus que c’est à la fois un gage d’efficacité économique et donc de compétitivité et de cohésion sociale. Vous retrouverez cette même posture dans tous les travaux de l’Institut.

M. Michel Pébereau. Vous avez raison de dire qu’il est souhaitable de mesurer l’efficacité de la réduction de tel ou tel temps de travail, ce qui figure en réalité dans l’évolution de la production. Lorsque la production augmente ou reste stable alors que le temps de travail diminue, il y a par définition un progrès. Ce progrès peut se traduire soit de façon quantitative – c’est la production –, soit de façon qualitative – c’est la qualité du service public, cette dernière étant plus difficile à mesurer.

Sur le plan quantitatif, on peut dire que, sur cette période, les gains de productivité de l’économie française se sont fortement ralentis.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. De quelle période parlez-vous ?

M. Michel Pébereau. De la période la plus récente, c’est-à-dire celle qui permet de fonder l’analyse sur le temps de travail.

Actuellement, la progression de notre productivité n’est pas importante. Vous savez que nous avons raisonné, pendant des années, dans tous les domaines, avec cette idée que la productivité de l’économie française pouvait s’améliorer de 1,5 % par an. Ce n’est plus l’hypothèse que retiennent les experts pour les années à venir.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Vous parlez des cinq, des dix dernières années, de la période après la crise ?

M. Michel Pébereau. La période la plus récente correspond en effet à la période après la crise. Nous n’avions pas le même objet que vous et nous n’avons donc pas fait des analyses de productivité à partir d’une date déterminée. Le taux de progression de la productivité n’est plus un facteur fondamental de croissance économique dans notre pays.

M. Gérard Sebaoun, président. Vous considérez, comme nombre de nos interlocuteurs, que la mise en œuvre des 35 heures avait permis, dans le secteur privé, une augmentation assez significative de la productivité par salarié. Mais elle a aussi eu des effets néfastes comme l’annualisation du temps de travail ou le réexamen de l’ensemble des processus. Finalement, quelques années plus tard ce sont des éléments sur lesquels les grandes entreprises n’entendaient pas revenir car elles étaient parvenues à un équilibre. Était-ce parce que les négociations avaient été ardues et que l’on ne voulait pas rouvrir la boîte de Pandore ou, au contraire, était-ce parce que l’on avait obtenu des équilibres, notamment en matière de dialogue social dans les entreprises, qu’il conviendrait de ne pas remettre en cause aujourd’hui, parce que ces équilibres sont, d’après ce qui nous a été dit, acceptés par la majorité des acteurs ? Ceux qui voudraient remettre sur le tapis de façon abrupte les 35 heures sont extrêmement minoritaires.

M. Michel Pébereau. Le propre des entreprises est de s’adapter à une situation déterminée. Les entreprises françaises se sont adaptées dans les meilleures conditions possibles. L’un des problèmes qui se pose aujourd’hui et qui a été mis en évidence dans le rapport Gallois concerne la compétitivité de l’économie et des entreprises françaises. L’une des caractéristiques des entreprises françaises est d’être très décalées par rapport aux autres entreprises européennes en ce qui concerne leur taux de marges. Nous avons, je crois, un écart de 10 % par rapport aux entreprises allemandes. Il ne fait aucun doute que l’ensemble des évolutions qui sont intervenues au cours des dix ou quinze dernières années ont entraîné un problème de compétitivité du travail français et de l’économie française par rapport à un certain nombre de concurrents, ce qui a conduit les pouvoirs publics à prendre des décisions que j’estime, pour ma part, extrêmement sages, pour corriger cet état de fait. En la matière, nous ne sommes plus dans le cadre du rapport que nous avons fait et il me paraît donc difficile de répondre à des questions qui porteraient sur les 35 heures en tant que telles. Je n'ai donc pas d’opinion. En revanche, en l’état actuel des choses, nous sommes convaincus – et c’est aussi l’orientation du ministre de l’économie – que dans certains cas l’évolution du temps de travail constitue une façon de traiter le problème difficile du rétablissement de la compétitivité de nos entreprises et de l’économie.

M. Gérard Sebaoun, président. Comme l’objet de notre commission d’enquête concerne l’impact sociétal, social, économique et financier des 35 heures, pouvez-vous nous dire si les 35 heures ont été un facteur mineur ou majeur de perte de compétitivité de nos entreprises ? Nous ne l’avons pas entendu, sauf une fois. En tout cas, ce n’est pas ce qui est ressorti de nos auditions.

M. Michel Pébereau. Cela ne fait pas partie de notre message. J’ai indiqué à plusieurs reprises que nous ne nous prononçons pas sur la question des 35 heures, que nous partions d’une situation déterminée. Le travail de l’Institut Montaigne, qui est un travail très sérieux, est limité dans ce domaine à ce que nous avons évoqué.

M. Laurent Bigorgne. Notre perspective est celle du temps de travail. Elle dépasse de loin la question de la durée hebdomadaire.

Vous nous interrogez sur le coût net et le coût brut. J’ai déjà eu ce débat avec M. Éric Heyer à plusieurs reprises. Cela vaudrait la peine de consacrer une conférence de consensus d’économistes pour voir quelle méthodologie adopter pour l’avenir, en termes d’évaluation des choix publics. Je le dis sérieusement devant le Parlement parce que ce type de méthodologie est trop peu souvent usité. Je pense que ses collègues, qui sont des spécialistes reconnus sur les questions du travail − qu’il s’agisse de M. Pierre Cahuc, professeur à l’École polytechnique, de M. Stéphane Carcillo ou de M. Étienne Wasmer, professeurs à Sciences Po − auraient bien des choses à dire.

Ce qui nous a surpris, c’est que c’est dans la fonction publique que l’on a laissé collectivement se créer le plus d’emplois publics cette dernière décennie alors que c’est objectivement l’endroit où les durées annuelles de travail sont les plus faibles. Dans une période de tension des finances publiques, cela pose une vraie question démocratique. De notre point de vue, il y avait là une indication claire de faillite en termes de management. Si l’on prend l’exemple concret de la remontée des feuilles d’arrêt maladie, de par les auditions que l’on a pu conduire on a le sentiment que les bonnes pratiques n’étaient pas complètement répandues et que l’organisation, l’encadrement, le management de ces collectivités publiques restait une terra incognita. J’en veux pour preuve le graphique qui montre le nombre annuel moyen de jours d’absence par agent pour raison de santé avant et après titularisation, qui vous est présenté dans le graphique figurant à la page 19. On constate des élasticités de l’ordre de un à deux. Or vous savez comme moi que lorsque l’on a de telles élasticités dans des environnements de travail qui, par ailleurs, sont normés, c’est qu’il se passe quelque chose.

M. Gérard Sebaoun, président. Les chiffres que vous donnez sont impressionnants. En ce qui concerne les régions, le nombre moyen annuel de jours d’absence par agent titulaire pour raison de santé a doublé entre 2005 et 2011. Mais en 2005, cela faisait déjà longtemps que les 35 heures avaient été mises en place. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Le titulaire de 2013 est soumis à la même expérience quotidienne que celui de 2011.

M. Laurent Bigorgne. Monsieur le président, au risque de devoir me répéter, nous ne mettons pas en lien la carence observée dans le fonctionnement normal de nos administrations avec les 35 heures. Nous disons juste qu’au-delà de la durée légale du temps de travail se pose la question de la durée effective, et que cette durée effective, pondérée par l’absentéisme et des pratiques plus généreuses en termes de jours de congé dans les collectivités, nous semble poser problème, et encore plus quand la situation des finances publiques est tendue.

M. Gérard Sebaoun, président. Je comprends bien que vous ne vous prononciez pas sur la réduction du temps de travail telle qu’elle a été voulue par le législateur. En 2005, on a assisté à quelques transferts et donc à quelques créations d’emplois dans les régions, les départements et les communes. Ayant été élu local, je peux dire que les équipes municipales sont soumises à une contrainte mais de nombreux services ont été offerts à la population qui est très demandeuse de ces services, par exemple en termes d’extension des horaires d’ouverture des services publics. Il y a aussi une marge entre les agents titulaires et les contractuels qui travaillent parfois dans des conditions difficiles. La pression sur les agents publics communaux s’est exercée de façon assez forte.

Vous avez raison de rappeler qu’il n’y avait pas de management dans les collectivités et qu’il est important que ces services soient gérés dans le cadre d’un dialogue constant. Là aussi, il y a eu un basculement, à la fois dans la demande du public et dans la réponse de ce qui fonde aussi notre vie démocratique, c’est-à-dire nos communes, nos départements, nos régions, même si des réformes sont en cours.

M. Michel Pébereau. Je reviens sur l’absence de management. Parler en général d’un problème comme celui des entreprises ou des collectivités territoriales est par définition injuste.

M. Laurent Bigorgne. En ce qui concerne l’absentéisme, on assiste à une dérive de l’ordre de 10 à 15 % sur une période de six ans, voire 20 % dans certains cas, ce qui est inquiétant. On est donc bien au-delà de l’erreur statistique. On pourrait peut-être rechercher quelles conditions sociologiques, sociales ont accompagné cette dérive.

Vous nous avez interrogés sur les temps pleins et les temps partiels. Il est clair que la France a fait le choix de diminuer le temps de travail des salariés à temps complet. C’est un choix fort qui a produit des effets économiques, notamment le renchérissement du coût du travail pour les moins qualifiés, de sorte qu’aujourd’hui la France est l’un des pays européens où le coût du travail non qualifié est le plus élevé en ce qu’il vient tamponner le salaire médian. Selon les travaux réalisés par MM. Gilbert Cette, Philippe Aghion, et Élie Cohen, la France a les ratios les plus importants d’Europe. Si l’on veut raisonner en coûts complets, il faut s’interroger sur le coût social mais aussi économique de la destruction d’emplois généré par cette situation qui est assez bien établie par ces trois auteurs dans leur ouvrage Changer de modèle et qui s’interroge sur le modèle que nous avons choisi.

J’ajoute que les questions de productivité dont nous avons débattu tout à l’heure pourraient trouver un éclairage nouveau et intéressant dès lors que l’on considérerait que l’on a fait reposer la production, et donc la productivité française, sur une population active dont on a éliminé plus qu’ailleurs énormément de jeunes, et dont on continue à éliminer plus qu’ailleurs beaucoup de gens vieux. La population active française étant en correspondance avec les âges qui ont la plus forte productivité, c’est-à-dire entre trente et cinquante ans, ce qui correspond à des âges où l’on a de l’expérience et où l’on est en bonne santé, il n’est pas complètement anormal qu’elle soit très productive. Le contraire serait fâcheusement inquiétant. Je rappelle que l’on a fait, là aussi, le choix public qui tient à la structuration du marché de l’emploi. Je ne dis pas que c’est la conséquence des 35 heures : quantités de facteurs expliquent cela. Les résultats auxquels on aboutit sont normaux dès lors que la population active est ainsi structurée. Evidemment, ce n’est pas la population active que le consensus des économistes et, je pense, des citoyens appelle de ses vœux.

Au terme d’un travail qui a exploré d’abord et avant tout le temps de travail sur le cycle annuel, je serais gêné de vous dire quels sont les avantages ou les inconvénients des 35 heures, n’étant moi-même pas sociologue. Cette question ressemble à la théorie des « insiders » versus les « outsiders » dont les économistes du travail, de tous les horizons philosophiques – et nous en avons d’excellents dans ce pays – se font l’écho. Il est important de poser la question des effets des 35 heures sur ceux qui travaillent, dans un pays où 10 % de la population active est au chômage, où 20 % des jeunes sont au chômage voire 40 % dans les quartiers de la politique de la ville. Mais je me demande si la question est celle des « insiders » versus les « outsiders », c’est-à-dire opposer ceux qui travaillent à ceux qui souhaiteraient travailler et qui ne le peuvent pas, mon souci étant principalement que dans notre pays les travailleurs non qualifiés sont victimes d’une trappe à chômage parce que le renchérissement du coût du travail non qualifié a conduit à leur éviction très forte du marché du travail depuis assez longtemps.

Mme Angèle Malâtre-Lansac. Madame la députée, Coe-rexecode considère qu’Eurostat surestime la durée annuelle de travail dans la mesure où les données utilisées par Eurostat extrapolent sur un an la durée de travail hebdomadaire déclarée. En fait, les personnes qui n’ont pas travaillé la semaine au cours de laquelle elles ont été interrogées, parce qu’elles étaient soit en congé soit en arrêt de travail, sont exclues de cette moyenne. Comme Coe-Rexecode a considéré que cela augmentait le nombre moyen d’heures de travail réalisé par semaine, il a retraité les données d’Eurostat.

Dans le rapport, nous nous appuyons sur ces données ainsi que sur des données de l’INSEE et de la DARES. Nous montrons donc la diversité des chiffres. Bien évidemment, nous rencontrons des limites méthodologiques propres à ces données qui sont difficilement comparables.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Vous précisez un élément important puisque si l’on retraite des données parce que l’on estime que certaines choses sont surévaluées ou sous-évaluées, alors il faudrait être en mesure de faire de même dans les autres pays. On a parfois l’impression que l’on parle de choses qui ne sont pas comparables.

M. Laurent Bigorgne. Permettez-moi de préciser que les données sur le temps de travail des salariés dans les administrations centrales qui figurent en page 8 proviennent de l’OCDE. Elles n’ont pas fait l’objet d’un retraitement et elles objectivent assez bien la situation de la fonction publique d’État.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Mais l’OCDE reconnaît qu’elle compare des données qui ne sont pas nécessairement toutes directement comparables.

M. Michel Pébereau. Comme tous les travaux de l’OCDE. Ce n’est pas spécifique aux données sur le temps de travail. Les travaux de l’OCDE reposent en effet sur des informations qu’elle agrège en provenance de chacun des pays.

Eurostat a effectué un important travail d’homogénéisation des données à l’intérieur de l’Union européenne. Dès lors que l’on parle des pays de l’Union européenne, il y a une plus grande solidité, si je puis dire, de l’information.

M. Gérard Sebaoun, président. Le directeur de l’INSEE que nous avons auditionné la semaine dernière et le spécialiste de l’INSEE sur ces sujets nous indiquaient rencontrer des problèmes de méthodologie et être en train de les remettre à plat avec leurs collègues allemands. Comme ils n'interrogent pas la même population, il leur est difficile d’agréger les données. Nous sommes confrontés, tout au long de nos travaux, à des problèmes de méthodologie.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Dans votre rapport plus complet, vous indiquez que« la baisse de la durée légale a eu au mieux un impact très marginal sur l’emploi ». Vous parlez donc bien, malgré tout, des 35 heures.

Vous estimez que le fait de travailler plus génère de la valeur ajoutée qui est susceptible de créer d’autres emplois. J’ai du mal à comprendre comment on pourra résoudre le problème en faisant travailler davantage les gens qui ont déjà du travail. J’avais tendance à voir les choses différemment : je pensais qu’il était préférable que davantage de gens puissent travailler et non que certains aient beaucoup de travail tandis que d’autres n’en ont pas du tout. Cela me paraissait préférable en termes de justice sociale. Toutes les mesures de baisse de cotisations qui viennent d’être prises ont été saluées par la plupart des entreprises. Si elles sont critiquées, c’est que l’on estime qu’elles sont insuffisantes. Mais ils ajoutent que ce n’est pas cela qui va leur permettre d’embaucher. Ils estiment qu’il ne suffit pas de produire davantage pour faire consommer les gens.

Il me semblait que la réduction du temps de travail permettait à ceux qui sont exclus du marché du travail, c’est-à-dire les plus jeunes et les plus âgés – je crois savoir que dans le secteur privé deux salariés sur trois au-delà de cinquante-cinq ans ne sont plus en activité parce qu’ils ont été licenciés –, de les faire travailler. Mais s’il faut travailler plus d’heures pour créer plus d’emplois, peut-être faut-il mieux répartir ces heures. Et si cela permet à tout le monde de travailler à temps plein, tant mieux.

M. Michel Pébereau. Comme l’a rappelé M. Laurent Bigorgne, l’objectif d’un think tank comme l’Institut Montaigne est de réfléchir au plus grand problème de notre pays : le chômage. Comment le réduire et faire qu’un maximum de gens travaillent. Une partie importante des personnes sans emploi ne sont pas suffisamment qualifiées. Les enquêtes « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » (PISA) sur la formation des jeunes à l’âge de quinze ans dans les différents pays de l’OCDE montrent que tous les pays de l’OCDE ont un problème mais qu’il est un peu plus grave encore dans notre pays par rapport à nos concurrents.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Le taux de chômage des jeunes est très élevé !

M. Michel Pébereau. Effectivement. Il est plus élevé qu’en Grande-Bretagne ou en Allemagne, mais inférieur à celui de l’Espagne.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Bien sûr, le rapport à l’apprentissage n’est pas le même en Allemagne que dans notre pays. Mais il ne faut pas oublier que l’Allemagne a perdu, ces quinze dernières années, 500 000 habitants alors que la France en a gagné 5 millions.

M. Michel Pébereau. Avoir une population qui s’accroît est un avantage comparatif et non un désavantage.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Par rapport au chômage ?

M. Michel Pébereau. Il faut revenir aux questions fondamentales. Si nous sommes plus nombreux à être capables de travailler, nous pouvons produire davantage. L’idée selon laquelle la quantité de travail disponible peut être répartie différemment entre les travailleurs n’a pas été vérifiée où que ce soit dans l’histoire. La vérité, c’est que plus il y a de gens au travail, plus on produit. Il est très important de se préoccuper de ceux qui sont les plus concernés par le problème du chômage, c’est-à-dire les jeunes, surtout lorsqu’ils n’ont pas de qualification, et d’une façon générale les personnes sans qualification.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Nous sommes d’accord.

M. Michel Pébereau. Notre analyse est la suivante : il y a des gens qui travaillent et qui ont un niveau de productivité élevé. Plus ils travaillent, plus ils produisent. Plus ils produisent et plus l’économie française est susceptible de s’enrichir. Chaque fois qu’ils produisent davantage et qu’ils sont susceptibles d’augmenter notre croissance économique, ils permettent la création d’emplois dans des domaines où le niveau de qualification est moins élevé. En Allemagne par exemple, on a observé qu’il y a une population non qualifiée qui est employée précisément parce que le raisonnement global de l’économie est celui-là. On augmente globalement la production en augmentant la quantité de travail, à la fois de ceux qui travaillent déjà beaucoup et ont une forte productivité et de quelques autres qui travaillent à temps partiel et ont une productivité plus faible. Il faut que les uns entraînent les autres. L’augmentation de la quantité de travail des uns et des autres est souhaitable et celle des uns doit entraîner celle des autres. Ce n’est pas un raisonnement idéologique mais de bons sens. L’exclusion d’une partie des Français du travail est incontestablement un facteur d’affaiblissement de la croissance économique, à la fois parce qu’il est indispensable de réserver des moyens pour assurer le niveau de vie de ces personnes, et qu’elles ne peuvent pas produire. Il n’y a aucun doute qu’il faut essayer de s’attaquer à ce problème. Nous pensons que davantage de souplesse en ce qui concerne le temps de travail est de nature à créer ce surcroît de croissance économique à la recherche duquel nous sommes tous.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Pour ma part, il me semble qu’il existe déjà beaucoup de souplesse et beaucoup de possibilités.

Pensez-vous que ceux qui ne travaillent pas à temps plein soient plutôt moins productifs que ceux qui travaillent à temps plein ?

M. Michel Pébereau. Ils produisent moins, mais ils ne sont pas moins productifs.

Par définition, la productivité se rapporte au temps de travail. Il est parfaitement possible pour quelqu’un qui travaille à temps partiel d’avoir la même productivité que quelqu’un qui travaille à temps plein. Mais on en revient toujours à l’idée que la production nationale est limitée à la quantité de travail fournie. Si cette personne à temps partiel travaillait à temps plein, elle produirait X % de plus, ce pourcentage étant à peu près proportionnel à l’écart qui existe entre un temps partiel et un temps plein.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. On pourrait donc considérer qu’on pourrait répartir les heures de travail autrement et en avoir davantage tous ensemble. En Allemagne, par exemple, ce sont les hommes qui travaillent à temps plein et les femmes qui travaillent à temps partiel et dans des emplois très peu protégés. Je pense que ce serait mieux que les femmes puissent travailler davantage. Cela leur permettrait d’avoir plus d’autonomie. Mais il s’agit là de choix de société.

M. Michel Pébereau. N’oubliez pas que nous ne sommes pas en train de réfléchir sur ce qui s’est passé depuis la mise en place des 35 heures mais sur la façon dont nous pouvons accroître la production nationale en utilisant l’instrument du temps de travail. Nous pensons que l’augmentation du temps de travail est de nature à accroître la production nationale. Un économiste aurait des difficultés à démontrer que tel n’est pas le cas.

La question de savoir si un individu veut travailler plus ou moins est fondamentale et je me réjouis si notre pays donne dans ce domaine des marges de manœuvre à chaque individu. C’est une question de libertés individuelles.

Notre problème collectif, c’est de venir à bout de ce chômage qui mine notre société, et ce chômage des jeunes avec le problème des « insiders » versus les « outsiders » qui est désespérant pour l’évolution de notre société, surtout dans une société comme la nôtre qui est dynamique sur le plan démographique. De quelle façon pouvons-nous résoudre ce problème ? Il est possible d’y parvenir si l’on introduit des facteurs de souplesse dans la quantité de travail. Des efforts ont déjà été réalisés par les pouvoirs publics qui ont essayé d’abaisser le coût du travail pour rétablir la compétitivité des travailleurs français dans certains domaines. J’appelle votre attention sur le fait que si un travailleur accepte de travailler un peu plus pour le même salaire, il fait très exactement la même chose que ce que le législateur a fait avec le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), c’est-à-dire qu’il améliore la compétitivité de son travail sans modifier sa rémunération. Travailler un peu plus dans certains cas est une solution pour assurer la compétitivité. Le législateur a prévu un dispositif limité aux entreprises en difficulté en reprenant un accord sur l’emploi qui avait été négocié entre les partenaires sociaux. L’une des pistes de réflexion consiste à savoir si une telle opération ne pourrait pas être envisagée dans une période de temps limité mais qui permettrait d’une certaine façon de renforcer l’effort collectif qui est réalisé suite aux décisions prises par le législateur en matière de charges sociales. Il s’agirait d’augmenter le temps de travail, dans certains entreprises ou administrations, ce qui permettrait en effet d’améliorer la compétitivité du travail français par rapport à un travail étranger.

M. Gérard Sebaoun, président. Pensez-vous qu’il faille réfléchir à la possibilité de lisser le temps de travail sur l’ensemble de la vie ?

La proposition n° 5 de votre fiche de synthèse est assez brutale et m’interpelle. Vous dites en effet qu’il faut « donner plus de souplesse aux entreprises pour organiser le travail. Certains sujets concernant l’organisation du travail pourraient être décidées via la procédure d’information-consultation sans recours à la négociation ». Pourquoi une telle proposition ?

M. Michel Pébereau. Nous proposons deux niveaux possibles de réponse. Le cas dont vous parlez est celui dans lequel les responsables de notre pays, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, considéreraient qu’il est souhaitable, pour faire face à la situation très difficile dans laquelle se trouve notre pays en matière de compétitivité, de proposer aux Français de travailler un peu plus pour la même rémunération pendant une période déterminée. C’est dans l’hypothèse où le législateur déciderait en effet de retenir une telle orientation que ceci a été imaginé.

M. Gérard Sebaoun, président. Je sais que l’information-consultation est un temps d’échange, mais celui-ci est assez formel. Ce qui est très important, c’est de voir si le formalisme est respecté par les partenaires. La négociation, c’est autre chose.

M. Laurent Bigorgne. Je me permets de vous renvoyer à la page 53 de notre rapport d’octobre 2014 qui détaille très précisément le dispositif. Nous entendons « permettre la décision unilatérale et mettre fin à l’obligation de négocier sur certains sujets relatifs à l’organisation du travail tels que : la mise en place d’astreintes ; l’aménagement du temps de travail sur l’année dans certaines conditions ; les équipes alternantes ou chevauchantes (hors horaires de nuit) ; la mise en place de comptes épargne-temps (certaines entreprises dont l’accord de branche ne prévoit pas de forfait jours et qui n’ont pas d’organisations syndicales ne peuvent pas les mettre en place aujourd’hui) ; la mise en place de forfait en jours, si la décision répond aux mêmes dispositions que l’accord collectif et ne déroge pas au maximum légal ». Les garde-fous que nous posons paraissent devoir être de nature à vous rassurer.

M. Michel Pébereau. J’insiste vraiment sur ce point.

Nous nous sommes efforcés d’être réalistes, c’est-à-dire de rechercher une solution au problème que connaît aujourd’hui notre pays. L’effort national pour essayer de sortir de cette difficulté est considérable au niveau des finances publiques, alors que nous traversons une période de gestion des finances publiques particulièrement difficile. C’est dans ce cadre, et avec des garde-fous très précis et rigoureux, que nous avons situé cette proposition, qui ne se voulait pas provocatrice, qui consiste à ce que les pouvoirs publics demandent aux Français de consentir un effort spécifique de courte durée pour rétablir dans certains secteurs et certaines entreprises un rapport de compétitivité plus favorable au travail des Français.

M. Gérard Sebaoun, président. Madame, messieurs, permettez-moi de vous remercier, au nom de la commission et du président Thierry Benoit, pour ces longs échanges.

L’audition s’achève à treize heures vingt-cinq.

Présences en réunion

Présents. - Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun

Excusé. - M. Damien Abad