Accueil > Travaux en commission > Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 26 septembre 2012

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

– Audition de M. Philippe Mills, directeur général de l’Agence France Trésor, et de MM. François Monier, conseiller - maître, et Philippe Ravalet, conseiller référendaire, à la Cour des comptes (Première chambre), sur la gestion de la dette de l’État

– Informations relatives à la Commission

– Présences en réunion

La Commission procède à l’audition de M. Philippe Mills, directeur général de l’Agence France Trésor, et de MM. François Monier, conseiller-maître, et Philippe Ravalet, conseiller référendaire, à la Cour des comptes (Première chambre), sur la gestion de la dette de l’État.

M. le président Gilles Carrez. Notre Commission a reçu copie d’un référé de la Cour des comptes consacré à la gestion de la dette de l’État par l’Agence France Trésor.

La charge annuelle de notre dette, si elle est encore contenue par les faibles taux d’intérêt dont bénéficie la France, n’en constitue pas moins le deuxième poste budgétaire de l’État. Si, en 2002, les intérêts de la dette s’élevaient à 37,9 milliards d’euros, leur évolution n’a pas été proportionnelle à celle de l’endettement : ils sont aujourd’hui de 48 milliards d’euros car nous avons bénéficié d’une baisse tendancielle due à l’euro et à la remarquable gestion active de la dette par l’Agence France Trésor.

Le référé de la Cour des comptes se limite à apprécier les modalités de gestion active de la dette ; il ne traite pas de la dette en général, de ses causes et de son évolution – tous problèmes que nous pourrons néanmoins aborder dans nos questions.

M. François Monier, conseiller-maître à la Cour des comptes. La Cour a conduit, en 2010 et 2011, une enquête sur la gestion de la dette par l’Agence France Trésor ; cette enquête prenait la suite d’une autre, qui avait porté sur la gestion de la trésorerie de l’État. Il s’agissait cette fois d’examiner la stratégie de gestion de la dette de l’État et sa mise en œuvre, ainsi que d’évaluer sa performance.

Cette enquête très approfondie a notamment porté sur les techniques d’émissions, sur l’organisation des séances d’adjudication, sur le fonctionnement du système informatique TELSAT, sur la stratégie de gestion, sur les relations entre l’Agence France Trésor et les spécialistes en valeur du trésor. L’appréciation de la Cour a été très largement positive ; nous avons toutefois émis quelques recommandations.

La Cour, je le rappelle, traite par ailleurs de la dette dans deux rapports annuels, l’un portant sur les résultats et la gestion budgétaire et l’autre sur la situation et les perspectives des finances publiques. En outre, nous publions régulièrement des notes d’exécution budgétaire.

M. Philippe Ravalet, conseiller référendaire à la Cour des comptes. L’objectif assigné à l’Agence France Trésor est de « couvrir le financement de l’État tout en minimisant sur la durée la charge de la dette pour le contribuable dans les meilleures conditions de sécurité possible » ; c’est là une approche assez classique au sein de la zone euro. L’Agence France Trésor adapte étroitement l’offre de titres à la demande des investisseurs, grâce notamment à l’appui d’une vingtaine de banques dites « spécialistes en valeur du trésor »
– SVT.

Cette politique active est rendue nécessaire non seulement par l’ampleur de nos besoins de financement – environ 180 milliards d’euros par an –, mais aussi par la concurrence accrue entre différents émetteurs, souverains, publics ou privés.

La sécurisation du financement de l’État constitue un impératif pour l’Agence France Trésor : il est essentiel de garantir l’accès au marché et de s’assurer de l’existence d’une demande suffisante lors des séances d’adjudication qui sont très régulièrement organisées.

Comme en attestent les indicateurs de performance du programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l’État », l’Agence a jusqu’ici toujours réussi à exécuter le programme fixé en loi de finances initiale ; la demande a même toujours été soutenue.

En s’abstenant de proposer des titres dont les investisseurs ne voudraient pas, ou pas dans la quantité proposée, l’Agence s’assure que, le jour de l’adjudication, le prix payé pour financer l’État est le plus faible possible. À notre sens, cela ne suffit pas tout à fait, en théorie du moins, pour garantir que la charge de la dette soit minimisée à long terme. Imaginons – de façon certes caricaturale – que les investisseurs privilégient, à un moment donné, les placements à court terme : n’émettre alors que des titres dont la maturité serait inférieure à un an accroîtrait le risque de refinancement, lui-même susceptible d’augmenter la charge d’intérêt à moyen et à long terme.

L’Agence peut également, lorsque les conditions du marché le permettent, diminuer la durée de vie moyenne de la dette grâce à des contrats d’échange de taux, les swaps. Le programme de swaps lancé au mois d’octobre 2001 a toutefois été suspendu dès l’année suivante, et n’a pas été réactivé.

La gestion de la dette de l’État par l’Agence France Trésor ne procède pas d’un arbitrage entre coût et risque : elle ne repose pas sur un contrôle a priori du risque budgétaire. Les États-Unis et le Royaume-Uni adoptent une approche similaire ; d’autres pays ont mis en place des objectifs de contrôle du risque mais, il faut le souligner, l’ampleur de leur dette est le plus souvent bien moindre que celle de la France. Cette procédure permet de ne pas orienter les émissions en fonction d’un objectif retenu a priori, donc de conserver une certaine neutralité du gestionnaire, dont le marché ne peut pas anticiper le choix. Elle présente en revanche l’inconvénient de ne pas encadrer le risque pour l’évolution ultérieure de la charge budgétaire de la dette de l’État.

Il faut souligner que le choix d’une limite serait très largement arbitraire : l’État devrait simplement choisir le niveau de risque qu’il est prêt à accepter.

La Cour ne recommande pas la fixation d’objectifs ou de limites en matière de contrôle du risque budgétaire. L’Agence France Trésor fournit de très nombreuses informations ; notre contrôle a montré le niveau élevé de transparence de l’Agence en ce domaine. La Cour suggère néanmoins d’élargir l’éventail des indicateurs de suivi, en fournissant par exemple des informations relatives au risque de refinancement ou aux écarts d’adjudication. Elle souligne qu’il serait intéressant d’intégrer dans le rapport annuel de performance de la mission « Engagements financiers de l’État » une analyse de la sensibilité de la charge de la dette à l’évolution de l’inflation.

Nous avons d’ailleurs déjà souligné la grande volatilité de la charge de la dette indexée en cas de brusques variations de l’inflation : elle représentait en effet 7,5 milliards d’euros en 2011, contre seulement 3,6 milliards d’euros en 2009.

L’Agence France Trésor a été précurseur dans l’émission d’emprunts d’État indexés sur l’inflation, d’abord française, puis européenne ; à la fin de l’année 2011, ces emprunts indexés représentaient 12,6 % du stock total de la dette. L’importance de ce programme nous semble justifier l’établissement d’un bilan a posteriori, au fur et à mesure que ces obligations viennent à échéance.

L’organisation matérielle des séances d’adjudication est assurée par la Banque de France, grâce au système informatique TELSAT. Les acteurs concernés, et en premier lieu les SVT, estiment que ce processus fonctionne correctement. Nous avons simplement suggéré que la contractualisation entre l’État et la Banque de France soit un peu mieux formalisée qu’elle ne l’est aujourd’hui ; nous avons également suggéré quelques améliorations techniques de TELSAT.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Confirmez-vous que les obligations indexées sur l’inflation ont entraîné 1 milliard d’euros de dépenses supplémentaires en 2011 et 700 millions d’euros en 2012 ? Si ces chiffres sont exacts, le bilan a posteriori que demande la Cour des comptes paraît nécessaire. Est-il en cours ?

La charge de la dette publique est, semble-t-il, en recul : elle était estimée à 48,7 milliards d’euros en loi de finances initiale, mais ne s’élèverait finalement qu’à 46,6 milliards. La loi de finances rectificative a déjà pris acte d’une baisse de 1,4 milliard d’euros ; il resterait donc une différence substantielle. Confirmez-vous ces chiffres ?

M. Draghi a annoncé un programme illimité de rachat de dette des États de la zone euro sur le marché secondaire. Quelles peuvent être les conséquences d’une telle intervention, notamment pour les nouvelles émissions de dette ?

Enfin, la loi de programmation des finances publiques pour 2011 à 2014 prévoyait une augmentation annuelle de 4 à 5 milliards d’euros de la charge de la dette. Ce chiffre est-il toujours d’actualité pour 2013 ?

M. Dominique Lefebvre, rapporteur spécial de la mission «  Engagements financiers de l’État ». La Cour ne propose donc pas de contrôle a priori du risque budgétaire. L’Agence France Trésor considère que sa mission première est de minimiser le coût des adjudications ; pour le reste, elle renvoie à la possibilité de contrats de swaps, mais ceux-ci n’ont pas été utilisés depuis dix ans. Cela ne pose-t-il pas un problème pour la maîtrise du risque budgétaire à moyen terme ?

Dans sa réponse au référé, le ministre de l’économie indiquait qu’il voyait favorablement les recommandations de la Cour, notamment sur le suivi du coût des obligations indexées et sur la convention qui lie l’Agence France Trésor à la Banque de France. Des modifications sont-elles déjà intervenues ?

L’élargissement de la base des investisseurs permettrait notamment de diluer les risques pesant sur notre souveraineté. Près de 65 % de la dette française est aujourd’hui détenue par des non-résidents, sans que l’on connaisse la nationalité de ceux-ci. Peut-on espérer des données plus précises afin, le cas échéant, de mieux mesurer ce risque sur la souveraineté ?

Enfin, nous bénéficions actuellement sur les marchés de taux très faibles, voire négatifs. Un retournement de situation est-il envisageable ?

M. Philippe Mills, directeur général de l’Agence France Trésor. S’agissant de l’observation relative au risque budgétaire, il faut distinguer le risque de refinancement, c’est-à-dire un risque pour l’accès au marché, du risque de hausse des taux.

Aucun grand pays de l’OCDE, je le souligne, n’a mis en place de contrôle budgétaire a priori au sens défini par la Cour. Seuls des États dont les volumes de dette sont infiniment moins importants que ceux constatés en France l’utilisent. C’est ainsi le cas de la Suède, dont la dette représente un tiers du PIB, soit 125 milliards d’euros, à comparer à 1 380 milliards d’euros de dette française. Le programme d’émissions de la dette suédoise représente environ 14 milliards d’euros par an, contre de l’ordre de 180 milliards d’euros pour la dette française. Les ordres de grandeur ne sont donc pas du tout les mêmes.

Nous avons d’ores et déjà des moyens de contrôler le risque de refinancement – moyens que nous utilisons plus que la plupart de nos homologues européens. Nous pouvons ainsi procéder à des opérations de rachat par anticipation, ce qui permet notamment de lisser la charge d’amortissement sur plusieurs années, et d’éviter les à-coups dans le volume d’émissions. Le volume d’émissions et le déficit budgétaire lui-même évoluent ainsi de façon aussi similaire que possible. Cela permet d’assurer la régularité et la prévisibilité de notre accès au marché : en 2010, nous avons racheté pour plus de 22 milliards d’euros de dette, et en 2011 pour plus de 23 milliards. Nous pouvons également échanger des titres entre différents points de la dette française.

Quant au risque de taux, il faut savoir que l’essentiel de la dette française est émise à taux fixe : une hausse des taux ne se diffuserait donc que très progressivement. Une évolution brutale des taux d’intérêt menacerait donc surtout les titres émis à court terme, que nous utilisons pour gérer les chocs économiques et financiers – nous y avons beaucoup recouru par exemple en 2008 et 2009. Mais s’ils représentaient plus de 18 % de notre dette en 2009, ils n’en représentent plus aujourd’hui que 12 %. C’est le reflet non seulement de l’évolution du déficit, mais bien de notre volontarisme – nous avons notamment agi sur la gestion de la trésorerie des correspondants du Trésor.

S’agissant des obligations indexées, nous avons constaté que les titres indexés arrivés à échéance nous avaient permis de gagner environ vingt points de base par rapport aux obligations nominales émises au même moment et de même maturité : en effet, ils protègent ceux qui les souscrivent des risques d’inflation, et les investisseurs sont prêts à rémunérer cette garantie. De plus, ces titres permettent d’accroître la diversité de la base des investisseurs, donc de diminuer la pression sur les obligations nominales, ainsi vendues dans des conditions plus favorables pour le contribuable français.

Le montant émis oscille autour de 10 % des émissions nettes depuis le début de la crise en 2008. Ce chiffre n’est pas arbitraire : il résulte d’une modélisation réalisée par l’Agence France Trésor, qui prend notamment en considération le caractère contracyclique de cette charge d’intérêt. On a vu notamment en 2009 les effets de ce lissage de la charge d’intérêt : cette année-là, nous avons ainsi économisé 2,1 milliards d’euros, puisque les prévisions d’inflation étaient beaucoup plus élevées que l’inflation qui s’est réalisée.

M. le rapporteur général. Confirmez-vous les chiffres que je donnais tout à l’heure, selon lesquels la charge d’intérêt aurait été supérieure aux prévisions en 2011 et 2012 ?

M. Philippe Mills. La prévision d’inflation est un exercice difficile : la provision d’indexation peut donc évoluer. Mais dans l’ensemble, je le disais, nous en avons grandement bénéficié.

M. le président Gilles Carrez. En 2009, les économies réalisées avaient permis d’augmenter les budgets consacrés à l’emploi et à la solidarité.

M. Henri Emmanuelli. Pendant de longues années, le Trésor s’est battu – à raison sans doute – pour que les salaires cessent d’être indexés sur l’inflation. Aujourd’hui, on réinvente l’indexation, cette fois pour les revenus de l’épargne : ce changement ne pose-t-il pas problème ?

M. Philippe Mills. Les obligations indexées nous permettent d’obtenir de meilleurs coûts, à moyen terme. Ce n’est d’ailleurs pas une spécialité française.

Mme Valérie Rabault. La France n’est-elle pas le pays qui les utilise le plus ?

M. Philippe Mills. Non. Le plus grand utilisateur, c’est le Royaume-Uni : les obligations indexées constituent 25 % du stock de sa dette. Viennent ensuite la Suède, avec 22 %, la France et les États-Unis, avec 12 %, l’Italie, avec 10 %. Seule l’Allemagne se situe nettement en dessous, mais elle a lancé son propre programme beaucoup plus tard. Tous les grands pays de la zone OCDE utilisent aujourd’hui ces titres.

Mme Sandrine Mazetier. Qui sont les investisseurs intéressés par les obligations indexées ?

M. Philippe Mills. Il faut distinguer les obligations indexées sur l’inflation française de celles indexées sur l’inflation européenne. Les premières intéressent en majorité des Français – des banques commerciales, et la Caisse des dépôts, qui se couvrent ainsi contre le risque d’inflation encouru soit par le livret A, soit par les livrets bancaires. Les secondes sont principalement souscrites par des non-résidents, notamment des fonds de pension d’Europe du nord qui se voient assigner des objectifs en termes de rendement réel, et doivent donc se couvrir contre le risque d’inflation. La demande des fonds de pension néerlandais est par exemple assez forte – les Pays-Bas, en raison de la faiblesse de leur dette, ne proposent en effet pas d’obligations indexées à ces fonds de pension.

M. Alain Fauré. Le risque budgétaire à moyen terme n’est-il pas énorme ? Certains organismes, qui souscrivent aujourd’hui ces obligations, ne pensent-ils pas réaliser par ce biais d’importants bénéfices à l’avenir ?

M. Philippe Mills. C’est la question de la crédibilité de la Banque centrale européenne. Celle-ci a aujourd’hui un objectif d’inflation de 2 % : si elle le maintient – ce qu’elle a toujours fait –, le risque est inexistant. Nos calculs montrent qu’il faudrait un quart, voire un demi-point d’inflation supplémentaire pour qu’un portefeuille d’obligations indexées devienne légèrement moins intéressant que le portefeuille nominal équivalent. Et ce calcul minore l’intérêt des obligations indexées, dont il ne faut pas oublier qu’elles permettent d’élargir la base des investisseurs : en les proposant, nous faisons aussi baisser le prix que nous payons pour notre dette en obligations nominales. Nous restons néanmoins très prudents. Nos calculs montrent qu’il est souhaitable que 10 % à 20 % de notre stock de dette soit constitué d’obligations indexées : nous restons, vous le voyez, dans le bas de cette fourchette.

Mme Valérie Rabault. Existe-t-il des programmes de swaps pour les obligations indexées ?

M. Philippe Mills. Non. Ces programmes sont très encadrés, et très régulièrement contrôlés. Nous réalisons des études tous les ans sur ce sujet, mais un éventuel programme devrait de toute façon être validé par l’organisme d’audit comme par la Cour des comptes. Je note d’ailleurs que c’est là un degré de contrôle que d’autres agences de gestion de la dette n’atteignent pas.

M. Charles de Courson. Votre recherche opérationnelle destinée à calculer la proportion optimale d’obligations indexées est, j’imagine, largement faite en simulant ce qu’aurait donné telle ou telle stratégie dans les conditions des années passées – en regardant dans le rétroviseur en quelque sorte. N’est-il pas difficile d’interpréter ces résultats ?

M. Philippe Mills. Nous pouvons en tout cas calculer que, pour le portefeuille d’obligations indexées aujourd’hui existant, jusqu’à la fin de leur durée de vie, il faudrait que les conditions d’inflation soient supérieures de 25 à 50 points de base par rapport aux 2 % constatés de la BCE pour que les conditions deviennent neutres, et même légèrement défavorables, par rapport à un portefeuille comparable d’obligations nominales. Encore une fois, cela revient à poser la question de la crédibilité de la BCE.

M. Henri Emmanuelli. Elle bouge dans ses conceptions, la BCE !

M. Philippe Mills. Mais elle n’a pas bougé en termes de mandat !

S’agissant de la charge de la dette, monsieur le rapporteur général, je n’ai pas l’autorisation de vous donner le chiffre précis, car vous devez auditionner vendredi les ministres, M. Moscovici et M. Cahuzac. Je peux néanmoins vous dire que la charge d’intérêt était de 48,8 milliards d’euros en loi de finances initiale, que 47,4 milliards d’euros ont été inscrits en loi de finances rectificative et que la charge de la dette de l’année 2012 sera certainement inférieure à 47 milliards d’euros. La charge d’intérêt 2013 augmentera peu par rapport à ce chiffre 2012 révisé. Elle sera inférieure à la charge initiale prévue en loi de finances 2012, qui était de 48,8 milliards, et se situera aussi aux alentours de 47 milliards d’euros. En effet, nous sommes toujours prudents dans les prévisions de taux d’intérêt associées aux lois de finances et, alors qu’une remontée des taux courts était inscrite pour l’été 2011, c’est l’inverse qui s’est produit en raison du changement de politique de la Banque centrale européenne. Les conditions d’émission sur les titres courts, les BTF, sont devenues exceptionnelles. Alors que nous avions prévu, dans le projet de loi de finances pour 2012, un taux moyen de 1,4 % sur trois mois pour les BTF, ce taux est aujourd’hui de six points de base, soit 0,06 %. Nous économisons de ce fait des milliards d’euros sur la charge de titres à court terme.

S’agissant de la charge d’intérêt 2013, il est inscrit, par précaution, une remontée progressive des taux courts. Nous faisons aussi remonter les taux longs à dix ans, mais les bénéfices des taux longs plus bas que prévus de l’année 2012 se verront évidemment pleinement à partir de l’année 2013. Vous avez à juste titre fait remarquer que la loi de programmation de l’automne 2010 prévoyait une augmentation de 4 à 5 milliards d’euros de la charge d’intérêt. En fait, cette marge de progression sera plutôt de 2 à 3 milliards d’euros par an car les conditions actuelles de financement, qui sont favorables, se diffusent progressivement dans la charge d’intérêt et, même si nous faisons augmenter les taux tout au long de la période, l’écart entre les taux élevés des emprunts arrivant à échéance et les taux que nous allons émettre s’accroît. C’est l’un des avantages d’être bien noté et bien considéré par les marchés. Et ce bénéfice s’accroît de manière notable au fur et à mesure que le temps passe ! En témoigne l’écart de près de 8 milliards entre la charge d’intérêt prévue pour 2013 dans la loi de programmation de 2010 et celle qui sera constatée.

Quant aux annonces de M. Draghi, elles sont incontestablement bénéfiques car elles aident à stabiliser les marchés de la dette pour les pays considérés comme fragiles – Italie et Espagne. Elles présentent, aux yeux des opérateurs des marchés financiers, trois aspects positifs : le caractère illimité, ex ante, potentiel de ces achats d’obligations de dette ; leur caractère pari passu ; les conditions en matière de collatéral, c’est-à-dire de titres pris pour les opérations de repo à la Banque centrale européenne, qui sont complètement relâchées et ne sont notamment plus du tout liées à un certain niveau de notation d’agences. Ce mouvement de la Banque centrale européenne est donc apprécié de façon très positive, mais une telle appréciation évoluera en fonction de la façon dont certains pays utiliseront ces possibilités – la patience des marchés financiers a des limites.

Nous travaillons de manière systématique à l’élargissement de la base des investisseurs, monsieur le rapporteur spécial. Nous sommes l’une des agences de la dette qui rencontre le plus d’investisseurs. L’année dernière, nous avons ainsi visité trente-huit pays et vu plus de 100 investisseurs– nous avons fait une vingtaine de roadshows. Des investisseurs viennent aussi nous voir à Paris, ou nous téléphonent, et nous participons à une vingtaine de manifestations organisées par des banques ou des associations financières. Nous avons donc énormément de contacts directs avec les investisseurs et nous choisissons à chaque occasion des pays nouveaux. Par exemple, nous sommes allés, en 2010, dans des pays d’Amérique latine qui n’avaient pas encore reçu la visite de l’Agence France Trésor et, en 2011, dans des pays d’Asie centrale. Nous continuons à contacter des pays nouveaux et, dans les pays connus, des émetteurs potentiels nouveaux, notamment pour tenir compte de l’enrichissement des pays émergents.

M. le rapporteur spécial. Nous en sommes à 65 % d’investisseurs non résidents. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur la façon dont ils se répartissent ?

M. Christophe Castaner. Notre dette est aujourd’hui détenue à 37 % par la France, contre 85 % il y a une dizaine d’années. Cela peut nous amener à nous interroger sur notre souveraineté nationale ! Par ailleurs, nous ne maîtrisons pas forcément la dette dans la durée. Le marché à terme sur les emprunts d’État qui s’est ouvert en avril, en particulier en Allemagne, fait notamment peser un vrai risque de spéculation sur notre propre dette et pose même la question de notre souveraineté. L’Agence France Trésor compte-t-elle maîtriser ce risque ?

M. Pascal Terrasse.  Nous nous posons en effet la question de la valeur des obligations souveraines étrangères dans le portefeuille global, mais c’est une responsabilité qui incombe plutôt aux agences des dettes souveraines. Y a-t-il une relation entre celles-ci et L’Agence France Trésor ?

Mme Valérie Rabault. Le site du Trésor américain donne des précisions sur la nationalité des détenteurs de dette souveraine américaine. Pourquoi ne peut-on obtenir de telles précisions sur le site de l’Agence France Trésor ?

M. Philippe Mills. Des précautions s’imposent quant à la distinction entre résidents et non-résidents. De l’épargne française est en effet gérée par des fonds monétaires à Luxembourg et par des gestionnaires d’actifs à Londres, qui sont considérés comme non-résidents. Ensuite, dans la zone euro, les conditions objectives de décision des investisseurs sont semblables – le principal critère de différenciation est celui du taux de change. Outre la distinction sommaire entre résidents et non-résidents issue des statistiques de la balance des paiements de la Banque de France, certaines études du FMI font la différence entre les non-résidents appartenant à la zone euro et les autres. Nous arrivons ainsi au résultat suivant : un tiers d’investisseurs français, un tiers d’investisseurs de la zone euro et un tiers qui ne sont pas de la zone euro.

S’agissant de la souveraineté, mon rôle est d’assurer la plus grande sécurité des adjudications françaises. Pour cela, il faut que la base d’investisseurs soit diversifiée et que le comportement des investisseurs ayant de la dette française soit le plus prévisible et le plus à long terme possible. Or, parmi les investisseurs répondant à ce critère, il y a une part notable de non-résidents. Nous l’avons bien vu à l’automne dernier lors de la période de tension sur les dettes européennes : au premier rang des investisseurs les plus constants sur la dette française se trouvaient les banques centrales ou les fonds souverains de certains grands pays émergents ; au deuxième rang, il y avait les investisseurs domestiques, français, et, en dernier, l’on trouvait certains investisseurs européens, de la zone euro ou en dehors. Cette répartition entre résidents et non-résidents, de la zone euro ou en dehors, est donc un important facteur de stabilité de la dette française. Pour des raisons de sécurité, les non-résidents – banques centrales, fonds souverains – investissent à terme et ont parfois une majorité de leur portefeuille qui n’est pas soumise à des valeurs de marché. Ils ont donc toutes les caractéristiques d’investisseurs de long terme et sont extrêmement stables. Ils ont permis d’assurer une plus grande stabilité de la dette française à l’automne 2011 lorsque le marché financier était volatile. Et c’est bien leur absence qui a généré les problèmes que nous connaissons pour les dettes italienne et espagnole.

Quant aux informations données par les États-Unis, ce ne sont que des estimations, des ordres de grandeur qu’il faut prendre avec beaucoup de précaution. La législation actuelle ne nous permet pas d’avoir plus de détails sur les détenteurs de titres de dette française. Et c’est le cas de tous les pays de l’OCDE, à l’exception des États-Unis. Par ailleurs, de tels détails sont d’autant plus difficiles à obtenir que la dette française est très liquide. Le volume de flux quotidiens sur la dette de l’État français est en effet de 10 à 12 milliards d’euros par jour, et il est de 20 milliards par jour pour la dette allemande.

Si les conditions de financement sont aujourd’hui aussi favorables, c’est pour des raisons européennes et françaises. Les raisons européennes tiennent aux décisions prises par l’ensemble des gouvernements européens en matière d’amélioration de la gouvernance de la zone euro et par la Banque centrale notamment sur les trois prêts à trois ans pour le système bancaire. Quant aux raisons françaises, elles tiennent à la manière dont les banques françaises ont réagi face à leur fragilité en termes de financement en dollars de l’été 2011 : elles ont réduit leur exposition en la matière, avancé leur financement à moyen et long terme, et ont connu l’impact de la sécurité des opérations de la BCE. Cela a fait disparaître une importante source d’inquiétude sur la dette française, qui aurait pu se propager par contagion. Les dernières raisons qui expliquent les actuelles conditions de financement sont les annonces très claires qui ont été faites par les autorités publiques françaises sur la réduction des déficits publics.

Je précise que les gens qui ont évoqué, au premier trimestre de l’année 2012, un risque d’attaque de la dette française ne connaissent rien à la gestion de la dette et aux raisons qui motivent les choix des investisseurs. Je ne dis pas que ce qui s’est passé était prévisible
– le résultat sur les taux d’intérêt a été meilleur que celui attendu du fait notamment des décisions de la Banque centrale européenne –, mais si la grande majorité des investisseurs a observé un certain attentisme, elle n’a jamais manifesté de défiance à l’égard de la dette française, ce qui est à l’honneur de notre pays. Je dis cela car certains commentateurs relancent aujourd’hui ce sujet pour différentes raisons, européennes notamment. Il y a, en la matière, un important problème d’asymétrie de l’information. La très grande majorité des investisseurs qui parlent aux journaux sont de petite taille, voire de très petite taille, avec une minorité d’exposition à la dette publique. Les grands investisseurs sur la dette publique
– grandes banques centrales, grands fonds souverains, grands fonds de pensions, grandes compagnies d’assurance – ne parlent quasiment jamais à la presse. Il est important que la représentation nationale ait conscience de l’écart qui existe entre le bruit médiatique produit par certains commentateurs et la réalité de l’analyse de la grande majorité des investisseurs sur la dette française, américaine, britannique ou allemande. Les seules exceptions en la matière proviennent de quelques grands gestionnaires d’actifs américains ou britanniques.

M. Charles de Courson. Pourquoi ne fait-on plus appel à l’emprunt perpétuel ? Par ailleurs, ne serait-il pas possible de prévoir des provisions pour risque sur la dette afin d’éviter le mouvement de yo-yo que connaissent les crédits budgétaires ? Le directeur général de l’Agence France Trésor et ses collaborateurs sont-ils intéressés à la réalisation des objectifs ? Enfin, l’État estime qu’il est moins coûteux d’être son propre assureur, mais ne pourrait-on pas recourir à un système de couverture à terme des changes ne serait-ce que sur une partie de la dette, en particulier en cas de dette extra-communautaire ?

Mme Valérie Rabault.  J’aimerais savoir, monsieur Mills, ce que vous disent les investisseurs que vous rencontrez à l’occasion des roadshows auxquels vous procédez pour vendre la dette française. Par ailleurs, utilisez-vous les CDS dans le cadre de la gestion active de la dette dont vous nous avez parlé ?

M. Philippe Mills. Monsieur de Courson, il n’existe aucune espèce de prime d’intéressement ni pour le directeur général ni pour aucun des agents de l’Agence France Trésor. Nous sommes tous des fonctionnaires ou des agents de droit public et nous sommes rémunérés aux conditions normales en la matière. Une évaluation annuelle est réalisée, pour ce qui me concerne par Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, mais je suis payé comme un chef de service du Trésor, ni plus ni moins.

Par ailleurs, nous procédons à des émissions de dette de très longue durée – à cinquante ans pour la zone euro –, mais aucune niche de marché n’est aujourd’hui intéressée par un emprunt perpétuel, sans doute en raison du souvenir laissé par l’inflation qui s’est développée pendant plusieurs générations.

Pour l’instant, nous n’avons pas à nous couvrir car nous ne procédons qu’à des émissions en euros. Si nous en réalisions en d’autres monnaies, nous ferions bien sûr automatiquement des swaps pour remettre en euros les emprunts ainsi effectués.

Madame Rabault, nous n’utilisons pas les CDS. En revanche, nous avons récemment demandé un rapport mensuel sur ce sujet à nos vingt banques SVT. C’est un marché très imparfait, très illiquide, qui est assez peu lié à la perception des risques sur l’État français et qui dépend plutôt de la manière dont sont considérées les banques françaises. Ce marché n’a jamais été défendu par l’Agence France Trésor, et notamment par moi, ni d’ailleurs par aucun responsable d’agence de la dette dans aucun des pays de l’OCDE, à part peut-être quelques exceptions nordiques.

Quant aux investisseurs, ils adoptent des attitudes extrêmement variées. Certains ont des doutes de nature structurelle sur la France. D’autres ont une attitude neutre, voire plutôt positive. Et d’autres encore sont intéressés avant tout par le contexte européen : pour eux la France est un pays fiable dans la mesure où c’est, avec l’Allemagne, l’un des deux piliers de la zone euro.

Enfin, nous prévoyons chaque année une provision pour indexation et nous essayons de prendre une provision pour prudence. Les évolutions de taux retenues pour l’élaboration de la charge de la dette en 2013 sont ainsi légèrement supérieures tant au taux forward que l’on peut aujourd’hui extraire des marchés qu’à celui donné par le consensus des économistes.

*

* *

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

– M. Guillaume Bachelay, rapporteur spécial des Participations financières de l’État ;

– M. Gérard Terrier, rapporteur spécial de la mission Anciens combattants ;

– M. Jean-Marie Beffara, rapporteur spécial de la mission Médias.

*

* *

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 26 septembre 2012 à 14 h 45

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, M. Xavier Bertrand, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Alain Fauré, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, M. Régis Juanico, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean Lassalle, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, M. Thierry Mandon, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre-Alain Muet, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Alain Rodet, M. Pascal Terrasse, M. Thomas Thévenoud, M. Michel Vergnier

Excusés. - M. Olivier Faure, M. Thierry Robert

——fpfp——