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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 3 juin 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 80

Présidence de M. Dominique Baert,
Vice-Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du Budget, sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2013

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du Budget, sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2013.

M. Dominique Baert, président. Mercredi dernier, nous avons commencé nos travaux sur le règlement des comptes de 2013 en auditionnant M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques. Il nous a successivement présenté les rapports de la Cour sur la certification des comptes et sur les résultats de la gestion budgétaire de 2013, puis l’avis du Haut Conseil sur le respect de la trajectoire de solde structurel des administrations publiques.

Le même jour, le Conseil des ministres a adopté le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2013. J’indique que le bureau de la Commission a décidé de procéder, dans le cadre de l’examen de ce texte, à l’audition de responsables de programmes relevant de deux missions, Logement et Défense.

D’ici là, nous poursuivons nos travaux en accueillant aujourd’hui M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du Budget, qui vient nous présenter le projet de loi de règlement pour 2013.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. La présentation du projet de loi de règlement pour 2013 ouvre une période de plusieurs semaines au cours de laquelle nous aurons le plaisir d’échanger et de débattre à de multiples occasions sur les questions budgétaires.

Le projet de loi de finances rectificative sera déposé par le Gouvernement le 11 juin prochain : il actualisera les prévisions de recettes et de dépenses de l’État pour 2014 ainsi que la prévision de déficit public fixée par l’article liminaire. Ensuite, le débat d’orientation des finances publiques sera l’occasion d’un nouvel échange sur les perspectives budgétaires pour les années à venir.

Avant ces échéances, et conformément au principe de chaînage vertueux mis en place par les concepteurs de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF –, nous nous intéressons aujourd’hui à l’évolution budgétaire constatée en 2013 et plus généralement aux comptes 2013 de l’État.

Je vous livre quelques résultats sur lesquels je ne doute pas que nous pourrons nous accorder. Les efforts consentis par nos concitoyens payent : le déficit public est passé de 4,9 % du PIB en 2012 à 4,3 % en 2013 ; le déficit de l’État a baissé de 87,1 milliards d’euros en 2012 à 74,9 milliards d’euros en 2013, soit une diminution de 12,2 milliards d’euros. Cette amélioration du déficit intervient alors que la croissance est faible, limitée à 0,3 %. En conséquence, la diminution du déficit structurel est nettement plus marquée, elle atteint 1,1 % du PIB. Fin 2013, le déficit structurel a été ramené à 3,1 % du PIB, soit quasiment le plus bas niveau, avec l’année 2006, depuis 2002. En d’autres termes, au 31 décembre 2013, les déséquilibres budgétaires accumulés pendant une décennie ont été corrigés.

S’agissant de la dépense, quelques chiffres d’exécution permettent de démontrer que celle-ci est parfaitement tenue, grâce à un effort très important. La croissance de la dépense publique en valeur a été limitée à 2 %, soit le plus bas niveau depuis 1998.

Les dépenses nettes du budget général de l’État sur le périmètre dit « zéro valeur », c’est-à-dire y compris prélèvements sur recettes et hors charge de la dette et pensions, ont été inférieures de 144 millions d’euros au montant fixé par l’autorisation parlementaire ; si l’on y ajoute la charge de la dette et les pensions, la sous-exécution est de 3,5 milliards d’euros sur le périmètre dit « zéro volume ».

Je souhaite répondre par anticipation à deux objections.

La maîtrise de la dépense est confirmée, y compris en incluant les dépenses exceptionnelles : sur ce périmètre élargi, qui couvre donc toutes les charges du budget général – dépenses nettes et prélèvements sur recettes –, la dépense n’augmente que de 2,2 milliards d’euros en 2013. Cette augmentation est intégralement due à la forte croissance, de 3,4 milliards d’euros, du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, dont 1,8 milliard d’euros résultent de l’apurement de dettes accumulées sur le budget communautaire depuis 2007. Sans cette forte hausse du prélèvement sur recettes, les dépenses de l’État auraient diminué en 2013 par rapport à 2012.

Seconde objection que j’anticipe : les résultats satisfaisants en matière de maîtrise de la dépense seraient dus à la modération des taux d’intérêt auxquels l’État emprunte. C’est incontestable, les taux d’intérêt sont demeurés à un niveau particulièrement bas en 2013 : la charge de la dette en témoigne, puisqu’elle a été inférieure de 2 milliards d’euros à la prévision. Toutefois, cette évolution des taux n’est pas un facteur exogène, elle ne tombe pas du ciel ; elle est le signe de la confiance des créanciers de l’État dans sa signature et donc dans la politique économique et budgétaire menée par le Gouvernement et la majorité depuis 2012. Enfin, sur le périmètre des dépenses « zéro valeur », la dépense est également tenue en deçà de l’autorisation parlementaire.

Tous ces éléments d’exécution confirment que la dépense publique en général et la dépense de l’État en particulier ont été maîtrisées en 2013. La Cour des comptes ne dit pas autre chose dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire.

S’agissant des recettes de l’État, j’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt de l’audition, la semaine dernière, de M. Didier Migaud au cours de laquelle cette question a été au cœur des débats.

Premier constat : les recettes fiscales nettes de l’État ont augmenté de 15,6 milliards d’euros en 2013 par rapport à 2012. Cette hausse est due aux mesures adoptées dans le cadre de la loi de finances rectificative de juillet 2012, puis de la loi de finances pour 2013. Ces mesures n’étaient pas seulement justifiées par des considérations budgétaires mais aussi par la volonté du Gouvernement et de la majorité de rétablir la progressivité du système fiscal, qui avait été fortement entamée pendant dix ans.

Je veux rappeler quelques-unes de ces mesures : d’une part, celles relatives à l’impôt sur la fortune – ISF – ainsi qu’aux droits de succession et de donation, l’instauration de la tranche d’impôt sur le revenu à 45 %, l’imposition des revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu ; d’autre part, la limitation des reports de déficit et de la déductibilité des charges financières dont bénéficient les grandes entreprises.

Chacun peut en convenir, l’amélioration de la situation des finances publiques n’est pas aussi nette que ce que nous escomptions. Mais cet écart est dû d’abord et surtout à la différence entre la prévision et l’exécution des recettes fiscales, dont la première raison est une croissance moins forte qu’anticipé. Je rappelle quelques faits : la prévision de recettes fiscales nettes de la loi de finances pour 2013 était de 298,6 milliards d’euros ; cette prévision a été revue à 290,4 milliards d’euros, en avril, à l’occasion du programme de stabilité, puis à 287,8 milliards lors du dépôt du projet de loi de finances – PLF – 2014. Elle est demeurée quasiment inchangée en loi de finances rectificative – LFR – de fin d’année, à 287,5 milliards d’euros.

In fine, l’exécution ressort à 284 milliards d’euros, soit un écart de 14,6 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale – LFI –, et de 3,7 milliards par rapport à la dernière prévision de loi de finances.

Les écarts entre prévision et exécution ne sont pas contestables. Ils ne sont toutefois pas sans précédent. En 2008, l’écart entre la prévision de recettes fiscales nettes de la LFI et l’exécution a été de 11,8 milliards d’euros ; en 2009, il a atteint 45,2 milliards d’euros, soit trois fois plus que pour 2013. Pour quelle raison de tels écarts ont-ils été constatés en 2008 et 2009, puis en 2013 ? Pour une seule et même raison : le retournement de la conjoncture économique. En 2007, la croissance du PIB a atteint 2,4 %, puis le cycle s’est retourné : la croissance a ralenti à 0,2 % en 2008 pour devenir négative en 2009. En 2011, elle s’est élevée à 2,1 %, puis a chuté à 0,3 % en 2012, pour stagner au même niveau en 2013.

L’explication de l’écart constaté en 2013 est donc la même que pour les écarts observés en 2008 et 2009 : le retournement de la conjoncture économique. Le référé de la Cour des comptes sur les prévisions de recettes fiscales publié en mars dernier le confirme : les écarts, à la baisse ou à la hausse, entre prévision et exécution de recettes correspondent à des périodes de ralentissement ou d’accélération de la croissance.

La Cour des comptes a elle-même sous-estimé les moins-values de recettes dans ses prévisions. Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2013, elle estimait que, sur la base d’une croissance du PIB de 0,1 %, les risques de moins-values de recettes fiscales par rapport à la prévision du programme de stabilité étaient compris entre 0 et 4 milliards d’euros. La croissance a finalement atteint 0,3 % et, en dépit de cette activité plus soutenue, la moins-value constatée par rapport à la prévision du programme de stabilité a atteint 6 milliards d’euros, soit moitié plus que la prévision la plus pessimiste de la Cour.

Pour conclure sur cette question, je souhaite contester formellement les doutes sur la sincérité de la prévision. La sincérité ne s’apprécie pas au regard de l’écart entre la prévision et l’exécution, sans quoi le budget 2009 serait sans doute le plus insincère de l’histoire. Elle est une notion juridique précisément définie : l’article 32 de la LOLF dispose que la sincérité s’apprécie « compte tenu des informations disponibles ». La prévision de la LFI a été fixée compte tenu des informations disponibles à l’automne 2012, puis actualisée tout au long de l’année pour prendre en compte les informations nouvelles : d’abord lors du programme de stabilité, pour intégrer l’effet base découlant de l’exécution 2012 moins bonne que prévu ; ensuite à l’occasion du dépôt du PLF 2014, pour prendre en compte les résultats de l’acompte de juin d’impôt sur les sociétés et les premières émissions d’impôt sur le revenu ; enfin, en LFR de fin d’année, pour intégrer les informations obtenues par les premières régularisations d’impôt sur le revenu. J’ajoute que le Conseil constitutionnel, saisi du grief d’insincérité par les sénateurs de l’opposition, l’a rejeté.

Enfin, sur les comptes de l’État pour l’année 2013, le travail d’amélioration de la qualité de nos comptes, engagé depuis la mise en œuvre de la LOLF, s’est poursuivi avec la certification des comptes de l’État. Cinq réserves ont été émises cette année, soit deux de moins que l’année précédente, la réserve sur l’évaluation du patrimoine immobilier de l’État et celle sur les passifs non financiers ayant été levées. Nous sommes désormais parvenus, grâce à un gros effort de l’ensemble des administrations concernées, à un suivi fiable des engagements hors bilan de l’État, sujet auquel votre Commission s’est déjà intéressée. Cet apport majeur de la comptabilité patrimoniale de l’État nous permettra de piloter efficacement nos engagements dans les années à venir. Je rappelle que la France est le seul État de la zone euro dont les comptes sont certifiés, ce qui est un gage de crédibilité supplémentaire pour les investisseurs internationaux.

L’assainissement des finances publiques s’est poursuivi en 2013 : le déficit public a continué à se réduire, le déficit structurel a retrouvé son plus bas niveau en une décennie, la dépense a été strictement maîtrisée. Pourtant, compte tenu de la dégradation de la conjoncture économique et de son impact sur les recettes publiques et sur leur élasticité, le déficit structurel a été, en 2013, supérieur de 0,5 % à la prévision de la loi de programmation des finances publiques, conduisant au déclenchement de la procédure de correction des écarts.

La loi organique de 2012 impose au Gouvernement de tenir compte de cet écart dans le projet de loi de finances pour 2015. Toutefois, dès les textes financiers rectificatifs qui seront prochainement déposés, le Gouvernement proposera à la représentation nationale un ensemble de mesures conduisant à la réalisation de 4 milliards d’euros d’économies dès 2014 pour entamer la résorption de l’écart constaté en 2013. Cet effort, qui porte sur l’ensemble des administrations publiques, sera complété dans les textes financiers pour 2015 qui, selon la trajectoire du programme de stabilité, devront prévoir 21 des 50 milliards d’euros d’économies annoncées par le Gouvernement.

J’anticipe toutefois sur les discussions que nous aurons dans les semaines et les mois à venir.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Selon la Cour des comptes, la baisse des dépenses fiscales est moins importante que prévu. Comment entendez-vous contrôler la progression de ces dépenses qui pourraient, pour certaines d’entre elles, être requalifiées en dépenses publiques du fait des nouvelles normes du référentiel de comptabilité nationale ?

Avez-vous élaboré un plan d’action, au-delà des 4 milliards d’économies annoncées, pour améliorer le solde structurel ?

M. Dominique Lefebvre. Il me semble nécessaire de corriger certains biais dans les commentaires qui ont suivi l’audition, la semaine dernière, de la Cour des comptes. Les critiques de la Cour sur la gestion des finances publiques en 2013 ont été abondamment relevées. Il n’en a pas été de même de ses appréciations sur la rigueur dans l’exécution budgétaire et la maîtrise de la dépense publique. Chacun gagnerait à présenter les travaux de la Cour de manière plus équilibrée.

En outre, l’action engagée par la majorité depuis 2012, qui se caractérise par un effort structurel considérable, efface presque la dérive du déficit commencée en 2006.

Enfin, le Gouvernement n’a pas découvert un trou dans l’exécution budgétaire la semaine dernière : les prévisions ont été ajustées à plusieurs reprises au cours de l’année pour tenir compte de l’évolution des recettes. Les chiffres annoncés aujourd’hui ne sont guère éloignés de ceux dont nous avions connaissance en fin d’année. Il est néanmoins nécessaire de poursuivre la réflexion engagée sur les prévisions de recettes.

Ce projet de loi de règlement montre que les efforts consentis portent leurs premiers fruits mais le chemin du rétablissement des finances publiques est encore long. Pouvez-vous nous éclairer sur vos intentions en la matière pour 2014 et 2015, sachant que priorité devra être donnée aux économies, puisqu’il est inenvisageable d’augmenter les prélèvements obligatoires ?

M. Olivier Carré. En juin dernier, le rapporteur général m’avait traité de menteur lorsque j’affirmais que le déficit public s’établirait autour de 4,1 %, et non, comme on l’annonçait, à 3 %. Il avait raison puisque le chiffre final est de 4,3 %... Il convient donc de relativiser les éléments de sincérité au fil de l’eau que vous mettez en avant : la vérité est apparue à la majorité à l’automne, lorsqu’il a fallu bâtir le budget pour 2014.

En revanche, je reconnais que nous avions anticipé une hausse plus importante des dépenses publiques. Même si le prélèvement européen écorne les objectifs que vous vous étiez fixés, et même si la charge des intérêts est moins lourde que prévu, nous n’avons pas observé de dérive. Il serait à cet égard intéressant de connaître les politiques qui ont fait l’objet d’une vigilance budgétaire particulière.

Sur les recettes, l’insincérité est une accusation grave. Il faut rappeler que, à l’automne 2012, pour restaurer la crédibilité de la France mise à mal par certains observateurs européens, il convenait de présenter un budget permettant de se rapprocher des 3 % de Maastricht. De là à penser que les recettes ont été surestimées...

Les faits sont là. Mais cette situation, à conjoncture équivalente, ne doit plus se reproduire. Vous l’avez comparée avec celle de 2009, mais le problème se posait en des termes différents : les recettes de l’impôt sur les sociétés, très sensibles aux aléas conjoncturels, avaient particulièrement souffert parce que le secteur financier, prédominant dans ces recettes, avait été mis à rude épreuve par la crise. Aujourd’hui, nous subissons davantage l’effet Laffer qu’un aléa conjoncturel.

Sur ce dernier point, nous sommes restés sur notre faim lors de l’audition des services de Bercy. Alors que ces derniers ont entièrement imputé l’écart à l’aléa conjoncturel, M. Didier Migaud a admis que le taux marginal d’imposition pouvait modifier structurellement les prévisions. Ces deux approches très différentes méritent d’être approfondies.

Enfin, la dette continue d’augmenter. Elle dépassera les 2 000 milliards d’euros pour l’ensemble des administrations dans le courant de l’année. Quelles mesures envisagez-vous, notamment dans l’hypothèse d’un retournement des taux longs ?

M. Charles de Courson. Mon analyse diffère quelque peu de la vôtre, monsieur le secrétaire d’État. Vous prétendez avoir tenu les dépenses. Mais plusieurs problèmes, relevés par la Cour des comptes, restent en suspens.

Le premier tient à la non-budgétisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE en 2013 alors que les dépenses de préfinancement s’élèvent à environ 1 milliard d’euros.

Deuxième problème : la reprise de la dette de l’Établissement public de financement et de restructuration – 4,5 milliards d’euros – n’est pas comptabilisée. Cette entorse à l’orthodoxie budgétaire se retrouvera nécessairement dans le compte de résultat, qui fera état d’une perte exceptionnelle. Vous avez également été aidé par une charge de la dette, inférieure de 2 milliards, à l’estimation initiale.

Troisième problème : les dépenses fiscales ne sont absolument pas tenues. Vous aviez prévu une baisse de 3,6 milliards d’euros. Or, elle n’est que de 500 millions, soit 3,1 milliards de dérapage. Pour ma part, je défends une conception élargie de la dépense, englobant dépenses de l’État et dépenses fiscales. Au total, la maîtrise des dépenses n’est pas aussi aboutie que vous l’affirmez.

S’agissant des recettes fiscales, une augmentation de 28,3 milliards d’euros était prévue. Elle est en réalité de 13,7 milliards. Cette moins-value correspond à l’addition des 3 milliards d’euros de dépenses fiscales, de 3,2 milliards au titre de l’écart de croissance
– l’UDI vous avait d’ailleurs mis en garde contre vos prévisions trop optimistes en la matière – et de 8 milliards pour lesquels nous en sommes réduits à des hypothèses. Quelle est votre analyse de ces pertes de recettes considérables pour chacun des trois principaux impôts – impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu et TVA ?

M. Éric Alauzet. Mercredi dernier, M. Didier Migaud affirmait devant notre Commission que l’écart de 15 milliards d’euros entre recettes fiscales et prévisions s’expliquait pour un quart seulement par les révisions du niveau de la croissance, et pour les trois quarts par des modifications d’hypothèses relatives à l’élasticité. Cette notion d’élasticité est multiforme. Certains ont abusé de la formule « trop d’impôts tue l’impôt », mais cela ne doit pas nous empêcher de nous interroger sur les changements de comportements induits par la pression fiscale. Les moindres recettes fiscales sont peut-être la conséquence des impôts nouveaux : la question mérite d’être posée.

Le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique – CAC –, qui a publié le 27 mai une étude analysant les composantes de la dette publique, constate que 59 % de cette dette qu’il considère comme « illégitime » est due, non pas à la progression de la dépense publique, mais à trois facteurs : le choix d’emprunter à des taux d’intérêt excessifs sur les marchés financiers, la politique de cadeaux fiscaux et l’évasion fiscale. Avouons que, à partir du moment où la dette ne résulte pas seulement des dépenses publiques, il n’est pas normal que les efforts visant à redresser les comptes publics se traduisent uniquement par une baisse de ces dépenses ! Nous devrions commencer par demander à la Cour des comptes un rapport sur l’origine de la dette pour confirmer le travail du CAC, dont certains contestent la rigueur scientifique. Mais il faudra aussi impérativement nous interroger sur la nécessité de mieux répartir le poids des efforts nécessaires au rétablissement des comptes publics.

M. le secrétaire d’État.  Nous devrions, tous, éviter les caricatures. Le mot « dérapage » est utilisé à tour de bras, et à mauvais escient. Son usage dessert notre pays. Avons-nous « dérapé » lorsque nous avons réduit les déficits dans une mesure un peu moindre que ce que nous avions prévu ? En entendant ce terme, les ménages et les entreprises pourraient croire que leurs efforts ne servent à rien, alors que, entre 2010 et 2014, le déficit public aura quasiment diminué de moitié, passant de 148 à 75 milliards d’euros.

De la même façon, la dépense a été contenue. Elle a même été moindre dans certains domaines que ce qui était prévu dans la LFI. Certes, monsieur Carré, la faiblesse des taux d’intérêt a permis d’alléger la charge de la dette de 2 milliards d’euros, mais, je l’ai dit, même sans cet élément, sur le périmètre dit « zéro valeur », la dépense a été inférieure de 144 millions d’euros à ce qui était prévu dans le PLF. Monsieur le député, vous ne pouvez pas sérieusement laisser entendre que nous n’avons découvert qu’à l’automne dernier l’écart entre les recettes prévues et réalisées. Et je ne parle pas de ceux qui prétendent que l’information nous viendrait du rapport sur le budget de l’État en 2013 publié la semaine dernière par la Cour des comptes ! Tout cela n’est pas sérieux. Alors que la loi de finances initiale pour 2013 prévoyait des recettes de 298 milliards d’euros, ce chiffre a été ramené à 290 milliards au mois d’avril dans le cadre du programme de stabilité, puis à 287 milliards lors de la présentation du projet de loi de finances initiale pour 2014. Le collectif de fin d’année confirmait ce manque à gagner de 11 milliards. Certes, nous avons constaté par la suite qu’il fallait compter avec 3 milliards supplémentaires de moindres rentrées, et je pourrais à la limite concevoir que l’on parle de surprise à ce propos, mais je m’indigne que l’on puisse prétendre que la Cour des comptes a « découvert » il y a une semaine « un trou de 15 milliards » par rapport à la prévision – Plantu a même consacré un dessin au sujet.

Madame la rapporteure générale, des mesures ont été prises pour un plafonnement global des niches fiscales. Dans le cadre des conférences fiscales que je mène actuellement, nous travaillons à maîtriser leur coût et à tester leur efficacité. Certaines dépenses fiscales ont d’ores et déjà été supprimées, et nous continuerons en ce sens. Je rappelle qu’il a été mis fin à la non-fiscalisation des majorations de pensions et à celle de la participation des employeurs aux mutuelles. M. de Courson évoque « un dérapage » de ces dépenses alors que, entre 2012 et 2013, elles sont passées de 72,2 à 72 milliards d’euros. En 2014, elles seront de l’ordre de 70,3 milliards – environ 80 milliards si l’on inclut le CICE. En dehors d’une progression mécanique liée au CICE, elles n’ont donc pas augmenté.

M. Charles de Courson. Elles devaient baisser de 3,6 milliards !

M. le secrétaire d’État. L’ensemble de la dépense baisse, mais vous vous focalisez sur l’une des évolutions qui n’a pas été totalement conforme à nos attentes. Les dépenses fiscales n’ont peut-être pas diminué autant que nous l’aurions souhaité, mais elles ont été contenues. Croyez bien que je veille au grain dans la préparation en cours du budget pour 2015 pour que nous ne conservions que celles qui ont fait preuve de leur efficacité ! Cette démarche est d’autant plus indispensable qu’il existe un risque que les crédits d’impôt soient considérés comme des dépenses publiques dans le référentiel de comptabilité nationale. Cette évolution purement comptable aurait des conséquences sur la présentation de nos comptes et sur l’appréciation que pourraient en faire les observateurs extérieurs.

Les dernières recommandations de la Commission européenne ne conduiront pas le Gouvernement à modifier ses projets. Les prochains projets de loi de finances
rectificative – PLFR – et de loi de financement rectificative de la sécurité sociale – PLFRSS – proposeront d’inscrire 4 milliards d’euros d’économies, avec, dans le PLFR, que le Conseil des ministres examinera le 11 juin prochain, 1 milliard d’annulations de crédits, et 600 millions d’euros d’annulation anticipée de la réserve de précaution. J’ai déjà indiqué que 21 milliards d’économies seront prévus dans le PLF pour 2015, soit presque la moitié des 50 milliards prévus sur trois ans.

Monsieur Lefebvre, le programme de stabilité vise toujours à réduire le déficit nominal et le déficit structurel. Cela se fera par le biais d’économies mais sans mesures fiscales nouvelles. Au contraire, l’impôt payé par les Français diminuera de 1 milliard d’euros.

Monsieur Carré, je tiens à votre disposition la liste des documents qui peuvent permettre aux parlementaires de trouver les réponses à leurs multiples questions.

Monsieur de Courson, le préfinancement du CICE étant assuré par les banques, il n’a aucun impact sur le budget de l’État en 2013. La reprise par l’État de la dette de l’EPFR, établissement public de l’État, n’a aucun impact sur la dette publique. Ce mouvement est totalement neutre en comptabilité budgétaire, même s’il s’agit d’une perte en comptabilité patrimoniale. Les deux comptabilités se complètent pour assurer la transparence des comptes. La LOLF a été parfaitement respectée ; la Cour des comptes ne dit pas autre chose.

Il m’a été demandé d’évoquer les grandes rentrées fiscales. Pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu, nous avons constaté en 2012 que les revenus augmentaient moins que ce qui était prévu, notamment si l’on considère les indépendants ou la masse salariale. Des mesures de périmètre n’ont pas été anticipées, et le produit des prélèvements forfaitaires obligatoires a été revu à la baisse de 1 milliard d’euros, compte tenu de versements en janvier au lieu de décembre. Un transfert de 500 millions d’euros a été réalisé vers la sécurité sociale au titre du dispositif d’exit tax. Vous connaissez les problèmes relatifs à l’évolution de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Son produit a été nettement inférieur à ce qui était attendu. L’écart de recettes de TVA constaté est principalement dû à l’effet de base de 2012 pour 3 milliards d’euros. Il a été pris en compte dès le mois d’avril, ce qui a permis de rétablir le cap en fin d’année.

Monsieur Alauzet, le contrôle fiscal a permis de recouvrer 10 milliards d’euros contre 9 milliards en 2012. Nous pourrons revenir sur ces questions à une autre occasion, si vous le voulez bien.

Monsieur Carré, le programme de stabilité prévoit une stabilisation de la dette publique en 2015, puis sa diminution en 2016. C’est écrit noir sur blanc, et je me garderai bien de donner d’autres précisions sur le sujet ; elles pourraient être un jour contredites par les faits.

Mme Karine Berger. Les chiffres qui nous sont proposés concernant le déficit structurel nous posent problème.

Dans l’exposé général des motifs du projet de loi de règlement, il est écrit : « Des écarts à la prévision s’expliquent d’abord par le contexte macroéconomique dégradé. » Nous partageons tous cette analyse. Pourtant, entre la loi de programmation et le projet de loi de règlement, il n’y a pas de révision à la baisse du solde conjoncturel. Si nous considérons, comme c’est mon avis, que l’évolution des déficits publics résulte d’une dégradation de la situation macroéconomique, il sera obligatoire de voter lors de l’examen du projet de loi de règlement un déficit conjoncturel supérieur à celui inscrit dans la loi de programmation. Si vous considérez que la situation macroéconomique ne s’est pas dégradée, c’est alors la lecture de notre politique budgétaire qui pose problème.

Je plaide en conséquence pour que nous révisions le niveau du solde structurel à la hausse. Vous l’avez abaissé pour 2012 de – 3,6 % à – 4,2 %, ce qui laisse supposer que nous sommes confrontés à un problème plus structurel que conjoncturel. Je considère au contraire que nous traversons une crise d’output gap négatif, une récession négative profonde, et que le niveau du solde structurel ne doit donc pas être modifié. C’est le solde conjoncturel qu’il faut réviser à la baisse, ce qui prouvera, au passage, la réalité des efforts « structurels » du Gouvernement.

M. Pierre-Alain Muet. Karine Berger a raison. Il est incohérent de constater à la fois que la croissance et l’inflation sont plus faibles que prévu – la croissance passe de 0,8 % du PIB à 0,3 %, et l’inflation de 1,8 % à 0,8 % – et de ne modifier que le solde structurel. Par définition, croissance et inflation pèsent sur le déficit conjoncturel. Tous les concepts utilisés en économie depuis trente ans conduisent à conclure que le solde conjoncturel s’est dégradé.

L’effort « structurel » consenti par le Gouvernement est donc plus important que ce qu’il décrit lui-même, et la dégradation du solde est essentiellement conjoncturelle. Le solde conjoncturel a dû se dégrader ; il n’a pas pu se maintenir à 1,2 % entre la loi de programmation et le projet de loi de règlement.

M. le président Gilles Carrez. J’ai été très surpris que la presse découvre la semaine dernière, dans le rapport de la Cour des comptes sur le budget de l’État en 2013, l’existence d’un écart supérieur à 14 milliards d’euros entre la prévision et la réalisation des recettes fiscales. En effet, dès octobre 2013, la prévision associée au projet de loi de finances pour 2014 estimait cet écart à 10 milliards d’euros, et il avait été majoré de 1 ou 2 milliards dans le collectif du mois de décembre. En février dernier, nous avions même communiqué pour annoncer que nous enregistrions 3 milliards d’écart supplémentaires. Manifestement l’information n’était pas passée. Peut-être a-t-il manqué un collectif en milieu d’année 2013. Nous devons en tout cas trouver une solution pour communiquer sur les recettes, car la situation risque de se reproduire.

À ce sujet, je souscris à la recommandation n° 4 de la Cour des comptes visant, dans le rapport sur le budget de l’État en 2013, à « établir et rendre public un document de référence précisant les méthodes et le processus de prévision des recettes pour les principaux impôts ». Notre audition des directeurs généraux et directeurs concernés du ministère des Finances, le 21 mai dernier, a montré que prévoir les recettes fiscales de l’État était un exercice particulièrement difficile.

Pour ma part, je suis un peu déçu par l’évolution des dépenses fiscales : malgré tous les efforts consentis depuis plusieurs années, nous ne parvenons à économiser, hors CICE, que 500 millions d’euros. Je constate également qu’il reste très difficile d’apprécier les mesures nouvelles. Pour ce qui concerne la prévision de recettes spontanées, il y a peut-être eu un « manque de prudence », comme l’indique la Cour, mais je suis plus mesuré qu’elle, sachant que la croissance prévue à 0,8 % a été de 0,3 % du PIB.

Concernant l’écart de recettes, la question essentielle d’une éventuelle modification du comportement des agents économiques se pose. À la page 77 de son rapport, la Cour, cherchant à expliquer le décrochage spontané des recettes fiscales en 2013, note que « des effets de structure auraient altéré le rendement des impôts, à croissance donnée : la croissance des revenus a été plus forte dans le bas de la distribution que dans le haut, ce qui a contribué à ralentir la croissance de l’impôt sur le revenu, compte tenu de sa progressivité ». Cette remarque laisse supposer que la perte d’assiette a surtout été enregistrée pour les hauts revenus. Les directeurs de Bercy n’ont pas pu répondre à nos questions sur le sujet.

Notre surprise concernant les recettes est surtout venue de la dégradation des recettes de l’impôt sur le revenu. La barémisation des revenus du patrimoine a peut-être joué, mais je persiste à me demander si les changements de comportement des agents n’ont pas été déterminants. Monsieur le secrétaire d’État, votre prédécesseur s’était engagé à nous fournir les données du rapport prévu depuis la fin de l’année 2012 sur les départs et les retours des contribuables analysés grâce à l’impôt sur le revenu, l’exit tax et l’ISF. Les données de 2012 sont exploitables ; il faudrait que nous en disposions avant l’examen du prochain collectif.

M. le secrétaire d’État. Le président de la commission des Finances a relevé à juste titre que le Gouvernement avait informé régulièrement le Parlement de l’évolution des recettes par rapport aux prévisions.

Nous serons amenés à vous apporter des précisions concernant le calcul du déficit structurel. À ce stade, je peux vous indiquer qu’il résulte d’un double phénomène. D’une part, la croissance ayant été inférieure à la prévision en 2013, le solde conjoncturel a été dégradé, selon nos estimations de 0,2 point de PIB. D’autre part, l’INSEE a révisé à la hausse la croissance de l’année 2011, de 1,7 à 2,1 %, ce qui a conduit à une réduction de l’écart de production entraînant mécaniquement une réduction du déficit conjoncturel de 0,2 % de PIB. Nos services estiment que ces deux phénomènes se compensent et expliquent que le déficit conjoncturel de 2013 soit resté stable entre la prévision et l’exécution. Il semble aussi que l’élasticité des recettes, inférieure à l’unité, ait eu un impact sur le solde structurel, qu’elle a dégradé de 0,5 %.

Monsieur Carrez, la dégradation de la croissance a eu un impact plus que proportionnel sur la structure des recettes, notamment concernant l’impôt sur le revenu de 2012. Ce phénomène avait déjà été constaté en 2009. Le produit des mesures fiscales nouvelles de la loi de finances pour 2013 est globalement conforme aux prévisions. Les écarts sont constatés sur des impôts nouveaux, comme la taxe sur les transactions financières, dont l’évolution était encore difficile à anticiper. Un décalage lié à l’exit tax est par ailleurs à l’origine de 500 millions d’euros d’écart de recettes. Vous avez déjà pris connaissance d’une analyse partielle des départs et des retours de contribuables français avant 2012, qui n’a pas montré de mouvements inédits. D’ici à la fin du mois de juin, les derniers chiffres disponibles vous seront communiqués.

La recommandation de la Cour relative aux méthodes de prévision des recettes mérite toute notre attention. Dans un contexte marqué par les ajustements de la législation et une évolution du contexte macroéconomique, la question de l’adaptation des méthodes doit être constamment posée.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, Mme Karine Berger, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Gaby Charroux, M. Alain Claeys,
M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz,
Mme Carole Delga, M. Jean-Louis Dumont, M. Henri Emmanuelli, M. Alain Fauré,
M. Olivier Faure, M. Marc Francina, M. Yann Galut, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, M. Régis Juanico, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre,
M. Jean-François Mancel, M. Thierry Mandon, M. Pierre-Alain Muet, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, Mme Eva Sas, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Thierry Robert

Assistait également à la réunion. - M. Jacques Lamblin

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