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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 3 juin 2014

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 81

Présidence de M. Gilles Carrez,
Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Charles Coppolani, président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne

–  Informations relatives à la Commission

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Charles Coppolani, président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne.

M. le président Gilles Carrez. Comme vous le savez, l’Autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, créée par les articles 34 à 45 de la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, est une autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect des objectifs de la politique des jeux et des paris en ligne, d’exercer la surveillance des opérations de jeu ou de pari en ligne et de participer à la lutte contre les sites illégaux et contre la fraude.

Elle propose aux ministres compétents le cahier des charges comprenant les éléments constitutifs de la demande d’agrément présentée par les opérateurs de jeux ou de paris en ligne. Elle a également pour mission de conseiller le Gouvernement, par ses avis sur tout projet de texte relatif au secteur des jeux en ligne et par ses propositions de modifications législatives et réglementaires.

En outre, l’ARJEL délivre les agréments aux opérateurs, prend les normes techniques requises pour les plates-formes et les logiciels de jeux et de paris et dispose du pouvoir de limiter les offres commerciales comportant une gratification financière des joueurs. Enfin, elle évalue les résultats des actions menées par les opérateurs en matière de prévention du jeu excessif.

Vous vous souvenez que notre Commission, en vertu de sa compétence traditionnelle en la matière, avait été saisie au fond de ce projet de loi sur les jeux en ligne. Elle l’avait examiné sur le rapport de notre collègue Jean-François Lamour, qui, conjointement avec Mme Aurélie Filipetti, avait procédé à une évaluation de la loi un an après sa promulgation.

Je rappelle que M. Coppolani préside un collège de sept membres, choisis à raison de leur compétence économique, juridique ou technique : trois sont nommés par décret, deux par le président notre assemblée et deux par le président du Sénat. Leur mandat, d’une durée de six ans n’est ni révocable ni renouvelable.

Monsieur le président, la discussion de la proposition de loi organique adoptée par le Sénat et visant à inclure vos fonctions parmi celles auxquelles s’applique la procédure de l’article 13 de la Constitution, à savoir l’audition préalable par les commissions compétentes des deux assemblées, n’a pas encore abouti. En tout état de cause, lorsque vous avez été nommé à ces fonctions en février dernier par décret du Président de la République, nous n’avions pas l’obligation de vous entendre au préalable.

Mais ce n’était évidemment que partie remise. Il nous importe de savoir comment, après avoir passé désormais un peu plus de trois mois à la présidence de l’ARJEL, vous entendez exercer votre mandat à la tête de cette autorité à laquelle nous avons confié de très nombreuses missions.

M. Charles Coppolani, président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne. Le contrôle du Parlement est un élément essentiel de la fonction de régulation. Même si la nomination du président de l’ARJEL n’est pas encore précédée légalement d’une audition par les commissions parlementaires, j’ai souhaité vous exposer, trois mois après ma nomination, les principales orientations de mon action et ma vision de la régulation des jeux d’argent et de hasard en ligne.

J’ai été nommé président de l’ARJEL le 25 février 2014 par le Président de la République pour un mandat de six ans. Ma candidature, et sans doute ma nomination, tiennent à mon expérience au contrôle général économique et financier – CGEFi. J’ai en effet dirigé ce service qui contrôle près de six cents organismes publics, dont certains sont directement concernés par les problématiques du jeu, comme la Française des jeux, le PMU mais aussi l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé – INPES. Depuis sa création en 2011, j’ai présidé également l’Observatoire des jeux, qui a pour mission d’observer les évolutions du jeu en France et d’alerter les décideurs publics sur les risques du jeu addictif.

J’ai accepté en 2011 avec beaucoup d’intérêt la présidence de cet observatoire. Je connaissais déjà les problématiques du jeu responsable à travers la Française des jeux et du PMU, qui sont dans le champ d’intervention du CGEFi. L’Observatoire des jeux m’a donné l’occasion d’aller plus loin et de découvrir un monde complexe faisant intervenir des acteurs aux objectifs et aux intérêts qui peuvent apparaître contradictoires. Cette complexité était attrayante et m’a poussé au mois de janvier 2014 à poser ma candidature à la présidence de l’ARJEL.

La problématique du jeu se noue autour de trois acteurs.

Le joueur, tout d’abord : pour une grande majorité d’entre eux, le jeu est un divertissement sans autre conséquence que le rêve – qui se réalise parfois – d’une vie meilleure. Mais pour quelques-uns, il peut devenir un gouffre dans un engrenage, où l’on se perd, en y entraînant souvent ses proches.

L’État, ensuite, qui doit assumer une contradiction majeure : pour lui, le jeu est une source de revenus non négligeables mais en tant que garant de la protection des joueurs, il se doit de mettre en place des garde-fous qui en limitent la consommation.

Les opérateurs, enfin, dont le développement suppose qu’ils évoluent dans un contexte favorable et rentable économiquement tout en intégrant dans leur modèle économique les contraintes parfois exigeantes de notre système de régulation.

La loi de 2010 place le régulateur au centre de ces trois forces. Il doit dépasser les différentes contradictions pour faire vivre en bonne harmonie les acteurs du marché des jeux d’argent et de hasard en ligne, qui, comme l’indique la loi du 12 mai 2010, « ne sont ni un commerce ordinaire ni un service ordinaire ».

J’ai donc placé mon mandat sous le signe de la recherche de cet équilibre. Le joueur doit être protégé, mais les opérateurs qui ont fait le choix du marché régulé doivent pouvoir atteindre la viabilité économique. L’offre de jeux ne doit pas aggraver le risque d’addiction, mais rester cependant assez attractive pour concurrencer l’offre illégale. Il faut que l’État maintienne des recettes à travers la fiscalité des jeux, mais l’assiette de l’impôt doit rester économiquement attractive et cohérente. La régulation doit garantir au joueur-consommateur la sécurité de ses données, de ses avoirs et de son environnement de jeu, mais sans être trop contraignante pour les opérateurs au plan technique. Enfin, l’impérieuse nécessité de lutter contre le blanchiment et de garantir l’intégrité des manifestations sportives ne doit pas se traduire par un niveau trop élevé de contraintes pour les opérateurs et pour les joueurs.

Ma feuille de route découle de cet impératif et le choix de mes priorités s’inscrit dans les objectifs définis par la loi de 2010 et notamment le premier d’entre eux, la protection des joueurs. Au titre de la protection des joueurs, qui sont d’abord des consommateurs, l’ARJEL exerce sur les sites agréés une surveillance de haut niveau – obligation de fiducie, contrôle systématique du caractère aléatoire des distributeurs de cartes pour les joueurs de poker. Mais le jeu présente aussi des risques d’addiction. La loi impose ainsi aux sites la mention obligatoire de mises en garde, interdit le jeu à crédit et plafonne à 85 % le taux de retour aux joueurs, alors que ce taux marque à l’étranger plutôt un plancher. Reprenant une proposition de l’ARJEL, la récente loi relative à la consommation interdit en outre aux opérateurs l’envoi de messages publicitaires aux interdits de jeu.

L’ARJEL veut aller encore plus loin grâce à la mise en place de dispositifs d’alerte sur des comportements à risque, qui lui permettent d’intervenir en amont et à titre préventif. Sur ce point, le concours des opérateurs agréés est désormais acquis à l’ARJEL, car ces derniers sont conscients de ce que le jeu en ligne ne pourra s’installer durablement que s’il conserve une dimension de divertissement et de loisir. À cet égard, les comportements à risque constituent un champ de recherche trop peu développé en France ; l’ARJEL s’efforce désormais de tisser des liens étroits avec l’université.

La loi vise également à favoriser l’équilibre économique du marché régulé. Or, la situation économique des opérateurs agréés reste préoccupante. Il faut donc étudier les mesures les plus efficaces pour soutenir ces entreprises et concevoir un modèle de développement viable et durable. Après l’engouement de l’ouverture du marché, le nombre d’opérateurs est désormais stabilisé à dix-huit, qui se partagent au total trente-deux agréments. Trois seulement ont dégagé quelques bénéfices en 2013. Trois autres seront dans cette situation à la fin de l’année 2014. Aucun des autres n’y parviendra probablement à court terme. Les opérateurs ont d’ores et déjà sensiblement réduit leurs coûts, en particulier leurs coûts de marketing.

Mais il faut aller plus loin. Peut-être serait-il bon de réfléchir à une baisse du coût de la régulation, sous réserve qu’elle conserve tant un niveau de contrôle et de protection équivalent que des recettes constantes pour l’État. Élargir l’offre de jeux est aussi envisageable. À cet égard, les attentes et les propositions des opérateurs sont nombreuses. Je pense qu’il faut se prononcer, en ce domaine, segment de jeu par segment de jeu. Après des rencontres avec chacun des opérateurs, l’ARJEL étudie les mesures les plus efficaces en vue de proposer aux autorités compétentes un plan d’action. Car je souhaite privilégier une approche globale et cohérente plutôt que procéder au coup par coup.

La lutte contre l’offre illégale constitue la troisième priorité. Elle est stratégique. Elle va de pair avec la protection des joueurs, mais aussi avec la garantie des opérateurs agréés contre toute concurrence déloyale. Or, une offre de ce type subsiste en France. Quoiqu’elle soit par nature difficile à évaluer, elle attire sans doute 10 % des joueurs. Elle recouvre différents contenus, comme le casino en ligne, qui est interdit par la réglementation française. En s’inspirant de l’expérience étrangère, l’ARJEL étudie les moyens les plus efficaces pour aller encore plus loin sur ce chantier, par exemple en bloquant les moyens de paiement.

Le modèle de régulation français est sans conteste exemplaire, avec des objectifs clairs et les moyens qui vont avec pour l’atteindre. Je m’attacherai à promouvoir ce modèle sur la scène internationale, car nous serons d’autant plus efficaces dans la coopération transfrontalière nécessaire pour lutter contre les manipulations sportives et l’argent sale que nous aurons des niveaux de régulation homogènes et cohérents. C’est le message que je porte dans mes contacts avec nos partenaires européens et internationaux.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. La justice a récemment condamné une société exploitante de jeux en ligne, basée à Malte, à une amende de 300 000 euros. Au regard des 7 milliards d’euros mis en jeu chaque année en France, ce montant ne vous semble-t-il pas trop modeste pour être dissuasif ? Votre prédécesseur avait marqué sa préférence pour que la taxe sur les jeux soit assise non sur les mises, mais sur le produit brut des jeux – PBJ –, qui représente environ un dixième de celles-ci. Quelle est votre position sur la base d’imposition à privilégier ? Comment les pays voisins procèdent-ils ?

M. Charles de Courson. Au cours des débats sur le projet de loi relatif aux jeux en ligne, certains experts mettaient en garde les pouvoirs publics contre la tentation de mettre en place des mesures, en particulier des prélèvements, ne favorisant pas la compétitivité. Comment appréciez-vous la compétitivité du modèle français par rapport à ses concurrents allemand et anglais ? Par ailleurs, combien de Français jouent-ils sur les sites étrangers ? Et pour quels montants ?

Mme Monique Rabin. Votre institution entretient-elle des relations suivies avec ses homologues à l’étranger ? Combien la taxe sur les jeux en ligne rapporte-t-elle à l’État ? L’alcool, la drogue et le jeu sont autant de maux qui induisent des comportements similaires : menez-vous, par exemple en partenariat avec des établissements d’enseignement supérieur ou de recherche, une réflexion globale sur ces sujets ?

M. Dominique Baert. Selon quelles modalités l’ARJEL coopère-t-elle avec la police et la gendarmerie, mais aussi avec les autorités de surveillance des marchés ? Outre les jeux en ligne, certaines offres de placements financiers mirobolants, comme des pyramides de Ponzi, induisent également en tentation les internautes. Or, les autorités de surveillance des marchés indiquent qu’elles éprouvent des difficultés lorsqu’elles doivent localiser les sites fautifs.

M. Régis Juanico. En 2010, le groupe socialiste s’était clairement exprimé en faveur d’une réponse internationale au problème de la pratique immodérée des jeux en ligne, qui est en effet par nature international. Grâce à l’action au gouvernement de Mme Valérie Fourneyron, la France peut s’enorgueillir d’être à l’origine du projet de convention du Conseil de l’Europe contre la manipulation des résultats sportifs, le texte remontant à une initiative de sa part de janvier 2012. Comment utiliserez-vous ce nouvel outil ? La récente affaire de paris truqués sur le match de handball entre Cesson-Sévigné et Montpellier a montré combien les compétitions de fin de saison sont propices aux manipulations. Menez-vous une action spécifique contre ce phénomène ?

Enfin, le secrétaire d’État aux sports, M. Thierry Braillard, réfléchit à une fusion entre l’ARJEL et l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD. Comment envisagez-vous cette perspective ?

M. Alain Fauré. Quels sont les outils de surveillance et de mesure qui sont à votre disposition ? Comment tenez-vous l’équilibre entre la nécessité de favoriser les rentrées fiscales et la nécessité de protéger les joueurs ?

M. Christophe Castaner. À l’instar de mon collègue Régis Juanico, je me demande si les compétitions sportives et les jeux en ligne entretiennent une similitude telle qu’ils puissent être traités par une autorité commune. Exercez-vous une vigilance spéciale à l’approche de la Coupe du monde de football ?

Dans le domaine fiscal, il me semble qu’il faudrait déplafonner le taux de retour aux joueurs si la taxe sur les jeux devait être assise sur le PBJ, et non plus sur les mises. Mais la perspective de gains plus élevés favorise l’addiction, ce qui va à l’encontre des fins poursuivies par la loi de 2010.

Mme Marie-Christine Dalloz. En apprenant qu’une fusion est envisagée entre l’ARJEL et l’AFLD, je m’interroge sur le lien entre leurs domaines d’attribution. Est-ce vraiment dans ce type de démarches que nous devons voir la volonté d’engager des réformes structurelles ? Je serais heureuse de disposer de données comparatives sur les autres pays européens. Enfin, les investissements réalisés pour mettre en œuvre la loi de 2010 se révèlent-ils rentables ?

M. Marc Francina. L’action de l’ARJEL se heurte à des limites, puisqu’elle n’a pas les moyens de fermer les sites implantés à l’étranger. Il semblerait parfois que la seule solution soit de suivre l’exemple chinois et de bloquer l’accès à Internet.

M. le président Gilles Carrez. Ce serait assurément une formule radicale !

M. le président de l’ARJEL. Dans les cas de poursuite de sites illégaux, l’ARJEL ne peut se constituer partie civile devant la juridiction pénale, car elle ne dispose pas de la personnalité morale. Mais elle peut être entendue comme témoin. Quant à l’amende récemment prononcée par le tribunal correctionnel de Paris, son montant paraît en effet assez faible, alors que son recouvrement peut également se révéler problématique. Aux yeux de l’ARJEL, l’essentiel demeure de bloquer l’accès à ces sites. Pour ce faire, elle agit devant la juridiction civile. Le tribunal de grande instance de Paris réserve une audience tous les deux mois à des affaires de ce type. L’ARJEL assigne l’opérateur fautif, en demandant aux fournisseurs d’accès d’en bloquer l’accès. Ce n’est cependant pas la panacée, car des joueurs français peuvent se connecter à des sites étrangers en ayant masqué leur identité. Il faudra donc aller au-delà. Il est cependant difficile de se concerter avec les banques et le réseau des cartes bancaires pour voir s’il est possible d’isoler les opérations de jeu. Les Américains le font pourtant, tout comme les Britanniques.

L’ARJEL exerce sa surveillance sur 3 000 sites environ. Grâce à ses recettes, elle dispose d’une régie d’avances qui fournit les mises nécessaires à des tests menés auprès des différents opérateurs. Si l’un d’entre eux ne respecte pas la réglementation, l’Autorité lui adresse une mise en demeure. Quand l’opérateur n’y défère pas, elle peut engager des actions judiciaires. Une équipe d’enquêteurs travaille en permanence, au sein de l’ARJEL, pour traquer les contrevenants à la réglementation. Il ne fait guère de doute que de nouveaux sites à surveiller fleurissent à l’approche de la Coupe du monde de football. Lutter contre l’illégalité c’est combattre l’hydre à plusieurs têtes : à chaque site supprimé, deux autres apparaissent aussitôt pour le remplacer.

Sur le plan fiscal, les prélèvements sur les jeux en ligne, certes importants en valeur absolue, restent néanmoins, avec un montant total de 323 millions d’euros en 2013, très modestes par rapport à ceux qui touchent le réseau physique. Sur ce montant, 265 millions d’euros étaient destinés l’an dernier au budget général et 43,9 millions d’euros aux organismes de sécurité sociale. Compte tenu des prélèvements destinés au Centre des monuments nationaux et aux communes pourvues d’un casino ou d’un hippodrome, le montant restant acquis au budget général était de 239 millions d’euros.

Ces prélèvements sont effectués sur les mises, ce qui n’est pas la solution globalement retenue en Europe. Ainsi, en Italie, à l’exception de certains prélèvements effectués sur les mises, la plus grande part est calculée sur le PBJ et le système semble évoluer vers un prélèvement d’ensemble sur le PBJ, comme c’est le cas dans les autres États. La différence entre le montant des mises et le PBJ est ce qu’on appelle le taux de retour joueurs, c’est-à-dire les gains des joueurs, dont le montant est plafonné en France à 85 % des mises et se situe aujourd’hui autour de 80 % ou 81 %. En 2013, sur des mises de l’ordre de 8,4 milliards d’euros pour les jeux en ligne, le PBJ s’élevait au total à 686 millions d’euros.

Toute évolution devrait se faire à recettes constantes, supposant donc un taux d’imposition de 45 % à 50 % sur le PBJ, qui serait tout aussi lourd. Les opérateurs se plaignent d’ailleurs du fait que l’ensemble des prélèvements français est beaucoup plus lourd que dans les autres pays, mais il ne faut pas oublier que nous leur permettons de proposer un jeu comportant d’importantes externalités négatives, comme les addictions et les dommages pour la famille des joueurs addicts et pour leur santé.

Il faut donc nous efforcer de proposer un jeu « extensif » plutôt qu’ « intensif », c’est-à-dire inciter les opérateurs à proposer une offre destinée à de petits joueurs, qui jouent peu et pour se divertir, plutôt qu’à encourager les joueurs qui jouent beaucoup – lesquels constituent aujourd’hui une grande partie de leur chiffre d’affaires. Pour le poker, par exemple, nous sommes confrontés à des situations paradoxales, avec un traitement différent pour les jeux en ligne et pour les casinos. S’applique en effet la règle traditionnelle du « no flop, no drop », selon laquelle l’opérateur ne prélève sa rémunération que lorsque les joueurs ont commencé à jouer. Or, une partie qui s’interrompt avant que les joueurs aient abattu leurs cartes génère tout de même des mises, sur lesquels l’opérateur en ligne est imposé, alors que les casinos en dur ne le sont pas.

On touche ici à la question de la compétitivité du système français de régulation, très exigeant à l’égard des opérateurs. Pour certains d’entre eux, cependant, même s’ils gagnent encore peu, le fait d’être agréés en France est une carte de visite – nous pouvons ainsi être interrogés par les régulateurs du New Jersey ou de Californie qui veulent savoir si tel opérateur est agréé en France.

Nos échanges avec les régulateurs internationaux, notamment dans les pays européens se déroule dans plusieurs cadres. Un groupe informel de régulateurs qui se réunit deux fois par an permet de traiter divers sujets – la réunion que nous aurons à Berlin au mois de septembre prochain portera ainsi sur la lutte contre l’offre illégale et les sites illégaux. En outre, un groupe d’experts animé par la Commission européenne et composé de régulateurs de jeux en ligne et en dur se réunit régulièrement à Bruxelles pour aborder divers sujets.

Il est certes important que la Commission européenne favorise les échanges, mais les jeux sont des phénomènes très culturels – on ne joue pas de la même façon, ni aux mêmes jeux, en Italie, en Angleterre et en France. La régulation doit donc rester nationale et il ne doit pas y avoir de reconnaissance mutuelle des opérateurs : pour faire une offre de jeux dans un État, il faut être agréé dans cet État. Cette position, partagée par plusieurs régulateurs européens, n’est cependant pas celle de plusieurs autres – Malte, par exemple.

Les enquêtes que nous avons réalisées sur les joueurs addicts dans le cadre de l’Observatoire des jeux ont fait apparaître de fréquentes multiaddictions, avec notamment une très nette présence de l’addiction au tabac. Je rappelle à ce propos que l’un des éléments de régulation de l’offre des casinos du réseau physique a été l’interdiction de fumer, qui oblige les joueurs à quitter les machines à sous pour sortir. Ce n’est pas le cas avec les jeux en ligne.

L’ARJEL, si elle n’a pas vocation à être un organisme de recherche scientifique, dispose néanmoins d’informations très importantes qu’elle peut mettre à la disposition des chercheurs – économistes, praticiens hospitaliers ou sociologues – dans des conditions précisées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL – et en respectant notamment l’anonymat des données. On pourrait ainsi faire évoluer la recherche dans ces domaines, encore balbutiante en France.

Nous entretenons une coopération étroite avec les autorités policières, notamment avec le service des courses et jeux, ainsi qu’avec le parquet et Tracfin, et tous nos indicateurs en matière de blanchiment ont été mis en place avec l’accord de cette dernière. Nous avons également des relations avec d’autres autorités, comme l’Autorité des marchés financiers, mais je n’ai pas encore eu l’occasion d’en faire l’expérience depuis ma prise de fonctions. Nous travaillons beaucoup sur la publicité, car celle-ci peut toucher les mineurs ou les personnes interdites de jeu.

La convention du Conseil de l’Europe, sur laquelle l’ARJEL a beaucoup travaillé, peut permettre d’organiser une coopération avec les autres régulateurs, ce qui nous semble très important. Nous avons mis en place un dispositif particulier à l’occasion de la Coupe du monde de football et avons proposé aux régulateurs de tous les pays membres du Conseil de l’Europe de leur fournir des informations.

La question des matchs truqués et des matchs sans enjeu de fin de saison, mise en lumière notamment par l’affaire Cesson-Montpellier – qui concernait, au demeurant, le réseau physique, et non pas les jeux en ligne – est un sujet assez délicat. La notion de match « sans enjeu » est en effet très subjective et, de même que Leibnitz a pu dire de Descartes qu’il avait mis la vérité à l’hôtellerie de l’évidence, mais avait oublié de lui donner l’adresse, nous pouvons nous demander ce qu’est l’enjeu. Dans le monde du sport professionnel, les enjeux sont en effet de multiples : au-delà du classement, il peut également s’agir, par exemple, de la carrière des joueurs ou de leurs relations avec leurs sponsors. Nous devons donc nous référer très précisément aux textes qui s’imposent à nous : aux termes du décret qui s’applique en la matière, on ne peut organiser de paris sur une compétition que si cette dernière a une notoriété suffisante et si elle présente des enjeux suffisants pour attirer des parieurs.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité qu’on puisse parier sur les matchs de la fin du championnat de France de ligue 1, car les matchs du Paris-Saint-Germain suscitent chez les parieurs une grande attirance et l’interdiction de parier sur ces matchs les inciterait à recourir à l’offre illégale. En revanche, il ne faut pas organiser de paris pour des compétitions ne présentant pas de notoriété ou d’enjeux suffisants. Il faut également veiller aux types de paris que l’on autorise – l’ARJEL interdit ainsi, à la différence de certains régulateurs, tous les paris sur les actions négatives. L’un de mes chantiers prioritaires consiste donc à revoir à la fois la liste des compétitions et les types de paris concernés. Après avoir beaucoup agi au coup par coup dans la phase où l’ARJEL se mettait en place, il faut maintenant veiller à la cohérence de nos propositions.

Quant au projet de fusion entre l’ARJEL et l’AFLD, je rappelle que, dans son discours de clôture du forum sur l’intégrité du sport, organisé le 15 mai à la Sorbonne par le Qatar et la chaire « Éthique et sécurité dans le sport », le secrétaire d’État a évoqué la création d’une haute autorité de l’intégrité sportive. Il est certes pertinent de traiter au niveau politique les problèmes liés à l’intégrité sportive et la convention du Conseil de l’Europe, qui évoque à ce propos une plate-forme nationale, nous en donne l’occasion. Il conviendrait donc que ces questions soient prises en charge, au niveau politique, par le ministère des Sports, et non pas par une autorité administrative indépendante. En effet, l’intégrité sportive et la lutte contre le blanchiment sont des sujets de société, qui ne relèvent pas d’une autorité indépendante. Il faut donc mettre tous les acteurs autour de la table et l’ARJEL pourra y contribuer dans la mesure de ses modestes moyens.

Pour ce qui est de la fusion proprement dite, je rappelle que les paris sportifs représentent 10 % des mises des jeux en ligne régulés par l’ARJEL, et les paris organisés sur les compétitions en France 2 %. L’essentiel du chiffre d’affaires des opérateurs dans le domaine des paris sportifs procède donc largement de compétitions organisées à l’étranger, comme la Coupe d’Europe et tous les championnats européens.

Pour qu’il y ait fusion, il doit y avoir synergie, et je ne pense pas qu’il y en ait véritablement une entre l’ARJEL et l’AFLD, dont les champs d’intervention, les missions et les publics ne se recouvrent pas. Nous régulons des jeux en ligne ; l’AFLD lutte contre le dopage. Notre public, ce sont les joueurs et les parieurs ; celui de l’AFLD, ce sont les sportifs. Notre mission est la protection du joueur ; celle de l’AFLD est la préservation de la santé des sportifs face au dopage. Les outils n’ont rien de commun : l’ARJEL, c’est un système d’information, qui compte pour plus de 60 % de notre masse salariale, tandis que l’AFLD, ce sont des laboratoires. Ma position quant à la perspective d’une fusion se déduit aisément des indications que je viens de vous donner.

J’en viens aux outils de surveillance dont nous disposons pour protéger les joueurs. L’ARJEL est, je le répète, est un système d’information : tous les opérateurs ont l’obligation de disposer d’un frontal, c’est-à-dire d’un ordinateur situé en France et accessible dans les 2 heures, auquel l’ARJEL est connectée et qui reçoit directement, en temps réel, toutes les informations de jeu. Nous collectons et traitons chaque jour entre 50 et 60 millions d’opérations de jeu. Le traitement de ces informations, automatisé, repose sur une modélisation des paris que nous avons bâtie au cours des quatre dernières années. Nous testons par ailleurs, au moyen de dispositifs informatiques, divers éléments, comme la sécurité des logiciels, pour garantir les données sensibles des joueurs contre les risques d’intrusion et de vol. Nous nous assurons aussi que les paris réalisés correspondent à la liste des paris autorisés et vérifions l’intégrité des paris en nous assurant par exemple de la distribution aléatoire des cartes. Nous disposons également de dispositifs et d’indicateurs permettant de détecter le blanchiment.

Pour la Coupe du monde de football, nous avons mis en place un système de suivi qui concentre les dispositifs que nous utilisons au quotidien. Nous contrôlons l’offre proposée par les opérateurs agréés et les opérations de jeu réalisées sur les sites agréés. Nous procédons à dix types de contrôles, notamment sur les sommes jouées, sur la moyenne des paris, sur le pourcentage de paris simples, sur le pourcentage de paris gagnants, sur les vainqueurs et sur le score à la mi-temps. Cette panoplie de contrôles se décompose en outre en plusieurs dizaines de sous-éléments. Nous avons par ailleurs mis les informations obtenues à la disposition des autres régulateurs. Ce dispositif est en place et va fonctionner.

Quant à la perspective d’une autorité unique de régulation pour l’ensemble des jeux, tant sur le réseau physique qu’en ligne, il me semble préférable de raisonner en termes de missions plutôt qu’en termes d’institutions. Depuis ma prise de fonction, j’ai établi des liens très étroits avec le régulateur des jeux physiques et celui de la Française des jeux – la direction du budget –, ainsi qu’avec la Française des jeux elle-même, dont le dispositif de surveillance des jeux en dur est très performant, et avec le PMU. Le reste appartient au législateur.

Dans les autres pays européens, les modèles de régulation sont très différents. La France est, avec l’Italie, le seul pays où le régulateur collecte les données de jeu en temps réel, les autres régulateurs recevant les données de jeu sur demande. Les informations échangées ne sont donc pas de même nature et nous avons des difficultés pour obtenir celles que nous souhaitons.

Je compte mettre en place une surveillance des paris pris à l’étranger sur les compétitions françaises ouvertes aux paris en France. À cette fin, nous travaillons à une surveillance de l’évolution des cotes sur les principaux sites à l’étranger, ce qui supposera d’instaurer une coopération avec les régulateurs et, parfois, de tester certains régulateurs, notamment asiatiques.

M. le président Gilles Carrez. Je ne doute pas, monsieur le président, que vous fassiez bénéficier l’ARJEL de toute votre expérience et de votre expertise juridique pour aborder ces sujets très complexes.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a procédé à la nomination de deux rapporteurs :

– M. Dominique Lefebvre, rapporteur pour avis du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 (sous réserve de son dépôt) ;

– M. Christophe Castaner, rapporteur du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public (n° 1940).

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, M. Étienne Blanc, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Alain Fauré, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, M. Jean-François Mancel, M. Thierry Mandon, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, M. Pascal Terrasse

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Thierry Robert

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